Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 Audition de M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, et discussion générale sur le projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental (n° 3184) (M. Erwan Balanant, rapporteur)              2

 


Mardi
8 septembre 2020

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 86

session extraordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente
 

 


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La réunion débute à 17 heures 05.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission auditionne M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, et procède à une discussion générale sur le projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental (n° 3184) (M. Erwan Balanant, rapporteur).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, je suis ravie de vous retrouver en cette rentrée et de voir la Commission des Lois rallumer, comme à son habitude, au début de la session extraordinaire, les lumières de l’Assemblée nationale. (Sourires.)

Nous sommes réunis afin d’examiner le projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental en débutant par une audition de M. le garde des Sceaux, ministre de la Justice, qui le défend au nom du Gouvernement, et par la discussion générale.

Les amendements – un peu moins de 200 – seront eux examinés demain à partir de neuf heures trente au sein de notre commission, puis à partir du mercredi 16 septembre en séance publique.

Le rapporteur s’exprimera après le ministre. Suivront ensuite les orateurs des groupes, qui disposeront chacun de cinq minutes, puis les commissaires qui souhaiteront s’exprimer et qui disposeront de deux minutes.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, comme je vous l’avais annoncé cet été, j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui ce projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui traduit l’un des engagements pris par le Président de la République dès le début de son quinquennat devant le Congrès.

Créé en 1925, consacré dans la Constitution depuis la IVe République, le CESE n’a pourtant jamais réussi à trouver au sein de nos institutions la place qu’il mériterait. Ce projet de loi entend remédier à cette situation et par la même occasion répondre à une aspiration forte de nos concitoyens : renforcer la démocratie participative.

La crise des « gilets jaunes » et le Grand débat national ont, tout autant que la Convention citoyenne pour le climat, montré que les Français aspirent à être mieux associés et à participer plus directement aux décisions publiques. Nos institutions doivent répondre à cette attente : tel est le sens du projet de loi organique soumis à votre examen.

Le CESE doit affermir sa fonction d’assemblée consultative composée de représentants des forces économiques et sociales du pays chargée d’éclairer les pouvoirs publics sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux de notre temps. Il s’agit de le doter de nouveaux outils, notamment en ayant recours à la participation du public en s’adjoignant des citoyens tirés au sort en vue de l’aider dans la préparation de ses avis.

La première ambition de cette réforme est de renforcer la démocratie participative. Deux points méritent dans cette perspective d’être soulignés : le recours aux pétitions et l’organisation de consultations publiques incluant, le cas échéant, la participation directe de citoyens tirés au sort.

S’agissant du premier, le projet de loi favorise le recours aux pétitions. La révision constitutionnelle de 2008 a certes introduit dans notre droit la possibilité pour nos concitoyens de saisir le CESE par voie de pétition. Toutefois, cet outil de démocratie directe, encadré par des conditions trop strictes, n’a jamais pu être mis en œuvre : nous entendons donc les assouplir afin de le rendre désormais effectif. Les citoyens pourront ainsi saisir le CESE par voie électronique et non plus seulement par écrit.

Pour répondre à leurs attentes légitimes, il faut aller plus loin : nous avons, en concertation étroite avec votre rapporteur, Erwan Balanant, réfléchi à d’autres évolutions et allons conjointement vous en proposer deux.

La première consiste à abaisser le seuil des signatures, puisque celui en vigueur actuellement n’a été atteint qu’une seule fois en dix ans : il convient par conséquent de le réduire au moins de moitié. Il est en revanche nécessaire de fixer des garanties afin de s’assurer que les questions soulevées concernent la Nation tout entière.

La seconde consiste à permettre à la jeunesse de s'exprimer, pour éviter qu’elle ne s'éloigne davantage encore, c’est un sujet de préoccupation partagée auquel je suis très sensible. Nous proposons donc d’abaisser à seize ans l’âge requis pour pouvoir pétitionner. Si l’on n’est pas encore, à cet âge, citoyen et électeur, cela ne signifie pour autant pas que l’on n’a rien à dire, d’autant que notre jeunesse veut – et doit – s’engager sur les questions environnementales sur lesquelles elle est particulièrement mobilisée. Il faut donc lui donner la parole et surtout la préparer au plein exercice de la citoyenneté : ce droit de pétition le permettra.

La seconde ambition de ce projet de loi est de pérenniser l’expérience de la Convention citoyenne pour le climat qui a montré que le CESE pouvait devenir la chambre de la participation citoyenne. Le texte consacre ainsi l’organisation de consultations publiques pour lesquelles il pourra désormais organiser une procédure de tirage au sort. Le CESE a toujours été présenté et conçu comme l’assemblée représentant les forces vives de la Nation : dorénavant, les citoyens tirés au sort pourront participer directement à ses travaux.

Je veux rassurer ceux qui éprouvent des craintes à cet égard : elles ne sont pas fondées. Il n’existe pas de confusion, et encore moins de concurrence, entre, d’une part, l’intérêt de recueillir l’avis de citoyens tirés au sort et, d’autre part, l’exercice de la souveraineté nationale par les représentants de la Nation élus au suffrage universel, seuls détenteurs de la légitimité démocratique. Renforcer la démocratie participative n’affaiblit pas la démocratie. Au contraire, plus nos concitoyens sont intégrés au débat public, plus la légitimité de ceux qu’ils éliront sera renforcée.

Ce projet de loi organique entend également redonner davantage de visibilité au CESE et renforcer son rôle d’assemblée consultative. Le Grand débat national nous l’a appris : nos concitoyens connaissent mal cette institution et peinent à en comprendre l’utilité. Il est temps de lui redonner la place qui lui revient. Ainsi, pour remédier à cet état de fait, le projet qui vous est soumis développe principalement deux outils.

Il renforce d’abord les liens avec les conseils consultatifs locaux. Force est de constater qu’actuellement il n’existe pas véritablement de lien entre le CESE et les instances consultatives locales, en particulier avec les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER). Il faut mettre fin à ce cloisonnement et organiser des échanges entre l’échelon national et les organes locaux afin que le CESE puisse se nourrir des expériences et des connaissances territoriales.

L’article premier du projet de loi organique prévoit ainsi la possibilité pour le Conseil de saisir pour l’exercice de ses attributions des conseils consultatifs créés auprès des collectivités.

Le texte entend également faire du CESE le carrefour des consultations publiques. Il existe aujourd’hui une multitude d’organismes consultatifs : s’ils constituent une richesse, ils peuvent également être source de complexité, voire de lourdeur. Pour redonner de l’attractivité au CESE, le Gouvernement entend lui accorder une place prépondérante, à la hauteur du rôle que lui confie la Constitution.

Ainsi, l’article 6-1 que nous proposons d’introduire dans l’ordonnance de 1958 prévoit que lorsque le Conseil sera saisi, le Gouvernement ne procédera pas aux autres consultations exigées par notre législation, certaines exceptions étant cependant prévues pour les autorités administratives indépendantes ou pour les collectivités territoriales d’outre-mer.

Je vous proposerai d’y inclure les instances nationales consultatives au sein desquelles les collectivités territoriales sont représentées afin de préserver le dialogue indispensable avec ces dernières, en particulier dans le cadre du Conseil national d’évaluation des normes et du Comité des finances locales.

Je tiens également à souligner que n’entrent pas dans le champ de cet article les concertations prévues à l’article L.1 du code du travail. Pour plus de clarté, le Gouvernement vous proposera de le mentionner explicitement dans le texte.

Enfin, le projet de loi réforme, conformément à un engagement du Président de la République, la composition du CESE. Il vous propose ainsi de faire passer le nombre de ses membres de 233 à 175, ce qui représente une réduction de 25 % qui correspond pour partie à la suppression des 40 sièges réservés aux personnalités qualifiées.

Cette composition est refondue en quatre grandes catégories qui permettent de conserver pour l’essentiel l’équilibre des représentations. La proposition qui vous est faite est le résultat d’un compromis entre tous les intérêts représentés. C’est pourquoi le Gouvernement n’entend pas y revenir.

