Compte rendu

Commission spéciale
chargée d’examiner
le projet de loi instituant
un système universel de retraite et le projet de loi organique relatif au système universel de retraite

– Audition de M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites 2

– Présences en réunion.................................43

 

 

 

 

 

 

 

 


Mardi
28 janvier 2020

Séance de 21 heures

Compte rendu n° 2

session extraordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Brigitte Bourguignon, présidente


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COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE DEXAMINER
LE PROJET DE LOI INSTITUANT
UN SYSTÈME UNIVERSEL DE RETRAITE

Mardi 28 janvier 2020

La séance est ouverte à vingt-et-une heures.

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La commission spéciale procède à laudition de M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, notre commission spéciale débute ses travaux. Comme il se doit, nous commençons par une discussion générale sur les deux projets de loi qui nous ont été envoyés.

Nous organiserons, demain matin et demain après-midi, deux tables rondes : l’une avec les organisations patronales, l’autre avec les organisations syndicales. Le soir, nous recevrons le président du Conseil d’orientation des retraites et celui du Comité de suivi des retraites.

Nous entendons ce soir M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Je lui souhaite la bienvenue.

Réuni cet après-midi, le bureau de la commission spéciale a décidé que chaque rapporteur disposerait de 3 minutes, puis chaque groupe de 5 minutes. M. le secrétaire d’État répondra à cette première série d’interventions, puis les autres collègues pourront poser leurs questions, pour une durée d’une minute chacun.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Je tiens tout d’abord à vous remercier de votre accueil et de me permettre de vous présenter les projets de loi organique et ordinaire instituant un système universel de retraite, dans le prolongement de leur présentation en Conseil des ministres vendredi dernier. Je tiens aussi à vous dire, en préambule, que je suis très heureux de vous retrouver pour démarrer les travaux de votre commission spéciale, car je sais que le débat que nous allons avoir ensemble sur la mise en œuvre du système universel de retraite est plus qu’attendu – par les Français, bien sûr, mais aussi par vous, mesdames et messieurs les députés, qui êtes la représentation directe de nos concitoyens. Après le temps de la démocratie sociale – même si celui-ci va perdurer – et de la concertation que le Gouvernement a menée depuis deux ans avec les partenaires sociaux et, au-delà, avec les citoyens, nous entrons dans le temps de la démocratie parlementaire, de la discussion sur le fond du projet de réforme.

Conformément à l’engagement pris par le Président de la République devant les Françaises et les Français dans le cadre de son programme, il s’agit de construire la protection sociale du XXIe siècle et de refonder notre système de retraite pour faire en sorte qu’il soit plus juste, plus solide et plus adapté aux transformations du monde du travail de demain. Devant l’ampleur de cette mission qui touche d’abord et avant tout à la refondation de notre pacte social, nul doute que les débats que nous serons amenés à avoir entre nous seront intenses et exigeants. Ils pourront également être vifs, parfois, mais je les souhaite respectueux des positions de chacun et dans l’écoute – je m’y emploierai. C’est, je crois, ce que nous devons à nos concitoyens, avec l’ambition de leur proposer un débat éclairé – c’est également votre volonté, madame la présidente, et celle de tous les membres de cette commission spéciale.

Vous le savez, aucune autre politique publique, sans doute, n’a donné lieu à autant de travaux que la réforme des retraites. En 1991 déjà, dans sa préface au Livre blanc sur les retraites – ouvrage qui a fait date –, Michel Rocard nous disait déjà : « Le contrat entre les générations doit être en permanence réactualisé. » Il nous fixait trois devoirs s’agissant de la retraite, que je veux partager avec vous ce soir : veiller au maintien du pouvoir d’achat des retraités ; préserver les bases de la solidarité entre les générations ; enfin, dans un esprit d’équité, penser à ceux ayant eu les carrières les plus longues sans que celles-ci aient connu d’accélération, pour qui un calcul sur l’ensemble de la carrière est moins pénalisant.

Au fil de ces travaux et des réformes précédentes, les gouvernements successifs et les partenaires sociaux ont eu à prendre des décisions importantes, parfois difficiles, pour contribuer à équilibrer notre système de retraite. Force est de constater qu’en dépit de ces efforts, notre système de retraite reste injuste, complexe, peu lisible et, plus que tout, inadapté à la réalité de notre société, de nos nouveaux modes de vie et de nos parcours professionnels, inadapté aux nouvelles précarités et aux défis de demain.

Parmi les très nombreux défauts du système en vigueur qui justifient la création d’un système universel, on peut ainsi relever, d’abord – sans que ce constat soit exhaustif ou réducteur –, une grande complexité administrative, inhérente à une organisation en deux étages avec quarante‑deux régimes. L’illisibilité du système est induite par des jeux de règles aussi nombreux que le sont les régimes, et compliquée par l’inévitable règle de coordination entre les différents régimes. Personne, sur le fond, ne peut avoir une vision claire et simple de sa retraite tout au long de sa carrière.

La redistribution est en réalité inversée, et le système est injuste pour les plus précaires. Favorable aux carrières longues et ascendantes, comme je le rappelais cet après‑midi dans l’hémicycle, au détriment des carrières courtes et heurtées, le système actuel de retraite creuse les inégalités, notamment entre les femmes et les hommes, en maintenant un niveau de pension inférieur de 42 % en moyenne pour les femmes à celui des hommes, et en conduisant chaque année 20 % d’entre elles, contre 9 % des hommes, à devoir atteindre 67 ans pour partir à la retraite sans décote. Non seulement notre système actuel ne corrige pas les inégalités de parcours et de vie professionnelle, mais souvent il les aggrave lorsque nos concitoyens sont à la retraite. Les taux de rendement sont très différents d’un régime à l’autre : ils peuvent communément varier du simple au double, et sont source d’égoïsme catégoriel, en opposition aux solidarités interprofessionnelles.

L’inadaptation, je le disais en préambule, est de plus en plus profonde au regard de notre modèle social et économique. Construit sur des logiques de statut ou d’appartenance à telle ou telle entreprise, le système peine à suivre les évolutions des parcours professionnels actuels. Les mécanismes de solidarité qu’il promeut, notamment envers les familles, sont en outre concentrés sur les familles de trois enfants, au détriment de toutes les autres, et bénéficie pour un tiers aux hommes, alors que les préjudices de carrière subis affectent avant tout les carrières des femmes. De ce fait, nos concitoyens ont perdu confiance dans le système de retraite, en particulier les jeunes, qui ne croient plus toujours que la solidarité intergénérationnelle jouera aussi pour eux le moment venu.

Vous le voyez, la transformation de notre système de retraite est un véritable enjeu social, un véritable enjeu de démocratie. Il s’agit de moderniser les règles de retraite pour les adapter au monde d’aujourd’hui et de leur donner la plasticité, l’agilité pour les adapter à ce que sera la réalité du monde de demain. Il s’agit également de proposer un cadre commun à tous les Français, de construire un régime à la fois pérenne et solide, qui renforce l’équité entre les générations, protège mieux les plus fragiles, restaure la confiance et redonne la valeur au travail.

Cette refondation doit préserver le cadre auquel sont profondément attachés les Français – celui d’un système de retraite par répartition, fondé sur la solidarité entre les générations, où les actifs d’aujourd’hui financent par leurs cotisations les retraites d’aujourd’hui, car tenant compte des carrières de chacun, mais aussi en garantissant un niveau élevé de solidarité, afin de renforcer notre cohésion nationale. Avec le projet de système universel, c’est donc un nouveau pacte entre les générations que le Gouvernement entend proposer. Ce projet est porté par l’ambition de justice sociale et fidèle dans son esprit aux valeurs fondatrices du projet conçu par le Conseil national de la Résistance pour l’après-guerre, appelant à « laménagement dune vaste organisation nationale dentraide » qui, pour atteindre sa pleine efficacité, devrait présenter « un caractère de très grande généralité à la fois quant aux personnes quelle englobe et quant aux risques quelle couvre ».

Force est de constater que cette ambition universelle, pourtant clairement affirmée, a reculé sous le poids de chacune des solidarités professionnelles, pour finalement aboutir à la mise en place de nos quarante-deux régimes de retraite, qui, pris individuellement, se révèlent par construction plus vulnérables aux incertitudes du lendemain, car personne ne peut garantir l’avenir de sa profession – qu’il s’agisse de son statut, de son périmètre, de sa démographie prévisible, ou des manières de l’exercer –, ni prévoir ce que seront la croissance économique, l’évolution du monde salarial, l’inflation, les nouvelles formes d’activité, ou encore l’impact sur l’économie des contraintes environnementales et technologiques. De même, le vieillissement rapide de nos sociétés, les fragilités sociales, une anxiété grandissante à l’égard du futur nourrissent les interrogations quant à la solidité de notre protection sociale. Voilà tous les défis auxquels il nous faut répondre. C’est pour cela que nous voulons bâtir un système de répartition plus fort, parce qu’il reposera sur la solidarité de tous ; plus simple, parce que chaque euro gagné comptera et que chaque euro cotisé ouvrira les mêmes droits, quel que soit le statut ; plus juste, parce que les règles seront les mêmes pour tous.

Si un système de retraite ne peut corriger complètement les inégalités qui affectent les parcours professionnels et les parcours de vie, il doit cependant prendre toute sa part à leur résorption. C’est pourquoi le système universel conservera le même niveau de solidarité, pour continuer à éviter que les inégalités entre actifs se reflètent totalement et trop fortement dans les écarts de pension entre retraités, en particulier, comme je le rappelais encore à l’instant, entre les femmes et les hommes.

Avant de présenter ce projet de loi, et parce que le dialogue social est au cœur de son action, le Gouvernement a souhaité mener avec méthode, durant près de deux ans, une concertation particulièrement approfondie avec les partenaires sociaux. À l’issue de ce processus, un premier rapport a été remis le 18 juillet par le haut-commissaire Jean-Paul Delevoye au Premier ministre, lequel, lors d’un discours prononcé le 12 septembre dernier devant les membres du Conseil économique, social et environnemental, a ouvert un nouveau cycle de discussions portant sur quatre grands thèmes : les mécanismes de solidarité ; les conditions d’ouverture des droits à pension ; les conditions de l’équilibre en 2025 et les modalités de pilotage et de gouvernance du futur système ; les modalités de transition des quarante-deux systèmes existants vers le système universel futur et les garanties pouvant être offertes aux personnes en activité. Ces discussions, je voudrais le rappeler, ont donné lieu à plusieurs centaines d’heures de réunion, que ce soient des réunions bilatérales avec les organisations syndicales – il y en a eu 71 –, ou des réunions bilatérales sectorielles – au nombre de 109. Ces réunions ont d’ailleurs encore vocation à se poursuivre, vous le savez, sous la forme de concertations sectorielles qui permettront notamment de préciser un certain nombre de transitions, afin de garantir que chaque profession entre dans les meilleures conditions dans le système universel de retraite.

En parallèle de la concertation avec les partenaires sociaux, une consultation directe des Français a été lancée par le Président de la République, pour prolonger et amplifier la dynamique de participation citoyenne engagée depuis 2018, et pour permettre à tous ceux qui le souhaitent de s’informer, d’exprimer leurs attentes, leurs inquiétudes et leurs questions autour d’un nouvel enjeu central : l’élaboration du projet de loi. Deux démarches ont en particulier guidé ce processus de concertation au service du débat public : la mise en place d’une plateforme en ligne, qui a permis de recueillir plus de 60 000 contributions, et l’organisation de nombreux débats dans les territoires avec des membres du Gouvernement venus à la rencontre de nos concitoyens. Ces concertations ont conforté la conviction du Gouvernement qu’il est nécessaire de rassembler les Français autour des trois principes qui forment le cœur du projet de système universel de retraite, sur lesquels je me propose de revenir.

Le premier principe est l’universalité. Celle-ci sera la garantie d’une protection sociale plus forte et plus durable, parce qu’elle ne dépendra plus de la démographie de chaque profession et assurera aussi une plus grande liberté et une meilleure mobilité professionnelle. Le système universel fonctionnera par points, comme c’est d’ailleurs déjà le cas pour de nombreux régimes existants, à commencer par celui des retraites complémentaires des salariés du privé, à savoir l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) et l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO). La valeur du point – thème qui a fait l’objet de nombreux échanges – ne pourra pas baisser ; nous l’avons dit et nous l’avons écrit. Elle sera fixée par les partenaires sociaux, sous votre contrôle. Ce système couvrira toutes les personnes ayant une activité professionnelle en France et, à cotisation égale, leur garantira les mêmes droits. C’est bien là tout le sens de l’universalité. La génération 2004, qui aura 18 ans en 2022, sera la première à intégrer le système universel de retraite, qui ne concernera ni les retraités actuels ni les personnes à moins de 17 ans de leur retraite. Le nouveau système régira par ailleurs, pour tous les autres Français, uniquement les années travaillées à partir de 2025.

Le deuxième principe est l’équité et la justice sociale. Pour faire en sorte de marquer toute la solidarité de notre pays vis-à-vis des Français les plus fragiles, le Gouvernement a fait le choix de créer la garantie d’une pension minimale de retraite de 1 000 euros dès 2022 et de 85 % du SMIC net pour une carrière complète à partir de 2025. La reconnaissance du travail est au cœur du système universel de retraite. S’il est normal que la retraite soit le reflet des carrières professionnelles, il est aussi normal de garantir qu’une retraite minimale soit donnée à ceux qui ont travaillé toute leur vie. La revalorisation du minimum de pension du régime général sera un progrès social majeur pour des milliers de Français : le système actuel de retraite conduit à ce que 38 % des femmes et 22 % des hommes perçoivent une pension inférieure à 1 000 euros par mois et garantit un minimum de retraite à seulement 81 % du SMIC pour les salariés et 75 % du SMIC pour les agriculteurs. Pour toutes ces personnes, et pour de très nombreux indépendants, ce sera donc une avancée immense.

Assurer l’équité et la justice sociale, c’est aussi faire en sorte que le bénéfice du minimum de retraite soit accordé à partir de l’âge du taux plein en abaissant l’âge d’annulation de la décote. Ainsi, ceux qui ont durablement travaillé à temps partiel, ceux qui ont connu des carrières heurtées, ne seront plus pénalisés avec le système universel. Comme je le rappelais tout à l’heure en introduction, ce sont souvent des femmes qui sont concernées : chaque année, 80 000 d’entre elles sont obligées d’atteindre 67 ans pour bénéficier de ce mécanisme de solidarité car elles ne comptabilisent pas suffisamment de trimestres travaillés.

L’équité suppose également d’harmoniser les dispositifs de solidarité et de mettre ainsi fin aux inégalités, par exemple en matière de droits familiaux avec la mise en place d’un dispositif unique de majoration en points de 5 % accordée par enfant, dès le premier enfant.

Grâce à des règles plus simples et unifiées, le système universel favorisera, par ailleurs, l’égalité de traitement de tous, puisque chaque euro cotisé conduira à l’acquisition du même nombre de points pour tous, et de valoriser l’ensemble des périodes d’activité, puisque chaque heure travaillée ouvrira des droits. De même, le barème des cotisations de retraite devra, à terme, s’appliquer de manière identique à l’ensemble des assurés, qu’ils soient fonctionnaires ou salariés des régimes spéciaux, et sera similaire à celui que connaissent actuellement les salariés du privé.

Le troisième principe est la responsabilité, en premier lieu celle des acteurs. Elle suppose que, dans le cadre de la trajectoire définie par le Parlement et le Gouvernement, les partenaires sociaux soient pleinement responsables de la détermination des paramètres assurant le bon fonctionnement du régime universel à moyen et long termes. Il s’agit là d’affirmer notre confiance dans la capacité du dialogue social à construire une démarche concertée, essentielle face à l’enjeu que constitue pour nos concitoyens la retraite.

Cette gouvernance renouvelée accorde aussi une place plus importante aux parlementaires.

M. Sébastien Jumel. Avec vingt-neuf ordonnances ?

M. le secrétaire dÉtat. Comme vous le savez, il y a encore très peu de temps, je siégeais parmi vous lors de l’examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Or, soyons honnêtes : nous savons bien qu’il n’y a pas de comparaison entre les débats qui ont lieu à propos de l’assurance maladie et de la santé et ceux qui portent sur les retraites, aujourd’hui limités au seul régime de base. Demain, les parlementaires que vous êtes auront un véritable droit de regard sur le pilotage du système en lien avec la gouvernance. C’est une évolution importante. Vous aurez également à définir la nature et l’ampleur des dispositifs de solidarité, ce qui constitue là encore un changement très important.

La responsabilité, c’est aussi d’être lucide quant à l’évolution de notre démographie. Fidèle à l’engagement du Président de la République, le Gouvernement ne reviendra pas sur l’âge légal de départ à la retraite, qui sera maintenu à 62 ans. Le Gouvernement souhaite en effet laisser à chacun, en fonction de son parcours, la liberté de choix (Protestations)...

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. S’il vous plaît ! Chacun aura l’occasion de s’exprimer.

M. le secrétaire dÉtat. ...tout en incitant les Français, sans les y forcer, à travailler un peu plus longtemps, et cela dans le but de garantir les pensions et de financer un niveau élevé de solidarité. En effet, le projet de système universel comporte, dans sa construction même, un effet fortement redistributif, et conservera le même niveau de dépenses de solidarité que le système actuel. Nous l’avons dit : le projet de système universel inclut de très nombreux mécanismes de solidarité mieux adaptés à la réalité de notre société et de nos parcours professionnels, mais aussi aux nouvelles précarités, et destinés à éviter que les aléas de la vie professionnelle et personnelle aient un impact trop significatif sur la retraite. C’est tout le sens, notamment, de la mise en place d’une pension minimale, que j’évoquais, dont le niveau est de 85 % du SMIC net pour une carrière complète. C’est aussi le sens de l’harmonisation des dispositifs de solidarité, qui met fin aux inégalités, par exemple en matière de droits familiaux ; de l’indexation des points acquis sur les salaires et non sur l’inflation ; de la prise en compte de la pénibilité des carrières longues – dans les mêmes conditions, d’ailleurs, je le rappelle, que le système actuel – ; de la prise en compte également de certaines spécificités, non plus selon une logique de statut ou en raison de l’appartenance à telle ou telle entreprise, mais selon une logique de métier, car le système universel n’est pas pour autant un système uniforme, ce que nous assumons parfaitement. Enfin, l’harmonisation des régimes de réversion et la protection du conjoint le plus fragile, en lui garantissant 70 % du total des retraites de son couple dès 55 ans et sans condition de ressources, vont aussi dans le sens d’une solidarité renouvelée.

