Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 Examen de la proposition de loi visant l’interdiction des techniques d’immobilisation létales : le décubitus ventral et le pliage ventral (n° 2606) (M. François Ruffin, rapporteur)              2

 Examen de la proposition de loi visant à la protection effective des lanceuses et des lanceurs d’alerte (n° 2600) et de la proposition de loi organique visant à la création de l’inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte (n° 2591) (M. Ugo Bernalicis, rapporteur)              15

 Informations relatives à la Commission................41

 


Mercredi
4 mars 2020

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 47

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente
 

 


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La réunion débute à 9 heures 35.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission examine la proposition de loi visant l’interdiction des techniques d’immobilisation létales : le décubitus ventral et le pliage ventral (n° 2606) (M. François Ruffin, rapporteur).

Mme la présidenteYaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous allons examiner les deux propositions de loi renvoyées à la commission des Lois et inscrites par le groupe La France insoumise à l’ordre du jour de sa journée réservée du jeudi 26 mars. La première, « visant l’interdiction des techniques d’immobilisation létales », nous est présentée par M. François Ruffin.

M. François Ruffin, rapporteur. Longtemps, je n’ai pas critiqué la police. À l’évidence, c’est un métier dangereux, et il est plus facile de le dénoncer derrière son clavier d’ordinateur, dans un bureau chauffé, que d’aller se heurter à la part d’ombre de la société. La critique doit se faire avec humilité. Mon chemin ne croise pas non plus souvent celui de la police ; mon quotidien n’a rien à voir avec celui d’un gamin de couleur des quartiers. J’ai également fait le choix politique de ne pas critiquer la police, considérant que, tel un paratonnerre, elle voyait se détourner sur elle la colère dirigée contre le pouvoir même.

Les choses ont évolué, pour moi comme pour beaucoup de Français, au fil d’une année de mouvement des gilets jaunes, au cours de laquelle on a recensé 25 éborgnés, 5 mains arrachées, 321 crânes ouverts, et constaté des tirs dirigés contre de simples manifestants, voire des passants. Les choses ont évolué avec le décès de Steve Caniço lors de la fête de la musique à Nantes, et celui de Cédric Chouviat, mort à la suite d’un plaquage ventral avec fracture du larynx et arrêt cardiaque consécutif à une privation d’oxygène. Selon un sondage de l’IFOP paru à la fin du mois de janvier dans l’Express, la confiance des Français en la police est au plus bas.

Je propose d’interdire le plaquage et le pliage ventral afin de rétablir cette confiance entre la police et les Français.

Christophe Rouget, du syndicat CFDT Police, nous a expliqué le choix qui s’offre à un policier lors d’une interpellation difficile : soit il sort son arme à feu, soit il utilise des armes de type Taser, soit il va au contact. Au contact, l’idéal est de placer la personne sur un support vertical, mais le policier court le risque de prendre des coups de pied. Si la personne interpellée est placée à l’horizontale, sur le dos, c’est dangereux pour sa tête ; la position sur le ventre est la moins dangereuse, et elle permet de menotter dans le dos. C’est l’option privilégiée.

Il ne s’agit pas, pour nous, de contester l’immobilisation ventrale ; ce que nous visons, c’est le blocage des voies respiratoires qui l’accompagne, par la pression sur l’abdomen et la cage thoracique, voire la clé d’étranglement qui produit un étouffement au niveau de la gorge. Ces techniques ont entraîné seize décès au cours des dernières années, les plus connus étant ceux d’Adama Traoré, de Serge Partouche, de Lamine Dieng, de Wissam El-Yamni, et dernièrement de Cédric Chouviat.

Nous avons reçu un adjoint à la direction centrale du recrutement et de la formation de la police nationale. Dans un premier temps, il a déclaré que la formation ne prescrivait pas la pression sur la cage thoracique, que la position sur le ventre n’était maintenue que le temps nécessaire au passage des menottes, que la pression sur les cervicales était interdite depuis 2008 et ne s’exerçait que sur les omoplates, laissant l’abdomen sans pression pour permettre une respiration ventrale sans contrainte. Dans un deuxième temps, il a expliqué que le policier peut s’allonger intégralement sur la personne : la pression est répartie, elle ne s’exerce pas sur un point particulier, et permet la respiration. Reste qu’il y a bien une pression sur la cage thoracique et l’abdomen.

Dans une note diffusée le 8 octobre 2008, le chef de l’inspection générale de la police nationale a indiqué : « la compression – tout particulièrement lorsqu’elle s’exerce sur le thorax ou l’abdomen – doit être la plus momentanée possible et relâchée dès que la personne est entravée par les moyens réglementaires et adaptés. » La doctrine n’est donc plus la même puisqu’elle autorise la pression « momentanée et relâchée » sur le thorax ou l’abdomen. Elle est rappelée dans une instruction du directeur général de la police nationale du 4 novembre 2015 : « la compression, tout particulièrement lorsqu’elle s’exerce sur le thorax ou l’abdomen, doit être la plus courte possible. » Il existe par conséquent une tolérance, non seulement à l’égard de l’immobilisation ventrale, mais aussi d’une pression sur les voies respiratoires, admise pourvu qu’elle soit la plus courte possible.

En matière de plaquage ventral, la doctrine de la police nationale est donc des plus floues, ce qui se traduit dans les faits par des pratiques totalement hétérogènes. Parfois, la compression exercée sur le thorax et l’abdomen n’est pas aussi « relâchée » que le préconise la note de 2008. Le Défenseur des droits rapporte ainsi que Mohamed Boukrourou s’était retrouvé avec trois policiers se tenant assis et debout sur lui, et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) que Mohamed Saoud avait été menotté les bras en avant, que ses chevilles étaient entravées et qu’un policier avait placé ses bras sur ses épaules et son genou sur ses reins, la pression exercée interdisant sa respiration. Quant à Lamine Dieng, il a été menotté dans le dos et sanglé au niveau des jambes, puis maintenu au sol sur le plancher du car par quatre policiers.

La compression n’est pas non plus « la plus courte possible ». La CEDH, dans son arrêt Saoud contre France, a constaté « que Mohamed Saoud a été maintenu au sol pendant trente-cinq minutes dans une position susceptible d’entraîner la mort par asphyxie dite "posturale" ou "positionnelle" ». Or la Cour observe que cette forme d’immobilisation a été identifiée comme hautement dangereuse pour la vie, l’agitation dont fait preuve la victime étant la conséquence de la suffocation par l’effet de la pression exercée sur son corps. Mohamed Boukrourou est, quant à lui, resté en position de plaquage ventral avec le poids de trois gardiens de la paix sur son dos de 16 h 58 à 17 h 02 ; il a donc été dans l’impossibilité de respirer pendant quatre minutes. Abdelhakim Ajimi a, lui, subi sept à huit minutes de plaquage ventral avec clé d’étranglement, entravé aux membres supérieurs et inférieurs, avant l’arrivée de l’équipage de Police secours. Enfin, Amadou Koumé a été laissé dans cette position, allongé sur le flanc et menotté pendant quatre minutes, jusqu’à ce qu’il soit transporté dans le car de police.

J’établis un lien entre la doctrine floue et flottante de la police et son application très hétérodoxe.

Des condamnations ont été prononcées à la suite de ces plaquages ventraux. Le 9 octobre 2007, la CEDH a condamné la France en raison du manquement des autorités à l’obligation de protéger la vie de Mohamed Saoud. La Commission nationale de déontologie de la sécurité a rendu une décision rappelant que maintenir une clé d’étranglement de la part du gardien de la paix et de rester à califourchon sur le dos de Abdelhakim Ajimi constitue un usage de la force devenu sans justification. Dans une décision du 25 novembre 2011, le Défenseur des droits « a considéré que les policiers avaient fait un recours inadapté et disproportionné à la force à l’encontre de M. M.B, qui avait été victime d’un traitement inhumain et dégradant ». Dans un arrêt du 16 novembre 2007, la CEDH « considère que ces gestes, violents, répétés et inefficaces, pratiqués sur une personne vulnérable, sont constitutifs d’une atteinte à la dignité humaine et atteignent un seuil de gravité les rendant incompatibles avec l’article 3 de la Convention. Elle dit donc qu’il y a violation. » Enfin, une autre décision du Défenseur des droits regrette que, pendant les quatre minutes ayant suivi le menottage dans le dos, et alors qu’il se trouvait toujours en position ventrale, aucun des fonctionnaires de police présents sur les lieux n’ait pris l’initiative de relever Amadou Koumé afin de lui permettre de mieux respirer.

Les décès résultent d’un enchaînement funeste : la personne interpellée ne parvenant pas à respirer, elle tente de se relever, ce qui est interprété comme une rébellion qui entraîne une compression plus forte encore du policier. Ainsi, dans un rapport de 2001, Amnesty International indiquait que la position allongée sur le ventre « empêche de respirer correctement. Le fait de menotter une personne derrière le dos restreint également sa possibilité de respirer. Toute pression exercée dans le dos de la personne qui se trouve dans cette position […] accroît encore la difficulté à respirer. Lorsque l’on manque d’oxygène, la "réaction naturelle" consiste à se débattre encore plus. Face à cette agitation, un agent de la force publique aura tendance à exercer une pression ou une compression supplémentaire afin de maîtriser la personne, compromettant davantage encore ses possibilités de respirer ».

Les experts internationaux d’Amnesty international pensent que ces techniques ne doivent plus être utilisées en France, parce que manifestement la police française ne sait pas les utiliser, ce que souligne également la CEDH dans son arrêt du 16 novembre 2017 Boukrourou contre France, considérant que les souffrances infligées à la victime « pourraient s’expliquer […] par un manque de préparation, d’expérience, de formation adéquate ».

Les situations tragiques révèlent ce manque de formation sérieuse. Parfois, les policiers ne savent pas interpréter les signes de la mort avançant. Ainsi, une gardienne de la paix a déclaré, lors de son audition par l’inspection générale de la police nationale (IGPN), qu’elle n’avait pas perçu ce que révélaient l’agitation des jambes et les gaz que lâchait la victime : « Je n’ai pas l’habitude de la mort et je ne savais pas que ces gaz pouvaient être un signe de relâchement. » Il est aussi arrivé que les policiers refusent d’écouter un responsable des pompiers arrivé sur place après une intervention violente, qui demandait de laisser la personne respirer.

Les syndicats de police nous ont fait part des lacunes en matière de formation continue : elle se résume à « rien » pour Alexandre Langlois du syndicat VIGI Ministère de l’intérieur ; « c’est zéro » pour l’UNSA ; c’est « ce qui manque le plus », pour la CFDT. Un responsable de la direction générale de la police nationale a reconnu que de gros efforts devaient être faits, mais que la formation régulière aux gestes d’interpellation requérait des moyens, un dojo, un formateur.

Avoir face à soi des professionnels formés est pourtant fondamental pour avoir confiance. De même que nous n’imaginons pas nous faire opérer par un chirurgien qui n’a pas répété un geste de manière régulière, nous attendons de policiers armés, qui représentent l’État et détiennent un pouvoir, qu’ils soient exercés aux moyens de coercition et aux techniques d’immobilisation. Or ils ne le sont pas.

En l’absence de formation sérieuse, nous considérons, avec Amnesty international, que les policiers ne sont pas en état de pratiquer cette technique d’immobilisation, qui peut être mortelle, qui l’a déjà été seize fois.

Par quelles techniques remplacer le plaquage ventral et la pression sur l’abdomen ? Sans aller chercher en Belgique, en Suisse ou dans l’État de New York, qui ont interdit cette pratique, nous avons des solutions en France. Le colonel Laurent De La Follye de Joux, chef du bureau de la formation de la gendarmerie nationale, nous a déclaré que ni le décubitus ventral ni le pliage ventral n’étaient enseignés ni appliqués dans la gendarmerie, où l’objectif est d’utiliser les techniques les moins traumatisantes pour l’interpellé et pour le gendarme. Le mémento d’intervention professionnelle de la gendarmerie illustre, par exemple en page 124, l’immobilisation au sol avec un contrôle par l’épaule réactif, avec la mention en rouge : « Cette technique d’immobilisation se réalise sans exercer de pression thoracique. » Adama Traoré est, certes, mort dans le cadre d’une intervention de la gendarmerie, mais c’est le seul cas impliquant des gendarmes parmi tous ceux que nous avons évoqués. La gendarmerie a une doctrine claire, et la pratique des gendarmes l’est donc également. L’adoption de notre proposition de loi ne changerait rien pour la gendarmerie.

Nous proposons une unification de la doctrine d’intervention des forces de l’ordre française en matière d’immobilisation ventrale, d’en finir avec le flou des instructions. Finalement, il s’agit de répondre au vœu du ministre de l’Intérieur qui, à la suite du décès de M. Cédric Chouviat, a déclaré qu’il envisagerait la suspension d’une technique dont il serait établi qu’elle pouvait entraîner la mort d’un homme.

Il faut suspendre le décubitus ventral et le pliage ventral, techniques dont les instances européennes ont démontré qu’elles pouvaient entraîner la mort, et dont la gendarmerie se passe depuis 2002.

M. Jean-Michel Fauvergue. Rien n’efface la peine que cause la perte d’un être cher, que la victime soit du côté des forces de l’ordre ou en face. La douleur est immense pour la famille, les amis, les camarades et les collègues des policiers ou des gendarmes. Quand un tel drame se produit lors d’une intervention de police ou de gendarmerie, c’est un échec pour les forces de l’ordre, qui doivent exercer leur mission avec discernement et proportionnalité.

Seize cas ont été recensés au cours des dernières décennies. C’est toujours trop, mais ce chiffre doit être rapporté aux 4 millions d’interpellations effectuées par les forces de l’ordre. Toutes les interpellations ne se passent pas mal, certaines ne nécessitent même pas l’entrave des mis en cause. D’autres sont plus difficiles. En 2019, 15 000 faits de rébellion et 36 000 faits de violences contre les forces de l’ordre ont été constatés, 20 000 policiers et gendarmes ont été blessés en mission entre 2018 et 2019, et on compte 25 décès en service.

Ce ne sont pas les techniques qui sont en cause, mais la manière dont elles sont appliquées, leur durée ou leur conjugaison avec des problèmes de santé des mis en cause qui ne pouvaient être connus des forces de l’ordre au moment de l’interpellation.

Pour la police, une instruction générale du 4 novembre 2015 précise les conduites à tenir pour la maîtrise d’une personne en état de forte agitation en vue de son interpellation et de son transport. Elle prend en compte les risques d’asphyxie posturale, qui imposent de limiter le temps de compression, tout particulièrement sur le thorax et l’abdomen. Elle consacre les préconisations antérieures de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale et de la police nationale, ainsi que les principes de nécessité et de proportionnalité liés à l’emploi de la force pour s’assurer d’un individu difficilement maîtrisable.

En gendarmerie, officiellement, on n’utiliserait pas les techniques incriminées. C’est tout simplement parce qu’elles ne sont pas nommées de la même façon, mais la technique de mise au sol sur le ventre aux fins de menottage enseignée chez les gendarmes existe bel et bien. Dans le mémento que vous avez cité, les pages 140, 149 et 150 montrent qu’elle implique une pression du genou sur la partie haute du thorax.

Il faut comprendre que, face à une personne en état de démence, sous l’empire de stupéfiants ou d’une puissance musculaire supérieure à la moyenne, il peut exister un fossé entre la théorie enseignée en école et la réalité du terrain. Sans nier que l’on ne peut se dispenser d’une meilleure formation continue, je considère que la limitation des techniques d’intervention que vous préconisez irait à l’encontre de votre objectif. En interdisant l’amenée au sol par des techniques de compression, vous favoriseriez l’utilisation de coups frappés à mains nues ou par matraques, qui produiraient beaucoup plus de traumatismes sérieux et de risques létaux, ainsi que l’utilisation d’armes dites de force intermédiaire, telles que le fameux lanceur de balles de défense (LDB) ou le pistolet à impulsion électrique – qui peut avoir pour effet de faire écrouler la personne visée lourdement au sol ou sur un objet contondant –, sans parler de l’usage de l’arme à feu, dont je vous laisse le soin d’apprécier les conséquences.