Toutefois, la composition de ces quatre grandes catégories n’est plus figée dans le marbre afin de permettre une constante adaptation aux évolutions de notre société. Pour s’en assurer, le Gouvernement soutiendra l’amendement de votre rapporteur visant à instituer à chaque renouvellement un comité indépendant qui proposera au pouvoir exécutif une répartition détaillée au sein de celles-ci.

Je tiens enfin à remercier particulièrement votre rapporteur ainsi que Mme Nicole Dubré-Chirat pour l’excellent travail qu’ils ont réalisé et l’esprit constructif qui a présidé à nos échanges.

Comme vous pouvez le constater, ce projet de loi organique traduit l’ambition de moderniser en profondeur le CESE, tant dans sa composition que dans son fonctionnement, et permet plus largement le renforcement de la participation citoyenne.

J’espère que nos débats permettront de mettre en œuvre et de parfaire cette ambition.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Le projet de loi organique que vous venez de présenter, monsieur le ministre, constitue une étape importante pour nombre des commissaires aux lois et, au-delà, pour tous les parlementaires qui s’étaient investis dans les débats sur le rôle du CESE lors de l’examen de la révision constitutionnelle de 2018.

Les auditions nous l’ont montré, il constitue également une étape importante pour tous ceux qui soutiennent la participation citoyenne et souhaitent que le législateur en définisse mieux le cadre et les garanties qui doivent l’accompagner.

Enfin, il témoigne de la relation de confiance nouée entre le Président de la République, cette majorité et le CESE en vue de redonner une voix à la société civile organisée, représentative de l’ensemble des activités de notre pays.

Au travers du renforcement du CESE et de la reconnaissance de sa place particulière au sein des institutions de la République, la culture du débat, du dialogue constructif, du compromis et de l’émergence de propositions, qui fédèrent et permettent d’avancer ensemble, est également valorisée.

Ce projet de loi fait également suite à deux événements qui marqueront le quinquennat : le Grand débat national et la Convention citoyenne pour le climat. De manière très différente, la participation et l’engagement des personnes que nous représentons chaque jour y ont été rendus possibles, entendus et respectés. Le lien entre démocratie participative et démocratie représentative s’en est trouvé renforcé, même s’il reste beaucoup à faire.

Je ne reviendrai pas sur le détail du texte. Je soulignerai simplement les points saillants et les enjeux dont il nous faudra débattre au sein de cette commission puis en séance publique.

Le premier porte sur la représentativité du CESE. Une réforme de sa composition est prévue à l’article 7. En supprimant les personnalités qualifiées, elle permet de redonner toute leur place aux représentants de la société civile organisée. Si le recours à des experts reste possible – et il doit évidemment le rester –, cette réforme permet de revenir à ce qui fonde tant la légitimité du CESE que son originalité : être constitué de personnes issues de la société civile, particulièrement investies dans leur domaine de compétence et engagées afin de faire progresser les politiques publiques.

Je suis particulièrement attaché à ce rôle consultatif qu’il nous faut valoriser en renforçant les liens du Conseil avec les chambres parlementaires et le Gouvernement.

Le second point saillant porte sur le recours à la consultation et à la participation citoyennes. Si le CESE, comme nombre d’autres institutions, associe le public à ses travaux, aucune règle légale n’encadre aujourd’hui ces initiatives. Le projet de loi organique permet d’y remédier en posant le cadre dans lequel le CESE pourra véritablement devenir le carrefour des consultations citoyennes.

Dans ce contexte, nous avons travaillé à la rédaction de plusieurs amendements avec les personnes auditionnées ainsi qu’avec le groupe La République en Marche, et mes collègues des autres groupes, souvent très investis sur ces sujets. Trois d’entre eux sont particulièrement importants.

Tout d’abord, la saisine citoyenne du CESE, par voie de pétition, introduite par le constituant lors de la révision de 2008, ne fonctionne pas. Le seuil de 500 000 signatures est en effet trop élevé et les conditions de dépôt des pétitions complètement dépassées. Par conséquent, au-delà de leur dématérialisation, nous proposons d’abaisser à 150 000 le nombre des signatures en prévoyant un critère géographique de domiciliation dans au moins trente départements afin d’exclure les sujets locaux qui ne relèvent pas de la compétence du CESE mais plutôt de celle des CESER.

Par ailleurs, et je remercie le garde des Sceaux pour le dialogue constructif que nous avons eu sur ce point, ce droit serait ouvert aux personnes âgées de 16 ans et plus et non plus, comme aujourd’hui, aux seuls majeurs. Cette évolution permettra d’enrichir les consultations, tout en encourageant les plus jeunes à s’engager pleinement sur des sujets touchant aux politiques publiques au moment où nous ouvrons le service national universel (SNU) ainsi que le service civique.

Si la participation du public aux travaux du CESE constitue une avancée importante, elle ne peut toutefois se faire sans garantie. Nous introduisons donc un article dédié à ces garanties, travaillé lors des auditions et reprenant les recommandations des experts, universitaires ou associatifs, en la matière.

La révision de la composition du CESE nécessitait également quelques précisions touchant en premier lieu à la place de l’outre-mer et en second lieu à la juste répartition des sièges entre les membres afin d’assurer sa représentativité.

À ce titre, un comité constitué en majorité de parlementaires sera chargé, avant chaque renouvellement de ses membres, de donner un avis sur les évolutions de la composition du CESE. Nous disposerions ainsi, lors de chacune de ces échéances, d’un état des lieux de la société civile organisée qui permettra au décret concerné d’être juste et équilibré par rapport à la représentation des organisations participant au CESE.

Avant de vous poser quelques questions, monsieur le ministre, je voudrais souligner que nous aurons fait œuvre utile avec ce texte même s’il ne peut se substituer à la révision constitutionnelle que nous appelons de nos vœux pour aller plus loin en matière de participation citoyenne et de démocratie représentative. Il me semble qu’il est équilibré et qu’il permet des avancées réelles tout en respectant le cadre organique qui est le nôtre.

Je remercie mes collègues pour leurs amendements qui soulèvent des questions auxquelles cette discussion permettra d’apporter de premières réponses, et particulièrement ma collègue Nicole Dubré-Chirat pour son investissement et bien sûr, vous-même, monsieur le ministre, pour la qualité de votre écoute.

J’en viens à mes questions. L’article 6 du projet de loi organique a pour objet de substituer, sous certaines réserves, la consultation préalable du CESE sur les projets de loi à celle d’autres instances consultatives existantes. Vous avez déposé un amendement visant à en préciser la rédaction. Pensez-vous que le CESE dispose des moyens nécessaires en termes de ressources humaines et d’expertise pour se substituer aux commissions existantes ? Si nous voulons que le CESE fonctionne, ne faudra-t-il pas que nous posions un jour la question de ses moyens ?

Cette réforme ne portera ses fruits que si les pouvoirs publics, le Gouvernement et le Parlement changent leurs pratiques et saisissent effectivement le CESE. Comment y parvenir dans les délais très contraints qui sont ceux du législateur ? Comment mieux assurer l’utilité des avis qu’il rend ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous en venons aux orateurs des groupes.

Mme Nicole Dubré-Chirat. Le CESE, qui est souvent, à tort ou à raison, considéré comme la troisième chambre de la République, a été instauré par la Constitution du 27 octobre 1946 sous le nom de Conseil économique.

La Constitution de la Ve République l’a maintenu en lui ajoutant une composante sociale, et la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République lui a attribué une compétence environnementale, le rebaptisant Conseil économique, social et environnemental.

Cette instance est composée de 233 conseillers appartenant à plusieurs catégories : la vie économique et le dialogue social, la cohésion sociale, la protection de la nature et de l’environnement. Au sein de chacune d’entre elles siègent des personnalités reconnues dans leur domaine et pour certaines nommées en conseil des ministres.

Les moyens de saisine du CESE sont multiples. Il peut en effet être saisi par le Gouvernement, par le président d’une des deux chambres ou par lui-même. Cette saisine est dans certains cas obligatoire sur les sujets économiques, sociaux et environnementaux.

