Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « Quel modèle d’armée pour quelles menaces ? » avec M. Michel Goya, ancien officier des Troupes de marine, chercheur indépendant ; M. Martin Motte, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, chef du cours de stratégie à l’École de Guerre ; M. le lieutenant-colonel Jérôme de Lespinois, chef de la division études, prospective et publication du Centre des études, du rayonnement et des partenariats de l’armée de l’air (CERPA).

Nomination du rapporteur de l’avis sur la mission « Défense » du projet de loi de finances pour 2021 : « Environnement et prospective de la politique de défense ».

 

 

 


Mercredi
24 juin 2020

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 62

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Françoise Dumas,
présidente

 


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La séance est ouverte à neuf heures quarante.

Mme la présidente Françoise Dumas. Mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de vous dire à quel point je me réjouis de vous retrouver tous ici physiquement, après cette période si particulière. Notre contrôle parlementaire s'est quand même effectué, de manière assez dense, mais à distance.

Il nous appartient de respecter toutes les précautions sanitaires usuelles et je vous remercie d'accepter le port du masque et de ne l'enlever que lorsque vous aurez la parole. Je demanderai d'ailleurs aussi à nos invités de se soumettre à la même règle s'ils le souhaitent.

Avant d'aborder la thématique inscrite à l'ordre du jour, je voudrais accueillir un nouveau commissaire et procéder à une nomination.

Je souhaite la bienvenue à notre nouvelle collègue, membre de notre commission, Nathalie Serre, qui remplace Patrice Verchère, élu maire de Cours. Je rappelle également que Laurent Furst, élu à la mairie de Molsheim, devrait également nous quitter très rapidement. Je ne sais pas si son suppléant viendra siéger à nos côtés.

Je remercie nos deux collègues députés qui étaient très présents à la commission, et également, pour Patrice Verchère, à la délégation parlementaire au renseignement pour le travail accompli en commun.

Par ailleurs, la démission de Didier Baichère de notre commission a rendu disponible la fonction de rapporteur pour avis sur la mission défense du projet de loi de finances pour 2021, environnement et prospective de la politique de défense, c'est-à-dire le programme communément appelé le 144.

Cet avis revenant au groupe La République En Marche (LaREM), ce dernier m'a fait part de la candidature de Fabien Gouttefarde. S'il n'y a pas d'opposition, il en est décidé ainsi.

Je vous propose maintenant de revenir à notre ordre du jour et à nos invités. Le thème retenu pour notre table ronde aujourd'hui est certes inspiré de la crise Covid-19 et de son retour d'expérience, mais il se veut aussi et surtout prospectif. Il tient en une question : quel modèle d'armée, pour quelles menaces ?

Pour nous aider à réfléchir sur cette thématique, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui trois spécialistes des questions de défense, de stratégie et de prospective, en l'occurrence M. Michel Goya, ancien officier des Troupes de marines, chercheur indépendant, M. Martin Motte, directeur d'études à l’École pratique des hautes études, chef du cours de stratégie à l’École de guerre et enfin M. le lieutenant-colonel Jérôme de Lespinois, chef de la division études prospectives et publications du centre des études du rayonnement et des partenariats de l'armée de l'Air (CERPA).

Colonel, Messieurs, au nom de mes collègues, je vous remercie de venir devant nous aujourd'hui pour faire état de vos réflexions sur ce sujet majeur de l'adaptation de nos armées aux menaces auxquelles nous devons et nous devrons faire face. Cette étude nécessite une connaissance du passé ainsi qu'un effort d'anticipation, de lucidité sur les menaces actuelles, les menaces futures, ainsi qu'agilité et honnêteté intellectuelle pour interroger nos structures, nos organisations et nos moyens militaires chargés d'y répondre.

La crise actuelle du Covid-19, bien que principalement sanitaire, a révélé par ailleurs qu'il ne suffisait pas d'anticiper un type de crise, une pandémie par exemple, en doctrine, mais bien de savoir mobiliser les ressources disponibles (structures et moyens) prévus en planification au moment le plus opportun.

Interrogé en audition le 22 avril dernier, dans le contexte particulier de la crise sanitaire, le chef d'état-major des armées, le général François Lecointre soulignait que la crise démontrait que nos armées doivent être taillées, non pas pour ce qu'elles font au quotidien, mais pour ce qu'elles peuvent être amenées à accomplir dans des circonstances exceptionnelles.

Il nous disait également qu'il était nécessaire de revenir à un modèle d'armée complet, c'est-à-dire agissant sur l'ensemble du spectre des opérations dans un contexte mondial toujours plus dangereux, en citant notamment l'activisme chinois ou un probable repli américain précipité.

Par ailleurs, lors de sa récente audition du 17 juin dernier, le chef d'état-major de l'armée de terre, le général Burkhard, nous a présenté le cap qu'il souhaite donner à l'armée de Terre pour les dix ans à venir. Dans sa vision stratégique, il note que le retour des rapports de force entre états et l'évolution très rapide de la conflictualité doit, je cite, « nous amener à durcir l'armée de Terre pour qu'elle soit capable de faire face à des conflits encore plus difficiles que nos engagements actuels, déjà bien éprouvants ».

Prenant acte de la montée des tensions aux frontières même de l'Europe, le chef d'état-major de l'armée de Terre (CEMAT) estime que les prochains conflits pourraient être d'une plus grande ampleur et d'une forme nouvelle, avec un emploi de la force assumée par de nombreux acteurs qui n'hésitent plus à se déployer militairement, à tester, à intimider, agissant sous le seuil du conflit ouvert avec des actions non revendiquées et dans le champ informationnel qui devient un véritable espace d'influence et d'affrontement.

Colonel, Messieurs, nous aimerions connaître vos avis et analyses sur l'état des menaces pour notre pays, leurs évolutions à court et moyen terme, ainsi que les conséquences qu'il convient d'en tirer pour les hypothèses d'emploi et le modèle des forces.

Vos expériences et vos formations sont diverses, selon les armées et je suis sûre que la complémentarité de vos approches sera pour nous une utile source de réflexion.

Colonel, Messieurs, vous disposez de toute l'attention des membres de la commission qui expriment ce besoin de faire un arrêt sur image.

Mes chers collègues, je vous informe que vous avez sur vos bureaux une synthèse de l'ensemble des travaux que nous avons menés pendant toute cette période, qui pourra vous être utile pour communiquer sur la qualité de l'engagement de nos forces armées et la capacité de résilience de nos industries.

Messieurs, je vais vous céder la parole. Il y aura, comme d'habitude un débat qui se fera sous la forme de questions-réponses, avec énormément de questions, je présume.

M. Michel Goya, ancien officier des Troupes de marines. Je vais revenir sur la notion même de modèle d'armée et sur son historique récent.

Un modèle d'armée ou modèle de force n'est normalement que l'instrument de ce que le général de Gaulle appelait une grande stratégie, c'est-à-dire une vision de ce que veut être la France dans un contexte international donné.

Ce modèle est fondé sur des hypothèses d'emploi. À l'instar d'un paradigme scientifique, il est considéré comme valable tant qu'il résout les problèmes. À partir du moment où il ne parvient plus à résoudre un problème important, il faut considérer que ce modèle doit être absolument changé. La France de la Cinquième République a ainsi connu plusieurs époques stratégiques. La première, brève, consistait à gérer la fin de la décolonisation, ce n'est qu'ensuite qu'il a été possible de remettre à plat notre vision du monde et les missions probables de nos armées pour construire un nouveau modèle de force.

Nous considérions à l'époque deux missions principales. La première, pour les armées était de dissuader l'Union soviétique de nous envahir et la deuxième était d'intervenir ponctuellement hors d'Europe pour défendre nos intérêts.

Pour remplir la première mission, nous avons construit une force nucléaire et nous y avons adossé une force conventionnelle puissante, destinée à défendre les frontières pour éviter le tout ou rien et même éventuellement intervenir à l'intérieur du territoire métropolitain.

Pour remplir la deuxième mission, considérant que nous refusions d'engager des soldats appelés hors des frontières de la France, nous avons mis en place un système d'intervention à base de petites forces professionnelles en alerte et d'un réseau de base prépositionné.

Ce modèle a résisté pendant environ trente ans, ce qui est, d'un point de vue historique, presque un record sur les deux siècles précédents. Ce modèle a quand même été mis en défaut et a connu des surprises.

La première surprise a été l’obligation de mener une campagne de contre insurrection au Tchad, de 1969 à 1972. C'est une chose que nous n'avions pas envisagée. Il aurait été possible de l'anticiper, mais en réalité, nous ne voulions pas faire ce genre de choses quelques années après la guerre d'Algérie. Pourtant, nous avons été obligés de le faire. Le modèle a été adopté en périphérie et cela a plutôt bien fonctionné.

Ce modèle a été mis en défaut une deuxième fois dans les années 80, lorsqu'il s'est agi de se confronter à l'Iran et à la Libye. Une confrontation désigne l'affrontement avec une autre entité politique, généralement un État, en dessous du seuil de guerre ouverte. Nous nous sommes ainsi confrontés à la Libye, au Tchad et cela s'est plutôt bien passé. Nous avons réussi à dissuader la Libye d'envahir le sud du Tchad et nous avons contribué à la défaite de la Libye au nord de ce même pays. Cela a été un succès. Nous l'avons payé d'un attentat qui a coûté la vie à plus de cinquante de nos concitoyens mais cette première confrontation a plutôt bien fonctionné.

En revanche, nous avons complètement échoué contre l'Iran. Dans cet affrontement durant les années 80, l'Iran a utilisé contre nous tout un panel d'actions clandestines : prises d'otage, assassinat au Liban, attaques contre le contingent multinational à Beyrouth et attentat à Paris en 1986. Face à ce type d'action, nous nous sommes retrouvés très largement impuissants et nous avons été vaincus puisque nous avons tout cédé à l'Iran à ce moment-là. Cette confrontation est certainement le plus grave échec de la Cinquième République.

La guerre du Golfe en 1990 nous a pris à nouveau en défaut, mais cette fois de manière structurelle. Dans notre modèle, nous n'avions jamais envisagé d'avoir à engager une force expéditionnaire importante, loin de nos frontières. Nos forces professionnelles étaient réduites et personne n'avait songé, à l'époque, à constituer une force de réserve professionnelle, comme l'avaient par exemple fait les États-Unis en 1973, lorsqu'ils se sont professionnalisés.

Comme nous persistions à ne pas envoyer de soldats appelés au loin, nous nous condamnions, à cette époque, à n'être que des acteurs mineurs dans cette nouvelle époque stratégique, cette troisième qui se mettait en place, à l'intérieur de laquelle nous pouvions anticiper que ce genre d'expédition serait courante.

Nous avons donc à ce moment-là entrepris de transformer notre modèle de force. Nous l'avons globalement plutôt mal fait. Pris entre plusieurs contraintes contradictoires, nous avons continué à lancer des grands programmes industriels qui étaient destinés à combattre le pacte de Varsovie, alors que ce pacte n'existait plus, alors que les moyens qui permettaient la soutenabilité financière du modèle gaullien n'existaient plus. La croissance forte de l'époque, le fait d'utiliser des soldats appelés et donc de réduire le coût de fonctionnement et surtout la réduction de notre effort de défense ont fait qu'il était impossible de financer ce nouveau modèle d'armée.

Nous avons assisté à une grande contraction des forces, jusqu'à environ la moitié et même jusqu'à 80 % pour les forces terrestres conventionnelles chargées de défendre le territoire. En 2015, nous avions moins de soldats professionnels qu'avant la professionnalisation et notre capacité de projection n'avait pratiquement pas augmenté depuis 1990.

Lorsque nous avons construit ce nouveau modèle, nous envisagions uniquement comme normales les opérations de gestion de crise, donc sans ennemi, les opérations de police internationale et les guerres punitives. Nous étions dans le cadre d'un nouvel ordre mondial. Qui dit ordre dit maintien de l'ordre. Notre conception de l'emploi des forces relevait du maintien de l'ordre international.

