Compte rendu

Délégation aux collectivités territoriales
et à la décentralisation

 Audition de Mme Jacqueline GOURAULT, Ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales.                             2

 

 


Mercredi
22 Juillet 2020

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 28

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
M. Jean-René CAZENEUVE, Président

 

 


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La réunion débute à 16 heures 30.

 

Présidence de M. Jean-René Cazeneuve, président

 

 

Cette réunion ne fait pas l’objet d’un compte rendu écrit.

Les débats sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

 

http://assnat.fr/r2Pvaf

 

La Délégation procède à l’audition de Mme Jacqueline GOURAULT, Ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales.

 

M. le président Jean-René Cazeneuve. Madame la Ministre, l’actualité des territoires est dense. Le Président de la République a annoncé une nouvelle étape de la décentralisation et le Premier ministre Jean Castex est connu comme un homme des territoires, dans ses interventions et, plus encore, dans ses actes. Vous présenterez la semaine prochaine en conseil des ministres un projet de loi organique sur le droit à la différenciation pour donner un nouveau cadre aux expérimentations menées par les collectivités, projet sur lequel nous souhaiterions vous entendre.

Mais l’actualité est riche d’autres sujets comme le projet de loi « 3D », la Conférence nationale des territoires, les contrats de relance et de développement écologique et le « pack rebond » à destination des territoires d’industrie.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Nous avons transmis au Conseil d’État le projet de loi organique relatif à l’expérimentation par les collectivités locales. La différenciation devait être inscrite dans la Constitution, mais la révision constitutionnelle n’a pas été possible. À la demande du Premier ministre, le Conseil d’État a publié, en octobre 2019, une étude sur l’expérimentation qui souligne que son assouplissement favorise la différenciation.

Le projet de loi organique a pour objectif, d’une part, de simplifier l’entrée des collectivités dans l’expérimentation en supprimant les procédures d’autorisation préalable par le Gouvernement. La collectivité peut prendre une telle initiative par simple délibération, ce qui présente l’avantage de réduire d’un an, actuellement, à deux mois le délai moyen d’entrée des collectivités. D’autre part, il supprime le caractère binaire de l’expérimentation, qui devait être soir pérennisée en étant appliquée à la France entière, soit abandonnée.

Des souplesses sont en outre apportées en supprimant, entre autres, un certain nombre de rapports obligatoires.

Ce projet est inscrit à l’ordre du jour du conseil des ministres du mercredi 29 juillet. Une première lecture au Sénat devrait intervenir aussitôt après son renouvellement, en septembre. Il serait débattu en commission début octobre, puis en séance publique avant d’être transmis à l’Assemblée nationale.

Commencer par le droit à l’expérimentation est un signe fort adressé aux élus. Lorsque je rencontre leurs associations, notamment depuis la crise de la Covid-19, la nécessaire réorganisation de la présence de l’État – la déconcentration – est toujours le premier thème évoqué, puis viennent l’attachement à la différenciation – que ce texte facilitera –, enfin la décentralisation. Sans doute serait-il intéressant d’avoir un débat sur le sens donné à ce dernier terme. La décentralisation est conçue traditionnellement comme un transfert de compétences de l’État vers les collectivités territoriales, alors que les élus demandent surtout que certaines de ces compétences soient clarifiées et partagées. Je pense par exemple à la formation des demandeurs d’emploi, qui relèvent à la fois de Pôle emploi et des régions. La différenciation permettrait aussi de donner satisfaction aussi bien à la moitié des départements, qui souhaitent se voir transférer la compétence sur les routes nationales qu’à l’autre moitié, qui ne le demande pas.

La décentralisation ne peut plus emprunter les mêmes voies que lors des deux premières vagues car la situation en 1982 était celle d’un Etat très centralisé – on a oublié qu'auparavant le préfet présidait les réunions du conseil général… Au-delà des transferts, de nouvelles relations sont à inventer entre l’État et les collectivités territoriales : certaines compétences sont mieux exercées par les territoires, d’autres, régaliennes, par l’État et d’autres encore, plus difficiles, doivent être partagées. S’ajoutent enfin les compétences qui sont organisées entre les différentes strates territoriales avec un chef de filât. Des débats seraient nécessaires pour clarifier leur répartition et éviter toute compétition entre collectivités car il ne faut pas oublier que ces actions sont financées par de l’argent public et qu’il faut y être attentif.

