Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

–  Examen par la commission, en application du deuxième alinéa de l’article 101 du Règlement, d’une demande, par le rapporteur général, de seconde délibération de l’article 72 quater du projet de loi de finances pour 2020 (n° 2272) (M. Joël Giraud, rapporteur général)              2

–  Présences en réunion............................7


Vendredi
15 novembre 2019

Séance de 13 heures

Compte rendu n° 31

session ordinaire de 2019-2020

 

 

Présidence de

 

M. Éric Woerth,

Président

 


  1 

La commission examine, en application du deuxième alinéa de l’article 101 du Règlement, une demande, par le rapporteur général, de seconde délibération de l’article 72 quater du projet de loi de finances pour 2020 (n° 2272) (M. Joël Giraud, rapporteur général).

M. le président Éric Woerth. Cette réunion de la commission est assez exceptionnelle et inattendue. Hier, en séance publique, l’Assemblée nationale a adopté un amendement n° II-2901 présenté par M. Laqhila, qui avait reçu un avis favorable du Gouvernement et un avis défavorable du rapporteur général. Cet amendement est ainsi devenu l’article 72 quater du projet de loi de finances pour 2020. Comme vous le savez, l’article 101 de notre Règlement permet, avant de procéder au vote de l’ensemble d’un texte, de procéder à une seconde délibération de tout ou partie du texte. C’est une procédure qui est traditionnellement mise en œuvre, dans la quasi-totalité des cas, à la demande du Gouvernement.

Mme Valérie Rabault. La commission des finances a déjà utilisé cette procédure.

M. le président Éric Woerth. Le règlement permet en effet à la commission de demander une seconde délibération, mais cela est très exceptionnel. Et, dans les rares cas où la commission la demande, on considère qu’un accord entre le rapporteur général et le président de la commission vaut avis de la commission. Aujourd’hui, il n’y a pas un tel accord : le rapporteur général considère qu’il faut une seconde délibération ; je considère qu’il n’en faut pas. Ce désaccord ne change rien à nos relations. Mais la réunion doit permettre de statuer et de savoir s’il convient ou non de demander une seconde délibération de l’article 72 quater.

Sans entrer dans le fond du sujet, la procédure d’examen de l’amendement en séance a été tout à fait normale. Son auteur a décidé de dire : « défendu », sans développer son propos, et c’est son droit. La procédure prévoit ensuite des filtres : le rapporteur général a donné un avis défavorable mais n’a pas souhaité expliquer pourquoi, ce qui est également parfaitement son droit ; le Gouvernement a dit qu’il était favorable et a décidé de ne pas expliquer pourquoi, ce qui est également son droit.

Mme Valérie Rabault. Cela a été express !

M. le président Éric Woerth. La procédure n’a pas été anormale. Tout parlementaire avait le droit de lever la main pour dire ce qu’il en pensait ; cela n’a pas été le cas. Si cela a échappé à la sagacité des uns et des autres, c’est au fond le problème des uns et des autres. Je vous rappelle que nous avons des groupes, des assistants de groupe. Il ne s’agit pas non plus d’un amendement arrivé à la dernière minute. Il nous revient à tous de faire preuve d’attention. En acceptant cette seconde délibération, nous ouvririons un précédent dangereux.

M. Joël Giraud, rapporteur général. Je tenais tout d’abord à remercier notre président : il n’était en rien obligé de réunir la commission et c’est un exercice de démocratie auquel il se prête bien volontiers. Je lui en sais particulièrement gré. Quant à ce qui s’est passé hier, le vote a été acquis dans des conditions conformes à notre Règlement. Cependant, sur un sujet d’une telle importance, la rapidité et l’absence de débat n’ont probablement pas permis que notre assemblée soit suffisamment éclairée. J’ai effectivement donné, avant le Gouvernement, un avis, mais nous sommes passés au vote sans que personne n’intervienne. Cela a été pour le moins rapide, je n’irai pas jusqu’à dire organisé, mais en tout cas ce n’est pas coutumier. Je sollicite donc de votre part une seconde délibération de l’article 72 quater, qui modifie le dernier alinéa du 2 du B du V de l’article 266 quindecies du code des douanes afin de prévoir que les produits à base d’huile de palme ne seront plus considérés comme des biocarburants à compter du 1er janvier 2026.