Dans le cas des opérations de gestion de crise ou de stabilisation, nous avons beaucoup tâtonné entre opération humanitaire, armée, interposition, sécurisation extérieure et même intérieure. Nous avons beaucoup souffert jusqu'à comprendre qu'une opération de stabilisation ne pouvait réussir qu'avec une acceptation, souvent imposée par la force, de tous les acteurs politiques locaux ainsi que le déploiement de moyens importants.

La conduite des guerres punitives en coalition nous a très largement échappé. Cela a abouti opérationnellement à de bons résultats. Sans juger de la justesse de l'objectif politique de la soumission de l'Irak en 1991 jusqu'à la fin du colonel Kadhafi, 20 ans plus tard, en passant par les guerres contre l'état bosno-serbe ou la Serbie, soit globalement une guerre tous les cinq ans pendant cette période stratégique, l'objectif militaire recherché a été atteint à chaque fois, mais il a en réalité été atteint à 80 % par les Américains.

Ce mode opératoire, intervention courte/stabilisation longue, a en revanche complètement échoué en Afghanistan en 2001, en grande partie parce que l'objectif initial de destruction de l'ennemi n'avait pas été atteint. Cela ne nous a pas empêchés de continuer et de nous lancer dans une nouvelle campagne de contre-insurrection qui marquait en réalité, pour nous, le début d'une troisième période stratégique pour la Cinquième République. Cette campagne a eu des résultats relativement mitigés.

Les expériences afghane et irakienne ont sonné le glas du nouvel ordre mondial. Elles ont concrétisé la montée en puissance des organisations armées comme étant les forces militaires émergentes de la mondialisation.

Depuis dix ans, nous sommes entrés dans une nouvelle époque stratégique de la Cinquième République. Les ambitions militaires occidentales se sont réduites, les États-Unis se sont épuisés et ceux qui les ont suivis dans ces aventures n'ont plus forcément eu envie de se lancer à nouveau dans de grandes opérations de stabilisation.

Avec le retour de la Russie et de la Chine dans la compétition de puissance, les blocages de la guerre froide sont également réapparus.

Dans ce cadre-là, la nouvelle normalité stratégique a effectivement des airs de guerre froide, avec le retour des freins vers la guerre ouverte dès lors que des puissances nucléaires sont engagées.

C'est donc par voie de conséquence aussi, le retour des confrontations avec de plus ou moins forts niveaux de violence comme entre la Russie et l'Ukraine par exemple, ou entre les États-Unis et l'Iran. C'est aussi la confirmation de la montée en puissance des acteurs non-étatiques armés, organisations politiques, religieuses, criminelles, mais aussi potentiellement toute structure ayant suffisamment d'argent pour se payer une armée au sein d'un État faible.

Nous pouvons ajouter à cela deux contraintes particulières de cette nouvelle époque : un fond probable de crises en tous genres (climatique, pandémique, économique, etc.) et des ressources pour l'outil militaire français qui, je le crois, seront forcément toujours limitées tant les besoins sont importants par ailleurs.

Le budget des armées est dans la zone des 30 à 40 milliards d'euros constants depuis le milieu des années 70 et il est peu probable que nous puissions aller beaucoup plus haut.

Dans ce nouveau contexte, la nouvelle normalité opérationnelle s'appuie selon moi sur trois types d'opérations : les actions auprès des populations, y compris sur le territoire français, la confrontation contre les États et la guerre contre les organisations armées.

Ce qui est devenu improbable, mais qu'il faut quand même envisager, ce sont les grandes opérations de stabilisation, de gestion de crise, comme nous l'avons fait jusqu'en Centrafrique, les guerres interétatiques et les guerres ouvertes interétatiques ou guerres ouvertes entre puissances nucléaires.

Nous sommes déjà engagés pleinement dans plusieurs de ces missions dans lesquelles il faut s'efforcer d'être plus efficient. Mais la vraie nouveauté est effectivement le retour de la confrontation, soit la capacité à faire pression sur un État, c'est-à-dire la capacité à lui faire mal éventuellement, sans engager une guerre ouverte. Cela passe par une multitude de moyens d'action qui dépassent le champ militaire, de l'action clandestine, des frappes aériennes aux raids aéroterrestres, en passant par les actions cybernétiques, la propagande, l'action économique, diplomatique, etc. En réalité, la seule limite est l'imagination.

La Russie et la Chine font cela très bien et nous aurions fortement intérêt à les imiter. Nous avons un certain nombre de moyens dans ce genre. D'autres sont sans doute à développer et il manque sans doute surtout une prise de conscience, une volonté et un instrument de commandement et de coordination.

Quant aux missions importantes mais improbables, il faut se tenir prêt. Nous le sommes avec notre force nucléaire et le maintien de cette capacité sera de nouveau un poste de dépense très important, dans cette nouvelle période stratégique.

Il faut pouvoir remonter très vite en puissance dans le domaine conventionnel à partir d'une force active solide.

Plusieurs axes d'effort me paraissent indispensables. Pour abréger mon propos, je me contenterai de parler des deux premiers axes d'effort.

Selon moi, le premier problème à résoudre est celui du volume. Nos troupes sont excellentes mais elles ont un contrat de déploiement maximum de huit groupements tactiques, de deux groupements aéromobiles et d'une capacité de frappes aériennes en moyenne de dix à 15 projectiles par jour. Si nous prenons les grandes opérations que nous avons menées de ce style, le nombre d'adversaires que nous sommes réellement capables de vaincre diminue constamment.

Pour avoir des soldats dans un contexte économiquement soutenable, il n'y a pas d'autre possibilité que l'innovation sociale. Nous avons essayé de trouver une solution en professionnalisant complètement les forces, cela n'a pas fonctionné.

Si, toutes proportions gardées, nous faisions le même effort que les Américains lorsqu'ils se sont engagés en Irak, nous serions capables de déployer 100 000 soldats et non pas 15 000, comme il est prévu dans le dernier contrat opérationnel.

Sur ces 100 000 soldats, il y aurait 30 000 soldats d'active, mais aussi 15 000 réservistes et 55 000 soldats privés, miliciens et mercenaires locaux, américains ou multinationaux.

Les ressources humaines doivent incontestablement être trouvées localement. Cela a été le cas, selon diverses modalités, dans le passé. Je vous donnerai éventuellement des exemples quand nous passerons aux questions, mais je voudrais surtout insister sur la nécessité de trouver des ressources en France.

Dans un contexte de ressources financières contraintes, le réservoir de forces dans lequel puiser en cas de crise grave ne peut être qu'une fraction civile de la nation, convertible très rapidement en force militaire, avec des moyens militaires matériels sous cocon ou que nous puissions construire ou acheter tout de suite. Or nous avons sacrifié notre force de réserve qui ne représente plus que moins de 10 % de ce qu'elle était à la fin de la guerre froide.

Les États-Unis dépensent 10 % de leur budget pour être capables de renforcer au moins d'un tiers leurs forces ou de les compléter par des moyens et des compétences peu utilisées jusque-là. Cela ne me paraît pas incongru. Mais tout cela s'organise avec une structure de commandement dédiée, comme nous en avions dans le passé.

Enfin, nous ne pourrons pas faire face à l'inattendu avec la même politique d'acquisition d'équipements. Il faut incontestablement introduire plus de souplesse dans nos procédures et arrêter d'être hypnotisé par les belles et coûteuses machines, surtout si elles sont produites en multinationales. Les engins de haute technologie sont souvent très utiles, voire indispensables, parfois décevants mais ils sont dans tous les cas très coûteux et donc rares. Il faut donc pouvoir les compléter avec autre chose, d'une gamme peut-être inférieure mais suffisante.

Il faut plus avoir la culture du rétrofit. Nous pouvons par exemple nous demander ce que sont devenus les centaines de châssis du char Leclerc que nous aurions pu utiliser pour concevoir des engins d'appui feux ou des engins de transport de troupes très blindés qui nous manquent.

Il faut acheter et vendre beaucoup plus sur le marché de l'occasion. Nous n'étions peut-être pas obligés d'attendre six ans après le retour de l'Afghanistan pour remplacer le fusil d'assaut FAMAS par le HK 416 qui était disponible depuis 2005, pour un prix total représentant 1,5 % des crédits d'équipement d'une seule année budgétaire.

Je vais tout de même parler de la question des pertes. Nos ennemis ont compris depuis très longtemps qu'il suffit de nous tuer des soldats pour ébranler nos responsables politiques. C'est donc un vrai problème stratégique. À partir du moment où cinq soldats français sont tués dans la même journée, cela devient un problème extrêmement important.

La logique voudrait qu'un problème stratégique reçoive une intention stratégique, mais ce n'est pas encore le cas. C'est une contradiction qu'il faut dépasser au plus vite. C'est ce que sont en train de faire les forces armées américaines et cela risque de changer considérablement le visage des opérations modernes.

Pour conclure, nous ne serons pas capables de faire face aux défis actuels ou futurs, attendus ou non, sans innover en partie techniquement, mais surtout dans nos méthodes et notre organisation, en cherchant à être beaucoup plus souple que nous ne le sommes actuellement.

Nous devons investir dans l'humain, dans la formation de nos soldats en particulier, mais aussi dans nos liens avec le monde civil.

C'est là que se trouvent les ressources de tout ordre qui nous permettront d'affronter l'avenir.

M. Martin Motte, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, chef du cours de stratégie à l’École de Guerre. Je suis officier de réserve de la Marine, mais je précise que je suis historien.

C’est pourquoi j'ai décidé de ne pas vous faire un exposé technique sur le modèle idéal de la Marine future. Nous pourrons en reparler dans les questions si vous le souhaitez, mais je ne suis évidemment pas du tout le plus compétent pour cela et vous avez déjà auditionné l’amiral Prazuck.

Je vais plutôt vous livrer une réflexion à base d’histoire sur ce qu'est la puissance maritime en général et sur ce qu’elle implique pour la Marine française en particulier.

Avant de me lancer dans cette réflexion, je voudrais partir d’un constat. Nous sommes nombreux à sentir que nous sommes en train de changer de cycle historique. Nous savons tous que le passage d'un cycle historique à un autre cycle historique est toujours violent. Nous sentons cette violence se rapprocher de nous, il suffit de penser à ce qu'il s'est passé il y a 15 jours avec l'incident naval franco turc.

La difficulté est d'identifier le cycle duquel nous sortons. Je vois trois hypothèses qui ne sont d'ailleurs pas exclusives les unes des autres.

D'une part, nous sortons d'un cycle court que nous pourrions appeler la parenthèse expéditionnaire. Après la chute du mur de Berlin, les États occidentaux ont été désinhibés. Ils ont projeté leurs forces un peu partout pour défendre leurs intérêts ou leurs valeurs, les deux étant souvent confondus. Aujourd'hui, cette projection est difficile parce que la prolifération des moyens de déni d'accès la complique.

Il y a deuxièmement la fin d'un cycle commencé en 1945. En effet, le monde de l'après 1945 était un monde largement configuré par et pour les États-Unis. Or ceux-ci sont aujourd'hui une puissance en déclin au minimum relatif.

Mais nous sortons sans doute aussi d'un troisième cycle de très longue durée, que nous pourrions appeler le demi-millénaire occidental, c'est-à-dire les débuts et l'affirmation d’une mondialisation pilotée essentiellement par l'Occident. Aujourd’hui, soit la mondialisation va marquer le pas, (on en a beaucoup parlé à l'occasion de la crise du coronavirus), soit elle va continuer, mais en ce cas, il est fort probable qu’elle sera prise en main non plus par l'Occident, mais par l'Extrême-Orient et en particulier par la Chine.

Un point commun relie ces trois cycles : la puissance maritime. La parenthèse expéditionnaire suppose pratiquement par définition des bateaux. - il suffit de songer aux différents engagements dans le Golfe depuis 1991. L'ordre mondial de 1945 était essentiellement construit autour des États-Unis, première puissance maritime de l'époque. Quant au demi-millénaire occidental il a commencé avec la navigation hauturière, et plus particulièrement avec les caravelles de Christophe Colomb, Vasco de Gama et Magellan.

Ainsi, de bout en bout, la mondialisation coïncide avec la maritimisation. Cela nous fait toucher du doigt les enjeux de la puissance maritime qui est un des facteurs majeurs de l'Histoire depuis la Renaissance au moins.

