Compte rendu

Commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire

 

 

 Audition, en visioconférence, de M. Dominique Pauthe, président de la Cour de justice de la République, M. Jean-Baptiste Parlos, ancien président de la Cour, Mme Janine Drai, présidente de la commission d’instruction, et M. Christian Pers, président de la commission des requêtes                            2

 

 

 


Jeudi
28 mai 2020

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 24

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Présidence
de M. Ugo Bernalicis, président


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La séance est ouverte à 11 heures 15.

Présidence de M. Ugo Bernalicis, président.

La Commission d’enquête entend, en visioconférence, M. Dominique Pauthe, président de la Cour de justice de la République, M. Jean-Baptiste Parlos, ancien président de la Cour, Mme Janine Drai, présidente de la commission d’instruction, et M. Christian Pers, président de la commission des requêtes.

M. le président Ugo Bernalicis. Nous auditionnons à présent M. Dominique Pauthe, président de la Cour de justice de la République (CJR) depuis décembre 2019, M. Jean-Baptiste Parlos, son prédécesseur à cette fonction, M. Christian Pers, président de la commission des requêtes et Mme Janine Drai, présidente de la commission d’instruction.

Cette audition est diffusée en direct sur le site de l’Assemblée nationale, puis sera consultable en vidéo ; elle fera également l’objet d’un compte rendu écrit.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. Dominique Pauthe, Jean-Baptiste Parlos, Christian Pers, et Mme Janine Drai prêtent successivement serment.)

M. Dominique Pauthe, président de la Cour de justice de la République. En créant, en 1993, la Cour de justice de la République, ses concepteurs étaient animés d’une double volonté : d’une part, dissiper le sentiment d’impunité que paraissaient assurer aux membres du Gouvernement les difficultés de mise en œuvre de leur responsabilité pénale devant la Haute Cour de justice et, d’autre part, prévenir le risque d’immixtion du judiciaire dans l’action gouvernementale ou la paralysie de cette dernière.

La loi constitutionnelle du 27 juillet 1993 a inséré dans la Constitution un nouveau titre X, intitulé « De la responsabilité pénale des membres du Gouvernement », distinct de celui relatif à l’autorité judiciaire. La Cour de justice de la République est donc une juridiction ad hoc, composée pour partie de parlementaires et pour partie de magistrats ; elle est dotée d’une commission des requêtes, chargée d’apprécier la recevabilité des plaintes.

Si l’un des objectifs des constituants était d’éviter l’immixtion du judiciaire dans l’action gouvernementale et sa paralysie, il a été atteint, mais force est de constater qu’après vingt-sept ans d’existence, la Cour de justice de la République se trouve encore sous les feux croisés de l’actualité et de la critique, comme l’avait été naguère la Haute Cour de justice. Ces critiques portent essentiellement sur la lenteur et le sens de certaines de ses décisions ; elles pointent la nécessité de rapprocher la responsabilité pénale des membres du Gouvernement du régime de droit commun, et le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique, en date du 29 août 2019, en est la dernière illustration.

Ce projet énonce le principe de la responsabilité des membres du Gouvernement, dans les conditions du droit commun, pour les actes qui ne se rattachent pas directement à l’exercice de leurs attributions, y compris lorsqu’ils ont été accomplis à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Il ajoute que les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés de crimes ou délits au moment où ils ont été commis, tout en précisant – c’est une innovation – que « leur responsabilité ne peut être mise en cause à raison de leur inaction que si le choix de ne pas agir leur est directement et personnellement imputable ».

Le projet de loi constitutionnelle envisage, dans un second temps, la suppression de la Cour de justice de la République et le transfert de sa compétence à la cour d’appel de Paris, tout en conservant le filtre de la commission des requêtes.

Dans sa configuration actuelle, l’architecture de la cour et le particularisme de son fonctionnement traduisent le souci de parvenir à une forme d’équilibre entre le judiciaire et le parlementaire. Sur le plan de la compétence, la Cour connaît des crimes et délits commis par les membres du Gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions et, si elle juge des infractions de droit commun, ce qui détermine sa compétence exclusive, c’est la qualité de l’auteur présumé de l’infraction et les circonstances dans lesquelles celle-ci a pu être commise, ce qui lui vaut d’être qualifiée de juridiction d’exception.

L’édifice de la Cour de justice de la République repose sur trois piliers : la commission des requêtes, la commission d’instruction et la formation de jugement, ce qui correspond aux trois fonctions assignées à l’institution et aux trois phases de la procédure pénale, l’exercice de poursuites, l’instruction préalable et le jugement.

L’originalité de cette juridiction réside dans son mode de saisine au travers des décisions de la commission des requêtes. S’il appartient au ministère public, représenté devant la CJR par le procureur général près la Cour de cassation, d’assurer la mise en mouvement de l’action publique, il faut recueillir l’avis préalable et conforme de ladite commission. Cette dernière est composée de magistrats issus des juridictions judiciaires, administratives et financières et d’autant de suppléants, ce qui permet à ces magistrats, rompus aux affaires pénales, au contentieux administratif et aux enjeux de finances publiques de croiser leurs regards sur les faits dénoncés. Tous sont élus par leurs pairs pour un mandat de cinq ans, et la commission est présidée par un conseiller à la Cour de cassation.

Si tout citoyen, toute personne physique ou morale, avec ou sans avocat, peut saisir la commission des requêtes en portant plainte contre tel ou tel membre du Gouvernement nommément désigné, la commission opère un filtrage, qui préserve l’action gouvernementale de toute prétention manifestement infondée ou ne répondant pas aux critères de recevabilité, en décidant du classement sans suite de la plainte. Dans le cas contraire, si les faits apparaissent susceptibles de recevoir une qualification pénale en rapport avec l’exercice de fonctions gouvernementales, la commission des requêtes en ordonne la transmission au procureur général aux fins de saisine de la commission d’instruction. Ses décisions, bien que motivées, ne sont susceptibles d’aucun recours.

