Compte rendu

Commission spéciale
chargée d’examiner
le projet de loi instituant
un système universel de retraite et le projet de loi organique relatif au système universel de retraite

– Suite de l’examen du projet de loi instituant un système universel de retraite (n° 2623 rectifié) puis du projet de loi organique relatif au système universel de retraite (n° 2622) (M. Guillaume GOUFFIER-CHA, rapporteur général, MM. Nicolas TURQUOIS, Jacques MAIRE, Mmes Corinne VIGNON, Carole GRANDJEAN et M. Paul CHRISTOPHE, rapporteurs pour le projet de loi ordinaire, et M. Olivier VÉRAN, rapporteur pour le projet de loi organique)              2

– Présences en réunion.................................56

 

 

 

 

 

 

 

 


Jeudi
6 février 2020

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 14

session ordinaire de 2019-2020

Présidence de
Mme Brigitte Bourguignon, présidente


  1 

COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D’EXAMINER LE PROJET DE LOI INSTITUANT UN SYSTÈME UNIVERSEL DE RETRAITE ET LE PROJET DE LOI ORGANIQUE RELATIF AU SYSTÈME UNIVERSEL DE RETRAITE

Jeudi 6 février 2020

La séance est ouverte à quinze heures.

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La commission poursuit lexamen du projet de loi instituant un système universel de retraite ( 2623 rectifié) (M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général, MM. Nicolas Turquois, Jacques Maire, Mmes Corinne Vignon, Carole Grandjean et M. Paul Christophe, rapporteurs).

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi instituant un système universel de retraite. Nous avons examiné 1 527 amendements. Il en reste 18 911.

M. Pierre Dharréville. Je suis déjà intervenu sur question de la recevabilité des amendements et je remercie Éric Woerth d’avoir bien voulu me répondre, avec ses services, plus précisément sur les raisons de leur irrecevabilité. Par exemple, quand on veut amender le texte en touchant aux âges indiqués dans le projet de loi, on en est empêché. Lorsqu’il s’agit de proposer de porter la pension minimale de retraite à 85 % du montant mensuel, mesure qui a été annoncée par le Gouvernement mais qui ne figurait pas dans le projet de loi, l’amendement est accepté. Mais lorsque nous proposons que ce montant ne soit pas inférieur au SMIC, l’amendement est jugé irrecevable. Je ne comprends pas pour quel motif… Nous souhaiterions que toutes les propositions puissent être examinées.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je ne peux que vous répéter de vous adresser, pour plus de précisions, au président de la commission des finances.

Article 6 (suite) : Champ d’application du système universel de retraite

La commission examine les amendements identiques n° 4128 de Mme Caroline Fiat et n° 4138 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. Nous en sommes toujours aux modifications portant sur les retraites des fonctionnaires. Ce matin, j’ai évoqué le cas des aides-soignants, mais comme on m’a rappelé qu’il n’y avait pas que des soignants dans la fonction publique hospitalière, je prendrai cette fois-ci l’exemple de l’adjoint administratif, cette personne qui vous accueille gentiment et qui se fait beaucoup insulter parce que cela ne va jamais assez vite. Auparavant, le calcul de sa retraite se faisait sur la base des six derniers mois, soit environ 2 183 euros par mois. Dorénavant, ce sera une moyenne, soit 1 911 euros, ce qui représente une perte de 272 euros. Bien évidemment, on ne peut pas accepter qu’on puisse faire perdre 272 euros à un fonctionnaire qui a donné sa vie à l’hôpital public. C’est pourquoi nous proposons de supprimer l’alinéa 1er de l’article 6.

Mme Sabine Rubin. L’amendement n° 4138 est défendu.

M. Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier. Beaucoup d’entre nous se projettent dans le futur système de retraite. Or celui-ci est fait pour s’adapter aux réalités professionnelles d’aujourd’hui et de demain qui sont de moins en moins linéaires, de moins en moins sans à-coups. Certes, on pourra trouver le cas de personnes qui auront travaillé, de 22 à 65 ans, dans la même entreprise et qui auront connu une progression de salaire. Elles risquent en effet d’être touchés, mais il est rare qu’on soit agent d’accueil à l’hôpital public toute sa carrière. Aujourd’hui, les vrais perdants sont les polypensionnés, ceux qui ont des trous dans leur carrière, ou encore les femmes dans certaines circonstances. Je suis donc défavorable à exclure telle ou telle catégorie.

M. Gilles Carrez. L’unification à marche forcée entre le privé et le public me paraît vraiment relever de l’esprit de système. C’est même un dogmatisme qui va multiplier les difficultés et, derrière, les injustices.

Lors des réformes précédentes, comme l’a dit Éric Woerth, nous avons unifié les taux de cotisation dans le public et le privé, et les âges de départ à la retraite, mais nous ne l’avons pas fait sur les assiettes parce que les six derniers mois répondent à une logique totalement liée à la plupart des déroulements de carrière dans les trois fonctions publiques. On a beaucoup parlé des fonctionnaires enseignants et enseignants-chercheurs, pour lesquels d’ailleurs est prévue une loi de programmation pluriannuelle, mais le même problème se pose pour les personnels de catégorie C qui représentent l’essentiel des fonctionnaires de la fonction publique territoriale, auxquels on donne souvent – tous les maires le savent – le coup de chapeau avant la retraite, ce qui permet un avancement pour avoir une retraite décente. Ce matin, Mme Fiat a évoqué à juste titre le cas des aides-soignantes. Il va falloir compenser tout cela, à coup de lois de programmation.

Mais il nous manque une donnée, monsieur le secrétaire d’État. Ce matin, on vous a demandé comment sera financé le manque à gagner de CSG, et ces augmentations indispensables de rémunérations dans nos différentes fonctions publiques.

Pour trouver une solution sur la caisse indépendante des avocats, il serait envisagé par la garde des sceaux d’augmenter le montant de l’aide juridictionnelle. Tout cela conduira à des milliards de dépenses publiques supplémentaires, mais nous n’avons pas de chiffrage. Monsieur le secrétaire d’État, existe-t-il un tableau de financement pluriannuel sur les coûts budgétaires de cette réforme dans un pays dont la dette publique a dépassé les 100 % du PIB ?

M. Thibault Bazin. C’est une question de responsabilité !

M. Pierre Dharréville. La première partie de l’intervention de Gilles Carrez correspond à un problème que vous ne traitez pas et sur lequel je concentrerai mon propos : le traitement des fonctionnaires.

Ce matin, Henri Sterdyniak s’est exprimé dans nos murs, avec d’autres économistes, dans le cadre de la semaine de contrôle à l’Assemblée nationale, en présence de Mme Agnès Pannier-Runacher, et il a publié hier une tribune dans Le Monde, dont je vous livre la conclusion : « Il faut donc choisir entre deux hypothèses : soit le Gouvernement envisage effectivement une forte paupérisation des fonctionnaires, la baisse relative de leurs salaires entraînant automatiquement une baisse de leurs retraites ; soit l’étude ne l’a envisagée que comme un stratagème pour masquer la forte baisse du taux de remplacement. Est-il acceptable qu’un gouvernement présente ainsi des données fallacieuses dans un document destiné à éclairer le débat public et le vote des parlementaires ? » Il critique fortement les hypothèses que vous avez utilisées pour présenter l’impact de votre projet de loi. Avez-vous des réponses à apporter à cet éminent économiste et à nous par la même occasion ?

M. Boris Vallaud. Ma question ira dans le sens de celle de Pierre Dharréville.

Dans chacune de vos hypothèses, vous avez bidonné les projections, c’est-à-dire que vous appliquez la loi de 2014 au-delà de ce qu’elle prévoit, vous prévoyez un rendement constant de 5,5 % dans le futur système qui n’est pas garanti par la loi, et vous ne prévoyez des gains de pouvoir d’achat que par une augmentation de la part des primes. Ce faisant, cela vous permet de comparer un régime imaginaire qui se dégraderait où, en effet, les primes n’étant pas prises en compte dans le calcul de la retraite, les pensions ne sont pas très hautes, avec un système futur où tous les curseurs seraient au vert. Quel crédit peut-on donner à vos hypothèses, dans ces conditions? Elles sont démontées méthodiquement les unes après les autres. N’avez-vous pas l’impression de tromper la représentation nationale et les Français?

La commission rejette ces amendements.

Puis elle est saisie des amendements identiques n° 4145 de Mme Caroline Fiat et  4155 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. On ne cesse de parler des problèmes rencontrés pour recruter des personnels dans nos hôpitaux. Si on ne leur permet pas d’avoir une retraite décente, je crains qu’on ne vide ces établissements. C’est pourquoi nous proposons de supprimer l’alinéa 2 de l’article 6.

Mme Sabine Rubin. Ce projet de loi a le mérite de mettre en évidence la faible rémunération des fonctionnaires, et notamment des enseignants dont la rémunération est inférieure de 22 % à celle de leurs homologues des pays de l’OCDE. Je sais que le Gouvernement a l’intention de revaloriser ces rémunérations, mais cette revalorisation est très incertaine.

