Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

     Bilan de l’activité de la commission des Lois et de l’application des textes promulgués relevant de sa compétence (Mme Yaël Braun-Pivet, présidente)               2

     Retour sur la mise en œuvre de quatre lois, et échanges de vues :

–  loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ;

–  loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles ;

–  loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ;

  loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie  8

     Information relative à la Commission........................... 38

 

 


Mercredi
9 octobre 2019

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 6

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente

 

 


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La réunion débute à 9 heures 40

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente

La Commission procède à un bilan de l’activité de la commission des Lois et de l’application des textes promulgués relevant de sa compétence (Mme Yaël Braun-Pivet, présidente).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Ce matin, nous allons regarder en deux temps ce que nous avons réalisé. Dans un premier temps nous allons faire un bilan du travail de la commission des Lois depuis le début de la législature. Dans un second temps j’ai pensé que nous pourrions concentrer notre attention sur quatre textes que nous avons votés en début de mandature : nous entendrons les rapporteurs et les rapporteurs d’application puis nous aurons un échange informel pour savoir ce qu’il est advenu de ces textes, comment ils ont trouvé à s’appliquer.

Concernant le bilan de l’activité de la commission des Lois, nous avons préparé un PowerPoint que nous vous enverrons après cette réunion.

La commission des Lois se réunit beaucoup. Néanmoins, contrairement à une idée reçue, elle se situe dans la moyenne des autres commissions permanentes de l’Assemblée nationale. Nous avons réalisé 15 % des durées de réunion des huit commissions permanentes, ce qui n’est que légèrement supérieur aux autres. Nous sommes aussi dans la moyenne des législatures précédentes : nos prédécesseurs se réunissaient à peu près autant. La différence porte plutôt sur le type d’activité que nous avons : nous assurons en effet 45 % de l’activité législative à l’Assemblée nationale.

Nous avons examiné 77 textes en deux ans. La moitié de ces textes sont des propositions de loi (PPL) ; 30 % étaient des projets de loi (PJL) dont nous avons été saisis au fond ; 7 % des PJL pour avis ; 8 % des propositions de résolution.

La moitié de notre travail législatif concerne donc des PPL. Cela est logique, car à chaque journée réservée d’un groupe minoritaire ou d’opposition, la commission des Lois est quasiment toujours destinataire d’un ou deux textes, voire de l’ensemble des textes inscrits à l’ordre du jour comme cela va se produire pour la prochaine journée réservée au groupe Les Républicains.

Il est important de noter que, parmi les PPL examinées, 13 venaient du Sénat et 28 de l’Assemblée nationale.

S’agissant des amendements, nous en avons examiné un peu plus de 8 000, et 25 % ont été adoptés. En comparaison, sous la précédente législature, la commission des Lois en avait examiné 17 000. Je pense que nous serons au même niveau, peut-être un peu au dessus, pour l’ensemble de la mandature.

Concernant les auditions de nos rapporteurs, le chiffre est assez spectaculaire. Quand nous comptons toutes les auditions menées sur les textes et dans le cadre des missions d’information, nous arrivons à 3 400 personnes entendues en deux ans, au nom de la commission des Lois. Je trouve cela réellement impressionnant. En réunions formelles de la commission, nous avons auditionné 80 personnes, 33 fois des membres du Gouvernement, et 9 personnes en vue de nominations en application de l’article 13 de la Constitution. Vous savez que c’est cette procédure qui assure au Parlement un regard démocratique sur les nominations dans nos grandes institutions. Nous avons effectué 10 auditions sur le fondement de l’article 5 ter de l’ordonnance de 1958 – qui permet à une commission permanente de disposer des prérogatives d’une commission d’enquête – et 16 personnes dans le cadre de la préparation du projet de loi relatif à la bioéthique.

Pour ce qui est des rapports, ont été publiés 120 rapports législatifs, dont 94 rapports au fond et 26 rapports pour avis, et 15 rapports de mission d’information, dont 4 rapports de mission d’information commune. Cela représente 11 100 pages.

Nous avons déjà réalisé 23 missions d’information. Sous la précédente législature, 19 avaient été conduites pendant toute la mandature, et 24 pendant la précédente. En deux ans, nous avons réalisé un nombre de missions d’information égal, voire supérieur, à celui atteint sous les deux mandatures précédentes.

Nos moyens étant limités, il faut parfois attendre que des missions se terminent pour en commencer d’autres mais lorsque l’on voit les chiffres, on comprend aisément pourquoi. Nous restons favorables à ces missions, parce qu’il s’agit d’un travail essentiel pour le Parlement, comme en témoignent les chiffres. À l’occasion d’une autre réunion de la commission des Lois, je vous proposerai de regarder ce qu’il est advenu des propositions formulées par ces missions : quelles sont les propositions qui ont été retenues dans des textes de loi, quelles sont celles qui ont été mises en œuvre par des normes réglementaires, quels sont les sujets bloquants. Tout cela nous permettra de mesurer l’utilité de notre travail, puisque nous savons très bien que nos rapports ne servent pas uniquement à bloquer des portes ou à garnir des étagères, mais qu’ils sont vraiment utiles ! Sur les fouilles en détention par exemple, il y a eu des développements législatifs dans le projet de loi relatif à la Justice à la suite de nos recommandations. Il serait intéressant d’avoir une présentation d’ensemble de ces suites.

Mme Emmanuelle Ménard. Pouvez-vous nous rappeler qu’elles sont les 6 missions d’information qui sont en cours ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Bien sûr, voici les 6 missions : l’évaluation de la loi NOTRe, qui doit se terminer très prochainement ; la mission sur le secret de l’instruction ; la mission flash sur les thérapies de conversion ; la mission sur les interdictions de stade et le supportérisme, qui est menée en collaboration avec la commission des Affaires culturelles et de l’éducation ; la mission sur l’immunité parlementaire ; la mission sur les actions de groupe. Des missions sont par ailleurs en attente, sur l’identité numérique, les baux ruraux, l’évaluation de la loi renseignement de 2015.

Cela étant, vous pouvez bien évidemment, si vous le souhaitez, faire des demandes de mission. A priori, tous les groupes en ont déjà fait, sauf la France insoumise et le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, qui a néanmoins participé à une évaluation en Seine-Saint-Denis menée par le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques.

Nous avons tenu 24 commissions mixtes paritaires (CMP), ce qui est beaucoup. 17 CMP ont été conclusives et 7 ont échoué. Nous sommes donc à 71 % de CMP conclusives. Il s’agit d’un taux dont nous pouvons être satisfaits. En tout cas, le dialogue avec le Sénat est positif. Tous les commissaires qui ont participé à des CMP peuvent attester que le dialogue est fructueux et poussé. Parfois il aboutit à un accord, parfois non, mais, à chaque fois, il y a un vrai travail pour trouver un compromis acceptable pour nos deux assemblées.

Concernant nos travaux en séance, sur les textes pour lesquels la commission des Lois est compétente, nous avons passé 580 heures dans l’hémicycle, dont 257 heures en 2018‑19 et 254 heures en 2017‑18. La durée de présence dans l’hémicycle est stable. En termes de durée d’examen des textes en séance, nous sommes à 26 % du total. Un quart de la durée d’examen de la séance publique est donc consacré à des textes relevant de la compétence de la commission des Lois, ce qui est dans la moyenne des législatures précédentes.

Concernant les textes promulgués, depuis le début de la législature, 43 textes examinés au fond par la commission des Lois ont été promulgués, représentant 45 % de l’ensemble des textes promulgués. Cela témoigne encore de la place de la commission dans l’activité législative.

Concernant l’application des lois, nous en avons déjà beaucoup parlé. Il faut tordre le cou à l’idée que les décrets d’application ne seraient jamais pris, que les lois ne pourraient pas être appliquées et que cela est la faute du Gouvernement. Je vous indique que pour les textes promulgués avant le 1er janvier 2019, pour lesquels nous avons un peu de recul et qui appellent au moins un décret d’application, le taux de publication de ces décrets est de 98 %. Nous avons 119 dispositions sur 122 appelant un décret qui sont applicables, ce qui est remarquable.

Nos rapporteurs pourront nous faire un point sur les raisons pour lesquelles quelques décrets n’ont pas été pris. En effet, trois textes sont en attente d’un décret d’application, d’où les 119 sur 122. Il s’agit de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT), de la loi relative à l’utilisation des caméras mobiles par l’Autorité de sécurité publique et de la loi visant à garantir la présence des parlementaires dans certains organismes extérieurs au Parlement et à simplifier les modalités de leur nomination.

Nous avons également voulu faire un point sur la remise des rapports demandés au Gouvernement. Nous avons recherché, dans tous les textes que nous avons votés, tous les rapports qui avaient été demandés pour voir si le Gouvernement les avait remis ou à quelle date il devait le faire. Ce suivi se poursuivra dans la durée et si vous le souhaitez, nous vous adresserons ces rapports au fur et à mesure quand ils seront déposés sur le bureau de l’Assemblée nationale. Il serait en effet absurde que ces rapports finissent à la bibliothèque de l’Assemblée sans que personne ne prenne connaissance des données intéressantes qu’ils contiennent, alors que leur utilité a justifié le vote de l’article de loi demandant leur réalisation.

M. Erwan Balanant. Je trouve que nous devrions même être automatiquement destinataires des rapports que nous avons demandés, et pour lesquels nous avions cosignés l’amendement qui en est à l’origine. Si nous demandons un rapport, ce n’est pas pour être obligés de courir après. Or nous ne les recevons pas systématiquement.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Justement, ce que nous proposons, c’est de systématiser l’envoi de l’information relative au dépôt des rapports dès lors qu’ils ont été demandés par un texte entrant dans les compétences de la commission des Lois.

M. Éric Diard. S’agissant des missions d’information, à la lumière de la mission sur les services publics face à la radicalisation que vous nous avez confiés avec Éric Poulliat, je tiens à souligner qu’il est important, après la présentation d’un rapport, de demander à rencontrer les ministres compétents pour voir quelles préconisations ils pourraient retenir. Cela contribue à renforcer l’utilité du travail de contrôle de la commission.

M. Paul Molac. Une réflexion par rapport au fait que la moitié des lois seraient des propositions de loi... Je ne voudrais pas que cela trompe ceux qui nous regarderaient, parce qu’ils pourraient croire que l’initiative des lois appartient aux parlementaires. Ils se tromperaient très lourdement, parce que si l’on rapprochait cela du nombre d’heures passées, on verrait que les projets de loi occupent quasiment tout notre temps. Par exemple, quand dans une journée nous étudions quatre PPL, cela fait du chiffre, mais en réalité, ce sont souvent des textes très circonscrits. Nous ne pouvons pas dire que l’initiative des lois appartienne majoritairement au Parlement ; elle appartient beaucoup plus à l’exécutif.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Les PJL sont beaucoup plus massifs en termes de nombre d’articles et de temps de discussion. Il est vrai qu’ils nous prennent beaucoup de temps. Cela étant, il y a plus de PPL discutées sous cette mandature que sous les mandatures précédentes, la tendance est la hausse. Il ne tient qu’à nous d’avoir une initiative parlementaire plus fournie.

C’est aussi pour cela qu’il convient de s’intéresser davantage aux débouchés des missions d’information qui servent souvent de socle au contenu d’une PPL voire d’un PJL. Sur certains sujets, nous avons pris l’initiative. Je pense notamment à la déontologie dans la fonction publique avec Olivier Marleix et Fabien Matras. Nous avons pris l’initiative de ce travail, qui a vraiment enrichi et servi de base au PJL relatif à la fonction publique. Il est vrai qu’il est très difficile de distinguer l’origine de telle ou telle disposition, mais en tout cas, nous ne pouvons que souhaiter renforcer l’initiative parlementaire.

Nous allons vous adresser le PowerPoint qui présente tous les tableaux avec la liste des rapports législatifs et des missions d’information. Dans les données, vous aurez aussi la liste des habilitations à légiférer par ordonnance que nous avons délivrées. Vous verrez où nous en sommes et où en est le Gouvernement dans ce domaine. Par exemple, nous savons que l’ordonnance réformant la justice des mineurs vient d’être publiée et que celle relative à la banque de la démocratie n’a en revanche pas été suivie d’effet.

M. Philippe Dunoyer. Sur la production de rapports, le suivi est très important naturellement, mais votre recensement commence au début de la législature. Je voudrais savoir s’il est possible de remonter au-delà, parce qu’il me semble que la totalité des rapports qui ont été demandés lors des précédentes législatures n’a pas été produite. J’ai deux exemples en tête, notamment sur l’indemnité temporaire de retraite et sur la loi égalité outre-mer.

Il est très difficile pour un député – en tout cas pour moi – d’aller solliciter la production d’un rapport qui est attendu depuis parfois plusieurs années, qui s’est perdu et pour lequel le Gouvernement a plutôt tendance à nous expliquer que la demande a été faite par une autre majorité et n’a plus à être satisfaite. Est-ce qu’il est possible de faire ce travail de recension puis que la commission sollicite les rapports non rendus ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous allons regarder ce que nous pouvons faire sur la précédente mandature. Si vous nous précisez sur quoi portaient précisément les deux rapports que vous avez cités, nous pourrons regarder s’ils ont été remis. Pour les autres, à leurs moments perdus, s’ils en ont… les administrateurs pourront faire un point sur tous les rapports votés sous la précédente législature.

Mme Cécile Untermaier. Je rejoins complètement cette préoccupation, parce que la question de l’application des lois ne doit pas se limiter à la législature en cours. Ainsi une loi sur la Justice de 2013 prévoyait que la politique pénale ferait l’objet d’un débat à l’Assemblée nationale. Cela n’a jamais été fait. Je pense qu’il serait intéressant de mettre en œuvre cette disposition.

M. Arnaud Viala. Merci pour ces éléments d’évaluation de nos propres travaux : il est important parfois de regarder dans le rétroviseur. Je voudrais dire un mot en tant que vice-président, pour le groupe des Républicains, de la délégation aux collectivités territoriales. Nous effectuons, au sein de cette délégation aussi, un certain nombre de travaux. Nous réalisons des missions d’information qui, souvent, portent sur des sujets très proches de ceux traités à la commission des Lois.

Nous sommes un certain nombre de membres de la commission des Lois à être également impliqués dans la délégation aux collectivités territoriales, et nous faisons tout pour veiller à ce que les choses s’articulent. Je voudrais simplement saisir l’occasion de ce bilan pour dire qu’il me paraît souhaitable, à présent, qu’il y ait vraiment un travail de coordination entre les deux instances. En effet, la délégation aux collectivités territoriales est une création de cette législature à l’Assemblée nationale, alors que son homologue existait au Sénat depuis longtemps.