La commission d’instruction, issue de la loi organique du 23 novembre 1993, est exclusivement composée de magistrats du siège de la Cour de cassation, à raison de trois membres titulaires et de trois suppléants élus par leurs pairs pour un mandat de trois ans. La collégialité de cette commission est sans doute le trait qui la distingue le plus de la juridiction de l’instruction de droit commun, en ce sens que les actes de l’instruction sont pour la plupart exercés conjointement par les trois magistrats qui la composent.

Cette commission est saisie par le procureur général près la Cour de cassation – le ministère public – sur avis conforme de la commission des requêtes. La compétence du ministère public est donc, en la matière, une compétence liée, puisqu’il est tenu, lors de la saisine de la commission d’instruction, par la qualification donnée aux faits par la commission des requêtes. Certes, le ministère public peut aussi saisir d’office la Cour de justice, mais toujours après avis conforme de la commission des requêtes.

L’instruction est soumise à la procédure pénale de droit commun, sous réserve des dispositions spécifiques à son fonctionnement, parmi lesquelles le fait, d’abord, que la commission cumule les attributions du juge d’instruction et celles de la chambre de l’instruction, la seule voie de recours possible contre ses décisions étant le pourvoi en cassation, et le fait, ensuite, que, devant elle, les constitutions de parties civiles sont prohibées. C’est donc l’arrêt de renvoi de la commission d’instruction, lui-même susceptible d’un pourvoi, décision par essence collégiale, qui saisira la formation de jugement de la CJR.

Le troisième pilier de l’édifice, sans doute le plus critiqué, est la formation de jugement, composée de trois magistrats judiciaires et de douze parlementaires, respectivement élus par leurs pairs au sein de la Cour de cassation et de leurs assemblées respectives, chaque titulaire disposant de son suppléant, ce qui n’est pas de nature à faciliter le fonctionnement de l’institution. La composition bipartite de cette formation est très nettement à l’avantage des parlementaires, même s’il faut souligner que parlementaires et magistrats professionnels sont liés par le même serment « de bien et fidèlement remplir leurs fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes et de se conduire en tout comme de dignes et loyaux magistrats ». Ils ont comme tâche essentielle de rechercher si les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis mais aussi de s’assurer que les faits reprochés dépassent la simple responsabilité politique et, le cas échéant, de déterminer la juste peine.

L’essentiel des critiques formulées par ses détracteurs à la CJR porte sur l’aboutissement des affaires dont celle-ci est saisie. Il n’est donc pas inutile de mentionner quelques données chiffrées. Depuis sa mise en place en 1993, la commission des requêtes a été saisie de 1 566 requêtes émanant de plaintes de particuliers ou d’associations ou correspondant à des saisines d’office ou demandes d’avis du procureur général suite à des décisions d’incompétence de juridictions du droit commun. La commission a émis 46 avis favorables à la saisine de la commission d’instruction ; 30 ont été rendus sur plaintes de particuliers ou d’associations, 16 sur requêtes du procureur général.

Entre 2012 et 2019, le nombre de plaintes adressées annuellement à la CJR a oscillé entre un minimum de 17 plaintes en 2018 et un maximum de 74 plaintes en 2016. En 2020, à la date 26 mai, on dénombrait 100 plaintes déposées, dont 78 étaient en rapport avec la pandémie de covid-19.

En 2018, la commission des requêtes a émis deux avis favorables à la saisine de la commission d’instruction sur requête du procureur général, mais aucun en 2019, toutes les plaintes examinées ayant été classées sans suite.

Au cours de ces vingt dernières années, la formation de jugement s’est réunie à sept reprises : elle a prononcé trois relaxes, deux dispenses de peine et trois condamnations – l’une à un an d’emprisonnement avec sursis, l’autre à trois ans d’emprisonnement avec sursis, 20 000 euros d’amende et cinq ans de privation du droit de vote et de l’éligibilité, et la troisième à un mois d’emprisonnement avec sursis et 5 000 euros d’amende. Deux affaires sont en cours devant la commission d’instruction, et une affaire est en attente de jugement. Voilà pour l’activité de la CJR, qui n’a, on le voit, aucunement entravé à ce jour l’action gouvernementale.

Cependant un regard critique peut être porté sur son fonctionnement plus que sur son statut. On peut ainsi relever, en premier lieu, une définition par trop restrictive de la compétence de la juridiction, limitée aux faits commis dans l’exercice des fonctions gouvernementales. Or il n’est pas rare que les actes susceptibles d’être incriminés débordent la stricte conduite des affaires de l’État.

En second lieu, on peut craindre que l’absence de toute partie civile soit préjudiciable à l’équilibre des débats, surtout lorsque, dans certaines affaires, le ministère public peut en venir à requérir le non-lieu, puis la relaxe, alors même que la commission d’instruction avait considéré que les charges étaient suffisantes.

En troisième lieu, l’éclatement des procédures rend délicates, au regard des droits de la défense des intéressés, les auditions des complices et coauteurs, s’ils sont poursuivis, quant à eux, devant le juge de droit commun ; ils sont alors entendus sous serment mais peuvent refuser de l’être, ce qui peut conduire à une connaissance incomplète des faits par la Cour, voire à une contrariété de décision.

Enfin, les juges sont au nombre de trente ce qui peut être un frein à l’aboutissement de la procédure, car le procès peut durer plusieurs jours voire plusieurs semaines, autant de temps pendant lequel les magistrats se trouvent mobilisés.

