Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

 Audition de M. Gérard Terrien, président de la cinquième chambre de la Cour des comptes, sur le rapport denquête réalisé par la Cour, en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, sur le bilan de la transformation de l’inspection du travail              2

– Informations relatives à la Commission...............17

– Présences en réunion...........................18

 


Mercredi
20 mai 2020

Séance de 9 heures 

Compte rendu n° 63

session ordinaire de 2019-2020

 

 

Présidence de

 

M. Éric Woerth,

Président

 


  1 

La commission entend M. Gérard Terrien, président de la cinquième chambre de la Cour des comptes, sur le rapport denquête réalisé par la Cour, en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, sur le bilan de la transformation de l’inspection du travail.

M. le président Éric Woerth. En application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, et sur une proposition de notre collègue Marie-Christine Verdier-Jouclas, la Cour des comptes a réalisé une enquête sur le bilan de la transformation de l’inspection du travail.

Monsieur le président Gérard Terrien, vous êtes accompagné, pour nous présenter votre communication, de Mme Corinne Soussia, présidente de section, de M. Philippe Duboscq, conseiller maître, de Mme Florence Legrand, conseillère référendaire, et de M. Axel Vandamme, rapporteur extérieur. Votre enquête a porté sur les années 2014 à 2019, période de réorganisation interne et de réformes importantes de l’inspection du travail. Elle nous permet de disposer de premiers éléments d’analyse, tant sur les réussites que sur les limites de cette réforme.

Le moins que l’on puisse dire, à la lecture de votre rapport, est que le bilan semble plutôt mitigé : on ne peut qu’être frappé par les vacances de postes qui persistent dans certains territoires, le taux de vacance global atteignant les 10 %. En outre, comment justifier l’intégration des contrôleurs dans le corps des inspecteurs pour un coût supplémentaire de l’ordre de 25 à 27 millions d’euros par an, sans contrepartie, par exemple en termes de qualification ?

M. Gérard Terrien, président de la cinquième chambre de la Cour des comptes. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, nous vous avons transmis notre rapport le 5 mai dernier, avec un léger retard qu’expliquent les difficultés du moment. Je remercie particulièrement Mme Verdier-Jouclas, qui nous a utilement précisé certains des axes de travail au cours d’échanges réguliers et fructueux.

Effectivement, monsieur le président, notre enquête porte sur les années 2014 à 2019, celles de la mise en œuvre du plan Ministère fort, dernier plan de réforme de l’inspection du travail. Nous nous sommes rapprochés de la direction générale du travail (DGT), du secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales et de cinq directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE). Nous avons également rencontré beaucoup d’agents de terrain, ainsi que toutes les organisations syndicales représentatives du ministère. Philippe Duboscq, Florence Legrand et Axel Vandamme ont en outre accompagné des inspecteurs du travail lors de missions de contrôle sur le terrain.

L’instruction s’est terminée avant le début du confinement. Il ne nous a donc évidemment pas été possible d’évaluer l’impact de celui-ci sur l’exercice par l’inspection de ses missions, mais nous mentionnons, en page 53 de notre rapport, les premières instructions données à l’inspection du travail. Diffusées au mois de mars, elles portent sur les modalités de son activité pendant l’état d’urgence sanitaire.

L’inspection du travail est un corps de contrôle dont l’objectif est de veiller au respect du droit du travail. En 2018, il comptait 3 675 agents répartis sur l’ensemble du territoire, dont seuls un peu moins de 1 900 étaient affectés au contrôle. Une partie importante des agents ne sont donc pas affectés aux missions de contrôle direct.

L’autorité centrale du système d’inspection du travail français est la DGT. La mission d’inspection est consacrée au niveau international, par les conventions nos 81 du 11 juillet 1947 et 129 du 25 juin 1969 de l’Organisation internationale du travail (OIT). Ce sont ainsi des références internationales qui mettent en avant un ratio d’un agent de contrôle pour 10 000 salariés. Ces conventions internationales édictent un cadre relativement protecteur qui garantit l’exercice des missions de contrôle « sans influence extérieure indue », ce qui implique une certaine indépendance et une certaine autonomie des inspecteurs.

Les réformes se sont succédé. Ainsi le plan Ministère fort fait-il suite au plan de modernisation et de développement de 2005 et à la fusion des services d’inspections – régime général, transports, agriculture et travail maritime –, intervenue en 2009. Parallèlement, le marché du travail connaissait de profondes mutations, auxquelles l’inspection devait s’adapter.

L’organisation de l’inspection du travail est assez classique. La DGT en est l’autorité centrale, sous l’autorité du ministre chargé du travail – en l’occurrence, la ministre. La métropole compte treize DIRECCTE, qui comptent chacune un « pôle travail » assez important, et, au sein de celles-ci, des unités départementales. À l’échelon infradépartemental, des unités de contrôle regroupent des sections territoriales. Outre-mer, le système est plus simple et plus efficace. Cette organisation risque d’être affectée par la réforme de l’organisation territoriale de l’État, objet de la circulaire prise le 12 juin 2019 par le Premier ministre, mais l’entrée en vigueur de celle-ci a été reportée au début de l’année 2021 en raison de la crise sanitaire.

L’enquête s’est donc concentrée sur la dernière réforme, ce plan Ministère fort, dont le ministre chargé du travail de l’époque, M. Sapin, a pris l’initiative dès 2012. Nous avons donc examiné la manière dont elle a été menée par la DGT, avec l’appui du secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales. Ce plan, qui semblait ambitieux, s’articulait autour de trois leviers de transformation : une réorganisation profonde de l’inspection, un renforcement des objectifs et des outils de contrôle et un accompagnement de la réforme au plan des ressources humaines. Cette réforme s’est engagée très vite, avec des mesures conçues dès 2013 et 2014, avec de premières implications en termes de ressources humaines dès 2013. La réorganisation est entrée en vigueur en 2015. Les derniers textes  dont un code de déontologie à valeur réglementaire  ont été pris en 2016 et 2017.