Le CESE peut également être saisi d’un sujet particulier dès lors qu’une pétition ayant recueilli au moins 500 000 signatures en fait la demande. Un tel moyen d’expression démocratique est ce qui fait sa force mais également sa faiblesse puisqu’un tel seuil est rarement atteint. Il n’a par conséquent pas permis d’examiner un nombre de pétitions significatif même si le CESE a mis en place un système de veille des pétitions et s’il s’autorise à travailler sur des pétitions ayant recueilli un nombre de signatures inférieur à celui-ci.

À l’heure où le lien entre les citoyens et les institutions semble distendu, nous devons apporter des solutions en termes de participation citoyenne. Ce texte poursuit précisément cet objet.

Alors que nous avions prévu, dans le cadre de la réforme constitutionnelle, la création d’une chambre de la société civile, nous avons dû évoluer et nous orienter vers ce projet de loi organique qui vise à réformer cette institution.

Il est ainsi proposé de préciser le champ des missions du CESE afin de lui permettre de mieux éclairer la décision des pouvoirs publics. Il est prévu de favoriser le rôle des assemblées consultatives en matière économique, sociale et environnementale, en lien avec les collectivités territoriales concernées.

Le texte promeut aussi une politique de dialogue et de coopération avec les homologues européens et étrangers du Conseil.

Est également prévue, à l’initiative du CESE et à la demande du Gouvernement, la possibilité de mettre en place des consultations du public, le cas échéant en recourant à un processus de tirage au sort visant à en désigner les participants. S’il est mis en question par certains, le tirage au sort constitue pourtant une méthode comme une autre pour assurer la participation des citoyens. La belle réussite qu’a été la Convention citoyenne pour le climat, avec ses propositions qui sont reprises par le Gouvernement, nous pousse aller à aller plus loin.

Un autre objectif poursuivi par le projet de loi est de rénover le droit de pétition en permettant leur dématérialisation et en abaissant les seuils.

Il s’agit aussi de réduire les délais et de renforcer la procédure simplifiée des avis. Désormais, les commissions du CESE ne disposeront plus que de deux semaines, au lieu de trois, pour émettre leur avis, et ce dernier ne pourra être adopté par l’assemblée plénière qu’à la demande d’un tiers des membres du Conseil.

Est également prévue la dispense d’autres consultations. Nous avons évolué sur ce point afin de ne pas être trop drastiques et pour ne pas perdre le bénéfice de ce texte qui permet d’accélérer les procédures, de renforcer le rôle de carrefour des consultations publiques du CESE et d’associer à ses travaux les conseils consultatifs ou conseils citoyens aujourd’hui formés auprès des collectivités territoriales qui souhaitent émettre un avis consultatif.

S’agissant de la modernisation de l’organisation et du fonctionnement du CESE, notre ambition est d’inscrire dans la loi la participation citoyenne et d’opérer une ouverture significative.

Je salue les échanges que nous avons pu avoir avec vous, monsieur le ministre, car ils nous ont permis, avec notre rapporteur, de faire évoluer le texte tout au long des deux dernières semaines.

M. Philippe Gosselin. Le groupe Les Républicains ne rejette pas ce texte a priori, bien que tout ne soit pas parfait, tant s’en faut. Sous d’autres régimes, déjà, on s’est interrogé sur l’intérêt d’une autre chambre représentative. Nous en avons un exemple avec la Commission du Luxembourg sous la Deuxième République, avant que le Cartel des gauches, inspiré par les idées de Waldeck-Rousseau, ne décide de la création du Conseil national économique, en 1925, qui deviendra le Conseil économique et social sous la IVe République. Sa transformation en Conseil économique, social et environnemental a été votée en 2008 sous la présidence de Nicolas Sarkozy, ce qui démontre que la droite n’est pas hostile à cette instance : nous l’avions précisément modernisée pour qu’elle contribue au débat public.

Ce texte prévoit une réforme à droit constitutionnel constant, au contraire de celui que nous avons récusé il y a deux ans. L’objectif était alors de créer un forum de la République, réunissant la société civile au Palais d’Iéna, pour concurrencer les chambres parlementaires. Nous sommes attachés à la démocratie sociale et à la démocratie participative, et le CESE, dans sa forme actuelle ou future, est un des éléments permettant le respect des corps intermédiaires. Nous soutiendrons sa modernisation tant qu’elle ne le place pas en concurrence avec les instances de la démocratie représentative.

Faire passer le nombre de pétitionnaires de 500 000 à 150 000, comme l’évoque le rapporteur, ouvre très largement le droit de pétition. La proposition du ministre de réduire ce nombre de moitié semble plus raisonnable.

L’intégration de citoyens tirés au sort nous pose de vraies difficultés. Elle heurte le principe représentatif et nous expose à des écueils que nous évoquerons au cours des débats.

L’article 6 écarte la consultation de certaines instances telles que le Conseil national des normes et le Conseil d’évaluation des finances locales. Si le premier est récent, le second a prouvé son utilité, c’est un lieu de débat intéressant et il serait dommage de priver les collectivités locales des travaux de ces organismes. Il semble qu’un amendement du Gouvernement résoudra le problème.

Nous n’avons pas d’hostilité de principe à cette réforme pourvu qu’elle n’ait pas pour effet d’amoindrir les pouvoirs du Parlement.

Mme Laurence Vichnievsky. La qualité du rapporteur désigné démontre l’intérêt du groupe MODEM pour le CESE. La situation est paradoxale : nous avons travaillé il y a deux ans sur une réforme institutionnelle dont l’objet était d’assurer la juste place du CESE au sein de nos institutions, notamment à l’égard du Parlement. Je regrette que cette réforme n’ait pu aboutir.

Le CESE existe et doit être utile. Les périodes inédites que nous venons de traverser ont démontré la nécessité d’associer un grand nombre de nos concitoyens à la construction des décisions. Le CESE n’a pas rempli son office jusqu’à présent, au point que certaines voix s’étaient élevées pour demander sa suppression. Aujourd’hui, cette demande semble déraisonnable et contraire au bon fonctionnement de nos institutions. Si je suis attachée à la démocratie représentative, un équilibre doit être trouvé avec la démocratie participative.

L’abaissement du seuil requis pour déposer une pétition est indispensable. Nous discuterons du nombre de signataires adéquat, mais en l’état, cette procédure est inopérante.

Si l’abaissement à seize ans de l’âge requis pour les pétitionnaires ne s’accompagne pas d’un enseignement et d’une instruction civique, il n’aura pas beaucoup d’effet, ni de sens.

Ma seule réserve tient à la crainte de mélanger les genres. Le CESE n’est pas une troisième chambre et ne doit pas l’être, et j’aimerais que le garde des Sceaux nous donne des assurances sur ce point. Même au plan sémantique, il faut éviter de qualifier de troisième chambre cette instance consultative. Nous avons eu tort de ne pas suffisamment lire les avis rendus par le CESE, j’espère que cette réforme permettra de mieux travailler avec la matière qu’il produit, mais il ne doit pas être qualifié de chambre.

Mme Cécile Untermaier. Si la réduction du nombre de membres d’une institution est toujours plébiscitée, elle ne fait pas une réforme. En outre, sur le terrain, les inquiétudes relèvent du domaine sanitaire et de l’emploi, et cette réforme n’est pas la plus attendue. Je tenais à le rappeler pour que les parlementaires n’apparaissent pas comme déconnectés des préoccupations cruciales.

La réforme constitutionnelle de 2008, qui a ajouté la compétence environnementale au CES, était une première marche. Il faudrait en franchir une nouvelle, mais l’encadrement constitutionnel ne permet pas de répondre à cette demande forte.

Le CESE ne peut se contenter d’être une institution d’affichage, ripolinée à la participation citoyenne. Ses avis doivent être corrélés aux textes examinés par le Parlement, et ainsi pallier la pauvreté maintes fois dénoncée des études d’impact, inexistantes pour les propositions de loi. Les analyses d’impact des projets de loi mises en place par le législateur en 2009 pour combattre l’inflation législative sont peu convaincantes, ce qu’avait d’ailleurs souligné le CESE dans un rapport. Les études sont incomplètes, elles ne sont pas actualisées au cours de la procédure législative, et manquent souvent d’impartialité. Le président Claude Bartolone avait tenté d’y remédier avec sa proposition de modification du règlement de l’Assemblée nationale en 2014.