Dernière observation, la Cour est une juridiction autonome organiquement et statutairement. Elle dispose, outre de locaux, d’un personnel qui lui est détaché par la Cour de cassation.

M. Christian Pers, président de la commission des requêtes de la Cour de justice de la République. Les chiffres cités par le président Pauthe montrent que la commission des requêtes joue véritablement son rôle de filtre, rôle essentiel si l’on veut éviter que des plaintes fantaisistes ou sans fondement ne paralysent l’activité des membres du Gouvernement.

Elle est donc incontournable, puisque c’est elle qui apprécie, dans le cas où elle est saisie par un particulier ou une association, s’il y a lieu de classer sans suite ou de donner un avis favorable à la saisine de la commission d’instruction, tandis que, dans les cas où le procureur général se saisit d’office, celui-ci doit recueillir l’avis conforme de la commission des requêtes : c’est un cas de compétence liée, la partie poursuivante étant liée à la fois par l’autorisation de poursuites et par la qualification donnée aux faits.

Ses décisions ne sont susceptibles d’aucun recours et, contrairement à ceux des autres formations de la Cour de justice, ses membres – deux conseillers d’État, deux conseillers à la Cour des comptes et trois conseillers à la Cour de cassation – ne sont pas récusables. Il s’agit de magistrats en fin de carrière, donc aguerris, élus par les assemblées générales des juridictions auxquelles ils appartiennent et qui statuent collégialement sur toutes les décisions, ce qui constitue selon moi, une conjonction assez heureuse, dans la mesure où les magistrats de la Cour de cassation apportent leur expertise pénale – la Cour de justice, dans toutes ses formations, étant tenue par les qualifications du code pénal –, tandis que les conseillers d’État et les membres de la Cour des comptes disposent d’une parfaite connaissance de l’action administrative et des éléments financiers.

La commission des requêtes dispose des pouvoirs prévus par les articles 75, 76 et 77-1 du code de procédure pénale : elle peut ordonner des enquêtes préliminaires, des perquisitions et des expertises, faculté dont elle use assez peu – une seule fois cette année –, en raison d’un manque de moyens et d’un véritable pouvoir coercitif en la matière. La commission, enfin, statue en droit.

Je note avec satisfaction que le projet de loi constitutionnelle du 29 août 2019 ne remet en cause ni l’existence ni la composition de la commission des requêtes.

Mme Janine Drai, présidente de la commission d’instruction. Conseillère à la chambre criminelle de la Cour de cassation, j’ai été pendant quatorze ans juge d’instruction puis présidente de cour d’assises à Paris et présidente d’une juridiction correctionnelle. J’ai donc eu à traiter de nombreuses affaires, notamment de terrorisme, mais également d’autres contentieux de droit commun, ce qui me donne une vision globale du cycle d’un procès pénal.

La commission d’instruction est composée de trois magistrats, désignés, ainsi que leurs trois suppléants, par l’assemblée générale de la Cour de cassation.

Deux procédures sont en cours devant la commission. La première concerne M. Kader Arif, pour prise illégale d’intérêts et atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics. Nous avons été saisis le 24 mai 2019 par un réquisitoire du procureur de la République, après décision de la commission des requêtes ; ce dossier, sous réserve du retard pris du fait de l’interruption des auditions pendant la pandémie, devrait être terminé à la fin de l’été 2020. La seconde procédure concerne M. Éric Woerth, poursuivi du chef de concussion dans le cadre de ses activités en tant que ministre du budget. Saisis le 3 mai 2019, nous espérons en avoir terminé d’ici la fin de l’année.

J’ai par ailleurs été amenée à connaître du dossier de l’affaire dite « Lagarde », qui a abouti à un jugement, ainsi que du dossier concernant MM. Balladur et Léotard, pour lequel nous avions été saisis en 2014. L’arrêt de mise en accusation est intervenu en 2019, et la procédure est en cours d’audiencement devant la Cour de justice de la République.

Nous avons également instruit le dossier concernant M. Urvoas, ministre de la justice à l’époque des faits ayant motivé cette procédure ouverte pour violation du secret professionnel ; saisis début 2018, nous avons clos le dossier le 15 avril 2019, et il a été jugé en septembre 2019 sous la présidence de M. Parlos.

L’essentiel des critiques adressées à la commission d’instruction portent sur la longueur des procédures. Les dates que j’ai citées permettent de relativiser cette lenteur, même si j’entends que c’est un reproche récurrent fait à l’institution judiciaire, ce qui n’empêche pas qu’on considère par ailleurs qu’en comparution immédiate, les jugements sont trop rapides.

À la décharge de la Cour de justice de la République, il faut rappeler qu’elle n’est pas, en général, saisie immédiatement mais après que les juridictions de droit commun ont estimé que l’affaire relevait de sa compétence, c’est-à-dire, souvent, à la fin de l’instruction de droit commun, lorsque le rôle du ministre a été clairement défini. Si les délais s’en trouvent allongés, cela a aussi l’avantage de permettre que nous nous appuyions sur le travail effectué en amont par nos collègues de droit commun, avec lesquels nous sommes en contact permanent. Cela étant, si nous devions être saisis dans le cadre de procédures liées au covid-19, nous serions vraisemblablement saisis directement.

Je tiens ensuite à souligner un autre fait de nature à ralentir les délais, à savoir que les magistrats de la commission d’instruction doivent mener en parallèle leurs activités de conseillers à la Cour de cassation pour lesquelles ils ne disposent d’aucune décharge.