Mais si nous changeons la focale et que nous prenons des espaces plus petits, nous constatons que la puissance maritime a déjà joué un rôle très important dans l'Antiquité.

Je voudrais en particulier attirer votre attention sur le modèle chimiquement pur de puissance maritime que constitue Athènes, car il est très intéressant pour nous. Il nous révèle en effet que la maîtrise de la mer est un démultiplicateur de puissance extraordinaire. Le territoire d'Athènes était petit à l'échelle de la Grèce mais il dominait un vaste empire informel via la confédération de Délos qu'avait créée Athènes. Il y avait 300 000 habitants à Athènes, 1 million dans la confédération. Pourquoi cet effet démultiplicateur offert par la puissance maritime ? Parce que, grâce à la poussée d'Archimède, la mer fournit le moyen de transport le moins coûteux et le plus utile au monde. Aujourd'hui encore, elle n’est pas déclassée par l'aviation. Celle-ci est beaucoup plus rapide mais en emport, elle est bien moins performante : la marine reste le meilleur moyen d'exporter loin et à peu près partout des marchandises mais aussi de projeter des troupes.

La puissance maritime est donc un levier et un démultiplicateur de puissance hors norme.

Deuxièmement, Athènes nous montre quelle est la structure de la puissance maritime. La puissance maritime se construit autour de la sécurisation des flux vitaux. Dans le cas d’Athènes, il s’agissait du blé venant d'Ukraine, car la Grèce n'était pas autosuffisante du point de vue alimentaire.

La sécurisation des flux vitaux consiste à jalonner les routes maritimes qu’ils empruntent de bases navales et de puissances alliées. C'est la logique de la confédération de Délos, pensée pour contrôler la route d’Athènes à l’Ukraine via les détroits de la mer Noire.

Mais cela nous montre aussi quelle est la vulnérabilité de la puissance maritime : puisqu’elle tout s'organise autour de flux vitaux, il suffit qu'une puissance maritime émergente réussisse à interrompre ces flux pour jeter bas tout l’édifice. C'est ce qui s'est passé pour Athènes avec la bataille d'Aigos Potamos, en 405 avant Jésus-Christ, où la flotte Spartiate a écrasé la flotte athénienne dans le détroit des Dardanelles.

Sept mois seulement se sont écoulés entre Aigos Potamos et la chute d'Athènes. En effet, à partir du moment où ses flux vitaux étaient interrompus, elle était en situation de blocus et elle s'est rapidement effondrée.

Mesdames et Messieurs les députés, si aujourd'hui une guerre ou une action terroriste majeure interrompait durablement les flux dans le détroit de Malacca, dans le détroit d'Ormuz ou dans le canal de Suez, nous serions dans la situation d'Athènes après Aigos Potamos, sauf qu'elle s'est effondrée en sept mois après Aigos Potamos alors que notre effondrement pourrait bien avoir lieu en sept semaines.

Nous voyons donc l'enjeu vital de la défense des flux pour un pays dont l'économie dépend de la mer, ce qui est le cas aujourd'hui des puissances développées.

D’autre part, l'effet levier dont j’ai parlé est une constante de la puissance maritime. Regardez l'empire britannique vers 1910, c'est Athènes au format planétaire. Entre la population de la métropole et la population de l'empire, il y avait un rapport de 1 à 8. Quant au rapport entre la superficie de la métropole et celle de l'empire, il était 1 à 94. Regardez, à moindre échelle, l'empire français : on constate une disproportion analogue. Je voudrais à cet égard insister sur la stratégie du général de Gaulle pendant la Seconde Guerre mondiale. La France Libre ne se concevait qu’adossée aux arrières maritimes. À partir du moment où la métropole était perdue, l’outre-mer constituait le levier de puissance permettant de réarmer et d'aligner une armée qui pesait un quart des forces occidentales à l'Ouest en 1945.

J'en viens maintenant à la donne contemporaine. La mer n'a jamais été aussi importante. Grâce à nombre de changements technologiques, dont la conteneurisation, le trafic a été multiplié par dix depuis 1960. Presque tout ce que nous consommons et presque tous les objets que nous manipulons quotidiennement ont transité à un moment ou à un autre, par la mer.

Les flux numériques passent à 90 % par les câbles sous-marins, c'est un nouvel enjeu qu'il faut sécuriser.

Enfin, nous avons connu une véritable rupture durant le XXe siècle. Jusque-là, la mer n'avait fourni que du poisson, maintenant elle fournit le tiers de la production pétrolière et gazière mondiale et demain une palette de ressources toujours plus considérables.

De ce fait, le rapport à la mer change : elle n'est plus juste un axe de circulation, elle devient une zone productive. La traduction juridique de cela est l’apparition, depuis 1982, des zones économiques exclusives, qui représentent une forme de territorialisation de la mer. Elles concernent le tiers des océans. Nous savons que la France, de par son héritage colonial, est au 2e rang mondial en termes de ZEE. En cela, elle reste une puissance mondiale, ce qui lui crée des chances mais aussi des devoirs et des contraintes, notamment celle d'avoir une marine océanique.

Je voudrais insister sur deux régions révélatrices d'enjeux très importants que l'opinion publique métropolitaine mesure mal. Le premier est l’Antarctique. Comme il n'y a pas d'habitants sur ce continent, il n’entre pas dans notre champ de conscience. Mais grâce à son implantation en Antarctique, la France figure dans les pays de tête pour la recherche polaire. Or, c’est un secteur déterminant pour la compréhension des mutations climatiques qui sont un des enjeux majeurs du XXIe siècle. C'est donc un vrai facteur de puissance pour la France que d'avoir cette information polaire, mais notre implantation dans la région crée aussi un problème. En effet, aux termes des traités internationaux, l'Antarctique est une réserve écologique et une zone de recherche, mais en aucun cas une zone d'exploitation. Or, la Chine parle depuis quelque temps de lancer l'exploitation de ses ressources. C’est un motif de tension entre Paris et Pékin.

Un autre cas très intéressant est celui des référendums sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Ils n'intéressent pratiquement personne en métropole. Par contre, lorsque vous consultez les blogs australiens, vous constatez qu’ils y sont suivis de très près. En effet, la conviction des Australiens est que le jour où la Nouvelle-Calédonie sera indépendante, elle deviendra ipso facto un protectorat chinois.

De fait, les Australiens se souviennent d’un précédent que nous avons oublié parce qu'il est trop éloigné de notre espace-temps : en 1942, la Nouvelle-Calédonie a été la base opérationnelle à partir de laquelle les Américains ont enrayé la poussée japonaise vers le Pacifique Sud. Elle se trouvait en effet sur la route maritime qui relie les États-Unis à l'Australie. Pour envahir l'Australie, les Japonais devaient d'abord couper cette route afin d’éviter que les Américains envoient du renfort aux Australiens. C’est pourquoi la Nouvelle-Calédonie faisait partie de leurs objectifs opérationnels.

Mais les Américains ont précédé les Japonais et se sont installés à Nouméa en mars 1942. Depuis Nouméa, ils ont porté un coup d'arrêt aux offensives de la flotte japonaise dans la bataille de la mer de Corail, puis aux offensives amphibies qui visaient à transformer Guadalcanal en plateforme d’où des bombardiers lourds auraient pilonné les routes maritimes reliant l'Australie aux États-Unis.

Pour les Australiens, mais aussi pour les Néo-zélandais, la menace pourrait aujourd'hui se reproduire en termes analogues, les Chinois se substituant aux Japonais.

En conclusion, pour reprendre les mots d'un ministre de la marine du XXe siècle, Georges Leygues, être une puissance mondiale, c'est être une puissance maritime.

La France en est un bon exemple, car l’effet levier de la puissance maritime contribue largement à expliquer son exceptionnalité : comment un pays microscopique qui représente maintenant moins d'1 % de la population mondiale peut-il encore prétendre à figurer parmi les membres permanents du Conseil de sécurité ? On donne souvent comme réponse la possession de la bombe atomique. Ce n’est pas faux, mais comme le colonel Goya l’a rappelé, la France s’illustre au quotidien par des opérations de projection qui seraient impossibles sans une grande marine.

Cette marine a hélas beaucoup diminué, d’où la nécessité de l’étoffer. Pour les raisons annoncées en introduction, je n'ai pas voulu parler de ses caractéristiques précises mais vous avez bien compris, d'après mon exposé, qu'elle doit rester une marine hauturière capable d’intervenir partout, bien qu’évidemment pas seule, pour faire sentir l'influence de la France là où cela est nécessaire.

M. le lieutenant-colonel Jérôme de Lespinois, chef de la division études, prospective et publication du Centre des études, du rayonnement et des partenariats de l’armée de l’Air (CERPA). C'est toujours difficile d'intervenir en troisième, après deux camarades.

Je vais compléter un peu les propos qui ont déjà été tenus en parlant cette fois de la puissance aérienne et en commençant par les menaces.

Je distingue trois grands types de menaces. Le premier type de menace, c'est celui de la redistribution de la puissance aérienne. Vous voyez sur cette carte qu'aujourd'hui, la plus grande concentration de puissance aérienne se trouve en Asie-Pacifique, avec une croissance lente et continue depuis 2014 de 2 % en moyenne annuelle. La plus grosse croissance est au Moyen-Orient avec une augmentation annuelle de 15 % du nombre d’avions militaires. Face à ces pôles dynamiques d'augmentation de la puissance aérienne, nous avons une décroissance rapide de la puissance aérienne en Europe (-11 % du nombre d’avions militaires par an depuis 2014) et un peu moins rapide aux États-Unis (-2 %).

Si nous étudions plus particulièrement, au-delà de ces grandes masses, la répartition de la puissance aérienne en Europe, nous voyons que la France est la première puissance aérienne en Europe, suivie par l'Allemagne et la Grande-Bretagne mais le modèle français est un peu plus proche du modèle britannique. En ce qui concerne la composition des armées de l’air, dans l’ensemble, les flottes sont vieillissantes. Nous pouvons remarquer la place des multiplicateurs de puissance que sont les avions de transport ou les avions de ravitaillement en vol, par exemple.

Si nous comparons la structure de la puissance aérienne américaine et celle de la puissance aérienne européenne, nous voyons par exemple que les Européens manquent singulièrement de ravitailleurs en vol. Les États-Unis disposent d’environ 2 000 avions de combat et de 500 ravitailleurs en vol. Ce qui veut dire un ravitailleur pour quatre avions de combat, tandis qu'en Europe, nous avons un ravitailleur pour 33 avions de combat.

Ce manque de ravitailleurs obère la capacité à projeter de la puissance aérienne.

Le deuxième type de menace, au-delà de ce basculement de la puissance aérienne vers l'Asie, et donc de la difficulté pour nous à défendre nos intérêts de puissance partout dans le monde, ce sont des menaces que nous pouvons qualifier d’opératives.

Martin Motte a déjà parlé du déni d'accès, c’est-à-dire la capacité pour certaines puissances, à interdire l'accès maritime, aérien ou terrestre à d'autres puissances. Au point de vue aérien, le déni d’accès est rendu possible grâce au progrès technique de deux principaux systèmes d'armes : les radars dont la portée s'allonge et les missiles dont la portée s'allonge également. Ces deux systèmes fonctionnent en réseau et sont capables d'interdire l'accès à de vastes zones.

Vous avez ici sur cette carte, par exemple, l'emplacement des missiles S-400 et S-300, qui sont les grands systèmes d'armes dont nous parlons quand nous évoquons le déni d'accès aérien. Ce sont des menaces opératives qui sont susceptibles d'interdire à une force aérienne l'accès à un théâtre d'opérations.

Nous avons également un troisième type de menace que sont les menaces tactiques.

Vous avez, je pense, entendu parler de ces avions américains de cinquième génération : le F-22 et le F-35. Les compétiteurs stratégiques chinois et russes en ont également. Vous avez ici une image du Sukhoï Su-57 Felon qui a été commandé à plus de 80 exemplaires par la Russie. Nous parlons également beaucoup des missiles hypersoniques. Le WU-14 est par exemple un véhicule hypersonique chinois, entré en service l’an dernier, volant jusqu’à Mach 10 et pouvant emporter une charge nucléaire ou conventionnelle.