Je prends un exemple. Il y a à la commission des Lois une mission d’information sur la loi NOTRe. Nous conduisons, au sein de la délégation, une mission d’information, dont je suis d’ailleurs l’un des trois rapporteurs, sur la carte des régions. Ce n’est pas complètement superposable, mais il y a des auditions qui ont été faites pour la loi NOTRe que nous allons nécessairement refaire en posant des questions très proches sur la carte régionale. Je pense que nous avons tous suffisamment de travail, que nos interlocuteurs aussi sont suffisamment occupés, pour que nous puissions utilement leur proposer de venir une seule fois et de rencontrer les rapporteurs des deux missions. Cela me paraîtrait de bon aloi.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Trois choses sur ce point. La première est que nous nous coordonnons avec le président de la délégation collectivités territoriales, je le rencontre régulièrement. Nous échangeons et, effectivement, il n’est pas question que nos travaux se superposent, parce que, de toute façon, notre commission et la délégation n’ont pas le même objet.

Concernant l’évaluation de la loi NOTRe, il s’agit de l’exercice classique du bilan à trois ans : il est complètement dans la compétence de la commission des Lois de faire l’évaluation d’une loi qu’elle a votée. C’est la raison pour laquelle nous avons lancé cette mission.

Concernant la carte des régions je me souviens, Monsieur Viala, que vous aviez demandé cette mission à la commission des Lois. Le bureau avait jugé cette demande inopportune et vous êtes allé solliciter la délégation aux collectivités territoriales (DCT). Je veux bien que l’on se coordonne, mais je pense que l’exemple n’était pas forcément le mieux choisi.

Le bureau de la commission des Lois ne peut pas renoncer à sa capacité d’appréciation sur l’opportunité de lancer une mission. Vous ne pouvez pas tirer argument du fait que la DCT existe pour forcer le bureau de la commission à vous confier une mission qu’il ne souhaite pas faire. Bien sûr, nous lirons attentivement vos conclusions.

M. Arnaud Viala. Ce n’est pas l’état d’esprit dans lequel j’ai fait ma remarque. D’ailleurs, je crois que la mission sur les régions relève plus de la DCT qu’elle ne relève de la commission des Lois. Ce n’est pas cela la question. La DCT est composée de membres de chacune des huit commissions permanentes de l’Assemblée nationale. Il se trouve que ses sujets sont toujours beaucoup plus proches des sujets institutionnels de la commission des Lois que de ceux traités par d’autres commissions. De ce fait, il me semble que la coordination doit être plus étroite. Pas du tout parce qu’il faut que la commission des Lois se dessaisisse de sujets qui lui appartiennent, mais parce qu’il y a des sujets, y compris par exemple relatifs à la loi NOTRe, sur lesquels nous aurions pu conduire en parallèle des auditions pour les deux missions d’information, sans avoir à faire deux fois le même travail.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je vous rejoins complètement, mais j’invite à chaque fois les rapporteurs – Bruno Questel l’avait fait – à se rapprocher de la délégation pour l’informer des auditions, et pour qu’effectivement un travail conjoint puisse être mené, évitant que nos interlocuteurs se déplacent deux fois.

M. Philippe Gosselin. Cela vient d’être dit, nous souhaitons veiller à l’articulation des différents travaux. Je vais faire un plaidoyer pro domo, en tout cas, pro commission des Lois, en rappelant qu’elle a vocation à englober toutes les questions qui concernent les collectivités locales. Cela est évident. La délégation a sa raison d’être. Bien sûr, l’état d’esprit y est peut-être un peu différent de celui qui existe à la délégation du Sénat, qui a d’ailleurs pratiquement rang de commission, mais cela s’explique par les compétences constitutionnelles conférées au Sénat, son rôle de grand conseil des communes de France et des collectivités locales en général. Il y a cette articulation à avoir, mais je crois que nous devons pouvoir y arriver.

Mme Catherine Kamowski. Comme l’a rappelé Arnaud Viala, la DCT est relativement récente et c’est une bonne chose que nous l’ayons créée – je suis l’une de ses secrétaires.

Je pense qu’il nous faut aussi un temps d’acclimatation. Par exemple, nous avons travaillé sur la PPL relative aux communes nouvelles, qui nous venait du Sénat, et sur le PJL relatif à la collectivité européenne d’Alsace, et nous avons fait soit des déplacements, soit des auditions ensemble. Je suis entièrement d’accord avec M. Viala, il faut éviter les doublons. Cela ne sert à rien de faire venir des gens deux fois pour dire la même chose. Cela commence à se mettre en place et va nécessiter un peu plus d’automaticité, mais nous allons y arriver.

Mme Cécile Untermaier. Je pense que c’est une très bonne chose d’avoir créé cette délégation. Néanmoins, la commission des Lois doit vraiment rester la tête de réseau de ces questions, sur lesquelles je pense que nous avons un certain déficit de réflexion. Je ne souhaiterais pas qu’elles soient complètement délocalisées à la délégation, mais qu’elles partent de la commission avec l’avis de la délégation. C’est ainsi que fonctionne la délégation aux droits des femmes. Il ne faut pas affaiblir la puissance législative de la commission des Lois.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Je pense qu’il est bien de faire ce bilan. J’en profite pour remercier le secrétariat de la Commission pour son travail.

Vous n’avez pas parlé des déplacements qui ont été faits. Je me permets d’y revenir, puisque nous avons fait le dernier déplacement avec ma collègue Isabelle Florennes dans les Hauts-de-Seine. Cette pratique de la commission des Lois « hors les murs » est vraiment extrêmement importante. Au Mouvement démocrate, nous sommes attachés à l’évaluation. L’évaluation qui est faite aujourd’hui par des auditions à Paris, mais aussi celle qui est réalisée dans les territoires, tout cela est important et nourrit notre réflexion.

Je voulais aussi mentionner le changement de salle. Cela peut paraître anecdotique, mais je pense que les conditions de travail dans celle-ci sont bien plus agréables. De plus, je crois que la visioconférence va nous permettre d’échanger avec des personnes qui, pour des raisons de mobilité ou d’agenda, ne pouvaient pas se rendre disponibles. Ces moyens modernes doivent être encouragés pour améliorer encore nos travaux.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Grâce à la visioconférence, nous pourrons en effet, par exemple, intensifier nos travaux relatifs aux outre-mer, pour l’organisation institutionnelle desquels nous sommes compétents.

Pour les déplacements, vous savez que j’y tiens beaucoup. Nous sommes allés à la Cour européenne des droits de l’homme, nous avons fait une commission délocalisée en prison, nous nous sommes rendus dans les Hauts-de-Seine, nous avons visité la « bulle » porte de la Chapelle ensemble, en 2017. C’est quelque chose qui est important et qui est toujours très bien reçu par les personnes que l’on rencontre sur le terrain.

Nous aurons un nouveau déplacement les 21 et 22 octobre dans le cadre du PJL « engagement et proximité » : le lundi à Angers et le lendemain à Melun, pour participer à des tables rondes et échanger avec les élus locaux. Par ailleurs, nous nous rendons avec Philippe Gosselin en outre-mer, en Guyane plus précisément, dès dimanche.

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La Commission procède à un échange de vues sur la mise en œuvre de quatre lois : loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ; loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles ; loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ; loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie.

Mme la présidente Mme Yaël Braun-Pivet. Nous allons aborder une seconde phase en revenant sur la mise en œuvre de quatre lois que la Commission a votées. Je vous propose de commencer par la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Le rapporteur en était Raphaël Gauvain et le rapporteur d’application Éric Ciotti.

M. Raphaël Gauvain, rapporteur. La loi du 30 octobre 2017, dite « loi SILT », nous a permis de sortir de l’état d’urgence, qui avait été institué en France en novembre 2015 à la suite des attentats du Bataclan. Il avait ensuite été prorogé à six reprises, sous la précédente législature et sous notre législature pour la dernière fois en juillet 2017.

Pour rappel, l’état d’urgence est un régime d’exception qui, face à un péril imminent, permet de donner des pouvoirs exceptionnels, notamment des pouvoirs de police administrative, au pouvoir exécutif, pour faire face à ce péril imminent.

L’objectif de la loi SILT était donc de permettre la sortie de l’état d’urgence, tout en préservant l’équilibre entre le respect des libertés publiques et le caractère opérationnel des instruments de police administrative de droit. Les articles 1 à 4 de la loi ont institué plusieurs instruments de police administrative : les périmètres de protection ; la fermeture temporaire des lieux de culte ; les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) ; les visites domiciliaires et saisies. Les deux dernières mesures avaient donné lieu à beaucoup de débats parmi nous, et notamment au sein de la Commission.

Dès lors que l’on sortait de l’état d’urgence et que l’on inscrivait dans le droit commun ces instruments de police administrative, il fallait mettre en place un certain nombre de garanties. Parmi ces garanties, il y a deux dispositions qui ont d’ailleurs été introduites lors du débat parlementaire et qui n’étaient pas dans le projet de loi initial : l’institution d’un contrôle parlementaire renforcé et le caractère temporaire des mesures.

Le contrôle parlementaire renforcé a été institué, en tout cas initié, sous la précédente législature, lorsque l’état d’urgence a été déclaré. Dans le cadre de nos discussions sur la loi SILT, nous avons décidé de prolonger ce contrôle parlementaire renforcé. Vous savez que le contrôle parlementaire est l’une des prérogatives constitutionnelles des députés : voter la loi, évaluer les politiques publiques et contrôler l’action du Gouvernement.

L’article 5 de la loi de la loi SILT a donc imposé au pouvoir exécutif, notamment le ministère de l’Intérieur, l’obligation de communiquer au Parlement les décisions prises au titre des articles 1er à 4.

Nous recevons toutes les semaines un bilan chiffré des différentes mesures qui sont prises. Avec mon collègue Éric Ciotti et avec Madame la Présidente, nous avons, depuis deux ans, procédé à un certain nombre d’auditions. D’ailleurs, nous sommes également revenus devant vous, à trois reprises, pour pouvoir discuter et vous exposer le bilan d’application de la loi.

Par ailleurs, nous avons procédé à deux déplacements. Nous nous sommes rendus à la gare de Lille Europe, parce qu’il y avait sans doute une problématique sur l’institution des périmètres de protection. Nous voulions observer comment cela se passait et comment étaient mis en place ces périmètres de protection. Nous avons fait également un déplacement à Fleury, pour évaluer les mesures de contrôle de la radicalisation des quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER).

Lors de nos débats s’était posée la question de la constitutionnalité du contrôle parlementaire renforcé, parce que certains, notamment au Gouvernement, estimaient qu’il créait un déséquilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif. Cette question n’a pas été tranchée puisque la loi n’a pas été renvoyée devant le Conseil constitutionnel. Elle reviendra sans doute en débat devant nous, et peut-être devant le Conseil constitutionnel, puisque l’une des autres dispositions de la loi est l’institution de ce que l’on a appelé « la clause sunset ». En effet, dans les articles 1er à 4, nous avions voté que ces dispositions allaient disparaître au 31 décembre 2020. Nous devrons, sans doute l’année prochaine, à l’initiative du Gouvernement, nous poser la question de savoir si nous les prolongeons ou pas, et s’il faudra encore prolonger ou pas le contrôle parlementaire renforcé.

Concernant la loi SILT, le texte prévoyait huit mises en œuvre réglementaires. Sept ont été prises. Ainsi, un décret concerne les bracelets électroniques. Dans le cadre d’une MICAS, nous avons la possibilité si nous voulons limiter le déplacement de la personne, non pas uniquement à la commune, mais à l’ensemble du département, de le faire avec la mise en œuvre d’un bracelet électronique. Le décret a été adopté dans les temps, mais dans la pratique, aucun bracelet électronique n’a été mis en place.

Un décret reste encore en attente. Il concerne le passenger name record (PNR) maritime. Le PNR maritime émanait de la volonté d’instituer un fichier permettant de disposer d’informations sur la totalité des passagers qui voyagent en bateau, sur le modèle de ce qui existe en matière de voyages par avion. La commission de la Défense qui s’était saisie pour avis de cet article s’était penchée plus précisément ces problématiques.

Nous avons auditionné la semaine dernière la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLAPJ) pour faire le point sur ces sujets. En réalité, il y a eu quelques retards dans la mise en œuvre de ce fichier. Le décret n’a pas été adopté parce que la structure en elle-même n’existe pas. Il nous a été dit qu’il y avait des réunions interministérielles en ce moment, et que le Gouvernement était dans la phase de mise en œuvre du fichier au titre du PNR maritime.

Il s’agit d’un sujet sur lequel il va falloir que nous portions notre attention. J’ai échangé avec notre collègue Guillaume Gouffier-Cha qui était le rapporteur pour avis pour la commission de la Défense. Dans ce cadre-là, nous procéderons dans les semaines ou les mois qui viennent à d’autres auditions pour voir où en est la véritable mise en œuvre de ce PNR maritime. Lors du débat sur la loi SILT, le Gouvernement nous avait indiqué que le PNR maritime était extrêmement important dans le contrôle des flux des passagers et dans la lutte contre le terrorisme.

Quelques mots sur le bilan de ces quatre mesures, même si nous y étions déjà revenus assez longuement dans les trois comptes rendus que nous avions faits devant vous. La mesure qui a été la plus mise en œuvre est celle qui relevait de l’article 1er : les périmètres de protection. Il s’agit d’une mesure très utilisée par les préfets au titre de la police administrative, par exemple.

La deuxième mesure est la fermeture des lieux de culte pendant six mois. Cet instrument a été très peu utilisé, puisqu’il y a eu uniquement sept fermetures de lieux de culte en deux ans. L’administration nous explique qu’en réalité, elle doit parfois recourir à d’autres instruments pour procéder à des fermetures de lieux de culte, notamment des instruments relevant des problématiques sanitaires. En revanche, cet article 2 est utile, parce que c’est un instrument de « dissuasion », entre guillemets, pour l’administration, vis‑à‑vis de ces lieux de culte.

Concernant l’article 3 de la loi SILT, il y a eu 192 MICAS depuis 2017. S’agissant de ces instruments, on constate un rythme quasiment équivalent à ce qui existait à la sortie de l’état d’urgence. Dans le cadre de notre travail de contrôle, dans les premiers mois, nous avons constaté qu’il y avait eu une chute, notamment concernant les visites et saisies, parce que l’administration avait sans doute eu besoin d’un temps d’adaptation.

Concernant les visites et saisies, nous avons une procédure qui est novatrice, puisque l’initiative revient au préfet, et que la décision est prise par le juge de la liberté de la détention. Nous avons aujourd’hui, peu ou prou, en valeur absolue, le même nombre d’utilisations de ces visites et saisies que ce que nous avions à la toute fin de l’état d’urgence.

Ce qui ressort aussi très clairement de nos auditions, c’est que ces mesures sont extrêmement utiles à l’administration dans la lutte contre le terrorisme. Il y a notamment eu une affaire dont nous avons parlé l’année dernière, qui concernait une préparation d’attentat terroriste découverte dans le XVIIIe arrondissement, qui a été découverte grâce à une visite domiciliaire.