De manière générale enfin, la longueur des délais s’explique par le fait que les procédures pénales sont souvent longues, en raison des recours, du silence de certains mis en examen ou de la complexité des faits, autant d’éléments qui ne sont pas spécifiques à la Cour de justice de la République.

On pourrait imaginer que des juges de droit commun instruisent et jugent les affaires concernant des ministres poursuivis dans l’exercice de leurs fonctions, comme ils ont pu juger d’anciens présidents de la République. Néanmoins, la suppression de la commission d’instruction aurait quelques inconvénients. Je vous ferai parvenir à cet égard une note que j’avais rédigée en 2018, à l’occasion de mon audition devant la commission des lois de votre assemblée, sur la réforme de la CJR, sachant qu’il n’y a, en l’espèce, pas de réforme d’envergure possible sans modification de la loi organique, c’est-à-dire sans réforme constitutionnelle.

Pour ce qui concerne la commission d’instruction, je pense qu’il faut qu’elle demeure composée de magistrats de la Cour de cassation, d’une part parce que ces magistrats ont par nature davantage d’expérience et de recul qu’un magistrat débutant, ce qui n’est pas sans importance dans les affaires parfois très sensibles qui sont jugées devant la Cour de justice de la République. Par ailleurs, un magistrat à la Cour de cassation en est à un stade de sa carrière où le pouvoir politique a assez peu de prise sur lui, ce qui lui permettra de juger en toute indépendance.

L’autre grand avantage de la commission d’instruction, c’est la collégialité dans le traitement des dossiers. Je sais d’expérience que les juridictions de droit commun ne pratiquent pas cette collégialité sur les dossiers, car il est extrêmement compliqué de s’y plier lorsqu’on a par ailleurs une centaine d’affaires à traiter.

Une des difficultés souvent évoquées au sujet de la Cour de justice de la République touche aux affaires jugées parallèlement par la Cour de justice et la juridiction de droit commun – comme ce fut le cas pour l’affaire Lagarde. Il me semble que pour y répondre, les magistrats de la commission d’instruction devraient pouvoir, lorsqu’un ministre est mis en cause, se saisir de l’ensemble du dossier pour l’instruire, afin d’éviter que les deux procédures n’interfèrent l’une avec l’autre.

La procédure de recours devrait également être réformée. En effet, lorsqu’une personne mise en examen conteste la décision rendue par le juge, elle fait appel de cette décision et, en droit commun, le recours est alors jugé par une chambre de l’instruction. Or, devant la Cour de justice de la République, la cassation est jugée par la formation de jugement qui a rendu la décision, c’est-à-dire qu’il revient aux magistrats d’être juges de leurs propres nullités éventuelles, ce qui est aberrant. Il est donc essentiel de développer l’appel et les recours devant la Cour de justice de la République.

Ce n’est pas ce que prévoit le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique, qui transforme une juridiction spéciale en une procédure spéciale devant la cour d’appel. Or, je considère qu’il faut aligner la procédure applicable aux ministres sur la procédure de droit commun, et créer un premier degré de juridiction, un appel et un pourvoi en cassation, afin de donner aux intéressés les mêmes droits qu’aux justiciables de droit commun.

C’est en ce sens que doit être envisagée une réforme constitutionnelle, qui maintienne la commission des requêtes, comme cela est prévu, car il faut empêcher que l’action politique soit paralysée. Il faudrait en outre que ce soient des magistrats de la Cour de cassation qui président aussi bien la commission d’instruction que la formation de jugement.

Il me paraît également difficile d’admettre l’impossibilité de se constituer partie civile devant la Cour de justice de la République, et ce d’autant que de nombreuses affaires ont pu être jugées grâce à la constitution de parties civiles qui souhaitaient un jugement. On ne peut arguer du risque qu’elles abusent de leurs droits puisque la commission des requêtes est là pour l’empêcher et qu’en cas d’abus, la constitution de partie civile peut être déclarée irrecevable. Il est donc choquant de la rejeter par principe et, là encore, je plaide pour un alignement sur le droit commun.

Enfin, il y a, selon moi, trop de parlementaires dans la formation de jugement. Je ne comprends pas pourquoi les magistrats, dont le métier est pourtant de juger, y compris les politiques, y sont en minorité.

Jean-Baptiste Parlos, ancien président de la Cour de justice de la République. Conseiller à la Cour de cassation, j’ai présidé la Cour de justice en 2018 et 2019, avant d’être nommé premier président de la cour d’appel de Reims, ce qui m’a obligé à quitter mes fonctions.

Pour résumer de manière un peu triviale la problématique de la Cour de justice de la République, je dirais qu’elle donne l’impression que les affaires concernant les ministres s’y résolvent par de petits arrangements entre amis. Pour empêcher qu’il en soit ainsi, on dispose de deux leviers. Le premier est la composition de la Cour et, en particulier, de la formation de jugement, avec cette difficulté redoutable que la composition de cette dernière est inscrite dans la Constitution ; le second concerne la procédure, et s’avère d’un maniement moins compliqué car c’est un point qui relève de la loi organique.

Concernant la composition de la formation de jugement, il serait souhaitable de rééquilibrer le nombre de magistrats et de parlementaires, tout en conservant une formation bipartite : la présence de parlementaires est en effet extrêmement enrichissante pour les magistrats que nous sommes, tout comme nous leur apportons nos connaissances en droit.

En matière de procédure ensuite, il faudrait, afin d’éviter la suspicion de ces petits arrangements, qu’il existe une procédure unique applicable non seulement aux ministres mais à toutes les personnes qui sont concernées par les faits reprochés.

Sur ces deux plans, nous avons des marges de progrès. Bien que la question de la réforme constitutionnelle soit une difficulté majeure, il faudra finir par l’affronter.