Le Président de la République et le Premier ministre ont annoncé une nouvelle étape, suivie d’une nouvelle loi. Je ne suis pas en mesure de vous donner un calendrier précis mais on peut imaginer que la rédaction du projet de loi 3D soit finalisée à la rentrée, après un travail interministériel, ainsi qu’avec la délégation aux collectivités territoriales et la commission des lois de l’Assemblée.

Mme Christine Pires Beaune. Pourriez-vous nous dire un mot de la Conférence nationale des territoires ? Que pensez-vous par ailleurs de la tribune sur la décentralisation publiée le 15 juillet dernier par douze élus, dont moi-même, dans Le Monde ? S’agissant enfin du calendrier, y a-t-il une volonté politique d’aboutir avant les élections de mars 2021 ?

M. Charles de Courson. Certains départements sont favorables à la recentralisation du RSA, l’insertion restant de leur compétence. Seriez-vous ouverte à une telle proposition ?

Êtes-vous favorable au fait que les départements qui accepteront de se voir transférer les routes nationales fixent le taux d’une taxe poids lourds ?

On constate depuis des années la disparition de la fiscalité locale et de son corollaire, l’autonomie fiscale. Confirmez-vous le maintien de la suppression de la taxe d’habitation selon le calendrier prévu qui s’accompagne du transfert des recettes du foncier bâti au bloc communal et prive les départements de toute ressource propre, si ce n’est sous la forme d’une part de TVA ?

M. Didier le Gac. La différenciation ira-t-elle jusqu’à une possible modification de l’organisation territoriale institutionnelle, autrement dit à une fusion éventuelle entre différentes strates de collectivités territoriales ?

Quel est le calendrier de la part supplémentaire d’1 milliard d’euros de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), annoncée par le Gouvernement et fléchée vers les sujets environnementaux ?

M. Stéphane Baudu. Outre cet abondement, les agences spécialisées qui irriguent le territoire auront-elles les moyens – qui leur font pour l’heure défaut – de financer les projets en attente et susceptibles d’être engagés très rapidement ?

Bernard Perrut. Quelle est votre vision du rôle des départements dans la réforme du grand âge et de l’autonomie, qu’il s’agisse de financement, de compétences ou de responsabilité ? Quelle doit être la place des élus dans l’organisation territoriale de la santé ?

Mme Jacqueline Gourault. J’ai proposé au Premier ministre que la Conférence nationale des territoires, prévue à la rentrée, se déroule selon des modalités renouvelées au sein des territoires et que soient organisées des tables rondes thématiques ainsi que des rencontres par strate de collectivités territoriales.

La tribune parue dans Le Monde était consacrée à la proposition de résolution qui a été présentée au Sénat. Excepté trois ou quatre propositions du rapporteur, M. Éric Kerrouche, le texte répond aux préoccupations du Gouvernement. Il a d’ailleurs été adopté, car il répondait à certaines attentes des autres groupes du Sénat, qui se sont majoritairement abstenus.

J’ai la volonté de faire aboutir le projet de loi « 3D » avant mars 2021, mais j’ignore si le calendrier nous le permettra. Notre démocratie est peut-être suffisamment mature pour débattre au fond de ces sujets territoriaux, indépendamment des élections locales de 2021.

L’Association des départements de France (ADF) a donné son accord à une étude sur la recentralisation – ou la renationalisation – du RSA. Pour cela, la voie de l’expérimentation serait intéressante pour des départements volontaires.

Je suis assez d’accord en ce qui concerne la taxe poids lourds. Ainsi, nous concéderons la route nationale A35 à la Collectivité européenne d’Alsace en l’autorisant à créer la taxe écologique correspondante, ce qui évitera le report du trafic depuis la route allemande où une telle taxe est déjà appliquée.

L’effet ciseaux constaté dans le financement des politiques départementales est dramatique et les départements comme les régions doivent disposer des moyens nécessaires à leurs actions. Les régions se montrent d’ailleurs plus favorables à une part d’impôt national, assise sur la TVA, qu’à un impôt régional. Le Président de la République est très attaché à l’autonomie fiscale du bloc communal, qui doit être vue différemment de celles des départements et des régions, et doit demeurer fondée sur un impôt local. La suppression de la taxe d’habitation se poursuivra conformément au calendrier prévu, tout comme le transfert de la part de foncier bâti des départements vers les communes, une part de TVA venant compenser la perte subie par les départements.