Cette limitation des moyens intermédiaires signifie aussi le désarmement des policiers et des gendarmes, seuls autorisés à l’usage légitime de la force pour appliquer la loi et protéger nos concitoyens. La conséquence immédiate de l’adoption de votre proposition de loi serait de favoriser ceux qui recourent à la violence illégale, les criminels, les délinquants, les casseurs, qui ne pourraient plus être contenus par des ripostes adaptées de nos policiers et de nos gendarmes.

Il me semble paradoxal que ce texte qui prétend s’opposer aux violences soit présenté par un groupe politique dont le leader et quelques autres membres ont récemment été condamnés en première instance pour ces mêmes motifs. Le groupe La République en marche votera contre.

M. Raphaël Schellenberger. Les deux techniques d’immobilisation dont nous discutons sont parfois utilisées en dernier recours, dans des situations bien spécifiques, par nos forces de l’ordre. L’encadrement de ces pratiques est rigoureux et a été précisé par l’instruction générale de la direction générale de la police nationale du 4 novembre 2015. Les principes de nécessité et de proportionnalité pour l’emploi des moyens de contention y sont consacrés. Les règles d’emploi, notamment durant le transport de la personne en état de forte agitation, sont précises. Si le transport est effectué par véhicule léger, il peut être recouru au pliage ventral – une compression momentanée de la partie supérieure du torse effectuée sur une personne en position assise. Cette technique ne peut être justifiée que par l’urgence opérationnelle, doit demeurer strictement exceptionnelle et se limiter à quelques secondes. À bord d’un véhicule de type fourgon, le transport doit être obligatoirement effectué en position couchée sur le dos. Les policiers intervenants sont tenus de faire examiner par un médecin, le plus rapidement possible, la personne interpellée lorsqu’il a été fait usage de la force pour contenir son état d’extrême agitation.

Le recours à ces techniques d’immobilisation est donc strictement encadré et ne saurait intervenir que pour maîtriser une personne en état de forte agitation, refusant son interpellation ou son transport par les forces de l’ordre. Le cadre étant strict, tout dérapage hors de ses limites doit être sanctionné.

Le respect de ces règles par tous doit nous éviter de jeter l’opprobre sur une profession, sur ces femmes et ces hommes qui s’engagent à nous protéger dans des conditions de plus en plus difficiles, faisant face à une montée des violences à leur égard. L’an passé, 36 000 faits de violences contre les forces de l’ordre ont été commis, en augmentation de 4 % par rapport à 2018 ; 6 760 policiers ont été blessés, 10 sont morts. En 2019, on a recensé 28 849 cas d’outrage et rébellion contre les forces de l’ordre, en augmentation de 122 % par rapport à 2018.

Face à la multiplication de ces actes, il y a urgence à agir pour soutenir nos policiers et gendarmes. Le Gouvernement doit accorder plus de moyens et de considération à ceux qui protègent quotidiennement les Français. Notre politique pénale doit évoluer pour que les forces de l’ordre cessent de retrouver dans les rues les délinquants qu’elles ont arrêtés la veille au même endroit. Davantage de places de prison doivent être construites pour que notre politique pénale ne soit plus dictée par nos capacités carcérales, mais permette le plein respect des lois de la République et l’affirmation de l’autorité de l’État. Voilà l’immense défi pour faire reculer la violence.

Avec ce texte, La France insoumise cherche simplement à questionner le fondement même de la République : l’exercice légal de la violence légitime. En remettant ce principe en cause, vous cherchez à remettre en cause l’État de droit. L’interdiction des techniques d’immobilisation, qui sont déjà largement encadrées, se heurte au principe de réalité. Si elle venait à être appliquée, elle exposerait encore davantage nos forces de sécurité aux violences inadmissibles qu’elles subissent. Le mémento de la gendarmerie permet exactement les mêmes pratiques que les directives de la police, comme l’a signalé notre collègue Fauvergue.

Chercheriez-vous, monsieur le rapporteur, à ouvrir une forme de guerre des polices ? Cela ne nous étonnerait pas de la part d’un élu de La France insoumise qui a tout intérêt à semer la zizanie au sein de l’État. Le groupe Les Républicains est opposé à l’adoption de cette proposition de loi inadaptée aux défis d’ordre public et de sécurité qui nous font face, et qui est principalement destinée à remettre en cause les fondements de l’État de droit.

Mme Isabelle Florennes. Les dix-sept personnes décédées suite à une intervention policière sont, bien sûr, dix-sept décès de trop. Cette proposition de loi soulève une importante question : comment permettre aux forces de l’ordre d’exercer au mieux l’ensemble de leurs missions, tout en garantissant aux citoyens le respect le plus strict de leurs droits fondamentaux ? Cette problématique est ancienne, et nous disposons actuellement d’un cadre juridique et technique clair.

Les techniques d’immobilisation visées ici, pliage ventral et décubitus ventral, interviennent en dernier ressort. Avant d’y recourir, les forces de l’ordre en utilisent d’autres, physiques ou non, leur permettant d’intervenir sans exposer ni les personnes ni eux-mêmes. Il existe donc une gradation des réponses, et la négociation ou la dissuasion permettent de désamorcer les situations. La majorité des interpellations se déroulent sans employer la force, mais celle-ci est parfois nécessaire face à un ou plusieurs individus violents ou ayant une attitude imprévisible, présentant des troubles d’ordre psychologique, éventuellement liés à la consommation d’alcool, de stupéfiants ou de médicaments.

Il est intéressant de rappeler en contrepoint le nombre de policiers ou gendarmes blessés en mission, qui a augmenté de 15 % entre 2017 et 2018. En 2019, plus de 36 000 faits de violences à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique ont été enregistrés.

Le recours aux techniques d’immobilisation est strictement encadré par un corpus de textes qui ne laisse pas de place à l’interprétation, dans le code de déontologie de la police et de la gendarmerie nationales. L’instruction du directeur général de la police nationale du 4 novembre 2015, formalisant une note de l’IGPN de 2008, complète ce cadre et apporte plusieurs précisions quant au recours à ces techniques : la compression doit être la plus courte possible ; les conditions de transport sont détaillées et les forces de l’ordre sont obligées de prévenir immédiatement le SAMU ou les pompiers en cas de recours à la coercition. J’observe que l’utilisation de ces techniques d’immobilisation permet d’en éviter d’autres, nettement plus dangereuses, notamment le pistolet à impulsions électriques.

Restent les dix-sept décès, survenus sur une période de vingt-deux ans. Malheureusement, ceux-ci résultent de la mauvaise exécution de ces techniques d’immobilisation normalement efficaces et peu traumatiques. Ce ne sont donc pas les techniques en elles-mêmes qui doivent être remises en cause, mais plutôt la formation, en particulier continue, qui doit être renforcée. Je rejoins le rapporteur sur ce point, cette problématique soulevée par la direction générale de la police nationale elle-même est récurrente et doit faire l’objet d’une réflexion plus poussée.

M. Ruffin souligne pertinemment dans son rapport que les techniques d’intervention devraient faire l’objet du même effort substantiel qui été fourni en matière d’entraînement au tir. Le groupe MODEM partage cet avis et souhaite qu’il soit procédé à un suivi rigoureux de l’évolution du budget alloué à la formation continue. Cette piste de réflexion nous paraît bien plus porteuse que l’interdiction, qui ne résout pas le problème, complique le travail de nos forces de l’ordre et ne garantit en rien les droits des personnes interpellées. Cela ne dispense pas de s’interroger sur les fautes commises par les forces de l’ordre : lorsqu’elles sont confirmées par les enquêtes, elles sont inadmissibles et nous les condamnons fermement.

Le groupe MODEM est opposé à cette proposition de loi.

Mme George Pau-Langevin. Soulignons d’emblée la difficulté du travail des policiers et les nombreuses interpellations qu’ils effectuent dans des conditions parfois très difficiles, en nous abstenant de donner des leçons sur ce qu’il convient de faire lorsqu’une personne est très agitée, droguée ou en état de démence. Mais dans une république, l’usage de la force par les forces de l’ordre doit être indiscutable.

La technique du plaquage ventral a entraîné des morts. C’est dans ma circonscription que Lamine Dieng a été tué en 2007 – précisons que les policiers avaient été appelés alors qu’une femme était frappée par un individu sous l’emprise de stupéfiants. Nous avons tous été marqués par ces événements, les choses doivent changer.

En 2015, les Français manifestaient leur soutien aux forces de l’ordre après les attentats qui avaient endeuillé notre pays ; le divorce est désormais prononcé après la multiplication fort regrettable d’incidents. Pourtant, des mesures importantes ont été prises : le code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie est entré en vigueur en 2014, avec, par exemple, le port obligatoire du matricule ; le port de caméras mobilescest en cours d’expérimentation.

La technique du plaquage ventral a été interdite dans certains pays, mais encore faut-il savoir par quoi la remplacer – je ne suis pas persuadée qu’il soit préférable d’y substituer des tirs de LBD. Pour éviter ces drames, il faut améliorer la formation des forces de l’ordre. Le groupe Socialistes et apparentés, attentif à ce texte important, déterminera sa position d’ici au 26 mars.

M. Christophe Naegelen. Une interpellation qui débouche sur la mort d’une personne est un événement dramatique, nous en sommes tous d’accord. Mais il est important de ne pas tirer des généralités sur l’attitude des forces de sécurité intérieure à partir des cas mentionnés dans l’exposé des motifs.

L’amenée au sol, telle qu’elle est enseignée, doit respecter une stricte proportionnalité et une absolue nécessité. La personne doit être prévenue qu’elle va être amenée au sol, car, dans la mesure du possible, elle aura été menottée debout. Dans certaines situations où l’individu est alcoolisé, drogué ou simplement violent, on ne peut utiliser d’autres techniques que celles visées par ce texte. La raison des interpellations entre aussi en ligne de compte, comme le fait que les personnes sont parfois en train de se suicider ou que leurs forces sont décuplées par les circonstances : récemment, au commissariat de Remiremont, il a fallu la force de trois policiers de 90 kilos pour maîtriser une personne de 60 kilos.

Dans l’arrêt Saoud, la CEDH pose les conditions de l’utilisation de cette technique – un maintien pendant le temps strictement nécessaire à l’interpellation –, mais ne la condamne pas en soi. C’est son emploi qui, au cas par cas, est visé.

Les auditions de la commission d’enquête sur les moyens des forces de sécurité ont montré le manque de moyens humains, matériels et de formation. Si vous déposiez demain une proposition de loi ou des amendements pour augmenter les moyens des forces de sécurité, c’est bien volontiers que je les soutiendrais.

Ce n’est pas du tout ce que vous faites avec ce texte. Vous avez expliqué que votre intention n’était pas d’attaquer les policiers, mais vous vous êtes appuyé sur un sondage montrant que les Français avaient moins confiance en la police. Il est dommage de légiférer selon les sondages et bien plus intéressant de rechercher des solutions pragmatiques pour améliorer et faciliter le travail de nos policiers au quotidien !

Enfin, quels moyens peut-on substituer à ces techniques ? Le taser, les LBD, les armes létales ? Il faut savoir raison garder. Je comprends fort bien votre objectif, mais je ne pense pas que l’interdiction pure et simple de ces techniques soit la solution. Nous devons nous efforcer d’augmenter le temps de formation et recruter des formateurs. Le groupe UDI, Agir et Indépendants ne pourra soutenir cette proposition de loi en l’état.

M. Jean-Félix Acquaviva. Ce texte soulève un problème sérieux, qu’il ne faut pas nier ni minimiser. L’actualité récente a montré que certaines techniques d’immobilisation employées par les forces de l’ordre peuvent entraîner la mort de personnes. On ne peut s’en satisfaire dans une démocratie.

La France est souvent pointée du doigt. La CEDH, dans l’arrêt Saoud de 2007, a déploré le fait « qu’aucune directive précise n’ait été prise par les autorités françaises à l’égard de ce type de technique d’immobilisation ». Elle a condamné la France à plusieurs reprises pour des décès survenus lors d’interpellations policières : le 16 novembre 2017, elle a considéré que les « gestes violents, répétés et inefficaces, pratiqués sur une personne vulnérable, sont constitutifs d’une atteinte à la dignité humaine et atteignent un seuil de gravité les rendant incompatibles avec l’article 3 de la Convention » ; le 21 juin 2018, elle a jugé qu’une victime avait été traitée avec négligence par les autorités, en violation de l’article 2 de la Convention. D’autres procédures sont en cours, notamment celle concernant l’affaire Lamine Dieng, décédé le 10 juin 2007 dans un fourgon de police.

Certains pays, comme la Suisse ou la Belgique, ont interdit les techniques d’immobilisation létale. S’il est justifié de réfléchir à cette interdiction, il convient de garder à l’esprit que l’utilisation de ces techniques peut être pertinente, notamment lorsque la personne présente un risque de blessure ou de mort, à l’encontre d’autrui ou d’elle-même, comme dans le cas de l’affaire Mohamed Saoud. Dans son arrêt, la CEDH n’a pas demandé le retrait de ces techniques d’immobilisation mais a souligné que c’est le maintien au sol durant trente-cinq minutes qui a été identifié par les experts médicaux comme la cause directe de son décès par asphyxie lente.

C’est surtout l’absence de directives qui pose problème : elles pourraient indiquer le comportement à tenir une fois la technique utilisée et obliger à la vigilance concernant l’état de santé de la personne maintenue au sol.

Avant d’interdire ces techniques de contrainte, il faut envisager un renforcement de la formation obligatoire des forces de l’ordre à ces dispositifs d’interpellation et la communication, au sein du ministère de l’Intérieur, de directives claires et précises. Compte tenu de leur dangerosité, l’utilisation de ces techniques ne doit pas être la règle, mais l’exception ; elle doit être strictement cantonnée aux individus dangereux.

Enfin, il serait opportun de mener une enquête indépendante et impartiale sur le nombre de décès liés à l’utilisation de ces techniques létales d’immobilisation. Comme a pu le souligner Amnesty International, il n’existe aucune statistique fiable sur ce sujet. Le groupe Libertés et territoires salue le fait que le débat ait été ouvert à l’initiative du groupe La France insoumise, mais il s’abstient, à ce stade, sur ce texte.

Mme Danièle Obono. Au-delà de son contenu précis et restreint, cette proposition de loi nous invite à débattre du rôle de la police et de son acceptation. C’est un questionnement que les collectifs de citoyens, de soutien aux victimes, aussi bien que les représentants de la police que nous avons auditionnés, considèrent comme fondamental. Doit-on considérer que la police est là pour discipliner les citoyens, leur apprendre le respect, leur montrer les limites de ce qu’ils peuvent exprimer ou de ce à quoi ils peuvent aspirer ? En entendant les déclarations des responsables politiques, du ministre de l’Intérieur ou du préfet de police de Paris, on pourrait croire que le métier de policier est essentiellement lié à la répression.

La police française, rappelons-le, est parmi les plus lourdement armées en Europe : l’usage des Flash-ball et des LBD, plus particulièrement dans les quartiers populaires, est là pour le rappeler. De surcroît, elle est la police européenne qui use le plus de ces techniques létales que sont le plaquage ventral, le pliage ventral et la clé d’étranglement.

Amnesty International a indiqué que ces techniques ne devraient pas être utilisées en France, puisque les consignes et les formations se sont révélées insuffisantes et inadéquates pour minimiser les risques induits par leur utilisation.