Responsabilité, enfin, à l’égard des jeunes générations, auxquelles il serait irresponsable de demander de payer, en plus de nos retraites, les déficits que nous aurions accumulés parce que nous n’aurions pas voulu payer la totalité des retraites de nos aînés. Le système universel de retraite doit répondre à un objectif de soutenabilité et d’équilibre financier, garantissant sa solidarité, sa solidité, sa stabilité et sa viabilité. À cet effet, la conférence sur l’équilibre et le financement des retraites sera installée par le Premier ministre à la fin de cette semaine, jeudi, et remettra d’ici à la fin du mois d’avril ses propositions pour assurer l’équilibre du système de retraite d’ici à 2027.

Après vous avoir présenté de façon générale les grands principes et la philosophie même du système universel de retraite, je souhaiterais brièvement, et avant de répondre à vos questions, vous présenter plus en détail quelques-uns des dispositifs contenus dans les deux textes que nous allons examiner ensemble.

Le projet de loi organique comprend, comme vous le savez, trois types de mesures. Premièrement, les lois de financement de la sécurité sociale prévoiront l’équilibre du système de retraite par périodes de cinq années glissantes et définiront, le cas échéant, le traitement des déficits accumulés en cas d’écart entre la trajectoire initiale et les réalisations. Deuxièmement, nous avons élargi le champ des lois de financement de la sécurité sociale aux régimes complémentaires, qui en sont aujourd’hui exclus, afin de créer une vision globale des recettes et des dépenses du système de retraite et d’en mesurer globalement les effets – c’est l’objet de l’article 2. Troisièmement, le projet de loi organique ouvre le champ du système universel à des catégories de personnes dont l’affiliation relève de la loi organique, notamment les parlementaires, les membres du Conseil constitutionnel et les magistrats. Tel est l’objet des articles 3, 4 et 5 du projet de loi organique.

Le projet de loi ordinaire, quant à lui, comporte 65 articles. Il est organisé en cinq titres. Le titre Ier précise les grands principes du nouveau système ; c’est ce titre qui construit l’universalité et qui rappelle que le système universel reste un système par répartition. Il détaille son architecture juridique et précise les principaux paramètres en matière de cotisations et d’acquisition et de calcul des droits. Il prévoit la création d’un âge d’équilibre, destiné, comme je vous le disais, à inciter les Français, sans les y contraindre, à travailler un peu plus longtemps, tout en maintenant un haut niveau de pension. C’est également dans ce titre que se trouve l’engagement de revalorisation que nous avons pris envers les enseignants et les enseignants-chercheurs – engagement que je réaffirme ce soir.

Le titre II traite des modalités de départ en retraite. Il fixe à 62 ans l’âge d’ouverture des droits. C’est là que nous retrouvons les questions d’âge, de retraite progressive, de cumul emploi-retraite, de pénibilité et de départ anticipé. Il prévoit aussi les conditions d’ouverture des droits, notamment l’harmonisation des dispositifs de départ anticipé, ainsi que les modalités de transition entre l’activité et la retraite. À cet effet, il garantit la prise en compte des situations spécifiques au regard de l’âge de départ. Ainsi, comme je le rappelais, le dispositif de carrières longues, avec un départ en retraite dès 60 ans, sera maintenu, tout comme le départ anticipé entre 55 et 59 ans – selon les cas – en cas de handicap, et le départ anticipé au taux plein à l’âge légal en cas d’inaptitude.

Le titre III prévoit quant à lui les mesures de solidarité renforcée du système universel de retraite. Il est ainsi prévu, comme vous le savez, d’instaurer un minimum de retraite à 85 % du SMIC net pour une carrière complète, à travers les articles 40 et 41. Il est également prévu la prise en compte des interruptions subies de carrière. Ainsi, les périodes de congé de maternité, de maladie, d’invalidité et de chômage permettront d’acquérir des points qui auront la même valeur que les points travaillés. On trouve également dans le titre III la question des aidants, celle des droits familiaux et de la réversion. Les droits familiaux et la réversion sont, d’ailleurs, profondément modifiés par le texte. S’agissant des enfants, le projet recentre le dispositif sur les préjudices de carrière et organise une meilleure répartition des droits envers toutes les familles. La réversion est remaniée et devient une garantie de niveau de vie pour le conjoint survivant à partir de 55 ans et sans condition de ressources.

J’en viens au titre IV, qui organise la gouvernance du système universel. Il décrit l’architecture organisationnelle et financière du nouveau système et son pilotage, qu’assurera la Caisse nationale de retraite universelle (CNRU), qui sera mise en place dès le mois de décembre. S’y retrouve donc fort logiquement tout ce qui concerne la création de cet établissement public, la gouvernance des différentes professions, l’intégration financière, tout comme la question importante des réserves. C’est le titre IV qui matérialise de profonds changements apportés dans la répartition des pouvoirs de décision, lesquels, dans un cadre défini par le Parlement et le Gouvernement, associeront pleinement les partenaires sociaux. C’est également dans ce titre que se matérialise la possibilité pour les différentes professions de conserver leurs réserves.

J’en termine avec le titre V, qui comporte les dispositions finales et prévoit les modalités d’entrée en vigueur et de transition vers le système universel. Celui-ci garantira à 100 % l’ensemble des droits constitués dans les différents régimes avant son entrée en vigueur. Les modalités précises de calcul de ces droits seront, vous le savez, définies par voie d’ordonnance. L’affiliation aux différents régimes est définitivement supprimée pour les assurés nés à compter du 1er janvier 1975, qui seront alors affiliés au système universel.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, ce que je pouvais vous dire en introduction de cette première audition devant votre commission spéciale. Je me tiens maintenant prêt à écouter vos interventions et à répondre à l’ensemble de vos questions.

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général. Monsieur le secrétaire d’État, vous venez de nous présenter dans le détail le projet de réforme que vous défendez, et qui vise à instaurer un système universel de retraite. Je vous en remercie. Fruit d’une longue concertation, que votre prédécesseur et vous-même avez menée pendant plus de deux ans avec l’ensemble des acteurs concernés, cette réforme a tout de même quelque peu mobilisé contre elle ces dernières semaines et – reconnaissons-le – fait naître un certain nombre de confusions. Aussi, en préambule de mon propos, et avant de partager avec vous certaines questions, j’aimerais rappeler plusieurs éléments qui me paraissent essentiels au moment où nous débutons nos travaux et qui permettent de bien appréhender le projet.

Non, le projet de réforme des retraites dont nous allons débattre ne vise pas à développer la capitalisation. Bien au contraire, il vise même à pérenniser notre système de retraite par répartition, qui repose sur la solidarité intergénérationnelle, en le rendant démocratiquement plus lisible et plus transparent, et en garantissant les mêmes droits à tous nos concitoyens, ce qui n’est pas le cas actuellement. Le projet de réforme dont nous allons discuter ne vise pas non plus à réaliser des économies sur le dos des retraités. Il vise en réalité à renforcer la solidité budgétaire de notre système de retraite et à mettre fin au cycle interminable des réformes paramétriques que nous connaissons depuis trente ans. Enfin, il vise non pas à conforter la position de celles et ceux qui ont le plus, mais bien au contraire à réduire en profondeur les inégalités de notre société en permettant à tous nos concitoyens d’accéder à l’intégralité de leurs droits, et à mettre un terme aux nombreux effets antiredistributifs de notre système.

Cela étant dit, au moment de commencer nos travaux, je tiens à vous poser plusieurs questions, monsieur le secrétaire d’État. Tout d’abord, pouvez-vous nous décrire précisément les projections relatives aux redistributions opérées à partir des salaires les plus élevés vers les plus bas ? J’ai lu, ici ou là, que le nouveau système permettrait de réduire de 25 % les inégalités de pension. Pouvez-vous me confirmer cette prévision ?

Par ailleurs, ne trouvez-vous pas que les dispositifs visant à mieux prendre en compte la pénibilité ou à favoriser l’organisation des fins de carrière sont encore trop complexes, et qu’ils mériteraient d’être facilités et approfondis ? De même, si la meilleure lisibilité du système doit permettre, à terme, de diminuer les inégalités de pension entre les femmes et les hommes, je reste convaincu que nous devons aller plus loin, notamment en encadrant les inégalités que crée le moment de la séparation d’un couple.

En ce qui concerne le suivi de la mise en place de la réforme et la gouvernance du futur système universel de retraite, pouvez-vous nous en dire plus sur la place qu’occupera le Parlement ?

J’aimerais, par ailleurs, vous interroger sur deux autres points majeurs. Le premier concerne la conférence sur l’équilibre et le financement des retraites. Comment les travaux vont-ils se dérouler concrètement, et selon quel calendrier ? Le second concerne l’emploi des seniors. Quelle politique est mise en place pour améliorer l’accès et le maintien dans l’emploi des seniors ? J’aurais d’autres questions à vous poser, mais c’est également le cas des autres rapporteurs, et mes collègues se préparent eux aussi à vous interroger.

Enfin, pour le bon déroulement de nos travaux, je tiens à vous alerter sur un point. Le projet de loi comporte un grand nombre d’habilitations à légiférer par ordonnance. Cela peut se comprendre au regard de la complexité du sujet et des négociations en cours, mais nous vous demanderons, monsieur le secrétaire d’État, d’être aussi précis que possible sur toutes les questions qui seront posées au cours de nos débats quant au périmètre du domaine de l’habilitation, car ces ordonnances seront cruciales, en particulier pour la phase de transition.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier du projet de loi ordinaire. La commission spéciale m’a fait l’honneur de me désigner rapporteur du titre Ier du projet de loi ordinaire. Celui‑ci pose les fondements de notre futur système de retraite : par répartition, parce que solidaire ; universel, parce qu’impliquant un corps de règles communes à tous les assurés ; équitable, parce qu’un euro cotisé ouvrira les mêmes droits pour tous. Il s’agit, à mon sens, d’une chance unique de réaffirmer notre attachement à ce système bâti par les pères fondateurs de la sécurité sociale, tout en corrigeant les effets antiredistributifs qui découlent des règles actuelles de calcul et d’acquisition des droits à retraite, qui ne sont plus adaptées à la vie d’aujourd’hui.

Ces principes sont rappelés dès l’article 1er, qui, j’en suis convaincu, occupera une part importante de nos débats. L’article 1er comporte aussi un engagement fort à l’égard d’une catégorie de fonctionnaires à laquelle nous sommes naturellement tous attachés : les enseignants et les chercheurs. Le renvoi à deux lois de programmation revêt une forte dimension symbolique. Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous éclairer précisément sur le calendrier envisagé pour le dépôt et l’application de ces deux textes et les concertations actuellement menées ?

Dans tout système de protection sociale, il y a un plafond de couverture du risque concerné. Ce plafond est actuellement de 3 500 euros par mois pour la sécurité sociale et de 27 000 euros par mois pour les régimes complémentaires. Pour bâtir le système universel, le projet de loi fait un choix équilibré, raisonnable et réfléchi, tant en termes d’équité que de responsabilité financière, qui consiste à fixer le plafond à 10 000 euros par mois pour couvrir complètement 99 % des assurés. Il reste bien sûr un peu moins de 1 % des assurés qui ne percevront pas de retraite correspondant à leurs rémunérations supérieures à 10 000 euros et qui, par conséquent, ne paieront que la fraction solidaire de cotisation au-delà de ce plafond. Pouvez-vous nous indiquer quels gains chiffrés, en matière de redistribution, peuvent être attendus, à terme, d’un tel choix ? Par ailleurs, quelles transitions permettront d’en lisser les effets financiers pas forcément souhaitables à court et moyen termes ?

La réforme que nous défendons conduira aussi à aligner les taux et assiettes de cotisations des salariés et des fonctionnaires, dans un souci d’équité, de lisibilité et de justice. Cette évolution se fera sans désengagement des employeurs publics du financement du système universel. Vous vous y êtes engagé, et l’étude d’impact le rappelle. Les solutions visant à fournir une compensation relèvent plus probablement de textes financiers à venir que de celui que nous examinons. Cela dit, pouvez-vous nous confirmer que les engagements financiers de l’État – notamment – seront maintenus ? Un schéma ou de grandes orientations pourront-ils être mis à la disposition du Parlement pour éclairer nos débats sur ce point ?

Enfin, je souhaite vous poser une question plus spécifique à propos des ouvriers d’État, qui s’inquiètent pour leur statut, s’agissant notamment de ceux qui sont nés après 1975 : pouvez-vous nous rappeler les évolutions attendues pour leur régime d’assurance vieillesse, ainsi que le schéma de convergence qui pourrait leur être appliqué ?

M. Jacques Maire, rapporteur pour le titre II du projet de loi ordinaire. Le titre II est vaste ; je concentrerai donc mes questions sur quatre points qui me semblent importants.

D’abord, le projet de loi fait le choix d’encourager résolument le travail des seniors, dans le prolongement des propositions du rapport Bellon. Je soutiens bien entendu la disposition consistant à accorder des points de retraite aux assurés en cumul emploi-retraite. Elle met fin, effectivement, à l’iniquité d’un système qui conduisait à faire cotiser des retraités sans contrepartie. Cependant, monsieur le secrétaire d’État, le relèvement à 62 ans de l’âge minimal requis pour bénéficier de ce dispositif m’apparaît assez contradictoire, en réalité, avec l’objectif d’encourager des transitions douces vers la retraite. Est-il donc envisageable de faire évoluer la borne d’âge de ce dispositif au cours de la discussion parlementaire ?

Ensuite, la logique d’universalité recherchée par le projet concerne également la question épineuse de la pénibilité. Je suis convaincu du bien-fondé de l’approche retenue, qui individualise la réparation de l’exposition, avec notamment l’extension du champ du compte professionnel de prévention (C2P). Néanmoins, monsieur le secrétaire d’État, la pénibilité est protéiforme. Elle doit être envisagée sous l’angle de la prévention et de la reconversion mais, à mes yeux, seule la réparation doit trouver place dans le projet de loi. Cela dit, je pense que nous n’avons pas encore trouvé de solutions satisfaisantes pour prévenir l’exposition aux quatre facteurs de risques qui ont été exclus du C2P en 2017, à savoir le risque chimique, les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles et les vibrations mécaniques. Pouvez-vous nous présenter, monsieur le secrétaire d’État, les pistes actuellement étudiées par le Gouvernement pour améliorer résolument la prévention et la reconversion, en particulier s’agissant des quatre facteurs de risque ?

Nous savons, par ailleurs, que très peu de branches ont mis en place des référentiels visant à mesurer l’exposition aux facteurs de pénibilité. Comment inciter les branches professionnelles à négocier davantage sur ce sujet crucial ? Autre question importante : ces référentiels pourraient-ils jouer un rôle dans l’alimentation du C2P ? L’article 34 du projet de loi renvoie à une ordonnance le soin de définir les nouvelles modalités de financement de la gestion du C2P. Cette remise à plat ne pourrait-elle pas être l’occasion de responsabiliser davantage les employeurs dont les salariés sont exposés à des risques identifiés et mesurables, en réintroduisant une cotisation directement liée à l’exposition aux facteurs de pénibilité, dans une approche pollueur-payeur ?

Enfin, en ce qui concerne la transition en matière d’âge d’ouverture du droit à retraite, notamment pour les fonctionnaires et les agents des régimes spéciaux, pouvez-vous rappeler quels droits acquis avant l’entrée en vigueur du nouveau système seront préservés et comment vous envisagez le calendrier des concertations ?

Mme Corinne Vignon, rapporteure pour le titre III du projet de loi. Le titre III constitue le cœur des mesures de solidarité du projet de loi. Garantir à chaque travailleur, quel que soit son parcours, un niveau de vie décent à la retraite : tel est le défi majeur que le système universel souhaite relever.

Garantir une retraite décente, c’est, avec la retraite minimale, offrir aux assurés qui ont travaillé toute leur vie un avantage par rapport aux bénéficiaires du minimum vieillesse. Le mode de calcul de ce dispositif suscite toutefois des interrogations, car introduire une notion de durée dans un système à points ne va pas de soi. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous expliquer pourquoi la prise en compte de la durée est indispensable dans le cadre d’un minimum de retraite contributif ?

Garantir une retraite décente, c’est assurer aux travailleurs indépendants et aux exploitants agricoles à carrière complète une pension minimale de 1 000 euros dès 2022, ainsi que s’y était engagé le Président de la République. Dans la mesure où cette mesure relève du champ réglementaire, pouvez-vous nous assurer que les retraités qui recevront le minimum contributif en 2022 bénéficieront également de cette revalorisation ?

Garantir une retraite décente, c’est tenir compte des périodes de maladie, d’invalidité temporaire ou de maternité. En offrant aux assurés un nombre de points identiques pour une même période d’interruption d’activité, le système universel met fin aux inégalités des régimes actuels. En revanche, il ne décomptera pas les périodes de chômage non indemnisé, contrairement au système actuel. Quelles sont les raisons de ce choix ?

