Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 Examen des projets de loi, organique et ordinaire, adoptés par le Sénat, d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (n° 2762 et 2763) (Mme Marie Guévenoux, rapporteure)              2

 Information relative à la Commission.................32

 


Vendredi
20 mars 2020

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 49

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente
 

 


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La réunion débute à 11 heures 45.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission examine les projets de loi, organique et ordinaire, adoptés par le Sénat, d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (n° 2762 et 2763) (Mme Marie Guévenoux, rapporteure).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, je vous remercie pour votre présence dans les circonstances tout à fait exceptionnelles que vous connaissez.

Notre pays est confronté à une crise sanitaire sans précédent et je veux, avant tout, en mon nom et en votre nom à tous, avoir une pensée pour les victimes, pour ceux qui souffrent, pour leurs proches. Je remercie immensément tous les personnels de santé, tous les personnels de secours, tous ceux qui participent à la gestion de la crise : leur mobilisation, leur dévouement font honneur à notre République qu’ils incarnent au quotidien.

La Conférence des Présidents, qui s’est réunie à deux reprises cette semaine, a décidé de limiter l’activité de l’Assemblée nationale, compte tenu de la situation de crise et jusqu’à nouvel ordre. Ne sont maintenues que les activités suivantes : les questions au Gouvernement, une fois par semaine, et l’examen des seuls textes indispensables dans le contexte de la crise du coronavirus.

Parmi ces textes figurent deux projets de loi dits d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, l’un organique, l’autre ordinaire. Ils organisent notamment le report du second tour des élections municipales, prévoient des dispositions nécessaires sur le plan sanitaire et contiennent des mesures destinées à adapter notre économie à la lutte contre l’épidémie. Ces deux projets de loi, déposés mercredi, ont été adoptés tard dans la nuit de jeudi à vendredi par le Sénat. Ils sont soumis à l’examen de l’Assemblée nationale aujourd’hui dans des conditions très particulières. Les groupes politiques sont représentés par trois de leurs membres et des mesures de sécurité sanitaire appropriées ont été prises, notamment pour qu’une distance d’au moins un mètre entre chaque participant puisse être respectée.

Avant d’en venir à l’examen du projet de loi, je voudrais remercier très chaleureusement nos administrateurs qui ont travaillé très tard dans la nuit et tôt ce matin pour faire en sorte que l’Assemblée nationale puisse délibérer dans de bonnes conditions.

Je vous propose de nommer Mme Marie Guévenoux, membre du groupe La République en Marche, rapporteure au nom de la commission des Lois sur les deux projets de loi. M. Raphaël Schellenberger, qui est membre du groupe Les Républicains, est proposé aux fonctions de rapporteur d’application.

(Assentiment)

M. Philippe Gosselin. Je me joins, Madame la présidente, à vos remerciements et j’exprime également notre reconnaissance aux collaborateurs des groupes et à nos propres collaborateurs.

Mme Marie Guévenoux, rapporteure. Mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui dans un contexte exceptionnel et votre présence restreinte dans cette salle suffit à en attester.

Je n’ai pas besoin de vous dire ce que nous savons tous : notre pays connaît la pire épidémie de son histoire récente, et ce fléau frappe durement nos partenaires européens comme nos alliés sur d’autres continents. L’épreuve est douloureuse. Elle l’est pour le monde entier ; elle l’est pour la France et pour les Français.

En ces temps difficiles, notre responsabilité collective n’est que plus grande. Le peuple français nous a confié la mission de veiller à ses intérêts. Nous le faisons ici, à l’Assemblée nationale, comme d’autres au Gouvernement et au Sénat, avec la meilleure volonté possible et toute notre détermination.

Nous avons tous très peu dormi au cours des derniers jours. C’est une charge que nous acceptons avec gravité. Nous examinons ces deux projets de loi dans des conditions de célérité qui disent tout de leur importance. Chaque fois que la France est frappée, aujourd’hui par un virus comme il y a quelques années par le terrorisme, le Parlement a montré qu’il savait se prononcer suivant l’exigence des circonstances. Nous n’y manquerons pas plus aujourd’hui que nos prédécesseurs naguère, dans le sens de l’intérêt général et sans rien sacrifier de nos convictions.

Mercredi, le conseil des ministres a délibéré sur les projets de loi organique et ordinaire que le Sénat a adoptés aujourd’hui au petit matin et que nous examinons maintenant. Pour faire face à l’épidémie de Covid-19, ils poursuivent trois principaux objectifs : le report du second tour des élections municipales et communautaires qui devait se dérouler le 22 mars 2020, ce qui fait l’objet du titre Ier ; la création d’une base légale aux mesures de confinement de la population en créant un état d’urgence sanitaire dans le titre II ; des mesures d’adaptation de notre droit, dont les rigueurs conçues pour le temps de paix pourraient menacer la bonne marche du pays dans les conditions de confinement que nous connaissons. Ce dernier objectif est poursuivi par le titre III ainsi que par le projet de loi organique.

Le Président de la République, dès qu’il a été informé par les scientifiques des dangers réels que présentait l’épidémie, n’a pas hésité à prendre des décisions courageuses et draconiennes que le Gouvernement a d’ores et déjà pour partie appliquées. Depuis le début de la semaine, la limitation de la circulation des populations et la fermeture des commerces non nécessaires témoignent de la détermination affichée. Il convenait désormais de recourir à la loi pour franchir un nouveau cap. C’est ce qui nous est soumis ici, et je ne doute pas que tous les parlementaires seront habités par la responsabilité qui nous incombe.

Avant de détailler le contenu des projets de loi, j’aimerais préciser un élément important. Le Sénat s’est prononcé le premier hier. Je dois vous informer qu’il l’a fait dans un esprit de coopération remarquable. Les contacts ont été nombreux entre le rapporteur et président de la commission des Lois, M. Philippe Bas, la présidente de notre Commission et moi-même.

Comme le Premier ministre a tenu à associer tous les groupes et tous les partis à ces décisions, l’Assemblée nationale et le Sénat ont travaillé de concert. Cela ne signifie pas que nous sommes d’accord sur tout, comme vous le verrez, mais cela veut dire que nous nous entendons sur l’essentiel.

La quasi-totalité des modifications apportées par le Sénat ont été consensuelles. Certaines, formulées par les sénateurs, ont suscité l’adhésion ; d’autres, à l’inverse, ont émané de l’Assemblée nationale et ont été volontiers introduites dans le texte, hier, à l’initiative du Sénat ou par l’entremise du Gouvernement. Lorsque la situation le commande, les divergences se réduisent vite.

Je voudrais évoquer quelques exemples d’apports du Sénat qui ont été introduits en collaboration avec l’Assemblée nationale, voire sur les suggestions que nous avons formulées : les règles sur le quorum municipal, la facilité de convocation des assemblées locales, la dimension temporaire de ce nouveau régime de l’état d’urgence sanitaire et le fait que les policiers municipaux puissent verbaliser les infractions à ses prescriptions.

Je dois aussi vous faire part de quelques dissonances qui persistent dans le texte : sur le choix du Sénat d’autoriser le vote à distance pour l’élection du maire, par exemple, mais aussi sur le dépôt des candidatures au second tour des municipales dans ce que je tiens pour une forme de précipitation. Je ne cache pas des interrogations sur d’autres dispositions du texte, mais je compte m’en ouvrir préférentiellement en séance publique pour obtenir des précisions de la part du Gouvernement.

J’en viens désormais au contenu proprement dit des projets de loi.

Le titre Ier du projet de loi ordinaire a trait au report du second tour des élections municipales. Comme vous le savez tous, les scientifiques avaient estimé que les conditions sanitaires au dimanche 15 mars n’impliquaient pas la remise en cause du premier tour. Mais leur brusque détérioration et la croissance rapide du nombre de contaminations les a amenés à réviser leur jugement dans les jours qui ont suivi. En responsabilité, le Président de la République a recherché une conciliation entre l’impératif sanitaire et l’expression démocratique. Il a souhaité ce que met en œuvre le titre Ier : retenir les résultats du premier tour et attendre des circonstances plus propices pour la tenue du second dans de bonnes conditions.

Le dispositif qui vous est proposé est donc le suivant. Dans les communes où le premier tour a permis l’élection de l’ensemble du conseil municipal, ces résultats sont définitifs. Dans les communes ou, au contraire, un second tour sera nécessaire pour déterminer les élus, il se trouve reporté au mois de juin, à une date dont le Gouvernement décidera par décret. Un rapport scientifique sera remis au Parlement le 10 mai pour évaluer les conditions sanitaires qui permettront sa tenue. À défaut, il nous appartiendra de reprogrammer l’élection plus tard.

Comme l’a annoncé le Premier ministre au Sénat, les communes seront gérées dans l’intervalle par les élus municipaux en fonction avant le premier tour. Ce sera le cas jusqu’au second tour dans les communes où celui-ci doit avoir lieu ; dans celles où le premier tour a suffi, cette administration provisoire durera jusqu’à l’amélioration des conditions sanitaires. En effet, devant la crainte des nouveaux élus de se réunir en ces temps d’épidémie, nous attendrons le rapport scientifique pour nous assurer de la levée de tous les risques.

À titre exceptionnel, le Sénat a adopté une série de mesures destinées à faciliter la l’administration des communes pendant cette période. Le quorum d’une moitié exigé pour la validité d’une délibération est abaissé à un tiers. Le nombre de pouvoirs que peut recevoir un membre de l’organe délibérant passe de un à deux. Je précise que ces mesures vaudront pour l’ensemble des collectivités territoriales et groupements, et pas seulement pour les communes.

Les dates limites d’adoption des budgets sont repoussées à juillet. Les équipes prorogées pourront partiellement disposer des sommes prévues pour le précédent exercice.

Cette situation a une conséquence sur le fonctionnement des intercommunalités. Là également, les conseillers communautaires en fonction seront prorogés, voire remplacés s’ils ont perdu leur qualité de conseiller municipal. Toujours pour éviter de multiplier les réunions, le Sénat a remplacé le processus d’élection par le conseil municipal prévu par le Gouvernement par une détermination automatique par la loi pour le cas où le nombre de sièges au sein du conseil communautaire devrait varier à la hausse ou à la baisse en fonction des évolutions démographiques.

Les détails techniques, tels que le régime de la propagande, les modalités de remboursement ou encore l’application outre-mer, font l’objet d’habilitations du Gouvernement à légiférer par ordonnances à l’article 2. Le Sénat a raccourci les délais pour garantir au Parlement un droit de regard, ce qui est bienvenu.

C’est dans ce titre Ier que se situent mes principaux désaccords avec le Sénat. Les sénateurs ont souhaité que les déclarations de candidatures et les dépôts de listes pour le second tour, là où c’est nécessaire, aient lieu au plus tard le mardi 31 mars, autrement dit dans une semaine. Cela me semble tout à fait prématuré en plein confinement, alors que nombre de candidats sont frappés eux-mêmes par la maladie.

Certains sénateurs ont souligné, et je les rejoins, que les listes ne peuvent être modifiées après le dépôt. Nous mettrions les candidats à la merci des décès, des accidents de la vie, de toute avanie envisageable. Le Sénat souhaite éviter les tractations sans fin, mais entre la semaine prochaine et le mois de juin, il aurait gagné à trouver une solution intermédiaire qui concilie les légitimes intérêts de chacun. Je déplore que, sur ce point, les sénateurs se soient montrés inflexibles au détriment du bien-être de candidats déjà fort éprouvés par les circonstances.

M. Philippe Gosselin. Il ne faut pas le dire comme cela !

Mme Marie Guévenoux, rapporteure. Je nourris également un fort doute quant à l’opportunité du vote à distance, par correspondance ou par voie électronique, pour l’élection du maire. Il me semble que si la loi prévoit trois tours de scrutin, c’est bien pour permettre aux conseillers de changer d’avis, de parlementer entre eux, ce qui me semble difficile quand on vote de chez soi plusieurs jours à l’avance. Je ne suis pas fermée, en revanche, à ces modalités particulières pour les délibérations classiques ; je proposerai un amendement en ce sens.

Enfin, je vous indique que l’article 3 procède au report des élections consulaires pour la désignation des représentants des Français de l’étranger. Là encore, la sécurité de nos compatriotes est et demeure notre priorité.

Le titre II du projet de loi ordinaire crée un état d’urgence sanitaire. En effet, comme l’a expliqué le ministre de la santé, le cadre juridique actuel – essentiellement les articles L. 3131‑1 et suivants ainsi que la théorie des circonstances exceptionnelles – trouve aujourd’hui ses limites au regard des mesures qui sont nécessaires. La situation actuelle nécessite donc de prévoir un régime dédié en cas de catastrophe sanitaire.