Mme Valérie Rabault. D’abord, je souhaite rappeler que notre commission des finances, sous la précédente législature − en l’occurrence, j’étais rapporteure générale −, a fait usage de cette procédure, qui est prévue par notre Règlement.

Sur le fond, je souhaitais remercier le rapporteur général, d’abord d’avoir donné hier un avis défavorable à l’adoption de l’amendement, et ensuite de demander aujourd’hui cette seconde délibération. Cet amendement avait déjà, l’an dernier, posé plusieurs problèmes. Le Gouvernement avait tenté de le faire passer en force. Notre collègue Bruno Millienne avait déposé un amendement s’opposant à la même disposition que celle qui a été malheureusement adoptée hier. Afin d’y faire obstacle, le Gouvernement avait tenté de placer son propre amendement à un alinéa précédant les amendements parlementaires, ce qui aurait eu pour effet de les faire tomber. J’ai gardé la trace écrite du mail par lequel le groupe socialiste et apparentés avait suggéré au groupe du Mouvement démocrate et apparentés de déplacer son amendement avant celui du Gouvernement, ce qui nous avait permis de voter d’abord sur cet amendement et de faire tomber celui du Gouvernement.

Je suis un peu étonnée de l’amendement qui a été déposé par notre collègue Mohamed Laqhila. Sa rédaction tend à laisser penser qu’il lui a été transmis par le Gouvernement. Nous savons que cela existe et ce ne serait pas nouveau : cela se faisait dans l’« ancien monde » − Monsieur le rapporteur général, ne faites pas l’étonné ! D’autres n’en ont peut-être pas voulu. La réalité, c’est qu’à deux reprises le Gouvernement a voulu que le Parlement « se fasse avoir ». Je vous remercie donc mille fois, Monsieur le rapporteur général, parce que vous refusez que le Parlement se fasse avoir. Évidemment, nous voterons la suppression de l’article 72 quater.

M. Éric Coquerel. Je ne fais pas partie des anciens de la commission des finances et n’en connais pas les arcanes, mais je sais que certaines choses sont peut-être légalement correctes mais politiquement inadmissibles. Cette manière de nier les droits au débat de l’Assemblée nationale, et pas seulement de l’opposition, est tout proprement scandaleuse, dans le cadre de l’examen de ce projet de loi de finances pour 2020 comme du projet de loi de finances rectificative pour 2019. Je ne citerai qu’un exemple et je pense que la manière dont j’ai vu certains collègues de la majorité regarder leurs chaussures au moment de voter montre qu’un certain nombre d’entre eux est d’accord : il s’agit de cet amendement de dernière minute que nous avons voté hier soir et qui transfère des ressources des départements franciliens vers la Société du grand Paris

Plusieurs députés du groupe La République en marche. Cela n’a rien à voir !

M. Éric Coquerel. Cela concerne la manière dont, à un moment donné, des amendements très importants peuvent être adoptés en vingt secondes, qu’ils soient attendus ou de dernière minute, sans que notre assemblée puisse en débattre

Plusieurs députés du groupe La République en marche. Il y a eu un débat !

M. Éric Coquerel. Sur la forme, j’ai compris que cet amendement d’importance, hier, n’a pas été débattu et s’est imposé en à peu près vingt secondes. Ce n’est pas possible : pour les droits mêmes de l’Assemblée nationale, la demande de seconde délibération du rapporteur général me paraît aller dans le bon sens. S’il propose un amendement de suppression, je serais prêt à le cosigner s’il en est d’accord. Sur le fond, l’article n’est pas anodin puisqu’il repousse de six ans une des promesses du Gouvernement à propos de l’huile de palme. Je suis persuadé que, dans des conditions normales de débat, nos collègues de la majorité, qui ont mis ce point dans leur programme, n’auraient pas voté quelque chose qui revient en réalité à céder au lobby des multinationales, et notamment du groupe Total. Pour ces deux raisons, je suis extrêmement favorable à cette seconde délibération qui permettra de revenir sur ce qui a été adopté hier dans des conditions que je trouve incorrectes.

