Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

  Audition de M. Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, sur le rapport d’enquête réalisé par la Cour des comptes, en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, sur les moyens de la lutte contre le terrorisme (exercices 2015-2019)               2

–  Présentation par M. Hervé Pellois d’une communication sur la prévention des aléas et la gestion des risques dans le secteur agricole              18

–  Information relative à la Commission................24

–  Présences en réunion...........................25

 


Mercredi
15 juillet 2020

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 86

session extraordinaire 2020

 

 

Présidence de

 

M. Daniel Labaronne,

Vice-président

 


  1 

La commission entend M. Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, sur le rapport d’enquête réalisé par la Cour des comptes, en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, sur les moyens de la lutte contre le terrorisme (exercices 2015-2019)

 

M. Daniel Labaronne, vice-président. M. Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, vient présenter un rapport, demandé par notre commission en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, relatif aux moyens de la lutte contre le terrorisme pour les exercices 2015 à 2019.

Ce thème d’étude avait été suggéré à la commission par Laurent Saint-Martin, Olivier Gaillard, Patrick Hetzel, Romain Grau et Nadia Hai.

Entre les mois de mars 2012 et de décembre 2018, 49 actes terroristes ont été recensés, entraînant la mort de 281 personnes et faisant plus de 1 000 blessés. En outre, entre 2018 et 2022, 328 personnes condamnées pour des faits de terrorisme islamiste devraient être libérées, ainsi que 2 000 détenus de droit commun radicalisés, tandis que 488 personnes pourraient revenir des zones de combat. En réponse à ces enjeux, une politique interministérielle de lutte contre le terrorisme s’est progressivement structurée, il est particulièrement important de l’évaluer.

M. Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. Le 11 juillet 2019, votre commission a demandé à la Cour des comptes de conduire une enquête sur les moyens consacrés à la lutte contre le terrorisme d’inspiration islamiste, à l’exclusion des autres branches, en consacrant une attention particulière à l’administration pénitentiaire et à la question des détenus radicalisés.

Si certains dispositifs particuliers peuvent encore être renforcés, la Cour estime que l’État s’est doté des moyens nécessaires à la lutte contre le terrorisme, et les a mis en œuvre de façon articulée et cohérente.

Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a structuré ses investigations autour de cinq thématiques : la première est consacrée aux dispositions législatives et réglementaires mises en place depuis 2015 ; la deuxième aux moyens budgétaires et humains dont ont été dotés les services au titre, notamment, des plans de lutte antiterroristes (PLAT) ; la troisième aux actions de prévention et de coercition menées ; la quatrième à la poursuite des auteurs de faits de terrorisme ; la dernière traite des sanctions et du suivi des détenus libérés.

Premier constat, les moyens législatifs et réglementaires ont été considérablement renforcés. Amorcée après les attentats de 1985-1986, la spécialisation de la justice antiterroriste s’est poursuivie, tout en se centralisant tant du point de vue des enquêtes que de l’instruction, avec la création, en juillet 2019, du parquet national antiterroriste et la spécialisation de juges d’instruction du tribunal judiciaire de Paris.

Les magistrats, majoritairement spécialisés et formés, ont été dotés de pouvoirs d’investigation étendus : extension du régime de garde à vue et possibilité de reporter l’accès à un avocat. Les pouvoirs d’enquête de la police judiciaire ont également été renforcés pour permettre le recours à plusieurs techniques spéciales d’enquête, telles que les opérations d’infiltration.

Les peines prévues pour l’infraction d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, dont les contours sont très larges, ont été considérablement alourdies par la loi du 21 juillet 2016.

La loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT, qui a prorogé certaines prérogatives accordées aux autorités administratives dans le cadre de la mise en œuvre de l’état d’urgence, constitue l’évolution la plus marquante du cadre juridique de la lutte contre le terrorisme. Elle conduit à la mise en œuvre de nouvelles mesures de police administrative exceptionnelles, dérogatoires aux conditions juridiques normales de protection des libertés individuelles : mise en place de périmètres de protection ; fermeture des lieux de culte ; mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ; visites domiciliaires. Leur prorogation au-delà du 31 décembre 2020 dépend d’une évaluation par le Parlement. La mission d’évaluation des lois créée par la commission des lois du Sénat a déjà conclu à leur efficacité en mars 2020.

Le plan d’action de 2015 pour lutter contre le financement du terrorisme a amélioré la traçabilité des opérations financières liées aux actes de terrorisme. Il a été complété par un système de régulation des crypto-monnaies en novembre 2019, et d’autres mesures restent à l’étude pour mieux contrôler les éventuels flux de financement du terrorisme.

Le régime de l’usage des armes à feu a été revu pour s’adapter aux tueries de masse et aux périples meurtriers, dont les attentats autour du Bataclan sont un exemple tragique, et pour sécuriser la situation des forces de l’ordre en leur permettant d’intervenir sans équivoque juridique dans ces situations.

Au total, le volet législatif et réglementaire dont s’est dotée la France pour réprimer la préparation, l’exécution ou le financement d’actes terroristes a été régulièrement renforcé depuis 2015. Ce mouvement législatif quasiment continu aboutit à un des régimes répressifs les plus solides et complets d’Europe.

Deuxième constat, les moyens budgétaires et humains des services impliqués ont été renforcés de manière significative. Entre 2015 et 2017, le Gouvernement a lancé six plans de lutte antiterroriste qui ont accru les moyens des ministères de l’intérieur et de la justice. Le ministère de la justice a bénéficié en outre du Plan d’action contre la radicalisation et le terrorisme (PART), adopté en 2017. Pour le ministère de l’intérieur, trois autres plans, adoptés au cours de la période 2015-2017, ne visaient pas spécifiquement le renforcement des moyens alloués à la lutte antiterroriste mais s’inscrivaient dans la même dynamique d’augmentation des effectifs et de rééquipement de la police et de la gendarmerie.

En parallèle, à la suite des attentats de 2015, deux conseils de défense et de sécurité nationale ont inversé la tendance en matière de crédits militaires. Cet effort significatif s’est traduit en 2018 par une atténuation considérable des réductions d’effectifs prévues par la loi de programmation militaire (LPM) en vigueur, puis par une reprise des recrutements nets dans le cadre de la programmation 2019-2025. Ces recrutements supplémentaires ont été principalement consacrés aux moyens et services concourant directement à la lutte antiterroriste.

Ces différentes mesures ont inversé la trajectoire de réduction d’emplois mise en œuvre à la suite de la Révision générale des politiques publiques, pour reprendre une politique de recrutement. Les effectifs de la police et de la gendarmerie se sont ainsi accrus de 5 % entre 2014 et 2017, soit 13 000 personnes. D’ici 2022, environ 7 000 équivalents temps pleins (ETP) supplémentaires devraient être affectés à la police nationale et 2 500 à la gendarmerie, en plus de ceux qui viennent d’être mentionnés, dans le cadre du plan de 10 000 recrutements supplémentaires voulu par le Président de la République.

Au sein du ministère des armées, les réductions d’effectifs ont été atténuées, passant de 33 675 à 4 357 personnes entre 2014 et 2019. La LPM 2019-2025 prévoit 3 000 créations nettes d’emploi, qui devraient bénéficier en priorité aux services et unités directement impliqués dans la lutte contre le terrorisme.

Les moyens ainsi dégagés ont bénéficié plus particulièrement aux services de renseignement des ministères de l’intérieur et des armées, qui ont compté 2 200 emplois supplémentaires, soit une augmentation de l’ordre de 20 %. Les effectifs des unités spécialisées – RAID, GIGN, forces spéciales des armées – ont augmenté dans une proportion identique, soit plus de 1 100 personnes. Les forces terrestres ont également été renforcées et la force opérationnelle terrestre disponible a vu ses effectifs passer de 68 000 soldats à plus de 75 000. L’utilisation des ressources nouvelles a donc été conforme aux souhaits exprimés.

Au ministère de la justice, le recrutement de plus 1 200 personnes supplémentaires a largement bénéficié au service du renseignement pénitentiaire, qui a vu ses effectifs passer de 27 en 2014 à 329 en 2020. Même quand ces nouveaux effectifs n’ont pas été affectés à la lutte antiterroriste, l’allégement des charges pesant sur les services a été bénéfique.