L’article 5 du projet de loi crée ainsi un état d’urgence sanitaire, inspiré dans sa rédaction de l’état d’urgence prévu par la loi du 3 avril 1955. Il peut être déclaré sur tout ou partie du territoire national en cas de catastrophe sanitaire mettant en jeu, par sa nature et sa gravité, la santé de la population.

L’état d’urgence sanitaire serait déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Sa prorogation au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi. Un décret peut toujours y mettre fin de manière anticipée. En même temps que cesse l’état d’urgence sanitaire cessent également les effets des mesures prises pour son application.

En cas de déclaration de l’état d’urgence sanitaire, un comité de scientifiques est réuni sans délai. Il rend public un avis périodique sur les mesures prises par le Premier ministre, le ministre de la santé et les préfets, le cas échéant. Des dispositions pénales sanctionnent les infractions à ces mesures.

Le Sénat a substantiellement modifié l’état d’urgence sanitaire.

Un amendement du rapporteur, M. Philippe Bas, a notamment énuméré les mesures susceptibles d’être prescrites par le Premier ministre et le ministre de la santé. Il a ainsi établi une typologie des mesures applicables : celles visant à restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret ; l’interdiction faite aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements justifiés par des besoins familiaux, professionnels ou de santé impérieux ; la mise en quarantaine, au sens de l’article 1er du règlement sanitaire international de 2005, des personnes susceptibles d’être affectées ; le placement et le maintien en isolement des personnes affectées, au sens du même article, au domicile ou dans tout autre lieu d’hébergement adapté ; la fermeture provisoire d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public, à l’exception de ceux fournissant des biens ou des services essentiels aux besoins de la population ; la limitation des rassemblements sur la voie publique ainsi que des réunions de toute nature ; la réquisition de tous biens et services nécessaires ainsi que de toute personne utile au fonctionnement de ces services ou à l’usage de ces biens. Cette liste a été complétée en séance pour prévoir un contrôle des prix ainsi que la mise à disposition de médicaments appropriés pour l’éradication de l’épidémie.

Je comprends la logique juridique d’une telle énumération mais son caractère opérationnel n’est pas certain : il y a toujours le risque d’un oubli face à une situation profondément évolutive. Je propose que nous échangions sur ce point avec le Gouvernement en séance publique.

Le Sénat a, par ailleurs, adopté un amendement du Gouvernement conférant aux agents de police municipale, gardes-champêtres, agents de la Ville de Paris chargés d’un service de police, contrôleurs de la préfecture de police et agents de surveillance de Paris, la compétence pour constater les contraventions à l’état d’urgence sanitaire.

La commission des Lois du Sénat, également à l’initiative de son président et rapporteur, a adopté un amendement déclarant d’emblée l’état d’urgence sanitaire pour une période de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi. Au regard de la situation sanitaire, il apparaissait en effet inutilement complexe de revenir devant le Parlement avant le délai maximal d’un mois. Je trouve cette disposition justifiée par les circonstances ; elle n’aura pas vocation à se reproduire.

Enfin, dans l’esprit des échanges noués avec la présidente de notre Commission, le Sénat, toujours à l’initiative de son rapporteur, a adopté un amendement portant article additionnel après l’article 6 afin de rendre temporaire – jusqu’au 1er avril 2021 – le nouveau régime juridique d’état d’urgence sanitaire.

Le titre III du projet de loi ordinaire est celui sur lequel je m’étendrai le moins car il se compose pour l’essentiel d’habilitations du Gouvernement à prendre des ordonnances pour limiter les conséquences les plus désastreuses de la situation actuelle et pour faire en sorte que les particuliers comme les entreprises résistent aux impacts économiques de la crise. Les règles ainsi édictées ont vocation à s’appliquer pour le temps de la crise et pour ce temps seulement.

Chacun comprendra l’intérêt d’un étalement des paiements des factures d’eau pour les très petites entreprises, d’un recours accru aux visioconférences dans les organes de direction des secteurs administratif et privé, d’un assouplissement des règles relatives au temps partiel, ou d’une prolongation d’office de trois mois de l’ensemble des titres de séjour sur le territoire national dont bénéficient les étrangers. Les parlementaires pourront légitimement demander au Gouvernement des précisions sur ce qu’il entend édicter sur la base d’habilitations qui, parfois, sont moins explicites. Nous nous livrerons collectivement à cet exercice en séance publique.

Le Sénat a très peu modifié ces dispositions, mais il a tout de même précisé que les dates de congés fixées à l’initiative de l’employeur sans délai de prévenance ne pouvaient excéder six jours ouvrables et que les adaptations des règles relatives aux gardes d’enfant supposaient des parents maintenus au travail hors de leur domicile et un contexte de fermeture des crèches.

Par ailleurs, le Sénat a ajouté au projet de loi ordinaire un titre IV relatif au contrôle parlementaire des décisions prises à l’occasion de cette crise sanitaire. Il contient deux dispositions. La première a pour effet de prolonger de deux mois les travaux des commissions d’enquête en cours, de sorte que ceux-ci puissent être conduits à leur terme. La seconde autorise le Parlement à obtenir communication de toutes les décisions prises en application de la loi dont nous discutons. Je pense que chacun y souscrira.

Nous sommes également saisis d’un projet de loi organique à l’objet tout à fait circonscrit. Il s’agit d’éviter que des questions prioritaires de constitutionnalité – QPC – en cours d’examen devant le Conseil d’État et la Cour de cassation n’atteignent, du fait de la désorganisation induite par le coronavirus, la date limite de trois mois à laquelle elles seraient automatiquement transmises au Conseil constitutionnel. Ce dernier serait alors menacé d’engorgement par des affaires ne présentant aucun intérêt et que, dans des circonstances normales, les juridictions faîtières auraient refusé de lui soumettre. Ce délai de trois mois se trouverait ainsi suspendu jusqu’au 30 juin prochain.

Voici, mes chers collègues, les projets de loi dont nous sommes appelés à discuter dans un temps très bref qui est aussi un temps troublé. Comme je vous l’ai dit en préambule, le travail consensuel et partenarial mené avec le Sénat est à saluer. Cependant, quelques dissonances persistent. Nous allons en débattre dans les heures qui viennent.

Chacun ici, je le sais, est conscient de la gravité de la situation à laquelle notre pays est confronté. Ce qui doit nous animer, plus que jamais, est la volonté d’agir dans l’intérêt des Français mais aussi celle de donner au Gouvernement, dans les délais les plus brefs, les outils nécessaires pour résoudre cette crise majeure ou, du moins, en diminuer les effets.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je vous propose de poursuivre notre réunion jusqu’à quatorze heures. Nous reprendrons ensuite l’examen des projets de loi à partir de quinze heures.

M. François Pupponi. J’aimerais avoir des précisions sur le déroulement de nos travaux car l’intervention de la rapporteure montre qu’il n’y aura pas de vote conforme. Pouvez-vous nous donner des précisions sur la date et l’heure de la commission mixte paritaire ?

Après avoir passé des heures en Commission, allons-nous passer des heures en séance publique et lever tardivement comme le Sénat ? Je ne crois pas que cela serait très raisonnable compte tenu de la situation. Nous avons bien vu, hier, dans l’hémicycle, qu’à la fin des débats, plus personne ne respectait les règles sanitaires élémentaires. Ce serait prendre des risques pour la santé des uns et des autres.

Devons-nous nous attendre à siéger un ou deux jours ? Ne pourrions-nous pas essayer de nous organiser collectivement pour nous focaliser sur les points les plus importants ?

 Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Monsieur Pupponi, je ne peux présager du rythme de nos débats. Une Conférence des Présidents est convoquée à quatorze heures trente. Elle déterminera l’ordre du jour de nos travaux. Peut-être serons-nous amenés à siéger samedi et dimanche, ce qui est déjà arrivé à plusieurs reprises. L’urgence commande que nous travaillions sereinement, sérieusement et rapidement. Dès que je disposerai de précisions supplémentaires, je vous les communiquerai.

Par ailleurs, nous pourrons échanger avec les présidents de chacun des groupes, ou leurs représentants, sur l’organisation des travaux de la Commission, comme nous avons l’habitude de le faire.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Au nom du groupe Les Républicains, je formule le vœu que les réunions de la Commission et les séances publiques s’enchaînent rapidement, compte tenu des contraintes imposées par le confinement.

Mme Coralie Dubost. Une navette, si elle avait lieu, devrait en effet être organisée dans les plus brefs délais. Le Parlement ne doit pas perdre de temps s’agissant de décisions aussi impérieuses.

M. Fabien Roussel. Nous siègerons le temps qu’il faut pour prendre toutes les décisions qui s’imposent.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je vous remercie de votre coopération et de votre sens des responsabilités, dont je ne doutais pas.

Nous commençons la discussion générale. Le temps de parole sera de cinq minutes pour les orateurs des groupes, puis de deux minutes pour les orateurs suivants.

Mme Coralie Dubost. Face à cette situation inédite, nous sommes tous pris d’une sensation de vertige. Or, l’un des remèdes au vertige consiste à dessiner une nouvelle perspective : c’est ce qui nous est demandé pour nos concitoyens. Crise sanitaire inédite, gestion démocratique de la crise inédite : l’histoire ne nous offre aucune comparaison avec la situation présente, que ce soit sur le plan sanitaire ou sociétal. L’épidémie s’est traduite par l’apparition de 235 000 cas et a causé plus de 8 000 décès à travers le monde ; en France, où 10 995 personnes se sont vu confirmer leur état positif, on dénombre 4 461 hospitalisations, 1 400 cas graves et plus de 300 décès.

Notre démocratie est ainsi soumise à une double épreuve : faire face à la crise du Covid‑19 à la fois du point de vue sanitaire et dans le respect de la démocratie. Notre pays, comme tant d’autres nations puisqu’il s’agit d’une pandémie, est soumis à la « sagesse des limites » pour protéger les siens. La sagesse des limites ne consiste ni à vouloir follement les abolir ou les braver, ni à les accepter telles quelles comme un destin fatal et inéluctable. Elle réside tout à la fois dans leur appréhension, leur compréhension et leur confrontation. Les limites auxquelles nous sommes confrontés – c’est inhabituel – sont d’ordre naturel : ce sont celles de la condition humaine. Elles révèlent notre finitude et nous rappellent notre fragilité, notre peu de réalité. L’évolution de la civilisation, en particulier le développement des sciences, avaient déplacé ces limites depuis plus d’un siècle. Nos scientifiques et nos soignants se trouvent chaque jour, chaque heure, en cet instant même, face au défi de devoir une nouvelle fois, en urgence, déplacer une nouvelle limite naturelle.

La seule façon pour nous, parlementaires, de les aider – je veux redire la reconnaissance et la confiance totale que nous leur témoignons ! – est de déplacer les limites immatérielles de notre société, construites en temps de paix, de tranquillité de la condition humaine, pour leur permettre d’agir. Ils doivent pouvoir mettre tout en œuvre pour sauver des vies, quoi qu’il en coûte. Notre responsabilité est d’adapter notre vie démocratique à cette lutte sanitaire. Georges Clemenceau le disait déjà : « La démocratie se doit d’être une création continue. » Nous devons créer.

La crise a pris son ampleur lors d’un moment démocratique clef : le premier tour des élections municipales, que nous avons décidé de préserver afin de garantir la continuité de la vie des institutions. Depuis lundi, le Président de la République, se fondant sur l’avis des experts, a annoncé une nouvelle étape : à un stade épidémique plus avancé répondent de nouvelles mesures de protection de nos concitoyens. Il nous revient donc désormais de reporter le second tour des élections municipales. Comme la rapporteure, je tiens à saluer le travail du Sénat, qui a permis d’aménager un certain nombre de points, notamment sur les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Cela permet d’éviter toute chicane politique au moment où nos concitoyens se battent contre cet ennemi invisible. Pour assurer une marge de manœuvre suffisante à ceux qui agissent dans cette guerre contre l’épidémie du coronavirus tout en garantissant la perspective d’un retour à une situation sanitaire et démocratique apaisée, nous devons dès aujourd’hui décider de ces éléments d’urgence et des perspectives de sortie de crise. La déclaration de l’état d’urgence sanitaire est indispensable afin de permettre au Gouvernement d’utiliser tous les outils nécessaires pour défaire l’ennemi viral. La préparation de la sortie de cet état d’urgence est tout aussi indispensable pour garantir la continuité de la vie de la société et des institutions. Saluons, là aussi, le travail du Sénat, de notre rapporteure et de notre présidente, qui ont permis de faire fonctionner les deux chambres en bonne intelligence afin qu’un texte aussi responsable qu’impérieux se dessine au fur et à mesure des travaux parlementaires !