S’agissant du projet de loi « 3D », nous n’engagerons pas de nouvelle réforme institutionnelle, à laquelle les associations d’élus sont hostiles. Dans le PLFR 3 pour 2020 adopté hier, la DSIL progresse d’un milliard d’euros. Une circulaire précisera les domaines prioritaires, mais non exclusifs, d’utilisation de ces crédits qui devraient être versés sous trois semaines, à savoir la santé, le patrimoine et la transition écologique.

Les projets des différentes agences bloqués par un manque de moyens ont été recensés par les secrétaires généraux pour les affaires régionales (SGAR) et seront intégrés au plan de relance. Ce sera le cas de la prime Rénov’ de l’Agence nationale de l’habitat. Lorsque, à ce milliard supplémentaire de DSIL, s’ajoutent les 20 % de fonds européens restant à consommer avant 2021, les 4 milliards du fonds spécifique REACT-EU accordés aux régions en faveur de la politique européenne de cohésion, le fonds européen pour une transition juste, sans parler des 40 milliards du plan de relance européen, les crédits sont si abondants, que le sujet n’est pas tant le manque de moyens que l’efficacité nécessaire pour consommer ces crédits, relancer la machine économique et éviter le chômage.

La ministre déléguée chargée de l’autonomie prépare une loi sur le grand âge et l’autonomie, dont nous avons déjà discuté avec l’ADF. Il s’agit de conforter les départements dans leur mission médico-sociale et de renforcer la place des élus territoriaux au sein du système de santé. Dans la conclusion du Ségur de la santé, le ministre de la santé a déjà annoncé une réforme prévoyant la représentation des élus territoriaux au sein des agences régionales de santé (ARS) et un renforcement de l’ARS au niveau départemental. Le rôle du département, échelon de la solidarité sociale et médico-sociale, et des élus territoriaux mérite d’être accentué. Le ministre de la santé a bien compris qu’après cette première étape, les élus et moi-même attendions les suivantes. Si la sécurité sanitaire est un domaine régalien, l’organisation du système de santé doit être partagée avec les élus. L’État et les collectivités territoriales doivent travailler ensemble, comme nous l’avons fait pour le plan pauvreté, véritable réussite de collaboration entre l’État et les départements.

Mme Patricia Lemoine. Confirmez-vous que, dans le cadre du projet de loi organique, vous permettrez aux préfets de disposer de moyens renforcés pour être au plus près des attentes des élus ?

La culture française du détail législatif a conduit à créer un monstre administratif qui s’oppose parfois à l’initiative locale. Bien souvent, les fonds européens ne sont pas utilisés en raison de la lourdeur des dossiers qui décourage les élus. Avez-vous engagé votre ministère dans une démarche très attendue de simplification des procédures afin que les élus ruraux puissent pleinement s'engager dans l’application du plan de relance ?

Mme Laurence Gayte. Comment les collectivités territoriales seront‑elles incitées à se saisir de l’objectif « zéro artificialisation nette » des sols ?

Mme Yolaine de Courson. La dotation de base par habitant de la dotation globale de fonctionnement (DGF) n’incite pas au développement raisonné des villages. Comment les villages peuvent-ils se développer sans artificialisation des sols dans le cadre de la construction de lotissements ? Le projet de loi « 3D » redéfinira-t-elle le système de calcul de la dotation globale de fonctionnement ?

M. le président Jean-René Cazeneuve. Au‑delà de la DSIL et des fonds européens, est-on prêt à accorder des moyens supplémentaires aux collectivités territoriales, directement ou indirectement ? À défaut, l’appropriation des projets par les collectivités territoriales risque de ne pas s’inscrire dans la logique de partenariat ou de co-construction qui devrait présider à de tels investissements. Jusqu’où ira la territorialisation du financement de ces projets ?

