Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 Audition, en visioconférence, de M. Stéphane Bredin, directeur de l’administration pénitentiaire 2

 Audition, en visioconférence, de M. Jimmy Delliste, directeur du centre pénitentiaire de Fresnes 12

 Audition, en visioconférence, de Mme Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté 16

 


Mercredi
15 avril 2020

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 53

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente
 

 


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La réunion débute à 9 heures 30.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission auditionne, en visioconférence, M. Stéphane Bredin, directeur de l’administration pénitentiaire.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous allons aborder, aujourd’hui et demain, les questions liées à la détention dans le contexte épidémiologique lié au Covid-19. Nous débutons cette séquence, pour disposer d’une vision panoramique de la situation dans l’hexagone mais aussi les outre-mer, avec le directeur de l’administration pénitentiaire pour aborder la régulation de la situation sanitaire dans les prisons tant du point de vue des détenus que des agents de l’administration pénitentiaire. Je vous remercie, Monsieur le directeur, d’être présent, c’est la deuxième fois que vous êtes auditionné par la commission des Lois, votre regard est important, nous savons que votre action est soutenue comme en témoignent les nombreuses notes qui ont été adressées à vos services.

M. Stéphane Bredin, directeur de l’administration pénitentiaire. Je remercie la commission des Lois de son intérêt pour le travail des agents du service public pénitentiaire, dont je salue le sens de l’intérêt général, la mobilisation et le courage.

Des mesures ont été prises très rapidement, depuis le 27 février 2020, puis adaptées à la situation sanitaire et aux consignes interministérielles. Une dizaine d’instructions ont été transmises aux établissements et aux services pénitentiaires, dont je réunis régulièrement les directeurs interrégionaux.

Dans les établissements, 1 893 agents ont signalé des symptômes évocateurs du Covid-19, et 204 ont été testés positifs ; chez les détenus, nous avons eu 1 330 signalements et 76 tests positifs. Le 14 avril, il restait 65 agents positifs et 465 présentaient des symptômes ; 34 détenus étaient positifs et 433 présentaient des symptômes. L’épidémie apparaît donc contenue. À ce jour, nous déplorons toutefois la mort d’un surveillant d’Orléans-Saran et d’un détenu de Fresnes. Les directions interrégionales les plus touchées sont celles de Strasbourg et de Paris.

Notre réponse, au stade 3 de l’épidémie, repose, au-delà des mesures d’hygiène générales, sur l’identification des personnes vulnérables, le diagnostic et le confinement de tous les cas suspectés ou avérés grâce aux unités sanitaires rattachées aux établissements, ainsi que la réduction des mouvements et des regroupements en détention. Les conséquences sur la vie des prisons sont majeures : les activités sportives, socio-culturelles et cultuelles collectives ont été suspendues. Les promenades se font en groupes réduits. Les gestes barrière sont régulièrement rappelés.

La prise en charge médicale a été définie et adaptée par des directives conjointes de la direction générale de la santé et de la direction de l’administration pénitentiaire. En cas de symptômes, une consultation est organisée. Les détenus malades sont vus quotidiennement par un soignant, évidemment équipé de masque de protection ; ils sont isolés, y compris lors des promenades, et portent un masque. Un regroupement de malades dans une même cellule peut être organisé. Les critères médicaux d’hospitalisation sont identiques à ceux appliqués à la population générale, avec le 15 comme régulateur.

Les hospitalisations qui ne relèvent pas de la réanimation sont réalisées en priorité dans les unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) ou à l’établissement public de santé national de Fresnes (EPSNF), ce qui réduit la mobilisation des forces de l’ordre pour assurer la surveillance des malades.

En complément de ces mesures sanitaires, la question des tests de dépistage a été précisée par une instruction conjointe des ministres de la Santé et de l’Intérieur du 9 avril 2020. Les personnels et les détenus sont considérés comme prioritaires pour les tests, dont les préfets sont chargés du déploiement, en lien avec les agences régionales de santé (ARS).

La protection des agents repose avant tout sur les mesures barrière. Nous fournissons 2 500 litres de gel hydroalcoolique par semaine aux établissements et cet approvisionnement est aujourd’hui sécurisé.

Dès le 20 mars, la garde des sceaux a annoncé l’achat de 200 000 masques et les établissements les ont reçus dès le 27 mars. Le 28 mars, nous étions certains de la sécurisation de la chaîne d’approvisionnement pour toute la durée restante de la crise sanitaire et le port a pu être prescrit pour les personnels en contact direct et prolongé de la population pénale, à charge pour chaque chef d’établissement d’adapter la liste précise des agents concernés en fonction des missions et de l’organisation du travail locale. 300 000 masques supplémentaires seront livrés aux directions interrégionales d’ici au 17 avril.

Huit ateliers pénitentiaires – et deux autres prochainement – travaillent à la fabrication de masques lavables et réutilisables : ils peuvent en fournir 6 000 par jour, dont un tiers serviront aux directions du ministère.

Nous sommes donc raisonnablement assurés d’être autosuffisants pour les prochaines semaines, et même jusqu’à juin.

S’agissant de la situation sécuritaire, plusieurs incidents ont eu lieu, surtout au cours du week-end des 21 et 22 mars, en lien avec la suspension des activités et des parloirs en raison du confinement de la population générale, en particulier une mutinerie à Uzerche, qui ont parfois rendu nécessaire l’intervention des équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS) ou de la police et de la gendarmerie, mais sont restés très circonscrits. Un effet d’émulation a pu jouer à partir des réseaux sociaux.

Les revendications portaient moins sur la suspension des parloirs, que sur les mesures d’accompagnement et les libérations anticipées. Ces incidents ont pu naître des atteintes portées à certains trafics par la suspension des parloirs. Plus de 140 sanctions disciplinaires ont été prononcées et des transferts ont eu lieu. L’autorité judiciaire a sévèrement condamné les auteurs de violences et de dégradations, notamment les tribunaux correctionnels de Paris, Béziers, Nice ou encore Le Mans.

Pour pallier les conséquences du confinement, l’administration a instauré la gratuité de la télévision et distribué des crédits téléphoniques de 20 euros pour le mois de mars et de 40 euros pour le mois d’avril – cela correspond à environ onze heures d’appel vers un poste fixe. La consommation de téléphonie légale a fortement augmenté dès les premiers jours de mise en place de ces dispositifs avec environ 215 % d’appels en plus. Le service de messagerie créé est passé de 14 messages le 1er avril, à 450 hier. Les secours financiers aux détenus sans ressources suffisantes ont beaucoup augmenté, de 20 à 40 euros, et 37 000 détenus ont pu en bénéficier, soit plus du double du nombre habituel.

Toutes ces mesures, reconduites tant que les parloirs sont suspendus, ont un coût important. L’ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale a ouvert des perspectives nouvelles, notamment en matière d’assignation à résidence en fin de peine pour les reliquats inférieurs à deux mois et de réduction de peines supplémentaires exceptionnelles pour les reliquats de deux à six mois en particulier : les greffes et les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) sont fortement mobilisés pour appliquer ces mesures, qui ont rencontré un écho favorable dans les juridictions.

Leurs conséquences, ainsi que celles du ralentissement de l’activité des juridictions et de la circulaire du 14 mars relative aux alternatives à la détention, sont fortes : les nouveaux écrous sont passés, en moyenne, de 215 à 80 par jour ; les sorties de 209 à 404. Au total, le nombre de détenus a diminué de 9 923 entre le 16 mars et le 13 avril, parmi lesquels 3 335 prévenus, pour atteindre 62 650. La densité carcérale est aujourd’hui de 103 % en moyenne, et de 116 % en maison d’arrêt.

Le rejet par le Conseil d’État, le 8 avril, des recours formés par le syndicat Force ouvrière comme par l’Observatoire international des prisons et d’autres associations est le signe que les mesures ne sont pas tout à fait inadéquates.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous vous remercions pour ce propos liminaire. Les questions sont nombreuses. Pour ma part je voudrais savoir si l’autosuffisance pour les masques, que vous venez d’évoquer, concerne uniquement les personnels ou également les détenus ?