Compte tenu des circonstances sanitaires, nous sommes soumis désormais à un enjeu de créativité démocratique, auquel le nouvel outil que constitue l’état d’urgence sanitaire me semble répondre. Ce dispositif encadre les conditions de confinement qui s’imposent à nos concitoyens depuis quelques jours. Nous avons également répondu à cet enjeu avec la série de mesures économiques et sociales inédites contenues dans le titre III, que le Gouvernement nous propose d’adopter en urgence en lui permettant de légiférer par ordonnances. Il y va assurément de la santé économique, sociale et culturelle de notre pays. Il s’agit, pour préparer notre avenir, de permettre aux entreprises de faire face aux conséquences économiques et sociales de la crise, d’offrir aux parents un mode de garde des enfants en cas de nécessité, d’appliquer des mesures provisoires administratives et juridictionnelles pour adapter la vie de notre pays dans cette période, d’assurer la protection continue des personnes les plus vulnérables, de garantir les droits des assurés sociaux et leur accès aux soins, d’assurer la continuité de l’indemnisation des victimes et d’adapter de manière transitoire les prérogatives des exécutifs locaux qui doivent pouvoir continuer à fonctionner en temps de crise.

L’action de tous conditionnera l’issue de tous. Jamais nous n’avons autant mesuré combien nous dépendons les uns des autres ! Nous avons besoin de nous tous. Nous sommes tous acteurs de cette lutte. Si, pour gagner cette bataille, il nous faut restreindre temporairement nos libertés ordinaires, je voudrais rappeler qu’être libre, ce n’est pas faire ce qu’on veut quand on veut. Être libre, selon Guy Haarscher, c’est trouver dans la réflexion personnelle les ressources nous permettant de nous orienter dans le monde. La boussole nous indique aujourd’hui qu’il faut rester dans notre domicile. Respectons ce principe !

M. Raphaël Schellenberger. J’aimerais d’abord rappeler d’où je viens : je suis député du Haut-Rhin, département de la région la plus touchée de France et qui connaît dans ses hôpitaux une crise sanitaire que je ne souhaite à aucun autre territoire de la nation. Nos hôpitaux font face à des difficultés majeures. Les lits de réanimation sont tous occupés par des personnes en situation critique. Dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), on relève des cas d’infection très difficiles à gérer, qui vont produire, dans les jours à venir, des effets colossaux. Cette situation est due à un foyer de contamination qui a rassemblé 2 500 personnes pendant une semaine, à la fin du mois de février, ce qui a accéléré la propagation. La plupart des personnes hospitalisées en sont issues.

En tant que député du Haut-Rhin, je tiens également à témoigner de la solidarité qui s’est manifestée sur ce territoire, d’abord en direction des personnels soignants. Très vite, l’ensemble de la société s’est mise au service de ces personnels pour leur faciliter la vie. Je pense aux supermarchés qui ont établi des horaires adaptés, aux agents des collectivités territoriales et de l’éducation nationale qui, sans poser de question, se sont organisés pour répondre à l’appel lancé au sujet de la garde des enfants des soignants. J’ai à l’esprit toute la chaîne qui s’est constituée pour faciliter le travail de ceux qui sont sur le front contre le virus. La vie économique a également été maintenue. Les entreprises se sont organisées en filières courtes pour produire ce dont les hôpitaux ont besoin. Dans ma circonscription où l’industrie textile est historiquement prédominante, les entreprises se sont réorganisées. Elles ont bâti une filière courte d’approvisionnement des hôpitaux en masques, certaines fabriquant la matière première, d’autres assurant le découpage, d’autres encore procédant à l’assemblage. Je pense aussi aux distilleries et aux viticulteurs d’Alsace organisés pour transformer leur production et rendre possible la fabrication de gel hydroalcoolique. Ce sont autant de gestes et d’actes qui, dans chaque secteur de la société, montrent combien notre nation est grande. Cela nous assure qu’elle saura faire face à la menace et se mobiliser pour aider, à l’arrière comme sur la ligne de front, ceux qui se battent pour sauver nos concitoyens.

Animé par cet esprit de consensus et d’unité nationale, le groupe Les Républicains souhaite aller vite et donner au Gouvernement les moyens d’agir dans la lutte contre le virus. Le texte en discussion comporte plusieurs volets importants. Nous serons évidemment favorables à la déclaration d’un état d’urgence sanitaire, tout en appelant au respect de la ligne établie par le Sénat : ce n’est pas parce que nous connaissons une crise grave que nous devons oublier les principes démocratiques. Nous ne nous grandirions pas si nous étions incapables de contrôler la restriction de la liberté. C’est un effort considérable que nous demandons à nos concitoyens ; il serait inimaginable qu’il ne fasse pas l’objet d’une caution démocratique. C’est aussi cela qui nous permettra de nous reconstruire.

S’agissant de l’état d’urgence sanitaire, j’aimerais en appeler à la solidarité interrégionale. Je viens d’échanger avec la préfète de la région Grand Est. Grâce aux décisions du Gouvernement et à la mobilisation des forces armées, des ponts sanitaires sont établis entre l’Alsace – plus précisément Mulhouse – et des hôpitaux militaires sur tout le territoire national. Pour gérer la crise à Mulhouse et en Alsace, il faudra que l’ensemble du système hospitalier soit mis à contribution. En effet, la situation sanitaire locale est particulièrement préoccupante.

Le deuxième volet majeur du texte concerne les mesures d’urgence économique. Là aussi, il faut que notre message soit clair : nous appelons au confinement de nos concitoyens, non à l’arrêt de la vie économique. Celle-ci doit continuer dans le respect des barrières sanitaires. Notre capacité à combattre le virus en dépend. Si nous ne sommes pas capables d’assurer la continuité de nos filières alimentaires, pharmaceutiques et de transport, nous éprouverons de grandes difficultés, dans les jours à venir, pour continuer à lutter contre l’épidémie. Nous nous devons de prendre des mesures d’urgence de soutien à l’économie et à toutes les filières – pas seulement à celles qui ont fait l’objet du premier train de mesures de samedi dernier – tout en permettant le maintien en activité de tout ce qui est essentiel à la vie de la nation et de nos concitoyens, même confinés.

Un troisième train de mesures, relatif aux élections municipales, forme le titre Ier. Il aurait dû être présenté à la fin du texte. Ce sont des dispositions importantes pour la vie démocratique, qui ne saurait être bradée au motif de la situation sanitaire. Nous devons respecter la mobilisation de nos concitoyens, dimanche dernier, à l’occasion du premier tour des élections municipales. Nos positions viseront à maintenir l’équilibre défini par le Sénat.

Mes chers collègues, je vous remercie pour votre implication et pour la capacité que nous démontrons, au sein de cette institution, à nous mobiliser tous ensemble, en urgence et en bonne intelligence, en ce temps de crise.

Mme Isabelle Florennes. Je tiens tout d’abord à exprimer la solidarité du groupe Modem, notamment avec le Haut-Rhin dont la situation vient d’être décrite par M. Raphaël Schellenberger. Face à une épidémie d’une telle gravité, notre pays avait besoin d’une réponse immédiate, à la hauteur des attentes des Français. Ce projet de loi, présenté en pleine crise du Covid-19, instaure un dispositif d’état d’urgence sanitaire qui permettra aux pouvoirs publics d’employer sans attendre des procédures et des moyens exceptionnels pour protéger les entreprises, les travailleurs indépendants et ceux qui interviennent dans le secteur libéral. Il répondra aux nombreuses interrogations des élus locaux sur la dimension démocratique. Ces dispositions permettront de rendre opérationnelles les annonces du Président de la République. Elles sont adaptées au tumulte que connaît notre pays depuis plusieurs jours.

S’agissant du titre Ier – je partage la remarque de M. Raphaël Schellenberger sur l’architecture étrange du projet de loi –, nous approuvons la décision de reporter l’installation des conseils municipaux au regard des circonstances exceptionnelles. Dans le même sens, compte tenu du report du second tour des élections municipales à une date fixée au plus tard au mois de juin, il nous semble logique de reporter la date limite de dépôt des listes. Il ne nous apparaît pas opportun, en effet, de précipiter les choses alors que les campagnes sont suspendues et que la date du second tour n’est pas encore fixée.

Des mesures exceptionnelles, qui répondent à la situation, doivent être prises sans délai. C’est ce que proposent les titres II et III en adaptant nos règles de droit pour faire face au bouleversement des activités sanitaires, économiques et administratives.

Les habilitations à légiférer par ordonnances sont nombreuses et très larges. Elles comprennent des dispositions non seulement économiques, mais également sociales, juridiques et éducatives. La configuration étant exceptionnelle par sa gravité, sa durée et sa portée, les ordonnances sont le meilleur instrument pour répondre, le plus immédiatement possible, aux nombreuses difficultés de nos concitoyens. Elles permettent de définir les moyens d’action.

S’agissant du volet sanitaire – à mon sens, le plus important –, le titre II est doublement crucial : d’une part, il pose les fondements d’un nouveau dispositif juridique encadrant précisément les mesures de confinement déjà instaurées ; d’autre part, il donne une existence légale au comité de scientifiques.

Enfin, pour ce qui est des sanctions prévues à l’encontre des personnes contrevenant aux mesures de confinement, elles sont absolument nécessaires. Il faut que nos concitoyens prennent la mesure de la situation. Les expériences de ces derniers jours ont prouvé qu’il fallait aller plus loin pour leur faire entendre raison. Ne nous trompons pas : l’enjeu est bien leur protection. En cela, les dispositions adoptées par le Sénat vont dans le bon sens.

Ce texte offre des réponses à la hauteur de la crise que nous affrontons, qui nous permettront d’être plus à même à l’avenir de gérer des difficultés similaires.

M. Christophe Bouillon. Nous sommes réunis dans des circonstances parfaitement exceptionnelles. Jamais notre pays n’avait connu une telle crise sanitaire. Le monde a destin lié. Au nom de mon groupe, je voudrais avoir une pensée pour les familles endeuillées et les malades qui souffrent. Je tiens également à exprimer notre solidarité en direction de ceux qui, depuis plusieurs semaines, sont « sur le pont » : les blouses blanches, qui constituent, dans la guerre que nous menons, notre Grande Armée. Elles réclament aujourd’hui, au-delà de notre solidarité, des moyens pour les accompagner : du matériel, des financements. La solidarité doit s’exprimer concrètement. Je pense également aux pompiers, aux gendarmes, aux policiers, à tous les agents publics qui les accompagnent. Je pense aux caissiers, à tous ceux qui travaillent dans les grandes surfaces commerciales, aux ouvriers, aux enseignants, aux cheminots, aux postiers, à tous ceux qui font que notre pays peut encore fonctionner.

L’heure est à l’urgence. Viendra, bien sûr, celle des bilans et des responsabilités. Le texte que vous nous proposez d’examiner, dans ces circonstances exceptionnelles, porte des mesures relatives à trois sujets : les élections, l’état d’urgence sanitaire, les mesures d’urgence économiques et d’adaptation de la vie courante des particuliers et des entreprises.

Concernant l’état d’urgence sanitaire, étant donné les circonstances, il est indispensable d’agir de façon efficace et déterminée pour mener la guerre à l’épidémie. Néanmoins, encadrer cet état d’urgence et permettre au Parlement de le contrôler n’en diminue pas la portée. Il me semble essentiel d’accompagner les propositions formulées en ce sens par le Sénat et d’insister encore plus sur l’importance de fixer des délais, notamment pour les ordonnances.

Les mesures du titre III concernant l’activité économique vont dans le bon sens. Même si nous devons préserver les activités et l’économie du pays, nous devons aussi protéger les salariés. Les inquiétudes que nous avons entendu remonter ces derniers jours, dans plusieurs secteurs d’activité, sont parfaitement légitimes. Il faut que ces salariés, auxquels nous demandons d’exercer leur activité pour garantir une forme de continuité économique, puissent le faire dans d’excellentes conditions sanitaires.