Pour terminer, concernant la mise en œuvre et la poursuite de ces instruments, nous en débattrons au sein de la commission l’année prochaine, puisque, comme je vous l’ai dit, les mesures viennent à extinction. Si le législateur n’intervient pas, les mesures au titre des articles 1er à 4 disparaitront le 31 décembre 2020. Ce débat devrait venir au premier semestre de l’année prochaine.

M. Éric Ciotti, rapporteur d’application. Je n’ai pas voté la loi SILT qui permettait de sortir de l’état d’urgence dans des conditions que je considérais alors comme dégradées. Raphaël Gauvain vient de citer des chiffres. Nous ne pouvons pas faire un bilan deux ans après. Les périodes d’état d’urgence, renouvelées six fois à partir du 13 novembre 2015, avaient conduit à mettre en place des dispositions, notamment les perquisitions administratives et les assignations à résidence. Elles ont été transformées par la loi SILT en visite domiciliaire sous le contrôle et l’autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD) et en MICAS.

Je voudrais simplement citer des chiffres qui traduisent ce que je redoutais à l’époque et qui, je le crains, s’est confirmé. Sur les périodes d’état d’urgence du 13 novembre 2015 au 31 octobre 2017, nous avions comptabilisé 4 600 perquisitions administratives. Raphaël Gauvain a raison de souligner qu’une partie importante d’entre elles avait eu lieu dans les premiers mois qui ont suivi les attentats du Bataclan. Néanmoins, le rythme est resté soutenu, y compris dans la dernière période. Nous avons comptabilisé, sur la période de la loi SILT, 189 visites domiciliaires, c’est-à-dire sur une période équivalente à quelques jours près, 24 fois moins. J’y vois un signe de l’affaiblissement de nos outils de contrôle.

En ce qui concerne les MICAS, il y avait eu 708 assignations à résidence. Il y a aujourd’hui, sur la même période de deux ans, 195 mesures de contrôle administratif qui sont elles-mêmes dégradées, puisque ce ne sont plus des assignations à résidence, mais des assignations dans une ville avec une obligation de pointer au commissariat. Je maintiens ma position et je considère que la loi SILT a dégradé nos outils de protection et de prévention de la lutte contre le terrorisme.

Sur les décrets, je n’y reviendrai pas si ce n’est pour confirmer et soutenir ce qu’a indiqué Raphaël Gauvain. Les décrets ont été pris, sauf celui sur le PNR maritime, ce qui prive les services d’un outil particulièrement pertinent. La menace maritime est un motif d’inquiétude. Les services de renseignement y ont beaucoup travaillé. Je crois qu’il est urgent et important de mettre en place ce décret.

Je voudrais également revenir – malheureusement c’est d’actualité – sur l’article 11 de la loi SILT, qui permet la réalisation d’enquêtes administratives dans le cas où le comportement d’un agent exerçant dans les domaines de la sécurité, de la défense ou titulaire d’une autorisation, d’un agrément, d’une habilitation, ferait naître un doute sur la compatibilité de son comportement avec ses missions. En clair, cela concerne les cas de radicalisation, d’émission de signaux faibles. Le décret prévoit la mise en place et le fonctionnement d’un organisme paritaire chargé de donner un avis préalable à la mutation ou à la radiation. Je veux souligner qu’à ce jour, aucun dossier n’a été transmis à cet organisme. Selon la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ), cela s’explique notamment par le recours aux sanctions disciplinaires pour faire face aux situations difficiles.

Nous avons mis en place un outil pour donner un avis sur les questions de radicalisation dans les lieux et dans les métiers sensibles et stratégiques. Il est quand même à noter, cela est à rattacher à l’actualité tragique que nous connaissons, qu’aucune saisine n’a été effectuée auprès de cet organisme.

Troisième point, je voudrais revenir sur l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), dit « Tele2 Sverige AB », du 21 décembre 2016. En vertu de cette décision, les États membres ne peuvent pas imposer une obligation générale de conservation de données aux fournisseurs de services de communication électronique. Si cette décision devait être confirmée, elle poserait des problèmes majeurs, de réelles difficultés aux services de renseignements. Il faudra travailler là-dessus avec beaucoup de détermination.

Enfin, la clause d’obsolescence introduite dans la loi SILT appelle à une réaction rapide de notre part. En effet, la loi SILT prévoit que les articles 1er à 4 ont un caractère expérimental. Force est de constater, hélas, que la menace terroriste non seulement est permanente, mais qu’elle sera durable. Par conséquent, les mesures de police administrative de la loi SILT doivent naturellement être reconduites.

M. Stéphane Peu. Je ne sais pas si cela a fait l’objet d’une évaluation précise, mais vu du terrain, en Seine-Saint-Denis, la question de la fermeture des lieux de culte, des écoles, des lieux associatifs, de tous ces lieux où il pourrait y avoir du prosélytisme radical, est d’une extrême ambiguïté. Déporter sur d’autres procédures, notamment des procédures d’urbanisme réglementaire ou de capacité à accueillir du public qui incombent aux maires dotés du pouvoir réglementaire dans ce domaine, la responsabilité de fermer ces lieux, pose un problème.

Lors de l’hommage d’hier, je retiens cette phrase du Président de la République : « Il faut une société de vigilance, et non pas une société du soupçon qui corrode ». À partir du moment où les services de renseignement ne sont pas en mesure de dire qu’il y a des éléments tangibles de radicalisation ou d’appel à la violence qui nécessitent la fermeture, je ne vois pas comment, en passant par le pouvoir réglementaire en matière d’urbanisme, on ne rentre pas de fait dans quelque chose qui est extrêmement problématique. De plus, il y a le risque de faire porter le soupçon là où il n’a pas lieu d’être, ou de ne pas être efficace là où il aurait lieu de l’être. Il y a surtout le risque vis-à-vis du droit – parce que nous sommes dans une société de droit et c’est heureux. En effet, le soupçon étant là, le biais utilisé n’étant pas extrêmement fiable, tout cela fait beaucoup de procédures, et finalement, c’est la force, l’autorité publique, qu’elle soit municipale ou d’État, qui est déférée devant les tribunaux administratifs. De deux choses l’une : soit il y a des éléments tangibles et il faut fermer ; soit il n’y a pas d’éléments tangibles et il ne faut pas biaiser.

M. Raphaël Gauvain, rapporteur. Pour répondre, cela fera sans doute l’objet de discussions pour savoir si nous prolongeons ou pas les dispositions de la loi SILT, notamment cet article 2. Le risque de « détournement » de procédures est réel. Au cours des auditions que nous avons pu faire, même si l’autorité administrative ne le reconnaissait pas, nous sentions qu’il y avait un risque réel de détournement des demandes de procédure. Il s’agit sans doute de quelque chose sur lequel il va falloir que nous nous penchions.

Quand nous regardons les chiffres, il est vrai qu’en deux ans, il y a eu uniquement sept fermetures de lieux de culte. Encore une fois, il s’agit d’une fermeture temporaire, c’est-à-dire pendant six mois. Par ailleurs le pouvoir administratif peut dissoudre l’association cultuelle.

Mme Céline Untermaier. L’article 11 de la loi SILT est un article important au regard des récents événements. Nous avons voté la loi. Nous considérons qu’effectivement, ces enquêtes administratives sont importantes. Mon collègue parlait de biais, je pense que l’administration ne peut pas biaiser en disant : « C’est la commission disciplinaire qui s’en occupe… », dès lors que la loi prévoit un dispositif. Nous avons là, déjà, une distorsion dans l’application, la concrétisation d’un dispositif législatif que vous aviez eu la pertinence de prévoir, c’est-à-dire la question de la radicalisation de personnes qui travaillent dans les lieux de renseignements. Je crois qu’il faut rappeler que la loi s’applique et que l’on ne fait pas ce que l’on veut des dispositions législatives qui ont été votées à l’Assemblée nationale. C’est ma première remarque.

Ma deuxième remarque est qu’à la lumière de l’audition du ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, je pense qu’il est clair que nous disposons des dispositifs législatifs nécessaires. Nous verrons s’il faut les pérenniser et s’il faut maintenir le contrôle parlementaire. Cela étant, nous oublions toujours, car l’administration n’en veut pas et le Gouvernement non plus, le fait de prévoir la manière dont la loi sera appliquée par l’administration. N’avons‑nous pas à intimer à l’administration de s’organiser de sorte qu’une culture de service, une culture de renseignement, imprègne les agents ? Je crois que cela est tout à fait essentiel.

Nous sommes pleinement dans notre rôle en instituant un arsenal législatif, et sans doute réglementaire puisqu’il suit. En revanche, il manque cette culture qui tient autant de la déontologie que des objectifs que poursuit un service, et qui doit être portée au cœur de l’administration. Contrairement à ce que nous dit le Gouvernement, je pense que ces actions doivent être demandées dans le cadre d’une loi.

J’espère que lors de la révision de la loi SILT nous pourrons aborder aussi cette discussion qui doit exister au sein des services.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Il y a le contrôle parlementaire renforcé de la loi SILT d’une part et le travail de suivi que nous faisons aujourd’hui d’autre part. Effectivement, même si le contrôle parlementaire ne porte pas sur l’article 11, mais sur les articles 1er à 4, nous pouvons travailler sur cette question. Au sein de la délégation parlementaire au renseignement, nous allons lancer un travail de façon fonctionnelle sur la manière dont nous pouvons mieux organiser nos services, pour mieux faire face à ces menaces. Je pense que dans les mois qui viennent, des travaux vont être engagés par le Gouvernement et par le Parlement, pour aboutir à une meilleure prise en compte de tous ces signaux dits faibles. S’agissant de la loi SILT, nous referons un point prochainement sur l’application de la loi, avec les deux co-rapporteurs.

Nous allons passer au deuxième texte de loi. Il s’agit de la loi du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles. Mme Paula Forteza en était la rapporteure, et M. Philippe Gosselin le rapporteur d’application.

Mme Paula Forteza, rapporteure. Tout d’abord, je pense qu’il faut que nous reproduisions ce genre d’exercice qui nous permet vraiment de mener notre mission de contrôle et d’évaluation.

Nous pouvons être fiers du cadre juridique mis en place pour protéger les données personnelles en France et en Europe, parce que le bilan international est très positif. Il a été cité comme un exemple lors de plusieurs scandales à l’international, par exemple dans le cas de Cambridge Analytica. Il a été pris comme modèle par certains pays pour adapter leur réglementation, notamment en Californie, mais également dans d’autres pays comme l’Inde ou le Brésil.

Au regard de son application, tous les décrets qui étaient nécessaires pour la mise en œuvre de la loi ont été pris. Nous pouvons saluer la réactivité du Gouvernement, des administrations et des parlementaires, sur ce texte complexe et technique.

Nous pouvons également féliciter la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) pour son travail d’accompagnement des acteurs concernés. Philippe Gosselin,qui siège à la CNIL, nous en dira quelques mots par la suite.

Plusieurs acteurs ont contribué à la mise en œuvre concrète de ce texte. Tout un écosystème s’est développé, qui s’appelle l’écosystème des Regtech, qui un peu comme les Fintech lors de la vague de régulation du secteur bancaire après la crise financière de 2008 sont venus épauler la mise en œuvre de cette nouvelle régulation du numérique qui apparaît. Ce sont notamment des start-ups, des entrepreneurs, des petites entreprises, qui développent les fonctionnalités nécessaires pour améliorer le parcours utilisateur.

Ces entreprises, ces start-ups, développent par exemple des fonctionnalités de recueil des données pour permettre leur portabilité, pour suivre de manière transparente leur utilisation.

Toutefois, malgré la diligence des acteurs institutionnels, malgré le travail de la CNIL, malgré l’apport de cette nouvelle industrie ou de cette nouvelle filière des Regtech, les acteurs de terrain ont pu avoir du mal à mettre en œuvre ce texte de loi, surtout les petites et moyennes entreprises (PME). En effet, cela impliquait beaucoup d’investissements de leur part, une réorganisation en interne pour revisiter les systèmes d’information ainsi que la gestion des bases de données, avec parfois la nécessité de recruter de nouveaux profils à la croisée du droit et de l’informatique, notamment ces data protection officer (DPO) qui sont les délégués de la protection des données rendus dorénavant obligatoires du fait de la loi.

Un an après l’entrée en vigueur de ce cadre juridique, j’ai eu l’occasion de me rendre dans des entreprises de différentes tailles, acteurs dans divers domaines allant du transport à la cybersécurité. Il reste quelques inquiétudes, notamment sur la question des sous-traitants : comment le partage des responsabilités se fait-il entre l’entreprise et le sous‑traitant ?

Il y a aussi des inquiétudes par rapport au changement de paradigme acté par ce texte, consistant à passer d’une autorisation a priori à un contrôle a posteriori. Il y a donc une responsabilisation des acteurs qui s’interrogent toujours : « Répondons-nous vraiment aux critères ? Sommes-nous en conformité ? ». Cela étant, les acteurs français ont vraiment pris au sérieux ce nouveau cadre, et ont déployé les efforts nécessaires pour répondre à leurs obligations.

Je considère pour ma part qu’il s’agit d’une loi moderne. Elle pose un cadre, des valeurs, de nouveaux droits, des définitions, une gouvernance, tout en restant technologiquement neutre. C’est cela qui lui permettra d’être durable à l’heure où les avancées technologiques sont de plus en plus rapides. Par ailleurs, cela implique aussi que l’interprétation du texte puisse évoluer selon les situations et s’adapter.

Tous les acteurs devront faire vivre ce texte, par exemple, les citoyens en s’emparant de la possibilité de faire appel à l’action de groupe. Nous avons déjà eu en France plusieurs actions de groupe de la part d’associations comme La Quadrature du Net (LQDN), l’Union fédérale des consommateurs – Que Choisir (UFC-Que choisir), l’Internet Society France (ISOC France).

Nous voyons aussi que les décisions de la Cour de justice de l’union européenne ont un rôle important pour interpréter ce texte. Par exemple, des décisions prises ces dernières semaines, sur le consentement lié aux cookies ou sur le déréférencement à l’international dans le cadre du droit à l’oubli, viennent préciser le droit applicable.

En tant que parlementaire, nous devons poursuivre ce travail car nous sommes amenés à légiférer sur plusieurs sujets qui touchent aux données personnelles. Par exemple, les données de santé, notamment dans le cadre de nos débats récents sur la bioéthique, ou les données de transport. Nous devons nous inscrire, chaque fois que nous touchons aux données personnelles, dans ce cadre qui a été établi. Nous devons réutiliser les mêmes concepts qui sont maintenant porteurs de droits. Nous avons parfois tendance à vouloir réinventer de nouvelles notions, alors que nous avons une boîte à outils vraiment prête à usage.