Aucun bilan de cette réforme n’a cependant été fait, que ce soit du point de vue des ressources humaines, de l’activité ou des coûts ; cela nous a paru curieux. Pour notre part, nous avons simplement estimé le coût de la transformation des contrôleurs en inspecteurs à un montant compris entre 25 et 27 millions d’euros.

Notre appréciation générale est que des progrès notables sont intervenus mais qu’il est difficile de réformer ce système, en développement continu. Deux volets sont encourageants : la réorganisation de l’inspection n’est pas achevée mais elle est largement engagée, et le renforcement des objectifs et des outils de contrôle a bien été mis en œuvre. Certains compromis dans la conception et dans la mise en œuvre des mesures ont retardé l’atteinte des objectifs. Il nous paraît nécessaire de corriger les défauts qui persistent pour parachever la réforme.

Le point faible, que nous avons repéré rapidement, ce sont les ressources humaines, avec un accompagnement insuffisant. Plus généralement, des lacunes persistent dans la gestion de ces ressources, que ce soit au plan du régime indemnitaire, des carrières ou de la hiérarchie. Il nous paraît nécessaire d’accélérer la conduite de ce chantier des ressources humaines et de remobiliser les acteurs de l’inspection du travail.

Le premier volet que nous avons examiné est donc la réorganisation de l’inspection du travail. Quoiqu’elle soit très bien engagée, il nous paraît nécessaire de l’affermir et de la mener à son terme. Parmi les points positifs, nous avons relevé le travail plus collectif et mieux coordonné du système de l’inspection, des unités de contrôle créées au plan national et régional, au-dessus des sections de contrôle, pouvant en outre apporter un appui aux unités locales. Nous avons également relevé une amélioration de la lutte contre les infractions complexes grâce aux équipes régionales spécialisées dans la lutte contre le travail illégal et grâce à un meilleur cadrage de l’action de l’inspection. Un code de déontologie à valeur réglementaire a ainsi été adopté en 2017.

Les difficultés qu’il est nécessaire de surmonter tiennent au réseau d’encadrement de proximité, puisque chacune des unités de contrôle a été dotée d’un responsable, et que l’assise hiérarchique de ces responsables paraît parfois assez faible. En outre, les sections de contrôle ont été conservées, ce qui ne nous paraît pas le plus approprié. La fusion, en 2009, à l’occasion de la révision générale des politiques publiques (RGPP), des services d’inspection de l’agriculture et des transports avec le régime général de l’inspection du travail a, pour sa part, affaibli les contrôles dans ces deux secteurs, affaiblissement qui n’a pas pu être pleinement corrigé jusqu’à présent.

La dernière difficulté tient aux incertitudes qui demeurent quant à la réforme territoriale et suscitent une certaine appréhension chez les agents. Cette réforme pose deux questions majeures : comment maintenir la ligne hiérarchique spécifique de l’inspection, dont le principe est protégé, et que va devenir l’inspection dans les directions départementales interministérielles ?

Une difficulté particulière de la réorganisation tient au fonctionnement des sections de contrôle. Avant la réforme, le dispositif était constitué de la DIRECCTE et des unités territoriales, composées, en général, d’un inspecteur, d’un ou deux contrôleurs et d’une ou deux secrétaires. Cette organisation se déclinait sur l’ensemble du territoire. Après la réforme, des unités départementales ont été constituées, composées d’unités de contrôle, au sein desquelles les sections de contrôle ont été conservées. Théoriquement, chaque section compte un agent de contrôle, mais le taux de vacance est extrêmement élevé, puisqu’en 2019 10 % d’entre elles n’étaient pas pourvues. La réorganisation n'est ainsi pas allée à son terme. Tout cela s’inscrit dans une gestion territoriale assez compliquée, l’objectif étant d’avoir au moins un inspecteur pour 10 000 salariés. Selon une logique finalement assez budgétaire, des sections sont régulièrement supprimées. On se retrouve ainsi avec des unités de contrôle comptant moins de sections, mais pas moins d’agents.

Pour ce premier volet, nous formulons trois recommandations qu’il nous paraît nécessaire de mettre en œuvre rapidement. La première est de conforter l’autorité hiérarchique du responsable d’unité de contrôle. Il nous paraît également nécessaire d’aller jusqu’au bout de la réforme telle qu’elle avait été conçue, en supprimant l’organisation en sections. Nous retirons de nos échanges avec le ministère que cela serait assez compliqué ; il conviendrait, du moins, d’expérimenter des modes d’organisation alternatifs. Il nous paraît nécessaire, aussi, de renforcer la spécialisation des équipes et des agents de contrôle et de développer l’interdisciplinarité, avec des unités spécialisées.

Le deuxième volet de la réforme est le renforcement de la politique de contrôle. Ce renforcement a eu lieu, il a permis plus d’efficacité, mais il faut le poursuivre.

Tout d’abord, des priorités nationales de contrôle ont été fixées, renforcées par la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance.

Le deuxième élément de renforcement a concerné les pouvoirs de sanction, notamment administrative, renforcés par l’ordonnance du 7 avril 2016 relative au contrôle de l’application du droit de travail.

Enfin, le système d’information a été modernisé, avec le déploiement d’une nouvelle application, WIKI’T.