Le titre Ier est relatif aux élections, rappelant ainsi que des Français sont allés voter et qu’ils ont élu, dès le premier tour, plus de 300 000 conseillers municipaux. Ces élus représentent la République du quotidien. N’oublions jamais le rôle que jouent les maires et, plus largement, les équipes municipales dans les quelque 35 000 communes de notre pays ! Ils sont indispensables. Depuis plusieurs jours, ils répondent aux sollicitations des habitants, aux demandes diverses et variées ; ils accompagnent les mesures souhaitées par les autorités publiques et sanitaires ; ils sont à leur poste et ils sont présents partout en France. Viendra, bien évidemment, le temps de s’interroger sur le maintien de ces élections ; malgré toute la légitimité de la question, il ne s’agit pas de polémiquer aujourd’hui, mais de garantir la continuité républicaine. Nous sommes contraints par la gestion de la crise sanitaire.

Permettez-moi tout de même d’avancer que nous laissons ces élus dans une forme d’expectative qui peut les affaiblir à un moment où il faudrait sans doute les affermir. Nous devons apporter toutes les garanties nécessaires à l’exercice de leurs missions par les élus en poste – avec tous les pouvoirs qui leur reviennent, mais aussi des garanties démocratiques. Nous ferons des propositions en ce sens, pour que l’information circule entre les élus sortants et ceux qui ont été désignés au premier tour. N’oublions pas que le Sénat est souvent considéré comme la grande assemblée des collectivités locales ! On peut lui faire confiance pour aborder avec sagesse les questions relatives aux communes.

Veillons tous à ne pas briser l’unité nationale. Nous ne nous opposerons pas aux mesures d’urgence ; ne vous opposez pas aux exigences démocratiques que nous défendons ! Le Parlement doit pouvoir agir pleinement et jouer son rôle. Aux crises sanitaire, financière et économique, il ne faudrait pas ajouter une crise démocratique.

M. Jean-Christophe Lagarde. Nous faisons face à une crise inédite, d’une ampleur que personne ne connaît encore et qui a déjà surpris beaucoup de pays dans le monde. Face à une telle situation, il y a urgence. La première nécessité, de notre point de vue, est d’être un peu moins gaulois et un peu plus français : un peu moins prompts à tout contester et tout dénier, comme ces gens irresponsables dans la rue qui n’ont pas compris ce qui était en train de nous arriver ; un peu plus prompts à nous regrouper, comme nous avons su le faire au lendemain d’attentats terroristes ou dans des périodes plus joyeuses, après une Coupe du monde par exemple. Ensemble nous pouvons faire face. C’est dans cet esprit que mon groupe souhaite aborder le débat, en faisant en sorte de donner au Gouvernement les moyens de lutter contre toutes les conséquences de la crise, tout en garantissant les principes de la vie démocratique. Ce sera une bonne façon de montrer que notre nation est capable de soutenir le choc.

Le projet de loi crée un état d’urgence sanitaire avec lequel nous sommes d’accord. Il n’avait pas été prévu par la loi du 3 avril 1955. Un copier‑coller quasi intégral nous permettrait de faire face plus efficacement aux restrictions de liberté et aux réquisitions de matériel nécessaires et autoriserait le Gouvernement à aller plus vite et plus fort pour résoudre la crise. Alors que nous légiférons dans des conditions en tout point exceptionnelles, l’état d’urgence sanitaire ainsi créé doit être temporaire. Par ailleurs, il faudra que le Parlement, à l’aune de l’expérience acquise et sans doute après une commission d’enquête, puisse l’évaluer à l’avenir afin de vérifier si nous avons été suffisamment efficaces.

Une autre partie du texte concerne les conséquences économiques et sociales de la crise, qui doivent être prises en compte très rapidement. Je pense aux salariés en chômage partiel, aux indépendants qui ne savent pas comment ils seront indemnisés – sinon grâce au projet de loi de finances rectificative adopté hier –, aux entreprises qui manquent de trésorerie ou encore aux poursuites, en cas de défaillances de paiement, qui doivent être interrompues.

Nous ne parviendrons pas à légiférer à la vitesse de propagation du virus. C’est pourquoi nous devons donner des pouvoirs très larges, par le biais des ordonnances, au Gouvernement. Nous en serons quitte, je le répète, à revisiter l’ensemble des dispositifs une fois la crise passée. Rien dans la Constitution n’interdit à l’exécutif d’associer les groupes parlementaires à la rédaction des ordonnances. C’est ce que Mme Nicole Belloubet, ministre de la justice, a accepté de faire dans le cadre de la rédaction du futur code pénal des mineurs. Je demande que les groupes parlementaires soient associés à la rédaction de ces ordonnances. Cette nuit, le Sénat a inscrit dans le projet de loi la possibilité pour les polices municipales de verbaliser les personnes qui violent le confinement sanitaire. Quand l’administration et le Gouvernement travaillent sans les parlementaires, ils oublient des cas. Il serait donc utile d’accompagner le Gouvernement, de sorte à aller vite et à être efficaces. Le reste du texte concerne des mesures de bon sens exorbitantes du droit commun, relatives par exemple à l’accueil des enfants.

Pour ce qui est des élections, nous approuvons le report du second tour des élections municipales puisque les scientifiques ont jugé qu’il n’était pas possible de l’organiser dans les circonstances actuelles. Nous soutenons l’option consistant à différer l’installation des conseils municipaux. Personne n’aurait compris que tout le monde soit confiné et que les élus se réunissent, prenant des risques pour eux‑mêmes et pour les autres.

Néanmoins, à mon sens, la dissociation du premier tour et du second, à trois mois d’écart, est inconstitutionnelle. Elle fausse les résultats. Dans toutes les communes où l’élection n’a pas été acquise dès le premier tour, il faut organiser de nouvelles élections dans leur intégralité. Nous sommes en train de commettre une erreur démocratique. Nous devrions, dès lors, préciser dans le texte que si le second tour ne pouvait avoir lieu au mois de juin, comme le Gouvernement et la majorité le prévoient, ce serait l’ensemble de l’élection qui devrait être reportée. Nous voyons bien d’ailleurs, dans le débat entre l’Assemblée nationale et le Sénat sur la date à laquelle les listes devront être déposées, qu’il y a une vraie question. Elle ne relève pas de la polémique, mais de la compréhension collective.

Enfin, si le projet de loi organique est de bon sens, le contrôle démocratique le serait tout autant. Si nous acceptons la suspension des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), dont la rapporteure disait à juste titre que beaucoup concernent des détails et qu’elles n’ont pas à être examinées en ces temps de crise, je vous propose d’amender ce texte pour que l’examen des QPC par la Cour de cassation, le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel soit bien suspendu, mais à l’exception de celles concernant le projet de loi qui nous est soumis. Il n’est pas imaginable qu’un tel texte, que nous examinons dans des conditions aussi exceptionnelles d’urgence, ne soit pas soumis à un contrôle de constitutionnalité alors même qu’il s’agit de questions majeures de libertés publiques et démocratiques.

M. François Pupponi. Notre pays est en guerre contre le Covid‑19 : c’est la plus grave crise sanitaire que la France ait connue depuis un siècle. Je souhaite en cet instant, au nom du groupe Libertés et territoires, avoir une pensée pour les malades, pour les familles des victimes, mais aussi pour tout le personnel soignant qui, bien qu’à bout, se mobilise corps et âme pour prendre soin de tous ceux qui en ont besoin. J’ai également une pensée toute particulière pour nos concitoyens confinés et pour ceux qui continuent à faire battre le cœur de l’activité de notre pays.

Depuis plusieurs semaines, nous vivons une situation inédite par sa nature, son ampleur et son impact. Elle nous impose de décaler l’installation des conseils municipaux élus dès le premier tour et de reporter la tenue du second tour. Le choix du Premier ministre de demander au Sénat le décalage au 15 mai, au plus tôt, de l’installation des nouveaux conseils municipaux, est une mesure de bon sens. Leur réunion constitutive dès ce week-end aurait entraîné trop de complications, aussi bien sanitaires que politiques. De même, la fixation au 31 mars à dix-huit heures de la date de dépôt des listes en vue du second tour, adoptée par le Sénat, est judicieuse. On ne pouvait décemment laisser les négociations durer plusieurs semaines au risque de voir s’exercer des pressions en tous genres. Je le dis solennellement : il ne serait pas raisonnable, compte tenu de la gravité de la situation, de réunir une commission mixte paritaire en fin de semaine uniquement parce que nous n’arrivons pas à nous mettre d’accord sur la date de dépôt des listes.

Le projet de loi ordinaire – que nous allons examiner à la suite de nos collègues sénateurs qui ont simplifié, clarifié et précisé un certain nombre de dispositifs – doit nous permettre de faire face ensemble à cette crise d’envergure en nous assurant que personne ne sera laissé au bord de la route. Je pense aux commerçants qui ont dû baisser le rideau alors que les grandes surfaces continuent à vendre ; je pense aux auteurs, pour qui les conséquences économiques de la fermeture des lieux de spectacle, ainsi que l’arrêt des productions cinématographiques et audiovisuelles, seront importantes ; je pense à la protection de l’enfance, mais aussi aux professions libérales et aux agriculteurs.

Les Français se posent beaucoup de questions. Qui peut, qui doit continuer à travailler ? Pourquoi certaines activités sont-elles considérées comme essentielles et d’autre non ? Quelles sont ces activités essentielles ? Pourquoi les entreprises du BTP peinent-elles à se voir reconnaître le droit au chômage partiel ? Et, surtout, pourquoi n’y a-t-il pas assez de masques de protection, notamment pour les forces de l’ordre et les soignants, qui sont confrontés à des porteurs potentiels du Covid‑19 ? À toutes ces questions, il faudra apporter des réponses.

Je pense aussi à ceux de nos concitoyens qui vivent à l’étranger et aux ressortissants étrangers qui doivent demander ou renouveler leur titre de séjour en France. Pendant cette période, nous ne devons pas non plus négliger notre combat contre les phénomènes climatiques dévastateurs en période d’inégalités sociales, culturelles et économiques. Pour répondre à ces différentes problématiques, notre groupe a déposé plusieurs amendements qui se veulent constructifs et consensuels.

Si nous saluons évidemment la création d’un état d’urgence sanitaire, qui paraît indispensable, nous veillerons à l’introduction d’un véritable contrôle parlementaire. Réaliser la transparence implique d’associer le Parlement à toutes les dispositions de ce texte, y compris à celles de nature économique et sociale. L’article 13, ajouté par le Sénat, prévoit que, « à la demande de l’Assemblée nationale ou du Sénat, les autorités administratives communiquent toute mesure prise ou mise en œuvre en application de la présente loi » et que le Parlement peut « requérir toute information complémentaire en ce qui concerne le contrôle et l’évaluation de ces mesures ainsi que les conséquences sanitaires de l’épidémie de Covid19 ». Nous voulons renforcer ces dispositions en proposant la création d’un comité de suivi au sein duquel siégeraient des parlementaires. À défaut, nous souhaitons que ces derniers soient intégrés au comité scientifique. Nous veillerons aussi à ce que les atteintes aux libertés publiques décidées pour combattre ce virus soient proportionnées. Nous saluons d’ailleurs la disposition ajoutée par le Sénat à l’article 6 bis, qui rend caduc au bout d’un an l’ensemble du dispositif de l’état d’urgence sanitaire s’il n’est pas reconduit, voire modifié par le Parlement.

Chers collègues, face à l’« océan d’incertitudes » évoqué par le Premier ministre, nous devons être responsables et pragmatiques afin de permettre aux forces vives de notre pays de surmonter ce cap extrêmement difficile du ralentissement économique. Les mesures annoncées en la matière sont certes ambitieuses, mais des difficultés subsistent. Il ne faudrait pas, par exemple, que les mesures administratives ou juridictionnelles proposées remettent en cause certains droits fondamentaux. Quant aux dispositions visant à adapter le fonctionnement des institutions locales, nous nous réjouissons qu’elles aient été enrichies par le Sénat : je pense en particulier à l’assouplissement des règles d’adoption du budget et des modalités d’engagement des dépenses d’investissement.

Mme Danièle Obono. Dans le moment de crise aiguë que traversent notre pays, notre continent et le monde dans son ensemble, les députés insoumis sont plus que jamais déterminés à faire œuvre utile et à servir l’intérêt général par leur vigilance constante et par la proposition de mesures urgentes et durables en matière sanitaire, sociale et démocratique.

Notre soutien à des mesures allant dans le sens de l’intérêt général et de l’efficacité de la mobilisation n’est pas inconditionnel et acritique : ce serait faire injure à notre fonction. La crise actuelle ne met pas la démocratie entre parenthèses, au contraire. Nous croyons qu’elle exige davantage de démocratie dans la mesure où nous avons besoin de l’adhésion, de l’implication constante de tous et de l’intelligence collective du grand nombre pour venir à bout de l’épidémie et reconstruire sur de nouvelles bases le monde d’après. Cette reconstruction commence maintenant : elle se fonde sur le contenu des réponses apportées et sur la manière dont nous allons les mettre en œuvre pour une plus grande protection de l’ensemble de nos concitoyens.