Tous les syndicats de police que nous avons auditionnés ont souligné un enseignement sommaire, une formation initiale insuffisante pour des techniques dont on sait qu’elles peuvent causer la mort par asphyxie, l’inadéquation de la formation à la réalité du terrain – les policiers étant surpris par les réactions violentes et la résistance des personnes interpellées.

De surcroît, le cadre légal de l’usage de la violence, qui doit être nécessaire et strictement proportionné, n’est pas enseigné. Les forces de l’ordre sont détentrices du monopole de la violence d’État, mais elles ne sont pas formées à n’utiliser cette violence qu’en dernier ressort, à en percevoir l’usage comme un échec. Certains policiers ont expliqué qu’il était impossible de fournir des échelles permettant d’évaluer la proportionnalité et la nécessité de l’usage de la violence.

Si Cédric Chouviat ne s’était pas opposé à son arrestation, il serait toujours en vie ; si Adama Traoré n’avait pas voulu échapper à un contrôle d’identité, il ne serait pas mort asphyxié. Si Lamine Dieng n’avait pas contesté son arrestation, il n’aurait pas eu à supporter le poids de quatre policiers sur lui. Et qu’aurait dû faire Wissam El-Yamni, mort après neuf jours dans le coma, suite à une interpellation – il a été retrouvé dans le couloir du commissariat inconscient, face contre terre, menotté et le pantalon baissé aux chevilles ?

Ces cas, dont le nombre peut sembler minime par rapport à celui des interpellations, sont précisément ceux qui devraient nous intéresser. En tant que responsables politiques et parlementaires, nous avons le devoir de protéger les droits des citoyens, de garantir que l’État exerce son pouvoir de manière respectueuse des droits humains. Dans les cas cités l’usage de la force a été disproportionné et non nécessaire, les réactions des personnes appréhendées ne justifiaient pas leur mort.

À quoi sert la police ? Nous pensons que la police est un élément de la cohésion sociale, qu’elle peut et doit assurer des missions de sécurité et de sûreté, en s’assurant que les personnes ne sont pas soumises à l’arbitraire et à la violence de l’État.

Les citoyens et les citoyennes doivent pouvoir faire confiance à leur police. Cette confiance se crée si la police devient un instrument de l’égalité. Au travers des formations contre les biais discriminants de genre, raciaux ou validistes, la lutte pour l’égalité devrait être intégrée au travail de la police. Mais ce n’est pas le cas. Toutes les personnes mortes suite à l’utilisation des techniques d’immobilisation étaient des hommes perçus comme noirs ou arabes. Cette dimension n’est pas une simple coïncidence. Elle montre combien il est nécessaire de mettre en œuvre une doctrine de désescalade et une formation liée à ces perceptions discriminantes. La police doit servir les citoyens, ce n’est qu’à cette condition qu’elle est républicaine, ce n’est qu’à cette condition que l’usage de la violence est légitime. Tel est le sens de cette proposition de loi.

M. Ugo Bernalicis. Cette proposition de loi conduit à s’interroger plus largement sur l’usage des techniques, qui doit être de dernier recours, et sur sa fréquence. Des collègues ont évoqué l’augmentation des délits d’outrage et rébellion. Il convient sans doute d’analyser ces chiffres sous un angle différent : le développement d’un business autour de ces infractions, avec dommage et intérêts à la clé, a été dénoncé à plusieurs reprises. Tout n’est pas si blanc que l’on aimerait le croire ; la police est un corps social comme les autres, qui vit en interaction avec le reste de la société.

Les policiers doivent être formés à la gestion du conflit et à la désescalade. Beaucoup de policiers, plus anciens dans le métier, m’ont confié que ces techniques n’étaient utilisées que très rarement et qu’elles n’occasionnaient pas de prise de risque si la personne était formée et habituée à leur pratique. Comme le souligne le manuel de gendarmerie, le plaquage et le pliage ventral ne sont pas les seules techniques d’immobilisation.

Maintenir des instructions floues, comme c’est le cas dans la police nationale, permet de renvoyer la responsabilité d’un décès au policier qui a pratiqué la technique ; cela dédouane la hiérarchie, la doctrine et tous ceux qui en ont décidé. Que l’on puisse affirmer qu’une mort n’est due qu’à la faute individuelle d’un agent qui n’aurait pas respecté une consigne floue est inadmissible. Il faut clarifier les choses !

M. Guillaume Larrivé. Je ne suis pas du tout d’accord avec la réponse, mais la question posée par le groupe de La France insoumise est une bonne question : c’est celle de l’usage de la force et du commandement. Bien sûr, nous soutenons les forces de l’ordre et nous sommes conscients des difficultés de leur mission. Mais elles doivent être commandées.

La chaîne hiérarchique comprend les gradés, les officiers, les commissaires dans la police, les sous-officiers et des officiers dans la gendarmerie ; au bout se trouve le ministre de l’Intérieur. Je plaide pour le commandement, qui implique de savoir sanctionner, de dégager des lignes directrices de doctrine, de reconnaître parfois des errements et de les corriger. Le ministre de l’Intérieur ne doit pas être derrière les forces de l’ordre ; il est là pour être devant et les diriger. C’est en ce sens que Nicolas Sarkozy a donné des instructions en 2008, que d’autres ont été communiquées en 2015. Au vu des événements des dix-huit derniers mois, le ministère de l’Intérieur devrait engager une réflexion sur d’éventuelles évolutions de doctrine et d’organisation.

Par effet de volume des recrutements opérés dans la police ces derniers mois, la formation a connu des failles, je le dis. La chaîne hiérarchique, y compris son sommet, doit s’interroger. Il appartient au directeur général de la police nationale, M. Frédéric Veaux, nommé récemment, d’évaluer d’éventuelles évolutions de doctrine. En tout cas, il ne nous revient pas de les inscrire dans la loi, encore moins lorsque leur formulation comporte un a contrario légistique hallucinant. Je ne veux pas être désagréable, monsieur le rapporteur, mais lorsque vous interdisez à « toute personne exerçant des missions ou activités de sécurité » de recourir aux techniques d’immobilisation, vous autorisez de fait le reste du monde à les pratiquer !

Je souhaite une chaîne hiérarchique qui assume de sanctionner lorsqu’il y a des errements, qui assure un bon enseignement et qui vérifie que la force est employée de manière légale. Il faut un rendez-vous d’actualisation de la doctrine au sein de la police nationale en 2020, en liaison avec la gendarmerie.

M. Alain Tourret. « Faites-moi une bonne police, je vous ferai un bon État », aurait dit Fouché, duc d’Otrante, un des plus grands policiers que la France ait connus. La police a à sa disposition des moyens exceptionnels : la force légale. En contrepartie, elle doit l’exercer par des moyens légaux. C’est en cela que la question soulevée par cette proposition de loi est intéressante. La police doit respecter le cadre de l’État de droit. À chaque fois qu’elle s’en est écartée, c’est le chaos qui a régné, en 1958 comme en 1968.

Je ne vois pas comment une loi peut interdire des techniques. J’estime que cela doit passer par un décret, peut-être même par une circulaire. Cette proposition de loi n’est donc pas recevable.

M. Guillaume Vuilletet. Je rejoins les propos d’Alain Tourret, même si la référence à Fouché est historiquement discutable... Ce débat éclairant montre qu’un tel texte est vain, qu’il a une valeur symbolique en ce qu’il cherche à ouvrir dans le débat public une question néanmoins parfaitement légitime. Les échanges ont montré que le problème relevait davantage de la formation. Il nous faudra veiller, lors de l’examen du projet de loi de finances, à prévoir davantage de garanties en la matière.

Il est faux de dire que tant de pays ont interdit ces pratiques... Ce n’est pas le cas de la Belgique, par exemple, qui les nomme et les décrit différemment. Non, la France n’est pas le seul pays à utiliser ces techniques, que le comportement des personnes interpellées peut justifier. Pour autant, chaque vie gâchée, chaque vie perdue est insupportable et il faut aller plus loin dans la formation et l’encadrement.

Je ne pense pas qu’il soit possible d’interdire cette pratique, parce qu’il n’y a pas de plan B et parce que ce n’est pas le rôle de la loi. Mais si je comprends les propos du rapporteur, ceux de Danièle Obono me choquent profondément. Notre collègue dénonce un État qui exercerait volontairement une violence illégitime sur un public ciblé. On ne peut pas laisser dire cela dans cette assemblée. Il convient de rappeler que les forces de l’ordre agissent dans un cadre, celui de la légalité républicaine !

M. Paul Molac. Je ne partage pas l’avis d’Alain Tourret : lorsqu’il y a mort d’homme et que la violence légale, celle exercée par la police, est en cause, il est légitime que le législateur s’empare de la question, quand bien même celle-ci relève du champ réglementaire.

Toutefois, l’enfer est pavé de bonnes intentions, et je crains qu’en interdisant ce type de pratiques, on ne développe l’usage des tasers, bien plus dangereux, comme l’a rappelé Jean-Michel Fauvergue. Il convient d’améliorer la formation.

M. François Ruffin, rapporteur. Il n’y a pas de circulaire, il n’y a pas de règlement. Donc, on s’y met ! Cela fait dix-huit mois que, face à la détérioration des rapports entre la police et la population, on attend une réaction du ministère de l’Intérieur ; comme rien ne vient, nous sommes bien obligés de faire des propositions !

Ce texte ne vise pas à interdire l’amenée au sol, il reste possible de placer une personne sur le ventre. Mais, ainsi qu’il est indiqué dans le manuel d’intervention de la gendarmerie, nous voulons que ces techniques soient réalisées sans qu’une pression sur le thorax ou sur l’abdomen, de nature à entraver les voies respiratoires, soit exercée. Tel est le périmètre, au fond très réduit, de cette proposition de loi.

Je suis assez en accord avec ce qu’a dit Guillaume Larrivé. L’hétérogénéité des pratiques dans la police pose problème. Elle est due à un flou originel de la doctrine, qui n’est pas clarifié. Cela tient aussi à des raisons sociologiques, en premier lieu à l’éclatement du corps policier. Contrairement à la gendarmerie, le corps policier est décomposé en petites unités ; la chaîne de commandement se délite. Par ailleurs, le manque de temps, une denrée rare, entrave le commandement. Les « contremaîtres » de la police, les brigadiers, n’ont plus le temps de faire la liaison entre les commandants et le terrain. À cela s’ajoute une détérioration du temps social : les temps de repas collectif, cantine ou sandwich, ou de sport en commun disparaissent. Il n’y a plus de réflexion collective sur ce que l’on vient de faire, il n’y a plus de retour du commandement, plus de comparaison à la doctrine ou de rappel de la théorie par des temps de formation. Tout cela concourt à l’éclatement des pratiques.

La formation initiale a été réduite parce que l’on a préféré une police de la quantité à une police de la qualité : on a voulu faire du chiffre sur le terrain, dans les interventions, au détriment de la qualité. Il nous a été rapporté que la formation continue avait quasiment disparu, les formateurs étant eux-mêmes mobilisés dans les manifestations. Nous assistons à un délitement complet de ces temps de formation, qui sont pourtant l’occasion de rappeler la doctrine, le moment où s’unifie le corps de police.

Sans vouloir polémiquer, je rappellerai, chers collègues, que vous avez voté des crédits pour la formation de la police en baisse de 1 million d’euros. On se rend compte que la formation ne convient pas, et on réduit encore les crédits de 5 % ! Si nous sommes tous d’accord pour dire qu’il existe un problème, votons un budget qui soit à la hauteur !

Pour écrire De la police en démocratie, Sebastian Roché s’est rendu à l’académie de police au Danemark, où il a relevé que la notion prééminente était celle de la confiance, une notion absente de l’enseignement du corps policier français – dont il a été limogé depuis. Il note que « rechercher la confiance des citoyens n’est pas une idée centrale dans l’école de police », ajoutant : « force doit rester à la loi, ce sont les policiers qui doivent avoir raison, par la force s’il le faut : c’est la devise de l’enseignement policier en France ». L’auteur appelle cela une « infirmité relationnelle ».

Je suis chargé d’une mission d’information sur les métiers du lien – assistants maternels, animateurs périscolaires, auxiliaires de vie scolaire. Au fond, policier, c’est un métier du lien, un lien parfois rude, exercé dans des territoires compliqués, dans des situations malaisées. Mais la communication, le dialogue, la façon d’approcher les gens, y compris dans les quartiers difficiles, ne sont pas mis au centre de la formation initiale.

Sebastian Roché montre que les policiers danois apprennent à comprendre la société, l’organisation, l’individu. Ils sont formés à la diversité des populations et aux droits des personnes. On leur enseigne que la police appartient à la société et que la confiance est fondamentale pour remplir leur mission : « Les jeunes policiers sont sensibilisés au fait que la police, par leur action individuelle, dont ils ont la responsabilité, doit gagner la confiance des citoyens. On remarquera la différence entre un système de formation qui met l’accent sur la force dans la relation aux citoyens et cet autre qui enseigne le fondement consenti de l’autorité. »

Sebastian Roché ajoute : « Je n’ai jamais entendu un tel discours au sein du système policier de formation français, dans lequel je travaille depuis vingt ans. Il a ses mérites, il serait injuste de ne pas le reconnaître, mais clairement, cette finalité n’y est pas assez affirmée. Dans les modules danois d’enseignement, une part importante est faite à l’analyse de leurs propres pratiques. Ainsi, si lors d’un exercice, les étudiants danois choisissent de réaliser un contrôle d’identité, les élèves doivent se montrer capables d’expliquer à leurs professeurs pourquoi ils agissent ainsi. Le but recherché est de favoriser la réflexion du policier, qui doit constamment se référer à l’effet de sa pratique et ne pas se contenter de connaître son cadre légal. Les Danois appellent cela “police réflexive” ».

Notre proposition se limite à un point réduit, concernant une technique. Mais il est évident que le décès de Cédric Chouviat ne s’explique pas par le seul usage d’une technique, il découle aussi d’une attitude, d’un rapport de la police aux citoyens.

Je ne cherche pas à incriminer les policiers. Alors que je l’interrogeais, un responsable de l’UNSA m’a répondu : « Je vous renvoie l’ascenseur. Qu’est-ce que le politique attend du policier ? Est-ce qu’il attend qu’en situation de crise, il fasse trois pas en arrière, ou est-ce que force doit rester à la loi, comme on l’apprend à l’école de police ? » Voilà la vraie question : qu’attendons-nous des forces de sécurité ? C’est bien le politique qui trace les contours de la police qu’il souhaite, notamment par la formation, par le rapport aux citoyens, par les politiques d’intervention. Le délégué de la CFDT m’a expliqué que la police avait attrapé la « bâtonnite » ; comme les écoliers, de retour au commissariat, ils font des bâtons dans leur cahier, un par interpellation : « Il vaut mieux arrêter deux “shiteux” qu’un trafiquant, c’est mieux pour les statistiques ». Il est évident que, quand une relation doit déboucher systématiquement sur une interpellation ou une garde à vue, la politique du chiffre contribue à détériorer les rapports entre citoyens et policiers.

Je conclurai en citant encore Sebastian Roché : « Le gardien de la paix est un peu comme l’ouvrier qualifié à qui est confiée une tâche partielle dans une usine automobile. Ce n’est pas de lui qu’il faut se plaindre si le modèle de voiture produit est trop cher et peu fiable, ou encore s’il contient un logiciel truqué. C’est aux ingénieurs qui ont conçu la voiture qu’il faut s’en prendre et même, au niveau supérieur, à ceux qui ont décidé la production du véhicule et son prix. On peut trouver de bons ou de mauvais ouvriers, mais ils ont été recrutés, formés, encadrés, promus, suivant des règles édictées par les chefs de la police et même par les chefs des chefs de la police. » Les chefs des chefs de la police, ce sont les politiques. Les politiques ont la responsabilité de dire quelle police ils veulent.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je vous invite à vous prononcer sur l’article unique de la proposition de loi.