Ces évolutions vont dans le bon sens mais leurs effets demeurent insuffisants. Ainsi, le redressement du nombre de contrôles a permis d’atteindre les objectifs annuels, mais les pouvoirs de sanction, particulièrement les sanctions administratives, ne sont pas suffisamment assimilés par les agents, et les priorités nationales de contrôle sont parfois contredites ou contestées. Une autre faiblesse est l’absence de démarche de cotation des risques en amont, de façon systématique. L’évaluation de l’impact des contrôles demeure, pour sa part, embryonnaire, alors qu’elle permettrait de connaître la qualité de l’application du droit du travail. Enfin, il a été difficile de faire admettre le système d’information WIKI’T, qui nous paraît encore inadapté et est souvent mal perçu par les agents.

Une illustration de ce renforcement du contrôle nous est donnée par le très faible recours à des sanctions administratives. Celles-ci représentent effectivement moins de 1 % des sanctions, l’essentiel des contrôles aboutissant à des lettres d’observations. Il est également très rare que des procédures pénales soient engagées. Heureusement, au regard des conséquences économiques qu’ils ont, c’est aussi le cas des arrêts d’activité.

Le deuxième volet nous amène à trois recommandations : la première serait de fixer des objectifs de contrôle mieux adaptés au terrain, pas seulement dictés d’en haut, plus qualitatifs et construits en se fondant sur une meilleure cotation des risques. Une des particularités du système est en outre l’absence de méthodes ou d’outils de mesure de l’impact réel des inspections, alors que de telles mesures ont cours en matière de fiscalité ou de droit de la concurrence. Enfin, le système d’information est en cours d’évolution. Il paraît nécessaire de le transformer en un système d’aide à la décision et de management.

Le dernier volet de la réforme en constitue le point faible : la politique des ressources humaines. L’accompagnement de la réforme a été insuffisant, et, si le nombre d’agents de l’inspection du travail n’a pas connu de baisse substantielle, le nombre d’agents affectés au contrôle a diminué. Voyez déjà l’écart en 2018 : 1 898 agents affectés au contrôle sur un effectif de 3 700 !

Le plan de transformation des contrôleurs en inspecteurs du travail était très ambitieux et très avantageux – nous en avons estimé le coût –, mais, quand des contrôleurs sont transformés en inspecteurs en quelques mois de formation, il leur est difficile de prendre la pleine mesure de leur nouvelle fonction. L’outil indemnitaire n’a pas été utilisé à bon escient à l’appui de la réforme. La formation initiale des inspecteurs et la montée en compétences des agents sur les nouveaux postes à responsabilité ont été laissées de côté. Les nouveaux responsables d’unités de contrôle n’ont pas été formés au management. Quant à la formation initiale, l’école de l’inspection du travail – l’Institut national du travail de lemploi et de la formation professionnelle (INTEFP) – a été l’objet, au début de cette année, d’un référé de la Cour des comptes.

Il nous paraît donc important d’accélérer le chantier des ressources humaines. Des pistes de modernisation du recrutement, de la formation initiale et des carrières restent à concrétiser pour que l’inspection devienne plus attractive. Nous ne l’avons pas mentionné dans le rapport, mais, chaque année, le concours attire de moins en moins de candidats.

L’articulation entre la DGT et le secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales est à améliorer ; ces deux structures sont souvent en désaccord dans la gestion des ressources humaines. L’Institut national du travail de lemploi et de la formation professionnelle est à refonder, mais, précisément, il est désormais doté d’un nouveau directeur et d’une nouvelle stratégie, et nous avons pu constater son efficacité, avec la production de nombreux documents, dans le contexte de la pandémie de covid-19. Enfin, les contrôleurs du travail qui n’ont pas réussi à devenir inspecteurs ne sauraient être intégrés d’office dans le corps des inspecteurs – ce serait extrêmement contre-productif Il convient, plutôt, de leur trouver des débouchés dans la filière administrative.

De 2014 à 2018, la baisse des effectifs des corps inspectants n’est pas massive : 13 %. On voit bien, en revanche, l’effet de la transformation du corps des contrôleurs en inspecteurs : le nombre d’inspecteurs passe de 855 à près de 1 500. Le nombre de contrôleurs chute ; quoiqu’il en demeure 414 en 2018, c’est, aujourd’hui, un corps en extinction. Le total des agents chargés du contrôle chute assez nettement, passant de 2 031 à 1 898. Comment l’expliquer ? Ces contrôleurs qu’il faut transformer en inspecteurs sont, pendant plusieurs mois, inspecteurs stagiaires. Quant aux responsables d’unité de contrôle, nous avons relevé, à regret, qu’ils n’exercent, la plupart du temps, pas d’activité de contrôle réel, ce qui pose des questions en termes de management, de pratique et de légitimité.

Voilà pourquoi nous proposons quatre recommandations au sujet de la politique de ressources humaines : renforcer la part de l’effectif affectée aux missions de contrôle, ce pour quoi nous proposons notamment la création d’une plateforme nationale de renseignement, l’allègement d’un certain nombre de missions et la réduction d’un certain nombre d’activités annexes ; améliorer la coordination de l’administration centrale en matière de gestion des ressources humaines, pour éviter certains dysfonctionnements tels des promotions en toute fin de carrière, pour satisfaire sans nécessité certains intérêts syndicaux ; bâtir un véritable plan de formation continue, en élargissant le corps des formateurs, trop souvent des pairs ; exclure l’intégration en dehors des conditions initialement prévues des contrôleurs du travail dans le corps des inspecteurs.

Nous rappelons enfin, dans notre rapport, les recommandations que nous avions pu faire dans le cadre du référé relatif à l’INTEFP.