Garantir une retraite décente, c’est corriger, au terme de la carrière, les inégalités salariales entre les femmes et les hommes. L’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) a montré que la naissance de chaque enfant entraînait une diminution moyenne de 5 % de la rémunération de la mère ; 5 %, c’est justement le montant de la majoration qui sera accordée pour chaque enfant. Mais en cas de divorce, comment assurer le bon partage des points entre les parents ? La question du divorce est également cruciale dans l’attribution de la pension de réversion : comment le Gouvernement entend-il sécuriser la situation de la première épouse en cas de décès du pensionné ?

Je conclurai avec une citation d’Henri-Frédéric Amiel, qui correspond en tout point à l’objet du titre III : « La solidarité, cest aider chacun à porter le poids de sa vie et à la rendre plus facile ».

Mme Carole Grandjean, rapporteure pour le titre IV du projet de loi ordinaire. Le titre IV, que j’ai l’honneur de rapporter, pose les fondations d’une gouvernance unifiée du système de retraite, où priment la lisibilité du système et la responsabilité des acteurs.

L’architecture du système actuel est d’une complexité redoutable. Les acteurs sont multiples, les règles foisonnent et les régimes se superposent, ce qui constitue autant d’obstacles à la compréhension des règles par les assurés. La reconstitution de leurs droits relève le plus souvent d’un parcours du combattant et alimente le non-recours.

Dans le système futur, la CNRU assurera la couverture de l’ensemble des assurés, quels que soient leur statut ou leur métier. Loin du mauvais procès en étatisation, la gouvernance de cette caisse sera confiée aux partenaires sociaux. Outre le conseil d’administration, l’organisation de la CNRU comprendra une assemblée générale et un conseil citoyen. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous éclairer sur la composition et les missions de ces futures instances, renvoyées à une ordonnance ? Quelle sera, en dehors du rendez-vous traditionnel du PLFSS, la place réservée au Parlement dans cette future gouvernance ?

Ce nouveau système, plus lisible, ne se construira pas sans l’expérience acquise par un grand nombre de caisses de retraite, des interlocuteurs bien identifiés. Des conventions leur permettront de poursuivre leur activité, au-delà de la phase de transition. Je porterai une attention particulière à l’avenir des agents aujourd’hui en poste, notamment les 14 000 agents des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) et les 12 000 agents des institutions de retraite complémentaire. Confirmez-vous que ces acteurs joueront un rôle déterminant dans la mise en place du système universel et qu’ils seront intégrés progressivement, dans des conditions déterminées par concertation ?

Nous croyons à la responsabilité des personnes en charge du pilotage. Le retour à l’équilibre financier n’est ni une option ni une obsession comptable, mais la condition de la pérennité d’un système par répartition auquel nous sommes tous attachés. Le pilotage annuel et pluriannuel de la CNRU, l’inscription d’une règle d’or d’équilibre et la création d’un Fonds de réserves universel sont autant de garanties. Le comité d’expertise indépendant des retraites jouera un rôle central, puisqu’il affinera les prévisions financières et garantira notre bonne information. Il se voit transférer certaines missions du Conseil d’orientation des retraites (COR). Quels sont, dès lors, les motifs qui justifient de maintenir le COR ?

Dès la semaine prochaine, en commission, nous pourrons apporter des clarifications à certaines dispositions du projet de loi, confiants dans les acteurs du paritarisme et fidèles à notre engagement d’équilibre.

M. Paul Christophe, rapporteur pour le titre V du projet de loi ordinaire. Le titre V offre une vision d’ensemble de la réforme systémique, de ses opportunités mais aussi des interrogations légitimes qu’elle soulève. Je m’attacherai à dissiper les inquiétudes qui peuvent émerger à la lecture du texte, faute, parfois, de présentation claire et exhaustive.

À quelques jours de l’examen du texte en commission, quatre sujets me semblent prioritaires. La phase de transition, d’abord, jouera un rôle-clé dans le succès du déploiement du système universel. Elle sera déterminante pour assurer la conversion des droits acquis et valoriser l’ensemble des carrières à hauteur des efforts contributifs des assurés. Nous savons avec le poète Boileau que ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ; aussi, pouvez-vous indiquer clairement , monsieur le secrétaire d’État, quand et comment les droits acquis seront convertis dans le système universel ?

La suppression de l’obligation d’affiliation à un régime de retraite complémentaire est une conséquence logique du nouveau régime, universel, lisible et transparent. Mais au-delà de la phase de transition, le rôle des organismes gestionnaires n’est pas arrêté. Quelles seront les modalités d’intégration de ces régimes complémentaires, en particulier de leurs agents, dans le système universel ? Pouvez-vous expliciter le sort particulier réservé au personnel navigant, qui verra, à titre dérogatoire, son affiliation à un régime complémentaire maintenue ?

La mise en place progressive du système se traduit par des entrées en vigueur différentes, au fil des génération. Il conviendra d’associer le Parlement au suivi des différentes phases d’application de la réforme et de le tenir informé de l’avancement des travaux. Par quel outil, ou structure, envisagez-vous de le faire ?

Enfin, cette réforme réaffirme, sans ambiguïté, le choix d’un système par répartition auquel les Français sont attachés. On ne peut que regretter le mauvais procès et les insinuations mensongères qui laissent penser l’inverse. Dans ce contexte, pourquoi ne pas avoir prévu de déposer un projet de loi distinct de ratification des ordonnances de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (« PACTE ») ? Cela brouille la clarté du message et ajoute de la complexité à une réforme d’une ampleur inédite.

M. Olivier Véran, rapporteur pour le projet de loi organique. La commission spéciale doit examiner aussi un projet de loi organique. Ambitieux, ce texte est fondé sur trois principes : la responsabilité financière, la transparence vis-à-vis du Parlement et l’exemplarité.

L’institution d’une règle d’or, dont il avait été question sous plusieurs gouvernements et différentes majorités, relève de la responsabilité financière. La plupart des jeunes de ce pays ne croient plus en la pérennité du système de retraite par répartition, persuadés qu’ils sont de l’insoutenabilité du système. Nous devons rétablir cette confiance. Il s’agit, avec pragmatisme, de s’adapter aux différents cycles économiques et de voir plus loin en se projetant non pas à un an, mais à cinq ans. Nous devons garantir à nos concitoyens que leurs ressources, à la retraite, ne baisseront pas. Pouvez-vous confirmer, monsieur le secrétaire d’Etat, qu’elles seront sanctuarisées ? On peut se demander s’il ne faudrait pas faire de même, à terme, pour les autres branches de la sécurité sociale.

Pour voir plus loin encore, l’horizon doit être éclairé. Le Parlement bénéficiera-t-il chaque année, en amont de l’examen du PLFSS, d’une information détaillée sur la trajectoire financière de moyen et long termes ?

Le système par points suscite des inquiétudes que nous devons lever. Le projet de loi ordinaire prévoit déjà que la valeur des points, pas plus que le niveau des retraites, ne pourra baisser. Pour rassurer nos concitoyens, qui veulent davantage de garanties, et démontrer la grande vigilance des parlementaires, qu’ils appartiennent à l’opposition ou à la majorité, nous pourrions faire un geste fort en intégrant dans la loi organique le principe selon lequel le point ne peut voir sa valeur baisser. Une loi ordinaire ne permettrait pas de revenir sur cette disposition, gravée dans le marbre législatif.

Cette réforme a vocation à mettre fin à la succession des lois relatives aux retraites, qui revenaient tous les quatre ans en moyenne, soulevaient des questions et provoquaient des remous – en matière de conflits sociaux, ce texte n’est pas le premier. Pensez-vous que la loi de financement de la sécurité sociale peut devenir l’instrument du pilotage annuel et pérenne de ce pan essentiel de la protection sociale ?

Enfin, les parlementaires entreront de plain-pied dans le nouveau régime puisque le projet de loi organique prévoit leur intégration en 2025, à la moitié du prochain mandat. Nous pourrions proposer qu’ils y entrent dès 2022 : cela permettrait aux parlementaires nés après 1975 – et je peux vous dire que nous sommes nombreux à être fort motivés par cette idée – d’être parmi les premiers Français à intégrer le système de retraite par points et de montrer ainsi l’exemple.

M. Sébastien Jumel. Quelle démagogie !

Mme Monique Limon. Conformément à la promesse du Président de la République, ces deux projets de loi visent à remplacer les quarante-deux régimes de retraite par un système universel plus juste et plus transparent.

Le système actuel présente de nombreux défauts. La multiplicité et la complexité des règles l’ont rendu illisible et personne ne peut se targuer aujourd’hui d’avoir une vision claire de ce que sera sa retraite. Par ailleurs, les réformes successives n’ont fait qu’accroître la défiance des citoyens à son égard.

Il est en outre injuste : la règle de validation des trimestres n’ouvre aucun droit en dessous de 150 heures travaillées, ce qui favorise les carrières longues et ascendantes au détriment des carrières courtes ou hachées, bien souvent le lot des femmes.

Enfin, il est inadapté à l’évolution de la société. Sa rigidité ne correspond pas à l’évolution des parcours professionnels et aux nouvelles formes de salariat. Les mécanismes de solidarité qu’il promeut ne prennent pas en compte les divers modèles familiaux.

Ces textes sont le fruit d’un long travail de concertation entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, mais aussi entre la représentation nationale et les citoyens, au travers de 160 ateliers retraites menés sur l’ensemble du territoire.

Tout en préservant les bases du système de retraite par répartition – la solidarité intergénérationnelle – la refondation du système s’appuie sur trois grands principes, l’universalité, l’équité et la responsabilité.

Il s’agit d’un système de répartition, par points et universel, qui permet à chacun de bénéficier d’une part plus juste de la solidarité nationale. Les 25 % de retraités les plus modestes verront le montant de leur pension augmenter fortement, tandis que l’écart entre les 10 % de retraités les plus riches et les 10 % de retraités les plus pauvres se réduira, passant de 7,1 à 5,1.

Désormais synonymes d’inégalités et d’injustice, les régimes spéciaux prendront fin progressivement, au profit d’un régime de retraite pour tous les Français. Cette universalité garantit une protection sociale plus forte et plus durable, qui ne dépendra plus de la démographie de chaque profession.

Pourvoyeur d’équité sociale, le nouveau système garantira à toute personne ayant accompli une carrière complète de bénéficier d’une retraite d’au moins 1 000 euros. Cette volonté de renforcer la justice et la cohésion sociale conduit à octroyer de nouveaux droits à ceux qui touchent de petites retraites ou qui souffrent des effets de la pénibilité au travail. Les femmes, notamment, verront le niveau de leur retraite progresser de 6 % pour la génération 1980 et de 13 % pour la génération 1990, du fait d’une meilleure prise en compte des carrières hachées.

Préserver l’équilibre budgétaire permettra de pérenniser le système de retraite par répartition cher à nos concitoyens, fondement de notre modèle social. Ce devoir de responsabilité, nous le devons aux générations futures ; cela nous conduira notamment à assurer les règles de transition pour chacun des régimes.

Lors de l’examen du texte, nous demanderons des précisions supplémentaires sur le financement du minimum contributif retraite ou sur les garanties apportées aux enseignants en matière de revalorisation, afin de leur assurer une retraite digne.

Pour bâtir ce projet de loi, le Gouvernement a mené une concertation approfondie avec les partenaires sociaux. Cette concertation se poursuit sur certains sujets tels que la pénibilité, l’aménagement des fins de carrière ou l’emploi des seniors ; nous veillerons à ce que, dans ces domaines, nos travaux, dans le cadre de la discussion du texte, permettent des avancées concrètes.

Cette réforme, qui s’attache aux plus précaires, est solidaire. Les femmes, les artisans, les agriculteurs, les commerçants, étaient les grands oubliés du système ; nous leur apporterons de nouveaux droits sociaux au nom de l’égalité républicaine.

Nous veillerons à ce que cette promesse soit tenue jusqu’au bout. Je pense notamment à l’harmonisation du système de pension de réversion, aux moyens de garantir l’égalité entre les femmes et les hommes au sein du couple en cas de divorce et de décès, à la prise en compte de la situation des couples pacsés, à une majoration plus élevée des points pour les parents d’enfants porteurs de handicap. Ces mesures doivent constituer un filet de sécurité supplémentaire.

Des mécanismes réalistes et incitatifs doivent faciliter la transition de l’emploi vers la retraite. Nous serons attentifs à ce que le système universel en soit doté.

Cette réforme nous engage envers les jeunes générations. La future gouvernance du système universel devra assurer sa pérennité, et il nous appartiendra, lors des débats, de déterminer quelle sera la place de la représentation nationale dans ce nouveau dispositif.

M. Éric Woerth. Permettez-moi d’exprimer d’abord un regret : la concertation, qui a duré deux ans, n’aura pas servi à grand-chose, sinon à aviver les différences. Vous n’y avez convié que les syndicats, ne pouvant, ou ne voulant y associer les formations politiques – du moins quelques-unes d’entre elles. Or les retraites ne relèvent pas seulement de la démocratie sociale ; c’est aussi question de démocratie politique. Tout cela débouche sur un texte illisible, loin de faire consensus.

Pour commencer, ce texte est incomplet. Il est anormal de distinguer, comme vous le faites, l’organisation de son financement. Les deux vont de pair, l’efficacité sociale et l’efficacité financière sont liées. Vous mettez en avant la dimension redistributive de votre réforme, alors que celle-ci est coûteuse et qu’elle aggrave encore les inégalités avec les générations futures. L’inégalité intergénérationnelle est probablement la pire des injustices et à ce titre, il est inacceptable que vous la renforciez. On ignore comment le texte sera financé. Vous vous trompez de réforme ; vous faites erreur sur la méthode.

Certes, comme toute réforme des retraites, le texte renferme des éléments positifs – aménagement des minimums contributifs, amélioration du cumul emploi-retraite, extinction des régimes spéciaux –, ce dont nous nous félicitons. Mais un système de retraite plus juste est le reflet d’un monde du travail où les inégalités, dans la façon dont on construit sa carrière, n’existent pas. Les réformes doivent porter en premier lieu sur les qualifications, l’employabilité, l’accès à la garde des enfants, toutes choses qui permettent d’éviter les carrières hachées. Aucun de ces sujets n’est abordé dans le présent texte, alors qu’il faudrait commencer par améliorer les carrières elles-mêmes. Le système de retraite français est juste dans le principe et très redistributif, mais il est devenu injuste au fur et à mesure que les solutions, plus inexplicables les unes que les autres, s’empilaient.

Notre vision est différente. D’abord, nous considérons que ce système universel – qui figurait d’ailleurs, vous n’avez pas inventé grand-chose, à l’article 16 de la loi de 2010 – ne devrait concerner que les régimes du privé et du public. La convergence des régimes des salariés du privé et des fonctionnaires constitue déjà une réforme d’ampleur, mais vous avez voulu aller plus loin et englober les professions dotées de caisses autonomes. Quelle idée d’aller gêner ainsi ces professions, sans reconnaître leurs particularités ! Cela a rendu votre réforme opaque.

Nous proposons pour notre part de mettre en place un système universel jusqu’à 1 plafond de sécurité sociale (PASS) ; en parallèle, plusieurs régimes complémentaires seront maintenus tandis que les caisses autonomes perdureront, ce qui permettra de respecter les différents secteurs professionnels.

Par ailleurs, il faut accélérer la fin des régimes spéciaux. Les délais que vous proposez – trente, quarante ou cinquante ans – ne sont pas humainement compréhensibles. Où en serons-nous dans dix mandats présidentiels ? Que valent vos engagements pour cinquante ans ?

Il est indispensable de renforcer l’équité du système. Pour atteindre cet objectif, nous proposons de créer un socle commun de dispositifs, centré sur les droits familiaux et l’accompagnement des aidants.

Pour maintenir l’équilibre financier, il ne fallait pas hésiter à repousser l’âge de la retraite à 65 ans. Vous avez préféré, avec l’âge pivot – au demeurant retiré –, rester dans une demi-mesure. Vous auriez dû faire preuve de courage et de responsabilité en assumant de relever l’âge de départ.

Enfin, notre vision de la pénibilité diffère de la vôtre : nous estimons qu’elle doit être objectivée et qu’il convient d’en faire varier les éléments. Il faut supprimer le volet du C2P qui permet de partir plus tôt à la retraite, pour affecter uniquement le compte à la qualification des personnes et à la reconversion professionnelle, car il est des métiers que l’on ne peut exercer toute sa vie.

Je déplore que vous ayez ainsi raté une belle occasion de faire consensus.

M. Patrick Mignola. Oui, la réforme des retraites est incontestablement difficile, sans doute la réforme la plus difficile qu’une société puisse conduire. Le trouble chez nos concitoyens est grand – nous l’entendons sur le terrain –, parce que chaque Français est concerné. Il s’agit aussi d’une réforme très technique, s’attaquant à un système extraordinairement complexe et, de ce fait, mal connu.

Disons-le : nos concitoyens, en particulier les plus jeunes, ont perdu confiance dans le système de protection sociale, qui ne leur semble plus s’appuyer sur ses bases, l’équité et la solidité. Force est de reconnaître qu’il n’est plus juste, et plus viable. Cela crée un sourd ressentiment, à même de saper les bases du pacte social. C’est en cela qu’il faut mesurer notre responsabilité.

Le système est devenu injuste : il condamne 100 000 femmes chaque année à travailler jusqu’à 67 ans pour obtenir une retraite digne ; depuis longtemps, il ignore les indépendants, en particulier les agriculteurs et les commerçants.

Il n’est plus adapté à une société où il faudra changer de métier plusieurs fois au cours d’une vie. Il est inimaginable d’imposer de passer d’un régime à l’autre à chaque fois que l’on change de poste. On ne peut plus consacrer 300 milliards d’euros, soit 14 % de la richesse nationale, à un système qui continue de créer des injustices et des retraités pauvres.