M. Bruno Questel. Je tiens à remercier les personnels pénitentiaires pour leur engagement. Dans cette période de tensions, comment sont administrés les soins psychologiques et psychiatriques ? Des difficultés ont été observées dans le centre de détention de Val-de-Reuil, situé dans ma circonscription.

M. Xavier Breton. Comment se déroulent les fouilles ? Ont-elles été adaptées pour garantir le respect des détenus, mais également la sécurité des agents ?

Mme Laurence Vichnievsky. Je tiens également à remercier les personnels des établissements pénitentiaires. Pourriez-vous préciser quelle est l’évolution mensuelle du nombre des détenus ?

À la suite des mouvements de contestation, certains agents ont-ils invoqué leur droit de retrait ? Quelle a été la réponse de l’administration ?

M. Ugo Bernalicis. Je me joins également à ces remerciements adressés aux agents.

Avez-vous anticipé la sortie de la crise ? N’y a-t-il pas un risque d’effet d’accordéon, avec une nouvelle hausse du nombre de détenus ?

Pouvez-vous nous communiquer les statistiques des maisons d’arrêt, plus touchées par la surpopulation ?

Une remarque enfin : j’ai tenté, en tant que parlementaire, de visiter un établissement pénitentiaire, et j’ai été étonné que cela me soit refusé.

M. Stéphane Bredin. Les masques sont actuellement fournis à tous les personnels en contact direct et prolongé avec la population pénale. Depuis le 17 mars, les nouvelles contaminations ne peuvent être le fait que des personnels ou des intervenants extérieurs, ainsi que des détenus auxiliaires, qui participent à des activités. Notre priorité est donc d’élargir le port des masques à l’ensemble du personnel, ainsi qu’aux intervenants et aux détenus qui doivent circuler pour exercer leurs fonctions. Cela représente un quasi-doublement du nombre de masques nécessaires, qui représentent d’ores et déjà un besoin journalier de 18 000 masques, mais, grâce à la régie industrielle des établissements pénitentiaires, nous disposerons bientôt de masques très efficaces et lavables dix à vingt fois et garantissant un niveau de protection très élevé.

S’agissant des soins psychiatriques, les activités de prise en charge collective sont suspendues, mais nous voulons éviter toute rupture de soins. Le repérage et le suivi du risque suicidaire sont maintenus, en particulier pour les nouveaux arrivants, qui sont d’autant plus soumis au choc de l’incarcération dans ces circonstances particulières, tout comme les consultations urgentes, pour les personnes vulnérables ou souffrant de pathologies lourdes notamment. Enfin, les traitements se poursuivent, par téléconsultation au besoin. Les hospitalisations en unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) demeurent possibles.

Même si le confinement a un impact direct sur les possibilités de projection d’objets ou de substances depuis l’extérieur vers les établissements et sur ce qui peut circuler en détention, nous maintenons un niveau de vigilance élevé. Une préférence est donnée à la détection électronique, qui évite des contacts rapprochés avec les détenus. Les fouilles par palpation quand elles sont nécessaires doivent être réalisées de dos avec des gants à usage unique, sous la surveillance d’un collègue à distance suffisante.

En dehors d’Uzerche le 22 mars et de Remire-Montjoly le 1er avril, les incidents ont été limités à des dégradations de cours de promenade.

Le droit de retrait n’a pas été exercé, les agents n’en bénéficiant pas d’ailleurs, étant soumis à un régime spécial, et aucune procédure disciplinaire n’a été engagée. Le personnel pénitentiaire, qui est soumis à de fortes sujétions supplémentaires depuis le début de la crise sanitaire, a d’ailleurs un comportement très responsable.

En raison du nécessaire travail de retraitement, nos statistiques sont habituellement publiées chaque trimestre. Les données publiées désormais chaque semaine sont moins détaillées, mais les ordres de grandeur semblent corrects.

J’ai déjà évoqué les maisons d’arrêt. La surpopulation pénale diminue partout, mais elle y était beaucoup plus élevée. Bien que l’écart reste important entre les établissements pour peines et les maisons d’arrêt, une réduction de près de 20 % a eu lieu dans ces dernières semaines.

Il ne faut pas interpréter ce qui s’est passé à Lille Sequedin comme un refus de principe d’accorder à un parlementaire l’accès à un établissement pénitentiaire. Nous n’avons sans doute pas été suffisamment diligents dans le traitement de votre réponse à la proposition de visite aménagée qui vous a été faite. Nous essayons de concilier ce droit de visite et l’évolution des règles d’accès liées à des raisons purement sanitaires. Seuls entrent encore dans les établissements quelques intervenants et les personnels pénitentiaires, sous réserve du droit d’accès des parlementaires et des avocats, dans des conditions très aménagées.

Nos capacités d’action et de réflexion ont d’abord été concentrées sur la gestion de la crise, mais nous sommes aujourd’hui dans une logique d’anticipation, notamment de l’impact d’un déconfinement de la population générale. Il s’agit d’éviter qu’un relâchement trop rapide des mesures de sécurité sanitaire cause un rebond épidémique. Le risque pour les détenus est essentiellement lié aux contacts avec l’extérieur, lesquels impliquent un nombre très réduit de personnes.

Mme Nicole Dubré-Chirat. Je tiens également à remercier les personnels pénitentiaires. La diminution du trafic de drogue à l’intérieur des prisons a conduit à des situations de manque et à une agitation ponctuelle, qui ont été très bien prises en charge par les unités de soin. Afin de limiter la pression dans la durée, pourrait-on prévoir une visite hebdomadaire au parloir par détenu ?

Dix-sept libérations anticipées ont été décidées dans la maison d’arrêt de ma circonscription, mais le taux d’occupation y est encore de 160 % et il semble y avoir certaines difficultés quant aux disponibilités du SPIP pour répondre aux besoins liés aux sorties. Par ailleurs, les avocats n’ont toujours pas pu pénétrer dans l’établissement.

M. Éric Diard. Existait-il des stocks de masques dans les prisons avant l’épidémie ? Les tests de dépistage ont-ils commencé ?

Le service central du renseignement territorial et la préfecture de police m’ont confirmé que 130 détenus de droit commun signalés pour radicalisation vont être libérés parce qu’ils sont en fin de peine ou bénéficient d’une libération anticipée : combien de personnes seront libérées dans les semaines prochaines ou l’ont déjà été ?

M. Erwan Balanant. En ce qui concerne la réduction du taux d’occupation, une attention est-elle portée aux personnes les plus fragiles, notamment les plus âgées ? Par ailleurs, le climat ne devant pas être simple dans ce contexte particulier, essayez-vous de trouver des activités nouvelles pour les détenus ?

Mme Cécile Untermaier. Je remercie les surveillants pénitentiaires et leur hiérarchie de leur travail. La « quinzaine » prévue dans beaucoup d’établissements pour les entrants pourrait-elle s’appliquer aussi aux sortants ? Les prévenus ayant le sentiment d’être en danger face à cette pandémie, cherchez-vous à atteindre un taux d’occupation de 100 % dans les maisons d’arrêt ? Le dispositif créé par ordonnance et l’aménagement exceptionnel des peines permettront-ils d’y arriver ?

M. Stéphane Bredin. La réouverture progressive des parloirs fait partie de la réflexion et sera liée au déconfinement de la population générale, dont j’imagine qu’il ne sera pas brutal. Nous travaillons sur les conditions sanitaires : on pourrait réduire le nombre de visites, ou de visiteurs, par semaine ou exclure des profils fragiles.

Dans les établissements non touchés, il doit y avoir un dépistage systématique de tout agent présentant des symptômes puis, en cas de résultat positif, du personnel, ainsi que des détenus symptomatiques et, le cas échéant, des détenus en contact avec la personne positive. Nous avons recherché une étanchéité entre les sous-groupes de population pénale dans les établissements pour limiter la propagation du virus en détention.

L’absentéisme, toutes causes confondues, a diminué dans les SPIP. Il y a une forte mobilisation du personnel. Par ailleurs, nous avons permis un recours massif au télétravail : les conditions ont été considérablement assouplies par l’ordonnance du 25 mars et la circulaire d’application, notamment pour le recueil des preuves de logement ou d’hébergement nécessaires pour le prononcé des assignations à résidence en fin de peine.