Dans les prochains mois, plusieurs sujets vont réinterroger ce cadre juridique et vont nous faire revenir à ces grands concepts sur lesquels nous nous sommes prononcés en 2018. Je pense notamment à la disposition du projet de loi de finances pour 2020 visant à donner la possibilité aux administrations fiscales de recueillir des données sur les réseaux sociaux pour lutter contre la fraude fiscale. Si nous avançons dans ce sens, nous allons devoir travailler sur un cadre de consentement clair et de notification des utilisateurs. Il faudra que nous nous interrogions pour savoir si la durée de conservation des données est adaptée, tout comme celle de l’expérimentation. Il faudra également encadrer le stockage des données pour s’assurer qu’il est suffisamment sécurisé.

Nous pourrions être saisis prochainement d’un autre sujet, celui de la reconnaissance faciale. Nous avons déjà eu des expérimentations au niveau local à Nice, et ce procédé devrait être déployé peut‑être dans le cadre des Jeux olympiques. Il s’agit d’une technologie dont la maturité n’est pas encore éprouvée et qui manipule des données biométriques extrêmement sensibles. Il faudra que nous suivions tout cela de près.

Enfin, la commission des Lois pourrait se saisir, Madame la présidente, du sujet de l’identité numérique. Nous devons suivre la mise en œuvre de cette infrastructure numérique indispensable, la loi du 20 juin 2018 en a tiré les conséquences et a permis de transposer la directive « police-justice » pour nous assurer qu’elle respecte les règles en vigueur de protection des utilisateurs.

M. Philippe Gosselin, rapporteur d’application. Le nouveau cadre juridique avec le règlement général sur la protection de protection des données (RGPD) en application depuis le 25 mai 2018 est entré en application en Europe. Nous avons eu depuis, une année de transition permettant de prendre toutes les mesures d’application. Cette transition a permis aux particuliers, aux entreprises, aux collectivités locales aussi, de s’approprier et de mettre en œuvre ce texte. Cela est encore difficile pour les collectivités locales, notamment pour les plus petites d’entre elles, et pour les très petites entreprises (TPE).

Les grandes lignes sont connues : protection des données bien sûr, consentement des personnes, finalité des fichiers. Mais lorsqu’il faut mettre en conformité les fichiers et les process, cela est plus compliqué. Il y a parfois eu quelques cabinets un peu indélicats, qui ont monnayé chèrement des conseils qui n’étaient pas toujours à la hauteur. Cela peut entretenir parfois une forme de rejet de la réforme. Je souligne qu’il s’agit d’une approche spécifique à l’Europe et nous pouvons nous réjouir d’avoir porté une vision commune sur le sujet. Nous avons confié à des autorités indépendantes le système européen de la protection des données, tandis qu’aux États-Unis par exemple, ce sont des structures dédiées qui en ont la charge.

Je fais référence au Federal Trade Commission (FTC), les données personnelles pouvant être commercialisées. La loi française porte quant à elle sur l’« informatique et les libertés ». Cela est révélateur de l’esprit européen qu’il faut continuer à faire vivre.

Nous avons un certain nombre de décisions que la rapporteure a rappelées, notamment de la Cour de justice de l’Union européenne, qui est un peu la gardienne du temple. Je dois dire avoir été déçu par sa jurisprudence sur le déréférencement. En effet, il aurait été souhaitable que cette notion soit envisagée également hors du territoire européen. Cela ampute les possibilités de protection des données et je le regrette.

L’année écoulée aura toutefois été exceptionnelle avec une forte augmentation en France des plaintes adressées à la CNIL, + 30 %. Ce sont pratiquement 11 900 plaintes qui ont été adressées à cette autorité et pratiquement 150 000 plaintes au niveau européen. C’est donc un contentieux de masse, désormais.

Par ailleurs, une coopération est clairement engagée entre les autorités de contrôle françaises, européennes et étrangères. Sur la période donnée, les CNIL européennes ont échangé sur plus de 1 000 affaires, dont plus de 800 impliquent la CNIL. C’est vous dire le niveau d’activité pour la maison de la place de Fontenoy, ce qui justifie pleinement, alors que nous allons examiner le budget d’ici à quelques jours, des créations de postes.

Il y a un accord avec le Gouvernement pour quelques créations de postes entre 2018 et 2020. La CNIL dispose de 30 postes, ce qui est très modeste par rapport aux autres autorités européennes. Or le travail de contrôle et de gestion des plaintes de la CNIL arrive également à faire vivre la protection des données personnelles en France.

Suivant un sondage de l’Institut français d’opinion publique (IFOP) d’avril 2019, 70 % de nos concitoyens s’estiment sensibles aux problématiques de protection des données. Cela ne veut pas dire que nos concitoyens – c’est parfois vrai d’ailleurs pour nous-mêmes – ont des pratiques totalement en cohérence avec cette prise de conscience.

Nous sommes parfois un peu schizophrènes. Le consommateur avant de rentrer dans le supermarché veut que les agriculteurs gagnent légitimement leur vie, mais à la sortie dans son caddie, il n’y a pas toujours les produits qui le permettent. C’est la même chose pour les données personnelles, 70 % de nos concitoyens sont très sensibles à l’usage qui en est fait, néanmoins, cela ne les empêche pas d’être parfois peu vigilants sur ce qu’ils diffusent sur les réseaux sociaux, y compris de façon privée.

D’ailleurs, cela nous amène au débat sur l’article 57 du projet de loi de finances pour 2020 qui inquiète la CNIL. Cette dernière a rendu le 30 septembre un avis très réservé sur cet article qui permet à l’État, dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale, de s’approprier, sur les réseaux sociaux, les données personnelles, les photos de famille, les commentaires divers et variés et d’en déduire éventuellement des signes extérieurs de richesse – cela rappellera une belle époque – pour procéder à des redressements ou à des enquêtes. Cette disposition pose un certain nombre de questions entre la nécessité de recouvrer l’impôt qui est dû, et qui est le commun profit dans l’intérêt général, et le respect de la protection des données personnelles.

Si nous avons eu une année de transition de 2018 à début 2019, aujourd’hui, force est de constater - c’est vrai pour la CNIL comme pour les entreprises - que cette période est révolue. L’application du RGPD est entrée en phase active, même s’il y a quelques difficultés pour des TPE ou pour certaines collectivités.

Je conclurais en disant qu’il y a encore un travail de vulgarisation, notamment auprès du grand public – même si les résultats du sondage IFOP sont encourageants – pour qu’au-delà de ce texte, il y ait une prise de conscience qui soit effective.

On dit souvent que dans les conclusions, il faut élargir un peu le sujet. Je souhaiterais l’élargir à l’identité numérique, mais aussi, plus largement, à la souveraineté numérique. Je voudrais saluer les travaux que nous menons ici, mais aussi ceux de la Commission d’enquête qui a rendu récemment ses conclusions à ce sujet au Sénat. Le rapport de M. Gérard Longuet montre que nous ne pouvons pas nous limiter à ce qui a été mis en application le 25 mai 2018, que nous avons beaucoup d’autres éléments à prendre en compte, et que tout cela est en réalité un combat – le combat de David contre Goliath d’une certaine façon, parce que le rouleau compresseur anglo-saxon – je le dis, même dans cette enceinte – qui parfois est très intrusif, est fort. Il faut avoir une position de combat, un combat certes pacifique, mais les données personnelles, l’identité numérique, la souveraineté numérique, sont des éléments essentiels de la souveraineté tout court, et du respect de la vie privée de nos citoyens. Il s’agit ainsi d’une certaine vision de la démocratie.

M. Robin Reda. Je voulais rapidement insister sur la question des collectivités territoriales. Les administrations publiques en général, en particulier les administrations publiques locales (APUL), comme le dit la Cour des comptes, sont souvent le parent pauvre lorsqu’il s’agit d’appliquer des législations et des réglementations relatives au numérique. Lors de la navette, il y avait eu un certain nombre de dispositifs qui avaient été garantis par les députés et les sénateurs pour les collectivités territoriales. Il y avait notamment le fait pour la CNIL d’édicter une charte de déontologie pour énoncer les principes à respecter, les bonnes pratiques, mais aussi aider à l’exercice de la fonction de délégué de protection des données.

Or la CNIL a récemment annoncé que 22 257 communes n’ont pas de DPO à ce jour, et que dans les communes ou les collectivités territoriales dans lesquelles il y a des DPO, il s’agit souvent d’un cumul de fonctions, pas toujours apprécié de ceux qui l’exercent. En effet, c’est souvent une fonction de Père ou de Mère Fouettard des services, pour s’assurer du respect de la réglementation RGPD.

Je pense qu’il faudra aussi une évaluation fine de l’absence de dotation aux collectivités, pour accompagner spécifiquement cette réforme au regard des charges qu’elles supportent désormais pour tenter d’appliquer la législation. Il faudra également évoquer la question de l’absence de sanctions à l’encontre de ces dernières qui avait été évoquée, notamment pour laisser le temps aux collectivités territoriales d’appliquer la loi.

Je crois qu’effectivement, comme l’a dit Philippe Gosselin, c’est une exigence citoyenne qui est de plus en plus forte. Ce n’est peut-être pas encore un enjeu électoral, mais c’est une demande qui revient de manière récurrente désormais chez les utilisateurs du service public. Pour les collectivités territoriales comme pour les administrations, c’est en effet à la fois une question de responsabilité dans la protection des données, mais aussi de cybersécurité. Les collectivités territoriales sont en ces matières loin d’être tout à fait exemplaires encore à ce jour.

M. Philippe Latombe. Je voulais ajouter deux points. Ce qui a pu poser des difficultés au départ, et qui commence à diminuer un peu, c’est qu’effectivement un certain nombre de cabinets ont essayé de profiter du projet de loi pour « faire de l’argent ». Nous voyons à quel point dès que nous touchons à ce type de sujet, dès que nous responsabilisons les acteurs, comme le prévoit le RGPD, il y a des opportunités qui se créent. Les entreprises, et notamment les plus petites ont pu être un peu flouées par des cabinets qui les conseillaient dans l’application du RGPD. Cette situation tend toutefois à s’atténuer sur le territoire.

Ce que nous avons réussi avec le RGPD – je vous rejoins totalement – c’est que nous avons trouvé un très bel équilibre. À tel point que les sénateurs nous avaient menacés – et ils l’avaient fait – de saisir le Conseil constitutionnel, qui a toutefois validé les dispositions qui lui étaient soumises. Nous avons trouvé un équilibre entre les libertés publiques, les libertés individuelles, le respect à la vie privée, la protection des données personnelles, et les impératifs liés au fonctionnement des entreprises, de l’État et de tous les partenaires économiques et publics.

Je suis par contre gêné par l’article 57 du projet de loi de finances pour 2020. J’ai posé la question au Gouvernement hier, parce que sont détournés les principes auxquels nous avons souscrit dans le cadre du RGPD. En matière de libertés publiques, la fin ne justifie pas les moyens. C’est ce que nous avions dit avec le RGPD, c’est ce que nous avions réussi à faire, ce que d’autres pays ont reconnu comme étant un bon équilibre. C’est pour cela que le RGPD a été pris comme modèle dans un certain nombre de pays : le Japon, des États américains qui voulaient montrer aussi une vision différente par rapport à l’État fédéral. Aujourd’hui, réinterroger de cette façon le RGPD au détour d’un article de loi de finances pour lutter contre la fraude fiscale ne me semble pas opportun.

Mme Paula Forteza, rapporteure. Sur la question des collectivités territoriales, c’est un sujet qui a suscité beaucoup de débats et qui a été notamment la cause de la CMP non conclusive. Nous avons souhaité trouver un équilibre entre la responsabilisation des collectivités territoriales et leur accompagnement dans la mise en œuvre de la réforme, notamment par la CNIL. Cela pose aussi la question des ressources de la CNIL et du nombre d’équivalents temps plein (ETP) dont elle dispose pour pouvoir accompagner les acteurs concernés sur tout le territoire. De nouveaux ETP ont été budgétés l’année dernière, de nouveaux le sont cette année, mais nous sommes encore très loin du nombre d’agents qu’emploient les autres entités de régulation des données personnelles, comme en Allemagne ou au Royaume-Uni.

Sur la question de l’article 57, nous aurons la discussion dans le cadre du budget. Je trouve qu’il y a, aujourd’hui encore, un vide juridique sur l’usage qui peut être fait des données que les personnes publient de façon volontaire. Sur cette question, ce que nous allons décider avec l’article 57 va faire jurisprudence dans d’autres cas.

Par exemple, quand je travaillais sur les consultations citoyennes, nous nous demandions : « Est-ce que nous pouvons réutiliser ces données ? » Nous avions notamment fait un hackathon à l’Assemblée nationale sur les données du grand débat national, parce que ce sont aussi des données sensibles exprimant des opinions politiques et nous avions considéré que ces données ayant été publiées de façon volontaire, nous pouvions les réutiliser.

Tout cela n’est pas clairement déterminé dans la loi. Il faudra que nous y réfléchissions dans le détail et à la lumière des valeurs que nous avons portées dans le RGPD. Aujourd’hui, la réutilisation de ces données est techniquement faisable et beaucoup de gens le font déjà. Il y a tout un tas d’applications de social listening qui aspirent les données des réseaux sociaux et le cadre de cette activité n’est pas posé. Il faut vraiment que nous y réfléchissions, que nous prenions en compte tout ce que cela implique en termes de protection des données personnelles, et au regard du RGPD.

M. Philippe Gosselin, rapporteur d’application. Cette question rouvre des débats déjà anciens et pointe une certaine ambiguïté. Cela fait longtemps que l’on peut être licencié pour avoir insulté son patron sur Facebook ou parce que l’on a publié des photos de ses vacances alors qu’on était en arrêt maladie. La jurisprudence est importante sur le sujet. Dans le cas de l’article 57, les hébergeurs ne sont pas propriétaires des données. Dans quelle mesure la publicité faite sur les réseaux autorise à une captation des données ? C’est un vrai enjeu. Je crois que nous sommes nombreux à être sensibilisés à cette question sur tous les bancs de cette commission et de l’Assemblée. Nous allons voir comment le Gouvernement va essayer d’y répondre.

Pour terminer, un point sur ce que tente de faire la CNIL. Je ne suis pas porte-parole de la CNIL aujourd’hui, même si je suis évidemment représentant de l’Assemblée au sein de la CNIL avec notre collègue Albane Gaillot. Cela étant, la CNIL fait vraiment d’importants efforts pour expliquer la réforme aux collectivités locales. Il y a un plan d’accompagnement précis, mais encore faut-il que les collectivités aient le réflexe d’aller vers la CNIL. Ce n’est pas toujours le cas, notamment pour les plus petites collectivités – j’en ai bien conscience. Ce n’est pas simple pour les secrétariats de mairies, avec souvent des secrétaires qui sont là à temps partiel dix ou quinze heures, et qui ont d’autres choses à faire. Cela les encombre un peu et les panique parfois.