M. le président Éric Woerth. Le Gouvernement serait lui-même bien inspiré de demander cette seconde délibération afin que le débat ait lieu dans des conditions plus normales.

M. François Pupponi. Je remercie le président, ainsi que le rapporteur général, d’avoir réuni la commission. Lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, une seconde délibération avait eu lieu, à l’initiative du rapporteur général Olivier Véran mais sans examen préalable en commission. La procédure que nous suivons est plus respectueuse du Parlement.

De manière générale, une seconde délibération ne vise pas à remédier à des erreurs de procédure. Elle vise à vérifier que, lors du vote, l’assemblée a été bien éclairée, et cette demande vient le plus souvent du Gouvernement. Nous demandons seulement que l’assemblée vote en toute connaissance de cause, en ayant été éclairée et en sachant ce qu’elle vote.

Je reconnais que le petit montage d’hier n’était pas trop mal joué. Mais c’était nous mésestimer, alors que savons nous défendre. Un signataire qui ne défend pas, le rapporteur général qui a raison de donner un avis défavorable et le ministre qui fait mine de ne pas savoir sur quel sujet il donne un avis favorable, le tout suivi d’un vote dans un petit brouhaha…N’était la gravité du sujet, nous pourrions presque en rire.

Mais il s’agit de la déforestation et de l’utilisation d’huile de palme pour produire des biocarburants alors que le groupe Total peut utiliser des produits fabriqués en France. Le Gouvernement justifie de poursuivre la déforestation pour sauver 450 emplois dans l’usine de La Mède. Mais, la même semaine, le même Gouvernement prend la décision, à Europacity, de supprimer trois milliards d’euros d’investissements qui allaient sauver des terres agricoles, et de faire perdre 20 000 emplois en France. Cette situation est scandaleuse et j’espère que la raison reviendra.

M. le président Éric Woerth. La question se pose d’abord au sein du groupe majoritaire.

M. Laurent Saint-Martin. Je remercie le rapporteur général pour son initiative et le président pour avoir convoqué cette réunion.

Je rejoins Valérie Rabault sur le fait que le débat au fond pourra avoir lieu dans l’hémicycle, lors de cette seconde délibération, et je pense deviner quel sera alors le vote majoritaire au sein du groupe La République en marche.

La finalité de cette seconde délibération n’est pas celle mise en avant par notre collègue Éric Coquerel. Vous prenez l’exemple d’un amendement de dernière minute du Gouvernement sur la Société du grand Paris. La méthode est certes détestable, mais nous avons eu le débat dans l’hémicycle pendant plusieurs dizaines de minutes sur cet amendement du Gouvernement.

Hier, le vrai problème de l’amendement de M. Laqhila est que nous n’avons pas eu une seconde de débat. De tels amendements ne peuvent pas être examinés avec un simple : « défendu » et des avis sans explications de vote. Le respect de la procédure parlementaire nous interdit de le tolérer.

J’ajoute que le premier alinéa de l’article 101 du règlement permet à tout député de solliciter une seconde délibération, si la commission le souhaite.

M. le président Éric Woerth. Un député peut demander une seconde délibération, mais seule une demande de seconde délibération acceptée par la commission ou formulée par le Gouvernement est de droit.

Par ailleurs, il faut rappeler chacun à son devoir de vigilance. Un amendement en séance est adopté après que le rapporteur et le Gouvernement ont indiqué leurs avis : la procédure est régulière.

Mme Véronique Louwagie. Monsieur le président, je vous remercie pour votre décision d’avoir réuni la commission des finances, justifiée par la sensibilité du sujet.