Nous avions plus de 450 000 masques de type FFP2 ; ils ont été réquisitionnés dès le début de la crise pour les personnels soignants qui en avaient le plus besoin. Plusieurs ARS nous ont alors rétrocédé des masques chirurgicaux qui ont permis de compléter le stock, beaucoup plus faible, environ dix fois moindre, de masques de ce type dont nous disposions. Par ailleurs, nous avons mobilisé des masques dont le ministère de la Justice disposait, nous en avons acquis un certain nombre par d’autres moyens et nous avons développé des capacités d’autoproduction, ce qui nous a permis de généraliser, le 28 mars, le port du masque pour tous les agents en contact direct et prolongé avec la population pénitentiaire – c’était le cas dès le début pour ceux en contact avec des détenus malades.

Des tests ont déjà été pratiqués dans les établissements les plus touchés, notamment dans le Grand Est et en Île-de-France. Nous allons vers une politique systématique, dans les conditions que j’ai indiquées.

Les prévenus ou détenus pour des faits de terrorisme sont exclus du bénéfice des mesures exceptionnelles adoptées dans le cadre de l’ordonnance du 25 mars. Nous avons réalisé un travail d’identification des prévenus ou détenus de droit commun suivis au titre de la radicalisation qui sont prochainement libérables et font partie du vivier naturel de ces mesures. Ce sont les 130 personnes libérables dans moins de trois mois selon les fins de peine classiques et qui pourraient bénéficier des mesures exceptionnelles de l’ordonnance du 25 mars. Ces 130 personnes sont inscrites au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Un avis du SPIP et du chef d’établissement est prévu. Au 14 avril, onze de ces détenus, dont certains ont été retirés du FSPRT au moment de leur sortie, ont été libérés : deux ont fait l’objet d’une assignation à domicile et neuf d’une réduction de peine supplémentaire. Tous avaient la perspective d’une sortie très prochaine, parfois dans quelques jours.

Les critères pour bénéficier de ces mesures exceptionnelles ont été définis objectivement ; les greffes pénitentiaires et les SPIP n’ont donc pas à en ajouter. Sont proposées aux parquets, pour les assignations à domicile, et aux juges de l’application des peines, pour les réductions de peine supplémentaires, toutes les personnes éligibles compte tenu des cas d’exclusion.

Comme l’a rappelé la Garde des Sceaux, nous n’avons pas d’objectif quantitatif en ce qui concerne le taux d’occupation : les décisions relèvent de l’autorité judiciaire. Nous en sommes à presque 10 000 détenus en moins, et le taux d’occupation passera probablement à 100 % la semaine prochaine.

M. Dimitri Houbron. La maison d’arrêt de ma circonscription manque de matériel, notamment de masques : je suis heureux que la production réalisée en interne puisse aider à devenir quasiment autosuffisant. À quelle date les personnels en bénéficieront-ils ?

Par ailleurs, certains établissements ont connu des incidents, parfois vifs, alors que d’autres réputés compliqués ont été épargnés. Une des raisons pourrait-elle être la suspension des parloirs ?

M. Jean-Louis Masson. La sortie, en moins d’un mois, de 8 000 détenus accrédite notre proposition de créer 15 000 places de prison afin que les peines prononcées soient effectives. Parmi ces 8 000 détenus, 130 sont radicalisés, dont deux sont des complices de Chérif Chekatt, auteur de l’attentat de Strasbourg. Quelles sont les mesures d’accompagnement et de surveillance de ces détenus, aujourd’hui en liberté et susceptibles de commettre des attentats ?

M. Stéphane Peu. Quels sont les taux d’occupation respectifs des maisons d’arrêt et des autres établissements pénitentiaires ?

Le Conseil d’État a rejeté le recours déposé par des avocats pour faciliter leur accès aux établissements. Comment apaiser les inquiétudes des avocats et leur permettre d’assurer la défense de leurs clients ?

Mme Marie-France Lorho. Un grand coup de chapeau au personnel pénitentiaire ! Les 2 500 litres de gel hydroalcoolique sont-ils suffisants ? L’arrêt de travail des personnels atteints par le Covid-19 a-t-il créé des difficultés dans certains centres pénitentiaires ?

M. Stéphane Bredin. On ne peut pas dire que les masques manquent, dès lors que nous sommes en mesure d’appliquer la doctrine que nous nous sommes fixée et qui consiste à en doter les personnels en contact direct et prolongé avec la population pénale. Néanmoins, leur nombre est insuffisant pour que nous puissions en doter l’ensemble des personnels et les détenus qui circulent dans les établissements. Mais nous avons poursuivi nos acquisitions et développé très rapidement nos capacités de production en détention de sorte qu’il devrait être possible de les équiper tous à très court terme.

La décision de suspendre les parloirs est sans doute un élément déterminant des troubles qui ont eu lieu dans certains établissements et qui se sont concentrés dans les cinq jours qui ont suivi cette décision. Que certains établissements aient été plus touchés que d’autres s’explique par l’impact variable de l’incertitude quant aux mesures exceptionnelles de libération anticipée, au délai nécessaire pour appliquer les mesures de maintien des liens familiaux, notamment pour préparer techniquement les mesures que nous avons prises pour les contacts par téléphone, et à cela s’ajoute la réduction du trafic en détention.

Un hebdomadaire a annoncé que 130 détenus radicalisés avaient été libérés. C’est faux ! Ce nombre est celui des détenus suivis au titre de la radicalisation par le service national de renseignement pénitentiaire qui sont éligibles aux remises de peine supplémentaires exceptionnelles ou aux assignations à domicile. Seulement 11 d’entre eux sont sortis, pour l’essentiel sur décision d’un juge d’application des peines, avec des réductions de peine de quelques jours. Les mesures concernant les prévenus impliqués dans l’attentat de Strasbourg n’ont rien à voir avec l’ordonnance du 25 mars, qui ne concerne que les condamnés. Ces prévenus ont été remis en liberté, dans le cadre de l’instruction, sur décision de l’autorité judiciaire et, pour l’un au moins, pour des raisons médicales sans lien avec l’actuelle épidémie.

Hier après-midi, nous dénombrions 9 923 détenus de moins que le 16 mars. Le taux d’occupation est de 103 % dans l’ensemble du parc pénitentiaire et de 116 % – contre 140 % au début de la crise – dans les maisons d’arrêt. L’impact sur la surpopulation dans nos maisons d’arrêt est donc majeur.

J’ai indiqué dans une note les conditions dans lesquelles les avocats continuent d’avoir accès à leurs clients en détention, soit par téléphone, soit grâce au maintien, dans des conditions sanitaires drastiques, des « parloirs avocats ». La question soulevée devant le Conseil d’État concernait davantage les conditions d’exercice des droits de la défense devant les juridictions.

Enfin, aucune pénurie de gel n’a été signalée, ni par les établissements pénitentiaires, ni par les SPIP. Le taux d’absentéisme, qui oscille entre 20 % et 28 % selon les jours – contre 13 % habituellement –, n’a pas fortement affecté le fonctionnement des établissements. Nous avons réorienté une partie des agents libérés d’autres tâches, notamment des extractions judiciaires, vers la gestion de la détention.

Mme Alexandra Louis. Je salue le travail de l’administration pénitentiaire, notamment du personnel soignant, en particulier aux Baumettes. Quelles mesures ont été prises en matière de suivi psychologique et éducatif des détenus mineurs ?

M. Éric Ciotti. La diminution du nombre des détenus va-t-elle se poursuivre jusqu’au 11 mai ? Au rythme d’environ 300 par jour, dans un mois, les établissements pénitentiaires compteront 20 000 détenus de moins. Je m’inquiète des lourdes conséquences qu’aura cette situation sur la délinquance et l’insécurité, dont on observait jadis l’augmentation après chaque amnistie du 14 juillet.

La Garde des Sceaux a évoqué 25 sorties de détenus de droit commun signalés pour radicalisation islamiste ; vous avez indiqué qu’ils étaient neuf et la presse en a évoqué 130. Ce flou me préoccupe, car la sortie de détenus radicalisés expose notre pays à un risque majeur.

Enfin, je veux dire ma reconnaissance au personnel de l’administration pénitentiaire qui fait face à une situation très difficile.