Plan d’accompagnement aussi envers les start-ups. Nous avons des contenus dédiés sur le site de la CNIL, comme par exemple un kit développeur. Il y a également des référentiels thématiques sur les ressources humaines, la gestion des relations clients, la gestion des impayés, les alertes professionnelles, etc. Si l’appropriation de la réforme est assez forte, nos collègues Robin Reda et Philippe Latombe ont raison de souligner que, comme souvent, un certain nombre de publics restent sur le bord du chemin et ce sont ceux-là qu’il faut vraiment pouvoir accompagner.

Mme Paula Forteza, rapporteure. Un dernier mot pour plaider la cause de la création d’une délégation du numérique à l’Assemblée nationale, parce que les sujets sont transversaux et concernent toutes les commissions. J’espère vraiment – c’est un sujet que je porte depuis quelques mois – qu’avant la fin de la mandature, nous arriverons à mettre en place cette délégation.

M. Philippe Gosselin, rapporteur d’application. Certains sujets pourraient aussi intéresser la délégation aux collectivités territoriales.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. À propos de l’article 57 de la loi de finances, les libertés publiques sont effectivement un enjeu. Peut-être pourrions-nous nous saisir pour avis de cette disposition ? Cela ne s’est jamais fait à la commission des Lois pour un article de la seconde partie du PLF, mais nous pouvons l’envisager.

Nous en venons au troisième texte qui doit occuper notre matinée, la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. La rapporteure de ce texte était Mme Alexandra Louis, et le rapporteur d’application M. Dunoyer, tous deux présents.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je vous remercie, Madame la Présidente, de nous permettre d’aborder ce texte qui marque un progrès en matière de lutte contre les violences sexuelles et sexistes. C’est un sujet qui doit appeler de notre part une attention de chaque instant. Je le rappelle, le Président de la République a déclaré l’égalité entre les femmes et les hommes « grande cause nationale » du quinquennat. Ce texte avait pour vocation de combler les angles morts de notre droit pénal en la matière.

Il a suscité une forte implication des parlementaires, notamment en commission des Lois où se sont tenus des débats de qualité. Je salue aussi le travail de nos collègues du Sénat. Après de riches discussions, ce texte a fait l’objet d’une commission mixte paritaire dont les conclusions ont été adoptées à une large majorité par les deux assemblées.

Il ne s’agit pas, ici, de dresser un bilan exhaustif de cette loi, notamment parce qu’elle touche au droit pénal, mais plutôt de rappeler ses principales mesures et d’évoquer les premiers effets de leur application ainsi que ses perspectives d’évolution.

En premier lieu, ce texte a porté la durée de la prescription des crimes commis sur les mineurs de 20 à 30 années, étant précisé que ce délai court à compter de la majorité de ces derniers.

Nous avons souhaité prendre en considération les phénomènes qui peuvent empêcher une victime de parler, notamment l’amnésie traumatique. Cette mesure était inspirée des travaux d’experts et notamment de la mission de consensus menée par Flavie Flament et Jacques Calmettes.

Il est un peu tôt pour dresser un bilan, même provisoire, de cette disposition, qui devra être appréciée sur le long terme. Cela étant, je pense qu’elle permettra à davantage de victimes de faire valoir leurs droits devant la justice, spécialement en cas d’inceste, et d’éviter l’impunité des auteurs de tels faits que nous voulions particulièrement combattre.

En deuxième lieu, les affaires de Pontoise et de Melun avaient saisi l’opinion publique d’une émotion évidemment très légitime quant à l’insuffisante prise en compte par les juridictions du très jeune âge des victimes dans la qualification pénale des violences sexuelles commises, en particulier le viol ou les autres agressions sexuelles.

Il faut rappeler qu’avant l’adoption de cette loi, la définition du viol et des autres agressions sexuelles ne comportait aucune spécificité s’agissant des victimes mineures de moins de 15 ans. De ce fait, le juge devait rechercher l’existence d’une contrainte, d’une surprise, d’une menace ou d’une violence, sans être tenu légalement de prendre en compte la vulnérabilité liée au jeune âge des victimes.

Cette loi prévoit désormais un âge seuil que la juridiction doit prendre en compte. Le texte dispose clairement que « lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de 15 ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes ».

Cet article a suscité une large controverse, certains souhaitant aller plus loin avec la création d’une présomption de non-consentement. Notre tâche a consisté à rechercher la définition qui soit la plus protectrice des victimes, dans le respect de nos principes constitutionnels.

Le Conseil d’État et des personnalités qualifiées, je pense notamment à des magistrats, des avocats ou des universitaires, nous ont mis en garde sur le risque réel d’inconstitutionnalité de ce type de présomption de culpabilité, qui n’existe pas dans notre droit en matière criminelle.

Là encore, il paraît un peu tôt pour mesurer toutes les conséquences de cette modification du droit. Cela étant, le caractère interprétatif de cette disposition a permis qu’elle entre immédiatement en application, y compris pour les procédures en cours et les faits commis avant l’entrée en vigueur de la loi. Par ailleurs, cette nouvelle disposition est un guide utile pour les magistrats qui ne peuvent plus considérer qu’un mineur de moins de 15 ans à l’apparence physique ou au comportement d’un mineur plus âgé ou d’un adulte peut valablement consentir à un acte sexuel. Ils doivent désormais chercher à savoir si ce mineur disposait ou non d’un discernement suffisant.

Une troisième mesure phare de cette loi – nous en avons encore parlé à l’occasion d’autres textes – a consisté à réprimer le harcèlement en meute, autrement appelé « raid numérique ».

L’infraction de harcèlement reposait sur l’exigence de répétition de propos ou comportements d’un auteur déterminé et ne permettait pas de poursuivre efficacement les comportements de harcèlement constitués par la répétition d’actions uniques d’une pluralité de personnes, qui touchent particulièrement les enfants.

Nous avons donc adapté la définition de cette infraction. Adoptée de manière très consensuelle au sein de cette commission, mais également par les deux assemblées, cette disposition a permis de disposer d’une définition plus adaptée du harcèlement et de pouvoir mieux appréhender des usages numériques offrant à une pluralité d’auteurs, et non pas un seul auteur isolé, la possibilité de se livrer impunément à ce type de comportements.

La proposition de loi visant à lutter contre la haine sur internet, prenant acte du constat de l’exacerbation des discours de haine sur le web, est venue compléter ce dispositif en instaurant à la charge des opérateurs une obligation renforcée de retrait des contenus haineux en ligne. La loi du 3 août 2018 a donc trouvé des prolongements législatifs.

Cette loi s’est également attachée à apporter une réponse pénale claire à un ensemble de comportements trop souvent banalisés, et relevant de la zone grise que notre législation n’interdisait pas expressément, à savoir le harcèlement de rue : commentaires sur le physique, présence envahissante et opprimante, questions intrusives, invitations insistantes. Les exemples ne manquent pas.

Il s’agissait de sanctionner le premier échelon des violences sexuelles et sexistes, pour stopper net le continuum des comportements qui en sont constitutifs. Cette disposition avait suscité aussi beaucoup de débats, certains pessimistes pensant que cette nouvelle infraction n’emporterait pas beaucoup d’effets. Je crois pouvoir les rassurer aujourd’hui en leur disant qu’à la date du 4 octobre 2019, 894 contraventions pour outrage sexiste ont été relevées, dont 36 concernent des mineurs de 15 ans et 43 des outrages sexistes à raison de l’orientation sexuelle de la victime.

En outre, on observe une augmentation du nombre de peines de stages de prévention de la récidive prononcées par les juridictions contre les auteurs de violences. Entre le 1er janvier et le 30 septembre 2018, 3 148 peines de stages avaient été prononcées, contre 457 en 2015 par exemple.

Ont également été ordonnées 107 peines de stages de sensibilisation à la lutte contre l’achat de services sexuels en 2018, contre 4 sur les six derniers mois sur l’année 2017.

Je tiens particulièrement à saluer le travail des policiers et des gendarmes qui se sont emparés de cette nouvelle infraction, et je sais qu’ils continuent à le faire. À titre d’exemple, le préfet des Bouches‑du-Rhône a mis en place une session de formation très large englobant les policiers, les gendarmes, les agents des transports mais aussi les autres professionnels amenés à appréhender ces comportements. Cette formation, comme d’autres partout en France, a rencontré un vif succès. Il faut continuer à avancer sur ce chemin.

Enfin, cette loi a permis de compléter la liste des circonstances aggravantes des violences commises au sein du couple en créant une nouvelle circonstance aggravante lorsque les violences sont commises en présence d’un mineur. Il s’agit d’un sujet qui occupe beaucoup notre assemblée en ce moment. Nous avons ainsi fait passer ce message très fort selon lequel les enfants témoins de violences, notamment de violences conjugales, sont également des enfants victimes. Cela nous a aussi permis de mettre notre droit en conformité avec la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique.

Entre l’adoption de cette loi et juillet 2019, 590 condamnations ont pris en compte cette circonstance aggravante pour des faits de violences, mais également dans le cas d’agressions sexuelles. Cette circonstance aggravante trouve donc à s’appliquer et rappelle aux auteurs des faits les conséquences de leurs actes sur les enfants.

Nous avions également voté une disposition étendant l’application de la circonstance aggravante des faits commis sur un conjoint, concubin ou partenaire aux couples non-cohabitants, afin de mettre un terme aux disparités d’appréciation par les juridictions.

Nous continuons à travailler sur ces dispositions dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales.

Il me sera très bientôt confié une mission d’évaluation de cette loi par le Gouvernement. Il ne sera pas question de dresser un bilan exhaustif de ces dispositions un an seulement après leur entrée en vigueur, notamment parce qu’en matière criminelle les procédures sont longues. Mais cette mission permettra, je l’espère, de faire le point sur les premiers effets de cette loi et d’entendre toutes les personnes impliquées dans sa mise en œuvre. Ce sujet demande de notre part une attention permanente, en ayant toujours à cœur – je crois que c’est important, c’est cela qui a guidé nos travaux – une meilleure protection des victimes et le respect des principes de notre droit.

Il s’agit d’un travail de longue haleine parce qu’il y a encore aujourd’hui trop d’impunité pour les auteurs de ces violences.

M. Philippe Dunoyer, rapporteur d’application. J’interviens également aujourd’hui en ma qualité de membre de la Délégation aux droits des femmes qui travaille, dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales, sur les moyens de mieux lutter contre ces violences. Ce travail, lancé il y a maintenant un mois, nous occupera pendant encore un mois et demi environ.

Je considère que la loi du 3 août 2018 a été un complément utile au droit alors en vigueur, notamment en termes de prévention. Malheureusement, lorsque les violences aboutissent au sein du couple ou de la famille à des drames, elles sont bien souvent précédées d’éléments qui, s’ils peuvent être détectés en amont, pourraient être traités et conduire à un accompagnement de leurs auteurs.

En ce sens, l’augmentation du nombre de peines de stages prononcées qui a été rappelée tout à l’heure est importante. Nous pouvons et nous devons en effet mettre entre les mains des forces de l’ordre et de l’autorité judiciaire les moyens de mieux prévenir les violences.

Pour mesurer l’effectivité ou l’efficacité de cette loi, il faudra encore attendre un peu de temps, pour que les procédures judiciaires soient menées jusqu’à leur terme.

Je voudrais revenir sur deux préoccupations qui ont cristallisé l’attention lors des débats sur cette loi.

Il s’agit, d’abord, du risque de correctionnalisation des procédures portant sur des qualifications d’agressions sexuelles commises sur des mineurs. Je considère que, sur ce sujet, nous avons avancé avec cette loi. Il faut maintenant laisser le temps à la Chancellerie de collecter les données qui lui remontent pour savoir si les qualifications de viol commis sur mineurs ont progressé ou pas.

Il s’agit, ensuite, de la question de la présomption de non-consentement dont nous avons longuement débattu. Naturellement, il convient de se conformer à nos principes constitutionnels, mais, à titre tout à fait personnel – et je ne suis peut-être pas le seul – je considère que nous pouvons aussi continuer de réfléchir à une modification de ces principes constitutionnels, lorsque les victimes sont très fragiles. C’est le cas des mineurs qui sont souvent les victimes des atteintes les plus graves. Nos principes constitutionnels doivent pouvoir évoluer pour protéger encore mieux nos enfants victimes d’agressions sexuelles.

Sur la lutte contre le cyber-harcèlement, la répression des « raids numériques » est à mettre au crédit de cette loi. Mais, encore aujourd’hui, des hébergeurs ou des plateformes ne coopèrent pas dans la lutte contre ces comportements. Twitter, par exemple, continue de ne pas délivrer des adresses IP à l’autorité judiciaire, et maintient des messages pourtant illégaux.

Nous avons récemment adopté, à l’Assemblée, la proposition de loi contre la haine sur internet, qui rehausse notre degré d’exigence à l’égard des hébergeurs et des plateformes. Lorsque ce texte sera définitivement adopté, il sera intéressant de vérifier que les hébergeurs ou les plateformes ne se considèrent pas comme des spectateurs de ces nouvelles règles numériques. Bien sûr, ils ne sont pas complices des abus en ligne, mais ils doivent agir résolument contre. Ils doivent mettre en adéquation leurs outils, retirer les contenus illicites a fortiori lorsqu’une plainte est déposée et une condamnation prononcée. Ils doivent coopérer, parce qu’un « raid numérique » agresse violemment la victime. Et la contagion de ce « raid » comme le nombre de personnes qui en sont témoins sont une agression continue et insupportable pour la victime, qui exige de l’hébergeur ou de la plateforme une réaction rapide. Soyons donc vigilants sur ce sujet.

Un dernier mot sur la contravention d’outrage sexiste qui contribue, au-delà de la répression, à une meilleure prévention de comportements inacceptables. À ce stade, 894 contraventions ont été enregistrées en treize mois. C’est mieux que rien, mais cela reste un chiffre décevant et dont il va falloir surtout apprécier l’application uniforme sur l’ensemble du territoire. Pour rappel, l’Institut national d’études démographiques avait recensé, en 2017, trois millions de femmes qui, chaque année, se disaient victimes de harcèlement ou d’outrage, ce qui montre les progrès qu’il reste à accomplir.

Je voudrais évoquer devant vous une difficulté qui m’est chère, il s’agit de l’application de ce dispositif en outre-mer. En Nouvelle-Calédonie, j’ai interrogé les services de gendarmerie et de police pour savoir combien de contraventions avaient été recensées. Et la réponse est : aucune en treize mois. Je ne suis pas certain que le chiffre soit beaucoup plus élevé ailleurs, notamment en Polynésie française.

Cette question mérite de faire l’objet d’une information et d’une communication supplémentaires à notre Commission. Peut-être existe-t-il un décalage d’application dans le temps ou dans la remontée des informations, mais trop souvent, les territoires d’outre-mer constatent un gouffre entre l’annonce d’une réforme, l’entrée en application et l’effectivité de la répression quelles qu’en soient les raisons.