Je ne me prononcerai pas sur la forme, car la procédure en séance a respecté notre règlement.

Je réagirai sur le fond. Contrairement à la précédente législature, la procédure actuelle lors des réunions de commission tenues en application de l’article 88 du règlement ne permet plus d’examiner l’ensemble des amendements déposés, mais seulement ceux qui reçoivent un avis favorable du rapporteur. Présenter l’ensemble des amendements lors de ces réunions permettrait d’éviter que cette situation ne se renouvelle.

Il ne faut cependant pas ouvrir la boîte de Pandore. Hier, dans l’hémicycle, le président de séance et le rapporteur général nous ont demandé d’accélérer les débats et, effectivement, autant nous sommes amenés à avoir des débats assez longs sur les sujets identifiés qui le méritent, autant il nous arrive d’accélérer les débats en indiquant simplement que les amendements sont défendus. Nous devons donc engager une réflexion sur la façon dont nous gérons la contrainte de temps lors de l’examen des amendements.

Mme Delphine Batho. Je souhaite verser au débat le fait que le Gouvernement ne demandera pas de seconde délibération puisque la disposition sur laquelle est revenu l’amendement adopté hier avait été adoptée l’an dernier contre l’avis du Gouvernement. J’ajoute à l’intervention de Valérie Rabault que, lors de l’examen du projet de loi relatif à l’énergie et au climat, le Gouvernement avait déposé un amendement l’autorisant à revenir par ordonnance sur notre vote de l’an passé. Cet amendement avait heureusement été jugé irrecevable.

J’ajoute encore que le Conseil constitutionnel a donné tort au groupe Total qui l’avait saisi de la constitutionnalité des mesures adoptées l’an passé, et a considéré que le législateur est parfaitement fondé à vouloir empêcher la déforestation importée, qui constitue un véritable écocide.

Le débat n’est pas léger. Nous avons suffisamment subi de secondes délibérations imposées par le Gouvernement pour que la commission des finances puisse obtenir, à l’initiative du rapporteur général, que le débat ait lieu.

Je note enfin que le gage n’a pas été levé en séance par le Gouvernement, et pourtant l’article 72 quater ne comprend pas le gage qui figurait dans l’amendement. Il me semblait de tradition, sur tous les amendements, que le président de séance demande au Gouvernement s’il confirme la levée du gage, en l’occurrence 60 millions d’euros par an…Ce point n’a pas été abordé en séance.

M. le président Éric Woerth. L’avis favorable du Gouvernement en séance vaut levée de gage.

Il me semble que l’initiative de cette seconde délibération devrait venir du Gouvernement, puisque l’amendement en question était issu de la majorité et que la majorité envisage de revenir sur son adoption.

Je vais donc vous interroger pour savoir si la commission accepte la demande de seconde délibération.

La commission accepte, en application du deuxième alinéa de l’article 101 du Règlement, la demande de seconde délibération de l’article 72 quater du projet de loi de finances pour 2020.

 

La séance est levée à 13 heures 23.

 

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de léconomie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du vendredi 15 novembre 2019 à 13 heures

Présents.  M. Fabrice Brun, Mme Émilie Cariou, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Benjamin Dirx, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Stella Dupont, M. Joël Giraud, Mme Olivia Gregoire, Mme Nadia Hai, M. Alexandre Holroyd, M. Christophe Jerretie, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, Mme Patricia Lemoine, Mme Véronique Louwagie, Mme Lise Magnier, Mme Cendra Motin, Mme Catherine Osson, M. Xavier Paluszkiewicz, Mme Christine Pires Beaune, M. François Pupponi, Mme Valérie Rabault, M. Xavier Roseren, M. Laurent Saint-Martin, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, M. Éric Woerth

Excusés.  M. Damien Abad, M. François André, M. David Habib, M. Marc Le Fur, M. Olivier Serva

Assistaient également à la réunion.  Mme Delphine Batho, Mme Sarah El Haïry