M. le président Ugo Bernalicis. Ce ne sont d’ailleurs pas les membres de la Cour de justice de la République qui sont en première ligne pour demander qu’elle ne soit pas supprimée…

En matière pénale, on a créé les cours d’assises, censées incarner une justice rendue au nom du peuple français. Elles sont ainsi composées de jurés tirés au sort et consacrent l’oralité des débats. Pourquoi ne pas envisager que les responsables politiques soient également jugés par une formation de jugement incluant des citoyens, sans nécessairement en exclure les parlementaires, dont le rôle pourrait être purement consultatif et non délibérant ? Cela légitimerait l’arrêt rendu, en écartant tout soupçon de connivence. Vous suggérez pour cela de les soumettre à une juridiction ordinaire, mais nombre de citoyens nourrissent des soupçons sur l’indépendance de la justice, et c’est d’ailleurs ce qui a motivé la création de cette commission d’enquête. Ce que vous avez dit, madame Drai, à propos du summum d’indépendance qui serait atteint lorsqu’on est membre de la Cour de cassation, c’est-à-dire une fois que sa carrière est terminée, peut conduire à se poser des questions.

M. Dominique Pauthe. Nous sommes à la croisée des chemins. Les membres du Gouvernement sont responsables pénalement devant une juridiction d’exception : on sort du droit commun et de son régime procédural. Le système, tel qu’il a été élaboré par le constituant en 1993, repose sur l’idée que les faits commis, eu égard à la personnalité de leurs auteurs et aux circonstances de leur commission, relèvent d’une formation particulière faisant intervenir le politique, mais cette conception est aujourd’hui remise en cause.

Si l’on considère, pour les raisons qui ont été évoquées précédemment, qu’il faut tout rassembler dans un même contentieux, je ne vois pas ce qui s’opposerait à ce que le peuple, s’agissant d’une procédure concernant des faits commis par des membres du Gouvernement, dans le cadre de leurs fonctions ou en dehors de celles-ci, puisse intervenir d’une manière ponctuelle ou partielle, selon des modalités à définir.

Néanmoins, j’appelle votre attention sur le fait que la Cour de justice de la République est compétente aussi bien en matière criminelle que délictuelle. Si un nouveau système est adopté, y aura-t-il une uniformisation ? Si on se cale sur la procédure des assises, les citoyens pourront entrer dans la juridiction ; sinon, on en restera, sous réserve d’un éventuel échevinage, à une juridiction composée de magistrats professionnels.

Le système actuel, qui privilégie le politique par rapport au judiciaire, n’est pas forcément la solution la plus représentative, si je puis dire, de l’action pénale.

J’ai eu à juger des ministres, des premiers ministres et d’anciens présidents de la République en tant que juge de droit commun. Pourquoi considérer – mais c’est une question qui relève de la Constitution – que le juge de droit commun est compétent pour juger ces personnes lorsqu’une infraction n’est pas directement liée à l’action gouvernementale et qu’il ne l’est plus dès lors qu’on a franchi, en quelque sorte, le Rubicon ? La compétence judiciaire forme un tout. Le fractionnement actuel, ou le sur-mesure, est difficile à admettre.

Je suis loin d’être défavorable à l’échevinage, compte tenu de la nature particulière des situations. Nous constatons, en tant que juges de droit commun, que notre connaissance de l’action gouvernementale a ses limites. Il peut donc être utile d’avoir des avis extérieurs. La structure actuellement retenue me paraît cependant disproportionnée : il me semble qu’elle donne au judiciaire une part un peu inférieure à ce qu’il mérite.

M. le président Ugo Bernalicis. Beaucoup de vos collègues font des passages en administration centrale ou en cabinet ministériel. Ils n’ignorent donc pas complètement le fonctionnement du Gouvernement, même si le ministère de la Justice n’est pas représentatif de tous les ministères et de toute l’action publique.

Les parlementaires pourraient simplement donner leur avis. S’il y avait également des citoyens, il me semble qu’on obtiendrait un bon mixte.

La question de la distinction entre la matière criminelle et la matière correctionnelle se poserait, en effet, si l’on passait à une juridiction de droit commun, même s’il existe désormais des cours criminelles départementales.

M. Jean-Baptiste Parlos. Doit-on aller vers un régime qui serait purement de droit commun ou maintenir une forme de spécificité pour les faits commis par les ministres dans l’exercice de leurs fonctions ? Il faut faire un choix. Vous proposez d’en rester à un système spécifique.

Je ne vois pas du tout ce qui pourrait s’opposer à ce qu’il y ait des assesseurs non professionnels, des citoyens, dans la formation de jugement, et à ce que les parlementaires n’aient qu’une voix consultative et non plus délibérative. Il existe dans d’autres juridictions, notamment la Cour de cassation, des formations de jugement dans lesquelles certains membres n’ont qu’une voix consultative.

Même s’il ne m’appartient pas de vous défendre, je ne souhaite pas jeter une suspicion complète sur les parlementaires. Je ne suis pas aussi catégorique que vous en ce qui concerne leur participation. La justice est un tout. Il n’est pas nécessaire pour bien juger de le faire en tant que citoyen. Les juges rendent la justice au nom du peuple français parce qu’ils ont reçu de la loi un mandat. Faut-il rendre plus polyphonique l’acte de juger un ministre pour des faits commis dans l’exercice de ses fonctions ? Cela ne me paraît pas une nécessité absolue, mais c’est peut-être une idée à suivre pour écarter la suspicion.