S’agissant des contraventions d’outrage sexiste, mais plus globalement en matière de violences, cela est d’autant plus incompréhensible et insupportable que, malheureusement, les territoires d’outre-mer sont les plus violents. Il est à craindre que le Grenelle contre les violences conjugales ne confirme ce constat pour les violences sexuelles ou physiques à l’intérieur des couples. Par exemple, la Nouvelle-Calédonie a, dans ce domaine, un taux de violences qui est sept à huit fois supérieur à la moyenne nationale.

Le Grenelle ne pourra sans doute pas répondre à cette problématique de société en profondeur sans que cette loi ne fasse l’objet d’une meilleure application en outre-mer.

En conclusion, laissons-nous du temps pour apprécier l’effectivité de cette loi mais je serai susceptible de solliciter les services de la Commission pour, ponctuellement, aller rechercher des informations relatives à l’outre-mer et comprendre les raisons de ce décalage d’application, s’il est avéré.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mme Louis a maintenant son attention appelée sur la situation des outre-mer. Sans doute aura-t-elle accès, dans le cadre de la mission qui lui a été confiée par le Gouvernement, à des données qui lui permettront de répondre à votre légitime préoccupation.

M. Erwan Balanant. Je voudrais rappeler que la Délégation aux droits des femmes s’était saisie de ce projet de loi et que j’en étais co-rapporteur avec la présidente, Mme Rixain. Beaucoup de choses ont été dites, et bien dites, sur les différents volets du texte.

Je reviens sur la question de l’outrage sexiste, parce que peut-être que nous ne l’avons pas assez dit, cette disposition est un véritable succès. On nous avait dit pis que pendre de cette disposition, notamment à force d’exemples étrangers décevants, comme celui de la Belgique, qui avait adopté des dispositions sur le harcèlement de rue n’ayant donné lieu à l’établissement d’aucun procès-verbal.

La raison de ce succès en France est aussi le contexte de l’élaboration de ce texte, issu d’un travail de réflexion et de rédaction collectif et transpartisan.

La secrétaire d’État, Mme Marlène Schiappa, avait missionné cinq députés de différents groupes politiques qui ont travaillé pendant presque quatre mois sur la définition de l’outrage sexiste pour aboutir à une disposition co-construite par les députés et les services du Gouvernement. C’est un exemple à méditer dans d’autres secteurs.

Cette disposition est d’autant plus efficace qu’elle était réclamée par les forces de sécurité. J’ai le souvenir d’un représentant de la gendarmerie qui, lors des auditions, nous avait dit : « Faites-nous cet outil, il va nous servir, il sera efficace ».

En réponse à mon collègue Dunoyer, qui mettait en rapport les 846 contraventions et les 3 millions de victimes déclarées dans l’enquête Violences et rapports de genre (Virage) de l’Institut national d’études démographiques, j’indiquerai que ce texte est aussi une façon d’abaisser le seuil de tolérance. Pendant les débats, j’avais fait la comparaison – évidemment, comparaison n’est pas raison, parce que nous sommes sur des sujets bien différents – avec la ligne blanche en matière de sécurité routière : nous disons « stop ». Évidemment, il n’y a pas un gendarme derrière tous les stops de France et de Navarre, mais aujourd’hui, la quasi-totalité des automobilistes respectent cette règle.

Avec cette loi, nous avons fixé un nouvel interdit et cet interdit abaisse le seuil de tolérance. J’espère que notre société va intégrer le fait que l’on ne harcèle pas une femme dans la rue.

Enfin, le texte a ouvert la possibilité de déposer la plainte en ligne. Sur ce sujet, j’aimerais que nous ayons un retour sur le nombre de plaintes déposées en ligne. Il s’agit d’un outil qui peut être efficace, à condition d’accompagner les personnes et de disposer de statistiques sur les plaintes déposées et les suites qui leur sont données.

M. Paul Molac. D’après les informations à ma disposition, il y aurait eu 713 amendes pour outrage sexiste depuis l’année en vigueur de la loi. Sans vouloir tempérer l’enthousiasme de mon collègue, selon les associations, cela reste très en deçà de la réalité de ce que vivent les femmes au quotidien. Nous avons encore un progrès non négligeable à faire, même si je veux bien admettre que nous sommes en train de nous soigner collectivement.

Par ailleurs les associations pointent du doigt le fait que, parfois, les femmes victimes sont mal reçues dans les commissariats. Je l’ai déjà entendu aussi personnellement. La présence croissante de femmes dans la police devrait mettre de l’huile dans les rouages. Cela étant, il y a peut-être des formations à développer pour mieux former les policiers.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Sur cette infraction d’outrage sexiste, je rejoins évidemment Erwan Balanant qui a rappelé l’important travail de concertation mené avant l’adoption du texte et particulièrement sur la question du harcèlement de rue. Cette concertation a permis de mobiliser les parlementaires, le Gouvernement, mais aussi beaucoup la société civile. Je le remercie de son engagement.

S’agissant de l’exemple belge, je ferai observer que le dispositif retenu était très différent du nôtre. L’intérêt de la contravention française est de permettre la verbalisation sur-le-champ.

Je veux indiquer à Paul Molac que nous sommes bien à 894 contraventions. Évidemment, nous sommes loin du compte, c’est une certitude. Cependant, la loi n’a été promulguée qu’il y a un peu plus d’un an. 894 contraventions notifiées, c’est à mon sens un excellent signe. Il faut se dire – c’est ce que j’ai tenu à souligner – que nous sommes au début du chemin. Il va falloir continuer mais les retours du terrain sont rassurants. Un nombre croissant de policiers et de gendarmes se mobilisent et veulent aller plus loin. Preuve en est que les demandes de formation en la matière atteignent des niveaux record.

Cela me permet de rebondir sur le sujet du recueil des plaintes, qui nous a animés au travers de beaucoup de textes. Nous en parlons également dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales. Il y a eu beaucoup de progrès en matière d’accueil des victimes, même si des difficultés persistent dans certains commissariats ou certaines gendarmeries. La ministre Marlène Schiappa a annoncé qu’un audit serait lancé pour identifier les difficultés.

Je le répète : policiers et gendarmes font preuve de bonne volonté, notamment en ce qui concerne la formation. Il faut bien sûr qu’il y ait plus d’accompagnement, il faut évidemment aller plus loin, parce que cette phase de prise de plainte est très importante. Une victime à qui l’on dit : « Revenez demain ou déposez une main courante », on sait que c’est une victime que l’on ne reverra probablement pas, ou alors dans des circonstances beaucoup plus dramatiques.

J’en profite pour souligner l’effet positif de la plateforme de signalement des violences sexistes et sexuelles, qui permet à une victime ou à un témoin de se rendre sur une plateforme, qui prend la forme d’un tchat, afin d’être mis en relation avec un policier ou un gendarme, si nécessaire de manière anonyme. Les premiers retours sont plutôt positifs. La plateforme permet de mettre en confiance le témoin ou la victime, d’établir un premier contact, d’envisager ou non une suite. Mais il faut aussi respecter les victimes qui ne souhaitent pas porter plainte.

Sur ce sujet nous travaillons aujourd’hui, nous avons travaillé hier et nous continuerons à travailler demain, car il requiert l’attention de chacun. Comme élus et citoyens, nous avons besoin de la mobilité de la société civile pour avancer sur un sujet de société mais aussi de démocratie, qui met en cause l’égalité entre les femmes et les hommes.

M. Philippe Dunoyer, rapporteur d’application. Pour répondre à mon collègue Balanant, je confirme que 894 contraventions, c’est beaucoup mieux que zéro. L’intention du législateur a été suivie d’effets. Il s’agit probablement d’un chiffre qui chaque jour ou chaque mois va augmenter. Il est surtout important parce qu’il change la tolérance du corps social sur ces questions, dans la rue, dans la sphère professionnelle ou dans la sphère familiale.

Je voulais indiquer à mon collègue Paul Molac que dans le cadre du Grenelle, le Premier ministre a annoncé lors de son discours introductif – et ma collègue Alexandra Louis vient de le dire – le lancement d’un audit dans 400 commissariats et gendarmeries, pour certains d’entre eux en outre-mer. Le ministre de l’Intérieur, récemment entendu par la Délégation aux droits des femmes, a eu l’occasion de le rappeler. Il ne s’agit pas de stigmatiser les policiers et les gendarmes bien entendu, mais, très objectivement, il n’y a pas de territoires où l’on considère que l’accueil des victimes est parfait. Ce qui est cause, par ailleurs, c’est la formation des forces de l’ordre. Il s’agit d’un point important que le ministre de l’Intérieur a tenu à souligner. La formation initiale des nouveaux policiers et gendarmes, mais aussi la formation continue, devront contribuer à améliorer le dépôt de plainte.

Ma collègue a raison, il faut respecter les femmes qui ne déposent pas plainte. Elles sont beaucoup plus nombreuses que celles qui font l’effort de déposer une plainte. Les femmes victimes d’agressions ou de violences sont trop souvent, je ne veux pas dire dans « l’acceptation », parce que le mot n’est pas approprié… disons réticentes à franchir cette étape pour des raisons qui tiennent à l’environnement familial, personnel, économique, professionnel.

C’est en cela que ce texte et les mesures qui seront décidées dans le cadre du Grenelle sont complémentaires. Elles doivent nous permettre d’accompagner les victimes dans le cheminement très difficile du dépôt de plainte : par la généralisation du dépôt de plainte à l’hôpital ou par la création du sas intermédiaire qui consisterait à faire réaliser des prélèvements par des officiers de police judiciaire, qui seraient conservés pendant trois ans, jusqu’à ce que la plainte soit déposée.

Cette loi, comme les mesures qui suivront, sont utiles, nécessaires et traduisent notre vigilance, comme la vigilance que la société doit avoir, devant ce phénomène de société.

M. Erwan Balanant. Ce texte – M. Dunoyer l’a bien dit – a été une étape et il y en aura d’autres. Il y a par exemple la proposition de loi de Monsieur Pradié dont nous débattrons en séance jeudi. Mais à côté de ces volets législatifs, c’est toute une culture de la lutte contre les violences faites aux femmes qu’il faut développer. Cette culture progresse mais pas suffisamment. J’ai été contacté récemment par plusieurs femmes qui, parce qu’elles savent que je travaille sur ces sujets, m’ont envoyé des messages faisant état des améliorations constatées dans la prise en charge des victimes de violences sexuelles dans les commissariats et les gendarmeries. Les choses avancent et il faut s’en féliciter.

Mais je voudrais souligner l’importance de l’audit de ces commissariats. Car au-delà de la question de la formation des forces de l’ordre se pose le problème des conditions matérielles. Dans certains commissariats, quand vous avez une seule salle d’attente ou des petites salles d’audition qui ne sont ni fermées, ni cloisonnées, il est extrêmement difficile de prendre correctement la plainte d’une femme sur des sujets aussi intimes. Il est donc très bien que ces audits aient lieu.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous allons maintenant examiner le dernier texte, à savoir la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. La rapporteure était Élise Fajgeles, suppléante de Benjamin Griveaux, qui n’est plus membre de notre Assemblée. J’ai donc demandé à Florent Boudié, qui était responsable du texte pour le groupe majoritaire, de la remplacer. Le rapporteur d’application est Guillaume Larrivé, qui, en ce moment, arpente les routes de France. Il ne peut être avec nous ce matin.

M. Florent Boudié, rapporteur. Merci, Madame la Présidente, de faire en sorte que nous consacrions du temps à l’évaluation de l’application des textes votés par notre Commission. 40 % des textes, me semblent-t-il, sont examinés par la commission des Lois. Cela représente une masse importante. Par conséquent, nous devons être à la fois écrivains publics, d’une certaine façon, législateurs, tout en étant vigilants sur l’application des textes que nous votons en commission et dans l’hémicycle.

La difficulté concernant la loi du 10 septembre 2018, dite « loi Collomb », est qu’elle est appliquée depuis moins d’un an. Par conséquent, toutes les mesures n’ont pas encore donné leur plein effet.

Nous devons également être vigilants sur un certain nombre de données infra-annuelles qui ne sont pas disponibles. Ainsi que me l’a confirmé hier le directeur général des étrangers en France, M. Pierre-Antoine Molina, nous ne disposons pas de toutes les données, en particulier celles issues de l’application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF), qui ne fournit pas de statistiques mensuelles sur un certain nombre d’éléments concernant les ressortissants étrangers.

Néanmoins, nous pouvons tout de même tirer un premier bilan de la loi, d’autant plus que nous avons abordé la question de l’immigration cette semaine dans le cadre du débat sur la politique migratoire de la France et de l’Europe. Au fond, le temps que nous allons consacrer ce matin à l’application de cette loi est à verser au débat qui a débuté ce lundi.

Les objectifs de la loi s’articulaient autour de trois grands axes :

– accélérer le traitement des demandes d’asile et améliorer les conditions d’accueil, dans une perspective de protection des ressortissants qui souhaitent accéder au statut de réfugié ;

– renforcer l’efficacité de la lutte contre l’immigration irrégulière, nous avons quelques données actualisées sur ce sujet extrêmement important ;

– mieux accompagner l’intégration et l’accueil des étrangers en situation régulière.

Quarante dispositions que nous avions adoptées nécessitaient l’élaboration d’un décret d’application. La plupart ont été publiés. 10 au total ont été signés, dont 5 en Conseil d’État. Ils ont été publiés entre le 6 décembre 2018 et le 28 février 2019. Conformément à ce que nous avions voté, la loi est entrée en application en deux temps : au 1er janvier et au 1er mars 2019.

Un décret est aujourd’hui en cours d’examen auprès du Conseil d’État, saisi pour avis. Il porte sur les dispositions d’ajustement de l’allocation pour demandeurs d’asile, pour les ressortissants issus de pays d’origine sûrs après le rejet de leur demande par l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA). La presse s’en est fait l’écho ces dernières semaines, bien que nous ne connaissions pas, à cette heure, l’avis du Conseil d’État.

Je souhaite faire le point sur l’accélération du traitement de la demande d’asile, qui est essentielle. Cette question a été abordée à plusieurs reprises ici même. Elle doit permettre aux demandeurs qui sont concernés d’être pris en charge plus rapidement et plus effectivement. L’objectif fixé par le plan gouvernemental qui avait été présenté dès l’été 2017, avant même que la loi ne soit débattue ici, visait un délai global de six mois de traitement de la demande d’asile, 60 jours pour l’examen de la demande par l’OFPRA, 120 jours au stade de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Pour y parvenir, plusieurs dispositions avaient été prises.

D’abord, le déploiement des centres d’accueil et d’examen des situations (CAES), dont nous avions très longuement ici défendu la mise en place, ainsi que le renforcement des moyens des guichets uniques pour demandeurs d’asile. Ces deux solutions ont permis de faire baisser le délai d’enregistrement des demandes d’asile en préfecture. Il était de 18 jours en 2017, contre 6 jours aujourd’hui. Il atteint même, en Île-de-France, trois jours. Il s’agit d’un progrès très significatif, car je vous rappelle que dans nos débats, la question du délai d’enregistrement avait été essentielle.