Il faut veiller à la protection des personnes et penser à l’ensemble de la population, continentale comme ultramarine, aux personnes en soin comme à celles qui les soignent. Notre sécurité sanitaire n’est réelle que si la santé des plus vulnérables est garantie. Il est donc impératif de lutter contre toutes les formes de précarité et de violence : je pense aux femmes, en première ligne pour affronter l’épidémie et qui, confinées, courent des risques accrus. Je pense aux enfants, notamment aux enfants placés et aux mineurs isolés. Je pense aux personnes en situation de handicap, aux personnes enfermées en prison ou en centre de rétention administrative, dont plusieurs associations demandent la libération.

Il faut aussi veiller à la protection des salariés. Le confinement est l’un des outils jugés les plus efficaces pour stopper la propagation du virus. Un maximum de personnes doit rester confiné. De notre point de vue, on ne doit pas faire de distinction entre ceux qui peuvent travailler chez eux et ceux qui ne le peuvent pas, car la division entre les tâches pouvant être effectuées à distance et celles qui ne peuvent pas l’être recouvre en grande partie la distinction entre emploi de bureau et emploi manuel, c’est-à-dire entre bien rémunéré et précaire ou dévalorisé. C’est injuste et cela fait courir un risque à tout le monde. De notre point de vue, seules les personnes exerçant un emploi stratégique, nécessaire à la lutte contre la pandémie, doivent se rendre sur leur lieu de travail. Il faut protéger ceux qui exercent l’un de ces métiers essentiels. Pour nous, la règle doit être : un salarié, un test, un masque, des protections maximales.

Les emplois stratégiques sont particulièrement à risque du fait des déplacements qu’ils imposent et des pratiques professionnelles qui exposent continuellement à la contamination. Soignants, infirmiers, médecins, membres de la réserve sanitaire qui attendent de relayer leurs collègues, assistants à domicile, sages-femmes, caissiers, personnels de ménage, agents de sécurité, personnels des hôpitaux, de la grande distribution, des transports, des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), éboueurs, agents des services publics essentiels : tous devraient disposer de masques, de gel hydro-alcoolique et de tests. Il faut une mobilisation des outils de production, jusqu’à la réquisition, pour fournir ce matériel aux salariés qui en ont besoin.

Ils doivent aussi pouvoir s’organiser collectivement pour déterminer les meilleures modalités de travail et les modes de protection, car ce sont eux qui connaissent le mieux les processus les plus protecteurs. Leur statut doit être garanti, soit par la titularisation des trop nombreux contractuels de la fonction publique, soit par leur intégration au groupe donneur d’ordre : je pense par exemple au personnel en sous-traitance dans les services.

Pour les métiers non essentiels, la règle doit être le confinement et la garantie des droits. Que les employeurs qui poursuivent leur activité au détriment de la santé des travailleurs soient sanctionnés ! Il faut garantir le maintien de l’emploi et des revenus et, pour les personnes sans emploi ou en recherche d’emploi, une indemnisation à un taux maximal.

Il est urgent de dire clairement quels sont les secteurs essentiels à la lutte contre la pandémie et ceux qui ne le sont pas.

Troisièmement, il faut protéger la démocratie. Il faut maintenir le contrôle parlementaire de l’exécutif et encadrer ses pouvoirs : ils ne doivent s’exercer que par nécessité et avec proportionnalité. Il importe d’associer à la prise de décision des représentants de la société civile, des associations et des organisations syndicales, ainsi que des personnes touchées par la maladie. Comme le rappelle un collectif travaillant sur les enjeux de santé publique et de droits humains, incluant certains membres de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament, l’histoire des trente dernières années, notamment la lutte contre le sida, montre à quel point cette inclusion est essentielle pour trouver des réponses efficaces à une épidémie. Elle compenserait les défauts de culture de santé publique qui se manifestent dans plusieurs signaux contradictoires ou dans certaines décisions prises.

Enfin, il importe de garantir les droits des citoyens. Nulle part et sous aucun prétexte les droits des citoyens, notamment à la sûreté, ne peuvent être bafoués au motif qu’il faudrait faire respecter le confinement. Celui-ci ne justifie ni les discriminations sociales et raciales, ni les violences institutionnelles.

J’aimerais conclure par quelques mots du sociologue Frédéric Lordon : « En réalité, une pandémie du format de celle d’aujourd’hui est le test fatal pour toute la logique du néolibéralisme. Elle met à l’arrêt ce que ce capitalisme demande de garder constamment en mouvement frénétique. Elle rappelle surtout cette évidence qu’une société étant une entité collective, elle ne fonctionne pas sans des constructions collectives – on appelle ça usuellement des services publics. » Les mesures que nous prenons aujourd’hui vont déterminer le monde d’après. Elles ne doivent pas seulement répondre à une crise conjoncturelle, mais prendre en compte ses causes structurelles, sociales, économiques et écologiques. Notre boussole dans la tourmente reste la perspective, l’exigence, de changer ce monde en perdition, de le faire radicalement bifurquer vers de nouveaux jours heureux et de retrouver le goût du bonheur.

M. Stéphane Peu. Je souhaite à mon tour, au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, avoir une pensée pour les familles endeuillées, pour les malades et pour tous ceux, nombreux, qui agissent et font front contre cette épidémie. J’ai une pensée pour les personnels de santé et je tiens à dire qu’en cette période difficile, l’un des atouts de notre pays réside notamment dans la force de ses services publics.

Depuis le début de cette crise, notre famille politique s’est félicitée de l’attitude du Gouvernement qui a agi en transparence, qui a informé régulièrement et qui a fait fonctionner la vie démocratique. Je pense notamment aux réunions que le Premier ministre a organisées avec les chefs des groupes parlementaires et des groupes politiques, de façon à dégager le consensus dont la nation a besoin pour faire face à la crise.

Je veux rappeler notre attachement à cette vie démocratique. Dans un pays comme la France, avec l’histoire et les institutions qui sont les nôtres, le peuple n’adhérera aux mesures édictées que si la vie démocratique se poursuit dans des conditions normales. Nous ne sommes pas un régime autoritaire. Ce n’est pas notre histoire. La vie démocratique est la condition sine qua non de l’adhésion populaire. C’est la condition de la réussite de toute action.

Nous aurions préféré que ce projet de loi soit présenté autrement, qu’il commence par le commencement, c’est-à-dire par l’établissement de l’état d’urgence sanitaire, puis qu’il expose les mesures économiques et, enfin, les dispositions électorales.

Nous sommes d’accord avec l’instauration d’un état d’urgence sanitaire – c’est l’objet du titre II –, mais nous pensons qu’il doit être beaucoup plus limité dans le temps. Nous proposerons qu’à l’instar de ce qui s’était fait en 1955, cette durée soit ramenée à douze jours. Nous proposons que, tous les douze jours, le Parlement soit appelé à voter sa reconduction. Dans l’intervalle, il importe que les mesures soient concertées avec les forces démocratiques, notamment celles représentées au Parlement.

Si nous souscrivons aux mesures inscrites ici, nous regrettons toutefois, et nous l’avons déjà dit à propos du projet de loi de finances rectificative, que vous ne décrétiez pas l’état d’urgence pour l’hôpital public : vous n’avez rien proposé hier, ou très peu, et vous ne proposez rien aujourd’hui. Le Président de la République a dit que nous agirions « quoi qu’il en coûte » mais, dans les hôpitaux publics, on fait avec ce qu’on a. Il va bien falloir que le Parlement prenne des mesures d’urgence pour le secteur hospitalier.

Nous avons également des réserves sur le titre III, qui tiennent à la nécessité de fabriquer un consensus par le débat démocratique. Il ne peut pas y avoir de décision discrétionnaire des employeurs sur des sujets tels que les conditions de travail, les congés, le travail dominical, etc. Tout cela doit relever de la concertation, comme l’a prôné hier le ministre de l’économie et des finances dans l’enceinte de l’Assemblée nationale. Or, le titre III prend, sur certains aspects, des orientations qui vont à l’encontre de l’adhésion de l’ensemble des salariés dans une collectivité de travail, comme il doit y avoir l’adhésion de l’ensemble du peuple à l’échelle de la nation. Nous défendrons donc des amendements pour limiter ce glissement.

Enfin, concernant le titre Ier relatif aux élections, la nécessaire continuité de la vie démocratique vaut non seulement pour le Parlement, mais également pour les collectivités locales. Qu’en serait-il aujourd’hui de la mise en œuvre de toutes les mesures d’urgence exceptionnelles que nous sommes en train de prendre s’il n’y avait les communes de France avec les maires, les agents municipaux et les services des collectivités territoriales ? Il faut à tout prix assurer cette continuité. Nous sommes favorables à ce que, partout où cela est possible, l’élection des maires et des adjoints issus du premier tour de l’élection municipale se tienne le plus rapidement possible. Ne prolongeons pas au-delà du 31 mars la fusion et le dépôt des listes pour le deuxième tour, sans quoi l’on remettrait en cause les résultats du premier tour avec tous les risques démocratiques que cela comporte ! Rien dans les mesures de confinement n’empêche de le faire !

Enfin, nous devons certes éviter les polémiques. Mais certains membres du Gouvernement ont tenu des propos absolument incompréhensibles – je pense notamment à Mme Pénicaud. Le Gouvernement ne peut pas délivrer des injonctions contradictoires sur ce qui est autorisé et sur ce qui ne l’est pas : on ne peut pas demander aux cols blancs de faire du télétravail en raison du confinement et, en même temps, ordonner aux ouvriers du bâtiment d’aller sur des chantiers totalement inutiles à la lutte contre le Covid-19 pour des raisons économiques. On ne peut pas tenir un discours à deux niveaux, selon que l’on soit puissant ou misérable, selon que l’on soit col blanc ou col bleu : c’est totalement irresponsable !

Mme Emmanuelle Ménard. Je me joins aux orateurs précédents pour souligner le travail exceptionnel du personnel soignant en ces temps de guerre sanitaire. J’adresse mes encouragements aux malades et m’associe à la peine des familles qui ont déjà eu des victimes à déplorer en leur sein.

Je proposerai un seul amendement à ce texte de loi, concernant le durcissement des décisions à mettre en œuvre pour protéger les Français contre l’épidémie du Covid-19. Le confinement partiel n’est pas suffisant, certains individus n’ayant visiblement pas pris la mesure des risques qu’entraîne cette épidémie pour la santé de nos concitoyens. Le Président de la République a demandé aux Français de rester chez eux et de n’en sortir que dans certaines circonstances, précisément listées. Or, muni d’une autorisation que vous remplissez vous-même, rien ne vous empêche de déambuler à l’extérieur dix fois par jour. Visiblement, certains manquent du bon sens et du sens civique qui devraient les retenir.

Depuis le début du confinement, 226 000 contrôles et 18 000 verbalisations ont été effectués en France, selon le ministère de l’intérieur. Les forces de police et de gendarmerie ne peuvent pas être partout : il faut impérativement leur simplifier la tâche. Je ne peux que me féliciter que soit désormais prévue dans le projet de loi la possibilité pour les polices municipales et les gardes champêtres de verbaliser les contrevenants, ayant moi-même, avec d’autres, alerté hier le ministère de l’intérieur sur cette lacune.

Je proposerai également un amendement autorisant le Gouvernement à instaurer un couvre-feu, même si le mot n’est pas plaisant, pour lequel seules les personnes nécessaires au maintien de la santé et de l’ordre publics pourront bénéficier d’une dérogation. Il y va de l’efficacité des mesures de confinement, seules dispositions, selon les autorités médicales, à même de contenir l’épidémie. Seules des décisions fortes pourront en venir à bout : il est de notre devoir de les prévoir explicitement et de les inscrire aujourd’hui dans la loi.

M. Philippe Gosselin. L’heure est grave : chacun pense aux familles endeuillées, aux malades. Il y aura réellement un avant et un après. Le temps des bilans viendra, qui permettra de constater certains dysfonctionnements et autres déclarations étonnantes, mais l’essentiel n’est pas là aujourd’hui.

Il faut saluer ceux qui se montrent solidaires et continuent à faire fonctionner notre pays : les professionnels de santé, les forces de l’ordre, les agents publics, tous les salariés présents pour permettre à chacun de se nourrir. Notre vie démocratique doit se poursuivre. Il est important de maintenir une continuité de nos services publics et de nos institutions : c’est ce qui nous réunit aujourd’hui avec le sens des responsabilités, de l’engagement collectif et individuel, au service de l’intérêt général et dans un esprit d’unité nationale.