M. le président Éric Woerth. Je vous remercie, M. Terrien, même si un constat d’échec ou de semi-échec, puisque vous présentez aussi les avancées de cette réforme est toujours un peu décourageant.

Vous évoquez dans votre rapport des foyers d’opposition dans certains départements. Pouvez-vous nous en dire plus sur les formes de cette opposition, ses raisons et ses conséquences ?

Par ailleurs, même si cela n’entre pas tout à fait dans le champ de votre enquête, avez-vous une idée du nombre de décisions des inspecteurs du travail qui se trouvent réformées par la DGT ? Ce serait un indice quant à la qualité du travail. Enfin, ne pourrait-on voir dans le faible recours aux sanctions administratives l’indice d’un fonctionnement finalement plutôt correct du monde du travail ?

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général. Monsieur le président, votre travail nous présente un exemple très concret de la difficulté de la transformation publique.

La lecture de votre rapport donne le sentiment d’un grand paradoxe, voire d’un grand gâchis. Alors que la transformation des contrôleurs en inspecteurs peut se passer de manière satisfaisante, les effectifs diminuent et se pose même, dans certains départements, un vrai problème d’attractivité. On peut y lire un constat d’échec. Comment promouvoir l’attractivité de ce métier d’inspecteur, dont la crise actuelle ne fait que souligner l’utilité ?

Vous avez parlé du concours. Vous avez parlé de l’école de formation aussi. Concrètement, que peut-on faire de mieux ? Vous avez déploré que l’outil indemnitaire n’ait pas été mobilisé dans le plan de transformation. Cela peut-il être corrigé ? Il faut des réponses très concrètes pour combler les lacunes de la réforme. Quelles solutions susceptibles d’être rapidement mises en œuvre proposeriez-vous ?

Quant au système d’information WIKI’T, inadapté et mal perçu, alors qu’il vise à améliorer la qualité du service et l’organisation interne, combien a-t-il coûté ? Et pourquoi est-il mal perçu ? Est-ce l’outil en lui-même qui pose problème ou le ressenti d’un certain nombre d’agents publics, qui craignent un certain « flicage » ?

Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas. Je remercie M. le président Terrien et ses collègues pour les échanges de qualité que nous avons pu avoir.

Vous faites un bilan assez contrasté de cette réforme, proposez des pistes de réflexion et formulez des recommandations que nous allons examiner. Le rapporteur général a parlé de paradoxe et de gâchis concernant les effectifs ; je le rejoins, mais, pour ma part, puisque vous évoquez la nécessité d’actions de communication interne et externe, je vous interrogerai sur l’image de l’inspection du travail. Quelle est, au juste, l’image de celle-ci, que ce soit aux yeux des inspecteurs eux-mêmes, des salariés, des employeurs ou des autres interlocuteurs publics ou privés ? Et quelles actions de communication auprès de chacun de ces publics la Cour des comptes préconise-t-elle ?

Par ailleurs, l’exception de compétence prévue par le code du travail dans certains secteurs spécifiques est-elle vraiment pertinente ? Existe-t-il – ou devrait-il exister – des liens entre l’inspection du travail du ministère du travail et les trois inspections spécialisées ?

M. Gérard Terrien, président de la cinquième chambre de la Cour des comptes. J’essaierai de répondre à toutes les questions, tout en laissant également le soin de répondre, si vous le permettez, à Axel Vandamme, qui a travaillé sur les objectifs de contrôle, les sanctions et WIKI’T, et à Florence Legrand, qui a travaillé sur les ressources humaines.

Monsieur le président, l’opposition à la réforme dans certains départements a essentiellement consisté, au départ, en une contestation des unités de contrôle. C’est d’ailleurs pour cette raison que les sections de contrôle, qui préexistaient, ont subsisté. Ont ensuite été contestés la fonction de responsable d’unité de contrôle et son autorité hiérarchique ainsi que les objectifs de contrôle nationaux et leur place croissante dans l’activité de l’inspection.

Cela s’est traduit par des comportements hostiles, notamment à l’égard des responsables hiérarchiques : boycott de réunions, refus de transférer des messages... Des personnels ont aussi refusé de participer à des travaux collectifs dans le cadre de l’unité de contrôle. Autre manifestation de mécontentement, certains ne saisissaient pas les données d’activité dans WIKI’T, ou le faisaient incomplètement. La situation s’est cependant progressivement améliorée. Pourquoi ces problèmes ? Les responsables d’unité de contrôle n’ont pas été outillés de moyens de management, face à des collègues dont ils devenaient tout à coup les supérieurs. Ils n’ont en outre pas toujours été soutenus par la hiérarchie en cas de conflit. Enfin, ils ne disposent pas d’outils très fins ni très incitatifs pour l’évaluation de l’activité de leurs collègues, notamment pas d’outils indemnitaires.

À l’échelon central, les difficultés ont tenu aux divergences d’appréciation entre la DGT et le secrétariat général. Cela a pu causer quelques ratés et incompréhensions.

Aujourd’hui, des agents continuent à ne pas adhérer pleinement à la réforme, mais les foyers d’opposition frontale sont marginaux. L’administration centrale paraît bien plus déterminée à faire preuve de fermeté. L’opposition à la réforme régresse donc fortement, mais l’une des difficultés est que la prochaine réorganisation territoriale de l’État risque de susciter de nouveaux foyers de tension.

La baisse des contrôles en matière de transports et d’agriculture à la suite de la fusion des services a pu s’expliquer par la réduction des effectifs et une perte en compétences, particulièrement en matière de transports. De ce point de vue, les sections spécialisées ont leur pertinence.