S’agissant des équipements, les Plans anti-terroriste (PLAT) de 2015 et 2016 ont permis de redresser une situation dont nous faisons régulièrement état dans les notes d’exécution budgétaire. Ils ont mis fin à une dégradation spectaculaire des conditions d’équipement des forces de sécurité, représentant un effort budgétaire de près de 800 millions d’euros sur trois ans. Ils ont permis de financer l’achat de fusils d’assaut et de gilets pare-balles et de contribuer au redressement d’une situation dramatiquement compromise. Lors de chaque examen de l’exécution du budget des forces de sécurité publique, la Cour met en garde contre la détérioration de ce financement. La priorité donnée au recrutement et à la revalorisation salariale des forces de police et de gendarmerie a un effet d’éviction sur le matériel, qui s’est manifesté à nouveau en 2017 et va en s’accentuant, puisque les crédits votés en loi de finances initiale pour 2020 sont de 16 % inférieurs aux crédits exécutés en 2019 dans ce domaine.

Au ministère de la justice, les nouveaux crédits n’ont pas permis de corriger la dégradation des conditions d’incarcération alors que des aménagements spéciaux sont nécessaires pour les détenus pour faits de terrorisme ou radicalisés, notamment afin de réaliser des quartiers séparés et des quartiers d’isolement.

S’agissant des armées, les lacunes constatées, notamment en novembre 2016 à l’occasion de la communication à la commission des finances du Sénat relative aux opérations extérieures de la France, n’ont été que très partiellement corrigées. Malgré l’arrivée des avions ravitailleurs ou l’acquisition de systèmes de drones Reaper, la France continue à dépendre de ses alliés pour ses opérations extérieures, notamment en matière de transport aérien et de renseignement ainsi que pour certaines capacités de soutien.

Les moyens affectés à la lutte contre le terrorisme ont bien été augmentés, les effectifs concernés des principaux ministères engagés dans cette lutte ont été renforcés, qu’il s’agisse des services déployés sur le terrain ou des services de renseignement. La vigilance demeure toutefois de mise à propos des crédits d’équipement de ces forces.

Troisième constat : ces moyens ont permis la mise en œuvre de nouvelles stratégies pour identifier de potentiels auteurs d’attentat, prévenir leur passage à l’acte ou y répondre.

À côté des actions visant à juguler la propagande, l’apologie ou le financement du terrorisme, les pouvoirs publics ont développé des actions de prévention destinées à identifier les personnes susceptibles de commettre des actes terroristes ou de se radicaliser, afin de prévenir leur passage à l’acte.

Dans les départements, les groupes d’évaluation départementale (GED) ont été mis en place pour partager l’information entre services concernés et inventorier les personnes radicalisées. L’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) coordonne ces efforts au niveau central et nourrit le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).

Les mesures administratives permises par la loi SILT ont été largement utilisées. Depuis son adoption, 528 périmètres de protection ont été instaurés, 7 lieux de culte fermés, 294 mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance prises, 167 visites domiciliaires et 97 saisies effectuées. Elles ont rarement été invalidées par le juge administratif.

Des politiques de prévention en milieu ouvert ont été mises en place, notamment sous l’égide du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR). Le bilan qu’en dresse la Cour est circonspect.

De nouveaux moyens ont permis de mieux surveiller le territoire : rétablissement des contrôles aux frontières, élargissement de l’usage des données PNR – passenger name record  et opération Sentinelle. Celle-ci a atteint son apogée en 2016, lorsque 7 800 soldats étaient déployés quotidiennement. L’opération a depuis été ramenée à des dimensions plus modestes – 4 000 soldats – pour s’adapter à l’évolution de la menace et alléger la pression que cette opération faisait peser sur les militaires concernés.

Le niveau de coordination entre les forces de sécurité intérieure et l’opération Sentinelle pourrait être amélioré dans le cadre du schéma national d’intervention du ministère de l’intérieur. Les forces de sécurité publique ignorent encore trop souvent le fonctionnement et les limites géographiques et fonctionnelles du dispositif Sentinelle.

Le schéma national d’intervention repose sur les unités d’intervention dites intermédiaires, principalement constituées des brigades anti-criminalité (BAC) de la police et des pelotons de surveillance et dintervention gendarmerie (PSIG) de la gendarmerie, dont le maillage couvre tout le territoire. Elles peuvent intervenir avant l’arrivée des forces d’intervention, RAID et GIGN, elles-mêmes réparties sur le territoire. La Cour a relevé un doublon dans ces affectations. Des rationalisations pourraient être apportées à ce schéma, qui pourrait inclure la sécurité civile et les unités d’enquête spécialisées dans les cas de tueries de masse.

L’engagement des forces françaises dans certaines opérations extérieures est lié à la lutte contre le terrorisme, bien qu’aucune opération extérieure (OPEX) ne soit purement antiterroriste. Dans les nomenclatures du ministère de l’intérieur, au moins deux OPEX majeures – Chammal et Barkhane – relèvent de cette catégorie. Trois opérations de moindre ampleur ont aussi à voir avec la lutte antiterroriste. Il est très difficile d’isoler le volet antiterroriste parmi les objectifs de ces missions. Dans le cas de l’opération Barkhane, la plus lourde, déployée à la demande des cinq États du G5 Sahel, le volet antiterroriste s’accompagne d’une nécessaire montée en puissance des forces locales et de la restauration de la souveraineté des États. Il s’agit d’une mission de stabilisation inscrite dans la durée, dont les objectifs s’étendent bien au-delà de la lutte antiterroriste.

Quatrième constat : les services d’enquête spécialisés et le parquet ont eu à faire face à un nombre croissant d’affaires, pour lesquelles ils ont utilisé les possibilités offertes par la législation.

Les enquêtes sur les faits de terrorisme sont menées par la sous-direction antiterroriste (SDAT) de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). La cosaisine des services d’enquête est systématique : direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ou direction régionale de la police judiciaire (DRPJ) lorsque l’enquête se déroule dans le ressort de la préfecture de police.

À l’apogée de la mobilisation des services de la préfecture de police, la section antiterroriste de la brigade criminelle représentait plus de la moitié de ses effectifs. Les moyens consacrés à ces enquêtes ont été importants, et les procédures se sont multipliées, tant en raison de la commission d’actes terroristes que du fait de la politique consistant à systématiquement poursuivre les individus partis pour la zone irako-syrienne. Depuis 2015, la SDAT a traité 325 affaires et les services territoriaux de la DCPJ en ont traité 1 768, en grande majorité pour faits d’apologie du terrorisme.

La diminution constatée au cours des deux ou trois dernières années du nombre d’affaires nouvelles appelle un rééquilibrage des effectifs et des moyens vers le droit commun, tout en conservant l’expertise acquise et une capacité de remontée en puissance en cas de nouvelle attaque terroriste d’ampleur.

La spécialisation de la justice pour le traitement des faits de terrorisme a été parachevée avec la création du parquet national antiterroriste en juillet 2019, et la création, au sein de la sixième chambre correctionnelle, d’une section spécialisée dans les affaires de terrorisme. Les délais de traitement des dossiers ont été considérablement réduits, ils se comptent en quelques mois pour les affaires de terrorisme les plus simples.

Le durcissement de la politique pénale à partir de janvier 2015 a eu pour effet d’orienter davantage de dossiers vers les cours d’assises, en raison de la criminalisation de l’infraction d’association de malfaiteurs en vue de commettre un acte terroriste. En conséquence, les cours d’assises connaissent une certaine surcharge. Ce durcissement de la politique pénale a entraîné le prononcé de peines de prison souvent supérieures à dix ans. En parallèle, les mesures d’aménagements de peine ont été réduites sur le fondement de la loi du 21 juillet 2016.

Cinquième constat : après des hésitations compréhensibles, la stratégie pour le traitement des détenus pour faits de terrorisme ou radicalisés semble mieux définie. La libération dans les années qui viennent de plus de 2 000 détenus pour faits de terrorisme ou radicalisés, et leur suivi, constituent cependant un défi d’ampleur pour les pouvoirs publics.

Les services de l’administration pénitentiaire ont dû faire face à un nombre croissant de détenus pour faits de terrorisme, d’autant plus complexes à gérer que nombre d’entre eux entendaient faire du prosélytisme. L’administration pénitentiaire a hésité sur la meilleure stratégie à mettre en œuvre pour les 534 détenus pour faits de terrorisme islamique et les 853 détenus de droit commun considérés comme radicalisés : disperser la population concernée avec un risque de prosélytisme accru ou la regrouper au risque de créer des foyers de dangerosité en milieu carcéral.