C’est pourquoi nous sommes favorables aux mesures d’urgence sanitaire proposées. Elles s’imposent à nous dans le respect de l’État de droit. Il faut des contrôles, un encadrement des pouvoirs que nous donnons au Premier ministre car on ne peut délivrer une habilitation générale totalement personnelle. C’est aussi l’objet du titre IV, proposé et adopté à juste titre par le Sénat, qui donne des moyens de contrôle au Parlement.

Les mesures d’urgence économique s’imposent, elles aussi, mais ne doivent pas dénaturer outre mesure le droit commun – notamment le droit du travail. Il faut trouver un équilibre entre la nécessaire protection des travailleurs, qu’ils soient indépendants ou salariés, et les besoins des entreprises pour continuer à produire afin que nos concitoyens puissent, eux aussi, même confinés, continuer à vivre.

Enfin, sur le volet électoral, les élections des maires et des adjoints ne se tiendront pas à la fin de cette semaine alors même que notre texte n’est pas voté : cela signifie que les circulaires préfectorales envoyées ce matin sont illégales – mais nous n’en sommes plus à cela près, à ce stade. C’est sans doute sage compte tenu des conditions de confinement imposées. Mais il est contradictoire de demander aux salariés d’aller travailler pour la continuité du pays alors que l’on ne réunit pas sept ou onze conseillers municipaux dans les 20 000 communes concernées.

Les membres de notre groupe seront fidèles à l’unité nationale, nonobstant quelques éléments à éclaircir et la difficulté que pose la date du 31 mars pour le dépôt des candidatures au second tour des élections municipales.

Mme Clémentine Autain. La crise du Covid-19 nous place dans une situation tout à fait inédite. Je veux d’abord manifester toute notre sympathie aux familles durement touchées par le virus et tout notre soutien aux personnels qui sont « au front » dans des conditions si difficiles. La responsabilité des pouvoirs publics est de protéger la population, ce qui suppose d’anticiper à chaque étape et de déployer des mesures d’urgence. Il faut à la fois empêcher la propagation du virus, soigner les malades et satisfaire les besoins de tous. C’est là que le débat démocratique s’ouvre.

Pour commencer, il y a la question de la pénurie de masques et de gel hydroalcoolique dans les hôpitaux, qui rend leur situation tout à fait alarmante. Nous ne comprenons pas pourquoi la réserve de volontaires ne vient pas leur prêter main forte alors qu’ils sont déjà en état de saturation.

Une autre question est celle des besoins essentiels, dont nous n’avons sans doute pas la même appréciation. Mme la ministre du travail Muriel Pénicaud a encouragé les entreprises à travailler, ce qui serait à ses yeux une preuve de civisme. Selon nous, seul le travail indispensable à la vie doit être autorisé. Nous ne comprenons pas comment des entreprises du bâtiment et travaux publics (BTP) ou des sociétés comme Amazon peuvent continuer à mobiliser leurs employés alors qu’il n’est pas possible d’organiser des obsèques, même réduites au minimum. L’échelle de valeurs pose singulièrement problème.

L’humanité doit être plus que jamais aux commandes. Nous sommes sans doute en train de prendre la mesure des méfaits d’un système économique qui fait primer le profit. Aucun prétendu impératif de compétitivité ou de rentabilité ne doit prévaloir sur les objectifs sanitaires et sur la vie. Déterminer quelles activités sont nécessaires relève du débat démocratique et, dans chaque entreprise, de la décision de ceux qui produisent ces richesses, s’ils bénéficient de conditions décentes.

En toutes circonstances, nous estimons que le partage des richesses et l’entraide sont les valeurs cardinales pour dégager des réponses à la hauteur du défi qui nous est lancé. C’est pourquoi nous sommes très inquiets de la possibilité laissée, dans le texte, aux entreprises de décompter le temps de confinement sur les journées de réduction de temps de travail (RTT), de remettre en cause les vacances d’été ou encore d’en finir avec les 35 heures hebdomadaires pour une durée potentiellement indéterminée.

Enfin, ce projet de loi consacre un état d’urgence sanitaire. Nous comprenons les besoins de l’État d’agir vite et fort. Je rappelle toutefois que, même pendant la Première Guerre mondiale, la séparation des pouvoirs n’a pas été abrogée. Il faut maintenir les processus démocratiques. Nous avons déposé des amendements en ce sens.

Mme Delphine Batho. Lucidement et avec gravité, nous pouvons dire que nous n’en sommes qu’au début des pertes humaines, de la saturation des services de santé, de la mise à l’arrêt de l’économie. Le temps viendra d’analyser toutes les vulnérabilités que révèle cette épreuve et d’aller au bout des ruptures nécessaires avec un modèle de civilisation destructeur, qui s’effondre sous nos yeux.

Nous sommes en état d’urgence sanitaire et, pour les écologistes, il n’y a qu’un seul mot d’ordre : la santé d’abord ! Tout ce qui ne concerne pas la santé, les fonctions vitales du pays et la sécurité de la population est secondaire. Nous appelons à l’unité, au civisme, à l’entraide et au sens des responsabilités de tous.

L’unité s’exprime dans la Représentation nationale. Nous avons une responsabilité commune : montrer que, dans le panorama géopolitique de cette pandémie, la démocratie est une force, et ne pas encourager ceux qui voudraient faire croire que seuls les régimes autoritaires seraient capables de surmonter l’épreuve. C’est la raison pour laquelle je souhaite que les concours de tous les groupes soient pris en compte dans la discussion du texte.

De la même façon, il me paraît crucial que l’adhésion de l’ensemble des partenaires sociaux aux mesures de l’état d’urgence sanitaire soit recherchée. Dans les circonstances actuelles, tout le monde est capable de contribuer à l’effort, de prendre ses responsabilités. Profiter du moment pour, au détour de deux alinéas, en faire une victoire des uns sur les autres, ce n’est pas seulement une erreur : c’est une faute envers la concorde et l’esprit de mobilisation qui doivent être poursuivis, en particulier dans les entreprises. Je crois vraiment que, dans un tel instant, l’autorité de l’État a besoin de tous les concours. Chacun doit donc être respecté dans ce qu’il représente.

M. Charles de Courson. Face à l’extrême gravité de la situation sanitaire et économique, nous devons maintenir un climat d’union nationale grâce au dialogue entre toutes les composantes de l’arc démocratique, comme nous avons réussi à le faire hier, lors du vote à l’unanimité du projet de loi de finances rectificative.

J’approuve l’instauration de l’état d’urgence sanitaire, mais cela ne doit se faire que dans le respect des libertés fondamentales.

J’approuve les mesures économiques urgentes indispensables pour éviter l’effondrement de notre économie, mais cela ne doit se faire que dans le respect de la démocratie sociale et du dialogue entre employeurs et salariés.

Enfin, j’approuve le report du deuxième tour des élections municipales, mais cela ne doit se faire que dans le respect des principes démocratiques.

M. Bertrand Pancher. Nous avons tous à cœur d’œuvrer à l’unité du pays. Je suis heureux de constater que l’ensemble des groupes politiques de l’Assemblée nationale, à l’instar de l’ensemble des partis politiques français, sont tout à fait dans cet état d’esprit. Je formule le vœu que cela continue car nous sommes sous le regard du peuple face à la crise d’une ampleur inédite que nous traversons actuellement.

Nous n’avons évidemment aucune intention de déclencher la moindre polémique : à chaque jour suffit sa peine et, après le moment de la lutte collective contre la crise, viendra aussi celui de dresser des bilans.

Je veux saluer l’engagement de tous, notamment des services de santé actuellement mis à rude épreuve, et tout particulièrement les personnels qui travaillent sans aucune forme de protection. J’ai été en contact avec le syndicat des taxis pour les transports sanitaires ainsi qu’avec le président du syndicat des ambulanciers de mon département, et je rends un hommage spécifique à ces professionnels mobilisés en attendant notamment la mise à disposition de masques de protection.

Enfin, je souhaite que nous trouvions un consensus sur le texte transmis par le Sénat. Si la seule question qui se pose est de décaler d’une ou deux semaines le dépôt des candidatures pour le deuxième tour des élections municipales, personne ne comprendrait que nous ne parvenions pas à nous entendre. J’en appelle au bon sens de tous afin de préserver la très belle image d’unité nationale que nous avons réussi à faire valoir jusqu’à présent.

Mme Marie Guévenoux, rapporteure. Je remercie les orateurs pour leurs hommages aux disparus et leurs pensées pour nos compatriotes. Je les remercie aussi d’avoir salué tous ceux qui sont engagés pour lutter contre l’épidémie, tant les personnels soignants, les services de l’État et les forces de l’ordre, que tous ceux qui permettent que la vie continue au quotidien en assurant la fourniture de biens et services indispensables.

Je les remercie également d’avoir salué la solidarité qui règne dans le pays et l’engagement de nos élus dans l’exercice de la République au quotidien. Je me félicite de constater que chacun est extrêmement soucieux de la responsabilité qu’il nous revient d’assumer et d’œuvrer dans l’intérêt de la Nation, ce qui devrait nous permettre que ce débat se déroule dans les meilleures conditions.

La Commission en vient à l’examen des articles du projet de loi ordinaire.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous avons une centaine d’amendements à examiner. Quelques-uns ont été déclarés irrecevables, notamment ceux qui étendaient le champ des ordonnances : les pouvoirs du Parlement sont limités en la matière.

TITRE IER

DISPOSITIONS ÉLECTORALES

Article 1er : Report du second tour des élections municipales

La Commission est saisie de l’amendement CL42 de Mme Delphine Batho.

Mme Delphine Batho. Madame la présidente, je voudrais dire, avant toute chose, que je considère, comme nombre de mes collègues, que l’architecture du projet de loi, qui place en tête les questions électorales, ne convient pas et qu’il faudrait la faire évoluer en séance publique. Il y a, me semble-t-il, un consensus général sur ce point.

L’amendement vise à spécifier les circonstances qui entraînent le report du deuxième tour des élections municipales, ceci afin de ne pas créer un précédent.

Mme Marie Guévenoux, rapporteure. Je suis également favorable à une inversion de l’ordre d’examen des titres du projet de loi en séance publique.

Pour ce qui est de l’amendement, le texte précise déjà en d’autres points que les mesures qu’il contient découlent des circonstances exceptionnelles liées à l’épidémie. Je ne vois pas d’inconvénient à le mentionner également ici. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je constate que l’ensemble des représentants des groupes politiques sont favorables à une modification de l’ordre d’examen des différents titres du projet de loi. Je demanderai que les titres II et III soient examinés en priorité.

La Commission examine l’amendement CL58 de M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il me paraît impossible, légalement et constitutionnellement, que trois mois séparent le premier et le second tours des élections municipales. Dans les communes où l’élection n’a pas été conclue au premier tour, il conviendrait d’annuler ce premier tour ainsi que la tenue du second. Nous devrions organiser de nouvelles élections en recommençant toutes les opérations.

Plusieurs professeurs de droit ont souligné que, si les deux tours de l’élection ont habituellement lieu à une semaine d’intervalle et si le dépôt des candidatures est soumis à des délais stricts, c’est bien parce que l’élection doit former un continuum. Sur le plan politique, chacun comprendra que les circonstances très exceptionnelles dans lesquelles s’est déroulé le premier tour, qui a vu une forte augmentation du taux d’abstention, aient pu aboutir à ce que le résultat se trouve faussé dans les communes très disputées. Dès lors, il serait anormal de reprendre une campagne électorale en vue d’un second tour dans trois mois, voire plus. Les candidats et les listes pourront avoir changé entre-temps : certains de nos compatriotes ne seront plus présents sur les listes, que cela soit dû à l’épidémie ou à d’autres causes.

Il n’y a aucune raison de sanctuariser le premier tour en faisant comme si les choses se passaient normalement, car ce n’est pas le cas. C’est pourquoi je propose que, pour toutes les communes n’ayant pas eu de candidats élus le 15 mars 2020, les élections municipales soient intégralement reportées – premier et second tours – en mars 2021, en même temps que les élections régionales et départementales.

Nous pourrions tout aussi bien décider de les reporter en septembre ou en octobre 2020. Je propose mars 2021 parce que personne ne sait aujourd’hui à quel moment la situation va revenir à la normale, c’est-à-dire à quel moment la vie démocratique va reprendre son cours dans les 5 000 communes concernées, avec une campagne électorale menée dans les conditions habituelles. Cela conduira à reporter les élections sénatoriales mais, en tout état de cause, il est peu probable que des élections puissent se tenir en juin prochain.