Avec l’évolution de la démographie, le système n’est plus viable. Jusqu’à présent, son pilotage était fondé sur l’âge. Des réformes courageuses ont été conduites, mais elles se sont révélées insuffisantes pour réparer les injustices et préserver la pérennité du système. Les Français doivent retrouver confiance dans un système basé sur le pacte entre les générations.

Le groupe du Mouvement Démocrate abordera cette grande réforme de la législature en posant trois préalables : garantir le niveau, actuel et futur, des pensions ; préserver les droits acquis – cela vaut pour la transition que nous devrons décider ensemble pour les régimes spéciaux ; sanctuariser les réserves constituées.

Notre groupe suivra cinq priorités, la gouvernance étant la première d’entre elles. On a beaucoup entendu que les garanties données par un parlement ou un gouvernement, un autre parlement ou un autre gouvernement pouvaient les remettre en cause. Confier la gouvernance à des partenaires sociaux, c’est partager le pouvoir entre la démocratie parlementaire et la démocratie sociale. C’est une garantie supplémentaire que nous donnons aux Français.

Aborder la question de la pénibilité avec courage permettra de rendre variable l’âge d’équilibre, nécessaire à tout système de retraite par points, et de l’adapter à chaque cas individuel, aux mérites, aux efforts, aux difficultés particulières.

Nous croyons à la cellule familiale, elle constitue une autre de nos priorités. La famille a évolué, et tandis que le régime précédent ne reconnaissait que le troisième enfant, il nous faudra mettre l’accent sur le deuxième enfant. Il faut en effet savoir que, pour la pérennité du système, la natalité doit être relancée.

Nous entendons aussi souligner l’importance des fins de carrière, la retraite progressive et la capacité à transmettre. Une économie de compétences comme l’économie française nécessite de mieux aménager la transmission des savoirs. Il est important, aussi bien pour l’économie que pour les individus, qu’un passage de relais s’organise à l’approche de la retraite et que les compétences soient ainsi valorisées.

Enfin, nous voulons mettre en avant les différentes formes d’engagement : celles liées à la grande dépendance et à l’accompagnement par les aidants ; l’engagement bénévole, au long cours, au sein du monde associatif.

C’est à partir de ces cinq priorités que nous pourrons réorganiser un système à même de rassembler les Français et de leur inspirer confiance.

M. Boris Vallaud. Je ne peux tout d’abord que vous exprimer la honte que nous inspirent les conditions dans lesquelles nous allons examiner ces textes, honte vis-à-vis de celles et de ceux qui, souverains, nous ont confié l’exigeant honneur de les représenter.

Alors que le Gouvernement et les administrations de l’État ont travaillé depuis deux ans et demi, que la concertation avec les partenaires sociaux a duré deux ans, vous n’avez accordé à l’Assemblée nationale que quatre jours pour prendre connaissance, pour apprécier la validité et la pertinence de 1 500 pages d’une insigne technicité.

Le Conseil d’État a lui-même relevé la désinvolture du Gouvernement et l’indigence de votre étude d’impact. Nous considérons quant à nous que vous portez atteinte à l’obligation qui vous est faite de bonne information du Parlement. Il est regrettable que ce matin, la Conférence des présidents n’ait pas partagé cette analyse.

Les textes qui nous sont soumis renvoient à vingt-neuf ordonnances mais, il faut également le dire, à plus d’une centaine de décrets portant sur des aspects essentiels du projet, ce qui prive le Parlement de la possibilité de mesurer les conséquences de votre réforme, que vous l’invitez ainsi à voter à l’aveugle.

Comment accepter de légiférer sans savoir selon quelles modalités les droits actuellement constitués seront convertis en points pour les générations nées après 1975 ? Pour celles qui sont nées avant, comment ces droits seront-ils liquidés dans l’ancien système ? Comment financerez-vous cette période de transition ?

Comment accepter que ces textes ne contiennent aucun élément sur les quinze ans de transition entre le système actuel des fonctionnaires et le système futur alors que c’est essentiel ? La réalité, c’est que le Gouvernement nous cache ses intentions !

Comment accepter de nous déterminer sur une étude d’impact qui se fonde sur un âge d’équilibre à 64 ans en 2027 alors que le Premier ministre a provisoirement retiré ce dernier et que les partenaires sociaux sont censés décider de l’avenir de cette mesure ? Soit le Gouvernement se moque d’eux et parie sur le retour de cette mesure d’âge, soit il se moque du Parlement en biaisant le débat car, même sans l’âge pivot à court terme, il faudrait revoir l’étude d’impact de fond en comble.

De la même manière, comment se prononcer sur les droits familiaux et conjugaux dans le futur système de retraite alors même que le Gouvernement vient de confier une mission sur ce sujet à M. Fragonard ? Là encore, soit cette mission est un leurre, soit c’est le débat parlementaire qui est vide de sens.

Comment nous fonder sur une étude d’impact partielle et partiale, étroitement comptable, limitée à la sphère des retraites alors que la réforme aura des effets importants sur le chômage, les salaires, la répartition des revenus, les dépenses publiques au sens large, le PIB ? Tel un petit boutiquier, vous êtes obsédé par le seul équilibre du régime des retraites et vous ne proposez aucune modélisation d’ensemble permettant de mesurer les effets économiques et sociaux globaux de votre réforme. Or, de tels chiffres existent, ils sont à la direction générale du Trésor, et vous avez choisi de ne pas nous les communiquer.

Comment croire à votre sincérité lorsque vous fondez vos extrapolations sur l’hypothèse du prolongement de la réforme de 2014 au lieu de vous saisir des conventions du COR ? Vous usez d’artifices en fondant les projections de rémunération des fonctionnaires sur une augmentation déraisonnable de leurs primes pendant cinquante ans !

Comment croire aux cas-types, qui sont si grossièrement faussés, aussi éhontément truqués ? Tous les cas types proposés sont élaborés à partir d’un âge d’équilibre à 65 ans pour toutes les générations à partir de 1975 alors que votre texte prévoit explicitement que l’âge d’équilibre évoluera avec l’espérance de vie. De ce seul fait, tous vos calculs sont faux.

Tous ou presque tous les cas pratiques témoignant d’une augmentation du taux de remplacement, tout le monde semble gagnant alors même que les dépenses, nous affirme-t-on, n’augmenteront pas par rapport au système actuel. La ficelle est si grosse qu’elle en devient grossière ! Le Conseil d’État l’a d’ailleurs souligné et s’en est ému en notant que le nombre de retraités augmentera alors que la part des retraites dans le produit intérieur brut (PIB) baissera. Tous les cas sont tronqués.

La réforme modifie à la fois le niveau de cotisation et celui de la retraite et l’on peut perdre ou gagner dans les deux cas. Un vrai bilan nécessiterait de prendre en compte l’ensemble de la vie pour mesurer qui gagne et qui perd.

Comment croire à la justice de votre système quand la pénibilité est si mal prise en considération ? La différence d’espérance de vie est de treize ans entre les 5 % de Français les plus pauvres et les 5 % les plus riches. En écartant puis en refusant de réintégrer les quatre critères de pénibilité, vous excluez tous les travailleurs du bâtiment, l’essentiel des travailleurs de l’industrie, les caissières, les égoutiers !

Comment peut-on en arriver à des situations tout à fait singulières où les conditions de départ à la retraite sont plus favorables pour un aiguilleur du ciel que pour une infirmière alors que l’on pourrait imaginer qu’ils ont des responsabilités similaires ?

Comment croire au principe de justice quand vous durcissez les conditions pour bénéficier du dispositif concernant les carrières longues, qu’à partir de 2025 vous rendrez 4 milliards par an de cotisations aux 20 % de Français les plus riches ou que vous durcissez les conditions pour que les chômeurs puissent avoir des droits ?

Enfin, comment croire à la promesse devenue slogan – 1 euro cotisé donnera les mêmes droits à la retraite – alors que ce n’est pas le cas ? Le Conseil d’État vous a d’ailleurs suggéré de rédiger votre texte différemment.

Vous avez certes votre propre sémantique – « c’est universel, pas uniforme » – mais on se croirait dans un sketch de Muriel Robin : « On coupe, mais on garde toute la longueur ».

Nous ne sommes pas prêts à légiférer et vous n’y êtes pas prêts non plus car votre réforme n’est pas aboutie. Elle n’est présentée devant le Parlement ni dans la transparence ni dans la sincérité. Vous nous emmenez dans le mur.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Le groupe UDI, Agir et Indépendants plaide depuis longtemps en faveur d’un régime de retraite par points, lequel doit aller de pair avec une convergence entre public et privé et la suppression des régimes spéciaux. Cela ne surprendra donc personne : vous nous trouverez à vos côtés lorsqu’il s’agira de prendre des mesures courageuses et lucides pour réformer et pérenniser notre modèle social.

Les deux projets de loi que nous allons examiner ces jours-ci témoignent d’un objectif ambitieux, celui d’une refonte de notre système de retraite en vue de l’adapter aux réalités du monde d’aujourd’hui.

La réalité, l’avis du Conseil d’État le souligne clairement, c’est une grande fragmentation de notre système de retraite. Il est vrai qu’il s’agit d’un héritage de l’histoire dont la légitimité n’est pas contestable mais il en résulte aujourd’hui un système illisible, perçu comme injuste et opaque par nos concitoyens. Les Français ne comprennent plus le maintien des régimes spéciaux de retraite, dont les déséquilibres démographiques et les avantages sont pris en charge par la solidarité nationale.

La multiplication de réformes paramétriques depuis vingt ans a d’ailleurs une conséquence imprévue en entraînant une perte de confiance dans la pérennité du système de retraite, particulièrement chez les jeunes générations. Parce qu’il est un élément essentiel de notre pacte social et qu’il préoccupe chaque Française et chaque Français, il est fondamental de refonder la confiance que nous avons en lui.

À ce titre, nous saluons la création d’une règle d’or qui garantira à la fois le niveau des pensions et l’équilibre du système à l’horizon de cinq ans. La responsabilité face au déficit : telle est la condition de sa crédibilité.

Cette réforme doit favoriser une meilleure protection en luttant davantage contre la précarité, en prenant mieux en compte les carrières hachées mais, aussi, les différentes formes de pénibilité. En particulier, elle doit mieux protéger les femmes alors que les inégalités de pension sont aujourd’hui flagrantes avec les hommes. Elle doit permettre également une meilleure prise en compte des mobilités professionnelles et encourager les prises de risques dans les carrières.

Enfin, elle est l’occasion de réaffirmer le contrat qui lie la société tout entière à l’école et à la communauté enseignante. Depuis trop longtemps, nous avons laissé en jachère la situation de ceux qui éduquent nos enfants alors que c’est l’avenir de notre pays qui est en jeu. Il était donc plus que nécessaire de se saisir de cette question à bras-le-corps. De ce point de vue, nous saluons les engagements du Gouvernement.

À ce stade, nous avons néanmoins quelques interrogations.

Le Parlement examinera ces deux projets de loi de réforme du système des retraites alors qu’une conférence de financement est organisée. Il n’est pas acceptable que la représentation nationale ne soit pas partie prenante du débat en la matière. Seriez-vous donc favorable à ce que le Gouvernement inscrive à l’ordre du jour parlementaire un débat spécifique à ce sujet ?

Par ailleurs, si nous comprenons la nécessité d’en passer par les ordonnances pour mener à bien des réformes très techniques, comme la convergence des régimes, nous considérons que le Parlement devrait être associé à leur rédaction. À tout le moins, il faudra en inscrire davantage dans le « dur » de la loi, comme le demande le Conseil d’État.

Le recul de l’âge effectif de départ à la retraite soulève la question de l’emploi des seniors. Or, nous le savons, leur taux d’emploi, entre 60 et 64 ans, est très faible – 33 % environ. Seriez-vous favorables à une modulation des cotisations en fonction de l’âge afin de favoriser le maintien dans l’emploi ?

La réforme des retraites réduira l’assiette de cotisations et le montant des charges qui pèsent sur les professionnels libéraux, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. En revanche, elle risque d’avoir un effet collatéral : une moindre perception de contribution sociale généralisée (CSG), ce qui constitue donc un nouveau manque à gagner pour la sécurité sociale. Comment l’État compte-t-il le compenser ?

Enfin, notre groupe sera vigilant quant à l’inscription dans la loi du principe du maintien des réserves dans les caisses des régimes autonomes. Il convient en effet de rassurer les professions libérales, qui nous ont beaucoup sollicités à ce sujet ces derniers jours.

M. Philippe Vigier. Le groupe Libertés et Territoires, comme nombre de collègues sur de nombreux bancs, est favorable à une réforme du système de retraite tant les insuffisances dont il souffre sont réelles pour les personnes dont les carrières sont hachées, les femmes, les accidentés de la vie... Nous appelons également de nos vœux l’extinction des régimes spéciaux, de même que l’instauration de cette retraite par points que je défends depuis longtemps, notamment avec mon ami Charles de Courson.

Nous sommes donc favorables à une réforme, il n’en reste pas moins qu’il existe un « déficit de confiance », pour reprendre les mots de Patrick Mignola. Les générations qui arrivent se demandent en effet ce qui va se passer.

Je vous ferai donc part de mon désarroi car si – le secrétaire d’État le sait – je suis résolument favorable à une transformation en profondeur de notre système de retraite, il n’est pas de bonne politique de frustrer le Parlement : deux ans de consultations et nous devons régler les choses en six semaines avec, à la clef, vingt-neuf ordonnances. Lors des questions au Gouvernement, j’ai donc demandé encore une fois cet après-midi au Premier ministre – comme d’autres, dont Paul Christophe – si oui ou non les parlementaires que nous sommes peuvent au moins formuler un avis sur ces vingt-neuf ordonnances. Les groupes politiques ici présents le peuvent ! La réforme n’en serait que plus crédible car elle ne peut pas se faire en opposant les uns aux autres : les expériences des vingt dernières années montrent en effet que beaucoup ont changé de discours. Ce n’est pas médire des différentes réformes, courageuses, qui ont été conduites – notamment avec Éric Woerth – que de constater combien certains se sont largement lavé les mains des paramètres qu’ils avaient fixés.

Si nous voulons avancer et marquer une étape constructive, monsieur le secrétaire d’État, il convient en premier lieu que le Parlement joue pleinement son rôle dans la gouvernance. Il ne suffit pas de fixer une clause de revoyure à cinq ans et de dire que l’on verra alors comment les choses se passent ! Olivier Véran en est lui-même convenu : nous avons un rendez-vous chaque année avec le PLFSS, eh bien, allons-y ! Faisons en sorte que la gouvernance confie plus de responsabilités aux partenaires sociaux et que le Parlement puisse dire son mot ! En tant que représentant du peuple, il pourra s’il le faut corriger le tir. Cela, monsieur le secrétaire d’État, constitue un premier point majeur.

Deuxième point majeur : le financement. Patrick Mignola s’est demandé si oui ou non les réserves seraient touchées : quid des 60 milliards d’euros de l’AGIRC-ARRCO, du Fonds de réserve pour les retraites, des 6 milliards collectés par des professions libérales ? Il faut dire les choses ! Le simulateur sera-t-il accessible à tous ? Avant, après 1985... les nouveaux entrants... Tout doit être dit ! Si tel est le cas, vous lèverez les interrogations, sinon, le doute s’installera. Je me permets d’insister sur ce point car si la gouvernance est assurée mais que la lisibilité et la crédibilité du système sont en cause... Il est en effet toujours possible de raconter tout ce qu’on veut, que les discussions peuvent être très techniques mais, au bout du compte, chacun se demandera quel sera le chiffre inscrit en bas à droite de son bulletin de pension.

Troisième point majeur, vous le savez bien, monsieur le secrétaire d’État : la pénibilité. Il n’est pas simplement question de corriger telle ou telle anomalie faisant qu’il n’est plus possible de travailler à 58 ou à 59 ans. Il faut traiter les problèmes en amont, il faut reconnaître que certains métiers méritent une meilleure valorisation des points : on a parlé des aidants, je songe aussi bien sûr aux soignants, aux professionnels du bâtiment et des travaux publics. Bref, il faut répondre globalement.

Vous nous accorderez qu’il y eut de quoi douter lorsque nous avons vu la variabilité des situations : un jour les aiguilleurs du ciel, le lendemain, les personnels navigants, quelques jours avant, ceux de la Comédie-Française... On a envie de dire : « Ne bougez pas, on ne change rien, tout va bien, tout continue ! » Comment voulez-vous que d’autres bénéficiaires de régimes spéciaux comprennent ce message ?

Nous souhaitons que l’on puisse apporter tous les éclairages nécessaires à la résolution de ces questions, monsieur le secrétaire d’État, au cours d’un débat apaisé. Vous vous devez d’apporter à la représentation nationale les éléments que le Conseil d’État vous a enjoint de fournir s’agissant des conséquences financières de la réforme. Dire cela, c’est se diriger vers la construction d’un nouveau système universel par points en permettant, j’en suis persuadé, de corriger un certain nombre d’anomalies.

Un dernier point concernant la retraite progressive des seniors que deux collègues, notamment Jacques Maire, ont bien fait d’évoquer. Pour en bénéficier, l’âge passe de 60 à 62 ans ; de plus, dans notre pays, le taux d’employabilité des « seniors » est faible par rapport à nos voisins alors que c’est le moment propice à la transmission – j’ai d’ailleurs apprécié les propos de Mme Firmin Le Bodo concernant la baisse possible des cotisations. Il y a là un angle particulier, monsieur le secrétaire d’État, un message à faire passer à tous ces seniors qui ont envie de transmettre leur savoir-faire. Encourageons-les et ne créons pas de nouveaux obstacles !

Nous attendons donc des réponses à ces questions-là.

M. Adrien Quatennens. Cette commission spéciale s’installe, monsieur le secrétaire d’État, mais nous ne vous laisserons pas avancer tranquillement.