Mme Janine Drai. J’ai présidé une cour d’assises pendant dix ans. C’est une expérience passionnante : les jurés découvrent la justice, il y a l’oralité des débats et on a du temps. Néanmoins, les procès devant les cours d’assises ont perdu leur spécificité à la suite de réformes auxquelles je suis, par ailleurs, favorable. Auparavant, il n’y avait pas d’appel possible parce qu’on considérait que le peuple ne pouvait pas se tromper et on ne motivait pas les décisions, ni quant à la culpabilité ni quant à la peine prononcée, parce qu’elles relevaient d’une intime conviction.

Je voudrais aussi rappeler qu’il y a des condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme en raison de délais déraisonnables et que nous sommes parfois obligés de remettre en liberté des personnes parce que le délai entre la première instance et le jugement en appel est trop long. Cela peut conduire à des situations dramatiques pour des victimes qui voient libérée au bout d’un an une personne condamnée à dix ans de réclusion criminelle, parce qu’elle n’a pas encore été jugée en appel. Les délais vont complètement exploser à cause de la crise du coronavirus, mais ils étaient déjà excessifs auparavant. Quant aux personnes non détenues, leur dossier passe bien après les autres : on peut être jugé dix ans après les faits et six ans après la fin de la procédure.

Malgré tout l’intérêt que j’ai éprouvé pour les cours d’assises que j’ai présidées, je suis plutôt favorable à leur suppression et au passage aux cours criminelles – avec plus de temps que pour les affaires correctionnelles, plus de juges et une certaine oralité. On ne peut plus s’offrir le luxe de multiplier les cours d’assises : il n’y a pas assez de magistrats et de salles pour réunir des jurés.

Vous évoquez la possibilité de faire juger les ministres par le peuple : nous jugeons au nom du peuple français, après avoir passé un concours. Je ne vois pas pourquoi quelqu’un qui juge des terroristes, des médecins ayant commis des fautes dans l’exercice de leur profession, des escrocs de haut vol et des délinquants sexuels ne serait pas capable de juger des hommes politiques. Nous recevons une formation initiale, puis continue, et les grandes juridictions ont des chambres spécialisées. On peut faire venir des consultants, des témoins, des hommes politiques pour comprendre comment fonctionne un cabinet ou un ministère, mais juger est un métier : réservons-le aux juges. Je suis plutôt pour un retour au droit commun.

M. le président Ugo Bernalicis. C’est aussi au Parlement d’apprécier les moyens nécessaires. Je vous rejoins en ce qui concerne l’hiatus entre la théorie et la pratique. Il est indispensable de remédier à cette situation d’une manière ou d’une autre.

M. Christian Pers. Si j’ai bien compris votre proposition, que je découvre, il s’agirait d’associer des citoyens dans les affaires criminelles.

M. le président Ugo Bernalicis. Ce n’est pas à proprement parler une proposition, mais l’idée est de faire juger les ministres par une juridiction de droit commun tout en gardant une spécificité : on associerait des parlementaires, qui auraient seulement une voix consultative, et on se calquerait sur les cours d’assises en matière criminelle, mais aussi correctionnelle. Le problème actuel est que la Cour de justice de la République rend une justice politique sur des faits politiques, même s’ils ont une qualification pénale : cela conduit à un procès en légitimité systématique de la Cour et des parlementaires qui y siègent. Une solution pourrait être d’introduire des citoyens tirés au sort, qui ne peuvent être suspectés de rien, sinon d’une incompétence limitée à la technique juridique.

M. Christian Pers. Si votre idée est de supprimer la Cour de justice de la République au profit des juridictions de droit commun, je pense qu’il faut rester dans le droit commun au lieu d’associer des personnes extérieures, notamment des parlementaires, même si c’est à la condition de leur donner un simple avis consultatif. Vous voulez supprimer une juridiction dite d’exception en créant, au sein des juridictions de droit commun, une nouvelle juridiction d’exception. Cela me paraît notamment compliqué à gérer.

Mme Janine Drai. J’aimerais revenir sur un point. Je n’ai jamais subi la moindre pression politique et je n’ai jamais connu d’obstacle à l’exercice de mes fonctions. J’en ai parlé à d’autres magistrats de ma famille : il en est de même pour eux. C’est en soi qu’on trouve son indépendance. Il y a des magistrats dont on peut se dire qu’on pourrait peut-être obtenir quelque chose, qu’ils soient en début ou en fin de carrière, mais il en existe d’autres au sujet desquels on ne se pose pas la question : on sait qu’il n’y a aucune prise possible. Ce n’est pas seulement une question de carrière mais aussi de caractère.

M. le président Ugo Bernalicis. Il a été dit tout à l’heure qu’il fallait éviter les risques de paralysie. Je pense que si un délit ou un crime a été commis, il peut être sage de paralyser une action du Gouvernement.

M. Didier Paris, rapporteur. Ce débat est passionnant, mais un peu étrange, car il est presque à front renversé. Nous sommes nombreux au Parlement, et depuis longtemps, à souhaiter une suppression pure et simple de la Cour de justice de la République, tout en gardant une forme de filtre pour éviter que le monde politique soit totalement paralysé.

Vous avez présenté la situation d’une manière très pédagogique, ce qui est très utile car cette audition est filmée : cela permettra à nos concitoyens de mieux comprendre la nature et le positionnement de la Cour de justice, qui fait l’objet de nombreux fantasmes. Elle se trouve à la jonction entre le politique, la logique de la chose publique et l’égalitarisme.

Vous n’avez pas caché vos critiques envers votre propre institution – ce n’est pas toujours ce que nous observons lors de nos auditions –, ce qui vous a conduits à évoquer des pistes d’évolution.