Mme Marie Guévenoux, rapporteure. Dans l’avis rendu sur le présent projet de loi, le Conseil d’État a validé le principe de l’organisation en juin 2020 du second tour des élections municipales, l’essentiel étant que le délai entre les deux tours n’excède pas trois mois. Le débat n’est pas complètement tranché entre les constitutionnalistes, certains considérant possible la tenue d’un second tour en juin prochain, d’autres estimant le contraire.

Il est certes possible que l’épidémie nous contraigne à annuler le second tour prévu en juin prochain, si les conditions sanitaires rendent impossible la tenue des opérations électorales avant l’été. Aujourd’hui, sous réserve de l’avis du comité de scientifiques, il semble possible d’organiser un second tour au cours du printemps. C’est pourquoi nous devons pour le moment prévoir que ce sera le cas.

Avis défavorable.

M. Charles de Courson. Sur cette importante question, personne ne saurait prétendre détenir la vérité absolue : ce qui est prévu par le texte est-il constitutionnel ou pas ? Pour ma part, je ne voterai pas l’amendement. Cependant, je ferai une proposition. Il me semble qu’il serait sage que le Gouvernement s’engage à saisir le Conseil constitutionnel – soixante députés ou sénateurs pourraient également le faire – afin d’éviter qu’à la suite des opérations électorales qui pourraient se tenir, des contentieux ne surgissent massivement et ne conduisent des avocats à soulever des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Le Conseil constitutionnel pourrait rendre des décisions remettant en cause ce qui semblait acquis.

En tout état de cause, le projet de loi organique fera l’objet d’un contrôle de constitutionnalité : il paraîtrait logique que le Conseil constitutionnel soit également saisi du projet de loi ordinaire afin de consolider la solution – quelle qu’elle soit – qui sera adoptée par le Parlement.

M. Stanislas Guerini. Nous devons reconnaître avec humilité que nous sommes actuellement dans l’incapacité de savoir si les circonstances nous permettront d’organiser le second tour des élections municipales au mois de juin prochain. Le dispositif proposé, approuvé par le Conseil d’État, paraît le plus raisonnable. Sur la base d’un rapport rendu au mois de mai, les autorités sanitaires nous indiqueront s’il est possible de tenir le vote en juin. Si c’est le cas, il serait bon que nous le fassions car ce serait la meilleure façon de nous montrer respectueux du choix qu’ont fait les électeurs d’accomplir cet acte démocratique en se déplaçant pour aller voter au premier tour.

À l’inverse, s’il ressort du rapport qu’il n’est pas raisonnable d’organiser le second tour des élections municipales, il faudra le reporter. Je suis cependant défavorable à l’amendement, qui conduirait à programmer dès maintenant l’élection en 2021, sans attendre de savoir quelle sera la situation dans quelques semaines. En d’autres termes, il me paraît sain de prévoir une sorte de clause de revoyure qui nous permettrait de ne prendre une décision qu’au mois de mai, en nous appuyant sur la recommandation des autorités sanitaires.

M. Raphaël Schellenberger. Certes, la situation sanitaire a eu un effet sur le premier tour, notamment en raison des annonces du Premier ministre la veille au soir sur l’évolution du risque, qui ont certainement réduit la participation. Mais nos concitoyens se sont tout de même exprimés et nous devons respecter leur choix.

Cependant, il ne faut pas faire n’importe quoi. Le second tour doit absolument rester lié au premier, comme c’est le cas dans la solution d’équilibre imaginée par le Sénat. Nous ne devons pas non plus perdre de vue que les mesures à prendre face à la situation exceptionnelle à laquelle nous sommes confrontés sont, elles aussi, des mesures d’exception.

Notre groupe n’est pas favorable à ce que tous les effets du premier tour se trouvent annulés. D’ailleurs, il faudrait que ce soit le cas sur l’ensemble du territoire, pas seulement là où un second tour est nécessaire. En effet, le vice n’affecte pas le second tour, mais bien le premier. Il serait invraisemblable d’instaurer une inégalité consistant à supprimer ce premier tour à certains endroits et pas à d’autres.

Il est impossible de savoir à quel moment nous sortirons de la crise. Nous devons prendre des précautions quant à la durée maximale pendant laquelle cette situation est tenable. Cependant, nous devons aujourd’hui agir dans le cadre de l’urgence. La date de juin prochain se situe en dehors de ce cadre.

La proposition de M. de Courson est intéressante, car nous devons nous efforcer de sécuriser les actes juridiques pris par les collectivités en sortie de crise. En effet, la relance économique passera par la commande publique et par l’intervention des collectivités territoriales. Si les actes juridiques des collectivités territoriales sont viciés, nous allons ajouter à la crise sanitaire et économique une autre crise économique, liée à l’incapacité de la relance.

M. Philippe Gosselin. Comme beaucoup de collègues, je suis attaché à la continuité républicaine. J’entends bien les difficultés auxquelles nous faisons face. Mais il faut cesser les injonctions contradictoires : les conseils municipaux déjà désignés sont-ils élus ou pas ? Les élections sont-elles reportées ou pas ? Je crois que nous avons trouvé un point d’équilibre. Le mois de juin paraît suffisamment proche pour faire bloc avec le premier tour. Si on annulait ce premier tour, en quoi une redite serait-elle plus démocratique, alors que les conditions de sa tenue seront de toutes manières différentes de celles initialement prévues ?

Il me paraît essentiel d’assurer la continuité des grands principes et, aussi, de sécuriser la vie économique et les marchés publics. De nombreux services publics locaux sont dépendants des communes et des intercommunalités. Nous allons avoir beaucoup de mal à nous remettre rapidement de cette crise. Je crois qu’il ne faut pas ajouter de l’insécurité à l’insécurité.

Cela étant, puisque quelques doutes s’expriment ici et là sur la légalité du dispositif, qui risqueraient d’entacher de nombreuses décisions à venir, peut-être, même si cela devait retarder de quelques jours la promulgation des textes et leur effectivité, serait-il sage que le Conseil constitutionnel soit saisi. S’il ne l’est pas par soixante députés ou sénateurs, d’autres autorités ont la compétence pour le faire. Je crois qu’elles se grandiraient en le faisant, afin de sécuriser l’ensemble de nos interventions en cours.

M. Jean-Christophe Lagarde. S’il faut respecter le vote du premier tour et les gens qui sont allés voter, il faut aussi respecter ceux qui ont choisi de ne pas aller voter parce qu’ils éprouvaient des craintes pour leur santé. Ces gens-là se sont vus, par la force des circonstances, privés de leur capacité d’expression. Dans les communes où le résultat électoral du premier tour est clair et net, je ne vois pas de raison de rejouer la partie. Mais dans le cas de ballotages avec des triangulaires ou des quadrangulaires, considérer que le premier tour s’est déroulé dans des conditions normales constitue, à mon sens, une erreur démocratique.

Poursuivant le raisonnement de notre collègue Charles de Courson, je crains que nous ne soyons en train de faire quelque chose d’inconstitutionnel. Les juristes disent des choses contradictoires à ce sujet. Il me paraîtrait normal que le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale ou celui du Sénat, peut-être le Président de la République, s’engage à saisir le Conseil constitutionnel afin que nous nous assurions du caractère constitutionnel de nos actes. L’urgence à laquelle nous faisons face est la crise sanitaire et économique ; nous devons nous garder de créer un schisme démocratique entre communes voire, comme vient de le dire M. Gosselin, de rendre très fragiles à la fois des résultats électoraux et des décisions administratives à venir. Sur l’aspect électoral, nous disposons de davantage de temps, puisque le Gouvernement et le Sénat ont hier pris la décision – que nous devons nous-mêmes approuver aujourd’hui – de différer la prise de fonction des conseils municipaux nouvellement élus. Nous sommes obligés de faire des choses exceptionnelles ; je ne pense pas que nous devions aller jusqu’à prendre des décisions inconstitutionnelles.

M. Christophe Bouillon. L’urgence réside en effet dans la crise sanitaire. Mais nous devons éviter si possible une crise démocratique. Comme l’a rappelé le Conseil d’État, l’élection municipale est une élection à deux tours ; au moment où la décision a été prise d’organiser le premier tour, le second tour était censé se tenir. Il ne faut pas détacher ces deux tours qui participent d’une même élection. Je crois qu’il est important de respecter l’expression démocratique, c’est-à-dire le fait que des millions de Français se sont malgré tout déplacés pour voter.

J’entends l’argument de l’abstention mais, dans certaines communes, la participation a été plus forte que lors des élections de 2014. Il faut d’ailleurs toujours manier cet argument avec beaucoup de précaution : si l’on observe les dernières élections législatives, le niveau d’abstention a été assez élevé, mais personne n’a considéré qu’il fallait les reprendre. Le vote a eu lieu. Il faut pouvoir le respecter en prenant toutes les précautions de sécurité juridique qui s’imposent.

Je rejoins M. Philippe Gosselin sur le fait que nous avons besoin des maires, en ce moment, partout dans les 35 000 communes de France. Ils sont aussi « sur le pont ». J’en connais qui, accompagnés de leur police municipale, font observer sur le terrain les consignes de confinement. D’autres ont organisé dans l’urgence l’accueil des enfants des personnels hospitaliers, ont mis en place des plans de confinement locaux, offrent aux médecins qui les sollicitent les masques dont ils disposent dans leurs propres services municipaux. Nous avons besoin de la continuité républicaine et de ce maillage formidable des 500 000 élus qui répondent présent partout en France. Il ne faudrait pas qu’au-dessus d’eux plane une incertitude terrible. Imaginez la façon dont pourraient s’organiser les rapports entre ceux qui ont été élus dès le premier tour et ceux qui ne l’ont pas été !

Je voudrais enfin demander à Mme la rapporteure si elle peut confirmer – et sur quelle base – les propos qu’elle a tenus dans son intervention liminaire, lorsqu’elle a indiqué que le premier tour des élections municipales était considéré comme définitif dès lors qu’il avait permis à une liste de l’emporter.

M. Fabien Roussel. La démocratie doit également être mise au service du combat contre l’épidémie. Elle est impossible à confiner ; nous sommes en train de l’exercer en ce moment, au plan national, dans la diversité de nos opinions. Tous les groupes politiques y travaillent, et c’est important. De la même manière, cette démocratie doit pouvoir vivre localement. Nous sommes le seul pays d’Europe à compter 35 000 communes et 500 000 élus locaux. C’est une richesse et une force inestimable mises au service de la lutte contre l’épidémie, pour mettre en œuvre les décisions de l’État et les directives transmises par les préfets, mais aussi pour organiser les solidarités envers les plus fragiles, et peut-être demain pour organiser des zones d’accueil d’urgence pour les malades, comme le fait, par exemple, localement notre collègue Philippe Vigier dans sa circonscription. Nous allons devoir compter sur eux.

Ce que nous sommes en train de faire risque d’être totalement illisible. Trente mille communes ont élu leurs conseillers municipaux au premier tour ; il faut pouvoir s’appuyer sur ces 300 000 élus. Il faut pouvoir réunir au plus vite les exécutifs de ces communes afin qu’ils soient mis au service de la lutte contre l’épidémie.

M. Bruno Le Maire a dit hier que 40 % des salariés travaillaient dans des secteurs d’activité essentiels au pays – les soignants, mais aussi les personnels de sécurité, les ouvriers des activités industrielles indispensables, et bien d’autres, qu’ils soient en télétravail ou au front. Je mets les élus locaux au même niveau. Les 300 000 élus locaux représentent 0,7 % des 43 millions d’électeurs ; il faut qu’ils puissent se réunir, même à huis clos, pour délibérer, décider et lutter contre l’épidémie.

Mme Marie Guévenoux, rapporteure. Notre travail doit contribuer à renforcer la légitimité des futurs maires élus au premier tour de l’élection du 15 mars, et non à les fragiliser de quelque manière que ce soit.

Selon l’avis du Conseil d’État, si une liste a été élue le 15 mars, l’élection est acquise et le nouveau maire confirmé, y compris si l’on venait à statuer sur un report du second tour pour les communes qui ne sont pas dans ce cas. Cette position a été répétée par le ministre de l’intérieur lors des débats de cette nuit au Sénat. Le premier tour gagné est acquis ; si le second tour était reporté au-delà de cet été du fait de l’avis du comité scientifique, le premier tour indécis se verrait quant à lui certainement annulé.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CL59 de M. Jean-Christophe Lagarde. 