Mme Caroline Abadie. L’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP) fonctionne-t-elle ? Comment rattrapera-t-on le retard pris, qui risque de compliquer la gestion de vos ressources humaines ?

Mme Emmanuelle Ménard. Au centre pénitentiaire du Gasquinoy, les tensions restent vives, à cause notamment de la suspension des parloirs et également de la diminution des trafics que cela implique. Des mesures sont-elles envisagées pour aider le personnel pénitentiaire, dont je salue le travail ?

Les extractions judiciaires posent un problème particulier, certains juges refusant de recourir à la visioconférence, notamment à Perpignan.

Enfin, l’avis émis par le chef d’établissement avant l’éventuelle libération d’un détenu de droit commun radicalisé est-il consultatif ou obligatoire ? La libération d’autres détenus de ce type est-elle prévue dans les jours qui viennent ?

M. Stéphane Bredin. Je rends hommage aux personnels de l’Éducation nationale, grâce à qui la continuité pédagogique a été assurée dans 84 % des établissements et dans 96 % de ceux qui accueillent des mineurs, soit par la transmission aux détenus des documents pédagogiques, soit par le maintien des permanences assurées par les enseignants.

Le nombre des mineurs écroués et hébergés, qui était d’environ 855 mi-mars, a diminué d’environ 200 depuis le début de la crise.

L’ENAP a fermé ses portes lorsque le confinement a été décidé. Les promotions de surveillants qui avaient commencé leur stage en établissement ont été maintenues et nous réfléchissons à la forme – réouverture de l’école ou enseignement à distance – de la reprise de la formation théorique initiale dans les semaines qui viennent. Nous devons être vigilants quant aux risques éventuels de fracture numérique dans l’accès à cette formation. Nous nous fixons pour objectif le maintien aux dates prévues de l’arrivée des élèves dans les établissements pénitentiaires, dont dépend la mise en œuvre des mutations.

En ce qui concerne les projections de sorties d’ici à la fin de l’état d’urgence sanitaire, à l’application de l’ordonnance du 14 mars, qui promeut les alternatives à la détention s’ajoute le ralentissement de l’activité juridictionnelle, qui limite le nombre des entrées. Ce phénomène de diminution des entrées en détention a vocation à se poursuivre pendant toute la durée de la crise sanitaire qui ralentit l’activité juridictionnelle. La diminution du nombre des détenus n’est donc pas due uniquement à la sortie de prison de délinquants. Les sorties correspondent, d’une part, aux fins de peine – les détenus auraient été libérés de toute façon – d’autre part, pour environ 50 %, aux dispositifs exceptionnels de l’ordonnance du 25 mars, qui n’aura d’effet que pendant l’état d’urgence sanitaire. Confiée aux autorités judiciaires, l’application de ces mesures n’est pas systématique.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous auditionnerons demain la directrice des affaires criminelles et des grâces, qui précisera le champ de l’ordonnance.

M. Stéphane Bredin. Les 130 détenus de droit commun radicalisés dont il a été question, dont 90 % sont encore en détention, forment le vivier des « moins de trois mois » qui seraient éligibles au dispositif de l’ordonnance. Au 14 avril, deux ont bénéficié d’une assignation à domicile et neuf d’une réduction de peine supplémentaire exceptionnelle.

Le personnel de surveillance entrera naturellement dans le champ des mesures transversales de soutien. Une réflexion interministérielle est en cours sur ce sujet. Hormis le cas exceptionnel et circonscrit de Perpignan, les extractions sont nettement moins nombreuses qu’avant la crise car la visioconférence est privilégiée. Enfin, les avis du SPIP et du chef d’établissement concernant les détenus suivis pour radicalisation ne sont pas contraignants.

M. Sacha Houlié. Je m’associe à mes collègues pour féliciter les agents pénitentiaires et les enseignants qui interviennent dans les prisons.

Les mesures de libération anticipée sont peu appliquées – un tiers environ des détenus éligibles, 30 sur 106, à Poitiers-Vivonne est concerné. Comment les encourager et les amplifier, vu les risques que présente par ailleurs le gel de 200 détentions provisoires ?

L’administration pénitentiaire envisage-t-elle de demander, comme la police et la gendarmerie, que le Covid-19 soit reconnu maladie professionnelle ?

M. Raphaël Schellenberger. Quels trafics persistent depuis la fermeture des parloirs et quelles sont leurs filières d’approvisionnement ? Quelles conclusions tirerez-vous de leur évolution, notamment au moment de la reprise des parloirs ?

Quel est l’état des relations entre les centres de détention et les hôpitaux et autres centres psychiatriques ? Qu’est-il fait pour maintenir le niveau ordinaire de suivi des détenus ?

Enfin, la maison centrale d’Ensisheim a été fortement touchée par le virus : confirmez-vous que les moyens de protection nécessaires ont été octroyés aux agents ?

M. Stéphane Mazars. Qu’en est-il des détenus relevant de la semi-liberté ?

Les nombreux détenus bénéficiant d’un suivi psychiatrique font-ils l’objet d’une surveillance particulière ? N’arrive-t-il pas que leur état de santé soit incompatible avec leur maintien en détention ?

Enfin, des lieux temporaires de rencontre entre les détenus et leurs avocats ont-ils été aménagés lorsque les parloirs ne permettent pas de respecter les règles de sécurité sanitaire ?

M. Arnaud Viala. Quels sont les effets de la crise sur les transfèrements de détenus pour raison médicale ?

M. Fabien Matras. Un plan de reprise d’activité au cas par cas est-il envisagé pour aider les détenus à faire face aux difficultés rencontrées aujourd’hui ?

M. Stéphane Bredin. Toutes les activités – éducation, culture, sport, enseignement, avec néanmoins un impératif de continuité pédagogique, travail et formation – sont suspendues pendant la période de confinement, car l’entrée dans les établissements des intervenants non indispensables est interdite. La seule dérogation autorisée moyennant des précautions draconiennes et des mesures d’adaptation très lourdes a concerné l’ouverture d’une dizaine d’ateliers de fabrication de masques. De surcroît, le nombre d’agents actuellement disponibles ne suffirait pas à rouvrir les autres ateliers.

Les transfèrements médicaux ordinaires se poursuivent selon les règles en vigueur de manière générale, notamment le report des opérations non urgentes ; quant aux hospitalisations liées au Covid-19, elles s’accompagnent d’une protection renforcée des agents pénitentiaires et des détenus. Les gardes statiques ne posent pas de difficulté, même si les forces de police et de gendarmerie sont évidemment très sollicitées par ailleurs. Enfin, la situation des établissements touchés par l’épidémie n’a pas encore nécessité le transfèrement de détenus vers des établissements plus épargnés.

Lorsque les détenus rencontrent leurs avocats, toutes les précautions sanitaires sont prises, au besoin en utilisant des salles mieux adaptées dont ce n’est pas l’usage habituel.

La suspension de peine pour raisons médicales a été simplifiée : l’avis simple du médecin de l’unité sanitaire de l’établissement de rattachement suffit. Il a été demandé aux juridictions de transformer autant que possible les peines de semi-liberté en libérations conditionnelles ou en suspensions de peine, et les juges d’application des peines ont souvent adapté les conditions de sortie.

La collaboration des établissements pénitentiaires avec les unités sanitaires donne pleinement satisfaction, y compris en matière de suivi psychologique.

Les établissements de Colmar, Mulhouse et Ensisheim, touchés plus tôt que les autres par l’épidémie, furent les premiers à prendre des mesures de protection drastiques – qui ont ensuite été généralisées. La dotation en masques y a été augmentée avant même l’imposition systématique du port du masque en milieu carcéral à compter du 28 mars. De ce fait, le nombre de cas symptomatiques a fortement reflué et les quatorzaines ont presque toutes été levées.

Les moyens consacrés à la lutte contre les trafics sont connus et ont été renforcés ces dernières années : fouilles à l’entrée et aux parloirs, brouillage des téléphones mais aussi sécurisation périmétrique – actuellement suspendue – des établissements par des équipes de sécurité pour éviter les projections depuis l’extérieur vers l’intérieur des établissements, qui sont aujourd’hui en recrudescence.