Par ailleurs, on profite de la nécessité de revaloriser le traitement des enseignants pour faire une loi de programmation qui modifiera complètement leurs missions. Comme je n’ai qu’une minute pour m’exprimer, je donnerai ultérieurement des chiffres précis concernant les enseignants. Si vous voulez créer une catégorie de futurs pauvres, vous ne pouvez pas mieux vous y prendre.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Rassurez-vous, madame Rubin : vous n’avez qu’une minute, mais des milliers de fois…

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Sortir les fonctionnaires d’un régime universel est un non-sens absolu.

À l’instant, on a évoqué la rémunération des enseignants, et tout à l’heure le manque de rentabilité de l’agriculture ou encore l’aide juridictionnelle. On découvre avec gravité l’ensemble des sujets qui n’ont pas ou qui ont mal été traités depuis des années. On ne peut pas régler tous ces problèmes d’un coup de baguette magique. Il est normal que les avocats qui rencontrent Mme la garde des sceaux évoquent la retraite mais aussi les autres sujets qui les concernent, comme l’aide juridictionnelle. Et quand on voit les montants que touchent les avocats dans le cadre de l’aide juridictionnelle, on s’aperçoit que cela ne fait pas cher de l’heure. De même, on constate qu’il y a un écart substantiel entre les traitements des enseignants français et allemands. Chaque ministre concerné se penche sur la trajectoire à suivre en fonction des ressources propres de son ministère et des objectifs liés à la retraite. Tous ces sujets sont pris à bras-le-corps, mais demandent du temps.

Je suis défavorable à la suppression de l’alinéa 2.

M. Stéphane Viry. Le sujet est sensible et le Conseil d’État a bien mentionné le risque d’inconstitutionnalité d’un certain nombre de dispositions législatives.

Je rejoins les propos de Gilles Carrez. Même si nous sommes favorables à un universalisme, celui-ci doit être éclairé. Les métiers de la fonction publique ne sont pas, par nature, similaires à ceux du privé, puisqu’il s’agit de remplir des missions d’intérêt général et de service public. Notre dispositif qui prévoit pour les métiers de la fonction publique des régimes différents répond à ce qu’on attend des hommes et des femmes qui sont au service de l’intérêt général.

Monsieur le rapporteur, j’entends qu’il faut globalement vous faire confiance en laissant chaque ministre trouver, dans son domaine de compétences, la solution adaptée pour que tout s’emboîte bien. Je considère quant à moi qu’il y a une forme de rupture par rapport à ce qu’on attend et demande à un fonctionnaire, et surtout un risque d’embolie dans les trois fonctions publiques. C’est la raison pour laquelle j’ai beaucoup de doutes quant à l’universalisme que vous voulez mettre en œuvre à tous crins dans l’article 6.

M. Pierre Dharréville. Je reprends à mon compte les propos qui viennent d’être tenus par notre collègue Stéphane Viry.

À la page 149 de l’étude d’impact – au moins peut-on considérer que les chiffres qui indiquent les pages, eux, ne sont pas truqués – on peut lire ceci : « Les taux de remplacement, soit la différence entre le dernier revenu d’activité et la retraite, des agents publics sont équivalents à ceux des salariés malgré ses règles différentes », autrement dit il y a deux systèmes de calcul qui aboutissent à un taux de remplacement à peu près identique. Quant à Henri Sterdyniak, il indique que le traitement de fin de carrière d’un fonctionnaire représente actuellement 123 % de son salaire moyen de carrière et que, dans le nouveau système, le taux de remplacement à 65 ans, après 42 années de carrière, serait sur le salaire moyen de 58,47 %. Je souhaiterais avoir des précisions sur les effets de cette réforme.

M. Boris Vallaud. Hier, je n’ai pas obtenu de réponse très claire sur l’augmentation de 0,23 % de la part des primes pour les enseignants. D’où vient cette hypothèse ? Pour quelles raisons l’avez-vous retenue ? Vous paraît-elle réaliste ? Avec cette hypothèse, quelle serait, dans le cadre du système actuel, le taux de remplacement moyen des salariés du privé et des fonctionnaires en 2050, 2060 et 2070 ? Est-ce cette hypothèse qui explique, dans votre étude d’impact, un résultat assez surprenant ? Dans le système actuel, le niveau de pension des fonctionnaires, enseignants et non enseignants, stagne jusqu’à la génération 2000, voire diminue – c’est le graphique 52 – et il augmente de plus de 10 % pour l’ensemble des retraités – c’est le graphique 66. Comme vous, je me réfère à votre étude d’impact.

Mme Cendra Motin. Nous sommes parfaitement conscients que, depuis 30 ans, peu de choses ont été faites pour certains salaires dans la fonction publique. C’est notamment le cas pour les enseignants, et dans la fonction publique hospitalière où nous essayons de rendre plus attractives les rémunérations.

Je rappelle en outre que le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale a validé ce projet de loi.

Par ailleurs, je souhaite revenir sur les calculs atterrants de cet économiste attéré dont vous ne cessez de parler. Il oublie que le fait que le point augmente avec les salaires, et non avec l’inflation, permet de garantir ce fameux taux de remplacement.

Enfin, bien sûr les fonctionnaires portent l’intérêt général, mais ils ne sont pas les seuls : il en va de même pour un médecin qui prête le serment d’Hippocrate, ou pour une infirmière. Pourquoi leur régime de retraite serait-il différent ? Ce qui compte avant tout pour nous, ce n’est pas le statut mais le service rendu à la nation.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Je pense que la discussion a été assez nourrie sur la question des enseignants qui a fait l’objet d’un amendement du rapporteur général. Frédérique Vidal et Jean-Michel Blanquer ont pris l’engagement irrévocable de revoir le contrat qui lie la nation et les enseignants et enseignants-chercheurs. La lecture du Gouvernement est très simple : il s’agit d’un investissement – 0,3 ou 0,4 % de PIB – qui permettra de reconstruire ce contrat social avec les enseignants et les chercheurs.

Je n’ai pas forcément la même lecture pour le reste de la fonction publique. Ce matin, on a appelé mon attention sur ceux qui bénéficient de peu de primes, notamment les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM). Il y a un an, Pierre Dharréville a eu la gentillesse de m’inviter à la fête de l’Humanité où j’ai assisté, avec Stéphane Viry et Boris Vallaud, à un débat au cours duquel nous avons évoqué le fait que les taux de remplacement des fonctionnaires et ceux des salariés du privé étaient relativement proches. Le sujet n’est donc pas tant le taux de remplacement que les règles qui s’appliquent. La page 215 de l’étude d’impact montre que les taux de remplacement des ATSEM sont très proches de 62 ans à 65 ans, et très favorables au-delà de 65 ans. Il ne s’agit pas de dire ici que tout le monde travaillera jusqu’à 65 ans, et que ce n’est pas parce qu’on est fonctionnaire qu’on ne travaille pas 42 ans. Certes, les fonctionnaires ont un système spécifique de calcul de la retraite, mais j’ai expliqué quelles en étaient les limites, notamment le rôle du point d’indice et le fait que les primes ne sont pas intégrées. L’étude d’impact montre bien la dynamique du système universel de retraite qui d’ailleurs sera très favorable en matière de redistribution à tous les fonctionnaires de catégorie C qui n’ont pas de primes, comme les ATSEM. Je vous renvoie au rapport de Yannick Moreau, très éclairant à cet égard.

Appliquer les mêmes règles à tout le monde n’implique pas que certains seront perdants. Tout cela va se construire dans le temps. Les exemples sont rassurants, notamment pour ceux qui ont les carrières les plus plates et une évolution salariale malheureusement relativement faible.

La commission rejette ces amendements.

Elle étudie ensuite les amendements identiques n° 4162 de Mme Caroline Fiat et  4172 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. Les médecins ont beau avoir tous prêté le serment d’Hippocrate, le salaire d’un médecin dans le privé n’est pas le même que celui d’un médecin dans le public. C’est peut-être pour cela que les médecins qui exercent dans le public ont droit à quelques petites compensations lorsqu’ils partent à la retraite.

Mme Sabine Rubin. J’ai bien entendu que le cas des professeurs et des chercheurs posait problème. D’ailleurs, si les collectivités territoriales ont validé la réforme, ce n’est pas le cas des enseignants qui sont en ce moment même dans la rue.

J’ai bien compris également que le ministre de l’éducation nationale allait se saisir du problème au travers d’une loi de programmation, et en profiter pour modifier complètement les missions des enseignants, ce qui les inquiète.

Selon votre étude d’impact, le pouvoir d’achat d’un professeur certifié à un échelon donné n’augmenterait que de 0,2 % par an, dû entièrement aux primes, ce qui implique que le salaire d’un professeur certifié à 10 ans de carrière passerait de 165 fois à 0,97 fois du SMIC…

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Madame Rubin, je vous rappelle les règles que nous avons fixées depuis hier, même si elles déplaisent à certains qui nous regardent : chaque orateur dispose d’une minute pour présenter un amendement identique, quel que soit le groupe auquel il appartient.