Après cinquante-quatre jours de grève, vous avez renoncé à convaincre, donc, vous avez décidé de vaincre. Il vous faudra donc nous écraser nous aussi pour atteindre votre objectif, non seulement parce qu’une majorité de Français rejette votre texte mais aussi et surtout parce qu’après avoir pris l’ensemble des Français pour des idiots en racontant des histoires à dormir debout sur la création d’un régime universel ou d’une réforme juste, simple et pour tous – qui ne correspond en rien à la réalité de votre projet de loi – c’est au tour des parlementaires d’être pris pour des idiots ! Vous nous avez ainsi remis mille pages d’une étude d’impact faussée, truquée, trafiquée, pour rendre votre système par points favorable alors qu’il ne l’est pas.

L’article 10 de votre projet de loi dispose clairement que l’âge d’équilibre ou l’âge pivot, appelons-le comme vous voudrez, c’est-à-dire l’âge qu’il faudra atteindre pour bénéficier d’une pension complète, se décalera génération après génération, ce qui a le mérite d’être clair. Votre projet se résume en peu de mots : faire travailler les gens toujours plus longtemps et toujours davantage au-delà de l’espérance de vie en bonne santé. Bon sang, assumez-le alors que, comme par magie, cette disposition disparaît de l’étude d’impact de votre propre projet de loi ! Comme c’est formidable, l’âge d’équilibre est gelé à 65 ans ! Résultats : aucun des vingt-huit cas-types que vous présentez ne correspond à la réalité que vous préparez. Vous obtenez vingt-et-un gagnants sur vingt-huit – formidable réforme ! – alors que si l’on applique les âges d’équilibre que vous envisagez, les perdants sont largement majoritaires.

Ce soir, nous avons donc le sentiment excessivement désagréable, pardonnez-moi l’expression, d’être pris pour des cons. C’est d’ailleurs ce qu’éprouvent tous les Français depuis plusieurs semaines. Sans défendre le statu quo – les gens partent en effet déjà à la retraite trop tard et trop pauvres –, non, il n’y a pas quarante-deux régimes différents mais vingt-trois selon le ministère de la santé et dix-huit selon le COR. Votre prédécesseur a donc dû ajouter autant de régimes qu’il avait oublié de lignes dans sa déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Non, vous ne créez en rien un régime universel, ce que confirme le Conseil d’État, qui n’est pourtant pas un nid d’Insoumis. Nous l’affirmons quant à nous : vous créez un nombre incalculable de régimes spéciaux, autant que de générations, et c’est une véritable usine à gaz.

Non, il n’y a pas péril en la demeure s’agissant d’un potentiel déficit, que vous avez d’ailleurs vous-mêmes aggravé : 8 à 17 milliards, ce n’est rien comparativement aux 330 milliards que représentent les retraites, aux 127 milliards de réserve, aux 42 milliards d’encours bancaires d’un régime spécial dont vous ne parlez jamais, celui des très riches et des retraites chapeaux, ou aux 60 milliards de dividendes versés aux actionnaires du CAC 40 en 2019.

Non, ce n’est pas parce que l’on vit plus longtemps qu’il faut travailler plus longtemps ! C’est d’ailleurs le contraire : c’est notamment parce que l’on travaille moins longtemps que l’on vit plus longtemps et également parce que la productivité a augmenté alors que la richesse produite n’a jamais été aussi mal partagée. Travailler plus longtemps aggrave le chômage. Travailler plus longtemps, c’est la solution de celles et ceux qui, comme vous, refusent l’essentiel : partager les richesses produites.

Non, vous ne sauvez pas le système par répartition : vous encouragez comme jamais la capitalisation. Les assureurs et les banques trépignent d’ailleurs d’impatience en attendant l’application de votre réforme.

Non, les femmes ne sont pas les grandes gagnantes de votre système, c’est même tout le contraire, ce qui explique d’ailleurs leur mobilisation !

Non, la valeur d’acquisition du point n’offre pas la moindre garantie sur le montant des pensions !

Non, vous n’avez pas retiré l’âge pivot, même provisoirement, car il demeure dans le projet de loi !

Non, pour financer notre système de retraite, le fait de devoir travailler toujours plus longtemps n’a rien d’inéluctable !

Non, vous ne respectez pas le programme du candidat Macron, sur lequel vous avez été élu, où il était explicitement écrit que vous ne toucheriez ni à l’âge de départ ni au niveau des pensions : maintenant, vous vous apprêtez à faire les deux !

Vous vous présentez en progressistes mais le sens du progrès, alors que la productivité augmente, ce n’est pas de travailler toujours davantage pour gaver les plus riches. Au contraire, c’est de libérer du temps pour toutes les belles choses auxquelles on est en droit d’aspirer après une vie de labeur. Les Français, monsieur le secrétaire d’État, ont bien compris tout cela.

Vous avez déjà perdu la bataille de l’opinion. Ces projets de loi directement inspirés des directives de Bruxelles ne méritent que d’être retournés à leur expéditeur. La France, cette République sociale, n’a pas envie de danser avec vous le BlackRock and roll.

M. Pierre Dharréville. Monsieur le secrétaire d’État, vous ne devriez pas être là, et nous non plus. Les conditions ne sont pas réunies en effet pour que ces projets de loi qui cassent le droit de la retraite soient examinés.

Vous avez fait bien des efforts pour préparer le terrain, vous avez pris beaucoup d’élan et vous voici maintenant le nez sur l’obstacle. Vous n’avez pas convaincu : le monde du travail, la France ne veulent pas de votre projet, pour lequel il n’y a pas de majorité.

Chaque fois que vous faites une annonce, on se demande désormais où est l’arnaque. Il aurait certes fallu faire preuve de sens des responsabilités mais il est encore temps de retirer votre projet, vous devriez y réfléchir sérieusement car c’est là l’option la plus raisonnable et la plus respectueuse du mandat qui vous a été confié.

Votre position est d’autant plus intenable qu’après des péripéties illustrant, s’il le fallait, l’existence d’un tropisme en faveur des intérêts des fonds de pension, le Conseil d’État vient de mettre un gros shoot à votre démarche prétendument si vertueuse. Il vous rappelle en effet à l’exigence d’objectivité et de sincérité des travaux et explique ne pas avoir été en mesure de mener sa mission « avec la sérénité et les délais de réflexion nécessaires », jugeant « cette situation dautant plus regrettable que les projets de loi procèdent à une réforme inédite depuis 1945 et destinée à transformer pour les décennies à venir un système social qui constitue lune des composantes majeures du contrat social ». Le Conseil d’État indique également que le fait « de sen remettre à des ordonnances » – vingt-neuf – « pour la définition déléments structurants du nouveau système de retraite fait perdre la visibilité densemble qui est nécessaire à lappréciation des conséquences de la réforme et, partant, de sa constitutionnalité et de sa conventionnalité ». C’est clair : ce travail est bâclé, pas sérieux.

Et voilà que vous voulez appliquer au Parlement le même régime d’exception avec cette procédure précipitée, dans une commission spéciale, pour passer au plus vite à autre chose ! C’est indigne et inacceptable. Vous étiez dans une impasse politique, vous êtes dans une impasse institutionnelle.

En nous faisant légiférer dans ces conditions, vous rendez nos délibérations invalides et votre loi illégitime. En vous jouant des règles de la République, vous l’affaiblissez. Être majoritaire ne vous donne pas tous les droits ! Il serait bon de prendre les prophéties du candidat Emmanuel Macron avec un peu plus de recul, de ne pas mépriser les objections – tout le monde peut penser avoir eu une bonne idée pendant la nuit et se rendre compte, un peu plus modeste, au matin, qu’elle n’est pas si terrible que cela.

Pour un projet qui engage les décennies à venir, une telle précipitation n’est pas la bienvenue. Votre projet de régime « miniversel », c’est tout simplement un grand coup de canon contre la sécurité sociale, c’est une attaque en règle contre le droit à la retraite garanti et solidaire, votre slogan selon lequel un euro cotisé doit donner les mêmes droits n’est pas réellement appliqué, ce qui d’ailleurs n’est ni possible ni souhaitable puisque cela signifierait que chacun et chacune recevrait équivalemment à ce qu’il a versé, ce qui s’oppose directement au principe solidaire fondateur de la sécurité sociale : de chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins.

Vous voulez baisser la part des richesses produites consacrée aux retraites, vous continuez à assécher les ressources de la protection sociale solidaire et vous ne réglez aucun des problèmes liés à la pénibilité. Vous voulez baisser le montant des pensions et allonger le temps de travail, y compris au-delà de 65 ans puisque c’est la seule variable d’ajustement qu’il vous reste, or, nous nous situons déjà aujourd’hui à la limite de l’espérance de vie en bonne santé.

En réalité, vous voulez que chacun soit comptable de son sort, vous voulez faire de la place aux logiques individuelles et, in fine, aux logiques de capitalisation. Votre système ne sera donc ni plus simple, ni plus juste, ni plus lisible, ni plus sûr, ni mieux garanti. Plusieurs régimes seront instaurés en fonction de l’année de naissance et de départ et vous êtes incapables d’en dévoiler toutes les conséquences. Respecter le travail, c’est bien autre chose que cela !

Au passage, vous oubliez de parler des salaires, ce qui n’est pas le moindre des problèmes.

Face à cet entêtement ahurissant, quel est notre état d’esprit ? Fort de ce puissant mouvement social, fort des aspirations de ces femmes et de ces hommes, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine est disposé à livrer la bataille parlementaire. Nous avons déposé ce matin une proposition de loi alternative. Autant que nous le pourrons, nous serons à la hauteur des attentes et de ce qui se passe dans le pays car le paradis que vous décrivez n’existe que sur carte postale.

M. le secrétaire dÉtat. Je répondrai à la fois globalement, et plus particulièrement en fonction des titres du projet de loi, notamment lorsqu’il a été question des pensions de réversion, de la gouvernance et du financement. Je vous prie par avance de m’excuser si j’oublie de citer l’un ou l’autre des commissaires.

J’ai bien entendu qu’un certain nombre d’intervenants, dont Boris Vallaud, Pierre Dharréville ou Philippe Vigier, s’inquiètent de la place du Parlement dans l’élaboration de la loi en raison d’un grand nombre d’ordonnances.

J’ai eu l’occasion de le dire, notamment lors des questions au Gouvernement, mais cela vaut la peine d’être répété : nous voulons écouter les partenaires sociaux. Même si on nous en a fait grief, il importe grandement de laisser un espace à la conférence de financement des retraites, donc aux partenaires sociaux, afin qu’ils puissent s’exprimer et proposer une solution de retour à l’équilibre à court terme tout en travaillant sur les équilibres à long terme.

C’est cette dynamique, sur laquelle je reviendrai, qui au fond sera très active au sein du titre IV, relatif à la gouvernance. Nous le voyons bien, il est nécessaire que le Parlement joue son rôle : le président Philippe Vigier en a appelé à un débat mais je crois que nous verrons lors de l’examen du texte que ce sera le cas lors de la discussion du PLFSS ; comme d’autres, il en appelle aussi à l’effectivité des pouvoirs du Parlement tout en acceptant de laisser cette dynamique à la gouvernance et aux partenaires sociaux. C’est précisément cette nouvelle architecture que nous devons penser ensemble.

Je comprends les questions qui se posent car aucune expérimentation n’a encore eu lieu et l’on se demande comment les choses fonctionneront mais c’est précisément pourquoi cette architecture doit être à la fois relativement précise – elle permettra de répondre aux attentes des parlementaires – et relativement souple – elle permettra aux partenaires sociaux de se retrouver dans cet espace que nous voulons leur laisser au sein de cette gouvernance.

Adrien Quatennens mais aussi Éric Woerth ont fait part des doutes nés de la lecture d’une partie de l’avis du Conseil d’État. Posons-nous ensemble quelques instants. Le Conseil d’État est le conseil juridique du Gouvernement. Nous attendons tous que nos conseillers nous fassent progresser, qu’ils ouvrent des perspectives de développement, et non qu’ils nous disent : « C’est très bien, continuez ! ».

Le Conseil d’État a joué son rôle en nous apportant un regard critique, lequel l’a aussi amené à valider dans le cadre de son assemblée générale l’immense majorité de ces deux textes. Il a certes pointé la question de la loi de programmation pluriannuelle, qui a fait l’objet d’un certain nombre de questions de la part des rapporteurs. Celle-ci vise à refonder la rémunération des enseignants et des chercheurs conformément à l’engagement du Gouvernement. Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal, laquelle a déjà bien avancé en la matière, s’y attellent. Le Gouvernement tient en effet à envoyer un message, un signal, à ces populations afin de répondre à une partie des inquiétudes qui se sont fait jour parmi les responsables des groupes, notamment ceux d’opposition. Nous leur disons que cette loi d’orientation pluriannuelle sera effective, qu’il importe de redéfinir la rémunération et la place des enseignants et des chercheurs dans la société. C’est pour cela que nous maintenons ces dispositions dans le texte.

Les concertations s’organisent et les ministres concernés en traduiront les conclusions dans la loi de programmation pluriannuelle. Entendez la volonté du Gouvernement de respecter son engagement à l’endroit des enseignants et des chercheurs ! Je sais que nous serons saisis ensemble, en temps et en heure, de ces lois de programmation qui apporteront un juste retour aux professionnels de ces deux métiers si importants pour l’émancipation et l’éducation de nos jeunes.

M. le rapporteur général Gouffier-Cha m’a interrogé sur le moteur de ce système par répartition et par point. J’entends que l’effet redistributif puisse être contesté, de-ci, de-là, mais il reste intangible sur le fond. Pourquoi ? Parce que le système proposé par le Gouvernement, vous avez eu raison de le rappeler, sera très favorable aux futurs retraités les plus modestes. Vous avez eu également raison de rappeler les chiffres : 25 % des pensions les plus modestes augmenteront de 30 % alors que les 50 % des pensions les plus élevées, grosso modo, resteront au même niveau. C’est là l’essence de cette réforme. Avec cet exemple précis, vous avez pointé du doigt la volonté de solidarité qui nous anime.

Une volonté de solidarité, monsieur Woerth, qui est parfaitement responsable. Je prends acte de votre accord de fond quant à la nécessaire solidarité et à la nécessité de faire des efforts en faveur des pensionnés les plus modestes, d’être attentifs au minimum contributif, au minimum de pension. Je sais que vous connaissez ces sujets mais peut-être vos critiques ont-elles fusé un peu trop rapidement – j’aurais certes souhaité que vous vous attardiez plus longuement sur le versant positif ! Vous dites que ces textes ne contiennent rien en matière de financements mais vous méconnaissez me semble-t-il l’étude d’impact. Peut‑être vous paraît-elle insuffisante mais elle comprend des tableaux indicatifs sur la transition des assiettes et des taux sur une période de quinze ans qui devraient répondre à vos interrogations.

L’évolution globale des recettes du système, madame Grandjean, prévoit que la contribution de l’État évoluera positivement. Notre étude d’impact intègre d’ailleurs une trajectoire des dépenses et des recettes mais aussi un solde qui, en fin de compte, est amélioré. La loi reprend les engagements de l’État, certes au titre de l’employeur de la fonction publique qu’il est mais aussi à celui des dotations versées pour permettre l’équilibre de systèmes déficitaires qui, vous l’avez dit, monsieur le député Woerth, s’éteindront – notamment, les régimes spéciaux.

Plus particulièrement, maintenant, en fonction des titres.

S’agissant du titre Ier, M. le rapporteur Turquois m’a questionné sur les enseignants. Je ne répèterai pas les réponses que je viens de formuler mais je précise que la première revalorisation est déjà sur la table : Jean-Michel Blanquer est à l’œuvre. Plus de 400 millions seront ainsi consacrés en 2021 à une part significative de la revalorisation de la carrière de ces derniers. C’est la première marche de cette loi de programmation pluriannuelle qui vient d’être évoquée.

S’agissant de la question relative aux cotisations au-dessous ou au-dessus de trois plafonds annuels de la sécurité sociale (PASS), je rappelle tout d’abord que, comme Jean-Paul Delevoye l’a dit, la baisse des cotisations se fera dans le temps. Il n’est pas question de prétendre qu’au-delà de 3 PASS, les cotisations cesseront le 1er janvier 2025 : elles diminueront progressivement en vue de leur arrêt. Cette diminution progressive créera des recettes qui, il est vrai, diminueront peu à peu. N’oublions pas toutefois, car c’est cela qui importe, d’avoir un regard dynamique : elles n’appelleront plus de dépenses puisqu’il n’y aura pas de pensions à payer.

Nous faisons le choix, en effet éminemment politique, de trois niveaux de plafonds annuels de la sécurité sociale car il nous permet de couvrir 99 % de la population. J’entends le reproche d’étatisation – je crois avoir compris que M. Woerth préfèrerait un système universel à 1 PASS – mais certains, dans le même temps, nous accusent d’ouvrir la voie à la capitalisation et aux fonds de pensions internationaux qui viendraient se ruer sur notre économie ! Je dois donc me situer au juste milieu – c’est en tout cas la volonté du Gouvernement.

Je souhaitais aborder cette question, monsieur le rapporteur Turquois, parce que vous étiez inquiet : sur le fond, l’État ne se désengage pas. Le texte fait état de tous les engagements... de l’État, notamment s’agissant des taux de cotisation, car lorsque cela sera nécessaire, ce dernier versera les cotisations supplémentaires qui financeront les droits spécifiques liés, par exemple, aux départs anticipés, sujet que nous pouvons évoquer d’ores et déjà car il est lié à celui de la pénibilité.