Ce dont on parle un petit peu moins, c'est de la compétition pour le spectre électromagnétique. Aujourd'hui, ce durcissement des menaces, cette nouvelle dynamique dans les conflits font que ce spectre électromagnétique qui est essentiel pour nos forces est très largement disputé. C'est le cas aujourd'hui, par exemple, lorsque nos forces interviennent en Syrie.

Comme le professeur Motte l'a dit, nous changeons d'ère.

C'est également sensible au point de vue aérien, puisque nous sortons d'une période d'une vingtaine d'années qui était l'ère de la toute puissance aérienne, l'ère où les puissances occidentales pouvaient défendre leurs intérêts de puissance partout dans le monde, grâce à un engagement massif de leurs forces aériennes et au très faible taux de pertes aériennes du fait de leur supériorité technologique. Vous voyez qu'elles sont de 0,5 perte aérienne maximum, lors de l’opération Deliberate Force en Bosnie (1995), pour 1 000 sorties aériennes ou de 0,3 pour la guerre du Golfe en 1991. Lors des dernières opérations en Libye, il n'y a eu aucune perte aérienne sur les plus de 26 000 sorties aériennes enregistrées.

Cette ère semble terminée. Nous parlons aujourd'hui de fin de la supériorité aérienne occidentale. Nous entrons dans un nouveau cycle dont nous pouvons essayer de déterminer les caractéristiques grâce aux conflits ouverts qui se déroulent actuellement, en particulier ceux qui ont lieu en Syrie, au Yémen et en Libye. Nous pouvons essayer ici de formuler trois principales caractéristiques de ces conflits.

La première est que l'emploi des moyens aériens par toutes les parties au conflit permet souvent de changer le rapport de force sur le terrain. C'est le cas par exemple de l'envoi de la force aérienne russe en Syrie en 2015, qui a permis au régime de Bachar el-Assad de se maintenir.

C'est le cas au début de l'année 2020, en Libye, lorsque les Turcs ont envoyé des drones MALE en soutien au gouvernement de Tripoli, qui leur ont permis de renverser la situation.

La deuxième caractéristique réside dans le fait que nous assistons à une attrition très importante des moyens aériens, qui est due essentiellement à la multiplication des moyens de défense sol-air. Plus de 85 avions ont, par exemple, été détruits en Syrie depuis le début du conflit syrien, dont cinq appartenant à la coalition menée par les États-Unis.

La troisième caractéristique est la généralisation de l'emploi des drones de toutes catégories, que ce soit des drones d'observation, de reconnaissance ou des drones armés, ou des drones opératifs, c'est-à-dire des drones MALE, et des drones qui ont une plus courte portée d'intervention.

Ghassan Salamé, représentant de l'Organisation des Nations Unies pour la Libye, a dit en septembre 2019 que la Libye était le théâtre de la plus grande guerre des drones dans le monde.

Face à ce durcissement des conflits aériens, nous assistons à un affaiblissement des capacités de projection aérienne.

Nous pouvons prendre l'exemple des capacités de projection françaises. En 1991, la France avait projeté un corps expéditionnaire de plus de 10 000 hommes, le colonel Goya en a parlé et 90 avions de combat dans le Golfe. Lors du conflit en Bosnie en 1995, nous avions projeté 50 avions de combat en Italie pour intervenir dans le ciel de l’Ex-Yougoslavie. Lors du conflit du Kosovo en 1999, 84 avions de combat français avaient participé aux opérations.

Nous voyons dans le tableau la diminution parallèle des contrats opérationnels de l'armée de l'Air.

Lors du changement de modèle d'armée et de la professionnalisation, le contrat opérationnel était le déploiement de 100 avions de combat. Il a été réduit à 70 en 2008, lors de la loi de programmation militaire puis à une douzaine par la loi de programmation militaire de 2013 pour le contrat principal.

Nous avons donc une diminution des capacités de projection de puissance aérienne française, face en particulier à des ennemis ou des compétiteurs stratégiques qui, eux, sont capables de mobiliser beaucoup d'avions. Nous avons parlé des incidents navals en Méditerranée, quelques jours avant, la Russie a projeté une vingtaine d'avions de combat à Tobrouk, dans l'est de la Libye. Quelques jours plus tard, les Turcs ont fait un exercice aérien impliquant une trentaine d'avions vers une base à l'ouest de Tripoli.

Cela donne des ordres de grandeur sur ce que font nos compétiteurs stratégiques dans le bassin méditerranéen, aux portes de l'Europe.

Aujourd'hui, si nous les comparons avec nos capacités de projections actuelles, cela constitue un véritable défi pour nous.

Nous assistons donc à une sorte d'essoufflement du modèle qui a été construit dans les années 60, 70 jusqu'aux années 90, qui nous a permis de constituer une flotte aérienne principalement grâce aux exportations d'armement.

Si nous regardons les chiffres globaux des exportations d'armement et si nous les comparons à l'investissement en crédits de paiement dans la Base industrielle et technologique de défense (BITD), nous voyons que les exportations d'armements constituent en moyenne de 40 à 60 % des sommes totales qui sont investies par l’État dans la BITD. Sur les 17 milliards investis en 2017 dans la BITD française, 7 sont fournis par les exportations d'armement.

Malheureusement, le changement de nomenclature budgétaire ne permet pas d'isoler les sommes qui sont investies dans la BITD aéronautique. Mais nous pouvons estimer qu’au cours de cette période, sur les 10 milliards de crédits de paiement du titre 5 qui sont investis en moyenne dans la BITD, 2,5 milliards sont investis dans la BITD aéronautique par la France et que les exportations lissées annuellement rapportent au moins la même somme.

Cela veut dire que notre modèle d'armée de l'air est financé à 50 % par les exportations d'armement.

Or ce modèle-là est en train de s'essouffler. Il date des années 60, des succès à l'exportation des avions Dassault, du Mirage III, du Mirage F1, du Mirage 2000, du Rafale encore actuellement. Du fait de la dissémination technologique, nous voyons que de plus en plus de pays sont capables de construire des avions de quatrième génération, voire des avions furtifs, dont par exemple, la Turquie et le Japon ont décidé de se doter grâce à des programmes nationaux.

Nous pouvons prendre l'exemple du contrat Rafale en Inde, puisque la presse a fait récemment état du souhait de l'Inde de se doter non pas d'un chasseur acheté à l'étranger, mais d'un chasseur national de quatrième génération, le Tejas, qui intègre des équipements américains et israéliens pour environ 60M€ l’exemplaire.

Quelles sont donc les pistes pour renouveler ce modèle et pour retrouver un effet de masse dont parlait Michel Goya ?

Nous pouvons trouver quelques idées aux États-Unis, en particulier dans la tendance chez les Américains à ne pas se doter entièrement d'avions de dernière               génération. Pour le F-35, les prévisions de production avoisinent les 4 500 exemplaires, dont 2 200 pour l'US Air Force et l'US Navy, le reste étant destiné à l'exportation. Nous voyons qu’à côté de cette flotte de cinquième génération, les États-Unis continuent à construire des avions de quatrième génération qu'ils modernisent et qu'ils rendent compatibles au point de vue connectivité avec les avions de cinquième génération, pour retrouver un effet de masse.

La deuxième voie qui semble possible est la voie technologique. Michel Goya a dit que c'était une voie fragile, c'est vrai. Cette voie qui est également plus onéreuse, plus technologique, plus difficile, est celle de la dronisation.

Elle est massivement empruntée par les Américains, avec des drones de combat qui vont accompagner les avions de chasse de cinquième génération. Vous voyez ici les Loyal Wingman Valkyrie qui accompagnent un F-35, mais aussi des drones qui sont spécialisés dans le ravitaillement en vol ou dans le transport. Chaque mission aérienne va être dronisée, ce qui permet de conserver des capacités et un effet de masse grâce à des systèmes d'armes qui restent le plus souvent moins chers que des avions habités.

Mes camarades et moi sommes disponibles pour répondre aux questions.

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci Messieurs, merci colonel. Nous avons beaucoup de questions, nous allons commencer par celles des orateurs de groupes.

M. Benjamin Griveaux. Merci messieurs pour ces trois exposés passionnants. La France fait partie des rares nations à disposer d'un modèle d'armée complet, capable d'agir sur l'ensemble du spectre des opérations.

La crise sanitaire que nous traversons ne fait que nous convaincre d'avantage que le fait de préserver ce modèle n'est pas une assurance inutile. Les travaux qui nous ont été remis sur table au sujet de ce qui a été accompli dans les mois qui viennent de s'écouler le rappellent utilement, Madame la présidente.

Mais le fait de préserver ce modèle appelle certaines évolutions et de ma part, trois questions rapides.

Tout d'abord, à l'heure où les technologies évoluent très rapidement en entraînant un coût unitaire de plus en plus élevé, comment pouvons-nous adapter notre modèle d'armée pour qu'il soit en mesure de répondre à un spectre de menaces qui va en gros du terroriste isolé à l'affirmation de moins en moins désinhibée de puissances régionales, voire étatiques.

Deuxièmement, quelles conséquences auront le contexte géostratégique et la crise sanitaire que nous traversons sur notre doctrine militaire ?

Enfin, pour être plus dans la prospective, une élection importante se tiendra au mois de novembre prochain de l'autre côté de l'Atlantique et elle ne sera pas sans conséquence, s'il devait y avoir un changement à la tête des États-Unis, sur le rapport des États-Unis au monde et donc sur la doctrine militaire française qui en découlera.

M. Thibault Bazin. Merci messieurs pour vos propos très intéressants. Je me demande même si nous n'aurions pas dû vous auditionner avant la loi de programmation militaire. En vous écoutant, par rapport aux défis qui sont les nôtres et les enseignements que nous pouvons en tirer, nous pouvons nous poser la question de la pertinence de notre loi de programmation militaire, sur le modèle et par rapport aux différentes auditions que nous avons pu avoir ces dernières semaines. Je pense notamment à ce qu'ont pu nous dire nos chefs d'état-major. Nous voyons bien que la question du volume est importante et mérite d'être regardée de très près par rapport aux défis qui sont les nôtres et à notre capacité de pouvoir nous projeter assez loin.

Nous avons sacrifié un certain nombre de capacités d'action et des questions se posent aujourd'hui. Il va falloir prioriser par rapport aux défis qui sont les nôtres.

Tout d'abord, sur la question du défi sanitaire, vous avez parlé de sécurisation, de flux vitaux en parlant d'Athènes, de routes à sécuriser vers les ressources vitales en montrant la vulnérabilité engendrée par le blocage de ces axes. Très concrètement, nous avions besoin de ressources, d'équipements de protection individuelle, de capacité en termes de réactifs. Est-ce que l'armée peut nous aider par rapport à ce défi sanitaire ? Comment peut-elle s'y prendre pour que demain, nous puissions davantage sécuriser ces aspects ?

La présidente a parlé de la doctrine en introduction. Nous avions cette doctrine mais elle n'a pas été respectée. Nous voyons bien que le stock stratégique n'a pas forcément été au rendez-vous. Il y a peut-être une question en interne chez vous, colonel, sur la capacité de contrôler et d'évaluer ce que nous pouvons écrire dans des lois de programmation militaire pour répondre à la doctrine, mais aussi dans l'effectivité de son action, si nous voulons continuer à avoir un modèle gaullien soutenable.

Enfin, nous voyons bien à travers les différents risques que vous avez présentés qu'il nous faut envisager à la fois une capacité maritime, une capacité aérienne et une capacité terrestre, alors que nos ressources sont limitées. Quelles sont pour vous les priorités par rapport aux défis qui sont les nôtres dans les cinq prochaines années ?

M. Fabien Lainé. Merci messieurs pour cet exposé particulièrement intéressant.

La réflexion stratégique tient une place centrale pour nos armées. Nous voyons qu'il y a une réflexion avancée sur l'armée de Terre de demain, l'armée de l'Air et de l'espace de demain et la Marine de demain. Mais avons-nous une réflexion sur la préparation à l'évolution de la menace qui prend de plus en plus de formes hybrides, qui dépassent les champs strictement militaires ?

Mon collègue André Chassaigne a récemment évoqué le concept de guerre hors limites auprès du CEMAT.