Les amendes administratives sont prononcées par les directeurs des DIRECCTE, sur proposition motivée des agents de contrôle et après instruction complémentaire par les services régionaux – elles ne sont donc pas infligées au hasard. Elles ont augmenté de 2017 à 2018, comme il est normal dans le cadre d’un nouveau système. En 2018, le montant global des amendes s’est élevé à un peu moins de 9 millions d’euros, tandis que celui des amendes infligées par l’inspection du travail espagnole s’élevait à 30 millions d’euros ; ce n’est tout de même pas le même ordre de grandeur. Voyez également les amendes infligées par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) : 20 millions d’euros en 2018. Les sanctions administratives nous paraissent pourtant un outil important, et, si les agents s’appropriaient mieux leurs fonctions, cela permettrait d’atteindre des montants d’amende un peu plus homogènes sur le territoire. Actuellement, les écarts sont très importants il faut d’ailleurs que la direction générale du travail analyse ces disparités, car les entreprises ne doivent pas être traitées différemment selon qu’elles sont établies dans une région ou une autre.

Il serait important d’ouvrir le corps des inspecteurs du travail  l’un des rares corps d’inspection qui n’accueille personne venant d’un autre corps  à des agents en détachement ; cela requiert une modification législative du code du travail. On pourrait aussi élaborer des passerelles vers d’autres corps pour les inspecteurs du travail.

Quant à la refondation de la formation initiale des inspecteurs du travail à l’INTEFP, nous avons bien souligné qu’ils devraient être formés non pas seulement par des pairs mais aussi par des agents d’autres ministères et par des personnes issues d’autres environnements professionnels et du monde universitaire. Il faudrait plus de partenariats avec des écoles et des universités et une ouverture sur le monde économique ; pour un inspecteur du travail en formation, il n’y a quasiment pas d’immersion en entreprise. Il en va autrement dans la formation des inspecteurs des finances publiques.

En matière d’attractivité, il importe effectivement de redorer l’image de l’inspection du travail. Les inspecteurs ont ressenti un déclassement du fait de la réforme et un appauvrissement de l’intérêt de leur travail, puisque ces généralistes ont été invités à se spécialiser. En outre, l’environnement devient très complexe.

Dans les entreprises, les salariés, pour peu qu’ils soient informés, voient l’inspection du travail comme un recours indispensable en cas de difficulté. Tous ne sont pas dans ce cas, particulièrement dans les services à la personne.

Même si nous en citons une dans notre rapport, nous connaissons très peu d’analyses de l’image de l’inspection auprès des entreprises. Les grandes entreprises, aux services des ressources humaines bien structurés, peuvent avoir des relations parfaitement rodées avec l’inspection du travail. En revanche, dans les très petites entreprises (TPE), l’image de l’inspection diffère sensiblement d’un secteur à un autre : contrainte ou conseil...

Il est nécessaire qu’une action importante de communication interne soit menée pour restaurer la fierté d’être inspecteur et doter d’un sentiment d’appartenance un corps éclaté sur le territoire, dont les membres ont des quotidiens professionnels très différents. Quant aux actions de communication externe, elles doivent viser à améliorer l’attractivité de la fonction et l’information du public, par exemple par une présence plus marquée sur les réseaux sociaux. Une action importante en direction des jeunes et des universitaires permettrait d’augmenter le nombre et la qualité des candidats au concours, ainsi que leur connaissance de la nature réelle du métier

J’en viens à l’exception de compétence dans les trois secteurs de l’industrie électrique, des mines et carrières et des établissements relevant du ministère de la défense. Des agents spécialisés en sont chargés : dans les mines et carrières et les centrales hydroélectriques, ce sont des agents des directions régionales de lenvironnement, de laménagement et du logement (DREAL) ; dans les centrales nucléaires, ce sont des agents de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ; dans les entreprises de défense, ce sont les agents de l’inspection du travail dans les armées. Ces exceptions se justifient par un degré de technicité et de confidentialité extrêmement élevé des champs concernés. Nous sommes tout à fait conscients du fait que, si l’inspection du travail parvenait à mieux se spécialiser et travailler dans des environnements extrêmement pointus, avec des personnels extrêmement compétents, cette exception pourrait ne plus trouver à s’appliquer qu’aux activités couvertes par le secret de la défense nationale. Ce serait d’ailleurs une forme d’ouverture de l’inspection.

Quant aux effectifs, nous ne proposons pas du tout d’accroître les effectifs globaux. Nous proposons seulement d’élever la proportion de ceux affectés au contrôle. Pour y contribuer, la mise en place d’une plateforme téléphonique nationale unique, éventuellement avec des relais régionaux, pour renseigner tous les salariés nous paraît envisageable, et permettrait d’affecter au contrôle une partie des 425 ETP actuellement affectés aux services dédiés au renseignement en région. En outre, la fin de la transformation des emplois se traduira par la fin des formations. Actuellement, le nombre d’inspecteurs stagiaires est chaque année de 250. Ce sont autant d’inspecteurs qui pourront être de nouveau sur le terrain, pour effectuer le contrôle des entreprises. Enfin, les responsables d’unités de contrôle pourraient consacrer 20 % de leur temps au contrôle, par exemple en coordonnant des contrôles un peu lourds et en animant des équipes.

L’application WIKI’T ne coûte pas excessivement cher, contrairement à ces grands projets informatiques de l’État à propos desquels la Cour doit rendre un rapport dans quelques mois. Son coût est de l’ordre d’un à 2 millions d’euros par an – 11 millions d’euros depuis douze ans. Une dizaine d’agents de la DGT sont en outre mobilisés, avec la direction des systèmes informatiques du ministère, sur la conception du prochain outil. La maintenance est assurée par une société privée.