Faire du CESE un outil de diagnostic et de prospective serait, au regard du souci que nous portons aux générations futures, un objectif louable et utile, mais nous sommes limités par les dispositions constitutionnelles. Si cette volonté est partiellement affichée dans la loi organique, il est problématique de nous priver des universitaires qui se consacrent à la recherche fondamentale et pourraient nourrir le travail prospectif. Ils ne sont pas cités en tant que tels par la loi organique.

L’ouverture à la participation citoyenne prévue par le texte est très utile, toutes les institutions prenant des décisions ou rendant des avis publics devraient la rechercher. Cette participation ne doit pas être réservée à une seule institution, elle doit être entendue partout, y compris au Parlement. La pétition citoyenne reste du domaine du possible à l’Assemblée nationale, il est important de le rappeler. Si ces pétitions atteignent le seuil requis, elles doivent donner lieu à un rapport et un avis en séance plénière ou en commission. Nous considérons également que le seuil de 500 000 signatures doit être abaissé. Nous souscrivons à la proposition du garde des Sceaux de le porter à 250 000 ; nous avions même envisagé de le fixer à 100 000.

L’article 6 a été complété en tenant compte des observations fondées de l’Association des maires de France. Les consultations du Conseil national des normes et le Conseil des finances locales sont rétablies.

Enfin, se doter de règles déontologiques – ce n’est pas un gros mot, monsieur le garde des Sceaux – doit être une obligation pour toute institution, et le CESE ne peut y échapper. La première d’entre elles est d’imposer une déclaration d’intérêts, voire de patrimoine, aux membres rémunérés du CESE dont l’impartialité est attendue. Les magistrats soumis à ces déclarations en ont tiré un bilan positif devant la commission d’enquête sur l’indépendance de la justice, alors qu’ils étaient réticents au départ. Ces déclarations, exigées des parlementaires, des membres de cabinet, de la haute fonction publique et des autorités administratives indépendantes devraient être imposées aux membres du CESE.

Nous pouvons également nous interroger sur l’opportunité de prévoir la publication des opinions individuelles divergentes sur les avis, qui peuvent être utiles à la décision future.

M. Pascal Brindeau. Le Gouvernement justifie cette réforme par la volonté de mieux représenter la société civile dans le processus institutionnel national, et de mieux impliquer nos concitoyens dans ce processus, comme s’y était engagé le Président de la République à la suite du Grand débat national. Nous abordons ce texte avec un a priori favorable. Il ne s’agit pas de révolutionner la composition ou le fonctionnement du CESE, mais d’apporter des modifications de plusieurs ordres. Il est prévu de solliciter un avis sur la mise en œuvre d’une disposition législative ; de permettre la saisine sur pétition par voie numérique et des consultations publiques facultatives ; de réduire le nombre de membres du Conseil.

Le débat reste ouvert sur le nombre de signatures requis pour déclencher la saisine par voie de pétition. Nous proposons pour notre part de le porter à 300 000. Nous soutenons la proposition du rapporteur de veiller à la répartition territoriale des pétitionnaires ; le travail parlementaire devrait permettre d’aboutir à un équilibre acceptable par tous. Je suis plus réservé sur l’ouverture du droit de pétition aux mineurs de 16 ans, car elle entretiendrait la confusion entre la citoyenneté, marquée par le droit de vote, et la possibilité de participer à un débat public qui pourrait aboutir à des modifications législatives. Cela me semble incohérent, bien que je comprenne le souhait d’intéresser les jeunes à la vie de la nation.

Nous sommes également réservés sur le tirage au sort, dont la présentation est ambiguë. Quel avenir sera donné aux propositions réalisées lors de ces consultations citoyennes ?

Nous prenons note de la volonté de réduire le nombre des membres du CESE, mais nous sommes opposés à la rédaction de l’article 7, qui renvoie totalement sa composition à un décret. Nous sommes attachés à un équilibre entre les membres issus des différents collèges.

Enfin, cette réforme entraîne une confusion des rôles. Le Parlement est écarté de certains dispositifs, et aucune référence n’est faite aux droits des oppositions parlementaires. Comment le CESE pourrait-il devenir le carrefour des consultations publiques si son utilisation ne dépend que de la volonté de l’exécutif ? Le Parlement doit avoir sa place dans les dispositifs des avis rendus par le CESE, mais aussi dans les résultats des consultations citoyennes. Donner aux sections actuelles du CESE le nom de commissions permanentes crée une confusion avec les commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.

À ce stade, le projet ne nous convient pas totalement. Nous allons tenter d’apporter notre pierre à l’édifice par voie d’amendement pour replacer le Parlement au centre de ce processus de consultation. Je m’inquiète d’ailleurs que certains de nos amendements aient été considérés comme des cavaliers législatifs, alors qu’ils poursuivaient précisément cet objectif.

M. Bertrand Pancher. C’est une petite réforme qui est ici proposée, très loin de la révolution démocratique à laquelle nous aspirons. Elle ne permettra que très partiellement de réconcilier nos concitoyens avec les processus de décision. Généraliser la saisine du CESE ou instaurer davantage de conférences citoyennes ne suffiront pas : pour instaurer une démocratie moderne, il faut que les propositions de nos concitoyens passées par le prisme du CESE soient systématiquement examinées au Parlement.

La démocratie participative pourrait être renforcée en permettant un contrôle des études d’impact des projets de loi et de la qualité des concertations. C’est le cas dans de nombreux pays d’Europe du nord, et c’est le modèle au Parlement européen : un organisme indépendant peut demander à la Commission, au Parlement ou au Conseil de revoir leur copie si la concertation n’a pas été bonne, ou si les objectifs ne sont pas conciliables avec les moyens mis en place. Je rêve que le CESE devienne le gendarme de la concertation, mais ce ne sera pas le cas.

Le Gouvernement souhaite faire du CESE un carrefour des consultations publiques qui trouverait toute sa place dans le fonctionnement de nos institutions. Le groupe Libertés et territoires souscrit à cette volonté, car, ce n’est un secret pour personne, le CESE souffre d’un déficit de légitimité alors qu’il pourrait constituer une véritable courroie de transmission, un lien fort et efficace entre nos citoyens et la représentation nationale. Bien loin d’empiéter sur le rôle des représentants du peuple, il peut compléter notre travail de façon pertinente en renforçant la concertation. Il est donc indispensable de faire évoluer cette institution de manière ambitieuse pour donner un nouveau souffle à notre démocratie malade.

Or ce projet de loi organique paraît frileux sur de nombreux points, et incomplet sur d’autres. Nous avons donc déposé des amendements afin de donner au CESE toute sa place dans le processus démocratique de notre pays.

Il est ainsi indispensable d’abaisser le seuil permettant de le saisir par voie de pétition, comme le proposent le garde des Sceaux et le rapporteur. Pour adresser un signal fort à nos concitoyens, nous proposons de le ramener à 100 000 signatures.

Pourquoi limiter les consultations du CESE aux conférences citoyennes ? L’objectif n’est pas de créer de l’intelligence collective parmi les 150 citoyens concernés, mais au sein de toute l’opinion publique. Instaurons des consultations systématiques du public pour l’ensemble de nos textes de loi.

Nous proposions également d’introduire un droit de véto suspensif pour l’examen par le Parlement d’un texte qui lui serait soumis, mais il n’a pas été jugé recevable. C’est dommage car il aurait renforcé l’utilité du CESE.

Nous souhaitons aussi porter à 191 – au lieu de 175 – le nombre de membres du CESE, afin de créer la catégorie des membres représentant la société civile des territoires.

Notre groupe aborde ce texte de manière constructive. C’est une petite avancée. Nous espérons que vous accueillerez favorablement nos propositions tendant à renforcer le rôle du CESE.

Mme Paula Forteza. Les députés du groupe Écologie Démocratie Solidarité saluent ce projet de loi qui renforce les prérogatives du CESE en tant que chambre de la participation citoyenne. Supprimer ou affaiblir le CESE donnerait un signal inquiétant, à l’image de la décision récente du président Bolsonaro prévoyant la suppression de son équivalent brésilien.

L’expérimentation réussie de la Convention citoyenne pour le climat doit être saluée, l’inscription de ce mécanisme dans ce projet de loi organique permettra d’institutionnaliser cette pratique par le CESE.