Mme Jacqueline Gourault. S’agissant du troisième D – déconcentration –, l’État a la volonté de réorganiser sa présence au sein des territoires. La sortie de crise sanitaire a bien mis en lumière le rôle essentiel des préfets de départements, dont l’efficacité a été unanimement reconnue, même si certains directeurs d’ARS ont également été plébiscités. Reconnaissons toutefois que les agences régionales de santé n’étaient pas préparées pour répondre à une crise d’une telle ampleur. Pour gagner en efficacité, leur armature doit être renforcée – ce qui n’est pas tant une question de tutelle que de moyens. Toutes les modifications que nous souhaitons apporter ne figureront pas dans le projet de loi « 3D », elles relèvent en effet du domaine réglementaire et l’État procédera par décret.

L’expérimentation de la faculté de dérogation aux préfets a été élargie à l’ensemble des départements par une ordonnance du mois d’avril. Ils ont désormais tous le droit – bien évidemment dans un cadre défini – d’adapter les règles pour ce qui concerne les décisions individuelles. Tout cela s’inscrit bien évidemment dans un cadre.

L’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) a vocation à accompagner les territoires en ingénierie dans des politiques publiques co-construites avec eux. Cet accompagnement permet de construire des projets concrets en lien avec des programmes publics tels « Action cœur de ville » ou « Petites villes de demain », qui sera prochainement officialisé.

L’artificialisation des sols est entre les mains des élus locaux, car s’il est une réglementation qui leur appartient, ce sont bien les documents d’urbanisme. Il est paradoxal qu’une ville comme Romorantin, qui participe au programme « Action cœur de ville », demande l’agrandissement de sa zone d’activité en périphérie. Heureusement, la commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) a rejeté cette demande. L’État est le garant des politiques publiques et veille à éviter la consommation de terres agricoles. C’est ce que permet le programme « Territoires d’industrie », géré par l’ANCT, avec la réutilisation des friches industrielles, comme cela est le cas pour le site Kodak à Chalon-sur-Saône.

S’agissant de la DGF, les charges d’une commune sont liées à sa population. Faut-il introduire d’autres critères pour définir les zones rurales ? Une étude de l’Insee est en cours à ce propos. La volonté de réformer la DGF est récurrente mais difficile à concrétiser. Un rapport nous a été rendu sur les zones de revitalisation rurale (ZRR), dont tout le monde souhaite l’évolution. Mais il faut garder à l’esprit qu’une telle refonte de la géographie prioritaire de la ruralité, qui accorderait davantage aux territoires qui souffrent le plus, conduira d’autres territoires à sortir du système.

Je suis persuadée que nous ne manquerons pas de financements pour les projets territoriaux. Il faut les faire avancer le plus rapidement possible. Au‑delà des projets co-construits, certains peuvent être purement communaux. Nous sommes également en discussion avec les régions pour les nouveaux contrats de plan État-Région, qui comprennent un volet territorial et dans lesquels peuvent donc s’inscrire des projets départementaux, intercommunaux et communaux. J’ai pris soin que la négociation des CPER soit intégrée au plan de relance et bénéficient à ce titre de financements spécifiques. Ce sera par exemple le cas des projets interrégionaux d’aménagement de la Loire

M. le président Jean-René Cazeneuve. La DSIL ayant un effet multiplicateur de cinq pour un, ce sont pratiquement 5 milliards qui pourront dès à présent être engagés par les collectivités locales dans leurs projets. Elles ont donc tout intérêt à se mobiliser pour bénéficier de cette manne.

Nous voyons que beaucoup de travail nous attend, vous comme nous. Nous poursuivrons notamment celui que nous avons engagés sur la différenciation, dans la perspective du projet de loi « 3D ». Nous sommes ravis que les territoires se trouvent au cœur de la stratégie de ce nouveau gouvernement et sommes tout disposés à apporter notre contribution lors des 600 jours qui sont devant nous.

Merci beaucoup.

 

La réunion s’est achevée à 17 heures 40.

 

 

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Membres présents ou excusés

 

Présents. M. Stéphane Baudu, Mme Anne Brugnera, M. Jean-René Cazeneuve, M. Charles de Courson, Mme Yolaine de Courson, Mme Laurence Gayte, Mme Catherine Kamowski, M. Jean-Claude Leclabart, M. Didier Le Gac, Mme Patricia Lemoine, Mme Monica Michel, M. Bernard Perrut, Mme Christine Pires Beaune, M. Éric Poulliat.

 

 

Excusés. Mme Stella Dupont, M. Christophe Jerretie, M. Sébastien Jumel, Mme Véronique Louwagie, M. Bruno Millienne.