Je retiens que le reproche de lenteur mérite d’être nuancé. L’affaire Karachi remonte à 1995, mais la Cour n’est pas saisie depuis cette date, et on a vu récemment, dans l’affaire Urvoas, que sa lenteur pouvait être toute relative. Un délai trop important entre la commission des faits et la phase de jugement peut néanmoins susciter des soupçons dans l’opinion publique, prompte à imaginer qu’il pourrait y avoir un loup quelque part.

La problématique des recours et des appels est essentielle. Même s’il s’agit d’une juridiction d’exception, il n’y a guère de raisons d’affaiblir les droits de la défense ou la mise en œuvre de l’action publique.

L’impossibilité de se constituer partie civile et de déclencher l’action publique par cette voie, centrale dans notre droit, pose également question.

Merci d’avoir donné des éléments chiffrés. Avez-vous le sentiment, monsieur Pers – mais vous n’êtes pas tenu de répondre à cette question –, que la commission des requêtes a rejeté des demandes qu’il aurait mieux valu accepter ou qui sont ensuite revenues ?

Vous n’avez pas évoqué les médias et le regard public. Souhaitez-vous vous exprimer sur ce point ?

Vous avez en partie rectifié une de vos assertions à propos de l’indépendance des magistrats, madame Drai. Je crois que vous pourriez apporter quelques explications complémentaires. Notre commission d’enquête concerne précisément la question de l’indépendance que vous avez évoquée.

Nous venons d’étendre l’expérimentation relative aux cours criminelles départementales. Pourrait-on suivre la même logique s’agissant des ministres, c’est-à-dire faire une distinction selon la gravité des infractions ? J’ajoute qu’il existe des cours d’assises spéciales, notamment pour les affaires de terrorisme. Diverses possibilités existent en fonction du type de l’infraction et du quantum de la peine encourue.

J’ai siégé à la Cour de justice de la République, sous la présidence de M. Parlos, ce qui a été une expérience passionnante pour moi, qui suis à l’origine un magistrat de l’ordre judiciaire. J’ai été frappé par le poids du politique dans le jugement.

L’affaire Karachi, si elle arrive devant la Cour, risque de poser une vraie difficulté pour les parlementaires qui en sont membres. Nous avons passé une semaine sur l’affaire Urvoas, alors qu’un dossier de cette nature aurait pris beaucoup moins de temps en correctionnelle. L’affaire Karachi, qui est d’une complexité extrême, pourrait prendre des mois. J’aurais beaucoup de mal, personnellement, à assurer une présence constante à moins d’abandonner complètement mon action parlementaire.

Enfin, je voudrais saluer la mémoire de Claude Goasguen, décédé ce matin des suites du covid-19.

M. Sébastien Nadot. Je suis tout à fait favorable à la suppression de la Cour de justice de la République, mais il me semble que cette question n’est pas à l’ordre du jour.

Avez-vous bien conscience du fait que le temps de la justice est un paramètre essentiel quand on s’intéresse à la manière dont nos concitoyens la considèrent ? Vous nous avez dit que des instructions sont en cours au sujet de Kader Arif, ministre pendant le quinquennat de François Hollande, et d’Éric Woerth, qui l’a été sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Dans le même temps, des affaires concernant des députés qui relevaient du droit commun ont été jugées en moins d’un an. On voit que la Cour de justice de la République est une juridiction non seulement spécifique mais aussi de faveur.

Pensez-vous que les délais pourraient être significativement réduits si la Cour avait la possibilité de s’autosaisir, comme le Parquet national financier ?

Enfin, je ne comprends absolument pas, sinon sous l’angle historique, ce que font les parlementaires dans cette juridiction.

M. Christian Pers. Lorsque la commission des requêtes prend une décision de classement sans suite, qui n’est pas susceptible de recours de la part des intéressés, elle le fait en l’état des éléments qui lui sont soumis. Une nouvelle saisine, pouvant éventuellement émaner de la même personne et faisant état d’éléments nouveaux, peut venir devant la commission des requêtes, qui peut alors être d’un avis différent.

En principe, un juge ne s’autosaisit pas, même dans le cadre du droit commun, mais je vais laisser au président de la Cour de justice de la République le soin de s’exprimer sur ce point.

S’agissant de la presse, nous avons des obligations issues du statut de la magistrature, de nos règles déontologiques et de l’article 11 du code de procédure pénale, relatif au secret de l’enquête et de l’instruction.

Lorsque j’ai dit qu’il fallait éviter de paralyser l’action des membres du Gouvernement, je faisais référence au rôle de filtrage de la commission des requêtes : il s’agit d’écarter les plaintes téméraires ou fantaisistes. S’il y a des éléments très sérieux, il faut saisir la Cour de justice de la République, peu importe la paralysie qui peut en résulter.

Mme Janine Drai. Le juge ne s’autosaisit pas. Cela ne fait pas partie des principes classiques de la justice française.

J’aimerais que l’on évite de parler, s’agissant de l’affaire qui concerne MM. Balladur et Léotard, d’une « affaire Karachi », car un tel rapprochement n’a jamais été démontré par la justice. Nous avons été saisis en 2014 dans cette affaire qui va être jugée, le pourvoi contre l’arrêt de la commission d’instruction ayant été rejeté. Certains délais dans le cadre du droit commun ne me paraissent pas beaucoup plus courts. La justice est souvent assez lente : ce phénomène n’est pas propre à la Cour de justice de la République.

Celle-ci a été amenée à entendre des personnalités extrêmement importantes et en vue dans des affaires que j’ai connues sans que cela transparaisse dans la presse. Personne ne sait qui nous avons entendu, ni quand. Le secret de l’instruction est particulièrement bien préservé.