Certains points peuvent être approfondis. La Convention citoyenne a montré que la participation est conditionnée par la disponibilité et les moyens des personnes. Nous souhaitons la création d’un statut du citoyen participant, accompagné d’une protection effective du salarié. Ce statut permettrait à tout citoyen, quelle que soit sa condition sociale et matérielle, de participer effectivement à ces conventions citoyennes.

Le processus de consultation citoyenne doit être impartial et neutre. La Convention citoyenne pour le climat a montré qu’une organisation indépendante en charge de la gouvernance et garante du processus de délibération était indispensable au bon fonctionnement de la consultation. Cette gouvernance indépendante permet d’éviter de confondre le rôle du CESE en tant que lieu d’accueil de la consultation citoyenne et comme acteur institutionnel consultatif. Il convient aussi de sanctuariser le principe de transparence des délibérations.

Des questions demeurent sur la traduction opérationnelle des conclusions rendues par ces conventions citoyennes. Le projet de loi ne prévoit pas de traduire leurs résultats en matière de politiques publiques. Le risque est donc grand qu’elles restent inaudibles et ne soient suivies d’aucune avancée concrète. Nous proposons que les résultats des consultations publiques donnent lieu à une stratégie de mise en œuvre présentée par le Gouvernement dans les six mois suivant leur publication. La Convention citoyenne pour le climat a démontré que l’impact de ces conventions repose sur un engagement clair des pouvoirs publics en amont.

Notre groupe réaffirmera son souhait d’un droit de pétition renforcé permettant aux citoyens de saisir le CESE par cette voie afin de déclencher des consultations publiques.

Nous souhaitons créer un mécanisme de révision de la composition du CESE permettant de tenir compte des grandes évolutions de la société et des corps intermédiaires. Nous proposons également la prise en compte d’un collège numérique au sein du CESE. L’économie numérique représente en effet 10 % des créations d’emplois en France mais n’est pas organisée autour de syndicats constitués conformément à la loi de 1884. De même, les travailleurs indépendants, les travailleurs au sein de plateformes ou les « travailleurs du clic » ne sont pas suffisamment représentés.

Nous souhaitons que ce texte permette une véritable réforme du CESE, par la reconnaissance du statut de citoyen participant, condition sine qua non d’un véritable exercice démocratique, par la traduction dans la loi des principes clés de toute consultation du public portée par les principaux acteurs de la démocratie délibérative, et par l’initiative citoyenne pour déclencher des conventions citoyennes. Monsieur le garde des Sceaux, quelle est votre position sur ces différents sujets ?

Mme Danièle Obono. Avec ce projet de loi organique, le Gouvernent entend faire du Conseil économique, social et environnemental un « carrefour des consultations publiques » pour mieux « éclairer les pouvoirs publics sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux » et accueillir la parole citoyenne.

Les mécanismes prévus à l’appui de ces affirmations sont en réalité bien décevants. Ils se réduisent entre autres à un tirage au sort de conseillers non permanents et de conseillères non permanentes, rendant des avis purement consultatifs, et à la transmission numérique de pétitions non contraignantes ou à la modification de la procédure d’adoption des avis rendus.

Le projet de loi organique prévoit en outre la réduction d’un quart des membres du CESE, ce qui est loin de constituer une avancée démocratique. Il propose que la consultation du CESE sur un projet de loi traitant de questions économiques, sociales et environnementales dispense le Gouvernement de procéder à d’autres consultations, évitant de ce fait celles qui pourraient lui être défavorables.

Le projet de loi organique témoigne de l’hypocrisie avec laquelle le Président de la République a fait mine d’écouter non seulement les citoyens et citoyennes, mobilisés pour la défense du climat et des retraites, mais aussi, et surtout, les « gilets jaunes » ainsi que la Convention citoyenne pour le climat. Organisées par l’exécutif pour gagner du temps, de prétendues consultations n’ont été qu’une parodie de démocratie directe. Alors que le peuple alertait sur l’urgence démocratique, sociale et écologique, le pouvoir a tout bonnement ignoré ses demandes.

Aux oubliettes la promesse d’Emmanuel Macron de faciliter le déclenchement du référendum partagé ! Au placard les principales propositions de la Convention citoyenne pour le climat, la renégociation du CETA, la taxe de 4 % sur les dividendes pour financer la transition écologique, la consultation systématique du CESE avant la rédaction de chaque projet ou proposition de loi, le renforcement de la valeur de ses avis, le tirage au sort des conseillers permanents et conseillères permanentes, la renomination du CESE en chambre de la participation citoyenne, sans omettre les propositions du groupe La France insoumise, de la mise en place d’un référendum d’initiative citoyenne à la convocation d’une assemblée constituante !

Tout cela a été balayé d’un revers de main, avec mépris, confirmant l’isolement institutionnel d’un pouvoir muré dans les oripeaux de la monarchie présidentielle. Ce maigre projet de loi organique en est malheureusement une nouvelle illustration, loin des aspirations démocratiques du peuple et des réponses que l’urgence écologique commande.

Nous avions certes déposé une série d’amendements sur ce texte. Ils ont été balayés, révoqués. Nous demandions par exemple un rapport sur la création du référendum d’initiative citoyenne, sur la simplification de la procédure pour enclencher un référendum d’initiative partagée, ou sur l’opportunité d’organiser un référendum sur les retraites et l’organisation d’une constituante.

Nous avions également proposé que soit précisé le nombre minimal de parlementaires pour saisir le CESE et qu’il permette aux parlementaires d’opposition d’engager une telle procédure. Tout cela a été considéré comme inutile, inintéressant, à côté du sujet. C’est pourtant bien le sujet !

Dans son programme et dans toutes les contributions qu’il a présentées depuis trois ans, le groupe La France insoumise soutient des propositions bien plus ambitieuses que la réforme a minima qui nous est soumise aujourd’hui, notamment l’abolition de la monarchie présidentielle avec la convocation d’une assemblée constituante ou la planification démocratique d’une bifurcation écologique et solidaire de l’ensemble de la société. Cet enjeu, qui est une des justifications de cette réforme et de la communication présidentielle, est peu pris en compte. Il ne fait pas l’objet d’une prise de conscience suffisante dans ce texte.

Or la question est éminemment démocratique. Nous ne pourrons transformer fondamentalement le fonctionnement de cette société pour faire face au changement climatique que si l’ensemble de la société s’approprie et soutient cette perspective, si une majorité de la population prend les décisions de réorganisation de nos manières de produire, d’échanger ou de nous déplacer, et si tous et toutes sont actifs et actives dans ce projet.

Les mobilisations de ces dernières années l’ont revendiqué, il faut une cohérence entre justice sociale, justice environnementale et démocratie. Pour toutes ces raisons, le texte n’est malheureusement pas à la hauteur de la situation. Comme l’a affirmé un de nos collègues, le projet de loi organique n’est pas une révolution démocratique – c’est le moins que l’on puisse dire. Cette révolution viendra : nous y travaillons ardemment.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Le mot « irrecevable » n’est pas synonyme d’inutile ou d’inintéressant. Il signifie simplement qu’en application de notre règlement, la proposition ne peut être reçue.

M. Ugo Bernalicis. Sans voie ni délai de recours !

M. Christophe Euzet. Le groupe Agir ensemble accueille avec bienveillance ce texte, qui correspond à la fois à une promesse présidentielle et à une aspiration populaire de plus en plus prégnante dans notre pays.

Le projet de loi organique repose sur une logique louable et des articulations cohérentes. Il s’agit bien de faire du CESE le carrefour des consultations populaires, d’une part en améliorant la coopération verticale, notamment en associant les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER), et, d’autre part, sur le plan horizontal, en travaillant avec les CESE européens.

Le texte améliore l’efficacité du dispositif de façon significative. Par le recours au procédé antique et médiéval du tirage au sort, il revivifie la démocratisation de l’institution. Il accélère la procédure, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.

Je prends par ailleurs acte des propositions du garde des Sceaux et du rapporteur concernant le droit de pétition, à savoir l’abaissement à 16 ans et à 250 000 personnes. Nous irons plus loin en proposant d’abaisser ce seuil à 100 000, considérant que le droit de pétition n’implique pas de portée normative et constitue une prise de pouls de la société.