Le groupe Modem porte ces questions depuis le début de la mandature, notamment lors de nos amendements, lors de la loi de programmation militaire (LPM).

Les menaces sont donc plus hybrides, se déployant autour de stratégies intégrales. Des éléments civils peuvent venir appuyer la manœuvre des armées et inversement, les armées peuvent appuyer une manœuvre de moyens civils. La réponse devrait donc être également hybride.

Sommes-nous suffisamment préparés à faire face à ces stratégies intégrales ? À l'image de ce que nous faisons pour la manœuvre interarmées, ne devrions-nous pas développer davantage la manœuvre interministérielle, pour embrasser tous les champs des nouvelles menaces, notamment économiques et cybernétiques ?

M. Yannick Favennec Becot. Merci à nos trois intervenants pour ces exposés très intéressants.

Ma première question concerne les États-Unis, avec cette campagne électorale qui amplifie les inflexions stratégiques de notre allié historique, notamment dans ses relations avec l'OTAN. Ainsi, le Président Trump a annoncé vouloir réduire de moitié le nombre de militaires américains en Allemagne. Ils étaient 35 000 en mars dernier.

Quelle est votre position concernant cette annonce et comment envisagez-vous le futur de notre relation avec l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) ?

Deuxièmement, l'histoire militaire a toujours été étroitement liée aux innovations technologiques qui en ont bien souvent infléchi le cours. Le besoin d'innovation n'a jamais été aussi essentiel dans un monde caractérisé par le retour des États puissances, l'émergence d'acteurs non étatiques tels que les groupes terroristes, l'évolution des théâtres d'opérations dans les champs numériques et spatiaux.

Comment positionneriez-vous la France en termes d'efforts pour l'innovation, en comparaison avec nos voisins européens ou plus globalement nos alliés ?

Les efforts menés nous permettent-ils, selon vous, de rester dans la course internationale à l'innovation ?

M. Bastien Lachaud. Merci messieurs pour vos exposés. J'aurais souhaité revenir sur l’une des menaces qui multiplient les zones de conflictualité, mais qui, dans le même temps, modifie notre manière de faire la guerre, soit celle de la crise écologique qui modifie les conditions dans lesquelles nos soldats et nos matériels évoluent et qui multiplient les zones de conflictualité. J'aurais souhaité que vous nous éclairiez sur votre vision de ces évolutions à venir.

Dans le même temps, vous avez dit que nous vivions une évolution, que nous n'étions plus aujourd'hui dans les modèles expéditionnaires, etc.

J'ai une question assez simple : peut-on encore militairement gagner une guerre ?

Enfin, peut-être plus pour M. Goya, vous avez écrit un livre qui est désormais devenu un classique dont le sous-titre est La mort comme hypothèse de travail. Or, nous venons de voir que dans le Code d'honneur du soldat de l'armée de Terre, la notion de sacrifice venait de disparaître.

Comment conciliez-vous les deux ? Comment jugez-vous cela ? Cette modification du code d'honneur n'est-elle pas la continuité de ces spots publicitaires qui visent à recruter, qui laissent croire à un métier de soldat qui n'est pas réellement ce qu'il est, ce qui expliquerait les taux d'attrition et les taux de non-renouvellement de contrats que nous considérons. Dans ces cas-là, comment arriverons-nous à cet épaississement dont nous avons besoin pour nos armées ?

Quand vous évoquiez le volume des avions, il y a également le volume des soldats.

Mme Sabine Thillaye. Merci à nos intervenants.

Ma question rejoint les questions de beaucoup de collègues. A priori, nous avons besoin d'une armée capable de répondre à une approche globale de la guerre, mais nous voyons que les tensions se multiplient. Nous sommes présents sur de nombreux conflits.

Au cours de son histoire, la France a dû faire des choix en privilégiant parfois son approche maritime, parfois son approche terrestre.

L'approche globale ne pousse-t-elle pas à être dans tous les domaines pour répondre à des menaces diversifiées ?

Ne devrions-nous pas prioriser aussi des domaines d'actions ? Récemment, dans le cadre de sa relance, l'Allemagne a par exemple fait le choix de prioriser sa marine, l'intelligence artificielle, les cyber et le numérique. La Suède, même si c'est encore un autre sujet, peut-être un peu iconoclaste, avait suspendu son service militaire en 2010. Face à la menace Russe, elle a décidé de le rétablir en 2018.

M. Goya a parlé du volume qu'il fallait augmenter, du problème de ressources humaines.

Quelles sont les solutions de priorisation que vous préconisez ?

M. Thomas Gassilloud. Merci messieurs pour vos brillantes interventions. Je pense que la pluralité d'origine (terre-air-mer) et de statuts (de l'ancien militaire d'active à l'officier de réserve jusqu'au militaire encore en activité) donne une vision assez large. J'apprécie notamment votre liberté de parole, car comme le dit l'adage populaire, rien n'est plus dangereux que d'avoir la certitude d'avoir raison. La crise est souvent là où nous ne l'attendons pas et toute faille pourrait être exploitée. Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que la France se doit de maintenir un modèle d'armée complet avec l'ensemble de ses capacités. La mobilisation du 2e régiment de dragons apporte un exemple alors que certains pouvaient encore s'interroger l'an dernier sur la nécessité de conserver de telles capacités nucléaires, radiologiques, biologiques ou chimiques (NRBC) alors même que celles-ci avaient déjà largement fondu ces dernières années.

La LPM apporte clairement des moyens pour reconstruire nos armées. C'est une grande avancée que nous devons absolument préserver, mais il est également de notre devoir de nous interroger sur l'adaptation de notre outil de défense. Face à l'excellence de nos troupes, permise notamment par la LPM, se pose la question de la masse, de la résilience de la nation et de l'adaptation de nos armées.

Michel Goya, si j'ai bien compris, a indiqué que 10 % de la dépense pouvaient être alloués dans les forces de réserve, que ce soit sous forme de matériel supplémentaire ou de matériel sous cocon. Pour autant, le budget de notre défense n'est pas extensible.

Je vais donc vous poser une question difficile. Considérant que nous travaillons à iso-budget, où pouvons-nous trouver ces 10 % de budget nécessaire ?

Par ailleurs, la puissance de nos armées n'est pas suffisante pour garantir notre liberté d'action. Il est inutile d'avoir une armée puissante si la nation n'est pas résiliente. C'est le sens de ma question d'actualité au gouvernement (QAG) d'hier sur la souveraineté sanitaire, car certaines puissances pourraient exploiter nos faiblesses comme des leviers de pression. Selon vous, quel est le rôle des armées dans la résilience de la nation ? Qui doit piloter notre défense nationale au sens large ?

M. André Chassaigne. Je voudrais d'abord m'excuser parce que c'est très incorrect, je vais devoir partir après mon intervention parce que j'ai un impératif.

Je voulais d'abord intervenir sur une observation.

M. Motte a, tout à l'heure, évoqué l'Antiquité grecque, ce qui était très intéressant. Aujourd'hui, en mer Égée, il se passe des événements dont on ne parle jamais. Il y a une forme de conflit hybride mené par la Turquie contre la Grèce, avec des conséquences qui peuvent être extrêmement graves, avec une déstabilisation en cours de la Grèce par la Turquie, non seulement par voie maritime, parce qu'il y a des intérêts économiques dans le sous-sol (du gaz naturel ou du pétrole) mais aussi une guerre conduite sous des formes extrêmement diverses, dans le silence de l'Union européenne, dans la mesure où la Turquie fait partie de l'OTAN. Je crois que c'est très grave.

J'ai une deuxième observation sur la question de la souveraineté qu'entraînent les risques nouveaux. Je m'appuierai sur trois points.

D'abord, quelle souveraineté incontournable la France peut-elle conserver au regard des armes nouvelles et des risques nouveaux ? Nous pourrions parler de certaines armes comme les armes hyper véloces, le secret, certaines technologies de rupture… Que peut conserver la France en tant que souveraineté et que pouvons-nous faire en termes de partenariat ? C'est ce qui se passe au niveau de l'Union européenne, voire quelques fois au-delà de l'Union européenne avec, pour certaines armes, des composants qui ne sont même pas européens et avec cette entrée du privé qui prend une place de plus en plus importante et qui, petit à petit, grignote des compétences d’État.

Mme la présidente Françoise Dumas. Messieurs, je vous cède la parole, vous pouvez répondre. Il reste ensuite encore huit collègues a minima qui souhaitent poser une question et j'aimerais bien que nous ayons le temps de leur répondre.

M. Michel Goya. Je vais essayer de répondre au problème, qui paraît un peu insoluble, des ressources disponibles qui sont forcément limitées et des enjeux qui sont énormes.

Dans notre formation militaire, quand nous préparons des opérations, on nous dit qu'il faut toujours avoir un élément réservé. C'est quelque chose que nous mettons à l'écart, une ressource et une unité que nous mettons un peu à part, qui seront destinées à faire face aux surprises, aux opportunités éventuellement.

Cet élément réservé est quelque chose en plus, mais c'est aussi, d'une certaine façon, un actif non utilisé, donc une chose odieuse dans une vision comptable des choses, qui sera la première à être supprimée lorsqu'il faudra faire des économies.

Le problème, en supprimant cet élément réservé, c'est que nous nous fragilisons face à n'importe quelle surprise. Nous finissons d'ailleurs par payer plus cher que les économies faites sur cet élément réservé.

Le fait de faire face à tous nos défis avec des ressources limitées oblige, j'en suis persuadé, à avoir des éléments disponibles qui nous permettent de remonter en puissance rapidement. C'était fondamentalement le principe de base de notre armée, depuis la Troisième République : petite armée d'active et grande force de réserve. Nous étions capables, en 1914, de multiplier par cinq notre volume de force. Tout était organisé de cette façon et la conscription plus les réserves étaient une manière d'avoir un modèle soutenable économiquement. Depuis 1990, nous avons sacrifié tous ces éléments réservés simplement pour faire des économies, il ne faut pas chercher plus loin dans la réflexion stratégique. Nous avons abouti à ce que nous appelons en termes de scénario de cinéma, un scénario en crayon à papier. C'est-à-dire que nous avons abouti au fait que toutes les choses se rejoignent en un tout petit point. Nous avons commencé par réduire nos armements avec des crédits d'équipement qui diminuaient ou qui restaient stables pour des générations de matériel qui coûtent entre deux et quatre fois le prix de la génération précédente. Forcément, ce n'était pas tenable, nous avons réduit considérablement nos stocks.

Pour prendre le cas de l'armée de Terre, elle a aujourd'hui six fois moins de chars de bataille qu'en 1990, quatre fois moins de pièces d'artillerie et deux fois moins d'hélicoptères. Évidemment, ils sont de nouvelle génération mais au bout du compte, je ne suis pas sûr que si l'armée de Terre française de 1990 affrontait celle d'aujourd'hui, cette dernière l'emporterait.

Par pure logique, nous avons financé ces grands programmes et asséché tout le reste. Nous avons aussi abouti à la solution de supprimer ceux qu’ils utilisaient et donc de réduire également le volume de nos forces. L'armée dans laquelle je suis entré était deux fois plus importante en volume de celle dont je suis sorti.

Nous aboutissons effectivement à quelque chose de grande qualité. Avec 15 000 soldats projetables et 45 avions, nous sommes capables de faire deux fois l'opération Serval. C'était une belle opération mais ce n'était pas non plus une grande opération militaire. Nous avons affronté 3 000 combattants équipés légèrement. Ce n'est pas une superpuissance militaire.

Nous avons un véritable problème de volume que nous ne pourrons probablement retrouver que par la mixité.

Jérôme de Lespinois l'évoquait, dans le domaine aérien, il faut avoir des moyens de supériorité, des instruments qui nous permettent ponctuellement d'être les plus forts face à des puissances fortes. Mais il faut accompagner cela de systèmes de quatrième génération, voire de troisième génération. En Afrique, nous ne sommes pas forcément obligés d'utiliser des hélicoptères Tigre ou des avions Rafale, d'autres outils peuvent faire le job tout aussi bien pour infiniment moins cher.

Mais c'est aussi un modèle humain.