La Commission rejette l’article unique de la proposition de loi et, ce faisant, rejette la proposition de loi.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La proposition de loi sera examinée en séance publique le jeudi 26 mars, telle qu’elle a été déposée.

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La Commission examine la proposition de loi visant à la protection effective des lanceuses et des lanceurs d’alerte (n° 2600) et la proposition de loi organique visant à la création de l’inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte (n° 2591) (M. Ugo Bernalicis, rapporteur).

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Il peut paraître étonnant qu’une proposition de loi émanant du groupe La France insoumise se charge de transposer une directive européenne. Mais il nous a semblé essentiel que celle de la directive sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union s’engage rapidement : à bien des égards, cette transposition améliorerait la protection des lanceurs d’alerte dans notre pays.

Tel que nous le concevons, le lanceur d’alerte existe parce que des dysfonctionnements se manifestent au sein de notre société. Ceux-ci peuvent être internes à des entités privées ou publiques, mais ils peuvent aussi affecter les organismes de contrôle, ceux-là mêmes qui sont chargés d’éviter les manquements qui pourraient porter préjudice à l’intérêt général et aux populations.

Les lanceuses et les lanceurs d’alerte sont souvent reconnus comme tels par le public, la presse et les médias en général, mais ils ne le sont pas nécessairement par la loi. Le nombre d’individus reconnus comme lanceurs d’alerte est assez faible, notamment du fait d’une disposition particulière de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Sapin 2, qui a créé et défini ce statut. Celle-ci oblige le lanceur d’alerte à prévenir sa hiérarchie pour bénéficier de cette reconnaissance et des protections qui l’accompagnent ; cela complique singulièrement sa tâche, puisque c’est souvent précisément contre elle que l’alerte est lancée. Cette difficulté a été régulièrement soulevée par des lanceurs d’alerte eux-mêmes, par les associations qui les soutiennent ainsi que par les services du Défenseur des droits.

Nous voulons éviter l’écueil particulièrement dangereux de nous appuyer sur la seule volonté individuelle pour régler nos problèmes collectifs, car faire reposer la viabilité des organisations publiques et privées uniquement sur une image de chevalier blanc désintéressé n’est pas un gage de bonne santé pour notre fonctionnement démocratique. Le Conseil d’État l’avait d’ailleurs relevé, en février 2016, dans le cadre de son étude sur le droit d'alerte : « parce que l’alerte éthique ne peut rester l’apanage d’acteurs héroïques, parce que les nouveaux canaux qu’elle emploie lui ont donné une puissance qui parfois devient destructrice, il faut qu’elle devienne une procédure sûre, accessible et structurée ; c’est pour cela qu’un droit spécifique a été inventé. » Mais il ne faut pas croire qu’il suffit de créer ce statut de lanceur d’alerte, d’encadrer et de protéger ces « héros », pour que les problèmes collectifs auxquels nous faisons face soient réglés. In fine, si l’autorité judiciaire dysfonctionne, le lanceur d’alerte ne pourra jamais voir reconnaître l’utilité et la sincérité de sa démarche.

La loi Sapin 2 a eu le mérite de mettre le pied dans la porte en définissant le lanceur d’alerte de manière large. Son article 6 dispose qu’« un lanceur d’alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. » C’est une définition plus ambitieuse que celle proposée par la directive européenne.

Pour se voir reconnaître le statut de lanceur d’alerte, le processus est toutefois laborieux : la loi Sapin 2 prévoit une gradation en obligeant d’abord à prévenir sa hiérarchie – au stade du signalement interne – avant de passer au signalement externe puis à la divulgation publique. Cette loi témoigne ensuite d’une conception portant uniquement sur la responsabilité individuelle de la lanceuse ou du lanceur d’alerte en tant que personne physique : elle ne reconnaît pas le rôle des personnes morales. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a censuré une disposition de la loi concernant le versement du secours financier prévu pour les lanceurs d’alerte ; c’est un véritable « trou dans la raquette », qu’il faut bien entendu combler.

La loi Sapin 2 octroie un rôle central au Défenseur des droits pour accompagner les auteurs de signalements, mais sans lui donner de moyens supplémentaires. Le nombre d’alertes reçues et traitées par ce dernier est finalement assez faible, tant la complexité du processus rend cette voie externe difficile à emprunter, bien qu’elle soit à certains égards avantageuse. Beaucoup de lanceuses et de lanceurs d’alerte préfèrent ainsi rester anonymes en passant par voie de presse ou en transmettant directement des informations à la justice. On peut le regretter, car il était dans l’intention du législateur qu’un tel réceptacle existe pour l’alerte.

Les cas de figure sont très différents : Irène Frachon, Denis Breteau, Céline Boussié ou Antoine Deltour exercent dans des domaines très variés et la plupart d’entre eux ne bénéficient pas du statut de lanceur d’alerte au titre de la loi Sapin 2.

Cependant, les initiatives du législateur français ont permis d'initier des discussions au niveau européen, qui ont mené à l'adoption de la directive. Celle-ci apparaissait alors comme la contrepartie de celle du 8 juin 2016 sur le secret des affaires – afin de faire respecter une sorte de parallélisme des formes avec les protections reconnues au acteurs économiques, certains s’étaient élevés pour que le statut de lanceur d’alerte soit reconnu à l’échelle communautaire. En France, nous avons eu le mérite de procéder dans l'ordre inverse. En matière de législation de l’alerte, la loi Sapin 2 a donc fait office de précurseur en Europe – où nous accusions d’ailleurs un certain retard sur nos voisins outre-Atlantique.

Cependant, au cours des négociations européennes, le gouvernement français a défendu l’état du droit, qu’il n’a pas cherché à approfondir, ce que l’on peut regretter. Il a même été mis en minorité par ses partenaires européens s’agissant de la procédure de signalement obligeant, dans un premier temps, à prévenir sa hiérarchie en interne avant de pouvoir recourir à d'autres formes de signalement ; c’est une bonne chose et c’est un point essentiel de la transposition que nous voulons mener à bien. La définition française du lanceur d'alerte reste néanmoins plus large que celle de la directive, et nous pourrons nous appuyer dessus. Nous sommes en quelque sorte au milieu du gué : des dispositions existent, mais nous sommes encore en-deçà des besoins des lanceuses et des lanceurs d’alerte.

En réalité, la directive invite à préciser les moyens pouvant être sollicités pour lancer l’alerte et les dispositifs de protection à mettre en œuvre : elle nous incite explicitement à « surtransposer », d’autant qu’elle comporte aussi un principe de non-régression – si le droit national est plus protecteur que ce qui est proposé au niveau européen, il faut le conserver et en aucun cas réduire le niveau de protection.

La directive a été signée le 7 octobre 2019 et promulguée le 23 octobre. Pour l’essentiel, nous avons deux ans, jusqu’au 17 décembre 2021, pour la transposer dans le droit national. Chers collègues, c’est demain ! Depuis l’adoption de la loi de 2016, le Défenseur des droits s’est approprié le sujet qui lui a été confié et le secteur associatif privé s’est structuré, notamment dans le cadre de la Maison des lanceurs d’alerte : des connaissances et des compétences ont été acquises et accumulées ; elles doivent maintenant être utilisées pour transposer la directive. Le Défenseur des droits a d’ailleurs lui-même organisé un colloque de dimension européenne, qui a eu lieu le 3 décembre 2019 ; il a été conclu par la Garde des sceaux et notre collègue Sylvain Waserman y est intervenu, puisqu’il a rédigé pour l’Assemblée parlementaire du conseil de l’Europe un rapport sur la protection des lanceurs d’alerte, publié en août 2019. Ce rapport recoupe un certain nombre de nos propositions.

Nous devons donc nous atteler sans attendre à la transposition de la directive et nous contraindre nous-mêmes à travailler dans l’urgence, car nous avons tous vécu l’expérience d’une transposition réalisée trop tardivement, donc de façon minimaliste, faute de temps pour chambouler la législation existante. Ce serait une erreur politique que de procéder de la sorte, d’autant que chaque jour qui passe, ce sont autant de lanceuses et de lanceurs d’alerte qui ne bénéficient pas de la protection que la société leur doit.

J’ai vu récemment au cinéma un film qui traite de l’alerte lancée sur le C8, un composé du téflon ayant provoqué une intoxication mondiale. Il raconte le parcours du combattant, qui a duré vingt ans, d’un avocat et de quelques citoyens plus que déterminés pour faire reconnaître un danger mortel pour la totalité de la population mondiale – 99 % des êtres humains ont du C8 dans le sang.

Nous mettons sur la table deux propositions de loi ; l’une est ordinaire, l’autre organique parce qu’elle doit s’appliquer au Défenseur des droits qui est une autorité constitutionnelle.

Nous proposons d’abord d’étendre la reconnaissance de la capacité à lancer l’alerte aux personnes morales. C’est un point important, qui nous tient à cœur et qui fait débat. Il a été soulevé dans le rapport de M. Waserman qui évoquait la nécessité d’élargir le dispositif aux personnes morales, même si elles ne peuvent évidemment pas bénéficier des mêmes protections que les personnes physiques.

Nous introduisons aussi la possibilité d’emprunter des voies d’alerte non exclusives les unes des autres. Un individu pourrait lancer l’alerte par la voie interne, par la voie externe mais aussi directement par la divulgation publique dans certaines conditions, ou même par les trois à la fois. Cela supprime, par conséquent, l’obligation actuelle de prévenir sa hiérarchie pour pouvoir bénéficier d’une protection.

Nous souhaitons, par ailleurs, que les dispositifs de protection soient élargis à l’entourage du lanceur d’alerte ; c’est souvent un angle mort de la réflexion. Il peut s’agir, par exemple, du conjoint ou de la conjointe, qui travaille dans la même entreprise et subit des représailles sans être protégé.

Seraient également mises en place des voies de signalement internes au sein de toutes les entités, notamment à titre expérimental dans celles comptant moins de cinquante salariés. C’est aussi un point qui peut faire débat, mais nous devons progresser sur ce sujet, car tous les salariés de notre pays doivent disposer de telles possibilités.

L’accès à l’aide juridictionnelle doit pouvoir être ouvert sans condition de ressources, de sorte que la lanceuse ou le lanceur d’alerte puisse enclencher le processus juridique en consultant un avocat, ce qui ne l’empêche pas d’établir ensuite une convention d’honoraires allant au-delà de l’aide initiale. Les conditions particulières dans lesquelles se trouvent souvent le lanceur d’alerte doivent conduire à lui octroyer cette facilité.

Me tient particulièrement à cœur une proposition issue du travail que j’ai mené avec notre collègue Jacques Maire sur les moyens mis en œuvre par l’État dans la lutte contre la délinquance économique et financière – à laquelle les lanceurs d’alerte peuvent assurément contribuer. Il s’agirait de faciliter l’accès à l’emploi public pour les lanceurs d’alerte, souvent mis au ban de leur communauté professionnelle, et même au-delà – ce qui rend difficile toute reconversion –, car considérés comme des éléments perturbateurs, des trublions ou des empêcheurs de tourner en rond. Les employeurs peuvent être réticents à les embaucher, et nous proposons d’ailleurs de surveiller plus étroitement le caractère discriminatoire des refus qu’ils essuient dans leurs démarches professionnelles. Le dispositif serait semblable à celui qui existe pour les sportifs de haut niveau, qui disposent de voies dédiées pour se reconvertir dans la fonction publique.

Nous proposons aussi de combler un vide à propos du secours financier dont doivent bénéficier les lanceurs d’alerte et qui n’est actuellement octroyé par personne ; la commission d’indemnisation des victimes d’infraction pourrait s’en charger, car elle dispose déjà des compétences lui permettant de gérer des cas individuels de ce type. Cela éviterait de créer une structure ad hoc.

Il faudrait, par ailleurs, mettre en œuvre une codification du droit d'alerte, en créant un code des lanceuses et lanceurs d’alerte qui assurerait la lisibilité et la coordination des différents textes en vigueur, par exemple la loi relative à la protection du secret des affaires – même si j’y ai été pour l’essentiel opposé. Nos propositions de loi n’ont pas la prétention d’englober la totalité du sujet, mais il faudrait que cet effort de coordination soit fait.

Le point central des propositions de loi, organique et ordinaire, est la création d’une « inspection générale » – dénomination qui reste à discuter. Il s’agit de créer une entité spécifique rattachée au Défenseur des droits. Lorsque le statut de lanceur d’alerte a été défini, le législateur a fait le choix, opportun selon moi, d’en confier la gestion au Défenseur des droits, mais sans le doter des moyens correspondants – les lanceuses et les lanceurs d’alerte le déplorent, ainsi que le Défenseur des droits lui-même. De la même manière, nous avons choisi, plutôt que de créer une structure de plus, de renforcer l’autorité existante dans ses missions, en lui adjoignant une « entité » qui lui permette de mieux accompagner le lanceur d’alerte dans ses démarches, notamment vis-à-vis de la justice et de l’organisme concerné par l’alerte, et de mieux vérifier l’alerte elle-même pour en consolider la portée. Il s’agit bien d’apporter à ceux qui lancent l’alerte un soutien institutionnel solide, tel qu’ils sont en droit de l’escompter.

Cette inspection se déclinerait en commissions ; leur présentation pourra donner une impression de rigidité, mais nous voulions donner à voir ce que pourrait être son fonctionnement futur. Ce n’est pas la même chose de traiter une alerte en matière de délinquance économique et financière que de le faire en matière médico-sociale ou environnementale. La Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement, qui a été créée par la loi du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte, est d’ailleurs mal coordonnée avec les dispositifs de la loi Sapin 2. Nous proposons de confier la coordination d’ensemble au Défenseur des droits. Je ne vous ferai pas de couplet sur la souplesse des commissions proposées – j’ai moi-même déposé des amendements à ce sujet –, mais voilà l’idée qui préside à la création de cette inspection.

À la suite des auditions que nous avons menées et qui nous ont conduits à proposer des amendements à notre texte, nous avons souhaité supprimer la mention du caractère « désintéressé » qui est exigé du lanceur d’alerte dans la loi Sapin 2, lequel doit, en outre, être « de bonne foi ». Sans être nécessairement retenue par le juge, cette question est systématiquement soulevée lors des procédures judiciaires afin de bâillonner le lanceur d’alerte. En l’absence de définition précise de ce qui est désintéressé et de ce qui ne l’est pas, la notion peut être interprétée de manière très large ; cette précision ne nous semble donc pas utile ni pertinente, au contraire de la bonne foi qui doit rester un critère important.

Nous souhaitons aussi que le suivi des alertes se fasse dans des délais plus courts, que ce soit en interne ou en externe ; c’est important pour les personnes concernées, qui attendent six, sept ou huit mois, parfois plus, avant d’obtenir des réponses.

J’étais initialement dubitatif sur la nécessité d’une prise en charge psychologique, pensant que notre système de santé et l’assurance maladie y pourvoyaient. Or je me suis aperçu qu’il y a là un vrai manque.

Nous discuterons, par ailleurs, de l’idée d’abonder à 100 % le compte personnel de formation des lanceurs d’alerte, et de donner un pouvoir d’injonction à l’inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte.

Reste la question des moyens. Comme c’est l’usage, nous avons adjoint un gage à notre proposition de loi, mais cette question ne peut être éludée. Le Défenseur des droits a besoin de moyens, tout comme demain l’inspection que nous souhaitons créer et le fonctionnement d’ensemble que nous voulons mettre en place. Il est indispensable que nous nous donnions les moyens de disposer d’une structure digne de ce nom. Aux Pays-Bas, la structure équivalente à celle que nous voulons créer comprend au moins une vingtaine de personnes ; en comparaison, le Défenseur des droits emploie un équivalent temps plein (ETP) pour assurer la protection des lanceurs d’alerte : nous avons une marge de progression substantielle, d’autant que nous sommes plus nombreux que les Néerlandais.