Je déteste couper le micro. Même si je suis accusée, par vos supporters, de me comporter comme un censeur, sachez que je sais faire respecter cette règle pour tout le monde.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je voudrais répondre à M. Vallaud qui nous interroge régulièrement sur les taux de remplacement en 2050, en 2060, en 2070... C’est un exercice de prévision qui part d’hypothèses. C’est la limite de l’exercice. Avec la révolution numérique, par exemple, qui sait si les métiers d’aujourd’hui existeront encore dans cinq ans ? S’agissant des avocats, par exemple, bon nombre d’articles évoquent qu’une partie du conseil juridique pourrait être automatisée, parce qu’il existe déjà des plateformes qui répondent aux questions posées très fréquement. L’enjeu de la réforme est de mutualiser. Il faut prévoir un cadre suffisamment souple pour prévoir les évolutions professionnelles. Sur les paramètres, on ne peut donc avoir que des tendances, des projections qui devront être affinées par les différents ministères chargés de ces métiers, et il convient de relativiser la précision des prévisions, ne serait-ce qu’à sept ou huit ans, ce qui est déjà extrêmement compliqué.

Défavorable.

Mme Marie-Christine Dalloz. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez en effet identifié le problème des enseignants, comme on l’a vu lors de l’examen des alinéas 14 et 15 de l’article 1er. La mesure sera inscrite dans une loi de programmation – on parle de 0,3 à 0,4 % du PIB, coût difficile à chiffrer. Mais la loi de programmation militaire, par exemple, peut évoluer chaque année. Ce n’est pas parce que vous aurez pris un engagement lors de l’examen du texte dans l’hémicycle, qu’il n’y aura pas ensuite de variations sur la rémunération des enseignants

Par ailleurs, je vous rappelle que les agents des catégories C ne touchent quasiment pas de primes. Ce qui m’atterre, c’est que vos taux de remplacement sont très variables en fonction des professions et des catégories de fonctionnaires. Vous remplacez un régime dans lequel on savait à peu près quel était le taux de conversion, par des régimes spécifiques en fonction des professions : 60 % à 64 ans pour l’agent technique territorial, 53 % pour le rédacteur territorial, et 59 % à 64 ans pour les ATSEM. Qu’est-ce que c’est que cette vision universelle à l’entrée et spécifique à la sortie ?

M. Pierre Dharréville. Le pouvoir d’achat des agents de la fonction publique a diminué de 15 % depuis 2000, ce qui a eu un impact à peu près identique sur les retraites des agents. Nous craignons que cela se poursuive et crée des inégalités.

Monsieur le rapporteur, alors que vous avez fait adopter, au début du texte, un objectif de lisibilité des droits, vous dites maintenant ne pouvoir vous engager que sur des tendances, des trajectoires. Comme Boris Vallaud, je demande que vous précisiez les taux de remplacement par catégorie, génération par génération.

Mme Caroline Fiat. Madame la présidente, vous dites que nos supporters vous auraient accusée d’être un censeur. Sachez qu’on ne choisit pas forcément ses supporters. Pour faire partie depuis deux ans et demi de cette commission, je sais que l’on peut y prendre la parole. Le bureau a décidé, bien malgré nous, que l’on ne pourrait disposer que d’une minute pour défendre un amendement – nous aurions préféré deux minutes. Ce n’est pas vous qui avez fait ce choix. Je tiens à vous dire que je suis assez choquée que l’on puisse vous insulter de la sorte.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je vous remercie beaucoup.

M. Boris Vallaud. Madame la présidente, moi non plus je ne suis pas d’accord.

Monsieur le rapporteur, plus on avance, plus vous nous expliquez qu’en fait on est dans une loi de programmation, avec les principes d’action de l’État. Vous vous êtes trompé de loi : ce n’est pas une loi ordinaire qu’il fallait faire.

Tout ce que vous nous demandez de voter n’est pas normatif et n’a donc pas sa place dans ce texte. Ce n’est pas nous qui avons présenté des cas d’espèce qui trouvent leur aboutissement dans 50 ou 60 ans ! Êtes-vous en train de nous dire que tout est bidon ? Vous dites essayer de nous apporter des éclairages, mais ce sont des éclairages basse tension, c’est vraiment très tamisé. En réalité, vous n’êtes pas prêt, et vous en faites la démonstration dans chacune de vos réponses. Je ne vous en veux pas de naviguer à vue, mais je vous demande simplement de le reconnaître.

La commission rejette ces amendements.

Puis elle en vient aux amendements identiques n° 4179 de Mme Caroline Fiat et n° 4189 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. Mon amendement est défendu.

Mme Sabine Rubin. Je profite de mon temps de parole d’une minute pour finaliser mon explication précédente.

Je prends l’exemple d’un professeur, né en 2003, qui prendrait sa retraite à 65 ans
– c’est déjà très courageux – en 2068, autrement dit dans 48 ans. Selon votre étude d’impact, ce professeur toucherait une pension de 2 990 euros avec l’actuel système prolongé et de 2 921 euros avec le système à points. Bien sûr, vous me direz que l’écart n’est pas grand, mais si on l’exprime par rapport au salaire moyen de l’économie, la baisse atteint 46 %. Si ce professeur partait à la retraite à l’âge de 67 ans – là, je lui souhaite bon courage –, sa pension atteindrait 3 460 euros. Cette somme représenterait cependant une baisse de 36 euros par rapport au salaire moyen, et encore si l’âge pivot ne change pas. Tout cela figure dans votre étude d’impact, qui montre bien une baisse très importante pour les enseignants. On ne voit pas comment, budgétairement, vous pourrez répondre à cette baisse.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Madame Rubin, par définition ce fonctionnaire, né en 2003, n’existe pas. Il a 17 ans aujourd’hui et, comme tous les jeunes de cet âge, il ne sait pas ce qu’il fera plus tard et il se pose beaucoup de questions. C’est le cas de mes enfants. Ils ont peur de s’engager dans une voie qui les contraindra toute leur vie. Statistiquement, un de mes enfants – mais je ne lui souhaite pas – devra refaire sa vie au cours de son existence. Comment faire des projections à trente ans pour des personnes qui seront amenées à changer de métier, de vie personnelle ? Les hypothèses doivent être prises comme des tendances. Vous confondez prévisibilité et lisibilité. La lisibilité, c’est savoir à tout moment quels sont ses droits sur son compte, ce qui permet de commencer à estimer quelle sera sa retraite. La prévisibilité, c’est tenir compte de son évolution de carrière, de l’inflation et de la progression du salaire dans la catégorie où on se situe.

Vous prenez le cas de carrières très linéaires, comme on a pu en connaître après‑guerre. Mais ce n’est plus la réalité aujourd’hui. Ne surestimons pas la précision d’une prévision de quelqu’un qui est né en 2003.

Défavorable.

M. Éric Woerth. Comment pouvez-vous rendre plus lisible la situation des uns et des autres alors que la réforme est totalement illisible ? Ce n’est pas moi qui le dis, mais l’opinion publique. Personne ne parvient à l’expliquer ! Il est assez compliqué de considérer que ce sera plus simple pour chacun dans 30 ans, ce qui aurait été le cas avec une réforme nettement moins polémique et qui aurait donné des résultats peut-être plus efficaces sur le plan financier. L’illisibilité est la marque de fabrique de cette réforme. Vous essayez de tout mettre dans le même sac, et cela vous conduit à tordre la réalité des professions.

Mme Monique Limon. C’est bien parce que cette réforme de retraites est importante et complexe que nous posons aujourd’hui le cadre ; les détails seront examinés au fur et à mesure. En tout état de cause, l’instauration du système universel de retraite ne conduira pas à une baisse des pensions moyennes des fonctionnaires, mais permettra leur maintien.

Les fonctionnaires polypensionnés sont surreprésentés dans la fonction publique. En 2012, seuls 50 %, 17 % et 35 % des affiliés respectivement de la fonction publique d’État, de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière touchaient une pension d’un seul régime de base. La filiation au système universel aura des effets positifs pour les générations des plus jeunes fonctionnaires et l’intégration des primes dans le calcul permettra l’acquisition de droits plus importants tout au long de la carrière. Oui, tout n’est pas complètement calé aujourd’hui, mais chacun travaille pour y parvenir. Pour autant, cela ne nous empêche pas de voter le cadre général et d’apporter des compléments au fur et à mesure.

La commission rejette ces amendements.

Puis elle examine l’amendement n° 21670 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. La pension militaire n’est pas assimilable à une retraite, ce que dénie l’alinéa 4 de l’article 6.