Elle a d’abord opté pour le regroupement des détenus les plus radicalisés au sein d’unités de prévention du prosélytisme, expérience à laquelle il a été mis fin après l’attaque de deux surveillants par un détenu en septembre 2016, à la maison d’arrêt d’Osny. Elle a alors adopté une stratégie mixte, qui repose sur l’évaluation des détenus pour faits de terrorisme pendant quinze semaines au sein de quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER), avant de décider de leur affectation : soit en détention ordinaire au sein de 79 établissements ciblés, lorsque la radicalisation n’est pas avérée ; soit dans des quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR) pour les détenus considérés comme radicalisés ; soit dans des quartiers d’isolement (QI) pour les profils les plus violents. Pour la mise en œuvre de ce dispositif, 354 places de détention étanches ont été créées : 117 places en QI, 104 en QER et 74 en QPR.

Cette stratégie est trop récente pour être évaluée. Si les 488 individus majeurs faisant l’objet de mandats d’arrêt et actuellement dans la zone irako-syrienne devaient revenir en France, la question des capacités d’accueil de ces personnes en QER et QPR se poserait.

 

La situation des mineurs soulève un conflit de juridictions spécialisées entre la justice des mineurs et la justice antiterroriste, jusqu’ici résolu en faveur de la première. Les possibilités d’incarcération des mineurs ayant participé à des actions violentes, ou de placement en famille d’accueil des autres, sont notoirement insuffisantes.

Enfin, la sortie de prison de 328 détenus condamnés pour faits de terrorisme et de 2 212 détenus radicalisés entre 2018 et 2022 – auxquels il conviendrait d’ajouter ceux qui ont été libérés avant 2017 – constitue un défi pour les services qui seront chargés d’assurer leur suivi dans la durée. Au-delà de leur suivi par l’UCLAT et les GED, les détenus libérés font désormais dans leur quasi-totalité l’objet de mesures de sûreté prononcées par les juges d’application des peines : le suivi post-peine ou la surveillance judiciaire pour les condamnés pour des faits de terrorisme. Les services judiciaires seront mis à rude épreuve pour faire face à cet afflux. La Cour estime que, sur cet aspect de la lutte antiterroriste, les moyens devraient être accrus.

Il n’était pas demandé à la Cour de juger de l’efficacité de cette politique, mais de faire l’inventaire des moyens, d’étudier leur mise en place et leur articulation. Notre conclusion est positive, tant au regard du volume des moyens que de leur affectation aux priorités annoncées et de leur articulation au service de la lutte contre le terrorisme, spécifiquement le terrorisme d’inspiration islamiste.

M. Daniel Labaronne, président. Si vous estimez que, face au risque terroriste islamiste, les moyens mis en œuvre et leur emploi ont été appropriés, sur le plan budgétaire, les moyens alloués à cette politique et ses résultats ne font pas l’objet d’une présentation synthétique et pâtissent d’un défaut de suivi et d’évaluation. Ne conviendrait-il donc pas de retracer chaque année dans un document unique l’intégralité des dépenses liées à la lutte contre le terrorisme ? Et quels indicateurs de performance seraient utiles pour assurer un meilleur suivi de l’efficacité de cette politique ?

Vous avez souligné la nette reprise des recrutements. Les forces de sécurité intérieure et les services de renseignement militaire ont vu leurs plafonds d’emplois rehaussés ces dernières années, mais peinent à les atteindre et à pourvoir tous les emplois ouverts. Comment serait-il possible de favoriser les recrutements par ces services ?

Le Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS) effectue les contrôles préalables aux recrutements dans les services sensibles. De combien d’agents supplémentaires ce service devrait-il disposer pour faire face à l’extension de son champ de compétence aux personnes déjà recrutées ? Quelle serait l’augmentation de budget correspondante ?

Comment s’articule l’action du CIPD, l’organisme interministériel en charge de la prévention de la radicalisation et des actes terroristes, avec l’action des ministères de la justice et de l’intérieur ?

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général. Ce rapport a été demandé par divers groupes politiques : c’est une première qui démontre que l’évaluation des politiques publiques doit être transpartisane, dans le souci d’une meilleure gestion des comptes publics et d’une meilleure autorisation budgétaire à l’Assemblée nationale.

Notre pays est doté d’un arsenal législatif et réglementaire solide pour lutter contre le terrorisme. Malheureusement, comme pour beaucoup de politiques publiques, l’évaluation est déficiente, et le Parlement doit s’en saisir. Vos travaux nous permettront de suivre l’application de vos recommandations.

L’incarcération des individus revenant des zones de combat en QPR vous semble-t-elle adaptée ? Quelles alternatives pourraient être envisagées dans un souci d’efficacité ?

Notre collègue Éric Poulliat a établi un rapport sur la radicalisation au sein des services publics, sujet délicat. 17 agents de l’administration pénitentiaire ont fait l’objet d’une inscription au FSPRT. Vous plaidez pour un renforcement des moyens du SNEAS : de combien d’agents devrait disposer ce service pour faire face à une extension de son champ de compétence aux personnes déjà recrutées, et quel serait l’impact budgétaire d’une telle hausse ?

M. Romain Grau. Je vous remercie pour cette présentation et pour la qualité, la clarté et l’exhaustivité de ce rapport. Ce travail vient combler un manque important, dont le constat nous avait conduits à demander à la Cour une enquête en juillet 2019.

La France fait face depuis plusieurs années à une vague d’attaques terroristes meurtrières. Une politique de prévention, d’intervention et de répression reposant sur une multitude d’outils et sur un grand nombre d’acteurs s’est rapidement structurée, parfois dans l’urgence. Elle a mobilisé en tout premier lieu les policiers et gendarmes, les militaires ainsi que les acteurs de la justice. Par conséquent, cette politique nouvelle et multifactorielle a nécessité la mobilisation de plusieurs milliards d’euros de crédits budgétaires.

Or il n’existait pas, jusqu’à votre enquête, de vue d’ensemble des différentes mesures ou de leur coût, pas plus qu’il n’existait d’évaluation globale du dispositif. Votre travail nous permettra d’analyser les futurs budgets et leur exécution à la lumière de vos constats et de vos recommandations.

À propos du recrutement au sein des forces de sécurité intérieure : les plans successifs ont conduit à une augmentation conséquente des effectifs de la police et de la gendarmerie nationale. Cet effort a été poursuivi depuis le début de ce quinquennat par le plan de recrutement de 10 000 policiers et gendarmes voulu par le Président de la République. À ce titre, 1 707 emplois ont été créés dans la police en 2019 et 636 dans la gendarmerie. Alors que les effectifs des forces de sécurité intérieure ont diminué de 4,5 % entre 2007 et 2013, ils ont augmenté de 5,3 % pour la police entre 2014 et 2018 et de 4,2 % pour la gendarmerie. Cet effort de recrutement s’est accompagné d’un effort sur les rémunérations, valorisant l’investissement sans faille des forces de sécurité intérieure. Les mesures catégorielles du protocole du 19 décembre 2018 ont ainsi représenté 84 millions d’euros pour la police et 55,4 millions d’euros pour la gendarmerie en 2019.

En tant que rapporteur spécial de la mission Sécurités, je souscris entièrement à plusieurs recommandations du rapport, notamment la mise en œuvre d’un suivi consolidé des moyens consacrés à la lutte contre le terrorisme et l’adaptation, voire la création, d’indicateurs de performance.

Le rapport souligne que la nouvelle dégradation de la part des dépenses d’équipement dans les dépenses totales de la mission Sécurités représente une menace pour la capacité opérationnelle des forces de sécurité intérieure. Quel devrait être le niveau de dépenses d’équipement au regard des exigences opérationnelles ? Les crédits budgétisés en loi de finances pour 2020 vous semblent-ils suffisants ?

Le plan de recrutement de 10 000 policiers et gendarmes, en cours de déploiement, poursuit l’effort des différents plans dont ont bénéficié les forces de sécurité intérieure au titre de la lutte contre le terrorisme. Dans ce contexte, quelles leçons tirer de l’exécution et du suivi des plans liés à la lutte contre le terrorisme ?

M. Gilles Andréani. La Cour ne recommande pas l’élaboration d’un document budgétaire unique sur la politique transversale de lutte contre le terrorisme. Dans leur grande majorité, les moyens utilisés sont à double usage et servent d’autres objectifs. Il nous a fallu du temps pour dresser un bilan imparfait, je n’encourage pas à refaire le même exercice tous les ans.