Le nombre des prévenus en détention a fortement baissé. Les décisions de prolonger des détentions provisoires ne se traduisent donc pas par le gel de ces détentions dans les établissements pénitentiaires : un tiers (3 335 exactement) des presque 10 000 détenus libérés étaient des prévenus non condamnés. Nous nous employons à déterminer pourquoi l’application des mesures de libération anticipée est en effet inégale selon les établissements – peut-être par manque de moyens humains, par réticence des juridictions ou parce que le nombre de détenus éligibles est plus faible dans certains établissements.

Enfin, la reconnaissance du Covid-19 comme maladie professionnelle pour les forces de sécurité intérieure relève d’une démarche interministérielle et non de la seule compétence de la direction de l’administration pénitentiaire.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous vous remercions pour ce panorama global et renouvelons notre hommage appuyé aux personnels de l’administration pénitentiaire.

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La Commission auditionne, en visioconférence, M. Jimmy Delliste, directeur du centre pénitentiaire de Fresnes.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous connaissons bien le centre pénitentiaire de Fresnes où la commission des Lois s’était réunie le 20 novembre 2018. Son directeur, M. Jimmy Delliste, va nous expliquer concrètement comment il gère la crise du Covid-19 dans cet établissement vétuste et surpeuplé, qui a été marqué par la mort d’un détenu et la contamination de plusieurs surveillants.

M. Jimmy Delliste, directeur du centre pénitentiaire de Fresnes. Dès le mois de février, nous avions envisagé l’éventualité d’une pandémie, travaillé à un plan de continuation de l’activité et examiné les modalités d’une éventuelle mise en quatorzaine de l’ensemble de nos arrivants. Le 6 février, une personne âgée écrouée présentait des problèmes de santé. Après une courte hospitalisation à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes, elle a paru rétablie. Au même moment, une infirmière intervenant à Fresnes a été testée positive au Covid-19, ce qui nous a contraints à confiner dans un secteur dédié l’ensemble des sujets qui avaient été à son contact, soit 93 personnes détenues, dont aucune n’a finalement été positif au virus. Nous avons ainsi consacré un secteur de notre établissement à ce confinement. Dès cette époque, tous les soignants intervenant et les agents travaillant à proximité de l’unité sanitaire au sein de notre établissement ont été équipés de masques. Après une nouvelle hospitalisation, le détenu âgé est finalement décédé du Covid-19 le 17 février.

Dans ce contexte, nous avons pris rapidement des mesures de précaution qui ont anticipé celles de l’administration centrale. Nous avons suspendu l’ensemble des activités et réduit l’usage du parloir à une personne par visite et par détenu ; nous avons aussi suggéré aux personnes âgées ou vulnérables de décaler leurs parloirs. Dans l’ensemble, la population pénale a bien accueilli ces mesures, car elle était consciente des risques. Nous sommes parvenus à éviter que la maladie se propage rapidement dans le centre pénitentiaire, ce qui était à craindre.

Depuis le décès que je viens d’évoquer, sept détenus ont été touchés par la maladie et ont guéri sans développer de forme grave. Un détenu est encore malade et un autre attend le résultat de ses tests. L’épidémie est donc plutôt contenue.

Il faut saluer l’engagement de l’autorité judiciaire, qui a organisé l’aménagement de peine. Au grand quartier de Fresnes, la population est passée de 1 890 à 1 569 détenus, ce qui a permis de supprimer les cellules triplées. Plus de 400 détenus sont en cellule individuelle et la surpopulation carcérale tend à diminuer.

Parmi le personnel, 10 agents ont été touchés, 122 ont été mis en arrêt de maladie parce qu’on suspectait une contamination et de nombreux agents sont obligés de rester chez eux depuis la fermeture des écoles. La fermeture des parloirs, la réduction des activités et le renfort apporté par les agents chargés habituellement de l’extraction judiciaire et des transferts ont permis de réorganiser le travail et de faire face à cette baisse de nos effectifs.

Fresnes n’a pas connu les mêmes difficultés que d’autres établissements, notamment du fait de son infrastructure : jusqu’à 900 personnes peuvent se promener simultanément dans nos 110 cours. Cette infrastructure nous permet de mieux réguler les mouvements. L’organisation des promenades par petits groupes toujours identiques permet de réduire la propagation.

Nous avons craint des incidents la semaine qui a suivi la fermeture des parloirs, mais nous avons expliqué nos décisions à la population pénale. À travers une communication importante, nous avons été en mesure de rassurer les personnes qui craignaient d’être trop coupées de l’extérieur, en assurant le lavage du linge en interne, en rendant la télévision et l’accès au téléphone gratuits.

Chaque jour, cinq détenus entrent à Fresnes et vingt en sortent : à ce rythme, nous espérons arriver à l’encellulement individuel avant la fin du confinement. Cette baisse du nombre de détenus est notamment due à la mise en veille des tribunaux judiciaires. Nous avons veillé à maintenir l’enseignement, notamment en transmettant très régulièrement les contenus pédagogiques aux personnes détenues, ainsi que la distribution de la totalité des cantines.

Dans ce contexte, la situation est plutôt bien maîtrisée et les incidents de moins en moins nombreux. Mais il nous reste quatre semaines à tenir et il nous faut rester vigilants.

M. Dimitri Houbron. Je tiens à saluer le travail du personnel pénitentiaire. Le 30 mars, la presse a fait état d’incidents dans plusieurs prisons, mais pas à Fresnes. L’architecture, qui réduit les espaces de rencontre, l’explique-t-elle ? Comment gérez-vous l’arrivée des détenus qui ont pu causer des mutineries ailleurs ?

M. Xavier Breton. Je tiens à affirmer mon soutien à tout le personnel pénitentiaire. Les fouilles sont essentielles pour la protection sanitaire et la sécurité du personnel et des détenus. Comment appliquez-vous les consignes nationales à ce sujet ?

Mme Laurence Vichnievsky. Je souhaite également rendre hommage à l’ensemble des personnels pénitentiaires confrontés à des conditions très difficiles en ce moment.

Vous dites que le nombre de détenus a baissé : parlez-vous de personnes condamnées ou de prévenus ? Quelle est la proportion de prévenus au sein de votre établissement ? Parvenez-vous à faire respecter les gestes barrières dans les cellules qui abritent deux détenus ?

Mme Cécile Untermaier. Nous essayons d’aller vers l’encellulement individuel depuis des années et la crise du Covid-19 est en train de nous y aider. Vous avez introduit une quatorzaine d’observation pour les entrants. Qu’en est-il des sortants ?

De quel équipement bénéficient les détenus pour l’accès au téléphone ? Quelles sont les modalités d’accès ? La confidentialité des conversations est-elle respectée ?

M. Jimmy Delliste. Nous avons craint des incidents après la fermeture des parloirs, mais nous avons beaucoup échangé avec les détenus, notamment lorsqu’ils rencontraient des difficultés à supporter cette situation. L’architecture du centre pénitentiaire a également joué un grand rôle pour nous permettre de contenir les velléités d’actes de rébellion.

Les fouilles ont toujours lieu : les agents qui les réalisent sont équipés de gants et de masques de protection et respectent les gestes barrières. Les masques ont été mis à notre disposition à partir du 28 mars et même auparavant nous avions vraiment réalisé un travail en profondeur et engagé nos personnels dans une démarche résolue de prévention et de précaution.

Certes la promiscuité est un problème, mais les cellules de Fresnes sont un peu plus grandes que la moyenne, c’est d’ailleurs pourquoi on peut parfois y mettre jusqu’à trois lits. Les personnes enfermées à deux ont généralement accepté de l’être et les choses se passent bien. Elles ont d’ailleurs été très bien sensibilisées aux gestes barrières. Le personnel médical est présent 24 heures sur 24 et le suivi est permanent : cela permet une détection continue et attentive ; au moindre doute, on place les détenus dans une unité dédiée. Lors des promenades, on ne compte jamais plus de 15 personnes dans des cours de 60 mètres carrés : les gestes barrières peuvent donc être respectés.

Les prévenus représentent 29 % des personnes détenues et les condamnés 71 %.

Nous appliquons une quatorzaine à l’ensemble des détenus qui entrent, mais pas à ceux qui sortent, car les libérations sont parfois décidées très rapidement après une commission d’application des peines. Mais je répète que nous avons un suivi médical permanent : c’est une garantie.