Nous appelons également l’attention du Gouvernement sur deux réserves. La première, déjà émise par le Conseil d’État, est que la possibilité de demander un avis au CESE sur une disposition législative entrant dans son champ de compétences existe déjà. Par ailleurs, il serait regrettable que l’assemblée plénière, plus représentative que les sections, soit écartée de l’examen d’un projet d’avis.

Enfin, au-delà des consultations locales, on constate la multiplication du nombre de recours aux consultations populaires dans nos institutions – référendum d’initiative partagée dans le cadre de la Constitution, pétition auprès des assemblées parlementaires, dont elles ont eu à connaître à de multiples reprises depuis le début de la législature, commissions ad hoc, notamment pour le climat. En dépit des précautions que vous avez prises, monsieur le garde des Sceaux, la question de la concurrence ou de la complémentarité de ces procédures pourra être posée. Leur nombre soulève un débat dont nous ne pourrons faire toujours l’économie, celui de la conjugaison des différentes formes de la démocratie représentative ou participative.

Sous réserve de ces quelques observations et de ma proposition, nous voterons ce texte, que nous considérons comme bienvenu.

M. le garde des Sceaux. La question du nombre de pétitionnaires a été posée à plusieurs reprises. Nous savons qu’un seuil de 500 000 personnes paralyse le CESE. C’est pourquoi nous avons déposé un amendement qui le porte à 150 000 – c’est également le chiffre qu’a retenu le rapporteur.

Nous ne disposons que de peu d’éléments pour apprécier ce seuil. Réunir 500 000 personnes n’a pas fonctionné, mais, à l’inverse, le CESE ne doit pas être surchargé de pétitions. Il vous appartiendra de trancher. L’idée est de régénérer l’institution, de lui donner un souffle nouveau. À ce titre, l’abaissement du seuil des pétitionnaires paraît indispensable.

Le texte ne comprend pas d’engagement budgétaire sur le CESE, mais une réduction d’un quart de ses membres, donc des indemnités versées.

Quant à l’article 6, il n’entraînera pas une augmentation exponentielle des demandes d’avis auprès du CESE du seul fait qu’il se substituera à d’autres instances consultatives.

Le tirage au sort a été évoqué à plusieurs reprises. Il faut rappeler son succès dans le cadre de la Convention citoyenne pour le climat. Le projet de loi organique prévoit certaines mesures de contrôle, ce qui est rassurant. Certains s’interrogent sur la légitimité des citoyens tirés au sort. N’est-il pas antinomique de craindre à la fois le tirage au sort et un transfert de la représentativité qui appartient traditionnellement au Parlement ?

Le tirage au sort paraît être la bonne solution, à condition que certaines garanties soient apportées, comme c’était le cas lorsque les jurés étaient tirés au sort. Je peux vous rassurer pleinement sur ce point.

Il n’existe pas de concurrence entre démocraties participative et représentative. Chacun joue son rôle. S’agissant des consultations, nous avons tous entendu les préoccupations des collectivités locales. La substitution ne s’applique ni au Conseil national d’évaluation des normes ni au Comité des finances locales. Tel est d’ailleurs le sens de l’amendement qu’a déposé le Gouvernement.

Mme Vichnievsky a eu raison de le dire, le CESE ne doit pas être une troisième chambre – « mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde » écrivait Albert Camus. Je n’ai d’ailleurs pas employé cette expression dans mon discours. Sur ce point, comment un projet de loi organique pourrait-il dire autre chose que la Constitution ? Soyez donc pleinement rassurée, madame la députée, la Constitution vous protège d’une dérive que, naturellement, personne n’envisage, tout le monde ici veillera à l’éviter.

S’agissant de l’abaissement à 16 ans, vous n’êtes pas la seule à formuler des réserves. Si l’on constate en général une désaffection de la jeunesse pour la politique, la chose publique, et, pire encore, la République, on observe que ceux qui veulent participer leur manifestent un intérêt. Doit-on les en décourager et rejeter les jeunes bonnes volontés ?

Dans le cadre de sa réflexion, la chancellerie a relevé les nombreux droits des mineurs de 16 ans. Ils ont trait à différents domaines – droit civil, droit pénal, droit du travail, droit à retirer au guichet des sommes déposées en banque, droit de prendre part à la circulation routière. Pourquoi interdirait-on à des jeunes de 16 ans de participer à la chose publique, sachant qu’ils ne sont pas encore citoyens, mais qu’ils s’y préparent ?

Il faut les accueillir : ils peuvent et doivent nous apprendre beaucoup puisqu’ils s’intéressent à de nombreux sujets qui, parfois, nous échappent. Dans nos vies quotidiennes, nous pouvons être sidérés par les remarques d’adolescents de 16 ans. Pourquoi nous priver de ces observations fabuleuses, qui donnent un coup de jeune ? Nous ne pouvons pas envisager la jeunesse comme n’étant pas susceptible d’apporter une bouffée d’oxygène salutaire à nos réflexions. C’est aussi le sens de la réforme du CESE.

On adresse en effet souvent à la politique le reproche de ne pas s’intéresser aux jeunes, de cultiver une espèce d’entre-soi. Ouvrons les portes. Il est fantastique, audacieux et merveilleux d’aller vers la jeunesse, d’autant qu’elle attend cela de nous.

La déontologie n’est pas un gros mot – je sais pourquoi Mme Untermaier a dit cela car, comme elle, j’ai de la mémoire. Peut-on laisser au CESE le soin de rédiger ensuite les règles déontologiques qui s’appliqueront ? Je le pense. Il n’est pas utile d’alourdir la loi. Le CESE doit faire l’objet des mêmes contrôles que ceux qui régissent aujourd’hui la vie publique. Cela ne pose aucune difficulté.

Quant à l’expertise universitaire, rien n’interdit le CESE de procéder à des consultations. Je suis donc en mesure de vous rassurer pleinement, madame la députée.

Pour ce qui concerne le tirage au sort, il devra satisfaire les quatre critères de sincérité, d’égalité, de transparence et d’impartialité, également susceptibles de vous rassurer.

S’agissant enfin des quatre grandes catégories de membres, l’amendement du rapporteur vise à créer un comité, au sein duquel les parlementaires seraient majoritaires, qui pourrait proposer de faire évoluer cette répartition, ce qui est là encore de nature à vous rassurer.

Dans mon discours, j’ai évoqué la nécessité d’abaisser « au moins de » moitié le seuil de signatures pour les pétitions. L’amendement a fixé ce nombre à 150 000. Il vous appartiendra de trancher définitivement ce point. M. Pancher, à rebours de certains de ses collègues qui ont exprimé des inquiétudes – non fondées, à mon sens –, a estimé que nous n’allons pas assez loin. N’est-ce pas là le signe que le point d’équilibre a été trouvé ?

M. Bertrand Pancher. Je devine votre réponse…

M. le garde des Sceaux. La remarque s’imposait. Vous aurez bientôt l’occasion de m’adresser tous vos reproches, auxquels je tenterai de répondre.

Madame Forteza, il faut laisser au CESE la possibilité de fixer lui-même ses règles d’organisation.

L’invective ne tient pas lieu d’argument. Madame Obono, si j’ai entendu ce que vous disiez à l’endroit du Président de la République, je n’ai pas le sentiment de servir un monarque et n’entends pas entrer davantage dans le débat lorsqu’il est présenté de cette façon. Le mécanisme de subrogation de l’article 6, que vous remettez en question, permet au contraire de gagner en efficacité et de valoriser le rôle du CESE.

Enfin, je remercie M. Euzet d’avoir soutenu l’introduction du tirage au sort ainsi que l’abaissement du droit de pétition à 16 ans. Je souhaite le rassurer sur l’importance qui s’attache au rôle de l’assemblée plénière du CESE. Les différents dispositifs de participation existants ne posent aucune difficulté s’agissant de leur complémentarité ou de leur concurrence.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Chers collègues, je vous remercie pour toutes vos remarques sur le texte. J’ai déposé une vingtaine d’amendements, qui permettront d’enrichir le débat, et de répondre à vos nombreuses sollicitations et questions.