Je reviens sur l'idée de réserve. Ce n'est pas forcément une armée inactive. Je citais le cas américain, les Américains dépensent effectivement environ 10 % de leur budget pour les réserves et la garde nationale, soit une capacité de remontée en puissance qu'ils utilisent. Une force expédition américaine comprend 30 % de réservistes ou de gardes nationaux. C'est considérable et infiniment plus que nous.

Cette armée de réserve n'est donc pas forcément une armée inactive, c'est une armée dans laquelle nous puisons pour utiliser des moyens qui nous manquent en volume mais aussi des compétences qui n'étaient pas forcément utilisées jusque-là.

Par exemple, la défense anti aérienne tactique française est quelque chose qui a pratiquement disparu. Sauf à considérer que nos forces ne seront plus jamais attaquées par la voie des airs, il aurait peut-être été intéressant de conserver cette capacité, sous cocon et notamment dans les forces de réserve. Je pense que ce qui est le moins utilisé doit passer en réserve, peut-être pas forcément ce qui est le plus prestigieux.

Sous la Cinquième République nous n'avons utilisé que trois fois nos chars de combat, ils ont tiré relativement peu d'obus. Ne faut-il pas passer ces moyens lourds en réserve ? Nous conservons la capacité de l'utiliser, mais à moindre coût.

Je pense que nous ne pouvons pas faire autrement.

Quand les Américains ont professionnalisé leurs forces en 1973, ils ont dit que rien d'important ne devait se faire sans impliquer le reste de la nation. Ils ont donc conçu leur modèle avec beaucoup de réserve en se disant que s'il y avait quelque chose d'important, ils seraient capables de remonter en puissance. Cela implique massivement le reste de la nation, ce n'est pas une petite troupe de professionnels dans son coin qui fait la guerre au loin. On est obligé de faire appel à tout le monde et d'impliquer tout le monde dans les choses importantes.

M. Martin Motte. Nous n'allons pas répondre à la question de la souveraineté qui a été posée par le président Chassaigne parce qu'elle recoupe une autre question qui a été posée sur la question de la soutenabilité du modèle gaullien.

Depuis le début de notre conversation, beaucoup de questions posées vont dans ce sens. Nous raisonnons uniquement avec le paramètre quantitatif et technologique. Il est évident que ce paramètre est essentiel, mais il n'est qu'un des paramètres de l'équation stratégique. Il faut quand même rappeler que les Vietnamiens ont vaincu les Américains avec des moyens assez rudimentaires.

Si nous posons la question stratégique en commençant par tirer un trait sur le facteur numéro un qui est la volonté, nous allons au tapis. Nous aurons beau avoir les meilleurs matériels du monde en quantité illimitée, si nous n'avons pas le courage de les utiliser, cela ne sert rigoureusement à rien. C'est une réponse aux problèmes que nous nous posons.

Pour ne prendre qu'un exemple, les moyens technologiques de la Russie, à ma connaissance, ne sont pas tellement supérieurs aux nôtres. Le budget militaire de la Russie, je crois, pour l'année en cours ou l'année dernière, est inférieur à celui de la France. Or la Russie fait peur et la France ne fait pas peur. La Russie fait peur parce que quand ses intérêts vitaux sont menacés, elle tape et nous ne faisons pas peur parce que quand nos intérêts vitaux sont menacés, nous tapons à moitié ou pas du tout.

La question de la souveraineté rejoint donc la question de la volonté et renvoie à celle de la soutenabilité du modèle gaullien qui a été posée. Je pense que là aussi, il ne faut pas uniquement parler en termes capacitaires, car un modèle politique est sous-tendu par une vision du monde. La vision du monde du général de Gaulle était parfaitement claire et renvoyait à la question de la souveraineté économique dont le président Chassaigne a parlé.

De Gaulle était à peu près agnostique en économie, il a nationalisé en 1945 et a ensuite favorisé l'entrée dans un marché commun de forme libérale. Il se fichait des dogmes économiques, c'est la grandeur de la France qui l'intéressait.

Est-ce un souci qui anime encore suffisamment la classe politique et la population elle-même ?

Cela renvoie aussi à nos crises sociales intérieures. Nous avons une partie de la population française, dans les couches aisées, dont le modèle politique économique et social est élaboré (les zones de référence sont Londres, New York et la Silicon Valley) puis en bas de l'échelle sociale, une autre partie de la population dont la référence est La Mecque. Nous avons encore dans d'autres couches de la population une fascination croissante pour Moscou.

Où est l'intérêt national ?

Par conséquent, comment peut-on utiliser intelligemment nos armées ? Comment peut-on apprendre à se faire respecter ? Le problème fondamental est là. Les autres problèmes viendront après. La guerre, ce sont les moyens matériels multipliés par les moyens moraux. Et si les moyens moraux tombent à 0, vous pouvez avoir tous les moyens matériels du monde, ça ne sert rigoureusement rien, c'est de l'argent jeté par les fenêtres.

Voilà ma conviction.

M. le lieutenant-colonel Jérôme de Lespinois. Je vais répondre aux questions sur les flux et sur l’hybridité.

Comme le professeur Motte l'a montré, le milieu maritime est un milieu de transit par lequel passent des flux qui sont essentiels à nos économies. L'air, l'espace extra-atmosphérique et le cyberespace sont également des milieux de transit par lesquels nous faisons venir tout ce dont nous avons besoin au point de vue économique ou militaire.

Pour revenir sur une question posée, la crise du Covid a bien montré, au-delà de la ligue de Délos et de l'affrontement entre Sparte et Athènes, la nécessité de maintenir et de protéger ces flux, notamment aériens, pour faire face à des crises et améliorer la résilience de la nation.

L'extension de la conflictualité à de nouveaux espaces que sont l'espace extra-atmosphérique et le cyberespace, montre ce que nous appelons la dilatation de l'espace stratégique, qui permet de contourner des postures dans les espaces plus anciennement conquis par l’homme.

Le nucléaire a rendu impossible les conflits de très haute intensité. En outre, comme l’a montré la guerre du Golfe en 1991, la supériorité conventionnelle des États occidentaux a interdit les grandes batailles de chars telles que nous avons pu les connaître pendant la Deuxième Guerre mondiale ou les grandes batailles aériennes.

Les compétiteurs stratégiques des États ont contribué à l'élargissement du champ de conflictualité en contournant cette supériorité occidentale dans le domaine nucléaire et conventionnel comme la guerre hybride ou en agissant subrepticement dans le cyberespace ou l’espace extra-atmosphérique.

Nous parlons aujourd'hui d'hybridité, c'est-à-dire de la combinaison de modes d'action conventionnels (la recherche de la bataille décisive pour détruire les forces armées ennemies) et d'autres modes d'action qui tiennent plus de la guérilla où les combattants se mêlent à la population et masquent leur identité. Cette hybridité n'est pas seulement terrestre, elle peut être également aérienne, navale ou cyber puisque ces milieux permettent, à différents degrés, d'agir masqué, sans que son identité soit détectée.

C'est un peu la difficulté que nous avons aujourd'hui. Nous avons la nécessité de moderniser des moyens, en particulier nucléaires, qui nous protègent des conflits de très haute intensité et qui sont le dernier recours pour protéger notre pays, mais nous devons aussi faire face à ce développement de la conflictualité dans d'autres champs nouveaux et selon de nouveaux modes d’action qui mêlent emploi de forces conventionnelles, interventions clandestines visant des cibles civiles et militaires et action sur les perceptions.

Mme la présidente Françoise Dumas. Nous avons une deuxième série de questions. Si vous le permettez, Messieurs, je vous remercie pour ces premières réponses, mais nous allons continuer, vous pourrez ensuite préciser vos propos.

M. Jean-Michel Jacques. Merci messieurs pour vos propos très intéressants qui suscitent chez moi une réflexion.

Nous sommes partis sur le technique, le quantitatif, mais il y a aussi le côté plus humain. Je voudrais revenir sur la cellule de base de nos armées que sont le soldat, le marin et l'aviateur.

Nous évoquons tout ce qui est technique et matériel. Mais finalement, comme le disait ici-même le général Bosser lors des auditions, il y a l'esprit guerrier. L’amiral Prazuck nous parlait, lui, de l'esprit d'équipage, le général Lecointre de la singularité militaire et récemment encore le général Burkhard parlait des normes. Ces normes qui font que notre soldat, notre aviateur et notre marin sont pris dans un étau entre la réglementation, le poids réglementaire des administrations et, de l'autre côté, des cycles technologiques très courts où le matériel évolue, où nous avons des boucles d'information très rapides qui font que finalement, le soldat, à son échelle de base, est amené à devoir prendre des décisions très rapidement, dans un contexte qui n'est plus dans les normes classiques.

Est-ce qu'une des armes stratégiques de la France n'est-elle pas finalement ce guerrier à l'esprit valeureux ? Dans le contexte actuel, la singularité peut être parfois abîmée, nous l'avons bien vu dans certaines lois, notamment lors de la loi de retraite, pour laquelle j'ai défendu la particularité de garder le mot de pension et non pas de retraite pour les militaires.

Tous ces écueils ne peuvent-ils pas affaiblir notre armée ?

M. Claude de Ganay. Je voudrais revenir sur une question qui a été abordée par mon collègue Thibault Bazin, à laquelle vous n'avez pas totalement répondu, sur les priorités.

Monsieur Goya, dans l'un des billets de votre blog, vous avez précisé qu'en 1940, la France a cessé d'être une puissance, à partir du moment où, en renonçant à toute capacité d'intervention, elle s'est condamnée à n'être que spectatrice des évolutions du monde.

Pour ne pas être spectateur des évolutions du monde, il faut donc équiper nos armées pour répondre à une diversification et à une complexification des conflits, dont l'intensité sera variable. Autant dire que, compte tenu des moyens financiers et humains contraints que nous connaissons et dont nous disposons, il apparaît difficile, voire impossible, d'assurer, même à l'échelle européenne, une défense couvrant l'ensemble des spectres de menaces de demain.

Selon vous, la France doit-elle miser sur une remontée en puissance en moyens humains, que nous venons d'évoquer, aux dépens de l'excellence technologique ou doit-elle compter sur une supériorité technologique pour compenser son manque de soldats ?

Répondre qu'elle doit miser sur les deux me semble un peu un vœu pieux qui ne passera pas l'épreuve du combat ou pire encore l'épreuve d'un projet de loi de finances.

M. Jacques Marilossian. Messieurs, merci pour vos exposés et vos premières réponses.

En tant que rapporteur du budget de la Marine ces trois dernières années, je ne peux que souscrire à la présentation que vous avez faite des enjeux de la puissance maritime. Vous auriez pu citer bien sûr Sir Walter Raleigh : « Qui tient la mer, tient le commerce du monde ; qui tient le commerce, tient la richesse et qui tient la richesse tient le monde lui-même ». Cette phrase est encore plus pertinente aujourd'hui. Je rappelle que le Président de la République, dans son allocution du 14 juin, a évoqué l'accélération de notre stratégie maritime. Il consacre ainsi la maritimisation de l'économie mondiale. Cette stratégie est essentielle pour le futur.

Cette accélération de la stratégie maritime évoquée par le Président passe-t-elle par une augmentation sensible du format de notre Marine, rapidement et pour quelle priorité ?

En octobre dernier, le United States Army War College a publié un rapport faisant état des principales menaces contre l'armée américaine, pour lesquelles elle ne serait absolument pas préparée. Je note notamment l'effondrement d'un réseau électrique national, l'apparition d'épidémies massives et l'effondrement général du climat.

Dans ce rapport, l'armée américaine, semble-t-il, est dans l'impréparation la plus totale, si elle doit être projetée dans des zones où l'effet climatique devient de plus en plus conséquent.

Si vous avez lu ce rapport, quelle analyse en faites-vous ? Sinon, avons-nous conduit aujourd'hui le même type d'analyse ? Pouvons-nous transposer ce type de menace pour notre armée, qui est souvent employée dans les interventions extérieures ?

M. Jean-Pierre Cubertafon. Merci pour la qualité de vos interventions.

La préservation d'un modèle d'armée complet et équilibré est indispensable pour assurer à la France son indépendance nationale, son autonomie stratégique et sa liberté d'action.