M. Thomas Rudigoz. Pouvez-vous donner des détails sur le moral des surveillants ? Qu’en disent les syndicats ? Vous avez évoqué les mesures pour assurer un bon climat parmi les détenus, notamment l’accès gratuit à la télévision et au téléphone : les onze heures mensuelles vous semblent-elles suffisantes ?

Mme Marietta Karamanli. Pouvez-vous préciser la nature des délits et des crimes qu’ont commis les personnes actuellement détenues ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je vais ajouter quelques questions à celles de mes collègues.

Comment parvenez-vous, tout d’abord, à maintenir de bonnes conditions d’hygiène pour les détenus, plus particulièrement dans les douches collectives ? Comment organisez-vous l’accès aux douches pour éviter une trop grande promiscuité ? Avez-vous les moyens de les désinfecter ? Les auxiliaires chargés de cette mission de nettoyage refusent-ils parfois de la remplir ?

Ma deuxième question porte sur le centre d’orientation : continue-t-il de fonctionner ?

Qu’en est-il, enfin, du moral des surveillants, qui sont soumis à de fortes tensions ? Certains exercent-ils leur droit de retrait ? Rencontrez-vous régulièrement les représentants syndicaux ?

M. Jimmy Deliste. L’idée erronée selon laquelle les établissements pénitentiaires seraient des clusters a pu créer les prémisses d’une psychose et faire craindre aux personnels qu’ils allaient ramener le virus chez eux. Aussi certains arrêts de travail, qui ont d’abord été nombreux (jusqu’à 90 de manière simultanée pour des raisons plus ou moins directement liées à l’épidémie), ont pu relever d’un droit de retrait qui ne disait pas son nom. Il a été exercé par des personnels inquiets, notamment, de l’absence de masques – la distribution, à partir du 28 mars, a fait retomber les craintes. Nous avons communiqué et rappelé que le virus circulait aussi à l’extérieur et que les personnels, au même titre que les personnes incarcérées, pouvaient bénéficier d’une prise en charge immédiate par les services de santé pénitentiaire. Les agents font preuve d’un véritable engagement et sont soutenus dans cette épreuve par le personnel d’encadrement. Je rencontre par ailleurs chaque semaine les organisations syndicales. Perspective encourageante pour tous, près de 60 % des personnes en arrêt de maladie ont repris le travail. Malgré la fatigue qui commence à se faire sentir, le moral des troupes est plutôt bon.

Fresnes n’est pas encore doté de la téléphonie en cellule – cela devrait être développé cette année – si bien qu’il est plus compliqué pour les détenus d’accéder aux onze heures de téléphone gratuites, puisqu’ils sont contraints de passer leurs appels en dehors de leur cellule. Consigne a cependant été donnée pour que l’accès au téléphone, lors des promenades ou sur les coursives, leur soit facilité. Le forfait téléphonique offert a participé à l’apaisement de la situation.

Les cellules ne sont pas encore dotées de douches, j’espère que la rénovation de l’établissement le permettra. Les salles de douche sont désinfectées plusieurs fois par jour, comme tous les lieux de passage. Les auxiliaires n’ont pas fait défection ; ils disposent de matériel de protection pour éviter la contamination et nous avons disposé de matériel désinfectant suffisamment tôt pour déployer ce dispositif.

Le centre national d’évaluation continue de fonctionner ; les entretiens se poursuivent mais il n’y a pas de séance collective. Nous sommes aussi spécialisés dans l’évaluation de la radicalisation, avec le quartier de prise en charge de la radicalisation, mais nous rencontrons des difficultés puisque nos partenaires ne peuvent plus accéder à l’établissement.

Il est difficile de donner une répartition exacte des incarcérations par type de peines. Les personnes détenues pour trafic de stupéfiants et violences sont majoritaires. Depuis le début du confinement, 95 ont bénéficié d’un aménagement de peine et 34 d’une libération sous contrainte.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Par votre professionnalisme et votre humanisme, vous manifestez tout ce que l’administration pénitentiaire fait de mieux. Votre gestion de la situation force notre admiration. Nous vous prions de transmettre nos félicitations à vos personnels et de les assurer du soutien de la représentation nationale.

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La Commission auditionne, en visioconférence, Mme Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Il nous semblait évident qu’il fallait conclure cette matinée avec la contrôleure générale des lieux de privation de liberté puisque nous sommes au cœur de ses missions. Je donne immédiatement la parole à Mme Adeline Hazan, que nous connaissons bien également.

Mme Adeline Hazan. Le contrôle général est très mobilisé pendant cette période de crise sanitaire qui prend une lumière et une gravité particulières au sein des lieux de confinement que sont les prisons. Mon équipe et moi nous trouvions aux Baumettes pour une mission de quinze jours au début du mois de mars ; nous y avons été témoins de l’inquiétude des personnels et des détenus quant à ce qui allait se passer dès lors que des cas de Covid-19 se déclareraient en prison, milieu confiné par nature. Je salue les personnels pénitentiaires qui travaillent en effectifs souvent réduits et dans des conditions dangereuses – les gardiens n’ont disposé de matériel de protection qu’à partir du 29 mars.

L’épidémie place les lieux de privation de liberté, singulièrement les prisons, sous une lumière crue, révélant la gravité de leur situation. La surpopulation carcérale est endémique : au 1er mars, la France comptait 72 575 détenus pour 61 000 places officielles et en réalité 55 000 places utilisables. Le problème se pose de façon plus cruciale encore dans les maisons d’arrêt, avec 48 284 détenus pour 34 973 places opérationnelles. Parmi ces 13 700 détenus en surnombre, 1 500 dorment sur un matelas posé à même le sol, dans une cellule de 9 mètres carrés accueillant déjà deux personnes.

Dès le 17 mars, j’ai alerté la Garde des Sceaux et lui ai proposé plusieurs mesures. L’encellulement individuel dans les maisons d’arrêt – obligatoire depuis 1875, cet objectif a été reporté de moratoire en moratoire à 2022 – nécessiterait la libération d’environ 13 000 détenus. Aussi l’effort qui a consisté à en libérer 9 000 reste-t-il insuffisant. En demandant la libération des détenus ayant encore six mois à purger, j’ai retenu le même seuil que le législateur : en effet, dans la loi de programmation de la justice du 23 mars 2019, il a prévu que les magistrats seraient incités, à compter du 24 mars 2020, à prévoir des alternatives à l’incarcération pour toutes les condamnations allant jusqu’à six mois d’emprisonnement. Il serait donc logique d’appliquer le même seuil à l’heure actuelle.

Il convient de saluer l’action des juges d’application des peines qui se sont mobilisés pour faire sortir des détenus. Mais les détenus provisoires, qui étaient 22 000 début mars, présumés innocents et entassés dans les maisons d’arrêt, sont encore trop nombreux.

Il est incohérent de remettre en liberté les détenus ayant un reliquat de peine de moins de deux mois et de proroger d’un, deux ou six mois tous les mandats de dépôt en cours. Cette prorogation est sans doute de plein droit pour les mandats arrivant à expiration pendant cette période de confinement. Il est par contre inacceptable que cela concerne tous les mandats sans distinction et qu’un mandat de dépôt puisse ainsi être prorogé sans aucune comparution devant le juge, même par visioconférence. Cette mesure aurait dû être supprimée par une ordonnance rectificative.

Les mesures concernant les conditions de détention sont elles aussi insuffisantes. Si je salue celle qui rend la télévision gratuite, le crédit téléphonique de 40 euros, qui correspond à quatre ou cinq heures de communication vers un portable, est insuffisant alors que les parloirs familiaux sont supprimés, que les avocats ne se rendent presque plus en prison et que, faute d’activités – travail, sport, formation professionnelle, exercice du culte –, les détenus se trouvent vingt-trois heures sur vingt-quatre en cellule. Ces économies faites sur le téléphone sont inacceptables, alors que le Président de la République a lui-même utilisé l’expression « quoi qu’il en coûte ». Il aurait en outre fallu donner à l’ensemble des établissements les moyens de mettre en place des parloirs par skype.