Le sujet de la pénibilité a été évoqué de façon quasi unanime, avec sans doute plus d’insistance de la part de certains, mais toujours avec conviction. Si la pénibilité fait aujourd’hui l’objet d’une concertation menée par Muriel Pénicaud, le texte comporte déjà des dispositions sur ce thème. Peut-être cela ne satisfait-il pas tous les membres de la commission spéciale, mais il faut le dire clairement : sur les dix critères concernant la pénibilité, quatre ont été basculés dans les accidents du travail et les maladies professionnelles, les six autres demeurant dans le C2P ; sur ces six critères, trois sont liés au rythme de travail et les trois autres à l’environnement de travail. Concernant les rythmes de travail – les horaires de nuit et les horaires alternants –, le Gouvernement s’est déjà engagé sur la voie d’une baisse des seuils afin que les Françaises et les Français soient plus nombreux à bénéficier d’une personnalisation de l’âge d’équilibre, lequel doit refléter le plus possible la carrière.

Cela n’étant sans doute pas suffisant, une autre mesure est prévue : le déplafonnement du C2P. Quand vous êtes exposé à des tâches difficiles dans un métier pénible, 4 points vous sont accordés chaque année. Au bout de vingt ans, vous en avez cumulé 80 et pouvez faire valoir vos deux années de départ anticipé : si vous restez exposé à des tâches pénibles, vos points suivants peuvent avoir peu de valeur, sauf si vous souhaitez bénéficier d’une formation ou d’une réorientation professionnelle.

Outre le déplafonnement du compte, notamment dans le cadre d’expositions multiples, nous souhaitons permettre la réorientation professionnelle. En effet, si nous voulons avoir une ambition collective et une lecture sociale de notre rapport au travail, nous devons donner la possibilité à nos concitoyens exposés à des tâches difficiles de faire autre chose. Ce n’est pas aussi simple que d’en discuter avec vous : il faut construire avec les partenaires sociaux. Les concertations touchant à leur fin, Muriel Pénicaud devrait proposer très rapidement des éléments sur la réorientation professionnelle qui nous permettront d’enrichir le texte. Nous voulons proposer à nos concitoyens exposés à des tâches difficiles de changer de métier, tout en leur assurant une sécurité professionnelle : il ne s’agit pas en effet de suivre une formation de trois jours sur l’environnement informatique mais de réfléchir à un deuxième parcours de vie professionnelle moins exposé à la pénibilité.

C’est un sujet de fond, qui suscite beaucoup d’intérêt et de demandes. Il n’y a toutefois pas de concurrence entre démocratie sociale et démocratie politique : la démocratie sociale a été saisie et nous attendons les retours de la concertation. La démocratie politique pourra ensuite s’en emparer pour inscrire dans le projet de loi les fruits de cette concertation ainsi que du débat parlementaire, car j’ai compris qu’il y avait une volonté importante de progresser sur ce sujet.

Sur le titre II, j’ai déjà largement répondu à vos questions sur la pénibilité, monsieur le rapporteur Jacques Maire. Il y a un point toutefois que je n’ai pas évoqué : la notion de pénibilité ne doit pas être réservée aux salariés du privé. L’essence de ce projet de loi est de considérer que la pénibilité a la même valeur, que l’on travaille dans une entreprise bénéficiant d’un régime spécial, dans une entreprise publique ou dans le privé. Nous avons tous des retours de nos concitoyens sur la nécessité d’une forme d’égalité devant la retraite. Il ne s’agit pas de stigmatiser les uns ou les autres : ce n’est pas, monsieur le député Adrien Quatennens, l’expression d’une jalousie, mais bien d’un désir d’équité. Sur le fond, ce que nous entendons tous, c’est que chacun est prêt à reconnaître qu’il doit y avoir une solidarité nationale mais que tout le monde souhaite que ce sujet soit regardé avec cohérence et équité entre les métiers.

Madame la rapporteure Corinne Vignon, vous avez souhaité revenir sur le minimum contributif. Nous pouvons être très fiers collectivement de proposer un véritable progrès social dans notre pays, à savoir qu’il n’y aura pas de retraite inférieure à 1 000 euros pour tous ceux qui liquideront à partir de 2022. On sait l’importance que cela revêt pour ceux qui ont de toutes petites retraites avec une carrière complète au SMIC. Ce montant évoluera pour atteindre 85 % du SMIC en 2025.

Sur le système cible, qui est le cœur de notre projet, cette règle des 85 % du SMIC s’appliquera en 2037 à une carrière complète. Celle-ci se calculera par mois, sur la base de 50 heures équivalent SMIC travaillées, c’est-à-dire un tiers-temps. La dynamique ainsi créée sera une forme de reconnaissance pour tous ceux à qui l’on impose un temps partiel – ce sont majoritairement des femmes – ou qui, faisant un autre choix d’équilibre de vie, décident de réduire leur activité, pour tous les exploitants agricoles, petits commerçants et petits artisans qui ont bien du mal à équilibrer leur compte d’exploitation en fin d’année, pour tous ceux dont les retraites sont inférieures à 1 000 euros. Appliquer les mêmes règles à tous renforce la communauté nationale : nous gagnons tous à vivre ensemble dans la tolérance, avec une vision commune et un destin partagé.

Madame Carole Grandjean, sur le titre IV concernant la gouvernance, je crois avoir déjà apporté quelques éléments de réponse à M. Philippe Vigier et au président du groupe MoDem, M. Patrick Mignola. Il nous faut être très clairs : la place attribuée aux partenaires sociaux est très significative. Quand j’étais député, j’ai participé à des débats où l’on m’interpellait sur le thème de la gouvernance. Les bases définies dans le rapport Delevoye nous indiquaient déjà la voie à suivre ; nous avons réaffirmé le rôle prépondérant des partenaires sociaux et la nécessaire articulation avec la démocratie politique que vous représentez.

Concernant le COR, instance pour laquelle j’ai une réelle affection car j’y ai siégé plus de deux ans, j’ai conscience qu’il y a été produit de très bonnes choses. Il est nécessaire, dans la période de transition que nous allons vivre, de créer du consensus, comme le COR a su le faire : nous avons tous fini par retenir ses hypothèses médianes, preuve que le COR a réussi dans sa mission. Pendant la période de transition, il aura à travailler sur les perspectives statistiques. Son rôle évoluera sans doute ensuite, lorsqu’il se verra adjoindre un comité indépendant d’experts. Il ne peut pas y avoir de concurrence entre les uns et les autres : le COR se chargera des réflexions plus politiques, comme l’égalité femmes hommes, et laissera aux experts indépendants la responsabilité des perspectives statistiques. Voilà la façon, madame la rapporteure Grandjean, dont je vois la répartition des tâches.

Vous vous interrogiez également sur le conseil d’administration de la CNRU : il devrait être composé paritairement de représentants des salariés et des employeurs. Il s’inspirera sans doute de ce qui se passe aujourd’hui à l’AGIRC-ARRCO. Il y aura en outre une assemblée générale où toutes les populations concernées seront représentées. Le conseil d’administration doit certes être représentatif de l’assemblée générale mais il doit également être capable de prendre des décisions pour avoir une dimension opérationnelle concrète. Avec une trentaine de membres, il pourra tout à la fois être le plus représentatif possible et prendre des décisions rapidement. N’oublions pas que ce conseil d’administration aura un pouvoir de fixation des principaux paramètres contributifs en matière de dépenses et de recettes. L’objet du titre IV est de définir le cadre dans lequel il intervient ; si nous voulons tout écrire à sa place, autant dire que nous ne voulons pas de cette gouvernance !

Le conseil d’administration pourra faire également des propositions sur les paramètres de solidarité qui relèvent de la responsabilité de l’État. Le Fonds de solidarité vieillesse universel sera le principal financeur des dépenses de solidarité. Là encore, l’État assure une place à la démocratie sociale en permettant à la gouvernance de faire des propositions sur les paramètres de solidarité qui, pourtant, relèvent de la responsabilité de l’État.

La trajectoire d’équilibre à cinq ans est importante. Je veux vous rassurer, monsieur Woerth, sur notre volonté d’un système par répartition équilibré, qui devra être solide économiquement pour perdurer. C’est sans doute le sens de vos propos : pour faire de la solidarité, encore faut-il savoir comment la financer. L’âge d’équilibre permet de garantir la survie du système futur en lui assurant d’être équilibré, non pas année par année, car les exigences seraient bien trop fortes pour la gouvernance, mais plutôt sur cinq ans. Cela permettra aussi à la représentation nationale de s’exprimer chaque année sur ce sujet, en l’examinant non pas sous forme de couperet, mais sous une forme dynamique et positive.

M. Paul Christophe, rapporteur sur le titre V, nous interroge sur les transitions. Je serai très transparent avec la représentation nationale : je mène une concertation sur ce sujet dans le cadre d’un mandat que m’a confié le Premier ministre. Il y a plusieurs possibilités en matière de transition : on pourrait imaginer, et c’était plutôt l’option retenue dans le rapport remis le 18 juillet, un système de conversion des droits acquis en points du système universel au moment de l’entrée en vigueur du système universel, c’est-à-dire en 2025. La seconde possibilité consiste en une affiliation successive : les droits constitués jusqu’en 2025 ne seraient pas convertis mais continueraient à vivre dans le système dans lequel ils ont été cotisés. Ceux qui auront deux niveaux de cotisations, l’un dans le système initial, l’autre dans le système universel, se verront verser une seule pension ; mais il y aura bien eu deux liquidations. Cela nous permettra d’avoir un regard précis sur les périodes de fin de carrière, en particulier sur les différents modes de calcul des pensions, fondés sur les six derniers mois ou sur les vingt-cinq meilleures années. Ce sujet, encore en débat, fera partie des éléments qui seront rapidement tranchés et sur lesquels la représentation nationale pourra être saisie avant la fin de l’examen du texte.

Concernant les autres questions, j’ai répondu en partie sur les 3 PASS ; mais vous vouliez évoquer le cas particulier des personnels navigants. L’universalité n’est absolument pas remise en question : comme tout le monde, les personnels navigants relèveront entièrement du système universel de retraites. Ils cotisent aujourd’hui bien au-delà des 28,12 %, bien au-delà de ce que le système universel de retraite leur demandera ; toutefois, ils souhaitent maintenir ce haut niveau de cotisations pour créer, au sein de leur activité professionnelle, une dynamique de redistribution qu’ils se financeront par eux-mêmes.

Les personnels navigants rejoindront-ils le système universel de retraite ? Oui ! Cotiseront-ils au même taux que les autres ? Oui ! Liquideront-ils des pensions comme les autres ? Oui ! Souhaitent-ils créer un système supplémentaire, qu’ils financeront par eux‑mêmes ? Oui ! En tant que membre du Gouvernement, je n’ai aucune opposition à ce que certains financent eux-mêmes un dispositif complémentaire avec des cotisations supplémentaires ; mais encore faut-il nous en faire la proposition et nous en démontrer la viabilité. Il ne s’agit pas de créer des dispositifs qui n’auraient pas de sens compte tenu de la dynamique démographique ou du type de cotisations et de pensions qui seraient versées. Les concertations bilatérales et multilatérales que nous avons menées avec Élisabeth Borne et Jean-Baptiste Djebbari ont permis de constater qu’ils n’avaient pas de branche : puisque l’on ne peut pas les renvoyer à une négociation de branche, cela avait du sens, spécifiquement pour eux, de maintenir cela. La situation des professions libérales est différente car il existe des dispositions spécifiques pour elles. En matière de complémentaire, tout reste donc à mettre sur la table : lorsqu’il y a une demande, nous l’examinons selon les principes que j’ai évoqués tout à l’heure.

Mme Fadila Khattabi. Ma question porte sur l’extension de la pension de réversion pour les couples pacsés. En plus d’être légitime, cette interrogation est aussi pertinente au regard de l’évolution de la société. En France, on dénombre environ 230 000 mariages par an et un peu plus de 190 000 PACS. Le PACS n’est pas le mariage mais constitue néanmoins, dans la majeure partie des cas, un engagement solide de la part de ceux qui en ont fait le choix ; il a surtout été mis en place pour sécuriser les parcours de vie des couples ayant décidé d’opter pour ce type d’union. Or, à l’heure actuelle, lorsque l’un des deux partenaires décède, le partenaire survivant ne dispose d’aucun droit, bien qu’il ait été solidaire tout au long de sa vie. Parce que cette réforme se veut être une réforme d’équité et de justice sociale, elle doit donc répondre aux attentes de nos concitoyens, en écho aux évolutions sociétales. Je souhaiterais savoir dans quelle mesure le Gouvernement pourrait envisager une extension du droit à la réversion pour les couples pacsés, une extension dans les mêmes conditions que celles requises pour les couples mariés.

M. Stéphane Viry. Nous commençons l’examen de ce projet de loi dans un contexte de défiance globale de la société à l’égard du système des retraites et les tergiversations du Gouvernement depuis plusieurs mois posent un problème de légitimité sur la capacité à restaurer la confiance.

Je souhaite vous interpeller sur la question de l’universalité qui, en soi, ne pose pas de difficultés, à la condition qu’elle soit intelligente et adaptée. Avec votre système, vous allez mettre à néant des régimes autonomes, qui ne coûtent rien au contribuable, qui sont financés et gérés avec perspicacité, et qui correspondent à des nécessités professionnelles. Ce faisant, vous allez dénaturer des professions et les mettre en difficulté. Au-delà de l’équilibre des professions, c’est l’existence même de certaines offres de services sur les territoires ruraux qui est remise en cause – je pense notamment aux avocats. Comment pouvez-vous justifier les conséquences collatérales d’une réforme non seulement comptable, mais qui entraîne également des conséquences en termes d’offres de services pour nos concitoyens ?

Mme Catherine Fabre. Les femmes sont les premières victimes des carrières courtes ou hachées, ce qui se traduit notamment par la faiblesse de leurs pensions de retraite. Ce constat est souvent le résultat de choix opérés par le couple : s’arrêter lorsque les enfants sont en bas âge, prendre un emploi à mi-temps pour s’occuper des enfants, ou encore suivre son conjoint dans sa mutation professionnelle. Alors que les choix de carrière se font à deux au sein d’un couple, les femmes sont souvent les seules à en subir les conséquences sur leur retraite, notamment en cas de séparation. C’est pourquoi les droits acquis à la retraite devraient être mieux partagés au sein du couple, comme cela existe déjà en Suisse ou au Canada.

Cette question est d’autant plus cruciale que la France a beaucoup évolué depuis 1945 : aujourd’hui, 45 % des couples mariés divorcent et cette séparation engendre une perte de revenus de 22 % en moyenne pour les femmes, contre 3 % pour les hommes. C’est un vrai facteur de précarisation. À ce jour, aucun dispositif satisfaisant ne permet de réparer ce préjudice. Au moment où nous refondons notre système de retraite pour l’adapter aux défis, il est grand temps de l’inventer ! Monsieur le secrétaire d’État, qu’en pensez-vous ?

M. Thibault Bazin. Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais évoquer le volet familial de cette réforme, qui pourrait faire de grands perdants. Plusieurs questions se posent sur les conséquences pour les familles : alors qu’un couple avec trois enfants bénéficie aujourd’hui de 20 % de majoration et que le futur système lui octroiera seulement 17 %, comment pouvez-vous affirmer que l’évolution des majorations de pensions avantagera les familles nombreuses ? Alors que la majoration de durée d’assurance disparaîtra avec votre réforme, comment pouvez-vous assurer que les majorations de pension compenseront pleinement cette disparition pour les mères d’un ou de deux enfants qui se seront arrêtées de travailler pour s’en occuper ? Quand la base de calcul de l’assurance vieillesse du parent au foyer (AVPF), aujourd’hui d’un SMIC complet, sera réduite à 60 % dans le futur système, dans quelle mesure pouvez-vous garantir qu’elle sera plus avantageuse ? Votre projet de loi indique que des points seront attribués, qu’une fraction sera fixée par décret : quel flou ! Combien de points, quelle fraction, comment les garantir dans le temps ? Voilà déjà des premières questions qui ne sont pas sans inquiéter légitimement les familles : accepterez-vous d’amender votre projet pour apporter des garanties aux familles d’aujourd’hui et de demain, préservant ainsi les droits familiaux qui font l’honneur de notre pays ?

M. Thierry Michels. La période de transition, indispensable pour passer des quarante-deux régimes actuels au futur système et permettre à chacun d’y prendre sa place avec confiance et sérénité, ne doit surtout pas nous faire oublier que ce projet de loi prévoit des avancées sociales significatives pour les Français, dès le 1er janvier 2022. Je pense notamment à ceux de nos concitoyens qui ont les revenus les plus modestes et qui ne bénéficient pas d’une pension à la hauteur de leur travail et de leurs efforts. Ce sont les perdants silencieux du système actuel. Le projet de loi prévoit qu’une personne ayant effectué une carrière complète au SMIC puisse percevoir dès 2022 une pension de retraite d’au moins 1 000 euros, avec un objectif de 85 % du SMIC en 2025. Voilà une amélioration claire et limpide que chacun peut comprendre et que les personnes concernées pourront directement constater. Dans le même état d’esprit, pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, préciser les autres avancées dont nos concitoyens vont pouvoir bénéficier dès 2022 ?

M. Régis Juanico. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez évoqué dans votre propos le respect dû aux parlementaires. C’est le troisième débat sur un projet de loi relatif aux retraites auquel je participe, avec d’autres collègues présents ce soir. Sur un texte aussi fondamental, jamais nous n’avons connu des conditions d’examen aussi déplorables et expéditives. En 2010 et 2014, alors que ces textes comportaient moitié moins d’articles que le vôtre, jamais il n’a été fait recours à la procédure accélérée ; jamais nous n’avons eu à examiner en quatre jours un texte de plus de 1 500 pages avec l’étude d’impact ; jamais nous avons eu à déposer des amendements en moins d’une semaine ; jamais nous n’avons eu à nous prononcer à l’aveugle sur un texte à trous qui comprend vingt-neuf ordonnances dessaisissant le Parlement.