Dans un environnement opérationnel plus exigeant, il est nécessaire de disposer de l'ensemble des aptitudes et des capacités nécessaires pour atteindre des effets militaires recherchés.

Face à des menaces, des technologies, des terrains, des modes d'opérations et des enjeux financiers qui se complexifient, comment pouvons-nous maintenir ce modèle d'armée complet et équilibré ? Pouvons-nous continuer à le maintenir en faisant des arbitrages, mais sans sacrifier l'essentiel ?

Mme Séverine Gipson. Messieurs, merci pour vos différentes interventions qui ont toutes été très intéressantes.

De nos jours, la menace d'un affrontement majeur entre États incluant la France n'est plus la seule menace, comme vous l'avez évoqué dans vos exposés.

Aujourd'hui, les risques sont multiples et ont été énumérés dans la revue stratégique de 2017 : enracinement et dissémination du terrorisme djihadiste, accélération et prolifération des NRBC, retour de la compétition militaire et multiplication des milieux dans lesquels ces menaces s'exercent.

Toutefois, la crise du Covid-19 a montré que le risque sanitaire n'était pas négligeable tant son impact est grand. La mobilisation de l'armée s'est avérée essentielle en France.

Ne faut-il donc pas considérer cette menace comme un nouveau risque afin de bâtir notre nouveau modèle d'armée complet et équilibré ? Vous semble-t-il primordial de préparer notre modèle d'armée à cette nouvelle menace ?

M. Jean-Louis Thiériot. Merci pour ces exposés extrêmement brillants, j'ai particulièrement apprécié les propos de Martin Motte concernant le fait que nous ne devions pas nous limiter au capacitaire, mais que nous étions bien dans une vision stratégique globale où s'impose la dialectique des volontés qui seule nous permet de peser de notre poids.

Ce que vous disiez sur le modèle gaullien m'a particulièrement touché, puisque permettez-moi une incise personnelle, cela rejoint le livre que j'avais fait, De Gaulle, le dernier réformateur où j’expliquais qu'il n'y avait pas de dogme économique chez de Gaulle, que c'était l'agnosticisme et que la seule valeur était la grandeur de la France.

Revenant toujours au général de Gaulle, il disait : « derrière les victoires d'Alexandre, il y a la pensée d'Aristote ». En clair, il n'y a pas de grande action sans grande pensée.

À travers ce que vous disiez sur la Sea Power, nous voyons notamment les réflexions de l'amiral Mahan.

Aujourd'hui, nos compétiteurs stratégiques, je pense en particulier à la Chine dans le domaine de la puissance maritime, ont-ils théorisé cette affluence de la puissance maritime ? Est-ce qu'aujourd'hui, c'est une pratique de la puissance ou est-ce que c'est un concept qui est théorisé, exprimé et développé dans les différents échelons du pouvoir ?

M. Didier Le Gac. J'ai également une question pour M. Motte.

Merci pour votre éclairage historique.

Je voulais aussi, comme Jacques Marilossian, évoquer l'intervention du Président de la République dans sa dernière allocution télévisée. Il évoque effectivement, et ce n'est pas si fréquent, le besoin d'asseoir le développement de notre pays sur notre stratégie maritime.

Vous avez très bien rappelé cette nécessité de pouvoir intervenir partout et sur toutes les mers, comme nous le rappelait aussi l'amiral Prazuck, dans cette même salle. Vous connaissez sa phrase célèbre : « ce qui n'est pas surveillé est pillé et ce qui est pillé est contesté ».

Je pense que cela résume bien la nécessité d'avoir une politique maritime très forte.

Vous avez évoqué le pôle Sud, l'Antarctique. Pouvez-vous dire un mot sur le pôle Nord, l'Arctique ?

Dans le contexte actuel, avec de nouvelles voies qui vont se créer, malheureusement, à cause de la fonte des glaces et du réchauffement de la planète, il y a des tas de géo confluences qui sont en train de se créer à cet endroit du globe. Quelle est votre analyse, votre avis sur cette nouvelle situation complètement inédite et pour le coup, complètement historique ?

Mme Marianne Dubois. J'ai une question extrêmement simple, pragmatique et technique.

Dans vos propos, il a été rappelé que 90 % des flux numériques passent par des câbles sous-marins. Internet, téléphone, télévision, numérique sont totalement dépendants de ce réseau, au cœur d'enjeux stratégiques. La moindre dégradation constituerait une menace majeure pour les États.

Or ces câbles sont posés par des opérateurs privés.

Qui en assure la surveillance, qui intervient en cas de dégradation, avec quel contrôle et dans quel délai d'intervention s'il y a une dégradation très importante ?

Mme Sereine Mauborgne, rapporteur armée de Terre. Je vais être assez rapide.

La semaine dernière, Thierry Burkhard venait nous présenter sa vision stratégique. Il a évoqué un sujet qui me paraît capital, notamment au regard de certains exemples que nous avons vus récemment à Djibouti où la France a décidé de ne plus subventionner une radio francophone. Le réseau a été racheté par les Chinois pour installer une radio francophone.

Pour moi, cela fait partie des sujets qui sont extrêmement inquiétants sur la stratégie des États puissance, notamment à faire de l'influence et au-delà.

Quelle est votre vision de ce vers quoi il faudrait tendre pour tenter de contrer ces stratégies d'influence, à la fois en termes de contre-mesures et de projection pour l'armée de Terre ?

Mme Natalia Pouzyreff. Je ne veux pas ouvrir le débat sur la dialectique des volontés, comme vous l'avez soulevé et comme l'a bien repris mon collègue, parce que c'est un enjeu qui se pose à mon avis, au niveau européen.

J'irai sur un autre terrain. Quel type d'engagement, de confrontation, voire de posture laisse présager le développement des nouveaux armements de type hyper véloces ou armement tactique porteur de charge nucléaire ?

Mme Anissa Khedher. Merci à l'ensemble des experts qui nous permettent de mieux appréhender l'avenir de nos armées et de notre modèle de défense.

J'aimerais simplement transmettre un message. Les conflits génèrent des blessés, des blessures parfois graves, des décès. Aujourd'hui, c'est la journée nationale des blessés de l'armée de Terre qui se passe dans des circonstances un peu particulières. J'aimerais, si vous en convenez, y associer mes collègues pour transmettre un message de solidarité à nos militaires blessés et de soutien à leur famille.

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci, vous faites très bien, cher collègue, de nous le rappeler en ce jour.

M. Michel Goya. Je vous parlais de l'instrument premier de la guerre, qui est le soldat.

Il y a deux aspects. Au plus bas, il y a le soldat et à l'échelon le plus haut, il y a la décision ou la conduite stratégique et politique.

Depuis 1961, depuis la guerre contre la Tunisie à Bizerte, la France a mené 32 guerres et opérations de stabilisation majeure.

À l'intérieur de ces opérations, quand nous regardons les combats qui ont été menés, nous nous apercevons qu'en réalité, il n'y a pas de lien entre la victoire et le volume ou la capacité technologique. À Bizerte, nous avons quand même engagé deux régiments de parachutistes directement sur l'ennemi, sans aucun équipement lourd.

À Kolwesi, le bataillon parachutiste de légion étrangère qui saute est moins bien équipé que les gens qu'il affronte en face, il est beaucoup moins nombreux et dans la grande majorité des cas, en réalité, nous n'avons pas de supériorité technique.

Nous avons une supériorité dans l'organisation des moyens car nous pouvons organiser des appuis mais ce qui est le plus important, en réalité, c'est que nous avons des soldats qui sont bons, qui sont supérieurs à ceux qui sont en face. C'est le critère premier de tous les engagements.

Quand nous regardons les résultats, dans l'immense majorité des cas, un camp écrase l'autre.

Il n'y a pas de corrélation entre le nombre, ni même le niveau technologique. Ce qui est important, c'est véritablement la qualité humaine. Nous avons des soldats qui sont toujours aussi bons, qui sont bien formés et qui n'hésitent pas à prendre des risques. Il n'y a aucun doute là-dessus.

Quand nous regardons le bilan de ces opérations au niveau stratégique, nous nous apercevons que la faiblesse ne vient pas souvent de l'échelon tactique mais de l'échelon politique.

Quand nous avons échoué, c'est parce que nous avions une très mauvaise orientation stratégique dès le départ ou que nous avions un échelon politique qui lui, a eu peur de la mort et des pertes.

Depuis 1962, nous avons eu quatre journées où nous avons eu plus de dix soldats qui sont tombés dans une seule journée : à Bedo en 1970, à Beyrouth en 1983, à Uzbin en Afghanistan en 2008 et récemment au Mali, avec un accident d'hélicoptère.

À chaque fois, les secousses ont été extrêmement importantes, ce sont des événements stratégiques. Nous avons toujours remis l'opération en cause.

C'est un vrai problème. Il suffit à nos adversaires de tuer plusieurs de nos soldats en même temps pour que cela ait un impact stratégique. C'est un phénomène tout à fait nouveau.

Quand vous allez au parc André Citroën, vous regardez les noms qui sont sur le mémorial, vous remarquez que 80 % des noms qui sont dessus sont des gens qui sont allés au contact de l'ennemi. Ce sont des fantassins, des sapeurs ou des logisticiens, des gens proches de l'ennemi.

Or, quand nous regardons maintenant les priorités, notamment industrielles ou économiques, ils sont tout en bas de l'échelle. Là, il y a une contradiction flagrante, stratégique entre un problème, celui des pertes, qui fait peur au niveau politique et l'absence de tentative de résolution de ce problème.

Les Américains sont en train d'investir des milliards de dollars chaque année dans l'idée que sur chaque point de contact, nous ayons une supériorité totale pour que nous disposions, au sol, quand nos soldats sont au contact de l'ennemi, de la même supériorité que nous avons dans le ciel ou sur la mer, actuellement.

En France, nous n'avons pas perdu de soldats en combat aérien depuis 1945. En revanche, nous avons perdu des milliers de combattants, quasiment tous en luttant contre des organisations armées, soi-dit au passage.

Ce problème de la mort est un problème qui n'est pas forcément celui des armées, celui des forces. Nous parlions du décalage qu'il pouvait y avoir entre l'ambiance de la société et ce qui se passe réellement dans les unités au contact, éventuellement aussi entre les publicités de recrutement et la réalité du métier.

Mais en réalité ce n'est pas le risque qui pose problème. C'est quelque chose qui est assumé, qui est intégré. Ce qui pose problème dans l'armée, c'est l'ennui.

On s'engage éventuellement pour prendre des risques mais pas pour s'ennuyer ou ne pas être payé ou l’être difficilement, etc.

M. Martin Motte. Je prendrai les questions concernant la Marine.

Une Marine, pour quelles priorités ? Pour toutes les priorités, bien sûr. Je ne pense pas que nous puissions dire que nous allons nous spécialiser dans une niche parce que cela n'aurait de sens que si nous pouvions avoir une confiance en béton armé dans nos alliances. Nous avons parlé tout à l'heure de l'élection américaine, personne ne sait ce qu'il va se passer. L'idée d'avoir une armée européenne est totalement fantasmatique, cela n'a aucun sens. Il n'y a pas de volonté parce qu'il n'y a pas de peuple européen. Comme il n'y a pas de peuple européen, il ne peut pas y avoir d'Européens et il ne peut donc pas y avoir d'armée européenne.

Tout à l'heure, je parlais de ce différentiel incroyable, nous ne sommes finalement plus grand-chose au plan démographique ou au plan économique mais nous sommes encore extrêmement présents sur la scène mondiale. Je disais qu'il n'y a pas que les facteurs matériels, il y a aussi l'agilité avec laquelle nous les employons. Cela rejoint ce que disait à l'instant le colonel Goya.

Parmi nos facteurs de réactivité stratégique, il y a nos institutions. Même les États-Unis ne peuvent pas déclarer une opération militaire sous si faible préavis. Les institutions laissées par le général de Gaulle sont pratiquement uniques dans le monde libéral occidental, parce qu'elles nous permettent une réactivité que personne d'autre n'a. Si nous rentrons dans des systèmes d'alliance extrêmement contraignants et élaborés, nous perdrons cela. Dans le monde actuel, nous perdrions tout.