M. le garde des Sceaux a rappelé avoir fixé le nombre des pétitionnaires à 150 000. Je démontrerai demain pourquoi ce seuil est adéquat. Nous débattrons également de la possibilité de pétitionner à partir de 16 ans.

Certaines de vos propositions ont en revanche une portée supra ou infra organique. Il peut m’arriver d’être d’accord sur le fond mais nous devons nous en tenir à ce qu’il est possible de faire dans une loi organique.

M. Jacques Marilossian. Monsieur le garde des Sceaux, je vous remercie pour votre exposé et vos réponses.

L’article 4 permettra au Conseil économique, social et environnemental d’organiser des consultations publiques sur des thématiques relevant de ses compétences. Si des citoyens sont tirés au sort pour participer à de telles consultations publiques, reviendra-t-il aux services du CESE d’organiser le débat ? L’étude d’impact ne donne pas de précision à ce sujet.

Le Gouvernement envisage-t-il, systématiquement ou non, d’associer la Commission nationale du débat public, autorité indépendante créée en 1995, à l’organisation des consultations publiques du CESE ? Quel est le mode opératoire de ces consultations publiques ?

M. Arnaud Viala. Le lien entre le CESE et les CESER ne semble pas optimal. Or dans sa rédaction actuelle, le texte n’y apporte pas d’améliorations. Prévoyez-vous de les introduire par voie d’amendement ?

Un des objectifs de la réforme est de faire du CESE le carrefour des consultations citoyennes. Ne serait-il pas utile de faire en sorte d’améliorer la coordination entre les autres formes de consultations citoyennes, parfois auto-initiées, qui se font jour localement, et le travail que pourra conduire le CESE, une fois que ce texte aura été adopté ?

Enfin, le propos liminaire du rapporteur a ouvert une perspective incertaine sur une nouvelle tentative de réforme constitutionnelle, après celle qui n’a pas abouti il y a deux ans. Fait-elle partie des objectifs cachés du texte ?

Mme George Pau-Langevin. Bien que n’ayant pas d’opposition de principe à ce texte, nous sommes préoccupés de voir les corps intermédiaires diminuer, avec la suppression d’un quart des membres du CESE. Dans ce contexte, nous sommes particulièrement inquiets du sort qui sera réservé aux élus des outre-mer, lesquels disparaissent bien souvent, comme nous l’avons constaté sur les listes des élections européennes.

La situation économique des outre-mer est très préoccupante. Perdre une représentation des acteurs économiques ultramarins au sein du CESE risque d’avoir des répercussions négatives pour ces territoires. Comment assurer aux acteurs ultramarins, notamment du secteur économique, qu’ils seront suffisamment représentés dans la nouvelle chambre ?

Mme Maina Sage. La réforme vise à instituer un CESE plus inclusif, qui intègre les citoyens de manière plus systématique grâce aux consultations. Ambitieuse, elle facilite les échanges du CESE avec les autres conseils et renforce ses missions, notamment au travers des pétitions. Nous proposerons à ce titre un seuil en pourcentage de la population majeure, au lieu d’un nombre de personnes.

S’agissant des moyens dédiés, nous craignons que ces avancées ne se réalisent au détriment de la qualité de la représentation du CESE et de ses membres, donc du cœur même de l’activité du CESE, dont le rôle est d’abord de représenter la société civile. George Pau-Langevin l’a dit, nous nous inquiétons de la disparition du groupe de l’outre-mer.

J’entends que le CESE n’est pas fondé sur une représentation territoriale, mais, dans cette période de crise sanitaire, qui a des conséquences très lourdes sur les plans social et économique, il est plus que jamais nécessaire de garder une représentation forte des outre-mer. C’est un cri du cœur, monsieur le ministre. Cela passe par la conservation d’un groupe spécifique, qui, à sa création, en 1958, comptait vingt représentants, spécialistes de ces territoires. L’avancée majeure de la consultation citoyenne ne doit pas aller de pair avec un recul de l’expression des outre-mer.

Par ailleurs, les propos de M. le garde des Sceaux m’ont rassurée sur le fait que la réécriture du texte ne gommera pas le rôle donné à la jeunesse, comme il semblait le faire. Je souhaiterais qu’il en aille de même pour les délégations dédiées aux outre-mer ou aux droits des femmes, qui ne doivent pas disparaître.

M. Ugo Bernalicis. J’aimerais tout d’abord vous rassurer, monsieur le ministre : j’espère que vous ne serez pas un garde des Sceaux comme les autres.

M. le garde des Sceaux. Peut-être pire que les autres !

M. Ugo Bernalicis. Non, je ne le crois pas !

Certains des ajustements proposés sont très intéressants, notamment celui qui concerne les jeunes à partir de 16 ans, une mesure qui va dans le bon sens, puisque nous défendons pour notre part le droit de vote à partir de cet âge.

Toutefois, ces propositions auraient dû faire l’objet d’une réforme constitutionnelle ; c’est d’ailleurs ce qui était prévu initialement. Le texte s’apparente donc bien à un ripolinage : il s’agit davantage de communication politique que de mesures efficaces.

À ce propos, je souhaite évoquer un film documentaire intitulé Nous le peuple que je vous invite à voir si ce n’est déjà fait, monsieur le ministre. Nous sommes plusieurs parlementaires à y avoir participé ; Erwan Balanant, Philippe Gosselin, Elsa Faucillon. Il rend compte d’une initiative citoyenne impliquant des élèves d’un lycée, des détenus de Fleury-Mérogis et des femmes d’un quartier populaire dans la rédaction d’un nouveau préambule à la Constitution de la Ve République soixante ans après sa promulgation.

Lorsque nous avons organisé cet évènement avec eux aucun membre du groupe La République en Marche n’a voulu y participer, alors qu’il s’agit du groupe majoritaire. Il était question tout à l’heure de s’appuyer sur les bonnes volontés, mais il serait peut-être temps que tout ceci se traduise dans les actes : il faut accueillir les jeunes à bras ouverts, les inviter ici, à l’Assemblée nationale. Ce reproche ne vous est aucunement destiné, monsieur le ministre ; je m’adresse à la majorité, car nous sommes encore au stade de l’examen en commission.

Il faut donc, premièrement, regarder le film, et deuxièmement, proposer des traductions concrètes. Instaurer un droit de pétition qui n’aboutit qu’à des avis relégués dans un coin ne va pas inciter les gens à s’en saisir. Ce que veulent les citoyens, c’est participer à des actions qui aboutissent à des résultats, qui changent concrètement leur vie. J’en appelle donc à plus d’ambition. En d’autres termes, ma question est la suivante : quand la réforme constitutionnelle aura-t-elle lieu ?

Mme Laetitia Avia. Réformer le CESE pour en faire un véritable espace dédié à la participation citoyenne était une ambition du candidat Emmanuel Macron. On ne peut en effet que déplorer que nombre de nos concitoyens s’éloignent de la sphère politique et publique et des moyens traditionnels de son expression, avant tout par une abstention grandissante aux élections.

On voit pourtant de nombreux signes de la vitalité d’un engagement citoyen, d’une aspiration à une meilleure représentation de la société et à une plus grande capacité à faire entendre directement sa voix dans notre démocratie. Les dernières années l’ont particulièrement démontré, du Grand débat national à la Convention citoyenne pour le climat, dont nous pouvons saluer le succès.

Offrir davantage de lieux pour l’expression et le débat citoyens est une bonne chose. Je salue à ce titre l’ensemble des avancées inscrites dans ce projet de loi organique, pour une meilleure représentativité du CESE, plus de consultations citoyennes et une possibilité pour les jeunes de s’associer à des pétitions dès 16 ans. Elles font grandir notre démocratie, et nous ne devons pas être timorés en la matière. C’est pourquoi je regrette qu’il n’y ait pas une proportion de citoyens tirés au sort de manière pérenne dans la composition du CESE. Je note toutefois avec satisfaction que le seuil du nombre de pétitionnaires devrait être abaissé à l’issue de nos débats.