En effet, comme le rappelle le Conseil supérieur de la fonction militaire : « La pension contribue au dispositif de gestion des ressources humaines, manifeste une reconnaissance de la Nation pour l’engagement du militaire pouvant aller jusqu’à son sacrifice suprême et représente une rémunération différée en compensation de sujétions exorbitantes du droit commun. »

Pour que ce texte soit plus en adéquation avec l’attente des militaires et une meilleure reconnaissance de leur singularité militaire, le chef d’état-major considère que « La préserver est absolument central ». Cet amendement vous propose donc de remplacer le terme « retraite » par « pension ».

J’ajouterai que même le président Macron a déclaré, le 21 décembre en Côte d’Ivoire, aux côtés des troupes françaises : « Quand on est militaire on ne touche pas la retraite, on a une pension. C’est différent. »

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Votre amendement, comme beaucoup d’autres à l’article 37, vise à remplacer le terme de « retraite » par celui de « pension », afin de rappeler que cette retraite n’est pas qu’une simple pension de vieillesse, mais aussi un moyen de maintenir la jeunesse des forces armées, grâce à des départs anticipés. Cependant, le terme de « pension » n’apporte aucune garantie supplémentaire par rapport à l’ajout réalisé sur la recommandation du Conseil d’État à l’article 37, rappelant que les règles dérogatoires en matière de retraite des militaires font partie intégrante de leur condition. Avis défavorable.

S’agissant des conséquences financières de notre réforme, sur lesquelles j’ai été interpellé à plusieurs reprises, monsieur Woerth, vous avez été le ministre du budget d’un gouvernement qui, de 2008 à 2012, a fait passer l’endettement de la France de 65 % du PIB à 90 % ! Certes, les conditions économiques étaient exceptionnelles, mais cela devrait vous inciter à relativiser, car nous payons aujourd’hui le prix d’un endettement massif.

M. Fabien Gouttefarde. Contrairement à ce que l’on entend trop souvent, les militaires seront pleinement intégrés au système universel de retraite. Conformément aux engagements du Président de la République et du Gouvernement, les spécificités de la carrière militaire y seront intégrées, notamment pour conserver une armée jeune. Les militaires garderont la possibilité de bénéficier d’une retraite à jouissance immédiate et pourront cumuler une pension de retraite et un salaire, tout en continuant à engranger des points. Ce système universel est donc particulièrement bien adapté à la spécificité de la carrière militaire.

M. Éric Woerth. La situation de 2008 ou de 2009 n’avait pas grand‑chose à voir avec le climat économique paisible que nous connaissons, par définition plus propice aux réformes. S’agissant des retraites, la prévision de déficit s’élevait à 45 milliards. Nous l’avons réduit à quasiment rien ; puis il est reparti, comme nous l’avions dit, avant de baisser de nouveau. Il n’y a donc aucune surprise. Nous sommes légitimes pour évoquer les questions de financement, parce que nous avons rétabli les finances d’un système. Ce n’est pas normal que vous ne puissiez répondre à aucune question sur le financement. Votre réforme est aussi contestable dans son approche organisationnelle que dans son absence d’approche financière.

Mme Valérie Rabault. Pour avoir été rapporteure générale sous le précédent quinquennat, je suis toujours très surprise, monsieur le rapporteur, d’entendre de votre part que ce n’est pas grave de ne pas avoir les arbitrages budgétaires et financiers.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je n’ai pas dit ça !

Mme Valérie Rabault. Même si je comprends que tout ne soit pas arrêté, nous parlons des grandes masses ! Ce matin, je vous ai posé la question sur 43 milliards d’euros ! Dans l’hémicycle, il nous arrive parfois de débattre pendant deux heures d’un amendement à 20 000 ou 200 000 euros, alors qu’aujourd’hui, vous vous asseyez tranquillement sur 43 milliards.

J’ai lu très attentivement l’avis rendu par le Conseil supérieur de la fonction militaire. Ces trois pages, très détaillées, posent des questions précises. Si vous pouviez nous donner les réponses à toutes ces questions, cela nous rassurerait… En l’espèce, le Conseil dit ne pas pouvoir, en ce qui concerne la condition militaire, émettre un avis favorable. C’est une première, monsieur le rapporteur, que vous devez entendre !

La commission rejette ces amendements.

Elle examine les amendements identiques n° 4196 de Mme Caroline Fiat et n° 4206 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. L’amendement vise à supprimer l’alinéa 5. Monsieur le rapporteur, vous disiez tout à l’heure que l’exemple de ma collègue n’était pas recevable, parce que les enfants de 2003 n’existaient pas. Mais si ! Ils sont bien nés ! Monsieur le secrétaire d’État, je passe mon temps sur votre site et son simulateur de parcours types. Mais les parcours ne sont pas bons – et j’ai le sentiment que le rapporteur partage mon avis ! La copie est à revoir !

Mme Sabine Rubin. Monsieur le rapporteur, je viens d’entendre une nouvelle subtilité : à défaut d’être lisible, votre loi est prévisible. Vu la politique que vous menez en matière d’écologie, je ne sais pas trop si l’on peut prévoir ce qui se passera dans quarante‑sept ans…

M. Blanquer serait par ailleurs très heureux d’apprendre la manière dont vous faites la promotion de sa volonté de revaloriser les métiers de l’enseignement : vous ne souhaitez pas que vos enfants choisissent une voie qui les contraignent toute leur vie ! Je ne savais pas que le métier d’enseignant représentait une telle contrainte ! Étant donné la valorisation et le futur que vous prévoyez, ce sera peut‑être, en effet, plus une contrainte qu’autre chose. L’enseignement, ce sont des métiers de passion qui n’ont pas vocation à être flexibles.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Avis défavorable sur les deux amendements.

Monsieur Bazin, l’avis du Conseil supérieur de la fonction militaire a été rendu avant celui du Conseil d’État. À la suite des remarques du Conseil d’État, l’alinéa 39 a été introduit à l’article 37 du projet de loi : « Art. L. 4111-1-1. – Les dispositions du chapitre IV du titre II du livre VII du code de la sécurité sociale relatives à l’application aux militaires du système universel de retraite concourent aux objectifs de la défense et permettent d’adapter à ces objectifs la structure des forces armées. Elles constituent une composante de la condition militaire. »

M. Thibault Bazin. Cet ajout est en effet pertinent. Mais ma question était sémantique. Il vaut mieux parler de pensions, pour les militaires, parce qu’elles peuvent être à jouissance immédiate. Tout l’intérêt du système actuel pour eux est dans la possibilité de  cumuler leur pension avec un salaire. Conserver le terme de « pension » permettrait de maintenir, de manière claire, cette particularité.

La commission rejette ces amendements.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements identiques n° 4213 de Mme Caroline Fiat et n° 4223 de Mme Sabine Rubin, ainsi que les amendements identiques n° 4230 de Mme Caroline Fiat et n° 4240 de Mme Sabine Rubin.

La commission examine l’amendement n° 21750 de M. Boris Vallaud.

M. Hervé Saulignac. Nous connaissons aujourd’hui très bien le mécanisme régissant les pensions des fonctionnaires : le principe des 75 % du traitement indiciaire des six derniers mois, sachant que le traitement de fin de carrière d’un fonctionnaire représente 123 % du salaire moyen. Nous aimerions que votre nouveau système soit aussi clair. Or il me semble qu’il exige soit un sacrifice des pensions des fonctionnaires, soit une explosion massive du budget de l’État, soit un mélange des deux. Quel choix faites‑vous ? Selon nos calculs, les conséquences de la réforme se chiffreraient à plus de 50 milliards d’euros par an. Vous ne pouvez pas vous contenter de dire que vous fixez un cadre et que tout y reste à définir.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Votre amendement supprime certaines catégories de fonctionnaires… Ce type d’amendement atteint vraiment ses limites avec de tels exemples. Nous avons parfois des débats intéressants sur des sujets de fond, mais demander la suppression du texte, alinéa par alinéa, est un non‑sens absolu !

Vous nous expliquez, d’un côté, que les retraites vont s’écrouler et, de l’autre, que les dépenses de l’État vont augmenter de 50 milliards. Quel tour de passe‑passe ! Actuellement, l’État ne cotise pas, en quelque sorte, à un régime de retraite pour les fonctionnaires, puisqu’il est son propre régime de retraite et qu’il paie les pensions au fil de l’eau. Si l’on définit un taux de cotisation théorique calculé d’après le rapport de la somme versée pour les pensions des fonctionnaires et du nombre de fonctionnaires, il sera très élevé
– de l’ordre de 70 % suivant les catégories. Mais c’est purement théorique. L’État ne met pas d’argent dans un système de retraite qu’il toucherait de nouveau ensuite. Avec le taux de cotisation unique à 28 %, c’est sur le papier comme si l’État allait faire un gain magique. Mais il s’est engagé à financer les retraites déjà liquidées, à abonder cette même somme aux régimes de retraite universelle pour assumer les pensions. Il s’agit simplement d’une différence d’écriture, mais le montant est garanti, bien sûr. Il n’y aura pas, en 2025, une augmentation ou une baisse subite des cotisations.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Comme vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, et quitte à me répéter, l’État assure actuellement ses propres retraites ; demain, il contribuera, comme les autres employeurs, à hauteur du taux de cotisation unique. Les normalisations d’assiette et de taux représenteront un coût de 45,7 milliards d’euros pour l’État, comme vous pouvez le lire à la page 143 de l’étude d’impact. Au moment de la bascule, l’État assurera mécaniquement l’ensemble de ses engagements ; par la suite, sa contribution évoluera selon la nature et la dynamique des dépenses qu’elle vise à couvrir. Soyez sereins sur ce sujet. Les principes retenus pour l’évolution de la contribution de l’État seront d’ailleurs présentés à la conférence sur l’équilibre et de financement des retraites. Nous sommes parfaitement transparents. L’État garantit évidemment les pensions de retraite et les droits qui ont été acquis.