Deuxième mesure prise, la réduction de 120 à 90 jours du délai pour déposer, en procédure normale, une demande d’asile après l’arrivée du demandeur sur le territoire. Ce sujet avait provoqué beaucoup de débats au sein de notre Commission et dans l’hémicycle. Depuis le début de l’année, ce dispositif a conduit à une augmentation de 21 % du nombre de procédures accélérées et a permis de desserrer la pression sur la chaîne de l’asile.

Enfin, si le délai moyen d’instruction de l’OFPRA s’établissait à 150 jours en 2018, la hausse de 22 % de la demande d’asile sur l’année 2018, ainsi que la hausse à 25 % de la part des seuls ressortissants de pays d’origine sûre ont considérablement pesé sur l’évolution des délais en 2019 qui s’établissent aujourd’hui à 190 jours. Il s’agit là de la conséquence de la pression exercée par l’augmentation du nombre de demandeurs d’asile dans notre pays.

La mise en œuvre de la loi du 18 septembre 2018 a nécessité de nouvelles mesures d’organisation, en cours de déploiement au sein de l’OFPRA, et ce à toutes les étapes de la procédure afin de la fluidifier et de la raccourcir. Il s’agit par exemple de la convocation aux entretiens ou de la notification des décisions par voie électronique pour s’affranchir des délais postaux. Le logiciel est prêt et la dématérialisation est en cours. Elle sera généralisée et effective sous peu. Nous constatons ainsi une application très correcte du texte voté l’année dernière.

Couplé avec une nouvelle augmentation du plafond d’emploi prévue par le projet de loi de finances pour 2020, l’ensemble des mesures doivent permettre, selon la direction générale des étrangers en France, dans l’hypothèse bien sûr d’une stabilisation de la demande d’asile en France, d’atteindre le délai cible de deux mois à la fin de l’année 2021, conformément aux engagements que nous avions pris.

À la CNDA, le délai moyen, de 6 mois et 15 jours aujourd’hui, a augmenté au total de 39 jours. Cette augmentation s’explique pour deux raisons.

D’abord, la hausse de l’activité de l’OFPRA a un impact, en aval, pour la CNDA. Il faut également souligner les conséquences de plusieurs mouvements sociaux qui ont notamment porté sur le déploiement de la vidéo-audience prévu par la loi du 10 septembre 2018.

Selon les chiffres qui m’ont été communiqués hier, au total, ces mouvements auraient entraîné le report de 10 000 décisions de la CNDA, augmentant par conséquent le stock des dossiers en cours, et bien sûr allongeant les délais de traitement.

Les moyens en termes d’effectifs, obtenus par la CNDA depuis 2018, et renforcés pour 2020, devraient permettre de soutenir l’engagement de réduction du délai de traitement. Je rappelle que, pour les années 2019 et 2020, ce sont près de 550 postes supplémentaires qui sont affectés à l’OFPRA et à la CNDA. Comme le Premier ministre l’a rappelé lors du débat de lundi, nous serons en capacité, là encore sous réserve d’une stabilisation de la demande d’asile dès 2020, de parvenir à un délai de traitement de la demande d’asile de six mois en moyenne à l’année 2022.

Je souhaite maintenant évoquer l’axe stratégique du renforcement de la lutte contre l’immigration irrégulière. Le premier constat est que la loi a un impact très significatif sur notre capacité à éloigner plus vite et de façon beaucoup plus importante qu’autrefois. Le nombre de retours forcés exécutés est en nette hausse en 2018, de l’ordre de 10 %. Au total, il sera supérieur de 21 % par rapport à l’année 2016. Je rappelle que les éloignements forcés ne sont comptabilisés que depuis l’année 2010. Nous allons atteindre, en 2019, le plus haut niveau d’éloignements forcés jamais réalisés. Il s’agit d’un effort très significatif. Nous retrouvons enfin une capacité à éloigner les étrangers en situation irrégulière. Il s’agit d’un objectif absolument prioritaire.

Comme l’a indiqué le Premier ministre lundi, le doublement de la durée maximale de rétention de 45 à 90 jours n’a pas entraîné de hausse significative de la durée moyenne de rétention. Il est très important de souligner cet élément, parce que, dans nos débats, s’était posée la question de la systématisation du recours à l’allongement de la durée de rétention. Nous avions évoqué la possibilité pour l’État d’utiliser ce délai pour les situations qui l’exigeaient, notamment pour obtenir les laissez-passer consulaires.

La réalité de l’application de la loi au cours de l’année 2019 est que l’État a utilisé cette faculté nouvelle de façon tout à fait ciblée. Au cours du premier semestre, 10 % d’étrangers ont été retenus au-delà du seuil de 45 jours, 0,8 % au-delà de 80 jours, et dans 44 % des cas, ce prolongement – c’était l’objectif – a permis la réalisation de l’éloignement grâce à un taux d’obtention des laissez-passer consulaires qui atteint un niveau historique de 65 %. En arrière-plan, les discussions diplomatiques sont évidemment extrêmement importantes.

Il en résulte un taux d’occupation des centres de rétention administrative (CRA) en forte augmentation. Le Gouvernement a d’ailleurs engagé, sur la période 2018‑2020, un plan d’augmentation de la capacité d’accueil des centres de l’ordre de 35 %, avec la création de 480 nouvelles places, pour accentuer encore notre capacité d’éloignement des étrangers en situation irrégulière.

L’augmentation de la capacité de rétention se traduit, en parallèle, par le renforcement des dépenses de santé dans les CRA. Il s’agit d’un aspect important, parce que, là encore, nous avions souhaité être vigilants dans l’application de la loi sur l’accompagnement des ressortissants en situation irrégulière retenus pendant une durée de rétention qui pouvait être prolongée jusqu’à 90 jours.

Au total, en 2020, les crédits de dépenses de santé pour les seuls CRA seront de 8,5 millions d’euros. Il s’agit d’un engagement très significatif. Depuis le mois de septembre, des permanences de psychologues sont déployées petit à petit dans les centres. Là aussi, cette mesure entre en résonance avec des débats que nous avions eus sur le défaut d’accompagnement psychologique des ressortissants en rétention.

5 millions d’euros ont également été consacrés au déploiement d’activités qui sont dites occupationnelles, c’est‑à‑dire qui proposent aux retenus un certain nombre de loisirs dans un contexte qui est, bien sûr, limité. Cela étant, un réel effort a été accompli de ce côté-là.

La rétention des familles avec mineurs ne relève pas à proprement parler de l’application de la loi dite Collomb. C’est plutôt d’un défaut de mesure dans ce texte auquel je vais faire référence. Il s’agit d’un sujet sur lequel nous avions beaucoup débattu, y compris avec nos collègues du groupe MODEM, et bien sûr au-delà.

En 2018, 108 familles et 197 mineurs ont été placés en rétention dans un des 11 centres habilités en métropole à recevoir des familles avec mineurs. Le nombre de familles concernées était de 153 en 2017. Cette baisse n’est pas négligeable, même si on constate un allongement, voire un doublement du délai de rétention. Nous étions, à quelques heures près, autour de 16 heures en 2017, contre 34 heures sur l’année 2018, avec un taux d’éloignement de l’ordre de 81 %. Vous voyez que, pour les familles avec mineurs, il y a une extension de la rétention mais qui est mesurée, 34 heures restant une situation soutenable. Cette augmentation reste cependant forte et il ne s’agit que d’une moyenne.

Sur ce sujet précis, la volonté du groupe majoritaire reste intacte. Il s’agit d’apporter des réponses très fortes et très progressistes sur la question de la rétention des familles avec mineurs. Nous sommes en discussion avec l’exécutif. Pour tout vous dire, une proposition de loi est prête à être déposée. Elle repose sur un dispositif qui me semble être à la fois sérieux et opérationnel : sérieux, car des situations nécessitent une rétention, à la veille d’un éloignement par avion, par exemple ; opérationnel, parce qu’il ne faut pas négliger que les services de l’État doivent pouvoir disposer d’un certain nombre d’outils pour procéder à l’éloignement.

La solution que nous proposerons le moment venu, je vous la délivre ici, bien que beaucoup d’entre vous la connaissent, car nous avons pu en discuter au cours des mois précédents, ce serait que la décision de placement des familles avec mineurs ne soit plus prise par l’autorité préfectorale, mais par un juge, en particulier le juge des libertés et de la détention (JLD). Cela ne serait pas l’abolition car il faut, dans certaines situations, pouvoir éloigner. Certains flux, en particulier de demandeurs d’asile, reposent en grande partie sur une immigration familiale. Cela est notamment le cas des ressortissants géorgiens ou albanais. S’il faut pouvoir maintenir des dispositions ciblées de rétention, nous souhaiterions que ce soit le JLD qui prenne cette décision parce qu’elle est lourde de sens et parce qu’elle concerne la question essentielle de l’intérêt supérieur de l’enfant.

À la suite du rapport d’Aurélien Taché, la question plus large de l’intégration et de l’accueil des étrangers en situation régulière a fait partie de nos priorités. D’ailleurs, il ne s’agit pas de la fin de l’histoire, puisque, comme le Premier ministre l’a dit dans l’hémicycle lundi, il y aura sans doute un repositionnement à opérer, pour la France, en termes de stratégie d’intégration. Cela étant, nous pouvons rappeler que la loi « Collomb » portait fortement la volonté d’attirer, en particulier en France, des ressortissants en capacité de contribuer d’une certaine façon au rayonnement de notre pays, à son attractivité et à son dynamisme économique. Elle a donc opéré un ciblage vers les plus diplômés, notamment avec le passeport talent qui a été étendu aux salariés d’entreprises innovantes ainsi qu’à toute personne susceptible de participer au rayonnement de la France.

La loi a également étendu la carte de séjour pluriannuelle de quatre ans « passeport talent » aux membres de la famille du titulaire de la carte qui n’ont plus à passer par la procédure du regroupement familial. Il s’agit là aussi d’une facilité qui accroît l’attractivité du dispositif.

Les effets de la loi sont déjà là puisque la délivrance de ces passeports est en hausse de 21 % en 2018. Si l’on essaye d’entrer dans une logique – je n’aime pas beaucoup le terme, mais il existe, autant l’employer – d’immigration choisie, en tout cas ciblée, il est possible d’obtenir, par des mesures législatives bien pensées, un impact immédiat. C’est le cas du passeport talent.

Pour terminer, la loi n’est qu’à mi-chemin, d’une certaine façon, dans sa mise en œuvre. Le plein effet de ces dispositions n’a pas encore donné tous ses résultats. Des éléments conjoncturels – je parlais de l’augmentation l’année dernière de la demande d’asile – n’ont, par exemple, pas permis de raccourcir le délai de traitement de la demande d’asile.

Il faut rester prudent sur l’appréciation des conséquences de la loi. Celle-ci a permis de poser les fondamentaux et les bases d’une stratégie sur la question migratoire. Mais si nous avons souhaité, à la suite de la proposition, de la demande même, du Président de la République, débattre de cette question à nouveau, c’est parce que nous voyons bien que l’enjeu est beaucoup plus global, et qu’au fond il ne relève pas du seul giron du ministère de l’Intérieur. En effet, la question n’est pas simplement celle du droit des étrangers ou du droit des demandeurs d’asile. Notre spectre doit être plus large.

Sur la question de l’intégration par exemple, notre vision institutionnelle s’est souvent fondée sur les choses essentielles que sont la formation linguistique et la formation aux institutions françaises de la République française. Mais l’intégration, c’est bien plus : l’accès au travail, l’éducation, la santé, le logement, l’urbanisme ou la politique de la ville. En conséquence, vous comprendrez que mon intervention ne soit qu’un point d’étape très provisoire.

M. Raphaël Schellenberger. Vous ne serez pas surpris que nous ayons une autre lecture de l’efficacité de cette loi. Aujourd’hui, nous constatons une décorrélation entre le titre de la loi, prétendument sur l’asile et l’immigration, les mesures qu’elle contient et celles qui sont effectivement mises en application : l’asile devient l’outil de la politique migratoire de ce Gouvernement qui n’a pas de politique d’immigration. Cela a conduit à une augmentation conséquente des demandes d’asile et fragilise l’ensemble de notre dispositif de protection des populations fragiles. Je rappelle les faits : en 2017, 100 000 demandeurs d’asile ; en 2018, 122 000 ; en 2019, nous devrions terminer l’année autour de 140 000 demandes.

Cette augmentation du nombre de demandes d’asile est d’autant plus surprenante qu’une grande partie du flux vient de pays d’origine sûrs. Je pense notamment aux 15 % de demandeurs d’asile enregistrés en France qui sont originaires de l’Albanie ou de la Géorgie.

Tout cela est le résultat de l’absence de politique d’immigration, qui fait que les flux se reportent sur l’asile, ce qui affecte l’efficacité de sa procédure. Malgré le développement, par la loi, de la procédure accélérée, le temps de traitement des demandes d’asile n’a pas baissé, alors que c’était l’un de ses objectifs centraux.

L’augmentation du nombre de procédures accélérées n’a donc pas eu pour conséquence la diminution du délai de traitement. Il s’agit d’un élément important à rappeler lorsque l’on observe ou lorsque l’on souhaite observer l’efficacité ou la mise en application de la loi que nous avons votée.

Nous devrons observer dans l’année qui vient les effets réels de l’élargissement du regroupement familial, pour sa première année d’application. On peut anticiper une accélération du regroupement familial, nouvelle version. Je rappelle que cette vision du regroupement familial organise l’irresponsabilité des parents, qui peuvent envoyer en première ligne un mineur sur le territoire français qui, une fois présent, pourra faire venir non seulement un parent pour le protéger, mais aussi faire rapatrier ses frères et sœurs, la fratrie complète, qu’ils soient ou non en danger dans le pays d’origine. Il conviendra d’observer cet élément très précisément dans les mois à venir.

Sur la réalité du traitement des demandes d’asile, j’aimerais d’abord rappeler que 90 % des demandeurs sont déboutés. Cela étant, le nombre d’éloignements a été réduit de 20 %, alors même que le nombre de demandes a augmenté et que le taux de rejet n’a pas diminué. L’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) atteint seulement 10 %, et le nombre d’éloignements forcés a baissé de 30 %.

Voilà autant d’éléments convergents démontrant qu’il existe, finalement, deux façons d’entrer en France par l’asile. La première est d’arriver et d’obtenir le droit d’asile ; la seconde est d’être débouté et de rester de façon irrégulière sur le territoire national. Cela est bien la preuve qu’il n’y a pas de politique migratoire, ni de fermeté dans les décisions de l’État. C’est d’autant plus grave que nous constatons dans le projet de loi de finances pour 2020 une baisse de 10 % du budget consacré à la lutte contre l’immigration irrégulière. Cette baisse est incompréhensible étant donné la dynamique importante des chiffres de l’immigration et de la demande d’asile corrélés à une stabilité du taux de rejet.