Surtout, les conditions d’un débat sincère et éclairé ne sont pas réunies, avec une étude d’impact « ni faite ni à faire », tronquée, qui camoufle les nombreux perdants de votre réforme. Dans les cas-types de l’étude d’impact, les simulations fournies reposent sur un âge d’équilibre à 65 ans, alors que le projet de loi prévoit que l’âge d’équilibre sera amené à évoluer en fonction de l’espérance de vie ; les calculs sont donc faussés. Comptez-vous nous fournir de nouveaux chiffres réactualisés avec les bons paramètres ?

M. Sébastien Jumel. Sur les ronds-points, dans nos villages ruraux, sur les quais, dans les champs, ce qui me frappe, ce sont leurs marques : les dos broyés alors qu’ils sont courageux, les visages sans éclat alors qu’ils sont beaux, au bout du compte, la pénibilité, celle que vous ne voulez pas voir. François Morel l’a dit avec beaucoup d’humour : votre projet, c’est « Tâchons de mourir tôt ! »

Nous refusons de perdre à votre jeu à points, que vous maquillez avec des mots volés : universalité, justice, progrès, sécurité sociale, redistribution ! Ce sont des mots volés pour justifier vos propres turpitudes. C’est une réforme où tout le monde sera perdant : les femmes, les 20 millions de salariés. Ma question est donc simple : comment allez-vous simuler concrètement la prise en compte de la pénibilité dans votre mauvaise réforme ?

M. Éric Girardin. Nous enregistrons dans notre pays plusieurs bonnes nouvelles. Devant une certaine sinistrose ambiante, il serait bon de constater quelques points de réjouissance : une attractivité record de notre pays, avec 4 milliards d’euros de nouveaux investissements étrangers ; une baisse du nombre de chômeurs de 3,3 % sur l’ensemble de 2019, soit 120 700 demandeurs d’emploi en moins en catégorie A ; c’est le plus fort recul depuis la crise de 2008. Autre motif de satisfaction : une hausse du pouvoir d’achat, grâce notamment aux baisses d’impôts et de diverses cotisations. Enfin, les créations d’entreprises ont atteint un niveau historique en 2019 : 815 000 entreprises ont vu le jour l’an dernier, c’est un record.

Ces bonnes nouvelles en appellent d’autres, avec la fin prochaine de notre système de retraite, que vous avez jugé vous-même injuste, illisible, et instable, monsieur le secrétaire d’État, dans vos propos liminaires. Il sera remplacé par un système plus redistributif, qui protégera mieux les Français modestes, un régime plus juste envers les femmes, un système plus protecteur face aux nouvelles formes de précarité. En quoi cette future réforme des retraites amplifiera-t-elle les évolutions positives évoquées à l’instant ?

Mme Clémentine Autain. Je me demande si chacun dans cette salle mesure l’ampleur du décalage entre la tonalité générale de cette commission et l’état réel du pays. Nous discutons sagement mais c’est en réalité un coup de force que le Gouvernement s’apprête à opérer. Ce projet répond à la nécessité de rassembler, dites-vous, monsieur le secrétaire d’État, mais il ne vous a pas échappé que 61 % des Français sont opposés à votre projet. C’est une démarche concertée, dites-vous encore, mais avec qui ? La majorité syndicale exige le retrait et chaque jour de nouveaux secteurs professionnels se mettent en mouvement, des cheminots aux avocats, des infirmières aux rats de l’Opéra, des enseignants aux égoutiers. Même le Conseil d’État a émis sur votre texte l’un des avis les plus sévères de son histoire.

Vous vantez la place laissée aux parlementaires mais nous sommes en procédure accélérée alors que rien ne justifie l’urgence. Vous nous présentez un texte à trous qui sera complété par vingt-neuf ordonnances et une étude d’impact de 1 000 pages qui est un maquillage volontaire de la réalité. Comment pensez-vous que notre pays peut supporter votre bulldozer qui écrase la contestation et les mécanismes de solidarité ?

M. Jacques Marilossian. En tant que membre de la commission de la défense, je veux appeler votre attention sur les règles des pensions militaires. La communauté militaire est très attachée à ce que l’on appelle la pension à jouissance immédiate car celle-ci contribue à la gestion des ressources humaines des armées, manifeste une reconnaissance de la nation pour l’engagement du militaire et représente une compensation sous la forme d’une rémunération différée.

L’article 37 du projet de loi reprend ce principe de jouissance immédiate, car mettre sa vie en danger pour défendre l’ordre public ou la nation implique évidemment une reconnaissance particulière : passer plus de quarante jours en mer ou soixante-dix jours sous la surface constitue bien une contrainte exceptionnelle. Le Conseil d’État précise que rien ne s’oppose à ce que l’ensemble des obligations propres à l’état militaire ainsi que les garanties et les compensations soient intégrées dans le code de la sécurité sociale. Le Conseil d’État a toutefois estimé nécessaire d’insérer dans le code de la défense une nouvelle disposition garantissant la prise en compte de la spécificité de la fonction militaire et vous avez tenu compte de son avis. Mais le Conseil d’État suggère également un élargissement des compétences consultatives du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) aux textes relatifs au régime des pensions des militaires. Le Gouvernement envisage-t-il cet élargissement des compétences du CSFM ?

M. Fabrice Brun. Monsieur le ministre, les Français n’y comprennent plus rien. Pourtant, les questions qu’ils vous posent et qu’ils nous posent sont simples : « Quels sont les effets de la réforme sur ma retraite ? Quand pourrais-je partir et avec quel montant de pension ? »

L’épaisseur de l’étude d’impact n’est en rien un gage de qualité. La meilleure des études d’impact est en effet celle qui éclaire le cotisant, l’actif, le retraité, sur ses droits. Je vous demande donc de créer un simulateur pour que chacun puisse mesurer ce qu’il va gagner ou perdre avec votre réforme. Bien sûr, il ne s’agirait pas de cas-types mais d’un véritable simulateur de retraite individualisé. Il faut répondre à la soif légitime de nos concitoyens de réponses sur mesure. La confiance pourrait être rétablie si chacun savait, en toute connaissance de cause, ce qui sera appliqué pour sa retraite.

Mme Zivka Park. Mes questions portent sur la pénibilité et sur les garanties apportées aux salariés lors d’une reconversion professionnelle. Le traitement de la pénibilité est un enjeu de justice sociale ; nous nous devons de faciliter sa prise en compte et ce projet de loi introduit des avancées majeures en la matière. Dans certaines professions, les salariés ne peuvent plus exercer de tâches pénibles ; à terme, ils ne peuvent plus donc exercer leur métier. Il est impossible que la société leur offre comme unique perspective la poursuite de ces tâches pénibles jusqu’à la retraite. Il est impératif que ces salariés aient des garanties leur permettant d’envisager une reconversion professionnelle lorsque cela est envisageable. De quelles garanties s’agit-il ? De la possibilité de se former et de disposer d’un revenu. Pouvons-nous envisager, a minima pour les salariés ayant exercé des emplois particulièrement pénibles, un rachat gratuit de points au titre du temps de formation nécessaire à une reconversion professionnelle ?

M. Charles de Courson. Dans le secteur public, les agents ayant un faible taux de primes seront pénalisés par le système à points. Aussi, pour compenser la perte en matière de retraite, le projet de loi prévoit de réévaluer le traitement de deux catégories : les enseignants et les chercheurs. Quel serait le coût, pour les finances publiques, de la généralisation de ces réévaluations salariales à l’ensemble des agents des trois fonctions publiques – territoriale, hospitalière et d’État – ayant des taux de primes faibles ou nuls ?

Par ailleurs, le Gouvernement défend l’idée d’un régime universel, intégrant le Premier ministre, les ministres, les membres du Conseil constitutionnel, etc. Seriez-vous favorable à l’affiliation du Président de la République à ce régime universel ?

M. Sébastien Jumel. Excellent !

Mme Jeanine Dubié. Ma question concerne les droits familiaux ; elle complète celle de M. Bazin. Actuellement, deux dispositifs sont à l’œuvre. D’une part, la majoration de la durée d’assurance par la bonification des trimestres : huit trimestres par enfant dans le secteur privé et quatre dans le secteur public ; cela permet aux mères de famille de compléter leur carrière pour bénéficier du taux plein. D’autre part, la majoration de 10 % à partir du troisième enfant pour les deux parents. À l’avenir, la majoration sera de 5 % dès le premier enfant, de 10 % pour le deuxième et de 15 % pour le troisième, mais pour un seul parent. Si les deux parents se partagent la majoration, elle n’excédera donc pas 7,5 %, ce qui correspond à une perte par rapport à la majoration actuelle de 10 % pour trois enfants.

Dans le nouveau système, les mères de famille pourront-elles bénéficier d’un départ anticipé ? Pouvez-vous nous assurer que les mères de trois enfants ne seront pas pénalisées ? Ce serait un comble, étant donné que ce sont les enfants qui assurent la pérennité d’un système de retraite par répartition !

Mme Valérie Rabault. Monsieur le secrétaire d’État, je n’ai pas tout compris à vos précédentes explications ; je vous demande donc de me répondre simplement par oui ou par non.

À la page 836 de l’étude d’impact, il est écrit que le nombre de bénéficiaires des pensions de réversion devrait diminuer de 310 000 par rapport à la situation sans réforme : pouvez-vous confirmer ce chiffre, qui est énorme ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous confirmer que tous les Français seront concernés par la réforme ? En effet, durant la phase de transition à partir de 2022, toutes les assiettes et tous les taux changeront.

Pouvez-vous nous indiquer combien d’agriculteurs ne bénéficieront pas un montant de retraite égal à 1 000 euros ? Pour percevoir ce montant, il faut avoir cotisé toute sa vie à hauteur du SMIC : pouvez-vous nous préciser le nombre d’agriculteurs qui ne seront pas concernés par ce montant ?

Enfin, pouvez-vous nous confirmer que dans votre régime, la retraite sera égale au nombre de points multiplié par la valeur du point, moins un malus qui dépendra de l’âge de départ à la retraite et non de la durée de cotisation – ce qui est une première en France ?

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. La parole est à Mme Caroline Fiat, à laquelle je souhaite un joyeux anniversaire.

Mme Caroline Fiat. Merci madame la présidente. Et je suis née après 1975...

Votre simulateur nous présente Marie, infirmière, née en 2002. Elle a commencé à travailler à 23 ans en 2025 et perçoit un revenu équivalent à 30 000 euros par an tout au long de sa carrière, soit 2 500 euros par mois ; elle prend sa retraite en 2068.

Trois possibilités : vous savez que les infirmières perdront tellement avec votre projet de loi que vous êtes obligés de mentir à propos de leur salaire ; Mme la ministre Agnès Buzyn – et c’est la bonne nouvelle de la soirée – va enfin valoriser les salaires des personnels hospitaliers – toutes les infirmières rêvent de gagner 2 500 euros par mois ; vous misez sur le fait que nous serons au pouvoir en 2025 et que les personnels hospitaliers seront enfin payés à leur juste valeur.

Monsieur le secrétaire d’État, laquelle de ces trois solutions est la bonne ?

M. Vincent Thiébaut. Le réseau des CARSAT, ces organismes privés en charge d’un service public, a su faire preuve de son efficacité et a démontré sa capacité à gérer 90 % des retraites des Français. Vous comptez faire disparaître ce réseau dans sa forme actuelle : qu’en sera-t-il de ses actions en cours, notamment en matière de santé au travail ?

En outre, ce réseau présente l’avantage d’assurer une gouvernance de proximité véritablement paritaire qui répond à des spécificités territoriales. Permettez-moi de m’attarder particulièrement sur la CARSAT Alsace-Moselle : elle a été créée précisément parce qu’elle correspond aux spécificités des trois départements concernés par le droit local. En Alsace-Moselle, la direction du droit local et celle de la CARSAT ne font qu’une.

Pourquoi se priver d’un réseau qui fonctionne ? Pourquoi ne pas l’intégrer totalement à la gestion du système universel de retraite, sachant qu’il couvre déjà 90 % des besoins ?

M. Hervé Saulignac. Monsieur le secrétaire d’État, il y a quelques minutes vous nous avez indiqué que les 25 % de retraites les plus basses augmenteraient de 30 % et que les pensions les plus confortables ne bougeraient pas. À plusieurs reprises dans le débat, vous avez dit qu’il ne fallait pas toucher au niveau des pensions. Enfin, l’étude d’impact précise que le nombre de retraités augmentera considérablement.

Où prenez-vous l’argent pour réaliser un tel miracle ? Je ne comprends pas comment vous pouvez parvenir à un tel résultat, sauf à considérer qu’une catégorie intermédiaire de retraités servirait de variable d’ajustement, ce que je ne peux imaginer.

Mme Laurence Dumont. Je ne reviens pas sur le caractère absolument surréaliste de cette soirée, illustré par le décalage entre le discours du secrétaire d’État et des parlementaires de la majorité, et la colère qui gronde dans le pays contre ce projet de loi que les Français ont justement très bien compris. Je ne reviens pas non plus sur l’abaissement du Parlement, je n’en ai pas le temps.

J’aimerais, moi aussi, que vous me répondiez par oui ou par non, monsieur le secrétaire d’État : si l’âge d’équilibre est fixé à 65 ans, un ouvrier qui commencerait à travailler à 20 ans et qui cotiserait 43 ans pourrait-il perdre 10 % de sa pension, quand un cadre démarrant à 24 ans aurait droit à un bonus de 10 % en travaillant exactement la même durée ?

M. Brahim Hammouche. Le nouveau système universel de retraite a vocation à prendre en compte les interruptions de carrière pour cause médicale ou familiale. Dans le cadre de ce projet de loi, le revenu pris en compte pour l’attribution de points compensant ces interruptions est celui de l’année précédente. Que se passe-t-il si l’année précédente, la personne concernée est au chômage, que celui-ci soit indemnisé ou non ? La non-prise en compte des périodes de chômage non indemnisé avait été évoquée. Avez-vous évalué le nombre de personnes qui seraient concernées par ce cas de figure ?

M. Dominique Da Silva. Vous avez rappelé que les cotisations sur les hauts revenus – au-delà de 3 PASS – ne cesseraient pas en 2025, puisqu’une période de transition prévoit un lissage des assiettes et des taux pendant vingt ans. Or en 2045, des pensions de retraite dépassant 3 PASS continueront à être versées. Comment comptez-vous assurer une juste transition, qui ne serait pas à la charge de l’ensemble des assurés ?

M. Thierry Benoit. À ce stade de la discussion, nous avons le point retraite, permettant de déterminer le montant de la pension, et le point relatif à la notion de pénibilité, qui aide à déterminer l’âge de départ à la retraite dans le cadre des carrières longues. Ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, qu’il serait possible d’imaginer un troisième point, le point tutorat, pour les fins de carrière et les cessations progressives d’activité ? Ce point concernerait les personnes en fin de carrière qui consacrent du temps à former de jeunes travailleurs appelés à leur succéder. Un tel dispositif encouragerait l’apprentissage et l’alternance ; il serait particulièrement intéressant dans les métiers de main-d’œuvre, de l’artisanat et de l’industrie.

M. Julien Dive. Le montant de 1 000 euros est-il un plafond ou un plancher ? À la lecture de l’article 41, je comprends qu’un complément de points de retraite sera créé afin que ceux qui ont une carrière complète ou à taux plein puissent bénéficier d’une retraite de 1 000 euros. Dans l’article est utilisé le terme de « montant minimal » : pour moi, cela correspond à un montant plancher. Mais quand je lis les dispositions instaurées pour arriver au montant de 1 000 euros, je m’aperçois que ce montant est un plafond. Cela devient alors confus et flou, et comme chacun le sait : quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup.

Ce montant de 1 000 euros sera effectif à partir du 1er janvier 2022. Quid de ceux qui liquideront leurs droits entre l’adoption de la loi et cette date ? Y aura-t-il des dispositifs d’équité ?

M. le secrétaire dÉtat. S’agissant du texte dans lequel devrait figurer que la valeur du point ne peut pas baisser, j’entends la proposition d’Olivier Véran, auquel je n’ai pas répondu tout à l’heure. Il serait bon de vérifier, d’un point de vue juridique et constitutionnel, s’il serait possible de le préciser dans le projet de loi organique.

La question des régimes autonomes, abordée entre autres par M. Viry, est plus large que le seul régime des avocats auquel il a fait référence. J’ai assisté à plusieurs réunions multilatérales, ou plus techniques, avec des avocats. Comme pour l’ensemble des professions libérales, le montant des charges qu’ils ont à payer sera sécurisé ; leurs inquiétudes concernent en effet la viabilité économique de leur cabinet. L’assiette de la CSG évoluera à leur avantage de manière sensible – c’est vrai aussi pour les agriculteurs et les indépendants – et ce, dès 2022 pour répondre à M. Michels. Elle couvrira tout ou partie de l’augmentation de cotisation, selon les cas que nous avons pu documenter, à savoir 32 000 euros ou plus de 40 000 euros de revenu médian. Le but n’est pas d’augmenter les cotisations des uns pour payer les retraites des autres. Concernant les cas relatifs aux avocats que nous avons pu traiter et transmettre à leurs représentants, on constate une augmentation du montant de la pension comprise entre 10 % et 20 %. Il y a donc une progression relativement limitée des charges – il ne s’agit pas de remettre en question la viabilité économique des cabinets d’avocats, ni même de l’ensemble des professions libérales concernées – et une progression significative des pensions ; soyez rassurés. Je suis disposé à examiner avec vous quelques-uns des cas-types si vous le souhaitez.