La lutte contre le terrorisme est l’une des sept missions assignées aux services de renseignement, à côté notamment de la lutte contre la subversion, la pénétration par des puissances étrangères, le contre-espionnage. Le mode d’exécution budgétaire de ces services ne leur permet pas de mettre un chiffre en face de ces sept missions, et il est inutile de leur demander. Pour les moyens de la mission Défense, nous aboutirions à un casse-tête épouvantable. Quelle part du budget de nos opérations extérieures donner à la lutte contre le terrorisme par rapport aux autres objectifs, alors que la mission évolue au cours du temps ?

En revanche, la définition d’indicateurs mérite d’être creusée. Mais le problème est complexe : si nous affectons beaucoup de moyens à la lutte contre le terrorisme, nous allons détecter beaucoup de cas : non des actes terroristes sanglants en passe d’être exécutés, mais des cas d’apologie ou d’associations de personnes en vue de commettre un acte terroriste. Il n’est donc pas sûr que le nombre de signalements soit un indicateur d’efficacité, il dépend des efforts des services chargés de nourrir ce fichier.

En revanche, nous pourrions chercher à distinguer l’origine des signalements dans le fichier, pour estimer si les GED font bien leur travail. Le nombre d’affaires dont sont saisis les juges, rapporté au nombre de personnes condamnées, offre également une forme de mesure de l’efficacité. Enfin, s’agissant de la pénitentiaire, la qualité du suivi peut se mesurer au taux de récidive, sachant qu’en matière pénale l’évaluation de la récidive se heurte à la définition complexe de cette dernière : doit-elle correspondre à une incrimination strictement identique ou non ? La question se pose en matière de délinquance et de criminalité, au-delà du seul champ du terrorisme. D’une certaine manière, l’indicateur ultime en matière de terrorisme pourrait être le nombre d’attentats ou d’actions violentes déjoués, mais ce sont des données dont les détails sous-jacents ne sont évidemment pas communiqués.

Monsieur Labaronne, vous m’avez interrogé sur le plafond d’emplois. Cela induit deux questions : ce plafond est-il atteint ? Y a-t-il des difficultés de recrutement ? Comme vous le savez, pour beaucoup de programmes budgétaires ou beaucoup d’établissements publics, les plafonds d’emplois ne sont plus un référentiel de gestion pertinent car ils sont trop élevés ; à cet égard, on ne peut que souscrire à l’opération de sincérisation de ces plafonds à laquelle s’est attelé le ministère du budget.

Il est donc beaucoup plus efficient d’examiner les difficultés rencontrées en matière de recrutement, indépendamment du plafond d’emplois. Selon moi, il ne fait aucun doute que la première de ces difficultés trouve sa source dans les politiques de stop and go consistant à supprimer 13 000 emplois dans les forces de sécurité à un moment donné, pour en créer à nouveau 13 000 quelque temps plus tard.

 Cela met à l’épreuve les systèmes de recrutement et de formation, en drainant vers des écoles, dont la capacité d’accueil a été dimensionnée pendant les périodes de réduction d’effectifs, trop d’élèves, parfois insuffisamment sélectionnés. C’est flagrant au ministère des armées où non seulement le taux de sélection baisse mais où l’armée de l’air a dû, ces dernières années, doubler ses recrutements par rapport à ce qui était inscrit dans la précédente loi de programmation militaire. On ne gère pas des recrutements de la sorte, ne serait-ce que parce que les viviers ne sont pas inépuisables.

Au-delà de ce premier facteur global, il existe également des difficultés plus spécifiques, sur lesquelles je n’insiste pas car elles sont connues : manque d’attractivité de la région parisienne pour les jeunes policiers, pénurie de candidats dans certaines spécialités comme le cyber ou l’informatique, pour lesquelles l’administration est en concurrence avec le secteur privé. Quoi qu’il en soit, ce sont des problèmes qui restent marginaux par rapport aux effets massifs du stop and go, dont pâtissent les recrutements dans la fonction publique. Cela relève naturellement de décisions gouvernementales qui nous dépassent, mais un lissage de ces recrutements permettrait qu’ils soient mieux organisés et de meilleure qualité.

En ce qui concerne le SNEAS, les chiffres que nous donnons dans le rapport – 320 000 enquêtes pour 23 agents en 2018, et un peu plus d’un million d’enquêtes pour 69 agents en 2019 – sont à première vue dramatiques. Cela étant, les quatre cinquièmes de ces enquêtes concernent les détentions d’armes à feu. Les enquêtes de recrutement proprement dites ou celles concernant des agents déjà en place sont les plus essentielles, et l’on reste très loin d’effectifs qui permettraient un travail sérieux, sachant que chaque agent a effectué en moyenne 13 000 enquêtes en 2018 et 23 000 en 2019, ce qui, au-delà de la consultation rapide des fichiers, ne leur permet pas d’exercer leur mission de manière satisfaisante.

Il existe néanmoins pour certains secteurs très spécifiques et très protégés, des services d’enquête préalable spécialisés, comme la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), au ministère de la défense, dont la charge de travail rapportée au nombre d’agents a, elle, plutôt baissé durant la période, puisque ses effectifs ont été beaucoup augmentés. Il faut donc relativiser, même s’il est indéniable que le SNEAS pâtit d’une très nette insuffisance de moyens. À cet égard, il serait souhaitable de mieux définir, avec le chef de service et le ministère de tutelle, le volume d’effectifs souhaitable au regard des missions, quitte à envisager d’alléger ou de décentraliser ces dernières – par exemple les enquêtes sur la détention d’armes à feu qui relevaient autrefois des préfectures.

À l’instar de tous les comités interministériels, le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation réunit les ministres un peu moins d’une fois par an ; dans l’intervalle, des groupes de travail et un secrétariat permanent assument l’ordinaire de la coordination interministérielle qui a, en particulier, porté sur l’épineuse question du retour des mineurs partis en zone irako-syrienne.

Notre analyse de son mode de fonctionnement m’inspire deux remarques. La première c’est que le CIPDR vous doit un rapport annuel dont il ne s’acquitte pas ; il serait pourtant souhaitable qu’il rende compte de façon plus transparente de son action. La seconde, c’est que nous ne sommes pas en mesure d’évaluer avec précision le rôle du secrétariat général dans l’animation des référents radicalisation présents dans chaque ministère. On peut toutefois supposer – je le dis néanmoins avec prudence – que la coordination interministérielle pourrait être renforcée.

Monsieur le rapporteur général, le fait d’arbitrer entre QPR et QER pour le traitement des détenus dépasse le champ de compétences de la Cour, et je ne peux, en la matière, que me faire l’écho des avis compétents de l’administration pénitentiaire, qui, depuis plus d’un an, travaille sur le retour des personnes poursuivies en raison de leur départ dans la zone de combats irako-syrienne.

Elle estime qu’entre les 79 établissements sécurisés et les places disponibles en QER et QPR – dont trois nouveaux vont être créés, offrant une centaine de places supplémentaires – elle a de quoi faire face. Un groupe de travail interministériel est par ailleurs affecté à cette question, mais nous n’avons pas demandé l’accès à ses travaux, qui sont couverts par le secret de la défense nationale.

En tout état de cause, le grand avantage des QPR est leur étanchéité par rapport aux autres structures de détention, ce qui en fait des structures adaptées aux individus dangereux, en particulier ceux qui sont de retour des zones de combat. Cependant, la prise en charge en QPR n’étant en principe prévue que pour une durée de six mois renouvelable, il n’est pas certain que cela suffise pour des terroristes endurcis ayant combattu dans les rangs de Daech.

Par ailleurs, la doctrine en matière d’affectation des détenus en QPR reste un peu floue, et toutes les places ne sont pas occupées. En effet, seuls un quart des détenus issus des QER sont placés en QPR– taux qui peut paraître assez faible pour des détenus considérés comme radicalisés –, et l’administration semble plutôt vouloir utiliser les quartiers de prise en charge de la radicalisation pour y déradicaliser les détenus non terroristes mais présumés radicalisés, incarcérés en milieu ordinaire.

 

Pour ce qui est des dépenses d’équipement au sein de la mission Sécurités, la Cour est obligée de constater, année après année – à l’exception toutefois du redressement opéré en 2015-2016 dans le cadre des PLAT – leur insuffisance, contrepartie de la préférence affichée pour l’augmentation des effectifs et de leurs rémunérations, laquelle peut s’expliquer par toutes sortes de raisons politiques, voire par la pression syndicale. C’est un choix que la Cour considère comme dangereux, dans la mesure où, pour les forces de sécurité, il n’est ni motivant ni valorisant de travailler dans des commissariats vétustes et avec des voitures qui ne fonctionnent pas.