M. Jean-Christophe Lagarde. Un large consensus semble se dégager pour considérer que, si les élections ne peuvent avoir lieu d’ici à l’été, il faudra reprendre le premier tour. Je préférerais que ce soit inscrit dès maintenant dans la loi. Cela nous permettrait d’acter le fait que, si l’élection n’avait pas lieu avant l’été, les opérations électorales des 5 000 communes concernées seraient recommencées. De fait, cela va créer une disparité de situations. Mais c’est le contexte qui nous l’impose. À force de regarder les événements se dérouler, on finit par perdre le fil du raisonnement. Puisque nous sommes d’accord sur ce point aujourd’hui, actons-le !

Mme Marie Guévenoux, rapporteure. Comme je viens de l’expliquer, le premier tour est acquis s’il a été remporté le 15 mars. L’ensemble du scrutin se verra annulé dans les communes où aucun candidat n’a été élu dès le premier tour si le second ne peut avoir lieu au printemps. Si tel est l’esprit de votre amendement, il est satisfait puisqu’il correspond à l’avis du Conseil d’État et aux explications données par le ministre de l’intérieur au Sénat. En revanche, si vous demandez à ce que tout le premier tour soit annulé, nous ne sommes pas d’accord.

M. Jean-Christophe Lagarde. Ce n’est pas ce que je demande.

Mme Marie Guévenoux, rapporteure. Votre amendement est donc bien satisfait.

M. Philippe Gosselin. Pourriez-vous être plus précise ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. C’est la lecture de l’avis du Conseil d’État qui nous permet de l’affirmer. Il dit que le second tour ne peut être reporté que dans des circonstances exceptionnelles, qu’il décrit, et que cela doit se faire dans un délai raisonnable. Le report au mois de juin constitue un délai raisonnable ; à l’inverse, un délai plus long ne le serait pas.

Mme Coralie Dubost. Il serait préférable que nous ayons cette discussion en séance publique pour échanger avec le Gouvernement. 

Mme Delphine Batho. Le problème de cet amendement est celui de la date qu’il propose puisqu’il suggère de coupler les élections municipales avec d’autres, par exemple le scrutin régional.

M. Philippe Gosselin. Attention à l’effet domino ! Si les élections ne peuvent se dérouler en juin, on se retrouve dans le plus grand flou à l’automne. En septembre doivent avoir lieu des élections sénatoriales – maintenues à ce stade. Au printemps prochain doivent se tenir les élections départementales et régionales. Il serait temps de clarifier notre organisation et de cesser de tergiverser, en tenant compte non seulement de la réalité mais aussi des contraintes juridiques, à moins que l’on considère que la vie démocratique s’arrête dans ce pays !

M. Charles de Courson. Cet amendement soulève une vraie question. Le texte ne dit rien de la situation où les élections ne pourraient se tenir d’ici juin. Je ne partage pas la solution proposée par Jean-Christophe Lagarde mais elle a le mérite de combler un vide. Dans l’hypothèse où rien ne pourrait se faire avant le 30 juin, il faudrait refaire un premier et un second tours dans les communes de plus de mille habitants où les conseillers municipaux n’ont pas été élus. Quant aux communes de moins de mille habitants, il y a celles qui ont déjà élu une partie du conseil : dans ce cas, faut-il conserver les conseillers élus et ne procéder qu’à l’élection des sièges restant à pourvoir ? Le texte du Gouvernement n’en dit rien.

L’interprétation de l’avis du Conseil d’État par la rapporteure est qu’il faudrait refaire la totalité des élections. Mais ce n’est pas dit. Et jusqu’à preuve du contraire, ce n’est pas le Conseil d’État qui fait la loi.

M. Raphaël Schellenberger. Le Gouvernement et le Sénat considèrent ce projet de loi comme un texte censé répondre à une situation d’urgence, fondé sur l’hypothèse que la crise va durer un certain temps, mais qu’on pourrait en sortir avant l’été. Cette hypothèse vaut pour la situation sanitaire, économique et institutionnelle. Si elle se révélait inexacte, les conséquences s’en ressentiraient donc au plan sanitaire, économique et institutionnel. Mais nous aurons le temps d’en rediscuter. Aujourd’hui, l’urgence consiste à donner au Gouvernement les moyens d’agir.

Je suis un peu surpris, voire agacé, de l’insistance avec laquelle certains se focalisent sur les enjeux politiques et électoraux alors que personne n’envisage qu’on ne soit pas sortis de la crise en juin quand il s’agit des questions sanitaires ou économiques. Nous faisons tout pour conserver les résultats du premier tour. Si, en mai, on considère que ce n’est pas possible, nous aurons le temps d’en reparler. Je considère que la position adoptée par le Sénat offre un équilibre auquel il ne faut pas toucher.

M. Bertrand Pancher. En cas de crise, les grandes décisions – et les décisions électorales en sont – ne peuvent être prises que sur la base d’un consensus, dans le respect de la Constitution évidemment. Je ne crois donc pas que l’on puisse décider à quelques-uns de l’annulation ou non des élections, même si nous représentons ici nos groupes politiques.

À chaque jour suffit sa peine, et nous aurons tout loisir, le moment venu, de procéder à un nouveau tour de table des formations politiques, en tenant compte de la position du Conseil constitutionnel.

Mme Isabelle Florennes. Il est difficile de légiférer quand les temps sont incertains. Mais l’avis du Conseil d’État me semble assez facile à interpréter puisqu’il est indiqué que, si la situation nous contraint à prolonger les mesures d’urgence sanitaire et rend impossible l’organisation du second tour avant l’été, « il appartiendra aux pouvoirs publics de reprendre l’ensemble des opérations électorales dans les communes où les conseils municipaux sont incomplets ». C’est sage et de bon sens.

M. François Pupponi. L’enjeu de l’amendement de M. Jean-Christophe Lagarde porte sur ce qui doit ou non figurer dans la loi. Selon moi, les Français ont besoin de clarté, dans une situation par ailleurs extrêmement anxiogène. Il faut donc affirmer très officiellement qu’on tentera d’organiser le second tour avant l’été et que, si cela se révélait impossible, les élections seraient annulées. Cela sera clair pour tout le monde, pour les électeurs comme pour les candidats. Il sera bien temps, ensuite, de savoir si les élections sont reprogrammées en décembre 2020 ou en 2021. Je ne parle naturellement ici que des communes qui n’ont pas été au bout du processus électoral. Nous sommes tous d’accord sur le fond ; la question est de savoir si on l’inscrit dans la loi. J’y suis, pour ma part, favorable.

M. Jean-Christophe Lagarde. Ce n’est pas moi qui ait choisi que l’on commence nos débats par les questions électorales, et j’aimerais donc que l’on évite les procès d’intention.

Pour ce qui concerne mon amendement, il peut parfaitement être sous-amendé. Si j’ai suggéré de coupler les élections, ce n’est pas pour le plaisir de rallonger indéfiniment les délais mais parce que les scientifiques nous expliquent qu’après la vague du printemps, nous avons un risque de nouvel épisode à l’automne. On peut fort bien choisir une autre date, que le Premier ministre peut fixer par décret. Mais, puisque l’avis du Conseil d’État est clair, je ne vois pas pourquoi cela ne serait pas inscrit dans la loi afin d’éviter de nouveaux débats et de nouvelles interprétations au prochain trimestre si, malheureusement, la crise sanitaire ne nous permet toujours pas d’organiser ces élections. Je n’ai pas de problème à ce que l’amendement soit réécrit, mais tout le monde doit savoir où l’on va.

M. Philippe Gosselin. Il ne faudrait pas oublier les incidences sur les intercommunalités : une grande partie de la commande et des marchés publics, de l’organisation du quotidien – ordures ménagères, eau, assainissement, etc. – relève d’elles. Il faut penser à cet effet boule de neige !

Mme Coralie Dubost. Il y aura un avant et un après cette crise. Il est évident que tout ce qui avait été enclenché avant ne sera plus traité de la même façon à l’avenir, quelle que soit la date de sortie de la crise. Les choses ne s’envisageront plus de la même façon : ni sur le plan économique, ni sur le plan social, ni peut-être sur le plan démocratique.

L’avis du Conseil d’État est très clair et je conçois que certains aient envie d’inscrire ses conclusions juridiques dans la loi. Pour autant, il faut se garder de préempter l’avenir puisque nous sommes dans l’incertitude. Nous prenons aujourd’hui des décisions urgentes, pour un temps donné. Nous verrons, au terme de ce délai, ce qui peut être envisagé. Mais il serait prématuré de statuer aujourd’hui. Nous serions dans le domaine de la pure spéculation.

M. Boris Vallaud. S’il fallait écrire dans la loi toutes les interprétations du Conseil d’État, il nous faudrait sans doute mentionner celle qui consiste à sanctuariser le premier tour des élections pour les conseils intégralement élus. Ce n’est pas le choix qui a été fait. Le Sénat est parvenu à un point d’équilibre. Je suis d’avis que nous en restions là. Peut-être le Président de la République pourrait-il, de son côté, saisir lui-même le Conseil constitutionnel pour qu’il nous assure de la sécurité juridique des différents dispositifs ?

M. Stanislas Guerini. Les organisations politiques, les groupes parlementaires et les associations d’élus se sont réunis autour du Premier ministre ces derniers jours. Nous ne pourrons pas faire l’économie d’une telle concertation lorsque nous aurons l’avis des instances sanitaires sur la possibilité de tenir le second tour au mois de juin, car nous aurons besoin de consensus. À ce stade, il me semble prématuré d’inscrire dans la loi la tenue de nouvelles élections s’il n’était pas possible de le faire au printemps.

M. Bertrand Pancher. Notre collègue Stanislas Guerini a parfaitement raison : si nous souhaitons travailler dans un esprit d’unité nationale en cette période de crise, nous ne pouvons prendre de telles décisions sans recueillir l’approbation des grandes formations politiques. Les partis politiques et les groupes parlementaires ont été consultés par le Premier ministre. Nous avons trouvé un accord pour tenir compte du résultat du premier tour et pour organiser le second tour en fonction des possibilités matérielles. Nous devons naturellement respecter la Constitution, mais je me refuse à prendre des décisions sur la tenue éventuelle de nouvelles élections municipales avant qu’une telle consultation préalable ne se soit tenue.

Mme Marie Guévenoux, rapporteure. Je vous renvoie au point 7 de l’avis du Conseil d’État, que nous a lu Mme Isabelle Florennes. Les opinions sont partagées sur l’opportunité d’inscrire ces dispositions dans le texte. Il conviendra, en séance publique, de demander au Gouvernement son intention dans l’hypothèse où le comité de scientifiques estimerait nécessaire de reporter les élections au-delà de l’été.

Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, avis défavorable.

L’amendement est retiré.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je suspends la séance pour une heure. Elle reprendra à quinze heures sur les amendements CL85 et CL12.

La réunion se termine à 14 heures.


Information relative à la Commission

La Commission a désigné Mme Marie Guévenoux rapporteure, et M Raphaël Schellenberger rapporteur d’application, sur les projets de loi, ordinaire et organique, adoptés par le Sénat, d'urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (n° 2762 et 2763).


Membres présents ou excusés

 

Présents.

 

Groupe La République en Marche (LaREM)

Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des Lois

Mme Marie Guévenoux, rapporteure

M. Stanislas Guérini, représentant le président de groupe

Mme Coralie Dubost

Mme Fadila Khattabi

 

Groupe les Républicains (LR)

M. Philippe Gosselin, représentant le président de groupe

M. Raphaël Schellenberger

 

Groupe Mouvement Démocrate et apparentés (Modem)

Mme Isabelle Florennes, représentant le président de groupe

 

Groupe Socialistes et apparentés (Soc)

M. Christophe Bouillon, représentant le président de groupe

Mme Christine Pirès-Beaune

M. Boris Vallaud

 

Groupe UDI, Agir et Indépendants (UDI-A&I)

M. Jean-Christophe Lagarde, président de groupe

Mme Sophie Auconie

 

Groupe Libertés et Territoires (LT)

M. Bertrand Pancher, représentant le président de groupe

M. Charles de Courson

M. François Pupponi

 

Groupe la France insoumise (FI)

Mme Clémentine Autain, représentant le président de groupe

Mme Danièle Obono

 

Groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR)

M. Fabien Roussel, représentant le président de groupe

M. Pierre Dharréville

M. Stéphane Peu

 

Députés non-inscrits (NI)

Mme Delphine Batho

M. Ludovic Pajot

Mme Emmanuelle Ménard