La faible ergonomie de l’outil entraîne un coût d’entrée important. Les infrastructures sont fragiles, le réseau est lent et on ne peut se connecter à WIKI’T sans être raccordé au réseau ministériel. Des connexions trop nombreuses entraînent des coupures – c’est arrivé pendant la crise du covid-19. La faible ergonomie est aussi source d’erreurs de saisie et d’une mauvaise qualité de l’information saisie, et elle contraint à passer un temps additionnel important pour renseigner l’application, pour ne rien dire de la lassitude que suscitent cette forme de contrainte et l’impression d’une sorte de surveillance. La résistance à l’outil est à la fois technique et psychologique. L’outil qui remplacera WIKI’T est en cours de développement. Le cahier des charges n’est pas encore arrêté mais les deux priorités de la DGT sont l’ergonomie et la mobilité.

M. Axel Vandamme, rapporteur extérieur. En ce qui concerne les décisions prises, le travail de l’inspection du travail repose sur un principe dindépendance, consacré par l’article 6 de la convention n° 81 du 11 juillet 1947 de l’Organisation internationale du travail. L’agent de contrôle est totalement libre de décider d’intervenir dans l’entreprise et d’orienter sa décision dans un sens ou dans l’autre. La hiérarchie n’a pas à revenir sur la décision qu’il prend. Ce principe d’indépendance a été consacré tant par le Conseil constitutionnel que par le Conseil d’État. Cela ne fait certes pas obstacle, comme l’a jugé ce dernier dans un arrêt rendu le 30 décembre 2018, à une coordination de l’action par la fixation de priorités ou la définition de champs d’intervention particuliers, mais, sauf exception, la hiérarchie n’a pas vocation à revenir sur une décision. D’ailleurs, il n’existe pas de statistiques annuelles relatives à un taux de rectification des décisions des inspecteurs.

En revanche, nous pouvons vous indiquer que l’organe interne chargé de veiller au respect de cette indépendance, le Conseil national de l’inspection du travail, est saisi entre deux et six fois par an. En 2017, six saisines ont été enregistrées, et un avis a été rendu. L’autonomie est donc respectée.

M. le président Éric Woerth. En pratique, je crois quand même que, malgré le principe d’indépendance, beaucoup de décisions sont modifiées, évidemment avec l’accord de l’inspecteur, ou au terme d’une forme de recours hiérarchique – donc par la DGT.

M. Jean-Louis Bricout. Cela a été rappelé, les réformes se sont enchaînées, avec un plan de modernisation et de développement entre 2005 et 2010 et un plan Ministère fort depuis 2015. Au cours de la même période, le ministère n’a pas échappé aux coupes budgétaires. Le rapport de la Cour des comptes déplore d’ailleurs une politique des ressources humaines insuffisante au regard des évolutions structurelles, avec une baisse des effectifs de 9 % entre 2014 et 2018. Ne faudrait-il pas convenir du fait qu’il n’est pas raisonnable d’engager une réforme qui s’inscrit dans la durée sans visibilité sur les engagements ? Certes, comme le dit le rapporteur général, il est difficile de réformer, mais cela ne saurait de toute façon être envisagé sans stabilité.

Parmi les avancées, vous relevez une organisation plus collective, une meilleure spécialisation et formalisation des missions. En revanche, vous notez des faiblesses sur le volet territorial, un manque de moyens humains et des vacances de postes, particulièrement dans les territoires les moins attractifs. Pensez-vous qu’une politique de décentralisation des services serait souhaitable, notamment dans l’activité de contrôle ?

J’espère en tout cas que les préconisations de votre rapport pourront, dans ce contexte de crise qui risque de perdurer, trouver quelque écho. Nul doute que l’inspection du travail jouera un rôle essentiel en matière de prévention et de contrôle. D’ailleurs, quelles sont, à vos propres yeux, vos recommandations les plus essentielles pour aborder les jours d’après ?

Enfin, quel impact le télétravail pourrait-il avoir sur l’activité de l’inspection du travail ? Et quel regard portez-vous sur les dernières mises à pied intervenues dans les services ?

M. Bruno Duvergé. Le groupe MODEM et apparentés salue le travail de la Cour des comptes. Nous nous félicitons d’apprendre que l’inspection du travail continue son évolution, et qu’elle permet ainsi de protéger plus efficacement les salariés et les entreprises. Nous prenons note des difficultés soulevées par le rapport et souhaitons réfléchir, en lien avec le Gouvernement, aux moyens d’y remédier, notamment en ce qui concerne l’appropriation du changement par les agents de contrôle et, plus largement, la politique de ressources humaines.

Ma première question portait sur l’attractivité de la fonction, la motivation des agents et leur manque d’expérience du monde de l’entreprise – mais vous y avez déjà largement répondu... Ma deuxième question s’inscrit dans une perspective plus large : ne pensez-vous pas qu’il est temps de créer un vrai service de conseil aux salariés et aux entreprises pour les accompagner dans la mise en œuvre du droit du travail ? Des entreprises de ma circonscription qui ont demandé conseil se sont vu infliger un contrôle approfondi préalablement au conseil ! Voilà qui n’incite guère à solliciter la DIRECCTE...

Mme Véronique Louwagie. Notre collègue Marie-Christine Dalloz ne pouvant rejoindre notre réunion en visioconférence, je m’exprime en son nom.

Premier constat, le bilan fait par la Cour est inquiétant, et le fait que le ministère n’ait, lui, fait aucun bilan de cette réforme relativement importante est troublant et regrettable.

Vous proposez de substituer à l’organisation par sections une organisation reposant sur des unités spécialisées, mais la substitution n’est-elle pas purement formelle ?

Par ailleurs, le système d’information est-il organisé par région ou au niveau national ? Avez-vous pu en évaluer le coût et quelle a été l’évolution de celui-ci ?