C’est la raison pour laquelle nous plaidons depuis longtemps pour que l’on recrute moins et que l’on équipe mieux. Il suffirait pour ce faire de demander à la direction générale de la police nationale (DGPN) et à la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) d’établir pour chaque policier ou gendarme recruté le « panier » moyen nécessaire à un travail efficace, c’est-à-dire la part des dépenses afférentes au commissariat ou à la gendarmerie, à l’équipement personnel et au fonctionnement quotidien des services. Une fois le coût global obtenu, la sagesse consisterait à ne recruter que sur les crédits restants – s’ils existent. Ce calcul des dépenses hors titre 2  c’est-à-dire hors dépenses de personnel – me paraît assez simple à effectuer et devrait commander les arbitrages budgétaires, de façon à ne recruter des agents qu’à condition de pouvoir les faire travailler de manière satisfaisante pour eux et efficace pour la collectivité. J’ajoute que cette analyse vaut également pour les militaires, mais le problème est beaucoup plus aigu au ministère de l’intérieur qu’au ministère des armées.

S’agissant enfin des leçons à tirer de l’application des plans de lutte antiterroriste pour la mise en œuvre du plan de recrutement de 10 000 policiers et gendarmes, il faut d’emblée souligner le changement de priorité : de 2015 à 2018, les recrutements ont essentiellement servi, même indirectement, à libérer des effectifs affectés à la lutte contre le terrorisme. C’était en tout cas la priorité affichée, et elle a été tenue. La décision de créer 10 000 postes supplémentaires répond à d’autres objectifs en alimentant les forces de sécurité publique en général et, plus particulièrement, la police de sécurité du quotidien. En toute logique, ces recrutements devraient s’articuler avec les priorités et les nouvelles doctrines d’emploi énoncées par le prochain Livre blanc de la sécurité nationale, lequel était promis pour le début de cette année mais a malheureusement été retardé par le covid. À l’heure actuelle, les recrutements ont donc été lancés sans pouvoir être directement fléchés vers les missions auxquelles ils sont plus spécifiquement destinés.

Mme Aude Bono-Vandorme. Le président Andréani a amplement répondu à mes questions, qui concernaient le SNEAS.

M. Robin Reda. Notre pays est frappé depuis 2012, à échéances plus ou moins régulières, par des attentats terroristes, et nous commémorions hier le terrible attentat de Nice, survenu il y a quatre ans. Dans cette logique mémorielle et commémorative, notre responsabilité est d’évaluer les politiques publiques qui ont été mises en œuvre, parfois sous le coup de l’émotion mais toujours avec la volonté de lutter contre le développement de la radicalisation et du terrorisme. Nous ne pouvons donc que vous remercier pour cet exercice inédit que vous avez conduit et qui offre, au-delà des données comptables, une analyse sectorielle des différents champs – réglementaire, législatif, financier et juridique – de la lutte contre le terrorisme.

 

 

Pour des recrutements efficaces et attractifs dans la police et la gendarmerie, deux choses sont nécessaires : d’abord le soutien moral aux forces de l’ordre, et, en la matière, notre pays a beaucoup à faire ; ensuite, le soutien matériel, sur lequel vous avez insisté. En matière d’équipements, auriez-vous des recommandations plus précises, qui permettraient d’améliorer les conditions matérielles d’exercice de nos policiers et de nos gendarmes sur le terrain ?

Ensuite, votre rapport révèle que le ministère de la justice est le parent pauvre des politiques de lutte contre le terrorisme. Si les crédits sont là, on peut en revanche s’interroger sur l’existence d’une politique de lutte contre la radicalisation et contre le terrorisme digne de ce nom, en particulier dans le domaine pénitentiaire. Outre le fait que la loi de programmation de la justice n’est pas respectée et que les places de prison attendues pour les détenus de droit commun n’ont pas été créées ce qui empêche l’isolement de certains détenus suspectés de terrorisme, se pose la question des mineurs. En l’espèce, je m’interroge sur la pertinence d’investiguer dans les centres éducatifs fermés et les établissements qui relèvent de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ).

Enfin ne trouveriez-vous pas opportun d’élargir l’étude des politiques antiterroristes et des dépenses qu’elles recouvrent à l’éducation nationale, à la jeunesse et aux sports ? Il me semble en effet qu’ont été mis en place dans ces ministères de nombreux dispositifs de veille et de prévention de la radicalisation.

M. Bruno Duvergé. Nous sommes heureux de lire dans votre rapport que les moyens importants déployés par la France depuis 2015 dans la lutte contre le terrorisme sont employés au mieux et nous espérons que les différentes forces de sécurité continueront dans les prochains mois à déjouer avec succès les différents projets d’attentats.

Vous avez indiqué ne pas avoir eu le temps d’évaluer l’efficacité des QER et des QPR : préconisez-vous néanmoins un protocole particulier pour cette évaluation ?

Qu’en est-il par ailleurs des places qui pourraient être réservées aux femmes et aux mineurs dans les futurs QER et QPR ?

M. Charles de Courson. Vous recommandez que l’École nationale de la magistrature améliore la formation des futurs magistrats à la problématique terroriste. J’ajouterai qu’il n’y a pas que la formation initiale et qu’il conviendrait de former également les magistrats en exercice.

Concernant la création de places de QER réservées aux femmes détenues pour terrorisme, et notamment pour celles qui reviendraient de la zone irako-syrienne, avez-vous un ordre de grandeur des besoins ?

Vous parlez de mesurer l’efficacité et l’efficience des dispositifs d’évaluation et de prise en charge de la radicalisation : mais à quoi, selon vous, se mesure cette efficacité, et selon quels critères ?

Lorsque vous préconisez la création de nouveaux quartiers d’isolement pour les « revenants », là encore, dans quel ordre de grandeur se situe-t-on ?

Enfin, concernant le suivi des détenus pour terrorisme ou des détenus radicalisés, de quels moyens devrions-nous disposer, et songez-vous à des dispositifs spécifiques ?

M. François Jolivet. En introduction de votre rapport, vous limitez le recensement des moyens affectés à la lutte contre le terrorisme aux ministères de l’intérieur, des armées, de la justice et du budget. Pensez-vous que ces quatre ministères sont les seuls détenteurs de la capacité à mener des actions de lutte contre le terrorisme ?

N’avez-vous pas le sentiment, renforcé par la manière dont a été gérée la crise du covid, qu’il y a, dans notre pays, un vrai recul de l’esprit de défense dans les ministères ? En effet, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) a dans ses attributions, outre la lutte contre les pandémies, celle contre le terrorisme ; il est relayé dans chaque ministère par des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité, qui ne sont, à aucun moment, mentionnés dans votre rapport et ce, alors que l’ordonnance du 7 janvier 1959 a consacré le caractère global de notre défense, c’est-à-dire sa dimension militaire et non militaire, ce dernier aspect recouvrant notamment la prévention des risques et donc leur cartographie. Selon vous, la France a-t-elle cartographié le risque terroriste ?

Je n’ai rien vu non plus dans votre rapport sur les moyens juridiques de l’État pour lutter et prévenir le risque terroriste, alors que d’autres États européens réfléchissent à une classification des emplois soumis à une enquête préalable : bagagistes des aéroports, emplois dans les services d’eau potable ou en lien avec les centrales nucléaires et les installations classées Seveso. Ces mêmes pays envisagent souvent, dans le même temps, une classification des documents, selon différents niveaux de confidentialité, et réfléchissent également à la possibilité de pouvoir suspendre des fonctionnaires pour motif d’intérêt général. Or, du fait de la décentralisation et du partage des compétences, des agents publics ayant pourtant fait l’objet de signalements peuvent avoir accès à des informations non classifiées aujourd’hui, sans que l’on ne puisse rien contre eux. Pour quelles raisons votre rapport n’aborde-t-il pas ces problématiques ?

M. Gilles Andréani. Le champ de notre enquête a été défini en accord avec votre commission, et c’est délibérément qu’ont été laissées de côté les actions portées par l’éducation nationale, la jeunesse et les sports, ou d’autres départements ministériels et ce, malgré leur implication. L’accent a été mis, outre les ministères évoqués, sur les services de renseignement dépendant du ministère de l’économie et des finances : Tracfin, et la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED).

A été exclu en revanche le dispositif interministériel relevant à la fois du SGDSN – et donc du Premier ministre – et du Coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, placé sous l’autorité du Président de la République, que nous n’avons pas regardé en détail, sinon pour la réponse qu’il apporte à certains problèmes spécifiques comme le retour de la zone irako-syrienne.