Enfin, et même si ce n’est pas l’objet de cette proposition de loi, il faudra garder à l’esprit qu’il est nécessaire de renforcer tout ce qui peut éviter de faire reposer sur un individu la défense de l’intérêt général. Nous devrons entamer une réflexion au sujet de toutes les autorités – indépendantes ou non – et de tous les corps d’inspection internes qui trop souvent dysfonctionnent. Tout ne doit pas reposer sur les héros que sont les lanceuses et les lanceurs d’alerte.

M. Philippe Latombe. Le groupe MODEM ne peut que saluer votre initiative visant à transposer rapidement la directive européenne signée le 7 octobre 2019. Nous partageons cet objectif, comme en témoigne le rapport que mon collègue Sylvain Waserman a rédigé pour l’Assemblée parlementaire du conseil de l’Europe sur la protection des lanceurs d’alerte, qui comporte treize propositions et a été voté à la quasi-unanimité.

Notre groupe souhaiterait que la directive soit transposée en un seul bloc, de manière complète et étendue, ce que ne permet pas une proposition de loi discutée dans le cadre d’une journée réservée. Nous voterons donc certaines de vos transpositions, mais nous souhaitons que, dans un second temps, un texte de loi reprenne l’ensemble des points de la directive non transposés – et même d’autres suggérés dans le rapport de mon collègue.

L’exposé des motifs de votre proposition de loi mentionne que « la récente loi sur le secret des affaires marque un net recul » en matière de transparence. Lorsque nous nous étions attelés, dans cette commission des Lois, à la transposition de la directive européenne sur le secret des affaires, nous avions longuement travaillé sur le point des lanceurs d’alertes, et proposé, pour l’article L. 151-8 du code de commerce, la rédaction suivante : « le secret n’est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue […] pour révéler, dans le but de protéger l’intérêt général et de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible, y compris lors de l’exercice du droit d’alerte défini à l’article 6 » de la loi Sapin 2. Le terme « y compris » nous avait occupés longtemps, et nous l’avions intégré parce que nous souhaitions que les deux textes ne soient pas exclusifs mais au contraire qu’ils se conjuguent, afin de permettre la mise en œuvre de dispositifs plus étendus.

À cette occasion, j’avais dit que nous prêterions une attention spécifique à l’exercice des droits d’alerte et que nous réagirions en cas de problème, si besoin en allant jusqu’à modifier la loi. C’est un engagement que nous avions pris, et que nous assumons. Or, depuis la promulgation de la loi sur le secret des affaires, aucun cas problématique n’a été signalé. Il arrive que des journalistes nous alertent sur certains faits, par exemple à Nantes, où la métropole utilise cette loi pour ne pas donner le détail d’une subvention versée à des commerçants qui quittent le marché d’intérêt national parce qu’il a déménagé, mais il n’y a pas eu de cas posant véritablement problème.

Nous souhaitons donc que cette référence à la loi sur le secret des affaires soit modifiée, pour ne pas donner l’impression que c’est elle qui justifie votre proposition de loi.

M. Sylvain Waserman. Nous sommes nombreux à considérer que la protection des lanceurs d’alerte devient un véritable marqueur démocratique et même un pilier de notre démocratie, au même titre que la liberté de la presse. Le rapport que j’ai rédigé et fait voter m’a permis de confronter et de croiser les regards de différents acteurs et de comparer les situations des différents pays pour y observer un certain nombre de bonnes pratiques. Votre proposition de loi a le mérite de mettre le sujet « sur la table » suffisamment tôt pour permettre de répondre à une ambition que nous sommes nombreux à partager – la ministre de la Justice, le Défenseur des droits et sa secrétaire générale, ainsi que les milieux associatifs –, celle de réaliser une surtransposition ambitieuse, pour que le droit français progresse et devienne une référence en matière de protection des lanceurs d’alerte. Cette volonté est profondément ancrée chez beaucoup d’entre nous, au sein de différents groupes politiques.

Il faut, selon moi, distinguer trois catégories de propositions au sein de vos textes.

Il y a, d’abord, les transpositions qui ne soulèvent pas de problème particulier et qui peuvent être adoptées.

D’autres, en revanche, nécessitent davantage de coconstruction. De ce point de vue, je considère qu’il s’agit de textes d’appel : s’agissant notamment des préconisations de la Maison des lanceurs d’alerte ou de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement, mais aussi des recommandations du Défenseur des droits et de la comparaison entre les différents pays européens, il nous reste beaucoup de travail à accomplir et vous avez le mérite de donner l’impulsion.

Enfin, votre proposition comporte aussi des éléments à réviser et des manques, en particulier sur l’anonymat et sur le statut des lanceurs d’alerte, qui constitue une question fondamentale. En droit, le lanceur d’alerte ne sait qu’il l’est qu’au bout de plusieurs années, alors que sa vie a été complètement détruite par la pression subie et les procédures mises en œuvre pour le bâillonner, lorsque le juge finit par dire qu’il avait raison. Je ne suis pas tout à fait convaincu par les solutions que vous proposez ; nous devons répondre à la question de savoir comment identifier plus rapidement les individus relevant du statut de lanceur d’alerte et leur fournir la protection à laquelle ils ont droit. La création d’une autorité indépendante chargée de gérer ce problème me semble constituer une piste intéressante.

Il s’agit donc d’un véritable rendez-vous parlementaire, et nous prouverons notre valeur ajoutée si nous arrivons à travailler de manière transpartisane pour parvenir, avant la fin de l’année 2021, à un projet de loi qui rassemble la quasi-totalité de nos groupes politiques. Le sujet en vaut la peine, et je trouverais très intéressant que, sur la base de votre proposition, nous puissions mener à bien ce débat. À titre personnel, je pense que l’idéal serait de procéder avec votre proposition de loi comme pour un amendement d’appel, donc de la retirer au dernier moment au profit d’un groupe de travail véritablement transpartisan, associant l’ensemble des groupes politiques à des travaux qui débuteraient immédiatement. En effet, n’en voter qu’un petit bout risquerait d’engendrer de la frustration. De simples amendements ne remplaceront pas la coconstruction nécessaire qu’il faut entamer avec la société civile – certains de vos amendements en témoignent – et qui prendra plusieurs mois. Nous souhaitons être associés en amont et de manière innovante à la construction de cette loi.

M. Olivier Marleix. La proposition de La France insoumise devrait faire consensus, d’abord parce qu’elle se borne pour l’essentiel à transposer la directive communautaire sur la protection des personnes signalant des violations du droit de l’Union, en se gardant d’une transposition excessive ou dangereuse – on a connu de la part du groupe d’Ugo Bernalicis des propositions plus radicales et plus insoumises ! Je suis donc satisfait par ce texte.

C’est ensuite la protection des lanceurs d’alerte qui doit en elle-même faire l’objet d’un consensus : il s’agit de personnes qui ont le courage, au prix de leur emploi, de leur situation matérielle et de leur tranquillité d’esprit, de mettre au jour des dispositifs de corruption, de blanchiment, de fraude fiscale, pour certains déployés à l’échelle mondiale, ou encore de nocivité dissimulée de certains produits.

Leurs alertes peuvent être lancées contre des organisations et des entreprises disposant d’une puissance considérable, il faut donc leur fournir une protection adaptée. Je pense notamment à Stéphanie Gibaud, qui a révélé le mécanisme de fraude fiscale massive organisé par la société UBS – le tribunal de grande instance de Paris a condamné UBS à payer une amende de 3,7 milliards d’euros, et à verser à l’État français 800 millions d’euros au titre des dommages et intérêts, alors que Mme Gibaud n’a bénéficié d’aucune forme de réparation. Je pense aussi à Antoine Deltour, qui a mis au jour le scandale des LuxLeaks, ou au rôle joué par le docteur Irène Frachon dans l’affaire du Mediator.

Il y a sans doute dans notre pays un problème culturel vis-à-vis de l’alerte, car un amalgame dangereux est complaisamment entretenu entre le mauvais usage de la dénonciation – la délation, sournoise et honteuse – et son bon usage, lorsqu’il s’agit de dénoncer courageusement des crimes ou des délits portant gravement atteinte à l’intérêt général. Il y a entre les deux une différence fondamentale d’intention : le lanceur d’alerte ne cherche pas à nuire mais à protéger. Il se caractérise aussi par une manière de procéder ; de ce point de vue, le respect d’une procédure graduée me semble nécessaire – nous avions beaucoup insisté là-dessus au moment des discussions sur la loi Sapin 2 –, car il est le gage de la bonne foi du lanceur d’alerte, qui révèle des pratiques qu’il ne peut plus, en son âme et conscience, supporter.

Le groupe Les Républicains est donc partisan à la fois d’une définition stricte et d’une protection forte : le pire des systèmes est celui qui donnerait une définition trop large du lanceur d’alerte, tout lui en offrant une protection molle ; c’est encore à cela que ressemble notre droit en la matière. Il est dangereux d’encourager des dénonciations sans que des garanties de protection suffisantes soient apportées à leurs auteurs. Il faut un système équilibré, permettant, d’une part, de décourager les dénonciations calomnieuses et les manipulations éventuelles de la part de concurrents mal intentionnés dans le secteur économique, et, d’autre part, de protéger réellement et efficacement les lanceurs d’alerte, dans le cadre d’un dispositif gradué attestant de leur bonne foi.

Sur ces deux aspects, le texte que vous proposez va dans le bon sens, en modifiant utilement le droit en vigueur. Je pense notamment à la réintroduction d’une indemnisation sous forme d’assistance financière pour les lanceurs d’alerte. C’est évidemment un sujet crucial, puisque certains d’entre eux, comme Mme Gibaud, se sont retrouvés dans une situation personnelle épouvantable alors que l’État a bénéficié grassement de leur action.

Je salue aussi l’avancée que constituerait la mise en œuvre d’une compétence plus clairement affirmée du Défenseur des droits. Au moment de la loi Sapin 2, nous avions déjà déterminé qu’il était le mieux placé pour s’occuper de cette question, mais sa compétence était demeurée beaucoup trop théorique. La proposition que vous faites aurait ainsi le grand mérite d’assurer l’effectivité de dispositions mal appliquées depuis la loi Sapin 2. Par exemple, un nombre très faible des collectivités de plus de 10 000 habitants se trouve en conformité avec le dispositif de recueillement des signalements internes qu'elles sont légalement tenues de mettre en place. Elles devaient l’être au 1er janvier 2018 ; cinq mois plus tard, 8,7 % des communes et 5,1 % des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) s’étaient conformés aux obligations législatives en la matière. Aucune sanction n’est prévue par la loi, ce qui explique sans doute ce phénomène, mais nous faisons face à un immense retard qui doit être rattrapé. Une compétence plus affirmée du Défenseur des droits permettrait d’empêcher que l’inaction volontaire des collectivités locales condamne les initiatives des lanceurs d’alerte.

J’espère que nous nous retrouverons tous – notamment avec la majorité, férue de transparence et de moralisation – pour soutenir ce texte de transposition, sur un sujet à propos duquel la France a joué un rôle actif. Je serais frustré si nous sortions d’ici sans avoir pris des décisions, animés par l’idée qu’il serait urgent d’attendre – les propos de mon collègue Sylvain Waserman me le font craindre. Je me réjouis que l’on vante – une fois n’est pas coutume, en cette période de recours à l’article 49, alinéa 3 de la Constitution… – la coproduction avec l’ensemble des groupes. Quant à l’idée que nous devrions prendre le temps de la mettre en œuvre, la navette parlementaire devrait donner tout loisir d’améliorer le dispositif sur la base de la proposition de loi qui nous est proposée.

M. Raphaël Gauvain. Le sujet des lanceurs d’alerte est particulièrement délicat à appréhender en France, pour plusieurs raisons. La première tient sans doute au fait qu’il s’agit d’une pratique venant des États-Unis, une pratique ancienne et terriblement efficace faisant intervenir des whistleblowers la plupart du temps intéressés, qui finissent par toucher une part de l’amende recouvrée par les autorités de poursuite. Cet intéressement financier très important, qui concourt à l’action publique et à la recherche des fraudes, donne lieu en France à de fortes réticences. Le débat à ce sujet est aussi rendu difficile par l’histoire particulière de la France car, quoi qu’on en dise, ces pratiques s’assimilent à de la délation.

Il faut saluer l’adoption par la précédente majorité de la loi Sapin 2, qui a mis en place en France un cadre législatif pour les lanceurs d’alerte, accomplissant une avancée démocratique extrêmement importante. Notre pays est d’ailleurs apparu comme un exemple en Europe. Cela a placé le Gouvernement dans une situation très favorable au moment de la négociation puis de l’adoption de la directive de 2019, qui reprend l’essentiel des dispositions du droit français.

Dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi, vous essayez d’opposer la loi relative au secret des affaires et la loi Sapin 2, affirmant que la première « marque un net recul » par rapport à la seconde. Vous prétendez qu’elle permet d’engager des poursuites contre les journalistes et les lanceurs d’alerte, ce qui est profondément inexact : ils sont exclus nommément de l’application du nouveau dispositif tant par la directive que par la loi relatives au secret des affaires. D’ailleurs, vous-même citez dans votre rapport un article où il est écrit : « ce texte étant perçu comme une menace pour les lanceurs d’alerte malgré l’affirmation qu’il ne doit pas entraver leur activité ». Je rappelle également que la directive relative au secret des affaires a été adoptée, une fois encore sur l’initiative de la France – c’était à l’époque du gouvernement dirigé par Bernard Cazeneuve – à une très large majorité, et que le Conseil constitutionnel a validé la loi de transposition, reconnaissant qu’elle ne portait pas atteinte à la liberté de la presse.

On ne saurait donc opposer la protection du savoir-faire des entreprises et celle des lanceurs d’alerte. Il faut avoir, dans les deux domaines, la même ambition : à la fois protéger nos entreprises et leur savoir-faire dans la compétition internationale et la guerre économique, et lutter très fermement contre la délinquance financière et économique, et en faveur des lanceurs d’alerte. Dans le processus qui doit nous conduire jusqu’à la transposition de la directive sur les lanceurs d’alerte, le groupe La République en marche entend bien ne pas se contenter d’une transposition simple. Nous entendons faire montre d’une grande ambition sur nombre de sujets que vous n’abordez pas dans votre proposition de loi, ou alors de manière extrêmement partielle – je pense notamment à l’assistance financière des lanceurs d’alerte dans les procédures et à leur rémunération.

Par ailleurs, à la suite de l’adoption de la directive de 2019, le Gouvernement a engagé un travail de fond. Une mission d’inspection a été chargée de faire le bilan de la loi Sapin 2, notamment s’agissant des lanceurs d’alerte. Le Parlement, en particulier la commission des Lois, doit se saisir lui aussi de la question. Nous devons engager un travail de fond, mais de manière coordonnée entre la majorité et l’opposition.

Mme Cécile Untermaier. L’objectif de la proposition de loi, en définitive, est d’améliorer le droit d’alerte. Vous soulignez les insuffisances de la loi de 2016, tout en reconnaissant son caractère innovant. De fait, elle a créé le statut de lanceur d’alerte, avec l’objectif de permettre d’agir pour signaler une menace ou un préjudice pour l’intérêt général. Nous avions beaucoup pensé, à l’époque, aux risques sanitaires et environnementaux.

Le problème culturel que la France aurait vis-à-vis des lanceurs d’alerte, nous l’avions effectivement constaté en 2016. Les termes « de manière désintéressée et de bonne foi » ont été inscrits dans la loi précisément pour éviter certaines démarches susceptibles de nuire au statut de lanceur d’alerte. Je pense, pour ma part, que le terme « désintéressé » ne doit pas être limité au caractère financier, mais signaler l’absence de lien direct et certain entre le fait dénoncé et la situation personnelle de celui qui le révèle. À cet égard, il me semble que nous aurions tout intérêt à conserver le dispositif. En revanche, l’obligation de saisir la hiérarchie est effectivement une entrave qui s’expliquait par les réticences culturelles de l’époque.