M. Éric Woerth. L’État continuera de mettre pas mal d’argent dans le nouveau système. Il compensera certains points, comme la diminution de la CSG. Un jour, tout sera financé par la TVA, ce qui sera plus simple, même si je doute que ce soit le meilleur système... Ma question portait sur la trajectoire du financement de l’État. Évidemment qu’il continuera à verser une subvention d’équilibre aux régimes des retraites pour contrebalancer le déséquilibre démographique du régime de la fonction publique. Mais une fois qu’il sera universel, cette subvention aura vocation à demeurer pendant une période de transition. Comment la contribution de l’État pour ses fonctionnaires va‑t‑elle évoluer, d’autant qu’il aura à payer le surcroît de cotisations sur les primes, qui seront intégrées au régime de retraite ? Quel sera le bilan global pour l’État dans cinq ans et dans quinze ans ?

M. Boris Vallaud. J’ai bien compris la baisse de cotisations et la compensation par l’État, mais qu’en est‑il des employeurs publics que sont les collectivités locales et les hôpitaux publics ? Si j’en crois le tableau 20 de l’étude d’impact, ils auraient, du fait de la baisse de leurs cotisations, un gain de 5,5 milliards d’euros. Où passe cet argent ?

Par ailleurs, s’agissant de la trajectoire des augmentations salariales, où en êtes‑vous dans les discussions avec les partenaires sociaux, notamment sur la question des contreparties ? Combien cela coûte‑t‑il ? La contrepartie, est‑ce moins de fonctionnaires ? Des primes de mobilité ? Des primes en échange d’une réduction des congés ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Il y a quelques jours, au Conseil national d’évaluation des normes, ont été présentés des éléments de l’étude d’impact. Le tableau 40, page 180, présente explicitement l’impact financier de la réforme sur les administrations publiques à l’horizon de 2050 en points de PIB, avec l’effet sur les soldes des différents secteurs, mais également sur le niveau du solde du système de retraite. On voit que l’effet de la réforme sur les collectivités locales est quasi nul. La cotisation employeur va baisser. À l’inverse, la cotisation sur l’intégralité des primes va augmenter. Il sera également nécessaire de définir des surcotisations pour financer les départs anticipés, notamment des catégories actives mises en extinction. Les effets s’annulent, ce qui est rassurant pour les collectivités locales.

L’État, quant à lui, répondra à ses engagements financiers. Il devra également intégrer progressivement les conséquences financières de la suppression des régimes spéciaux et de certaines catégories actives. L’équilibre de la réforme est bien pris en compte.

La commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’examen des amendements identiques n° 4250 de M. JeanLuc Mélenchon, n° 4254 de M. Adrien Quatennens et n° 4257 de Mme Sabine Rubin.

M. Jean-Luc Mélenchon. L’amendement est défendu.

M. Adrien Quatennens. En tant que fonctionnaires, la situation sera défavorable aux militaires. D’ailleurs, au sein même de l’armée, l’opposition au projet de loi est claire. C’est pourquoi nous proposons de supprimer l’alinéa 8. Quant aux fonctionnaires, si leur pension est calculée sur la base de l’ensemble de leur carrière plutôt que sur les six derniers mois, le niveau de leur pension baissera, ce qui les poussera à travailler plus longtemps.

Mme Sabine Rubin. L’augmentation du traitement des fonctionnaires étant très progressive au cours de leur carrière, il est plus intéressant pour eux de tenir compte des six derniers mois. Par ailleurs, il y a beaucoup de femmes parmi les fonctionnaires, et elles seront les perdantes du régime à points.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer précédemment, avis défavorable.

M. Gilles Carrez. Monsieur le secrétaire d’État, en commentant le tableau 40 de l’étude d’impact, vous nous avez dit qu’à l’horizon de 2050 la réforme n’aurait qu’un effet marginal en matière de surcoût pour les collectivités, les cotisations s’équilibrant. Mais la note de bas de page est très intéressante, puisqu’il y est expliqué que tous les calculs sont faits hors revalorisation salariale. Or, si l’on prend les catégories C, qui ont peu de primes, en l’absence de revalorisation salariale, contrairement à ce qui est prévu pour les enseignants et les chercheurs, il est évident que leur niveau de retraite qui est déjà très faible, mais qui est calculé sur la base des six derniers mois, sera largement inférieur. Il est impossible de leur garantir un niveau équivalent de retraite sans mesure de revalorisation salariale. Peut‑être vous fondez‑vous sur une hypothèse implicite pour limiter à ce point le surcoût : le recul de l’âge de départ ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Les chiffres du tableau 40 font bien montre d’un gain pour les collectivités territoriales. Reprenons le tableau 66, page 215, concernant les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, dont le cas est assez représentatif parmi les catégories C. La dynamique redistributive du système leur est favorable, précisément parce qu’ils ont des carrières plates avec peu de primes. Ils font en réalité partie des 30 % de retraités aux revenus très modestes, qui bénéficieront fortement de la dynamique redistributive, même si cela vous semble contre‑intuitif.

La commission rejette ces amendements.

Elle examine les amendements identiques n° 4436 de M. JeanLuc Mélenchon, n° 4440 de M. Adrien Quatennens et n° 4443 de Mme Sabine Rubin.

M. Jean-Luc Mélenchon. Nous allons parler ici de gens dont on ne parle jamais et qu’on ne verra jamais dans une manif : les gens qui participent au renseignement, de l’espionnage et du contre‑espionnage. Je ne sais pas dans quoi vous êtes encore allés fourrer les doigts ; mais il s’agit de services dont l’organisation est très spéciale, qui n’a pas vocation à être rendue publique, et dont nous avons absolument besoin. Je ne mesure pas tout à fait les conséquences, même si j’ai quelques idées, d’après les renseignements qu’on m’a donnés. Ce n’est pas une bonne idée du tout d’aller fiche la pagaille là‑dedans. Nous avons besoin de ce service, et qu’il y ait plus de monde dedans. Nous avons eu toutes sortes de déboires ces temps derniers, notamment en ce qui concerne l’intelligence économique ou spatiale, montrant que nous devons faire des efforts. Il faut rendre ces métiers plus attractifs, et pas plus compliqués en changeant leur régime de retraite. Je vous suggère, chers collègues, de voter avec nous la suppression de l’alinéa, afin d’obliger le Gouvernement à bien réfléchir à ce qu’il fait. Il faut être sûr que cet alinéa n’est pas seulement une idée de technocrate qui s’est rappelé qu’il y avait une catégorie de fonctionnaires à intégrer à la loi.

M. Adrien Quatennens. Même si certaines professions n’avaient pas l’habitude d’être dans la lutte et que nous les y avons vues, ce ne sera pas le cas de cette profession. Vous souhaitez tripatouiller leur régime de retraite. Les professionnels du secteur qui ont eu l’occasion de s’exprimer sont très critiques à l’égard de votre projet de loi, notamment de votre incapacité à proposer des simulations des différentes situations. C’est pourquoi nous proposons de supprimer cet alinéa 9, comme nous le ferons pour d’autres professions. Pour plusieurs régimes, même l’étude d’impact, si insincère soit‑elle, ne permet pas d’entrevoir ce qui se produira pour ces professions, sinon que ce sera plus compliqué pour elles.