De fait, les détenus subissent une triple peine : celle qu’ils effectuent, la peur de la maladie, la tristesse de ne plus avoir de contacts. Si le contrôle général travaille à distance pendant cette crise sanitaire, nous continuons de recevoir chaque jour des courriers et des appels de détenus qui vivent dans l’angoisse de la maladie, souffrent de la rupture des relations et s’interrogent sur leurs droits.

Je ne comprends pas que les réductions de peine exceptionnelles aient été prévues seulement à la fin de la crise sanitaire. J’espère que la prolongation d’un mois du confinement donnera le temps à la Garde des Sceaux d’élargir le périmètre de son ordonnance, pour permettre la libération de quelques milliers de détenus supplémentaires et aboutir à l’encellulement individuel.

On parle souvent du monde d’après et des enseignements à tirer de cette crise. En fait, elle nous a d’ores et déjà appris que lorsque l’on est obligé de réguler la population carcérale, on le fait. Avoir fait sortir ces détenus n’entraînera pas de drame. J’espère que cela restera une pratique générale et qu’on ne repartira pas vers l’inflation carcérale une fois cette crise terminée.

Les centres de rétention administrative (CRA) ne sont pas l’objet de l’audition mais j’invite la commission à se pencher sur la situation qui prévaut dans ces lieux de privation de liberté, notamment à Vincennes et au Mesnil-Amelot. Les informations qui nous en arrivent sont très préoccupantes.

Mme Laetitia Avia. Je souhaitais précisément vous interroger sur les CRA, dont la configuration ne permet pas de mesures de protection et le confinement des personnels et des personnes en situation de rétention. Les délais maximums de rétention doivent être impérativement respectés, alors que les mesures d’éloignement et les reconduites à la frontière ne peuvent être mises en œuvre. Quelles sont vos observations sur ces situations ?

Mme Marietta Karamanli. Certains détenus ont été libérés sur la base de la loi, d’autres restent incarcérés sur le fondement d’une ordonnance. L’association française des magistrats instructeurs a fait valoir que, concernant la détention provisoire, la prorogation des mandats de dépôt pouvait être maintenue durant le confinement. Combien de personnes sont concernées et pour quel type de délits ? Le Conseil d’État a rejeté le recours contre cette mesure mais il faudra au moins qu’un bilan contradictoire soit dressé avec les associations et organisations syndicales. Quelle est votre position ? Quid de la situation des détenus souffrant de maladies psychiatriques ?

M. Ugo Bernalicis. Je souscris à l’intégralité de vos propositions. Je ne comprends pas la décision de prorogation automatique des détentions provisoires, alors que la remise en liberté de ces prévenus était un levier pour parvenir à l’encellulement individuel qui nécessite que le nombre de détenus soit inférieur au nombre total de places.

Comment exercez-vous votre mission ? Pouvez-vous effectuer des visites depuis le début du confinement ? Avez-vous des informations concernant les geôles des tribunaux ? Les avocats rapportent que les gestes barrières n’y sont pas respectés.

Les différentes modalités de présence des JAP dans les lieux de détention – physique, par visioconférence ou par audioconférence – ne risquent-elles pas d’introduire une disparité dans l’exercice des droits des personnes détenues ? Quelles réponses la Garde des Sceaux a-t-elle apportées à vos interpellations ?

Mme Adeline Hazan. Je redis notre vive inquiétude au sujet des centres de rétention de Vincennes et du Mesnil-Amelot. Dans le premier, on dénombre quatre cas de Covid-19, dont un détecté un mois après l’arrivée de l’intéressé ce qui signifie qu’il a été contaminé sur place. Il a en outre fait l’objet d’un test de dépistage seulement deux longs jours après l’apparition des premiers symptômes et deux autres jours se sont écoulés avant qu’il ne soit libéré. D’autres cas ont été testés positifs par la suite, ce qui implique qu’il en existe encore beaucoup, non testés.

Dès le 17 mars, j’ai demandé au ministre de l’Intérieur de fermer l’ensemble des centres de rétention, mais les plus importants ne l’ont pas été. Or non seulement la rétention ne sert à rien dans ces conditions, mais elle est dépourvue de fondement légal : on ne maintient normalement en rétention que des personnes que l’on sait pouvoir expulser au terme du délai maximal de quatre-vingt-dix jours, ce qui est actuellement impossible en raison de la fermeture des frontières.

J’ai décidé de me rendre dans ces centres, en prenant toutes les précautions nécessaires, et dès cet après-midi dans celui de Vincennes, car nous avons été alertés sur la situation par des avocats et des associations, qui eux-mêmes n’y vont plus ou presque, ce qui prive les retenus d’interlocuteurs. Il n’est d’ailleurs pas concevable que l’on empêche un élu de visiter les lieux de rétention.

La prolongation de plein droit des 22 000 mandats de dépôt en cours est une hérésie contraire aux principes généraux du droit, selon lesquels, dans un État de droit, la privation de liberté n’est possible que sur décision de justice.

L’angoisse habituelle des détenus souffrant de troubles psychiatriques ou psychologiques – environ 70 % des personnes détenues selon les dernières études, dont 20 ou 30 % de cas graves – est encore accrue par la peur de la maladie. Or les services psychiatriques, très mobilisés et vigilants, doivent faire avec les moyens du bord. La crise sanitaire fragilise donc la situation de ces détenus.

Mon équipe de cinquante personnes, dont quarante contrôleurs, travaillent à distance et récupère régulièrement son courrier au siège du contrôle général. Nous répondons à toutes les lettres et à tous les appels, venant essentiellement des détenus et de leurs familles, ces dernières étant souvent inquiètes de ne plus recevoir de nouvelles, ce qui plaide également pour la gratuité du téléphone. Nous téléphonons quotidiennement aux établissements pénitentiaires et sanitaires pour assurer une veille. L’augmentation de l’aide aux indigents en prison demeure tout à fait insuffisante, dans une période où les économies « de bouts de chandelle » sont hors de propos. En temps normal, une aide de cinquante euros est accordée aux détenus possédant moins de vingt euros sur leur compte ; pendant la crise sanitaire ce dispositif a été élargi aux détenus qui ont moins de quarante euros sur leur compte, auxquels on accorde un pécule de cent euros par mois. Ces mesures doivent être saluées mais demeurent nettement insuffisantes.

Je ne suis pas en mesure de répondre précisément en ce qui concerne les geôles des tribunaux.

Mme Alexandra Louis. La prise en charge des détenus mineurs vous semble-t-elle adaptée ?

Qu’en est-il des relations entre détenus et avocats et quelles sont vos préconisations ?

Dans quelles conditions – respect des gestes barrières, matériel de protection – les ateliers en détention fonctionnent-ils, notamment pour fabriquer des masques ?

M. Philippe Gosselin. L’encellulement individuel est une nécessité. Pour y parvenir, il faut moderniser notre parc pénitentiaire et respecter les programmes de construction.

Pourriez-vous être plus précise au sujet de l’accès des détenus aux soins psychiatriques ? Cette problématique, déjà complexe, est actuellement accentuée et certains échos inquiétants sont remontés sur ce sujet. De plus, quelle est la situation dans les hôpitaux psychiatriques ?

Mme Danièle Obono. Quelle est la situation en zone d’attente aux frontières ? Je faisais partie des parlementaires qui ont été empêchés de visiter celle de Menton à l’automne 2019.

Mme Adeline Hazan. La quantité de détenus mineurs, nombreux en détention provisoire, n’a pas assez baissé, alors que la suppression de toutes les soupapes auparavant offertes aux détenus est encore plus éprouvante pour eux. Dans les centres éducatifs fermés, la difficulté à faire respecter le confinement et les gestes barrières est très préoccupante. Or les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse sont en effectif insuffisant : beaucoup sont confinés ou en arrêt de maladie. Les informations qui nous parviennent sont donc inquiétantes.