Quant à désigner la justice comme le parent pauvre de la lutte contre le terrorisme, je n’irai pas jusque-là. Il est indéniable que l’administration pénitentiaire dispose de moyens budgétaires réduits et que le plan de construction de nouvelles prisons a pris du retard ; cela étant, les moyens alloués au ministère de la justice dans le cadre des plans de lutte antiterroriste pour la constitution, quasiment ex nihilo, d’un service du renseignement pénitentiaire et la mise en place des différents dispositifs d’accueil que sont les QER et les QPR nous ont paru raisonnables.

Par ailleurs, les ratios d’affaires par magistrat, qu’il s’agisse de l’instruction, de l’application des peines ou du parquet, sont beaucoup plus confortables en matière de terrorisme que dans d’autres domaines.

Monsieur Duvergé, vous avez raison : il faut certainement évaluer les QER et les QPR et, avant eux, d’autres dispositifs de déradicalisation en milieu ouvert, mentionnés dans le rapport, et dont un au moins nous a semblé un échec patent, pour des raisons qu’il serait intéressant d’analyser. Cela nécessite un protocole d’évaluation qui prenne notamment en compte le sort des détenus que l’on cherche à « déradicaliser », puisque tel est l’objectif.

En ce qui concerne ensuite les places destinées aux femmes, il n’y en a ni en QER ni en QPR, alors qu’il y a actuellement, dans les prisons françaises, 62 femmes condamnées pour faits de terrorisme et que l’on estime à 150 celles qui sont poursuivies pour être parties en zone irako-syrienne. C’est incontestablement un manque.

On constate le même manque, qui peut s’apparenter à un défaut d’attention, pour les mineurs. Ces derniers sont actuellement 30 à avoir été condamnés pour faits de terrorisme, 463 à être considérés comme radicalisés et suivis ; il y aurait en outre 350 « revenants » dont on ignore l’âge, où ils se trouvent et quand ils pourraient rentrer.

L’administration pénitentiaire et la justice sont conscientes du problème, mais il est exact que nous manquons d’instruments spécifiques pour la prise en charge de ces mineurs, du fait notamment du conflit de compétences entre la justice des mineurs et la justice antiterroriste – c’est une des raisons, mais non la seule, des difficultés que nous éprouvons à traiter cette question, intrinsèquement complexe.

Reste qu’une meilleure évaluation de ces dispositifs de déradicalisation, qui procèdent, selon moi, d’un choix sous contrainte, est nécessaire – à moins qu’il ne soit encore trop tôt –, même si la politique graduée consistant à adopter, entre concentration et dispersion, un moyen terme distinguant le triage en QER, la mise à l’épreuve en QPR et la mise à l’isolement des plus dangereux a un certain sens.

Le nombre de places manquantes a été évalué à une centaine par le ministère de la justice, mais les structures supplémentaires dont l’administration pénitentiaire est en train de se doter devraient apporter la solution. Nous n’avons pas opéré notre propre expertise en la matière, mais ces chiffres me paraissent compatibles avec la réalité du traitement des détenus radicalisés, qui, entre les QER et les QPR, se veut plus sélectif qu’exhaustif et correspond en tout cas à un choix relativement économe en moyens. Quoi qu’il en soit, il importe que l’administration pénitentiaire mette en œuvre un dispositif de suivi, d’autant que l’inquiétude de nos concitoyens se focalise, à juste titre, sur ce qu’il advient de ces détenus radicalisés lorsqu’ils sortent de prison.

Monsieur Jolivet, vous avez mis le doigt sur l’essentiel, à savoir la cartographie des risques. L’analyse par les risques est de plus en plus fondamentale, dans tous les domaines de l’action publique, qu’il s’agisse du risque de maladie infectieuse que nous subissons actuellement, du risque terroriste, du risque d’attaque cyber de grande ampleur ou du risque de dysfonctionnement d’infrastructures numériques ou physiques indispensables à la vie collective du pays.

Ainsi que je l’ai mentionné, cette approche a déjà cours sans être absolument systématique dans bien des domaines. Tout ce qui a trait aux centrales nucléaires fait l’objet d’un criblage et d’un examen de sécurité, non pas par le SNEAS mais par un organisme spécialisé rattaché à la filière de décision de la sécurité nucléaire. De même, les employés des aéroports sont soumis à des vérifications de sécurité, d’autant plus strictes qu’ils ont accès aux bagages, ce type de procédures étant par ailleurs applicable à diverses populations particulièrement ciblées.

Il est clair, quoi qu’il en soit, qu’en systématisant cette analyse des risques et en ciblant davantage le champ des vérifications, nous gagnerons en efficacité car, si le SNEAS peut assumer les vérifications concernant les nouveaux recrutés, contrôler l’ensemble des effectifs en place – soit un volume d’1,9 millions de personnes – n’est pas à sa portée, compte tenu de ses moyens limités. Je ne peux donc qu’abonder dans votre sens et pense que, de plus en plus, l’action de l’État devra s’orienter en ce sens.

Des moyens disciplinaires et judiciaires existent pour écarter des agents susceptibles de représenter un risque, dans tous les métiers dont l’exercice est conditionné à la détention d’une habilitation de sécurité. Le retrait de l’habilitation de sécurité vaut interdiction d’exercer les fonctions dans un très grand nombre de domaines, et je ne saurais vous dire, pour ne m’être pas penché sur la question, s’il existe un champ qui devrait être couvert par ce type de procédure mais ne l’est pas.

Là encore, il faut mener à terme, comme, d’ailleurs, pour les documents classifiés, la rationalisation des méthodes de contrôle à partir d’une analyse systématique des risques.

M. Daniel Labaronne, président. Monsieur le président, nous vous remercions pour ce rapport et cette communication importante. Ils alimenteront de façon extrêmement utile notre travail d’évaluation des politiques publiques de lutte contre le terrorisme.


La commission entend ensuite une communication de M. Hervé Pellois, rapporteur spécial des crédits de la mission Agriculture, alimentation et affaires rurales et du compte d’affectation spéciale Développement agricole et rural, relative à la prévention des aléas et la gestion des crises dans le secteur agricole.

M. Hervé Pellois. Je remercie le bureau de notre commission de m’avoir autorisé à présenter cette communication sur le thème des aléas et des crises agricoles : j’en étais redevable vis-à-vis de la quinzaine d’organisations que j’avais auditionnées en février dernier.

S’agissant du risque climatique, l’offre privée peine à s’articuler avec le régime des calamités agricoles. Je n’ai pas besoin de revenir sur la fréquence et l’ampleur grandissantes des épisodes de sécheresse, de grêle ou d’inondation.

Les leviers public et privé se complètent insuffisamment.

Le fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) est un dispositif bien identifié, mais à l’efficience toute relative. Les exploitants connaissent bien l’indemnisation publique au titre des calamités agricoles, mise en place en 1964 et rénovée il y a dix ans, presque jour pour jour.

Le FNGRA a un budget d’environ 150 millions d’euros par an. Ses recettes sont constituées de l’affectation, dans la limite d’un plafond de 60 millions d’euros, du produit de deux taxes assises sur les assurances, ainsi que d’une subvention inscrite sur le programme 149 de la mission Agriculture, qui s’est établie à 87,5 millions d’euros en 2019. La proportion était inversée jusqu’en 2015 : la taxe affectée pouvait représenter jusqu’à 125 millions d’euros et la dotation être inférieure à 20 millions d’euros. J’en conclus que les rebudgétisations ne s’accompagnent pas nécessairement d’une baisse des moyens !

Les soutiens apportés par le FNGRA sont exemptés de notification à la Commission européenne au titre des aides d’État. Pour l’essentiel, ce fonds apporte une compensation partielle aux sinistres qui ne sont pas couverts par le secteur privé : le FNGRA peut donc indemniser tant des pertes de fonds – destruction de l’outil de travail, vignes arrachées, ravinement de terrain – que des pertes de récolte, dans les filières où l’offre concurrentielle est insuffisante.

Mais, de l’avis général, la procédure du FNGRA apparaît lourde et imparfaitement normée. Par exemple, pour un sinistre intervenant à la mi-juin, le dépôt des demandes ne sera ouvert qu’au 31 octobre, à la fin de la campagne de production. Les services déconcentrés du ministère de l’agriculture et de l’alimentation constitueront un comité départemental d’expertise, comprenant notamment, un représentant de la chambre d’agriculture, dont les conclusions seront transmises à l’échelon central par le préfet. Le bureau de la gestion des risques du ministère, après instruction, les adressera alors au Comité national de gestion des risques en agriculture (CNGRA), qui n’est pas une structure permanente et attend donc d’être saisi d’un nombre minimal de situations individuelles avant de siéger. Dans le meilleur des cas, les versements sont effectués en février, soit neuf mois après le sinistre.