La difficulté est d’arriver à un point d’équilibre politique. Cela vaut aussi s’agissant des entreprises, dont a parlé Raphaël Gauvain. Il est vrai que la loi relative à la protection du secret des affaires a été vue par beaucoup comme porteuse d’un risque de régression. Ce texte est encore récent ; il conviendra d’en faire le bilan dans le cadre de la transposition de la nouvelle directive.

Curieusement, alors qu’à chaque transcription de directive dans le droit national, on parle de ne pas surtransposer, là, tout le monde semble vouloir le faire. Pour ma part, je reste fidèle à mes engagements : je considère que la directive ne doit pas être surtransposée, puisqu’il s’agit de traiter des problèmes de l’Union. Rien ne nous empêche ensuite, dans le droit fil de la loi Sapin 2, de recenser les critiques qui paraissent légitimes et les avancées nécessaires.

Certaines des dispositions des propositions de loi sont très intéressantes. Ainsi, je suis très favorable à ce que l’on étudie l’élargissement aux personnes morales, en particulier aux ONG (organisations non gouvernementales). La protection des tiers me paraît également mériter réflexion au vu du bilan de la loi – cet aspect ne nous avait pas échappé en 2016, mais il nous avait alors paru difficile de le mettre en place. En outre, il nous paraît essentiel de donner vraiment au Défenseur des droits les moyens de mener son action. Enfin, je salue le souci de temporalité. Quand il s’agit de transposer des directives, nous nous y prenons toujours trop tard, c’est donc une très bonne initiative que de nous avoir amenés à y réfléchir dès maintenant. Nous suivrons avec beaucoup d’intérêt l’évolution du texte et indiquerons notre position au fil de l’examen des articles.

M. Christophe Naegelen. La nécessité de protéger davantage les lanceurs d’alerte recueille l’unanimité, au terme d’une lente évolution engagée notamment par la loi Sapin 2.

Certaines dispositions du texte qui nous est soumis sont positives et intéressantes. Nous soutiendrons avec grand plaisir le renforcement de la protection des lanceurs d’alerte par l’inscription dans la loi d’un « droit de signalement et de divulgation », la garantie d’une protection par l’interdiction de représailles à leur encontre, ou encore la création d’une inspection générale de la protection des lanceurs d’alerte auprès du Défenseur des droits.

D’autres points appellent une certaine vigilance, par exemple à l’article 10 qui prévoit de favoriser l’emploi dans la fonction publique des lanceurs d’alerte. Non seulement la directive n’enjoint pas de mettre en place une telle mesure, et il n’y a aucune nécessité pour la France, déjà championne dans cet exercice, de faire de la surtransposition, mais encore la mesure me semble peu opérationnelle, voire injuste. L’article 4 me préoccupe également. Je m’interroge sur l’opportunité de rendre obligatoires pour les entreprises de moins de 50 salariés les procédures de signalement. Même s’il ne s’agit que d’une expérimentation, cette disposition me semble source de charge excessive pour les petites et moyennes entreprises. D’ailleurs, là encore, la directive laisse le choix aux États membres.

Le mieux est l’ennemi du bien. Certains aspects de votre proposition de loi sont vraiment positifs ; en faire trop ne ferait que l’affaiblir. Le groupe UDI, Agir et indépendants manifeste une certaine bienveillance à l’égard de votre proposition, mais sera défavorable aux articles 4 et 10.

M. Paul Molac. Il est absolument nécessaire de protéger les lanceurs d’alerte, que ce soit pour connaître les malversations de certaines banques, les scandales sanitaires ou encore les coups tordus de nos services secrets – les essais nucléaires ont avantageusement bénéficié du secret défense.

La loi Sapin 2 a effectivement ses limites en conditionnant le statut de lanceur d’alerte au caractère désintéressé de la révélation. Or, quand on voit la vie qu’ont un certain nombre d’entre eux après avoir dénoncé des scandales, plutôt que de spéculer sur leur intérêt, mieux vaudrait leur accorder un dédommagement. Les vies de Julian Assange et celle de Stéphanie Gibaud ont tout de même été complètement bouleversées ! Les Anglo-Saxons sont peut-être trop pragmatiques mais, pour le coup, ils ont raison. Quant à l’obligation de prévenir la hiérarchie, elle paraît un peu curieuse : on peut supposer que, dans un certain nombre de cas de malversations, la hiérarchie est parfaitement au courant. Nous sommes donc favorables au renforcement de la protection des lanceurs d’alerte.

En ce qui concerne le calendrier de transposition de la directive, je m’inquiète un peu. À ceux de nos collègues qui préconisent d’attendre, je rappelle qu’à deux ans de la fin de la législature, on ne peut pas trop attendre sous peine de manquer de temps. Certes, on pourrait le faire dans le cadre de la journée réservée de La France insoumise et compléter la transposition par voie d’amendement, mais cela prendrait toutes les séances dont dispose ce groupe, ce qui ne serait pas très simple sur le plan pratique. Pour ma part, je voterai en faveur de la proposition de loi. Nous verrons si elle prospérera. Elle permet de faire un pas en avant ; il faut saisir l’occasion, même si ce texte ne suffira pas à lui seul.

M. Michel Larive. Amiante, sang contaminé, Mediator, LuxLeaks, Cambridge Analytica, tous ces scandales sanitaires ou financiers n’auraient jamais éclaté au grand jour sans le courage des lanceuses et lanceurs d’alerte. Pourtant, ces derniers ne bénéficient pas encore d’une protection juridique effective et efficace. Je salue l’initiative de mon collègue Ugo Bernalicis : les deux propositions de loi saisissent l’opportunité offerte par la directive européenne sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union du 23 octobre 2019, dont la transposition en droit interne doit intervenir avant décembre 2021.

La France ne part pas de zéro : il s’agit de prolonger le droit issu de la loi Sapin 2, qui a permis l’émergence d’une prise de conscience du rôle que chacun peut jouer dans le développement d’un signalement et dans la moralisation de la vie publique. Cependant, il ne faut pas que le Gouvernement se repose sur les lauriers français. Ces deux propositions de texte ont pour objectif de forcer les autorités françaises à se mettre dès à présent au travail et à présenter un calendrier précis.

Légiférer sur la question des lanceuses et lanceurs d’alerte répond à un impératif sociétal majeur, qui prolonge la réflexion sur notre démocratie et sur ses institutions. Des personnalités devenues malgré elles médiatiques, comme Irène Frachon, Céline Boussié, Edward Snowden, Julian Assange ou encore Antoine Deltour, ont agi dans l’intérêt et au nom de l’éthique, mais ont subi des représailles visant à les faire taire, les plaçant dans des situations de précarité et de vulnérabilité terribles. Combien de personnes agissent ainsi, actuellement, au nom de l’intérêt général et subissent des représailles sans que notre société leur garantisse une protection effective ? Je pense à Karim Ben Ali, cet ouvrier lanceur d’alerte, qui dénonce le déversement illégal d’acide à Florange par le géant de l’acier ArcelorMittal, mais aussi à Denis Breteau, cet ingénieur de la SNCF qui dénonce des appels d’offres truqués par sa direction en faveur du géant américain IBM. Aucune statistique ne permet, à l’heure actuelle, de rendre compte de la réalité de l’alerte en France. Dans son rapport d’activité, le Défenseur des droits a indiqué avoir enregistré 155 dossiers en deux ans. Il observe que 85 % des personnes qui le saisissent en se prévalant du statut de lanceur d’alerte sont dans une relation de travail. Les alertes concernent autant le secteur privé que le secteur public, dans des domaines très variés.

Si la France peut s’enorgueillir d’avoir été l’initiatrice de ce sujet au niveau européen, l’auteur d’un signalement demeure encore fragile dans notre pays. Sortir le lanceur d’alerte de son isolement est essentiel. L’adoption des deux textes proposés par M. Ugo Bernalicis permettrait de clarifier le droit français, notamment en autonomisant les processus d’alerte. Le choix de maintenir et de renforcer le rôle du Défenseur des droits dans la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte est essentiel. Grâce à la proposition de loi organique, les limites budgétaires au renforcement de son rôle sont contournées. Effectivement, ce texte prévoit que l’inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte recevra le signalement et fournira un retour d’information dans le cadre de la procédure de signalement externe. Elle pourra donc conduire des missions d’inspection et d’audit des entités publiques et privées, et assurera une fonction permanente de conseil et d’expertise auprès du Défenseur de droits et de ses services, ainsi qu’auprès d’entités publiques et privées.

Ces deux propositions de loi apportent donc des réponses intéressantes et efficaces à la problématique de l’alerte en France. C’est la raison pour laquelle le groupe de La France insoumise votera en leur faveur.

M. Arnaud Viala. Je souscris à l’idée qu’il faut garantir la sécurité d’exercice des lanceuses et lanceurs d’alerte, mais je voudrais appeler l’attention sur deux points qui, pour moi, sont des contreparties indispensables.

D’une part, il va falloir s’assurer de la transparence s’agissant du volet financier : quand une personne donne l’alerte et que son rôle est sécurisé, il faut aussi que tout un chacun connaisse ses éventuels commanditaires ou soutiens financiers, car cela constitue une information importante sur la nature de l’alerte et la façon dont elle est accompagnée.

D’autre part, le droit français doit être clarifié en ce qui concerne les moyens par lesquels les éléments sont recueillis par les lanceurs d’alerte. Dans les secteurs agricole et agroalimentaire, par exemple, certaines alertes sont lancées à la suite d’actes qui sont tout simplement des exactions. Or notre législation est un peu courte quand il s’agit, par exemple, de sanctionner le fait de s’introduire de manière illicite dans des lieux privés.

Si nous voulons légiférer utilement, les deux aspects que je viens d’évoquer doivent être intégrés à la réflexion.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Je vous remercie de vos remarques plutôt positives sur notre proposition de transposition – petite boutade à l’intention d’Olivier Marleix : j’ai rarement entendu de sa part une intervention aussi peu de droite…

En ce qui concerne le calendrier, nous voulons que les discussions sur la transposition de la directive s’engagent dès à présent car, à cette heure, aucun travail n’a été amorcé, en tout cas à ma connaissance et à celle des associations. Si le travail a bel et bien commencé, je m’inquiète de n’avoir reçu de la part du Gouvernement aucune réponse aux demandes d'audition que je lui ai envoyées pour préparer nos travaux. Nous aurons plus d'éléments sans doute le 26 mars, quand le texte sera examiné dans l’hémicycle. Au passage, que la transposition incombe à la Garde des sceaux et au ministère de la Justice a été salué par tout le monde. La question n’est pas secondaire pour beaucoup de lanceuses et lanceurs d’alerte et d’associations, compte tenu du tropisme à ne voir que du côté de Bercy et de la matière économique et financière, et à oublier les autres domaines, même si les initiatives parlementaires les ont remis dans la discussion à l’occasion de la loi Sapin.

En soi, la coconstruction, ne me pose pas de problème, monsieur Waserman. Je note quand même qu’en dehors des miens, aucun amendement n’a été déposé sur mes propositions de loi pour notre débat en commission. Je vous invite à en proposer en vue de la séance – pour une fois, nous avons un peu de temps pour y réfléchir et en discuter, y compris avec le Gouvernement. Je ne voudrais pas mettre la majorité en difficulté, aussi tairai-je ce que la Garde des sceaux m’avait répondu lorsque je lui ai demandé, en octobre dernier, quand débuteraient les travaux sur les lanceurs d’alerte – ce n’était pas une réponse satisfaisante. Lorsque je les ai auditionnées, les personnes chargées de recevoir les alertes au sein des services du Défenseur des droits m’ont dit que celui-ci n’avait pas été associé à une quelconque réflexion. Je suis sûr que cela va être fait, mais pour l’instant ce n’est pas le cas. Il va falloir accélérer le processus, et tant mieux si telle est l’intention de tout le monde ici.

Pour mettre un peu d’insoumission dans ma prise de parole, on pourrait se demander où est la cohérence quand, d’un côté, on supprime les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui étaient une voie interne permettant de lancer l’alerte dans le monde du travail, de manière pacifique et sans que cela repose sur un individu en particulier et que, de l’autre côté, on renforce les droits des lanceurs d’alerte…

En ce qui concerne l’indemnisation, la commission d’indemnisation des victimes d’infractions n’est peut-être pas l’idéal, mais elle a le mérite d’exister et de fonctionner. Par ailleurs, comme le disait Paul Molac, l’enjeu est de fournir un dédommagement plutôt qu’une rémunération.

Cette remarque me permet de faire le lien avec le caractère désintéressé de l’action du lanceur d’alerte. On a du mal à dissocier l’alerte de la personnalité qui la lance, ce qu’il faut pourtant faire. Même si l’on précisait que le désintéressement était uniquement d’ordre économique, on ne résoudrait pas le problème. La notion de bonne foi me paraît suffisante. Pour prendre le cas de Denis Breteau, d’avoir dénoncé des faits à la SNCF l’a naturellement mis dans une situation difficile sur le plan professionnel : il a été mis de côté, puis, à l’issue d’une procédure interne, l’entreprise lui a proposé une rupture conventionnelle, avec à la clé une somme d’argent pour l’encourager à partir. Or, dans le cadre de la procédure judiciaire, son employeur s’est appuyé sur cette proposition pour démontrer que Denis Breteau n’était pas aussi désintéressé qu’il le prétendait. N’ajoutons pas à la perversité. La notion de désintéressement est, en réalité, un obstacle de plus sur une route qui en est déjà parsemée. Il en va de même avec la loi transposant la directive sur le secret des affaires. C'est un motif de plus soulevé par ceux qui cherchent à éviter l'alerte. Par ailleurs, elle crée des régimes de protection différents selon le statut de celui qui doit en bénéficier. Nous manquons de recul sur la question, car le contentieux commence seulement à émerger, notamment du fait du refus de communication de certains documents par l’intermédiaire de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), sous couvert du secret des affaires – sans compter les autres personnes qui ne se plaignent pas par cette voie, et dont nous n’aurons connaissance que bien plus tard.

En ce qui concerne les entreprises de moins de 50 salariés, là aussi il faut « mettre les pieds dans le plat », notamment en raison du phénomène de sous-traitance. Dans le domaine du nucléaire, par exemple, pour un certain nombre de tâches bien précises, la sous-traitance mériterait que l’on garantisse aux salariés un circuit de l’alerte interne en plus de celui de l’alerte externe et de la divulgation publique. La Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), que nous avons interrogés sur le sujet, ne nous ont toujours pas fait de retour ; nous devrions recevoir des éléments d’ici à la séance.

Je suis content que vous saluiez la création d’une inspection – je proposerai par voie d’amendement de supprimer l’adjectif « générale », pour éviter toute confusion avec les organes internes d’inspection rattachés au Premier ministre et aux différents ministères. C’est un moyen de renforcer la capacité du Défenseur des droits d’expertiser les alertes, de suivre les individus, mais aussi d’exercer des missions d’audit et de conseil, notamment pour mettre en place les circuits d’alerte interne aux collectivités locales et aux entreprises.

Les dernières statistiques qui nous ont été transmises par les services du Défenseur des droits font état de 264 alertes, dont 63 % dans le cadre de relations de travail. Ce pourcentage illustre en creux la part des alertes environnementales et sociales qui n’entrent pas, le plus souvent, dans les relations de travail ; elles sont reçues par la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement. J’ai d’ailleurs tenu à auditionner l’ancienne sénatrice Marie-Christine Blandin, qui en a été à l’origine, pour essayer de coordonner les choses. Son avis a été très utile et va dans le sens de ce que nous proposons.