Mme Sabine Rubin. Avec un régime par points, la pension reflète au plus près la somme des cotisations versées tout au long de la vie active, dans une logique d’individualisation. Or les femmes fonctionnaires ayant des carrières particulièrement heurtées, leur pension sera le reflet de ces aléas et de leurs mauvaises années. Les femmes, qui sont les bénéficiaires majoritaires des dispositifs de solidarité et qui sont majoritaires parmi les fonctionnaires, seront les premières victimes du nouveau régime.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je m’associe à M. Mélenchon et M. Quatennens pour rendre hommage à tous nos agents de l’ombre. Néanmoins, ils sont des citoyens français et sont, de ce fait, concernés par le système universel, qui n’exclut pas une attention spécifique pour telle ou telle catégorie de métiers. Pour l’anecdote, quand Jules Ferry a instauré l’école publique, c’était loin d’être évident. Or, aujourd’hui, on trouverait très surprenant que les écoles diffèrent en fonction de l’employeur des parents, comme ce pouvait être le cas dans les villages de mineurs. La retraite, qui est un peu le pendant de l’école, est un temps où la société devrait se retrouver, de sorte que les règles soient les plus communes possible. Il faut évidemment porter une attention spécifique aux agents de la DGSE et d’autres services similaires. Mais il est bien aussi qu’à certains moments de la vie l’ensemble de la nation se retrouve dans des règles les plus communes possible. Avis défavorable.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je sollicite de mes collègues un vote de l’amendement de suppression de l’alinéa, de manière à ce que la question particulière des agents du renseignement soit discutée avec eux dans des conditions permettant d’appréhender la spécificité de leur travail, que le rapporteur a dit entendre. Mais s’il a d’abord dit qu’il était, comme nous tous, sensible à leur métier particulier, il est ensuite aussitôt passé à l’idée qu’il valait mieux que tous les Français aient le même système de retraite. Or ce n’est pas exactement ce que nous sommes en train de faire, puisqu’on fait un régime universel qui ne l’est pas et que toutes sortes de régimes spécifiques vont être maintenus. Les gens visés par cet alinéa ne pourront pas s’exprimer et ne pourront pas vous rencontrer, ni venir devant notre commission. Je demande une suppression de l’alinéa pour nous obliger à examiner ce cas particulier, parce que je ne suis pas sûr qu’un agent du renseignement de 65 ou 67 ans soit dans les meilleures conditions pour exercer son métier. Votez cet amendement, chers collègues, pour préserver la qualité du renseignement de notre pays.

M. Éric Woerth. On ne peut pas prendre tous les cas types ; ce serait bien trop compliqué. Et l’absence de partie financière, dans le projet de loi, complique encore le débat. Les gains de pouvoir d’achat que vous évoquez, dans certains tableaux, concernent essentiellement les petites retraites, ce qui est une bonne chose. Mais, en réalité, ce n’est pas votre système universel qui produit un tel effet, c’est parce que vous remontez le minimum contributif, ce qu’il aurait été tout à fait possible de faire sans tout remettre en cause inutilement... Les retraites n’augmentent finalement que très peu, pour certaines catégories, ici ou là. Comment faites‑vous pour réduire le poids des retraites dans le PIB, tout en les augmentant ? Peut‑être supposez‑vous que la croissance augmentera très vite et que le PIB augmentera plus vite que les retraites ? Mais cela pose la question du calcul même des retraites. Les parlementaires devront avoir à un moment une vraie réponse : pourquoi aussi peu de résultats pour un tel chambardement ?

M. Jean-Jacques Bridey. Les amendements identiques de La France insoumise visent à supprimer des alinéas ou des articles. Or les sujets qui sont traités dans certains des amendements le sont aussi dans d’autres articles. Par exemple, la situation des militaires sera traitée à l’article 37, sur lequel des groupes ont déposé des amendements qu’il serait essentiel d’étudier. Mais nous n’arriverons jamais à l’article 37, parce que nous ne faisons que discuter de suppression d’articles et d’alinéas, sans avancer. Le débat ne peut pas progresser, étant donné que nous n’avons pas tous les éléments.

M. Pierre Dharréville. Je comprends pour partie les préoccupations de Jean‑Jacques Bridey. C’est pour cela que la formule du retrait provisoire, suggérée par Jean‑Luc Mélenchon, en attendant d’en savoir plus et d’examiner les prochains articles, serait peut‑être la bonne.

La commission rejette ces amendements.

Elle passe à l’examen des amendements identiques n° 4453 de M. JeanLuc Mélenchon, n° 4457 de M. Adrien Quatennens et n° 4460 de Mme Sabine Rubin.

M. Jean-Luc Mélenchon. L’amendement n° 4453 est défendu.

M. Adrien Quatennens. L’amendement vise à supprimer l’alinéa 10. Monsieur Bridey, nous n’ignorons pas que les prochains articles de la loi aborderont plus en détail le sujet que nous évoquons dans cette partie relative aux principes généraux. Nous sommes tout à fait favorables à l’idée d’examiner les prochains articles ; mais il faudra seulement peut‑être un peu plus de temps que celui prévu par le Gouvernement. Tout dépend du côté où l’on se positionne : vous considérez que le problème est le nombre d’amendements ; nous considérons que le problème est l’empressement du Gouvernement à faire adopter une réforme extrêmement contestée. Si le temps imparti pour nos débats le permet, nous irons jusqu’au bout des articles et aurons l’occasion d’évoquer tous les détails que vous appelez de vos vœux.

Mme Sabine Rubin. L’amendement n° 4460 vise à supprimer l’alinéa qui concerne les administrateurs parlementaires, qui d’ailleurs travailleront tout le week-end. Aucun autre article du projet de loi ne vient ensuite aménager leur situation. Ils seront donc régis par les règles générales : leur retraite ne sera plus calculée sur les six derniers mois de traitement ; leur pension baissera ; ils seront aussi victimes de toutes les mesures concernant les fonctionnaires.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. J’ai l’impression de me répéter. Madame Rubin, je ne sais pas si vous avez des enfants. Mais si l’un choisit d’être fonctionnaire et l’autre de travailler dans le secteur privé, ne souhaiteriez-vous pas qu’ils disposent des mêmes conditions d’obtention de la retraite ? Nous mettons en place le système de retraite de la génération qui vient de commencer à travailler, et des suivantes. Nous souhaitons assurer la stabilité de l’ensemble grâce à la mutualisation et à des règles identiques pour tous.

Bien sûr, nous allons intégrer tous les fonctionnaires. Mais ce n’est pas parce que nous les intégrons que nous ne reconnaissons pas la qualité de leur travail. Je constate le travail que réalisent les administrateurs à mes côtés : ils sont particulièrement sollicités en ce moment, et extrêmement professionnels. Nous connaissons tous leurs horaires particuliers – nous le voyons régulièrement dans l’hémicycle – et la qualité du service qu’ils rendent. Il ne s’agit donc pas de remettre en cause la qualité de leur investissement, mais de « faire unité » dans notre société au cours de cette période particulière qu’est la retraite.

La commission rejette ces amendements.

Elle passe aux amendements identiques n° 4470 de M. Jean-Luc Mélenchon,  4474 de M. Adrien Quatennens et n° 4477 de Mme Sabine Rubin.

M. Jean-Luc Mélenchon. Nous allons continuer à nous pencher sur différentes professions. L’amendement n° 4470 concerne les magistrats, dont le statut professionnel est sensible. Comment réagissent-ils ? En analysant les documents produits par leurs syndicats, l’unanimité est frappante. Quel est leur principal reproche ? Ils ne savent rien de leur condition à venir. Ils ne peuvent donc en retenir que ce que leurs collègues, magistrats au Conseil d’État, en ont dit.

Peut-être allons-nous entendre le ministre ou le rapporteur – puisque c’est lui qui fait tout le travail – nous expliquer ce qui se passe. Ainsi les magistrats en sauront-ils un peu plus…

M. Adrien Quatennens. L’amendement n° 4474 est similaire.

Le Syndicat de la magistrature a, comme beaucoup d’autres, appelé à la grève. Il dénonce la surdité du Gouvernement et l’opacité de cette réforme. Beaucoup de professions attendent toujours des simulateurs pour pouvoir se repérer, avec une certaine impatience – elle atteint ses limites. Elles seront d’autant plus méfiantes que les vingt-huit cas types présentés sur le site internet du Gouvernement sont biaisés par le gel de l’âge d’équilibre… Ils ont été repris dans l’étude d’impact mais, avec le report de l’âge d’équilibre, le collectif Nos retraites, ne trouvent plus que dix gagnants, alors que vous en comptiez vingt et un sur vingt-huit ! Par souci de transparence, nous espérons que le ministre aura, dès à présent, des éléments à nous transmettre sur le cas particulier des magistrats…

Mme Sabine Rubin. Nous sommes à nouveau face à un cas de figure, celui des magistrats, qui sera traité « ailleurs », « à part ». Vos réponses m’évoquent une règle d’orthographe : avec l’auxiliaire avoir, le participe passé s’accorde en genre et en nombre avec le complément d’objet direct (COD) si ce dernier est placé avant le verbe. Si c’est le cas, on connaît le genre du COD et on peut accorder le verbe ; mais s’il est placé après, on ne le sait pas, donc on ne peut pas. Nous sommes dans la même configuration : les différents cas de figure sont traités après la règle générale et nous ne savons donc pas comment l’accorder. C’est pourquoi nous plaidons pour la suppression de l’alinéa.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je vous remercie pour cette parenthèse grammaticale !

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Si je comprends bien, madame Rubin, il eût fallu que vous le sachiez. J’ai du mal à accorder tout cela… Je suis défavorable à ces amendements.

La commission rejette ces amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 4487 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 4491 de M. Adrien Quatennens et n° 4494 de Mme Sabine Rubin.