Son président reconnaît que « le CNGRA n’a jamais été scientifique », si bien qu’il « empile les approximations », presque toujours au bénéfice des exploitants, et « ruine la crédibilité du ministère ». Des investissements techniques sont indispensables.

Les deux autres types de dépenses du FNGRA sont une participation à la couverture en matière animale et végétale et une aide à l’assurance récolte ; j’y viens.

L’assurance récolte représente une offre encore peu attractive pour les exploitants comme pour les assureurs. Une offre privée s’est mise en place dès le début du XIXème siècle, mais elle concernait surtout le risque de grêle. Depuis une quinzaine d’années, l’État souhaite transférer une part croissante de la charge d’indemnisation du public vers le privé.

En 2018, d’après la Fédération française de l’assurance (FFA), 501 millions d’euros de primes d’assurance récolte avaient été perçus, pour un capital protégé théorique de plus de 16 milliards d’euros. 

Un pas a été franchi en 2005 avec la création de l’assurance multirisques climatiques (MRC), qui couvre à la fois la grêle, le gel, l’inondation, la sécheresse et la tempête.

Trois niveaux de garantie existent : un socle dont les primes sont subventionnées à 65 % par la politique agricole commune (PAC), des options subventionnées à 45 % et des options libres, sans subvention publique. Pour les contrats socle, l’indemnisation intervient si les dommages dépassent le seuil de 30 % d’un rendement de référence – soit sur la moyenne des trois derniers exercices, soit sur la moyenne olympique – et cette indemnisation est calculée en fonction d’un barème qui repose sur les prix de production.

Cependant, alors que 60 % des surfaces sont assurées contre la grêle – qui est couverte en monorisque –, la diffusion de l’assurance MRC varie fortement d’une filière à l’autre, avec par exemple 31 % pour les grandes cultures et la viticulture ou 20 à 25 % pour les légumes de plein champ, mais seulement 3 % pour l’arboriculture et 1 % pour les prairies.

Un cercle vicieux freine le développement de ce marché. Souvent, les agriculteurs ne s’y intéressent qu’après un coup dur, pour se désengager à la fin d’une bonne année. Faute d’avoir un nombre suffisant de clients et de pouvoir diluer les risques, les assureurs enregistrent un ratio de sinistres à primes supérieur à 100 % ; or, ils se disent déficitaires dès 75 %. Pour préserver leur rentabilité, ils augmentent donc leurs tarifs, ce qui n’attire pas de nouveaux exploitants.

Au regard de l’efficacité de la réassurance privée et public, il est dommageable que les compagnies ne soient pas plus volontaristes. Un certain nombre d’interlocuteurs m’a indiqué qu’il était possible de mettre en place des systèmes d’assurance performants.

La surface assurée stagne : elle est 4,75 millions d’hectares en 2018 – mais c’était peu ou prou la même chose en 2014 – et le nombre de contrats diminue même : nous sommes passés de 75 000 à 69 000 contrats entre ces deux dates.

Compte tenu de ces imperfections, qui laissent certains agriculteurs sur le bord de la route ou, pire, qui traitent de manière différente deux sinistrés voisins, les voies d’une plus grande complémentarité sont donc à rechercher.

D’abord, il convient de rapprocher les méthodes de mesure de la sinistralité du FNGRA et des assureurs. Si ces derniers ont recours à des outils plus modernes, tels des indices de production ou des vues satellitaires, les bases de données du ministère et de ses opérateurs sont d’une grande richesse et gagneraient à être mieux mobilisées, y compris par le FNGRA.

Ensuite, même si cette idée ne fait pas consensus, il me paraît opportun de réfléchir à une forme de conditionnalité : les indemnisations publiques pourraient n’être versées qu’aux exploitants ayant souscrit une assurance MRC. Après tout, l’assurance habitation est obligatoire. Or, une telle proposition implique que soient développés des contrats adaptés : subventionner ce progrès coûterait moins d’argent public que multiplier la dotation au FNGRA au fil de l’aggravation des risques climatiques.

Au-delà, le modèle espagnol est intéressant, mais difficilement reproductible. Une agence publique y coordonne un pool d’assureurs qui offrent une quarantaine de contrats tous identiques, à l’exception des frais de gestion. Le taux de couverture par l’équivalent de la MRC dépasse les 60 % en arboriculture – je vous rappelle que la France est à 3 % ! Toutefois, ce système a mis une quinzaine d’années à trouver son équilibre financier, soit le temps que l’historique des données permette une tarification efficace. De plus, il n’est que toléré par l’Union européenne, parce qu’antérieur à l’adhésion du pays.

J’en viens à l’indemnisation des exploitants face aux pertes économiques liées à l’apparition d’un foyer de maladie animale ou végétale ou d’un incident environnemental. Une structure originale et globalement efficace existe : il s’agit du fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE), agréé depuis 2013 par l’État.

La France est d’ailleurs le seul pays européen à avoir exploité cette option de la PAC. Le FMSE une association légère – seulement sept salariés –, qui s’appuie sur plusieurs réseaux : les groupements de défense sanitaire (GDS) pour l’élevage, les fédérations régionales de défense contre les organismes nuisibles (FREDON) en matière végétale ou, plus récemment, les intercommunalités au titre de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations (GEMAPI) pour les plantes invasives.

Outre les actions prophylactiques de ses partenaires, le FMSE conduit des programmes d’indemnisation : brucellose porcine, tuberculose bovine, fièvre catarrhale ovine (FCO), influenza aviaire, sharka du pêcher, enroulement chlorotique de l’abricotier (ECA), cynips du châtaignier, flavescence dorée de la vigne, etc. L’indemnisation des pertes engendrées par l’incendie de l’usine de Lubrizol à Rouen a été permise par la modification de la loi en 2013.

Pour chaque programme, dont l’enveloppe est fixée par le conseil d’administration, si les dépenses sont avancées à 100 % par le FMSE, la charge finale repose à 35 % sur les professionnels et à 65 % sur les subventions publiques.

Du côté des recettes, le FMSE est organisé en une section commune, à laquelle les exploitants versent annuellement une cotisation forfaitaire obligatoire de 20 euros, appelée par la Mutualité sociale agricole (MSA), et douze sections spécialisées, pour lesquelles la cotisation, appelée par la MSA ou par l’interprofession, varie – par exemple à l’animal abattu ou à l’hectare  en fonction du type d’élevage ou de culture. Ces ressources propres représentent un montant d’environ 16 millions d’euros par an.

En outre, le FMSE peut également emprunter et il bénéficie de remboursements issus de crédits européens ou du FNGRA, qui arrivent parfois avec retard – avec beaucoup de retard, m’a-t-on dit.

Avant le confinement, le FMSE travaillait activement à la création d’une section pour la conchyliculture et d’une pour l’outre-mer. Dans son champ de compétences, il souhaiterait aussi pouvoir consolider ses méthodes scientifiques, par exemple en obtenant un accès à la base de données nationale d’identification des animaux (BDNI).

Faut-il attribuer de nouvelles prérogatives au FMSE, par exemple en matière de surveillance, c’est-à-dire de veille épidémiologique, de suivi des déclarations, ou encore de vérification du blocage des animaux ?

Certes, c’est ce que recommandait un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), publié en 2017.

Mais, d’une part, les GDS et les FREDON ne me paraissent pas dysfonctionner sur ce terrain. D’autre part, lors de son audition, son président a expliqué que « le FMSE ne peut pas tout faire ». Concernant le virus qui a perturbé la production de tomates dans le Finistère au début de l’année, il en appelait plutôt à la vigilance des filières ; en l’occurrence, celle-ci a su se montrer efficace. Je partage son point de vue : quand les marchés sont intégrés, il faut aussi que l’aval contribue financièrement lors des difficultés. Tant le règlement européen « omnibus » que la loi « EGALIM » visent à aller plus loin dans la contractualisation et le renforcement des organisations de producteurs vis-à-vis des distributeurs.

Pour finir, le risque de marché fait apparaître des menaces qui soulignent la nécessité de la transition agro-écologique et de la montée en gamme des produits. Les exploitants agricoles subissent – nous le savons et la période le démontre encore – la forte volatilité de la conjoncture, au niveau tant du coût des intrants, c’est-à-dire des matières premières, de l’énergie, voire du facteur travail, que des débouchés, en ce qui concerne l’ouverture ou la fermeture des marchés en fonction des circonstances sanitaires ou politiques, ainsi que les prix de vente.