Dans les faits, les avocats, certes autorisés à entrer en prison, s’y rendent très peu, considérant que les gestes barrières sont impossibles à respecter. Si les « parloirs avocats » peuvent avoir lieu dans des salles plus grandes et donc plus adéquates pour permettre le respect des gestes barrières, les mesures de précaution applicables à ces entretiens doivent être renforcées, et la fourniture de matériel de protection – au moins des masques et du gel – garantie aux avocats comme aux détenus, et non aux seuls surveillants en contact avec lesdits détenus. Les droits de la défense sont eux aussi confinés…

Il est évidemment impossible de respecter les gestes barrières et les mesures d’hygiène, malgré la baisse du nombre de détenus, lorsque l’encellulement n’est pas individuel ou lorsque les cellules sont dépourvues de douches, comme à Nanterre ou Fresnes par exemple, et même d’eau chaude, et que les détenus n’ont droit qu’à trois douches par semaine dans des sanitaires collectifs. Les efforts consentis sont à saluer, mais au-delà des soixante cas de Covid-19 actuellement détectés en prison, ce serait une catastrophe. Il faut pouvoir transférer les détenus malades en cellule individuelle ou à l’hôpital.

L’accès aux soins psychiatriques en prison est habituellement très insuffisant, car il n’y a pas assez d’unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) et de services médico-psychologiques régionaux (SMPR) pour l’ensemble des détenus. J’ai déjà souligné cette problématique et il me semble que les parlementaires s’y sont également penchés. L’accès à ces soins est encore plus insuffisant quand le personnel manque et l’angoisse des intéressés est accrue.

Nous n’avons pas encore d’informations concernant les zones d’attente aux frontières. Je l’ai dit aux autorités, il est absolument illégal d’en refuser l’accès à des parlementaires.

Mme Caroline Abadie. Des pratiques qui, comme l’activité résiduelle de fabrication de masques, rendent service à la population, ne devraient-elles pas être pérennisées en prison ? Ces ateliers sont à mes yeux des actions et des occupations pouvant rendre service à la population et sont éclairants sur le rôle de la prison.

M. Éric Dard. Comment pouvez-vous affirmer aussi imprudemment que la libération anticipée de milliers de prisonniers n’entraînera aucun incident ou accident ? On ne peut pas tenir de tels propos, c’est grave !

Mme Cécile Untermaier. Concernant les libérations anticipées, le Gouvernement a pris une sage décision. La loi de programmation et de réforme pour la justice écartait d’ailleurs l’incarcération brève – jusqu’à six mois –, mais au profit de peines alternatives dont on peut se demander si elles sont d’actualité. Dans la crise actuelle, il serait sans doute pertinent d’appliquer la logique des libérations anticipées pour les reliquats de peine jusqu’à quatre mois.

Quel est l’état d’esprit des mineurs, qui ne peuvent sans doute guère compter sur la protection judiciaire de la jeunesse ?

Enfin, le moment n’est-il pas bien choisi pour accélérer la fourniture aux détenus de téléphones portables sécurisés et gratuits ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. J’étends cette dernière question à l’accès au numérique en général, notamment pour l’enseignement à distance.

Mme Adeline Hazan. Le travail en prison au service de l’intérêt général est une piste de réflexion intéressante. Toutefois, faire fabriquer des masques aux détenus alors qu’eux-mêmes en sont privés me semble une marque de mépris envers eux, révélatrice du fait qu’ils ne sont pas considérés comme des citoyens à part entière. Dans les textes normatifs, la détention équivaut pourtant à la seule privation de la liberté d’aller et venir, non à celle des droits à la santé, à l’éducation, au maintien des liens familiaux, qu’ils subissent actuellement encore plus que d’habitude.

Je n’ai jamais certifié que les détenus libérés ne commettraient aucune infraction. Simplement, le risque de récidive ne serait pas différent s’ils étaient libérés deux mois avant la fin de leur peine, conformément au droit commun, ou après l’avoir entièrement purgée. C’est le droit à la vie et à la santé qui doit nous servir de boussole, pour les détenus comme pour vous et moi.

Le recours aux mesures alternatives à l’incarcération est évidemment insuffisant, je le dénonce régulièrement. La dernière loi de programmation de la justice a trop peu augmenté le nombre de conseillers de probation.

De nombreux mandats de dépôt sont prononcés en comparution immédiate – j’ai pratiqué cette justice de flagrant délit que l’on pourrait qualifier de justice d’abattage – car les magistrats n’ont pas suffisamment d’éléments sur la personnalité et l’environnement du prévenu au moment de prendre leur décision. Les effectifs sont insuffisants pour proposer des peines alternatives aux magistrats, dont certains considèrent encore l’incarcération comme la reine des sanctions.

Nous devons expliquer à l’opinion publique qu’une peine qui n’est pas exécutée entre quatre murs n’en est pas moins réelle. La pose d’un bracelet électronique ou le sursis avec mise à l’épreuve sont des condamnations qui figurent au casier judiciaire et imposent des restrictions de liberté. Les seules options ne sont pas la liberté totale ou la prison, le législateur a prévu de nombreuses peines alternatives à l’incarcération.

Je demande depuis six ans l’autorisation de téléphones portables contrôlés, écoutés, ne permettant de contacter que des destinataires autorisés. Les appels passés depuis les téléphones des coursives ou muraux doivent pouvoir l’être avec des téléphones portables bridés achetés en cantine. Il n’est pas question de surfer sur Internet, mais de pouvoir appeler à toute heure les personnes que les détenus ont le droit de contacter. Dans la période de crise actuelle, qui se traduit par un confinement, voire un entassement, en cellule, l’accès à un portable bridé et sécurisé prendrait tout son sens. De même, un accès numérique sécurisé et contrôlable permettant de correspondre par courrier électronique, alors qu’il est actuellement très difficile de distribuer le courrier papier, réduirait beaucoup la pression dans les établissements.

J’espère que nous saurons tirer les leçons de cette crise pour améliorer la dignité des conditions de détention.

Mme Nicole Dubré-Chirat. Je vous trouve pessimiste quant aux évolutions en application de la réforme de la justice. Les réductions de peine de deux mois ont permis la libération anticipée de 10 000 personnes. Les conditions de sortie et l’accompagnement ne peuvent être améliorés tant que dure le confinement, les SPIP devant vérifier les conditions de logement et les possibilités d’emploi.

Ma circonscription abrite un centre éducatif fermé : il fonctionne bien pour le moment et l’encadrement y est présent. Enfin, on constate que les avocats peuvent se rendre dans les maisons d’arrêt en étant protégés, mais ils ne le font pas.

Mme Adeline Hazan. Le nombre de libérations anticipées est en effet important, mais elles auraient dû être décidées au moins une semaine plus tôt. Je souhaite qu’elles atteignent rapidement 13 000 ou 14 000 afin de permettre un encellulement individuel, au moins dans les maisons d’arrêt.

Les peines alternatives sont difficiles à appliquer en temps normal, et plus encore en ce moment. Les juges d’application des peines ne libèrent que les personnes qui ont un domicile, mais les SPIP sont insuffisamment dotés pour appliquer les peines alternatives : l’administration pénitentiaire manque d’effectifs pour poser les bracelets électroniques.

Il est heureux que les avocats aient le droit d’aller en prison, et certains le font, mais beaucoup estiment que les gestes barrières ne peuvent pas être assurés.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La commission prendra connaissance avec intérêt des observations que vous formulerez après votre visite au centre de rétention de Vincennes.

Merci pour votre travail, votre mission est précieuse pour notre République.

 

La réunion se termine à 13 heures 20

 


Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Bérangère Abba, M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Laetitia Avia, M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, M. Florent Boudié, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Vincent Bru, Mme Émilie Chalas, M. Éric Ciotti, M. Éric Diard, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, M. Christophe Euzet, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Isabelle Florennes, M. Raphaël Gauvain, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Huyghe, Mme Élodie Jacquier-Laforge, Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Larrivé, Mme Marie-France Lorho, Mme Alexandra Louis, M. Jean-Louis Masson, M. Fabien Matras, M. Stéphane Mazars, Mme Emmanuelle Ménard, M. Ludovic Mendes, M. Jean-Michel Mis, M. Paul Molac, Mme Danièle Obono, Mme Valérie Oppelt, M. Didier Paris, Mme George Pau-Langevin, M. Pierre Person, M. Stéphane Peu, M. Jean-Pierre Pont, M. Bruno Questel, M. Rémy Rebeyrotte, M. Thomas Rudigoz, M. Pacôme Rupin, M. Antoine Savignat, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, Mme Alice Thourot, Mme Cécile Untermaier, M. Arnaud Viala, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet, Mme Hélène Zannier

 

Assistait également à la réunion. - M. Jacques Marilossian