M. Jean-Luc Mélenchon. L’amendement n° 4487 vise les militaires. Ils sont mécontents, c’est le moins qu’on puisse dire. L’armée n’est pas autorisée à s’exprimer par le biais de syndicats et ses membres ne peuvent adhérer à aucun parti – même si c’est discutable. Pour autant, une structure – le Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) – est chargé de transmettre leur avis aux autorités, et elle est sévère. Le Parisien du 18 janvier, reprenant un document interne au ministère des armées daté du 15 janvier, s’en est fait l’écho. En outre, je ne sais pas qui bavarde sans arrêt, mais le contenu de la réunion de la commission de la défense qui s’est déroulée à huis clos sur le sujet a été diffusé. Le ton est bien monté, vous devriez faire attention…

Le Conseil supérieur de la fonction militaire vous reproche de vieillir les armées, compte tenu du nombre de ceux qui sont concernés, de rendre les métiers moins intéressants et de pénaliser les hommes de troupe. En effet, les derniers mois ne seront plus seuls pris en compte dans le calcul de la pension, alors que ce sont ceux durant lesquels les militaires obtiennent les avancements les plus importants.

Par prudence, car les militaires ne s’exprimeront pas et ne feront pas valoir leurs droits, nous vous proposons de supprimer l’alinéa afin que nous puissions discuter calmement de la pérennité de nos armées.

M. Adrien Quatennens.  M. Mélenchon a expliqué la colère des militaires face à ce projet de loi. L’une des raisons de cette colère, c’est évidemment l’abandon du calcul de la pension sur les six derniers mois de traitement. En effet, le cas des militaires est spécifique puisque leurs rémunérations augmentent plus particulièrement en fin de carrière. Ils sont donc plus précisément pénalisés.

L’alinéa 12 concerne à la fois les militaires de carrière, ceux qui servent en vertu d’un contrat et les réservistes. Tous ont bien compris que la nouvelle règle de calcul va les pénaliser et que leur pension va diminuer. En conséquence, le Premier ministre ment quand il déclare à la télévision que le niveau des pensions ne baissera pas ! Pour que le niveau de pension soit identique, il faudra travailler plus longtemps !

Mme Sabine Rubin. L’amendement n° 4494 poursuit évidemment le même objectif. Point positif peut-être : il y a moins de femmes dans les armées que dans d’autres métiers ; elles seront donc moins concernées par l’alinéa !

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je suis défavorable à ces amendements car, pour les militaires comme pour les magistrats, des adaptations sont prévues. Je laisserai M. le secrétaire d’État l’exposer, si la présidente en est d’accord. En outre, le cas des magistrats est essentiellement traité dans la loi organique du fait de l’indépendance constitutionnelle de la justice.

M. Pierre Dharréville. Toutes ces exceptions prouvent que votre système ne fonctionne pas ! En l’état actuel du droit, les militaires bénéficient de conditions de retraite et de pensions différentes de celles des fonctionnaires de l’État : il n’existe pas d’âge minimum légal, seule la durée de service compte. Un soldat du rang doit avoir servi dix-sept ans, quand un officier doit effectuer vingt-sept ans. L’âge moyen de départ en retraite est donc de quarante et un ans pour les non-officiers, de quarante-neuf ans pour les sous-officiers et de cinquante-trois ans pour les officiers.

Certes, à l’article 37, le Gouvernement prévoit de recréer un régime spécifique, mais cela ne suffit pas à nous rassurer, ni à rassurer les militaires. Jean-Luc Mélenchon l’a souligné, le Conseil supérieur de la fonction militaire a rendu un avis très critique. En effet, si les principes de la réforme sont maintenus, les militaires seront fortement pénalisés et percevront des pensions plus faibles. C’est inacceptable et cela souligne votre impréparation. Nous vous appelons à prendre en considération l’avis du CSFM.

M. Boris Vallaud. Les conclusions de l’avis du Conseil supérieur de la fonction militaire sont tout aussi cinglantes que celles du Conseil d’État – vous accumulez les satisfecit ! Le Conseil « désapprouve les dispositions restrictives, voire le recul significatif dans plusieurs domaines, et la persistance d’incertitudes concernant le devenir des pensions militaires : ouverture des droits, réversion, modalités de calcul, cotisations employeurs, pensions minimales garanties, emploi des réservistes, disparition de la pension à jouissance différée. Le Conseil insiste sur la nécessité pour les armées de disposer de leviers de ressources humaines, permettant de maintenir un outil militaire efficace. Après étude du projet de loi sur lequel le conseil supérieur de la fonction militaire a été saisi pour avis, il ne peut, en ce qui concerne la condition militaire, émettre un avis favorable ».

M. Jean-Luc Mélenchon. Vous avez déjà chauffé les militaires avec l’épisode de Villiers. Bien sûr, ils serviront et ils obéiront quoi qu’il leur en coûte – c’est leur mission. Mais il est important de connaître l’état d’esprit des armées car l’autorité fonctionne seulement quand on y consent. Quand on n’y consent plus, les problèmes commencent…

La direction des ressources humaines des armées, tout comme le Conseil supérieur de la fonction militaire, sont défavorables au projet de loi. Ils se plaignent, estimant qu’ils n’ont pas eu le temps de l’étudier sérieusement. Aucun simulateur n’existe pour les militaires et ils n’ont aucune certitude sur des sujets aussi majeurs que l’âge d’ouverture des droits, les reversions, les pensions minimales, les pensions à jouissance différée. Ce n’est pas rien !

Quand vous êtes militaire, vous signez un contrat qui engage votre propre vie ! Il faut y être attentif et traiter le dossier avec beaucoup de délicatesse. On nous parle de décotes de 60 % – vous avez bien entendu, chers collègues, 60 % ! La sagesse voudrait donc que l’on supprime l’alinéa et que les discussions se déroulent dans les enceintes appropriées.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. S’agissant des magistrats, le rapporteur a eu raison de proposer de revenir sur le sujet. Pourquoi les mentionnons-nous dans le projet de loi, monsieur Mélenchon ? Tout simplement parce que certaines règles qui régissent le régime de retraite des magistrats sont nichées dans l’ordonnance de 1958, que nous ne pourrons modifier sans ces précisions. À moins de dix-sept ans de la retraite, ils ne seront pas concernés par le système de retraite universel. En conséquence, les générations nées jusqu’en 1975 continueront d’être régies par l’ordonnance de 1958, alors que les plus jeunes seuls seront affiliés au système universel de retraite.

Je discuterai bien volontiers de la situation des militaires, mais encore faut-il que nous arrivions à l’article 37 du titre II du projet de loi… Sur tous les bancs, vous soulignez l’importance du contrat entre la Nation et ses forces armées. Nous sommes tous d’accord : engager sa vie pour protéger celle des autres, pour défendre sa Nation, mérite un regard spécifique.

Quel est-il ? Fabien Gouttefarde l’a rappelé, la retraite à jouissance immédiate, à dix-sept ans pour les non-officiers et à vingt-sept ans pour les officiers, sera maintenue. Le cumul emploi-retraite sera également toujours possible, sans limites. J’entends M. Bazin au premier rang, qui plaide pour son amendement ; nous y reviendrons.

Le projet de loi reconnaît les sujétions spéciales, comme les campagnes militaires. En outre, il dispose que l’État continuera à financer les droits spécifiques. Quels sont-ils ? Qu’en est-il de cette crainte d’une baisse des pensions de 60 % ? En l’état actuel du droit, les militaires bénéficient de bonus qui s’expriment en durée – c’est la logique du système. Demain, ils bénéficieront de bonus en points, qui maintiendront donc le niveau de leur retraite.

Quel pourrait être l’âge d’équilibre pour les militaires ? L’alinéa 13 de l’article 37
– dont j’aimerais pouvoir débattre avec vous – dispose que « l’âge d’équilibre est, sans que l’application du coefficient d’ajustement ne puisse conduire à majorer le montant de la retraite, abaissé par décret en tenant compte des spécificités des fonctions militaires et des limites d’âge applicables aux militaires concernés ». Voilà qui devrait rassurer : il n’y a pas de décote et les spécificités militaires sont clairement reconnues.

Enfin, pour répondre aux inquiétudes de M. Bazin, l’alinéa 39 de ce même article précise que la retraite est une composante de la condition militaire, ce qui autorisera le cumul. Mais j’ai bien compris que l’objectif de votre amendement était plus sémantique que technique.

La commission rejette ces amendements.

Elle en vient à l’amendement n° 21672 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Monsieur le secrétaire d’État, avant l’article 37, l’article 6 soulève malgré tout des questions de principe relatives à la gouvernance. L’alinéa 12 du présent article m’interpelle : qui va déterminer les règles applicables au régime des pensions militaires ? Qui sera compétent ? Quel ministère décidera ? Le transfert de ces dispositions du code de la défense au code de la sécurité sociale est-il sans conséquences ?