M. Charles de Courson. Vous faites de la transformation des contrôleurs en inspecteurs du travail un bilan plutôt critique, puisque vous appelez à « exclure toute intégration des contrôleurs du travail dans le corps des inspecteurs, en dehors des conditions initialement prévues ». Or le nombre de contrôleurs est passé de 1 200 à 400 et celui des inspecteurs est passé de 855 à 1 500 entre 2014 et 2018. Cette évolution n’a-t-elle pas contribué à une certaine dévaluation du métier ?

Par ailleurs, ne faudrait-il pas revenir sur l’intégration des inspections spécialisées dans certains domaines très particuliers ? Les inspections spécialisées de l’agriculture et des transports ont été intégrées à l’inspection du ministère du travail, mais il s’en est suivi, dans le secteur de l’agriculture, une division par deux du nombre de contrôles ! Et puis certains secteurs sont très particuliers, tels les transports aériens, avec le problème du low cost.

Mme Sabine Rubin. Le rapport souligne la diminution du nombre de contrôles et de l’effectif des contrôleurs, alors même que la crise met en relief le rôle clé de l’inspection du travail. Combien d’embauches seraient, selon vous, nécessaires pour améliorer l’efficacité du service de contrôle ?

D’autre part, de nombreux manquements au code du travail ont pu être constatés avec la crise du covid-19, qui touchent à la santé des salariés. Je me fais là le relais de l’inquiétude des agents face à une communication ministérielle qui tend à négliger les droits des salariés en matière sanitaire. La possibilité darrêts administratifs d’activité, comme pour l’exposition à l’amiante ou aux risques chimiques peut en entraîner, est-elle envisageable ?

M. Jean-Paul Dufrègne. Les enjeux de l’organisation de l’inspection du travail sont essentiels, et les objectifs ambitieux de la transformation ont déjà été mentionnés.

Les fonctions de contrôleur et d’inspecteur évoluent en permanence, au gré de l’évolution de la société, des entreprises et des législations. Les moyens tant financiers qu’humains et les outils alloués à l’inspection du travail lui permettent-ils de remplir cette mission essentielle ? Ou bien les activités de l’inspection pâtiront-elles de la rigueur budgétaire ? Une diminution de 13 % des effectifs en quatre ans, ce n’est pas rien, monsieur le président Terrien !

Quant aux lettres d’observations, qui forment 90 % du contingent des sanctions, à quel suivi donnent-elles lieu ?

M. Jean-Noël Barrot. Dans la situation actuelle, l’activité de l’inspection du travail se trouvera affectée par la généralisation du télétravail et la massification du chômage partiel. De quelle manière l’inspection du travail, au cours de la période que vous avez étudiée, participait-elle à des contrôles du recours à l’activité partielle ? Et avez-vous identifié en la matière des difficultés ou des motifs de satisfaction ?

M. Gérard Terrien, président de la cinquième chambre de la Cour des comptes. L’une des fragilités de la mise en œuvre de cette réforme tient à tous les facteurs qui peuvent la priver de ses effets. Une réforme de cette nature ne peut pas produire tous ses effets en moins de cinq à dix ans. Cela implique donc, pendant cinq à dix ans, de s’abstenir de trop modifier l’écosystème : il faut imaginer une réforme à organisation constante. L’une des difficultés actuelles tient donc à la réforme de l’organisation territoriale de l’État au niveau départemental.

Il ne m’est pas possible de m’exprimer sur la situation actuelle, les mises à pied... Ces questions relèvent de l’appréciation du ministère.

Durant la crise sanitaire, la DGT a donné un grand nombre d’instructions et les interventions ont été nombreuses. Je pense que l’inspection du travail a su faire face pour veiller à la mise en œuvre des mesures de précaution sanitaires pendant la crise ; nous l’avons vu avec Amazon. Son rôle a été réel et actif.

La baisse des effectifs concerne plutôt les effectifs contrôlants, mais si nous visons le ratio d’un agent de contrôle pour 10 000 salariés, standard retenu par l’OIT et presque toutes les autres organisations, et si les agents contrôleurs sont au nombre de 3 675, le nombre potentiel de salariés couverts serait de 37 millions. Il est donc clair que le problème tient non pas à l’effectif global mais à l’effectif affecté aux missions de contrôle.

L’impact du télétravail dans les entreprises sur les missions de l’inspection ne peut pas être mesuré pour l’instant. Jusqu’à présent, c’était une activité peu développée, surtout une activité de cadre. S’il se généralise, il est certain qu’il faudra réorganiser la logique de l’inspection : on ne contrôle pas un télétravailleur comme on contrôle un travailleur, c’est évident.

Quant à l’activité partielle, le passé ne peut guère nous éclairer. En 2019, les volumes d’activité partielle étaient faibles, nous l’avons souligné dans notre Note d’analyse de l’exécution budgétaire de la mission Travail et emploi.

Il est certain que l’absence d’un bilan de la réforme réalisé par le ministère est une faiblesse. Le ministère peut cependant toujours en faire un.

La suppression de sections et la création d’unités spécialisées ne sont pas du tout la même chose. La suppression de sections se passe à l’intérieur d’une unité de contrôle ; ce découpage très fin à l’intérieur de l’unité de contrôle n’a plus beaucoup de sens. L’idée des unités spécialisées, c’est d’en créer au niveau départemental ou régional, sur des thématiques précises telles que l’amiante ou les transporteurs aériens internationaux. Les équipes doivent avoir le format et la formation nécessaires.

WIKI’T est une application nationale, quoiqu’elle soit, bien sûr, déclinée au plan local. Comme je l’ai dit, son coût n’est que d’une dizaine de millions d’euros sur une dizaine d’années.