Je me suis également inquiété de l’augmentation du délai sur les recours formés contre les décisions d’asile. In fine, cette extension du délai produit un allongement du temps de présence irrégulière sur le territoire, qui conduit à une installation de plus en plus pérenne sur le territoire national qui rend plus difficile l’expulsion une fois la demande déboutée.

Tout cela nous conduit à nous interroger, comme nous l’avions fait au moment du vote de ce texte, sur la pertinence de ses dispositions et à rappeler que cette loi est avant tout technocratique. Le traitement administratif des demandes n’a ni changé, ni dérapé sans être pour autant plus efficace. Elle a finalement renforcé l’illisibilité de notre stratégie migratoire sur le plan international et conduit à une augmentation des interprétations opportunistes faites par les migrants.

Je rappelle ce que nous demandions en 2018 et que nous continuons à demander aujourd’hui : le rejet d’une demande d’asile doit automatiquement être accompagné d’une OQTF qui doit être mise en œuvre. Par cette seule façon l’État pourra redorer et rendre à nouveau lisible, compréhensible et protecteur, le droit d’asile auquel nous sommes particulièrement attachés.

Mme Valérie Boyer. Permettez-moi de partager le bémol exprimé par mon collègue Raphaël Schellenberger sur le bilan de cette loi. Il est assez effrayant de voir qu’au bout d’un an, toutes les dérives que nous avions dénoncées durant les débats se sont aggravées.

Je voudrais simplement vous parler de cohérence. Je constate que le dévoiement du droit d’asile n’est plus approuvé puisque même des membres de la majorité l’ont dénoncé. Néanmoins, rien n’est mis en œuvre pour l’empêcher. Cette voie d’entrée en France constitue non seulement une sorte de prime à l’illégalité mais, qui plus est, une faillite de notre devoir de protection des personnes auxquelles nous devons l’asile, je pense notamment aux combattants de la liberté. Il s’agit d’une double erreur et d’une double incohérence.

Mon collègue vient de parler de pays d’origine sûrs comme l’Albanie et la Géorgie. Je voudrais parler aussi de tous les pays du Maghreb, parce qu’ils constituent aussi une des voies d’entrée par l’asile, et de pays comme le Mali, où nos soldats ont payé le prix du sang pour assurer la paix. Nous sommes, en quelque sorte, punis par plusieurs biais.

Il y a également la question des mineurs isolés qui n’a pas été évoquée. Leur situation s’est largement aggravée et pose plusieurs problèmes. À Marseille, à la fin du mois de septembre, nous approchions le cap des 1 100 mineurs. Les Bouches-du-Rhône font partie des trois départements que l’on appelle « Millenium », où le nombre de 1 000 mineurs étrangers isolés non accompagnés a été franchi.

Aujourd’hui, ces mineurs étrangers représentent 25 % du budget de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Le coût a bien évidemment explosé depuis l’année précédente. La prise en charge d’un mineur étranger isolé coûte entre 30 000 et 40 000 euros, sans compter les frais de santé et de scolarité dont bénéficie chaque enfant. Les départements sont abandonnés sur cette question. L’État avait promis une aide, qui arrive mais qui est largement insuffisante alors que je considère qu’il s’agit d’une compétence qui est plus régalienne que départementale.

De plus, la généralisation du fichier d’appui à l’évaluation de la minorité (AEM) n’est toujours pas mise en œuvre. Il s’agit quand même d’une question d’humanité, nous avons un devoir de protection vis-à-vis des vrais mineurs, qui ne peut être exercé.

Je voudrais aussi insister, puisque nous en avions largement parlé pendant les débats de la loi dite Collomb, sur les aspects qui sont liés à la santé. Aujourd’hui, nous demandons des chiffres, que nous n’avons pas, à la ministre de la Santé, au Premier ministre et au ministre de l’Intérieur, notamment sur le suivi de ces personnes qui bénéficient du système de santé. On a parlé de tourisme médical. Aujourd’hui, pourquoi aucun effort n’est-il entrepris au niveau de l’Union européenne ? Pourquoi un système d’aide médicale urgente harmonisée n’est-il pas mis en œuvre ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. J’aimerais que nous nous concentrions vraiment sur la loi sans refaire tout le débat sur l’immigration. Nous évaluons un texte qui a été voté par la commission des Lois et son objet ne portait pas sur l’Aide médicale d’État. Restons-en au texte que nous avons voté, s’il vous plaît.

Mme Valérie Boyer. Madame la Présidente, je rappelle que tous ces sujets ont été évoqués pendant l’examen en commission des Lois, comme dans l’hémicycle. Je voudrais que nous obtenions les chiffres. Vous avez parlé des reconduites à la frontière qui ont été exécutées, mais nous ne savons pas aujourd’hui, malgré nos interrogations, combien de personnes ayant fait l’objet d’une reconduction forcée reviennent dans notre pays.

Il nous faudrait également plus d’éléments sur les effets du regroupement familial, parce qu’il s’agit non seulement d’une sorte de prime à l’irresponsabilité mais aussi d’une mise en danger, notamment des mineurs qui sont envoyés dans notre pays pour ensuite faire bénéficier de l’accueil en France à toute leur famille. Ces détournements de nos procédures aggravent la situation des personnes qui méritent que nous les accueillions dignement. Ce n’est pas le cas aujourd’hui et je pense que cette loi aggrave le problème.

M. Florent Boudié, rapporteur. Madame Boyer, chers collègues, je vous conseille d’aller passer quelques jours de vacances au Mali, que vous avez qualifié de pays sûr. Il faut faire attention car quelques données géopolitiques nous permettent de mesurer la situation réelle sur place.

Je ne comprends pas les remarques qui ont pu être faites sur le regroupement familial Vous parlez du chiffre de 90 000 personnes par an. Ce chiffre est constant et n’augmente pas. C’était le cas aussi bien sous Nicolas Sarkozy et sous François Hollande que sous Emmanuel Macron. 90 000 personnes sont accueillies par an au titre de l’immigration familiale, parmi lesquelles 10 à 12 000 au titre du regroupement familial. Ce chiffre est le fait de l’héritage de nos engagements conventionnels, fort heureusement, et d’engagements internationaux.

Madame Boyer, il regrettable d’attiser la crainte et la passion autour de ce sujet, en disant qu’il y aurait une sorte d’explosion et de dérive du regroupement familial. Je le répète, le chiffre est constant depuis une quinzaine d’années. Il n’évolue pas parce que nous respectons nos engagements internationaux avec des conditions extrêmement strictes. Quant à l’immigration familiale, c’est-à-dire les 90 000 personnes au total, je vous rappelle qu’il s’agit de personnes de nationalité française qui, à ce titre-là, peuvent bénéficier du droit à faire venir leur famille qui serait éventuellement établie à l’étranger. Attention à ne pas tordre les faits, à des fins qui sont très claires, dans vos prises de parole.

Vous avez dit tout à l’heure qu’il n’y avait pas de politique migratoire, mais j’ai tenté de vous démontrer le contraire. Il y a une politique migratoire très claire. Lorsque nous renforçons l’accès aux passeports talents, nous opérons un ciblage des publics que nous souhaitons accueillir dans notre pays. Celui-ci est très clairement orienté sur les étudiants. Nous sommes très loin de l’époque où le ministre Claude Guéant signait un décret, de façon confidentielle, faisant en sorte qu’il n’y ait plus d’étudiants qui viennent en France de l’étranger. Nous accueillons beaucoup d’étudiants et c’est heureux, 80 000 environ. J’espère même que nous en accueillerons beaucoup plus.

Je n’ai pas donné le chiffre des refoulements aux frontières, parce que je ne voulais pas vous inonder de données techniques. Jamais les refoulements aux frontières n’ont été aussi importants au cours des 20 dernières années. Jamais. Nous étions à 85 000 refoulements à la frontière en 2017. Par ailleurs, j’ai parlé – c’est un autre sujet – d’une augmentation de 20 % des éloignements, y compris forcés. Il s’agit d’un chiffre largement supérieur aux années précédentes.

L’augmentation très forte de la demande d’asile en 2018 n’a pas permis de raccourcir les délais. Si nous les avons contenus de façon significative, vous avez raison, cela n’est pas suffisant.

Pour aller dans votre sens sur les ressortissants issus de pays sûrs, à titre personnel, je serais très favorable à ce que nous envisagions, pourquoi pas ici même, dans cette Commission, une procédure hyper accélérée pour le traitement de la demande d’asile des ressortissants issus de pays d’origine sûrs. Vous avez parlé des Géorgiens et des Albanais. Je pense que cela permettrait précisément de distinguer ceux qui ont besoin de notre protection de celles et ceux qui détournent volontairement les procédures de demande d’asile.

M. Paul Molac. Quand on entend parler du Mali, je crois qu’il faut resituer les choses. Les opérations militaires menées par l’Occident ont déstabilisé le Moyen‑Orient, comme en Libye par une opération conjointe franco-britannique qui a amené les problèmes que connaît aujourd’hui ce pays. Il faut bien comprendre que la politique étrangère, avec la déstabilisation d’un certain nombre de pays, est mère d’une immigration plus importante. La guerre fait que ces populations vont chercher à aller vers des endroits plus sûrs. C’est vrai dans toute la partie sahélienne qui est aujourd’hui en grande difficulté, c’est vrai aussi dans la partie Moyen-Orient : Syrie, Irak, et l’on ne souhaite évidemment pas qu’il y ait un problème en Iran demain. Cela étant dit, nous avons notre responsabilité.

Les éloignements contraints ont augmenté de 10 % dans l’année 2018. Il s’agit d’une difficulté qui perdure parce qu’il faut aussi trouver des accords avec les pays dans lesquels nous renvoyons les personnes, qui ne sont pas toujours évidents à obtenir.

Sur la politique d’intégration, pouvoir apprendre le français à ces personnes est une nécessité. Il y a une centaine de milliers de places disponibles et il semblerait qu’il en manque quand même une dizaine de milliers, entre 10 000 et 15 000. Si des efforts ont été faits, il y en a encore à faire.

J’aimerais attirer votre attention sur la rétention administrative, car c’est sans doute l’un des points qui pose le plus problème. La France est considérée comme un des pays qui utilise beaucoup ce système. Il y a un problème, parce que nous pouvons enfermer les gens à plusieurs reprises. Un certain nombre de fois, ils sont libérés par les tribunaux. En effet, nous estimons qu’il y a entre 20 et 30 % des personnes qui sont ainsi libérées. Elles n’ont rien à faire dans ces centres de rétention.

Le rapporteur nous a dit que la durée moyenne de rétention avait peu augmenté, c’est vrai. Elle est passée de 12 à 16 jours. Il n’empêche que certaines personnes restent quand même beaucoup de temps. Par exemple, il y en a 2 000 qui ont été retenues plus de quarante jours. Or, dans ces centres de rétention, si ce ne sont pas des prisons, il y a un certain nombre d’éléments qui y ressemblent. Nous avons vu par exemple des personnes qui s’automutilent ou effectuent des tentatives de suicide.

Je voudrais attirer l’attention sur ce sujet, parce qu’il y a visiblement des personnes qui n’ont rien à faire en centre de rétention, car elles ne sont pas expulsables, mais elles y sont quand même, et d’autres qui sont libérées par le juge. Nous avons certainement une marge de progression pour utiliser au mieux ces centres. Je dirais que le mieux serait certainement d’en utiliser le moins possible.

M. Jean-François Eliaou. Je voudrais revenir sur les conditions de rétention des « vrais » mineurs, si je puis dire, et des enfants avec leur famille. Je crois qu’il est important que nous ayons une vision très précise de la situation actuelle, et surtout de la situation en fonction des engagements pris à ce moment-là par le ministre de l’Intérieur en ce qui concerne l’amélioration des conditions de rétention des enfants accompagnés de leurs parents. Je pense notamment à l’encadrement pédopsychiatrique et social de ces enfants qui viennent dans des centres de rétention, où il existe une véritable situation de détresse. Il est important de connaître ces situations par des statistiques précises, ce qui n’est pas le cas actuellement, et d’éviter que des préfectures refusent la rétention des enfants avec leurs parents. Je pense que si certaines préfectures d’Île-de-France le font, d’autres pourraient le faire également.

Je suis quand même perplexe sur ce qu’a dit le rapporteur concernant le rallongement jusqu’à 34 heures en moyenne de la durée moyenne de rétention des familles avec enfants mineurs. Je m’interroge sur les conditions qu’il faudrait apporter pour régler de façon définitive ce problème de l’accueil des mineurs « vrais » et des enfants avec leur famille en France. D’ailleurs, cela n’empêche pas qu’ils puissent ensuite être expulsés rapidement. Cela étant, cet accueil est extrêmement important à mes yeux.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je vous remercie d’avoir joué le jeu de ces séquences d’évaluation des lois que nous votons. Nous pourrons renouveler cet exercice au fil de l’eau, quand vous le souhaitez, sur les textes dont vous avez respectivement la charge.

La réunion s’achève à 12 heures 30.

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Information relative à la Commission

 

La Commission a désigné :

 M. Guillaume Vuilletet, rapporteur sur la proposition de résolution de M. Éric Ciotti tendant à la création d’une commission d’enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de Paris le jeudi 3 octobre 2019 (n° 2290) ;

 M. Arnaud Viala, rapporteur d’application sur le projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique (n° Sénat 677).

 

 

 


Membres présents ou excusés

 

 

 

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Erwan Balanant, M. Florent Boudié, Mme Valérie Boyer, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, M. Vincent Bru, M. Éric Ciotti, M. Éric Diard, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Philippe Dunoyer, M. Jean-François Eliaou, M. Christophe Euzet, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Isabelle Florennes, Mme Paula Forteza, M. Raphaël Gauvain, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier-Cha, Mme Émilie Guerel, Mme Marie Guévenoux, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Huyghe, Mme Élodie Jacquier-Laforge, Mme Catherine Kamowski, M. Philippe Latombe, Mme Marie-France Lorho, Mme Alexandra Louis, M. Olivier Marleix, M. Jean-Louis Masson, M. Fabien Matras, M. Stéphane Mazars, Mme Emmanuelle Ménard, M. Jean-Michel Mis, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Danièle Obono, Mme Valérie Oppelt, M. Pierre Person, M. Stéphane Peu, M. Jean-Pierre Pont, M. Bruno Questel, M. Rémy Rebeyrotte, M. Robin Reda, M. Thomas Rudigoz, M. Hervé Saulignac, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, Mme Alice Thourot, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Arnaud Viala, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet, M. Jean-Luc Warsmann

 

Excusés. - Mme Laetitia Avia, Mme Huguette Bello, M. Guillaume Larrivé, Mme Naïma Moutchou, M. Aurélien Pradié, Mme Maina Sage