Je souhaite que nous portions un cran au-dessus la capacité du CESE à faire entendre la voix de nos concitoyens : si nous, parlementaires, représentons la nation, nous n’en restons pas moins des élus, dont la voix, le rôle, la perception restent différents de ceux des citoyens. On peut le regretter, mais c’est un fait, et nous ne devons pas en avoir peur. Renforcer l’espace qu’est le CESE davantage que ce qui est proposé ne revient pas forcément à affaiblir le Parlement ou la démocratie représentative. C’est plutôt donner à nos concitoyens davantage d’options pour croire à nouveau dans une démocratie qu’ils délaissent bien trop, et y revenir.

J’espère donc que nous pourrons faire preuve d’un peu plus d’audace, monsieur le garde des Sceaux, en déplaçant le centre de gravité, sans pour autant remettre en cause le point d’équilibre trouvé.

Mme Laurence Vichnievsky. Je souhaitais vous poser trois courtes questions, monsieur le garde des Sceaux.

La première est identique à celle de mon collègue Arnaud Viala : elle porte sur l’articulation entre le CESE et les CESER. Je suis en effet effondrée par la perte de matière intellectuelle et d’énergie positive de beaucoup de nos concitoyens qui se heurtent au fonctionnement de ces organismes.

La seconde porte sur la limite d’âge de 16 ans. En réalité, la réserve que j’ai émise ne remet pas en cause la pertinence de la démarche susceptible d’être engagée par les jeunes, cherchant même pour ma part à associer mes petits-enfants à la vie de la République. Mais nous avons débattu ce matin dans un autre cadre, avec votre collègue Gérald Darmanin et vous-même, et avons abouti à la conclusion que l’éducation était à la source de beaucoup des sujets que nous traitions. L’idée serait plutôt de systématiser le parlement des enfants et les cours d’instruction civique, qui ont malheureusement disparu de la plupart des programmes de l’éducation nationale. L’abaissement à seize ans de l’âge requis pour pétitionner doit s’accompagner d’un enseignement et d’une instruction civique.

La troisième question, qui se réfère à nos vies passées, a trait au tirage au sort. Vous nous avez assuré qu’il y aurait des garanties. J’ai à l’esprit le droit de récusation pour les jurés. Peut-être n’ai-je pas suffisamment examiné le texte, mais est-il prévu la possibilité de récuser les personnes tirées au sort, sous certaines conditions ? À défaut, quelles sont les garanties auxquelles vous pensez ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je rappelle pour ceux d’entre vous qui n’étaient pas présents que notre commission avait notamment auditionné le 8 janvier 2020 Mme Laurence Tubiana et M. Thierry Pech, co-présidents du comité de gouvernance de la Convention citoyenne pour le climat, et le professeur de droit Denis Baranger, sur le thème des nouvelles formes de participation citoyenne. Je vous invite à vous reporter à cette audition, qui était particulièrement intéressante.

M. le garde des Sceaux. Monsieur Marilossian, la meilleure des solutions est de laisser au CESE le soin de s’organiser de façon autonome, et il saura parfaitement le faire. Évitons donc d’alourdir inutilement le texte.

Quant à la relation entre CESE et CESER, qui sont organiquement distincts, le rapporteur a prévu de la fluidifier. La singularité territoriale des CESER doit être maintenue et profiter au CESE. Un amendement a été déposé qui vise à simplifier la coopération, ce qui est très important : alors que le projet initial prévoyait l’autorisation préalable des collectivités territoriales pour saisir les CESER, il est proposé une simple information de ces dernières par le CESE.

S’agissant des autres dispositifs, notamment le référendum d’initiative partagée et la Commission nationale du débat public, ils subsistent et n’ont pas vocation à être remplacés par le CESE.

Mesdames Pau-Langevin et Sage, j’entends votre cri du cœur. Soyez rassurées : le rapporteur veille aux outre-mer comme à la prunelle de ses yeux. Il a d’ailleurs déposé un amendement qui vise explicitement à prendre en compte ces territoires : il s’agit de l’amendement CL226 à l’article 7.

Monsieur Bernalicis, vous m’interrogez sur la date de la réforme constitutionnelle ?

M. Ugo Bernalicis. C’est bien cela !

M. le garde des Sceaux. Je vais consulter mon agenda et vous convoquerai à la chancellerie.

M. Ugo Bernalicis. Très bien !

M. Jacques Marilossian. Si cela ne tenait qu’à nous, elle aurait déjà été faite !

M. le garde des Sceaux. Que voulez-vous donc que je vous dise ?

M. Ugo Bernalicis. La date !

M. le garde des Sceaux. Lorsque nous avions débattu de la prorogation des mandats des membres du CESE, certains parlementaires avaient utilisé leur temps de parole pour appeler la représentation nationale, et peut-être le ministre, à un changement de Constitution. Je sais bien, si vous me passez cette formule, que c’est votre dada. Mais que voulez-vous donc que je vous réponde ? Je regarderai néanmoins le documentaire dont vous avez parlé avec beaucoup d’intérêt si vous me le faites transmettre, car je ne l’ai pas vu.

Mme Danièle Obono. Il est diffusé ce soir à vingt-deux heures quarante sur Ciné+ Club !

M. le garde des Sceaux. Je ne serai pas disponible.

Mme Danièle Obono. Des rediffusions sont prévues !

M. le garde des Sceaux. Soyez assurés que je le regarderai.

Madame Avia, je pense qu’on ne peut pas être professionnel quand on est tiré au sort. Ce sont bien deux qualités distinctes. Nous évoquions voilà quelques instants les jurés : ils sont tirés au sort affaire par affaire, et non pas pour l’ensemble d’une session. Le tirage au sort doit conserver un caractère ponctuel, car il me semble que c’est là tout son sens.

Vous aurez sans doute de riches débats sur la question, et vous connaissez à présent ma position.

Je partage votre avis sur la jeunesse, madame Vichnievsky. J’ai demandé au ministre de l’école, titre que je retiens à cet instant à dessein, d’envisager un cours d’instruction civique, outil indispensable pour remettre les choses en perspective et pour que notre jeunesse sache à quoi correspond telle ou telle institution.

Sur le tirage au sort, plusieurs mots ont été utilisés que j’ai rappelés tout à l’heure. Pour les jurés d’assises, la mise en œuvre est assez simple : il suffit de placer vingt-trois noms dans une urne. Dans le cas présent, j’ignore combien de bulletins il faudrait placer dans l’urne, et un tel tirage serait sans doute inconcevable au vu de l’échelle. Il faudrait adopter un procédé numérique assorti de garanties. On peut néanmoins dégager plusieurs critères de l’expérience de la Convention citoyenne pour le climat : le sexe, la tranche d’âge, le niveau de diplôme, la catégorie socioprofessionnelle, le type de territoire. L’objectif est que le tirage au sort soit tout de même représentatif de la population française, pour que ce soit significatif.

M. Erwan Balanant, rapporteur. M. Viala me faisait beaucoup d’honneur en me croyant capable de lui donner une réponse sur la révision constitutionnelle. Il est vrai cependant que nous aurions pu aller plus loin sur les sujets dont nous parlons en examinant un projet de loi constitutionnelle, tout en respectant les prérequis que plusieurs d’entre vous ont soulignés : la démocratie participative et la démocratie représentative doivent s’articuler, et non pas s’opposer. La première a un rôle de conseil et d’aide à la décision pour la seconde.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je vous remercie. Nous nous retrouverons demain à 9h30 pour l’examen des articles et des amendements.

La réunion s’achève à 18 heures 50.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Laetitia Avia, M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Éric Ciotti, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean‑François Eliaou, M. Christophe Euzet, M. Jean-Michel Fauvergue, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier-Cha, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Guillaume Larrivé, Mme Alexandra Louis, M. Paul Molac, Mme Danièle Obono, Mme George Pau-Langevin, M. Éric Poulliat, M. Rémy Rebeyrotte, M. Pacôme Rupin, Mme Maina Sage, M. Antoine Savignat, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Arnaud Viala, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet

 

Excusés. - M. Philippe Dunoyer, M. Mansour Kamardine, Mme Marietta Karamanli, Mme Emmanuelle Ménard, M. Stéphane Peu

 

Assistaient également à la réunion. - M. Pascal Brindeau, M. M'jid El Guerrab, Mme Paula Forteza, M. Jacques Marilossian, M. Bertrand Pancher