La transformation des contrôleurs en inspecteurs est une décision des pouvoirs publics, qui procède de l’idée qu’il n’y a pas de réorganisation possible si les agents n’y trouvent pas un avantage. Cela me paraît assez simple : il fallait qu’ils y trouvent leur compte, particulièrement l’important corps des contrôleurs. Cela n’a pas forcément dévalorisé le métier, mais il est certain que les fonctions des contrôleurs s’exerçaient sur de toutes petites entreprises et sur le secteur agricole. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, puisqu’ils sont devenus inspecteurs, et leur formation a été un peu rapide. On ne transforme pas, simplement parce qu’il a été soumis à quelques examens professionnels, un agent de la catégorie B en agent de la catégorie A – du moins en termes de conception de sa propre activité.

L’intégration des inspections de l’agriculture et des transports est bien antérieure à la réforme. Elle date de 2009. Nous proposons de conserver les contrôles en matière d’agriculture et de transports, mais des arbitrages plus précis de la DGT dans ces deux secteurs sont nécessaires. Des agents de contrôle doivent y être affectés, des priorités de contrôle doivent être établies, avec une spécialisation plus grande des agents. Il faut des unités de contrôle spécialisées dédiées à ces secteurs et la politique de ressources humaines doit valoriser ce type d’expérience et ce type d’expertise.

L’attractivité de ce corps, globalement, est faible. Une meilleure connaissance du monde de l’entreprise nous paraît s’imposer. Nous avons été extrêmement surpris que les stages en entreprise soient si courts. Les membres de l’inspection du travail ne connaissent pas l’entreprise de l’intérieur, alors que les inspecteurs des finances publiques, eux, font des stages en ce sens.

L’équilibre entre conseil et contrôle relève de logiques nationales, mais il faut bien reconnaître que le code du travail est d’une extrême complexité. Il faut un équilibre, et il est certain que l’on est dissuadé de demander conseil si une demande de conseil entraîne systématiquement un contrôle.

Mme Florence Legrand, conseillère référendaire. Le président Terrien a évoqué l’image, l’attractivité et la visibilité ; beaucoup d’actions de communication doivent effectivement être menées, mais il importe également de bâtir de vrais parcours professionnels. Le ministère du travail s’est contenté de transformer les contrôleurs en inspecteurs, et les outils d’accompagnement du changement en matière de ressources humaines ont été laissés de côté, malgré les nombreuses préconisations du rapport rendu en 2006 par l’inspection générale des affaires sociales. Les problématiques du métier sont très différentes selon que vous êtes un inspecteur seul dans un territoire rural, le membre d’une équipe qui effectue des contrôles dans le secteur des transports ou un inspecteur qui travaille sur les services à la personne dans une grande métropole. Tout cela doit impérativement et sans tarder être valorisé dans un parcours professionnel aujourd’hui inexistant.

Mme Claudia Rouaux. Quelle est la proportion d’arrêts maladie à l’inspection du travail ?

Mme Florence Legrand, conseillère référendaire. Nous nous sommes intéressés à ces questions, mais les enquêtes menées par le ministère du travail portent sur l’ensemble des agents des ministères sociaux. Il n’existe pas, à ce stade, de données spécifiques pour l’inspection du travail. C’est une réelle limite à laquelle s’est heurtée notre enquête.

M. Axel Vandamme, rapporteur extérieur. Concernant les sanctions et le suivi des lettres d’observation, j’évoquais tout à l’heure le principe d’indépendance mais il importe également de rappeler la possibilité de recours, gracieux, hiérarchiques, etc. Il peut y avoir aussi des contestations plus informelles, prenant la forme de réclamations des usagers du service public de l’inspection du travail, qui sont adressées directement au pôle travail de la DIRECCTE ou à la DGT.

Par ailleurs, l’administration se réserve le droit de sanctionner disciplinairement un agent qui prend des décisions en contradiction avec les règles du code de déontologie, notamment les principes de transparence, d’équilibre, d’égalité de traitement. La hiérarchie peut prendre des décisions en cas de manquement à ce code, mais les cas de manquement sont assez rares : une dizaine de situations chaque année, au maximum.

M. le président Éric Woerth. Je vous remercie.

Au fond, on peut regretter que des processus de transformation que l’on pourrait croire relativement simples, en ce qu’ils concernent un nombre réduit d’agents, se révèlent aussi difficiles à mener.


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Informations relatives à la commission

La commission a désigné M. Loïc Prud’homme rapporteur de la proposition de loi visant à préciser le champ d’application des arrêtés de catastrophe naturelle et leur financement (n° 2893).

 

 

 


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

 

Réunion du mercredi 20 mai 2020 à 9 heures

 

Présents. - M. Jean-Noël Barrot, Mme Émilie Bonnivard, M. Jean-Louis Bricout, M. Fabrice Brun, M. Jean-René Cazeneuve, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Damaisin, M. Jean-Paul Dufrègne, M. Bruno Duvergé, M. Nicolas Forissier, M. Joël Giraud, Mme Nadia Hai, M. Daniel Labaronne, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Véronique Louwagie, Mme Marie-Ange Magne, M. Jean-Paul Mattei, Mme Cendra Motin, Mme Catherine Osson, M. Hervé Pellois, M. François Pupponi, M. Robin Reda, M. Xavier Roseren, Mme Claudia Rouaux, M. Laurent Saint-Martin, M. Jacques Savatier, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Damien Abad, M. Saïd Ahamada, M. David Habib, M. Marc Le Fur, Mme Valérie Rabault, M. Olivier Serva

Assistait également à la réunion. - Mme Sabine Rubin