Quant au débat entre transposition et surtransposition, pour ma part, je m’en tiens strictement à la directive, dont le considérant 104 énonce : « La présente directive introduit des normes minimales et les États membres devraient pouvoir adopter ou maintenir des dispositions qui sont plus favorables à l’égard de l’auteur de signalement ». Il s’agit clairement d’une invitation à ne pas s’en tenir au caractère minimaliste du texte européen.

La Commission aborde l’examen des articles de la proposition de loi.

TITRE Ier
Dispositions générales

Article 1er (art. 6 de la loi no 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) : Définition des lanceuses et lanceurs d’alerte

La Commission est saisie de l’amendement CL406 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. L’amendement vise à supprimer les mots « de manière désintéressée », qui figurent dans la loi Sapin 2. Ce point a été soulevé par la totalité des personnes que nous avons auditionnées, et la directive elle-même nous y invite. Il faut franchir le pas, un peu comme pour l’élargissement du statut de lanceur d’alerte aux personnes morales, qui me semble faire plutôt consensus. D’autres dispositions suffisent amplement à vérifier la bonne foi et l’intention du lanceur d’alerte.

M. Raphaël Gauvain. Le débat sur la transposition s’ouvre et nous considérons que ce texte n’a pas fait l’objet d’un travail de fond suffisant, tantôt transposant fidèlement la directive, tantôt procédant à des surtranspositions. Au cours de la procédure parlementaire nous apporterons des améliorations mais, à ce stade, nous ne donnerons d’avis favorable qu’aux seules mesures de transposition de la directive. Puisque l’amendement CL406 reprend les termes exacts de celle-ci, le groupe majoritaire y est favorable.

M. Sylvain Waserman. Le groupe MODEM est lui aussi favorable à cet amendement tendant à supprimer la mention de l’action « désintéressée ».

S’agissant de l’élargissement de la notion aux personnes morales, je l’ai certes préconisée dans mon rapport, mais les conséquences n’en ont pas encore été suffisamment étudiées, notamment au regard des articles 10 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme. Plusieurs juristes nous ont signalé que certaines ONG risquaient d’être fragilisées par cette solution.

Si je suis tout à fait favorable à l’idée de renforcer le Défenseur des droits – peut-être même en lui adjoignant la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement –, je ne suis pas à l’aise avec l’idée de créer une inspection de la protection des lanceurs d’alerte.

La question se pose de savoir si l’autorité indépendante doit pouvoir octroyer le statut de lanceur d'alerte. Si tel est le cas, elle ne doit pas définir elle-même les critères. On ne peut plus accepter que quelqu’un doive attendre quatre ans et la destruction de sa vie pour s’entendre dire qu’il est effectivement lanceur d’alerte. Pour résoudre ce problème, il faut envisager que l’autorité indépendante puisse, au moins, intervenir comme tiers de confiance par rapport au juge qui décide, et, au plus, réfléchir à la matérialité du statut. C’est une question que je ne fais que soulever et à laquelle vous ne répondez pas non plus dans votre proposition de loi. Il n’est sans doute pas possible d’y apporter une réponse complète à ce stade, mais nous devons la prendre à bras-le-corps. Elle est assez peu présente dans le droit européen, et on sent qu’il y a là quelque chose à approfondir.

Pour finir, je ne peux laisser passer une affirmation erronée. Je ne voudrais pas qu’on ait l’impression qu’un lanceur d’alerte ne pourrait pas agir au motif que nous aurions supprimé les CHSCT. Vous savez très bien qu’ils ont été fondus dans une autre instance et que les possibilités de saisine sont exactement les mêmes qu’avant.

M. Olivier Marleix. Je suis favorable à cet amendement. Il est vrai que, dans la loi Sapin 2, nous avions quelque peu tâtonné pour définir le lanceur d’alerte : il fallait s’assurer qu’il n’agit pas dans son propre intérêt, à la différence du délateur. Nous essayions de trouver une définition pour ainsi dire philosophique, mettant en exergue la noblesse de la défense de l’intérêt général. Je vois très bien les problèmes que peut soulever cette rédaction. L’exemple de Denis Breteau et de son conflit avec la SNCF montre effectivement ce que l’on peut faire, dans une procédure, de cette notion de désintéressement. De la même manière, on peut imaginer qu’une entreprise sous-traitante se voit opposer qu’elle lance une alerte parce qu’elle a été évincée.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 1er modifié.

Article 2 (art. 6-1 [nouveau] de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) : Protection des personnes en lien avec les lanceuses et lanceurs d’alerte

La Commission adopte l’article 2 sans modification.

Titre II
Procédures de signalement

Article 3 (art. 8, 8-1 et 8-2 [nouveaux] de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) : Procédure de signalement interne

La Commission est saisie de l’amendement CL417 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Cet amendement rédactionnel est l’occasion d’ouvrir le débat sur la création d’une inspection générale de la protection des lanceurs d’alerte. Je n’ai pas d’idée préconçue quant à la façon dont il faut appeler cette instance, même si j’ai constaté que le nom pouvait emporter des conséquences conceptuelles sur la manière dont on se représente le renforcement du Défenseur des droits. Je suis ouvert à toute proposition d’ici à la séance : « commission spéciale », « autorité machin chose », tout ce qui permettra de trouver un consensus sans dénaturer les objectifs assignés à cette instance rattachée au Défenseur des droits me paraîtra acceptable.

M. Raphaël Gauvain. L’amendement a beau être rédactionnel, nous y sommes défavorables, car nous nous opposons à la proposition de loi organique, qui constitue un élément de surtransposition.

M. Olivier Marleix. Pour ma part j’y suis favorable et je regrette que le groupe majoritaire n’en mesure pas l’intérêt.

Il y a bien d’autres domaines que la protection des lanceurs d’alerte qui mériteraient qu’on lutte contre la surtransposition des directives.

Avec le dispositif issu de la loi Sapin 2, nous avons des trous béants dans la raquette. En particulier, aucune sanction n’est prévue pour défaut de dispositif de recueil et de traitement de l’alerte dans les entreprises de plus de 50 salariés ou dans les collectivités de plus de 10 000 habitants. Il est effarant que seulement 5 % des EPCI et 8 % des communes appliquent la loi Sapin 2. À voir la déliquescence du contrôle de légalité dans nos départements, la prudence commande que de tels dispositifs de recueil et de traitement de l’alerte soient instaurés.

J’ai essayé d’imaginer quel pourrait être le type de sanction, mais c’est très compliqué. Ouvrir un droit d’alerte direct auprès du Défenseur des droits me paraît une avancée majeure et la seule réponse à apporter faute de mieux.

M. Philippe Latombe. L’inspection générale ne nous paraît pas être la meilleure des solutions. Il faut lancer une réflexion plus large et je ne pense pas que nous aurons la capacité de proposer un « machin » qui vous conviendra d’ici à l’examen du texte en séance publique. Nous ne sommes pas favorables à l’amendement.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. La directive étend le champ de l’alerte et insiste sur la nécessité de sa prise en charge. Or la structure et les moyens actuels du Défenseur des droits ne lui permettent pas de la gérer de façon souhaitable. Il est nécessaire de revoir la structuration du Défenseur des droits, notamment au regard de la prise en charge des voies de signalement externes. On ne peut pas, d’un côté, se référer au débat, tant européen que local, sur les moyens d’accompagner un lanceur d’alerte, de lui éviter quatre ans de « galère » et de lui octroyer éventuellement un secours financier, et, de l’autre côté, s’opposer à la création d’une structure qui en serait chargée. Peut-être le débat doit-il porter sur le champ de cette structure plutôt que sur sa seule dénomination, mais ce serait inquiétant car révélateur que, moins de deux ans avant de transposer la directive, rien ne soit encore envisagé. Il y a urgence et vous ne pouvez pas nous renvoyer à une réflexion d’ampleur à venir. C’est dès maintenant qu’elle doit avoir lieu !

M. Raphaël Gauvain. Nous sommes d’accord sur le fond, il faut évidemment appliquer la loi Sapin 2 – sachant que la prise en charge des frais a été censurée par le Conseil constitutionnel. Mais la mise en place de cette structure nécessite, comme l’a dit M. Latombe, d’engager un travail de fond, peut-être de coconstruction, qui ne pourra vraisemblablement pas aboutir en trois semaines.

Les auditions auxquelles vous avez procédé pour cette proposition de loi ne sont pas suffisantes. Il faut aller à la rencontre de la vraie vie, de la société civile, entendre l’ensemble des magistrats, faire un travail de fond. À ce moment-là, on sera prêt à faire une proposition pour encadrer et mieux accompagner les lanceurs d’alerte.

M. Olivier Marleix. Quel dommage de penser qu’on ne serait pas capable, en trois semaines, de trouver comment intégrer l’inspection au sein des services du Défenseur des droits, alors que le Gouvernement a considéré que la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite était capable de mettre à plat notre système de retraite en une semaine ! Je ne doute pas, mes chers collègues, que vous parviendrez à trouver des solutions d’ici là.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Notre Commission a créé, il y a deux mois environ, une mission d’information sur le rôle et les missions du Défenseur des droits. Laissons ses deux rapporteurs, Coralie Dubost et Pierre Morel-À-L’Huissier, travailler à leur rythme. Les conclusions qu’ils nous présenteront dans quelques mois ne manqueront pas de nous intéresser.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL407 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Il s’agit de préciser quelle est la personne auprès de laquelle le signalement peut être effectué en interne.

 En outre, il est ressorti des auditions que, bien souvent, les personnes ayant signalé des alertes en interne ne savaient pas si celles-ci avaient bien été reçues. Il s’agit d’un élément important pour elles, aussi proposons-nous qu’un accusé de réception du signalement soit adressé à son auteur dans un délai de sept jours à compter de la date du signalement.

M. Raphaël Gauvain. Nous sommes favorables à l’article 3 mais défavorables à l’amendement, qui n’est pas finalisé et qui surtranspose la directive.

M. Sylvain Waserman. Il convient de retravailler à la fois l’article 3 et l’amendement au regard des procédures de signalement et de la question de l’anonymat.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. L’article 3 et cet amendement sont pratiquement un copier-coller des b) et c) du 1 de l’article 9 de la directive de 2019. Je ne suis pas prêt à m’opposer à la directive…

M. Sylvain Waserman. Il ne s’agit pas pour nous de nous opposer à la transposition de la directive, et votre copier-coller est parfait, mais notre ambition est tout autre : il faut retravailler certains points comme la gestion de l’anonymat dans le canal interne.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL408 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Conformément à la directive européenne, cet amendement précise que le délai raisonnable pour traiter le signalement interne ne peut excéder trois mois.

Il s’agit d’épargner des problèmes psychologiques, d’angoisse ou de stress aux personnes qui ont fait des signalements internes dans des grandes entreprises publiques, en leur évitant d’attendre jusqu’à six mois pour obtenir une forme d’accusé de réception. La moindre des choses est de tenir des délais raisonnables, sachant que trois mois est le délai classique dans notre droit interne ainsi que celui prévu dans la directive européenne.

M. Raphaël Gauvain. Nous sommes défavorables à cet amendement.

La directive européenne est rédigée au conditionnel : « Un délai raisonnable pour fournir des informations à l’auteur de signalement ne devrait pas dépasser trois mois. » C’est là typiquement le genre de sujet qui doit faire l’objet d’une consultation beaucoup plus large auprès des acteurs de la société civile, des magistrats, etc.

M. Olivier Marleix. Tout l’intérêt de la procédure de lanceur d’alerte, ce qui la garantit, c’est d’être un processus normé. Opposer le silence au lanceur d’alerte est évidemment déstabilisant. Il est donc très important qu’on s’assure qu’il obtienne une réponse dans un délai raisonnable, comme le précise la directive. Il ne me semble pas qu’un délai de trois mois soit un élément de surtransposition.

M. Philippe Latombe. Nous sommes globalement favorables à l’article 3 ainsi qu’à l’amendement qui a le mérite de fixer un délai. Nous avons deux semaines et demie pour affiner ce délai.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. L’absence de délai est source d’insécurité juridique. Les personnes souhaitent savoir ce que pensent ceux qui reçoivent l’alerte.

Vous préférerez peut-être un autre de mes amendements, qui propose un délai de réponse supérieur à trois mois, mais avec une motivation. En tout cas, une première réponse au bout de trois mois me paraît être le minimum et un délai raisonnable, surtout si l’on considère qu’en lançant une alerte, une personne s’expose et prête le flanc. Pour répondre au stress et à l’insécurité du lanceur d’alerte, garantir l’effectivité de la réception de l’alerte et de son traitement est déterminant.

M. Raphaël Gauvain. Nous sommes bel et bien favorables à l’article 3 et au principe du délai raisonnable. La question qui se pose est de savoir si l’on doit encadrer et rester au délai préfix de trois mois, car il emporte des conséquences juridiques. Et cela nécessite une réflexion plus approfondie.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL409 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Il s’agit, toujours conformément à la directive européenne, de préciser les conditions dans lesquelles le signalement peut être rendu public par son auteur sans passer préalablement par la procédure interne ou externe – par exemple en cas de danger imminent ou manifeste pour l’intérêt public, de situation d’urgence ou de risque de préjudice irréversible, de risque de représailles, etc. Cela n’empêche pas la personne confrontée à un danger imminent ou manifeste qui souhaite utiliser les voies internes et externes de le faire. L’idée est que le lanceur d’alerte ait à sa disposition plusieurs voies et qu’il reste de facto une gradation entre signalement interne et externe et divulgation publique.

M. Raphaël Gauvain. Nous sommes favorables à ce copier-coller, qui transpose fidèlement la directive. C’est une possibilité qu’offrait déjà la loi Sapin 2 mais qui n’avait sans doute pas trouvé à s’appliquer, d’où la nécessité de la préciser à nouveau.

M. Philippe Latombe. Nous sommes également favorables à cet amendement, qui clarifie, en effet, un dispositif amorcé dans le cadre de la loi Sapin 2.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 3 modifié.

Article 4 (art. 8, 8-1 et 8-2 [nouveaux] de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) : Expérimentation des procédures de signalement interne au sein des petites entreprises

La Commission examine l’amendement CL410 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Pour ouvrir des champs de réflexion sans déstabiliser les entreprises de moins de 50 salariés, nous demandons une expérimentation pour permettre à celles-ci de partager des ressources en matière de réception des signalements et d’enquêtes éventuelles à mener. Les petites entreprises ont parfois un rôle déterminant au regard des pratiques ou de l’usage de produits bien particuliers. Il serait dommage de les exclure du signalement interne.

M. Raphaël Gauvain. Nous sommes défavorables à cet amendement parce que défavorables à l’article 4. Celui-ci est la parfaite illustration que nous n’en sommes qu’au début du travail qui doit nous conduire à la transposition de la directive. Celle-ci prévoit une évaluation des risques appropriée tenant compte de la nature des activités des entités et du niveau de risque.

M. Sylvain Waserman. S’agissant de l’article, il est indispensable d’engager une concertation avec les partenaires sociaux et les représentants des petites et moyennes entreprises. Les procédures bâillon ne sont pas les mêmes pour une entreprise de moins de 50 salariés et un groupe comme Monsanto. En revanche, la logique de protection à l’égard des salariés reste pertinente.

S’agissant de l’amendement, nous y sommes également défavorables. Sans parler de l’intention, qui est tout à fait louable, la loi n’a pas à dire que deux entreprises peuvent partager des ressources.

J’insiste sur le canal interne. Les nouvelles technologies de blockchain permettent d’avoir, y compris avec des cabinets d’avocats, des solutions très souples, internes mais anonymes. On ne doit pas faire l’économie d’une réflexion sur ce canal interne anonyme, car se pose également la question du secret des sources, prérogative des journalistes et des avocats qui ne s’applique pas à un collaborateur, au responsable juridique ou du service qui serait nommé référent des lanceurs d’alerte.