Plusieurs leviers d’intervention sont gérés par le ministère. Le programme 149 porte cette année 5,4 millions d’euros au titre de son action Gestion des crises et des aléas de la production agricole, dont 3,5 millions d’euros pour le dispositif d’aide à la relance des exploitations agricoles (AREA) et 1,8 million d’euros pour le fonds d’allègement des charges (FAC), qui en dépit de son nom n’est pas de nature fiscale mais consiste en l’attribution d’une garantie bancaire. Cette action est sous-dimensionnée au regard de la crise actuelle. Depuis 2018, le ministère dispose d’une provision pour aléas, qui a démontré sa pertinence. Elle est dotée en 2020 de 174,8 millions d’euros. En 2019, nous avons transformé les anciennes déductions pour investissements (DPI) et pour aléas (DPA) en une déduction pour épargne de précaution (DEP), qui permet d’exonérer les réserves des années favorables  cela devrait représenter 120 millions d’euros –, et avons simplifié son usage, de manière temporaire, avec la deuxième loi de finances rectificative pour 2020.

Dans le cadre des mesures de droit commun prévues en réaction à l’épidémie de covid19, les agriculteurs avaient, au 26 juin dernier, bénéficié de plus de 500 millions d’euros de reports fiscaux et sociaux, 1,1 milliard d’euros de prêts garantis par l’État (PGE) et 102 millions d’euros d’aides au titre du fonds de solidarité.

Même si l’Union européenne s’est beaucoup mobilisée ces derniers mois, la crise conduit à regretter, avec nos collègues du Sénat, qu’aucun État membre n’ait complètement mis en place l’instrument de stabilisation des revenus (ISR) autorisé par la réglementation afférente au fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER).

Une transformation des pratiques est donc indispensable dans l’objectif de rehausser la résilience des entreprises agricoles.

Premièrement, elles doivent s’engager dans une stratégie économique plus intégrée, via la structuration des filières, les circuits courts ou coopératifs, la contractualisation, l’intégration ou bien les marchés à terme.

Deuxièmement, puisque les sinistres ne sont plus, depuis longtemps, un accident désastreux mais ponctuel et sont devenus une norme, la culture du risque doit faire l’objet d’efforts importants : je pense à la formation initiale et continue, mais aussi à des leviers stratégiques comme la diversification et la gestion des stocks.

Troisièmement, le choix de pratiques préventives peut réduire l’exposition aux aléas, mais ces dispositifs comme l’irrigation, les retenues, les filets pare grêle, les serres ou les chaufferettes dans les vignes, dont personne ne remettrait en cause le bon sens, sont des investissements qui devraient a minima être encouragés et mieux assurés, voire pris en compte par une réduction des primes.

Je remercie sincèrement nos collègues du Parlement espagnol pour les réponses qu’ils ont fournies à mon questionnaire : leur traduction est à votre disposition.

M. Daniel Labaronne, vice-président. Comment se fait-il qu’aucun État membre n’ait mobilisé l’instrument de stabilisation des revenus, prévu dans le cadre de la PAC ?

Quel est le rôle des régions dans l’accompagnement des agriculteurs qui veulent s’équiper pour faire face aux aléas climatiques ? Le conseil régional du Centre-Val-de-Loire finance par exemple des éoliennes puissantes contre le gel ou la canicule dans les vignes.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général. Je remercie M. Pellois pour ce travail et je souligne sa remarque relative au fait que les rebudgétisations n’entraînent pas nécessairement une baisse des moyens.

M. Charles de Courson. Comment les autres pays traitent-il le problème ? Certains sont-ils très libéraux, ne faisant qu’encourager l’assurance privée, d’autres ont-ils un système plus étatique ? Comme souvent, le modèle français combine ces méthodes ?

La raison pour laquelle l’ISR n’a pas été mis en place n’est-elle pas le choix de recourir à des dispositifs fiscaux – la DPA, la DPI, la nouvelle DEP –, dont l’objet est de provisionner, individuellement, des sommes qui, en cas de catastrophe, peuvent être libérées en bénéficiant d’une déduction fiscale et sociale ?

M. François Jolivet. L’expertise professionnelle de M. Pellois transparaît dans sa communication. La nouvelle DEP équivaut à un premier pied dans l’auto-assurance : comment peut-elle s’articuler avec les garanties du ministère de l’agriculture et de l’alimentation ?

M. Charles de Courson. En Champagne, les viticulteurs sont tenus de constituer une réserve individuelle : au-delà du quantum de classement, il s’agit de mettre du vin de côté, dans la limite d’un montant cumulé à hauteur du tiers environ de la récolte. En cas de catastrophe, ces stocks peuvent être classés. C’est une auto-assurance originale, qui maintient la qualité du produit.

L’interprofession des vins de Bordeaux, et d’autres, s’y intéressent également.

 

M. Hervé Pellois. Le terme d’ISR recouvre deux types de mesures : d’une part, des dispositifs fiscaux comme l’épargne volontaire de précaution, à l’image de la DEP qui a succédé aux DPI et DPA – des allègements comparables existent à l’étranger ; d’autre part, des fonds de mutualisation pour aider les exploitants agricoles en cas de forte baisse de leur rémunération – mais aucun État membre n’a mis en place cet instrument.

Dans ce dernier cas, le règlement FEADER propose qu’en cas de chute de plus de 30 % par rapport à une moyenne triennale ou olympique, la compensation serait publique à 65 % et privée à 35 % – avec une avance de 100 % par le fonds de mutualisation, puis un remboursement.

En 2017, un rapport des ministères de l’agriculture et de l’alimentation et de l’économie et des finances proposait d’ailleurs de constituer un mécanisme analogue à celui du FMSE, avec une section commune et des sections spécialisées. Les rapporteurs avaient calculé qu’une cotisation de 50 euros par entreprise et une retenue de 5 % des droits à paiement de base auraient représenté une enveloppe de 400 millions d’euros par an.

Peut-être a-t-on considéré qu’un tel système était trop compliqué, notamment au regard de la nécessité d’envoyer des experts sur le terrain, en comparaison avec les amortissements fiscaux.

En effet, M. Labaronne, les régions prennent souvent l’initiative d’accompagner les agriculteurs pour ceux de leurs investissements qui ne sont éligibles à aucune autre aide.

L’Italie a retenu un système proche du nôtre. En Allemagne, il existe très peu de dispositifs publics, si ce n’est l’intervention des Länder. Aux États-Unis, les subventions agricoles sont très avantageuses.

Les exemples de la Champagne ou du Bordelais reposent sur une filière : il faut encourager l’aval à entrer dans des dispositifs assuranciels. Le secteur du lin, qui a aussi vécu des difficultés alors qu’il s’agit d’une matière première importante, réfléchit également à créer un tel outil, afin de ne pas dépendre des importations.

Il existe enfin des offres, assez performantes, assurant les pertes de chiffre d’affaires. Elles sont coûteuses mais offrent une certaine garantie à l’agriculteur. Notre culture ne valorise pas assez l’assurance comme moyen de stabiliser le revenu : elle doit être mise en avant pendant la formation ou l’installation des jeunes.

M. Daniel Labaronne, vice-président. M. Pellois, nous vous remercions pour cette communication.

 

 

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Information relative à la commission

La commission a nommé M. Michel Lauzzana, rapporteur pour avis sur les articles 8 à 16, 16 bis, 16 ter, 17, 21, 23 et 24 du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union Européenne en matière économique et financière (n° 3196), dont l’examen est délégué par la commission des affaires économiques.


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

 

Réunion du mercredi 15 juillet à 11 heures

 

Présents. - M. Saïd Ahamada, M. Julien Aubert, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Charles de Courson, M. Olivier Damaisin, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Stella Dupont, M. Bruno Duvergé, M. Romain Grau, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, Mme Cendra Motin, Mme Zivka Park, M. Hervé Pellois, M. Benoit Potterie, Mme Valérie Rabault, M. Robin Reda, Mme Claudia Rouaux, M. Laurent Saint-Martin, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas

Excusés. - M. Damien Abad, M. Lénaïck Adam, M. Jean-Noël Barrot, M. Fabrice Brun, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Joël Giraud, M. David Habib, M. Marc Le Fur, Mme Christine Pires Beaune, M. Olivier Serva, M. Benoit Simian, M. Éric Woerth