M. le président Ugo Bernalicis. Saisissez-vous aussi les services de police judiciaire dans le cadre de l’instruction ?

Mme Janine Drai. Bien sûr. Nous travaillons surtout avec les offices centraux, mais nous pouvons aussi avoir affaire aux services locaux.

La presse a parfois des éléments qui sont utiles à la manifestation de la vérité. Il nous est arrivé de convoquer à titre de témoins des journalistes qui nous ont donné des éléments sans jamais trahir le secret de leurs sources – nous ne l’avons jamais demandé. Les rapports avec la presse ne sont donc pas mauvais, bien que nous traitions d’affaires extrêmement sensibles.

M. Dominique Pauthe. Je voudrais remercier M. le rapporteur pour le message qu’il vient de nous faire passer au sujet des complications qui pourraient survenir. Nous verrons comment ces contraintes pourront être prises en compte.

Je rejoins tout à fait ce que vient de dire Mme Drai en ce qui concerne les rapports avec les médias. Ils doivent être fondés sur deux éléments : la discrétion et l’explication. Ces rapports doivent exister : on ne peut pas imaginer dans notre société que les juges soient complètement coupés des médias. Ils viennent vers les juges. La question est de savoir si les juges doivent aller vers les médias.

L’indépendance du juge est prévue par la Constitution et par la loi, mais elle relève aussi d’un travail intérieur au quotidien. L’indépendance se traduit dans les décisions du juge et dans son comportement. La perception que le justiciable en a est importante. Je crains d’avoir enfoncé quelques portes ouvertes, mais il convient parfois de rappeler des évidences.

M. Jean-Baptiste Parlos. Je pense que si les juges ont leur mot à dire en ce qui concerne l’application du droit – et ils peuvent aller très loin en la matière, y compris en prenant des positions innovantes pour faire avancer le droit et faire évoluer la société –, la question de la réforme de la Cour de justice de la République relève d’un choix de société qui appartient au Parlement.

Trois voies sont possibles : garder un système d’exception, revenir complètement dans le giron du droit commun ou créer une sorte de mixte entre les deux, en prévoyant une composition ou une procédure particulière. Je pense qu’il faut tendre vers un retour au droit commun, mais que ce n’est pas incompatible avec une composition ou une procédure qui serait jugée plus acceptable. Il faut notamment résoudre la question du double degré de juridiction.

Le problème du temps est commun à toute la justice : cela ne concerne pas seulement la Cour de justice de la République. Certains considèrent que la question du temps est liée à un problème de moyens qui est lui-même une manière de soumettre l’institution judiciaire – on lui donne peu de moyens d’action. C’est aussi un choix de société : tout ne se résume pas à un problème de moyens, mais il appartient au Parlement de dire ce qu’il veut faire de la justice et de fixer un budget en fonction des résultats souhaités.

Il n’y a pas eu de public lors du procès de M. Urvoas – seuls quelques journalistes spécialisés étaient présents. Il existe une distorsion entre la résonance donnée à certaines procédures et ce qui se passe au moment le plus important, qui est celui du jugement.

Les rapports entre la justice et les médias sont multiples et très complexes. Je crois qu’un rapport sur le secret de l’enquête et de l’instruction a été remis…

M. le président Ugo Bernalicis. Didier Paris était d’ailleurs un des rapporteurs de cette mission d’information.

M. Didier Paris, rapporteur. Merci à tous. C’est un débat fondamental que nous devrions avoir au Parlement. Il faut que les hommes politiques soient traités comme tout le monde, mais pas moins bien. Ils ne doivent pas être mis en accusation de manière permanente. J’ai l’impression que la Cour de justice est une espèce d’îlot un peu protégé dans un monde qui l’est beaucoup moins, compte tenu du déferlement médiatique, qui peut se révéler d’une violence extrême, lorsqu’il est question d’infractions qui auraient été commises par des politiques n’appartenant pas au Gouvernement.

Votre institution est à la fois très critiquée et très respectée, ce qui n’est pas une contradiction. C’est aussi par les moyens qui sont accordés, vous avez raison, qu’on peut assurer l’indépendance dont la justice a impérativement besoin dans la période actuelle.

M. le président Ugo Bernalicis. Je vous remercie vivement à mon tour.

La pandémie a conduit à un plus grand nombre de plaintes, vous l’avez indiqué, et la Cour de justice de la République fera aussi l’objet d’une plus forte attention. Il en ressortira peut-être quelque chose sur le plan législatif, à un moment ou à un autre.

En ce qui concerne le procès de M. Urvoas, que nous avons auditionné hier, nous souhaiterions avoir connaissance du contenu des débats.

M. Didier Paris, rapporteur. Je suis également très désireux d’avoir le document que vous avez évoqué tout à l’heure, madame Drai.

Mme Janine Drai. Je vais vous l’envoyer.

M. Jean-Baptiste Parlos. S’agissant de M. Urvoas, que souhaitez-vous exactement ? Est-ce l’arrêt ?

M. le président Ugo Bernalicis. Je voudrais accéder aux débats.

M. Jean-Baptiste Parlos. Il y a des notes d’audience, prises par le greffier, mais pas de procès-verbal intégral comme au Parlement. M. Urvoas les a eues. Le procureur général près la Cour de cassation, M. Molins, pourra également vous les fournir sans difficulté. Pour ma part, je peux vous communiquer l’arrêt.

M. Didier Paris, rapporteur. La commission des Lois a ce document : nous l’adresserons directement aux membres de la commission d’enquête.

 

La séance est levée à 12 heures 55.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Aurore Bergé, M. Ugo Bernalicis, M. Vincent Bru, M. Sébastien Nadot, M. Didier Paris, M. Antoine Savignat, Mme Cécile Untermaier