Je pense que l’amendement est inutile et qu’une concertation est nécessaire sur l’article 4.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Monsieur Gauvain, l’expérimentation permet précisément de faire une évaluation avant toute pérennisation du dispositif. Elle me semble être la meilleure méthode, d’autant que, pour cette partie de la directive, le délai de transposition est 2023 et non 2021. Cela laisse le temps d’organiser une expérimentation en lien avec les représentants des organisations patronales et de salariés. Nous avons sollicité la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), qui doit nous donner son avis, et nous avons reçu la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et Solidaires qui ont réfléchi sur ces aspects-là et auront peut-être des propositions à faire.

L’amendement n’est pas si superflu que vous le prétendez, parce que l'obligation de mettre en place une procédure de signalement repose sur chaque entreprise concernée. Leur responsabilité pouvant être engagée, nous permettons de déroger à cette règle en donnant la possibilité aux entreprises de moins de 50 salariés de mutualiser leurs ressources. Il y a bien un intérêt à le préciser, en tout cas à sécuriser juridiquement cet aspect.

La Commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’article 4.

Article 5 (art. 8-3 et 8-4 [nouveaux] de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) : Procédure de signalement externe

La Commission rejette l’amendement de coordination CL411 du rapporteur.

Elle examine l’amendement rédactionnel CL412 du rapporteur.

M. Raphaël Gauvain. Nous sommes contre cet amendement parce que nous sommes contre l’article 5.

Nous reconnaissons la nécessité d’instaurer une protection effective du lanceur d’alerte, mais pas dans les conditions que vous proposez, et surtout pas sans un travail approfondi. Outre un rapport sur le Défenseur des droits, un rapport sur la loi Sapin 2 est nécessaire. De son côté, le Gouvernement a lancé des missions sur ces sujets. C’est à l’issue de ce travail entre la majorité et l’opposition, sans être tout à fait de coconstruction, et de la consultation des partenaires sociaux et de la société civile qu’on pourra faire une proposition globale et satisfaisante sur la protection des lanceurs d’alerte.

M. Sylvain Waserman. Je n’adhère pas à la réponse que vous proposez avec cet article, qui pose de nombreuses questions. Je ne pense pas que l’inspection générale puisse fixer elle-même les critères d’obtention du statut.

M. Paul Molac. Sans être un spécialiste de ces questions, je vois que le problème n’est pas résolu pour l’instant. Je suis preneur des propositions que pourront faire, d’ici à la séance publique, ceux qui s’opposent à ce texte.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. On ne peut pas faire moins que ce que prévoit la loi Sapin 2. Si tout le monde est d’accord pour adosser une structure dédiée aux lanceurs d’alerte au Défenseur des droits, ce serait déjà une prise de position. J’ai le sentiment que c’est le cas, mais mieux vaut s’en assurer.

Par ailleurs, ce n’est pas la structure qui détermine ce qui relève ou non de l’alerte ; c’est l’article 6 de la loi Sapin 2 qui le précise. Nous proposons une inspection pour assurer le suivi, l’effectivité de la protection du lanceur d’alerte et pour améliorer les éléments de preuve que celui-ci pourrait mobiliser devant les autorités administratives ou judiciaires. De toute façon, c’est l’autorité judiciaire qui finira par trancher.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL413 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. L’inspection doit garantir un retour d’information au lanceur d’alerte sur le traitement de son signalement dans un délai raisonnable n’excédant pas trois mois, ou six mois dans des cas dûment justifiés. Si le délai doit être allongé, il doit être accompagné d’une justification.

M. Raphaël Gauvain. Nous sommes opposés à l’article 5, donc à cet amendement, mais il ne s’agit pas de remettre en cause les dispositions de la loi Sapin 2. Nous entendons simplement attendre que le Gouvernement et le Parlement aient conduit les travaux adéquats avant d’aller plus loin. Il est trop tôt pour faire une proposition sérieuse sur l’accompagnement effectif des lanceurs d’alerte.

M. Sylvain Waserman. La directive européenne doit être transposée d’ici au mois d’octobre 2021. Pour avoir travaillé huit mois sur le sujet, je ne pense pas que l’on puisse, en deux semaines, modifier la loi Blandin, intégrer la commission qu’elle a créée au sein du Défenseur des droits, recréer un statut et inventer un nouveau modèle. Vous avez le mérite d’avoir lancé le sujet, mais ne bâclons pas les choses.

La Commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’amendement rédactionnel CL418 du rapporteur.

Elle en vient à l’amendement CL414 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Les conseils confidentiels que l’inspection des lanceurs d’alerte adresse à ces derniers sont gratuits. Cette précision peut paraît inutile, mais cela va mieux en le disant.

La Commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’article 5.

Article 6 (art. 9 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) : Dispositions communes aux procédures de signalement

La Commission examine l’amendement CL415 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Il s’agit de préciser dans quels cas de figure l’identité du lanceur d’alerte peut être divulguée. La divulgation n’est pas nécessairement publique et elle peut être partielle. Elle est parfois nécessaire pour obtenir des réponses. En tout état de cause, la divulgation doit être motivée et celui ou celle qui a donné l’alerte doit en être informé.

M. Raphaël Gauvain. Nous sommes défavorables à l’article 6 et à cet amendement qui est sans objet. Dans le cadre d’une enquête judiciaire, en vertu du secret de l’instruction, les éléments concernant le lanceur d’alerte ne sont pas communiqués. C’est un principe établi par l’article 11 du code de procédure pénale.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Le secret de l’instruction n’interdit pas la communication entre le magistrat instructeur et le plaignant, c’est-à-dire le lanceur d’alerte. Il peut très bien l’informer qu’il a dû donner son identité à telle ou telle autorité administrative pour consolider le dossier d’instruction. Il s’agit juste, pour le lanceur d’alerte, d’être tenu informé de cet aspect particulier et peut-être aussi, pour le magistrat, de s’interroger sur le bien-fondé de la levée de l’anonymat qu’il envisage.

La Commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’article 6.

Titre III
Les mesures de protection

Article 7 (art. L. 1132-3-3 du code du travail) : Protection des lanceuses et lanceurs d’alerte contre les représailles prises à leur encontre

La Commission rejette l’article 7.

Article 8 (art. 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations) : Protection des lanceuses et lanceurs d’alerte contre les discriminations

La Commission est saisie de l’amendement CL416 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Il s’agit de préciser la nature des mesures correctives pouvant être prises en faveur des lanceurs d’alerte, que ce soit sous la forme d’actions de soutien psychologique ou par l’abondement au maximum du compte personnel de formation par l’employeur.

Toutes les femmes et les hommes qui lancent des alertes subissent un stress, des difficultés dans leur entreprise et dans leur vie privée. On doit pouvoir leur fournir un soutien psychologique. Au départ, je ne voyais pas bien quel était l’intérêt d’inscrire cette mesure dans la loi. Je pensais qu’il suffisait à la personne en souffrance d’aller voir un psychologue, avec une prise en charge par la sécurité sociale. Les retours d’expérience montrent que ce n’est pas si simple et qu’il y aurait une pertinence à ce que le suivi du lanceur d’alerte offre des actions de soutien psychologique et d’accompagnement, sans attendre la fin de la procédure d’alerte.

Par ailleurs, quand nous avons proposé de faciliter l’accès à un emploi public, certains nous ont répondu très justement que tout le monde ne souhaitait pas nécessairement intégrer la fonction publique. Aussi avons-nous pensé que l’abondement au maximum du compte personnel de formation, même s’il n’est pas toujours suffisant, pouvait contribuer à la reconversion professionnelle.

La Commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’article 8.

Article 9 (art. 9-5 [nouveau] de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique) : Accès à l’aide juridictionnelle

La Commission rejette l’article 9.

Article 10 : Accès à la fonction publique des lanceuses et lanceurs d’alerte

La Commission rejette l’article 10.

Article 11 (art. 706-3 du code de procédure pénale) : Indemnité financière

La Commission rejette l’article 11.

Titre IV
Dispositions finales

Article 12 : Rapport sur l’élaboration d’un code de la lanceuse et du lanceur d’alerte

La Commission adopte l’article 12 sans modification.

Article 13 : Entrée en vigueur

La Commission adopte l’article 13 sans modification.

Article 14 : Gage

La Commission adopte l’article 14 sans modification.

Enfin, elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

La Commission en vient à l’examen de la proposition de loi organique visant à la création de l’inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte (n° 2591).

M. Olivier Marleix. Nous sommes passés un peu vite sur des mesures importantes pour la protection des lanceurs d’alerte, notamment à l’article 11 relatif à l’indemnisation ou au recrutement dans la fonction publique. Pour de grandes affaires de lutte contre l’évasion fiscale, on sait que la Direction générale de la sécurité extérieure a recruté des personnes chargées de faire le travail de lanceur d’alerte. Il ne faut pas avoir de fausse pudeur sur ce sujet, et je regrette qu’on l’ait écarté d’un revers de main.

Quant à l’indemnisation des lanceurs d’alerte, elle a été discutée lors de l’examen de la loi Sapin 2, mais pas tranchée de manière satisfaisante. À une époque, l’administration fiscale rémunérait les lanceurs d’alerte. C’est un sujet qui mériterait de bénéficier du concours des différents groupes d’ici à l’examen du texte en séance publique.

M. Raphaël Gauvain. J’ai expliqué à plusieurs reprises pourquoi nous étions contre l’ensemble des articles de la proposition de loi organique.

À l’évidence, il faut engager un travail approfondi au sujet de la rémunération des lanceurs d’alerte – elle a été introduite dans le droit français par la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, et a permis une meilleure répression de la délinquance financière et économique. À l’évidence aussi, on ne peut pas régler la question en trois semaines, à coup d’amendements, car il s’agit d’un changement culturel total et profond. L’intéressement du lanceur d’alerte au résultat, c’est-à-dire à la peine qui sera prononcée contre l’entreprise, est en effet une pratique qui nous vient des États-Unis. On pourra peut-être développer quelques idées lors de l’examen du texte en séance, mais c’est un travail que l’on doit mener.

M. Sylvain Waserman. Nous avons identifié beaucoup de chantiers et nous avons maintenant matière à boucler un texte très ambitieux, dont j’espère qu’il sera soutenu par tous les groupes. De toute façon, nous sommes obligés de transposer la directive européenne ; ce qu’il faut, c’est éviter une transposition minimaliste. Or c’est ce que nous ferions si nous adoptions cette proposition de loi dans trois semaines – en si peu de temps, nous serions incapables de revoir nos résistances culturelles sur ces sujets. Nous devons créer, de façon transpartisane, une réglementation fer de lance, d’avant-garde sur les lanceurs d’alerte.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. À un groupe de travail transpartisan, je préfère le respect des règles de notre assemblée et que cette proposition de loi destinée à interpeller débouche sur la désignation rapide d’un rapporteur et le lancement d’un cycle d’auditions, sans attendre décembre 2020 ou mars 2021. Il importe aussi de connaître la position du Gouvernement parce qu’il vaut mieux avoir le concours de tout un ministère pour transposer une directive, même au minimum, que de le faire entre nous, avec toute notre bonne volonté. Le besoin d’avancer sur cette question est là ; le travail parlementaire doit prendre les devants, ne serait-ce que parce que chaque jour qui passe ce sont autant de lanceurs d’alerte qui ne bénéficient pas de la protection qu’ils sont en droit d’attendre.

La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi organique.

Titre Ier
Dispositions relatives aux compÉtences et à la saisine du défenseur des droits

Article 1er (art. 4 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits) : Recueil et suivi des signalements externes par le Défenseur des droits

La Commission rejette l’amendement rédactionnel CL129 du rapporteur.

Elle rejette l’article 1er.

Avant l’article 2

La Commission rejette l’amendement rédactionnel CL131 du rapporteur.

Titre II
Création de l’inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte

Article 2 (art. 37-1 [nouveau] de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits) : Inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte

La Commission rejette l’amendement rédactionnel CL130 du rapporteur.

Elle est saisie de l’amendement CL127 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Les services du Défenseur des droits demandent que la structure que nous proposons de lui rattacher soit dotée d’une capacité d’injonction ou d’inspection lui permettant de demander tout document nécessaire à la vérification de l’alerte. Nous proposons aussi de créer des commissions chargées de traiter concrètement les alertes.

La Commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’article 2.

Article 3 : Composition de l’inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d’alerte

La Commission rejette l’amendement rédactionnel CL132 du rapporteur.

Elle est saisie de l’amendement CL126 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Nous avons dressé une liste détaillée mais non exhaustive des commissions pour montrer ce que pourrait être une structuration de la réception des alertes. Une alerte en matière de délinquance économique et financière ne se traite pas de la même manière qu’une alerte en matière de santé, d’environnement ou d’autres domaines. Il n’est pas possible qu’un seul bureau traite les alertes en général. Ce n’est pas non plus souhaitable par respect pour les lanceurs d’alerte.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL128 du rapporteur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Une fois saisis d’une alerte dans un domaine donné, l’idée est que les services du Défenseur des droits constituent des commissions composées de personnalités qualifiées exerçant dans des administrations, des corps d’inspection ou des bureaux ayant une expertise particulière, mais aussi de scientifiques, d’enseignants-chercheurs et de chercheurs, ainsi que de personnalités désignées par les associations. Il s’agit, sans avoir une structure permanente composée d’experts, de mobiliser les compétences qui existent déjà dans le pays en fonction du type d’alerte, de pouvoir les confronter et de consolider l’alerte lancée. C’est une demande du Défenseur des droits. Ces personnes seraient soumises à des obligations d’indépendance, de confidentialité, de protection des données et de secret professionnel. Là encore, cela va mieux en l’écrivant, surtout quand les personnes sont désignées par l’exécutif, comme le propose l’amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’article 3.

Article 4 : Entrée en vigueur

La Commission rejette l’article 4.

Article 5 : Gage

La Commission rejette l’article 5.

Ce faisant, elle rejette l’ensemble de la proposition de loi organique.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Les deux propositions de loi seront examinées en séance publique le 26 mars prochain. Je ferai part de nos échanges à Coralie Dubost et Pierre Morel-À-L’Huissier, les deux rapporteurs de la mission d’information relative au Défenseur des droits, afin qu’ils puissent enrichir leur réflexion.

La réunion se termine à 13 heures 05.


Informations relatives à la Commission

 


Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Bérangère Abba, M. Jean-Félix Acquaviva, M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Laetitia Avia, M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, M. Florent Boudié, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, M. Vincent Bru, M. Alain Bruneel, M. Éric Diard, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, M. Christophe Euzet, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Isabelle Florennes, M. Raphaël Gauvain, M. Guillaume Gouffier-Cha, Mme Émilie Guerel, Mme Marie Guévenoux, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Huyghe, Mme Catherine Kamowski, M. Guillaume Larrivé, M. Philippe Latombe, Mme Marie-France Lorho, M. Olivier Marleix, M. Fabien Matras, M. Stéphane Mazars, M. Ludovic Mendes, M. Jean-Michel Mis, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Naïma Moutchou, M. Didier Paris, Mme George Pau-Langevin, M. Jean-Pierre Pont, M. Aurélien Pradié, M. Rémy Rebeyrotte, M. Thomas Rudigoz, M. François Ruffin, M. Antoine Savignat, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Arnaud Viala, M. Guillaume Vuilletet, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Hélène Zannier

 

Excusés. - Mme Huguette Bello, Mme Gisèle Biémouret, Mme Émilie Chalas, M. Éric Ciotti, Mme Coralie Dubost, M. Philippe Dunoyer, M. Philippe Gosselin, Mme Élodie Jacquier-Laforge, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Louis Masson, Mme Emmanuelle Ménard, Mme Valérie Oppelt

 

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Charles Colas-Roy, M. Michel Larive, M. Christophe Naegelen, Mme Danièle Obono, M. Sylvain Waserman