S’agissant des régimes autonomes, au sens financier, et quelle que soit la profession, faire le pari de la démographie et de la viabilité à moyen et long termes, avant de déterminer s’il est nécessaire de se rapprocher d’un système universel, ne peut pas être le projet d’une société du vivre ensemble. Cela peut correspondre à des projets très sectoriels, mais pas à un projet collectif et dynamique. Le modèle pourrait être le même que celui qui a été retenu par les pilotes de ligne, bien qu’il ne s’agisse pas d’une profession libérale : créer une redistribution spécifique des plus hauts revenus vers les revenus les plus faibles, pour avoir un minimum de retraite plus important – cela figurait déjà dans le rapport Delevoye. Dès le 18 juillet 2019, nous avions indiqué que nous étions d’accord pour examiner cette possibilité. Il y a tout lieu de trouver des solutions avec les représentants des régimes autonomes. D’autres professions familières du droit, telles que les notaires, sont très au clair quant aux propositions faites.

Madame Fabre, vous m’interrogez sur le partage des droits à la retraite. Nous avons fait le choix du mariage pour la réversion. Nous savons pourtant, comme cela a été rappelé dans l’hémicycle lors des questions au Gouvernement, que de nombreux mariages se soldent par des divorces. La question des droits à la retraite à l’issue de ces divorces est en effet posée, notamment en matière de droits familiaux ou de réversion ; c’est l’objet du rapport demandé à M. Fragonard, attendu pour le 10 février prochain, soit avant l’examen du texte dans l’hémicycle. Serons-nous capables d’intégrer ces dispositions dans le « dur » de la loi, en fonction du contenu du rapport ? Bien sûr. Il alimentera la réflexion de tous les parlementaires.

Monsieur Bazin, vous posez la question des droits familiaux. Je souhaite traiter ce sujet sereinement : les majorations de pension servent à compenser le préjudice de carrière. À titre personnel, je pense avoir été un bon père, me libérant les mercredis pour m’occuper de mes filles, parce que je travaillais les samedis. Mais c’est bien leur mère qui a pris un congé parental à temps partiel et dont la progression de carrière a sans doute été ralentie, quelle que soit la qualité du management et des ressources humaines de son entreprise. Mon expérience est certainement semblable à celle de nombre d’entre vous. La majoration de pension est faite pour compenser le préjudice de carrière, que l’INSEE évalue à 5 % de la rémunération par enfant. La proposition du rapport Delevoye, que nous retrouvons dans le projet de loi, est la réponse à ce préjudice réel qui touche les femmes.

S’agissant de la situation d’un foyer comptant trois enfants, vous avez noté l’augmentation de 2 %, tout en soulignant qu’il n’y avait pas que des familles de trois enfants. Je ne suis pas sûr que les jeunes femmes, aujourd’hui, aient envie d’avoir trois ou quatre enfants ; c’est très bien si c’est le cas, je n’ai pas d’avis personnel sur ce point, mais les statistiques montrent que généralement, elles en ont deux. Le système actuel ne prévoit pas pour ces femmes de compensation du préjudice de carrière sur le niveau de leur pension. Elles bénéficient de majorations de durées d’assurance, dont 20 % ne sont pas utilisés, les carrières des femmes concernées étant complètes. De nos jours, les perspectives des jeunes femmes consistent à construire une carrière professionnelle ; le taux d’activité des femmes, qui continuera à progresser, est de 68 % quand celui des hommes est de 75 %. Elles occupent désormais une place active et professionnelle dans notre société. C’est pour cela qu’il y aura des points de solidarité, notamment dans les situations d’AVPF, ce qui correspond à des attentes évoquées précédemment. Nous devons trouver ensemble la façon de répondre à l’évolution de la société et compenser le préjudice de carrière pour les femmes. Les choix qui peuvent être faits par les uns et par les autres doivent être pris en compte dans le cadre d’une solidarité nationale.

M. Michels m’a interrogé au sujet des avancées prévues en 2022. J’ai parlé de l’assiette de la CSG : le nouveau calcul des charges aboutit à un gain très significatif pour les professions libérales et les indépendants. Le projet de loi rouvre la disposition du cumul emploi-retraite, notamment la possibilité de constituer des droits à partir de 2022 ; il a également élargi, en particulier aux cadres au forfait jours qui en étaient étonnamment exclus, la possibilité d’avoir une retraite progressive. Ce sujet de la retraite progressive est abordé par Olivier Dussopt et Agnès Buzyn dans le cadre d’échanges plus spécifiques à la fonction publique et à la fonction publique hospitalière. En France, ce sujet est peu développé et nous avons tendance à considérer les mesures d’âge de façon défensive : lorsqu’une entreprise est en difficulté, elle propose du travail à temps partiel ou des départs anticipés. Il serait préférable que nous en ayons une approche offensive et dynamique, consistant à construire une progressivité entre les périodes d’activité et les périodes de retraite, pour aboutir à une durabilité au travail.

Monsieur Juanico, comme Boris Vallaud, vous mettez en doute les calculs concernant les cas types qui figurent dans l’étude d’impact – je ne reprendrai pas vos termes, car je les juge excessifs. En réalité – et on peut le vérifier sur internet –, l’âge moyen d’entrée dans la vie active se situe autour de 22 ans. Or, la majorité précédente – et je le dis sans malice, car je crois qu’elle a agi de manière responsable – a décidé, dans le cadre de la « loi Touraine », que la référence collective en matière de durée d’activité devrait atteindre 43 ans en 2035. Les chiffres qui figurent dans l’étude d’impact correspondent simplement à la juxtaposition de ces deux éléments. Dès lors que le système futur doit entrer en vigueur en 2037, nous avons additionné 22 et 43.

Je comprends vos questions, mais cela ne préjuge en rien de l’âge d’équilibre. Celui‑ci, vous avez pu le constater, n’est pas inscrit dans le projet de loi, et pour cause : il sera proposé par la gouvernance. En tout état de cause, il nous paraît raisonnable qu’il soit cohérent avec l’âge moyen de départ à la retraite, qui est actuellement de 63,4 ans. Mais il existe une marge de manœuvre entre 63,4 ans et 65 ans. J’ajoute que cet âge d’équilibre sera dynamique, car il évoluera, et c’est logique, en fonction de l’espérance de vie. Au reste, j’ai cru comprendre que la majorité précédente avait bien prévu que la référence collective, qu’elle avait fixée à une durée d’activité de 43 années, continuerait également d’évoluer en fonction de l’espérance de vie. Elle était en cela fidèle à l’esprit et à la lettre de la loi de 2003, qui prévoit de maintenir un rapport constant d’un tiers-deux tiers entre la durée moyenne d’années passées à la retraite et la durée de cotisation. J’espère, monsieur Juanico, vous avoir convaincu de ma bonne foi et de l’intérêt de cette réforme – mais j’en doute.

Madame Dubié, j’ai évoqué la question des enfants en répondant à M. Bazin.

Madame Rabault, je ne dispose pas de statistiques précises me permettant de vous indiquer le nombre des agriculteurs qui seront en mesure de valider, en 2037, 50 heures au SMIC. Je ne suis pas Mme Irma et je n’ai pas connaissance du modèle économétrique qui me permettrait de vous répondre sur ce point. En revanche, je peux vous indiquer que tous ceux qui parviendront à se rémunérer à hauteur de 50 heures au SMIC par mois – même si, je le sais, les agriculteurs travaillent bien au-delà d’un temps plein – percevront, après 43 années d’activité, 85 % du SMIC. Je rappelle que cette règle s’appliquera également aux salariés précaires, notamment ceux qui sont concernés par le temps partiel subi.

Monsieur Thiébaut, nous ne souhaitons nous priver d’aucun réseau. Si des questions se posent au niveau des CARSAT, nous leur apporterons des éclaircissements. Mais je pense que les réseaux existants perdureront. Des évolutions seront sans doute nécessaires ; elles devront se faire dans la sérénité. Peut-être les sphères de responsabilité évolueront-elles. Cela peut inquiéter, je le comprends. Mais il est de notre responsabilité d’apaiser ces inquiétudes lors de la discussion du texte. En tout état de cause, ces réseaux doivent prendre en compte l’existence d’une caisse de retraite universelle qui aura une responsabilité propre.

Monsieur Girardin, madame Autain, le changement a, certes, quelque chose d’inquiétant, mais le modèle que nous proposons – et cela est démontré à la fois par l’étude d’impact et par les éléments statistiques – servira les plus modestes, les plus vulnérables. Or, je suis convaincu que ceux qui expriment des inquiétudes ont également à cœur que la solidarité s’exerce. Oui, je crois que la construction de ce socle durable et renouvelé de solidarité entre les générations est un élément de la justice sociale dans notre pays.

M. Brun a évoqué la question du simulateur. Il est vrai que nos concitoyens ont besoin d’être rassurés individuellement ; j’en perçois la nécessité dans les questions de la représentation nationale et dans les inquiétudes – excessives, me semble-t-il – que vous avez exprimées, madame Autain. La vision globale que nous défendons pour 2037 doit pouvoir susciter une large adhésion. Néanmoins, il nous faut pouvoir rassurer. À ce propos, je ne crois pas que les plus inquiets soient les plus jeunes. En tout cas, ceux que j’ai rencontrés dans ma circonscription, à Lille ou à Armentières, m’ont dit que, de toute façon, ils ne croyaient pas au système actuel. Ils attendent donc qu’on leur en propose un autre, et celui-ci a intérêt à être convaincant car ils sont exigeants.

En réalité, la question se pose surtout pour ceux qui dépendront en partie du système actuel et en partie du système universel. Mais nous avons besoin, pour leur répondre, de connaître les paramètres définitifs ; ce sera le cas lorsque vous aurez voté le texte. Je souhaite également que la conférence de financement puisse nous apporter ses derniers éclairages sur les ajustements à court terme et sur les perspectives de long terme. Muni de tous ces éléments, je l’ai dit en Conseil des ministres et je le répète bien volontiers devant vous, monsieur Brun – car votre analyse est fine sur ce point –, nous pourrons mettre à disposition de nos concitoyens les mécanismes de simulation individuelle qui les rassureront. Bien entendu, il est plus facile de réaliser une simulation pour une personne qui aura cotisé au régime de base et à l’AGIRC-ARRCO que pour celle qui aura cotisé à trois, quatre ou cinq régimes différents... Mais ces simulations sont indispensables pour que nos concitoyens aient confiance dans la réforme. Je précise, à ce propos, que nous avons d’ores et déjà publié récemment une trentaine de cas‑types supplémentaires et que nous en ajouterons de nouveaux dans les jours qui viennent. Plus ils seront nombreux, plus on se rapprochera des situations individuelles.

Monsieur Benoit, votre question sur les fins de carrière est intéressante, car elle est extrêmement concrète. Il est vrai que nos concitoyens ne comprennent pas très bien la différence entre les points de retraite et les points de pénibilité. De fait, il convient de faire la distinction entre ces deux types de points. Ainsi, la valeur des points de pénibilité n’est pas tout à fait la même que celle des points de retraite et leur rôle est différent : les premiers ne permettent pas de liquider une pension.

Mais, au fond, votre question a trait à un sujet d’innovation sociale : comment dynamiser le tutorat et la fin d’activité ? Ce sujet fait partie des thèmes que vous aborderez lors de la discussion du texte. Cependant, je vous réponds de façon très transparente, il me paraît techniquement difficile d’imaginer que le tutorat donne droit à des points de retraite : je crains que cela n’ajoute à la confusion que vous avez évoquée. Mais je ne veux pas pour autant renvoyer cette question aux discussions de branche. Dans mon entreprise, par exemple, le statut de tuteur était reconnu et valorisé par le versement d’une prime spécifique, mais il n’entrait pas dans un dispositif de fin de carrière. Cela dit, votre propos m’a interpellé. Votre contribution est sur la table.

J’ai sans doute oublié de répondre à un grand nombre de députés...

Monsieur de Courson, vous m’avez interrogé sur les fonctions publiques. Je comprends la lecture que vous faites de la réforme, car je connais vos qualifications en matière de cohérence budgétaire, mais il s’agit également d’une question de parcours professionnel. Ainsi, près des trois quarts des agents de la fonction publique territoriale appartiennent à la catégorie C. Ces agents ont des carrières plates, relativement linéaires, et perçoivent peu de primes. Or, le système par points leur sera très favorable ; ils y gagneront forcément. Puisque j’ai préparé notre échange avec le conseil consultatif des normes, je dispose d’un certain nombre de cas types que je peux partager avec vous, si vous le souhaitez. La situation des enseignants, quant à elle, est différente. L’effort qui sera consenti en faveur de ces derniers se chiffre à 0,3 ou 0,4 point de PIB.

Quant au Président de la République, il a toute sa place dans un système universel. C’est, du reste, non seulement l’esprit de la réforme et la volonté du Président, mais aussi, ai-je cru comprendre, la position qu’il entend défendre en matière d’exemplarité.

Mme Laurence Dumont. Vous n’avez pas répondu à ma question sur l’ouvrier qui commence à travailler à 20 ans...

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Il est inutile que vous reposiez votre question. M. le secrétaire d’État va vous répondre.

M. le secrétaire dÉtat. Madame Dumont, vous avez évoqué la question des carrières longues sous l’angle du statut – cadre ou non-cadre – du salarié, me semble-t-il. Les dispositifs de carrière longue seront maintenus dans le futur système.

Mme Valérie Rabault et Mme Laurence Dumont. Ce n’était pas la question !

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. S’il vous plaît !

Mme Valérie Rabault. Monsieur le secrétaire d’État, vous pouvez répondre aux questions que je vous ai posées par oui ou par non !

M. le secrétaire dÉtat. S’agissant des militaires, le Président de la République a été clair.

Mme Laurence Dumont. Ce n’est pas sérieux, madame la présidente !

M. le secrétaire dÉtat. Les militaires risquent leur vie pour défendre l’intégrité de la nation. Il me paraît donc tout à fait légitime de raisonner, en ce qui les concerne, en termes de durée d’activité et de jouissance immédiate. Du reste, les ministres concernés ont déjà rassuré les intéressés. Les militaires seront également, j’y insiste, dans le régime universel mais, compte tenu de leur engagement et de leur exposition au danger, leur durée d’activité est spécifique.

Monsieur Jumel, vous m’avez questionné sur la pénibilité. Les fameux critères posturaux, qui renvoient à la pénibilité physique de certaines tâches – je pense notamment au port répétitif de charges lourdes –, relèvent actuellement de la réparation. Ainsi, le salarié reconnu en incapacité partielle, à hauteur de 10 %, peut partir à 60 ans à taux plein, et ce sera encore le cas demain. Certes, il ne s’agit que d’une réparation, et elle se justifie. Elle est l’expression de la solidarité nationale, et c’est l’honneur de notre pays que de permettre le départ anticipé de ces salariés.

Je crois, pour ma part, compte tenu de la dynamique de points permise par le déplafonnement du C2P, que l’on doit pouvoir proposer à tous ceux qui ont des conditions de travail difficiles, notamment en raison du port répétitif de charges lourdes, une évolution du contenu de leur métier, une évolution professionnelle, tout en sécurisant la transition vers cette autre carrière. Cette construction d’un deuxième temps professionnel est, me semble-t-il, davantage attendue que le recours à la réparation. Pour ma part, je préfère la réorientation professionnelle. Il faut donc s’en donner les moyens et en donner les moyens à celles et ceux qui sont concernés.

Par ailleurs, il est vrai, monsieur Jumel, qu’il y a beaucoup à faire en matière de prévention. Le Fonds national de prévention, qui est actuellement doté d’une centaine de millions d’euros, pourrait sans doute être mieux utilisé. Cela pourrait relever des discussions de branche – je laisse Muriel Pénicaud avancer dans ces derniers jours de concertation. Je crois cependant que nous disposerons, dans ce domaine, de tous les éléments nécessaires avant la discussion en séance publique.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je vous remercie.

J’indique à ceux d’entre vous qui n’ont pas eu de réponse à leurs questions qu’ils auront d’autres occasions d’interroger M. le secrétaire d’État, car nos discussions vont durer longtemps.

La séance est levée à minuit cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite et le projet de loi organique relatif au système universel de retraite

Réunion du mardi 28 janvier à 21 heures

Présents. - Mme Clémentine Autain, M. Thibault Bazin, M. Thierry Benoit, Mme Aude Bono-Vandorme, Mme Brigitte Bourguignon, Mme Marine Brenier, M. Jean‑Jacques Bridey, M. Fabrice Brun, M. Gilles Carrez, M. Lionel Causse, M. Gérard Cherpion, M. Paul Christophe, Mme Christine Cloarec-Le Nabour, M. Yves Daniel, M. Dominique Da Silva, M. Pierre Dharréville, M. Julien Dive, M. Jean-Pierre Door, Mme Jeanine Dubié, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Nathalie Elimas, Mme Catherine Fabre, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Albane Gaillot, M. Éric Girardin, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Fabien Gouttefarde, Mme Carole Grandjean, Mme Florence Granjus, M. Brahim Hammouche, M. Sacha Houlié, M. Régis Juanico, M. Sébastien Jumel, Mme Fadila Khattabi, Mme Célia de Lavergne, Mme Marie Lebec, Mme Constance Le Grip, Mme Monique Limon, M. Jacques Maire, M. Emmanuel Maquet, M. Jacques Marilossian, M. Jean-Paul Mattei, M. Thierry Michels, M. Patrick Mignola, Mme Cendra Motin, Mme Zivka Park, M. Adrien Quatennens, Mme Valérie Rabault, M. Hervé Saulignac, M. Vincent Thiébaut, M. Nicolas Turquois, M. Boris Vallaud, M. Olivier Véran, M. Philippe Vigier, Mme Corinne Vignon, M. Stéphane Viry, M. Éric Woerth

Excusés. - Mme Danièle Hérin, M. Jean François Mbaye

Assistaient également à la réunion. - M. Damien Abad, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Anne-Laure Cattelot, M. Charles de Courson, Mme Laurence Dumont, Mme Caroline Fiat, Mme Monique Iborra, M. Gilles Lurton, Mme Christine Pires Beaune