Une marine polyvalente signifie être faible partout, c'est-à-dire avoir un seul porte-avions à la fois, pas assez de frégates pour l'entourer, etc.

L'agilité doit compenser le manque de moyens. Il y a des alliances ponctuelles, des alliances ad hoc. Pour ne prendre qu'un seul exemple, le porte-avions, avec toutes ses imperfections et ses indisponibilités, nous a permis, début 2016, de prendre le commandement de la principale task force américaine du monde dans le Golfe Persique, parce qu'il y avait une indisponibilité du côté des porte-avions américains. C'est un amiral français, l'amiral Grignola, qui pendant plusieurs semaines, a pris le commandement du plus gros groupe aéronaval américain.

Nous ne pourrions pas le faire sans le porte-avions. Cela fait partie des rares choses qui justifient encore notre position au Conseil de sécurité.

De toute évidence, il faut maintenir cette capacité.

J'ajoute un aspect très important. Si nous voulons pouvoir dire non aux Américains lorsqu'ils mènent une guerre illégitime, comme cela a été le cas avec l'invasion de l'Irak, il faut pouvoir les épauler quand ils mènent une guerre légitime car nous ne sommes pas fondés à critiquer si nous n'agissons pas. Notre crédibilité morale est donc engagée par ça.

Il faut préserver la force de dissuasion même si elle est incomplète et imparfaite. Il faut préserver ce qui permet de la protéger, de la mettre en œuvre. Il est évident que tout cela est compliqué, mais il faut sinon dire que nous rentrons dans une autre vision selon laquelle nous allons faire uniquement du déni d'accès en Méditerranée et au large de Brest. Peut-être y seront-nous acculés d'ici quelques décennies. C'est une hypothèse à laquelle il faut réfléchir très sérieusement, mais pour l'instant, nous n'en sommes pas là.

Des questions ont été posées sur la Chine. La vérité est que les experts s'arrachent les cheveux pour savoir ce que veulent les Chinois, avec leur stratégie navale.

Leurs textes sont très confidentiels, lorsque cela filtre, les textes sont extrêmement elliptiques et il y a des problèmes de traduction. En fait, personne ne sait. Le plus probable est qu'au sein de l'État chinois, il y ait de toute façon divergence sur l'emploi de la flotte.

Comme historien, je me référerai à un modèle qui me semble extrêmement similaire, celui de l'Allemagne à l'époque de Guillaume II. Voilà une puissance qui n'est pas une puissance maritime et qui, en 25 ans, devient la deuxième puissance du globe. Son émergence très rapide déstabilise tout. L’Allemagne se trouve acculée à une guerre dont il n'est pas certain qu'elle l'ait voulue. C'est peut-être ce scénario-là qui risque de se passer avec la Chine.

Nous connaissons quand même le plan formulé dans les années soixante-dix par l'amiral qui commandait la flotte chinoise, qui est de désenclaver et de permettre la sortie de la Chine hors de cette espèce de prison naturelle que forment les chapelets d'îles qui l'entourent.

Je vais maintenant passer à la question sur le Pôle Nord.

Au pôle Nord, il y a des problèmes de zones économiques exclusives qui ne se résument pas à une confrontation entre Occidentaux et Russes puisque vous avez de gros problèmes de zones économiques exclusives entre Canadiens et Américains. Il y a des problèmes d'exploitation de ressources à venir.

Il ne faut peut-être pas s'emballer sur la question de la nouvelle voie d'accès, parce que pour qu'une voie maritime soit rentable, il ne suffit pas qu'elle soit praticable. Il faut encore pouvoir charger et décharger de la marchandise tout le long. Or pour l'instant, il n'y a pas de grandes villes ni de grandes zones industrielles. C'est peut-être plutôt à voir pour la deuxième moitié du siècle.

Ce qui est sûr, c'est que la Chine s'y intéresse parce qu'elle y voit la possibilité d'échapper à un éventuel blocus occidental dans le détroit de Malacca.

La Chine fait les yeux doux au Groenland, dans la perspective de l'indépendance du Groenland. Nous retombons sur un cas de figure qui ressemble à celui de la Nouvelle-Calédonie, sauf que c'est juste à côté de chez nous, ce qui est un peu plus embêtant.

À propos de Djibouti, nous pouvons rappeler que nous y avons certes une base logistique essentielle pour la France, mais que c'est aussi un terminal de câbles sous-marins extrêmement important. Ce n'est donc pas anodin de voir sur place quelque 10 000 soldats chinois.

M. le lieutenant-colonel Jérôme de Lespinois. Je vais essayer de ramasser mes réponses en trois points.

Le premier point concerne la place de l'homme.

Comme le disent Michel Goya et de nombreux membres de cette commission, la place de l'homme est essentielle. Face à un monde qui est plein d'imprévus, les machines ne peuvent pas être créatives, c'est seulement l'homme qui peut apporter la créativité et la volonté de se battre. Ce sont ces ressources qui vont permettre de dominer l'adversaire puisque la guerre est essentiellement cette dialectique des volontés.

J'apporterai une petite nuance. Il y a des milieux comme le milieu naval ou le milieu aérien, où la supériorité technologique est capitale. Nous parlions du général de Gaulle. Nous venons de célébrer l’appel du 18 juin, et de commémorer le 90e anniversaire de la défaite française en 1940. Les pilotes français qui ont combattu dans le ciel n'ont pas réussi à prendre le dessus sur la Luftwaffe parce que leur matériel était bien inférieur à celui de la Luftwaffe. Pourtant, ils se sont battus courageusement et ont enregistré des taux de perte très importants puisque 40 % des officiers navigants sont morts au combat.

Le réarmement de la France a commencé beaucoup plus tard, en 1938. Il a commencé en 1936 en Grande-Bretagne et il avait commencé en 1933 en Allemagne. L’habileté et l’ardeur au combat des aviateurs français n’ont pas pu renverser ce rapport de forces défavorable.

La place du soldat est essentielle. C'est lui qui va trouver de nouveaux modes d’engagement, innover en imaginant de nouveaux systèmes d’armes pour créer un rapport de force favorable. Michel Goya a bien montré que souvent, l'innovation tactique vient par le bas. Ce n'est pas le chef, dans son poste de commandement, qui trouve la solution. C'est le soldat qui, sur le terrain, s'adapte et réussit à innover pour l'emporter sur l'adversaire. Mais pour dominer l’adversaire, il faut quand même qu'il y ait des systèmes d'armes performants. Il ne faut donc pas négliger le facteur matériel.

Le deuxième point, c'est la question du financement et de l'Europe. Pour financer ces gros programmes d'armement dans le domaine aérien, comme le système de combat aérien du futur (SCAF) par exemple, nous n'avons pas le choix. Ce n'est pas de mon domaine de savoir si une Europe politique va se créer, de savoir s'il y a un peuple européen, mais seuls, nous pourrons moins facilement financer ces programmes d'armement qui ont besoin d'investissements lourds.

Au point de vue européen, il faut faire l'Europe par le bas avec ces grands programmes d'armement dont nous avons besoin si nous voulons encore que les voix de la France et de l'Europe portent dans le monde. C'est indispensable.

Le troisième point est celui de la priorité. Quelle priorité faut-il financer ? Nous pourrions nous demander ce que nous pouvons mutualiser en Europe et ce que nous devons garder en national ? Bien sûr, le nucléaire est le cœur de notre souveraineté militaire mais ensuite, quelles priorités faut-il financer ?

Nous avons vécu les hypothèses du Livre blanc de 2013, lorsqu’on nous disait qu’on n'allait pas pouvoir tout financer et qu'on allait abandonner des capacités structurantes.

Pendant quelques semaines, nous nous sommes dits que nous n'aurions plus de porte-avions, que la France ne pourrait plus manifester sa diplomatie navale avec le porte-avions où que nous allions abandonner des flottes complètes d'avions.

Il faut quand même rendre hommage aux décisions politiques qui ont été prises lors de la précédente législature, c'est-à-dire celles de préserver un modèle cohérent.

Si nous voulons avoir un outil militaire résilient, il faut que ce modèle reste cohérent avec un porte-avions, des avions de combat et des forces terrestres.

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci mes chers collègues. Je vais céder la parole à Nathalie Serre, qui n'a peut-être pas osé intervenir avant, pour une dernière question à laquelle l'un d'entre vous pourra peut-être répondre.

Mme Nathalie Serre. La crise sanitaire que nous venons de traverser a mis en évidence la nécessité de relocaliser des productions et de redevenir souverain dans bien des domaines. Cela passe par la production d'équipements de protection individuelle, de matériaux médicaux comme les respirateurs ou les masques, la production de médicaments, etc.

Dans le domaine de la défense, la France a perdu il y a une vingtaine d'années, la capacité industrielle de produire des munitions de petits calibres. Le ministère des Armées s'approvisionne auprès de fournisseurs étrangers. En 2017, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, s'est engagé pour recréer une filière de production de munitions de petits calibres, made in Bretagne, remise en cause l'année dernière par la direction générale de l'armement (DGA).

Monsieur Motte, vous venez de dire qu'il était essentiel de compenser par l'agilité.

Dans ce contexte, et quelle que soit la menace, quel que soit le modèle d'armée que nous dessinerons, une des questions fondamentales n'est-elle pas celle de notre souveraineté dans ce domaine stratégique. À plus large échéance, à l'heure où nous envisageons des menaces pour demain, la plus grande menace n'est-elle pas notre dépendance à des puissances étrangères pour l'approvisionnement ?

M. le lieutenant-colonel Jérôme de Lespinois. Ce sont des choix qui avaient été faits sous le quinquennat du Président Sarkozy. C'était toute la logique du Livre blanc de 2008. C'est-à-dire qu'il y avait trois étages, un étage qui était le cœur de la souveraineté, ce qu'il fallait que nous fabriquions en France, pour lequel il fallait que nous soyons autonomes stratégiquement ; un deuxième, pour ce que nous pouvions mutualiser, construire avec les Européens, avec des programmes communs ; et un troisième avec ce que nous pouvions acheter sur étagères.

Le choix qui a été fait a été celui d'acheter des armes de petits calibres et des munitions, avec tous les déboires qui s'en sont suivis, à l'étranger, sur étagère, parce que nous estimions que nous n'en manquerions jamais ; comme les masques aujourd'hui, j'imagine.

Ce sont des choix qui peuvent ensuite être critiqués a posteriori.

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci Messieurs. Cela nous a permis aujourd'hui de nous remettre en situation après cette période un peu complexe. C'était très utile et la richesse de vos interventions nous aidera.

Nous retrouvons nos chers collègues le 1er juillet à neuf heures trente pour une audition en présentiel de la directrice de la maintenance aéronautique du ministère des Armées, Mme Legrand-Larroche.

Merci encore pour votre disponibilité Messieurs et pour l'aide à notre réflexion pour les mois à venir, qui ne manqueront pas d'être encore très denses.

Merci chers collègues. Je vous rappelle que nous avons prévu de nous retrouver dans mon bureau à l'issue de cette audition.

 

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La séance est levée à onze heures trente-cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Thibault Bazin, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Philippe Chalumeau, M. André Chassaigne, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Olivier Faure, M. Yannick Favennec Becot, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Laurent Furst, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Fabien Gouttefarde, M. Benjamin Griveaux, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, Mme Anissa Khedher, M. Bastien Lachaud, M. Fabien Lainé, M. Jean Lassalle, M. Didier Le Gac, M. Jacques Marilossian, Mme Sereine Mauborgne, Mme Monica Michel, Mme Florence Morlighem, M. Jean-François Parigi, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Nathalie Serre, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye

 

Excusés. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Florian Bachelier, M. Xavier Batut, M. Stéphane Baudu, M. Olivier Becht, M. Sylvain Brial, M. Alexis Corbière, M. Richard Ferrand, M. Jean-Marie Fiévet, M. Stanislas Guerini, M. Christian Jacob, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Gilles Le Gendre, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Josy Poueyto, M. Joaquim Pueyo, M. Bernard Reynès, M. Gwendal Rouillard, M. Thierry Solère, M. Joachim Son-Forget, Mme Laurence Trastour-Isnart, M. Pierre Venteau