Le Conseil d’État le souligne dans son avis, « l’impératif de jeunesse des forces armées, en lien avec l’exercice d’activités nécessitant une aptitude physique particulière » impose la « brièveté de certaines carrières ». Le départ anticipé des militaires est donc un véritable outil de gestion. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez travaillé dans les ressources humaines et vous le savez : il est important de disposer de tels leviers d’action, qui relèvent de la responsabilité de l’employeur – en l’occurrence le ministère des armées. C’est l’objet de mon amendement.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je vous remercie pour l’intérêt que vous portez à la retraite de nos militaires. Votre amendement conduit à dissocier les militaires du régime prévu pour les fonctionnaires et les magistrats. Or la fonction publique constituera bien un ensemble cohérent dans le futur système universel, tenant compte des sujétions particulières et de la dangerosité de certains métiers. Le code de la sécurité sociale est pertinent pour fixer ces règles et le code de la défense rappellera parallèlement que celles, dérogatoires, applicables aux retraites des militaires font partie intégrante de la condition militaire. Votre demande est donc satisfaite.

M. Jean-Luc Mélenchon. Le secrétaire d’État vient de nous garantir qu’un régime spécifique est prévu pour les militaires. C’est important car le Conseil supérieur de la fonction militaire n’avait aucune information. Ce soir, ils en ont une : il y aura un régime et des dates de départ spécifiques.

Je comprends d’autant moins que vous ayez refusé mon amendement sur les agents du renseignement, mais peut-être reviendrez-vous sur votre déclaration ?

M. Didier Le Gac. Le ministère des Armées, et plus largement le Gouvernement, entretient un dialogue constant avec Conseil supérieur de la fonction militaire. Ce dernier n’a pas découvert les dispositifs ce soir. Nous le leur avons confirmé à plusieurs reprises : les principales dispositions spécifiques aux militaires seront maintenues dans le système universel – retraite à jouissance immédiate, liquidation partielle, cumul possible de la pension avec un salaire issu d’une activité civile, activité qui leur permettra d’ailleurs d’acquérir des points supplémentaires pour leur retraite, le calcul de la seconde part de retraite étant effectué sans recalcul de la première, qui demeure acquise à l’assuré. Des points supplémentaires seront également attribués aux militaires au titre des services aériens ou sous-marins.

Enfin, l’article 46 du projet de loi dispose que la pension de réversion ne pourra être inférieure au montant de la retraite dont le militaire décédé aurait pu bénéficier, lorsque ce militaire est décédé en service. Il s’agit encore d’une particularité maintenue pour les militaires, mais aussi les policiers ou les douaniers décédés dans les mêmes conditions. Ce droit à la retraite de réversion est ouvert sans condition d’âge et affecté au conjoint survivant.

Rappelons pour finir que les fonctionnaires bénéficieront de la réforme du système de retraite puisque le montant de leurs primes sera intégré dans le calcul de leur pension. En moyenne, ces primes représentent 22 % du traitement ; pour les militaires, elles atteignent environ 40 %.

M. Gilles Carrez. Des règles spécifiques sont tout à fait nécessaires pour les militaires. En matière de pensions, les contentieux sont sensibles. Si j’ai bien compris, c’est désormais la juridiction judiciaire, et non plus la juridiction administrative, qui sera compétente pour les militaires. Pouvez-vous nous le confirmer ?

Mme Valérie Rabault. C’est très important. Excellente question !

M. Gilles Carrez. Qui sera compétent ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Il me semblait que la juridiction administrative était seule compétente.

M. Gilles Carrez. L’avis du Conseil d’État indique que, par saisine rectificative, le Gouvernement a décidé de soumettre expressément à la juridiction judiciaire les litiges relatifs à la mise en œuvre du système universel de retraite à l’égard des fonctionnaires. Les militaires sont fonctionnaires, me semble-t-il.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. On me le confirme : le contentieux relèvera désormais intégralement de l’ordre judiciaire.

M. Jacques Maire. Le Conseil d’État a effectivement validé la compétence du juge judiciaire. À titre personnel et familial, j’ai vécu la situation des sous-mariniers : j’ai eu l’honneur de faire mon service militaire avec eux et beaucoup de mes oncles et cousins sont sous-mariniers. Après quinze ans de service dans un sous-marin, quand vous avez trente-cinq ans, vous ressemblez plus à quelqu’un de quarante-cinq ou cinquante-cinq ans !

Il est donc absolument exclu de remettre en cause la situation de ces personnels. Si nous avons la chance d’arriver jusqu’à l’article 37, nous aurons l’occasion d’examiner des sous-amendements et des amendements. En outre, nous sommes particulièrement favorables à la saisine du Conseil supérieur de la fonction militaire sur l’intégralité des dispositifs spécifiques aux militaires à l’intérieur du régime universel, régime de droit commun pour tous les assurés, mais prenant en compte leurs spécificités.

Le CSFM a un rôle important car les militaires attendent la protection de leur hiérarchie, qui défend leurs intérêts. Ils ont confiance en elle. Or elle s’intègre au sein du CSFM. Il est donc très important de respecter les prérogatives de ce dernier.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. L’alinéa 18 de l’article 6 est explicite. Il n’y a pas d’ambiguïté. Le contentieux est transféré à l’ordre judiciaire.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 4518 de Mme Caroline Fiat,  4521 de M. Jean-Luc Mélenchon,  4525 de M. Adrien Quatennens et n° 4528 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. L’amendement n° 4518 est défendu.

M. Jean-Luc Mélenchon. L’amendement n° 4521 est défendu.

M. Adrien Quatennens.  Le système par points va à l’encontre même de la logique qui prévaut au sein de l’armée, celle du mérite. Un soldat montant progressivement en grade, jusqu’à devenir général, aura une pension inférieure à celui qui est rentré officier dans l’armée. Or l’armée est logiquement attachée à l’égalité dans les grades.

Dans votre réforme, l’universalité n’est qu’un alibi. De surcroît, quand vous vous acharnez tout de même à faire partir tout le monde d’une même ligne de départ – ce qui est par nature absurde si l’on considère par exemple les inégalités d’espérance de vie au sein d’une génération en fonction de la profession –, vous créez des dommages collatéraux. S’agissant de l’armée, cela mériterait tout de même plus ample réflexion…

Mme Sabine Rubin. Il s’agit donc de supprimer l’alinéa 13 qui introduit différentes dérogations à votre fameuse universalité. L’universalité en effet devient de plus en plus « diverse ». Au cours des débats, j’aimerais comprendre ce qui justifie que l’on passe de régimes spécifiques – pour les avocats par exemple – à toutes ces exceptions.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Vos amendements visent à supprimer les exceptions d’affiliation au régime des fonctionnaires qui concernent les agents contractuels dans le privé, agents détachés pour un mandat local ou agents détachés auprès d’une administration étrangère. J’y suis défavorable. Tout le monde sera affilié au régime universel. Je vous renvoie à la page 28 de mon rapport si vous souhaitez davantage de précisions.

M. Jacques Marilossian. Je suis stupéfait que La France insoumise nous demande ce qui justifie le traitement spécifique réservé aux militaires dans cette réforme. Les bras m’en tombent ! Si vous n’avez pas compris, nous n’avons plus de raisons de débattre… Ils risquent leur vie pour défendre la France ! Cela ne suffit-il pas ?

Mme Sabine Rubin. J’ai demandé pourquoi tous ces gens avaient droit à des dérogations, je n’ai pas visé les militaires…

Mme Valérie Rabault. Je souhaite revenir sur les propos de M. Quatennens. Les pensions font partie des outils de gestion des ressources humaines dans l’armée. Quand vous atteignez un certain grade, il serait incompréhensible que les retraites ne soient pas équivalentes. Sinon, vous allez casser le système ! Or ce n’est traité nulle part dans votre projet de loi.

Je vous livre une des conclusions de l’avis rendu par le CSFM qui nous inquiète beaucoup : « le fait d’avoir une règle de calcul assise sur l’ensemble de la carrière au lieu des six derniers mois engendrera inexorablement [– c’est le terme qui est utilisé –] une baisse des pensions. Cela concerne principalement les populations les plus fragiles financièrement, que les armées cherchent à attirer et à promouvoir par ailleurs. » La contradiction est flagrante… Vous faites beaucoup de publicité dans les médias pour recruter des militaires. Or leur pension va très largement diminuer, alors que c’était auparavant aussi ce qui rendait le métier attractif.

La commission rejette ces amendements.

Elle passe aux amendements identiques n° 4534 de Mme Caroline Fiat et n° 4541 de M. Adrien Quatennens.

Mme Caroline Fiat. L’amendement n° 4534 est défendu.

M. Adrien Quatennens. L’amendement n° 4541 vise à supprimer l’alinéa 14 afin de réaffirmer que, quels que soient les fonctionnaires concernés, le projet de loi va leur être défavorable.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. La première exception concerne des fonctionnaires qui accepteraient temporairement un contrat de droit privé. Dans ce cas, ils cotiseront au régime général. À l’inverse, les militaires sous contrat privé constituent une exception à l’exception du fait de l’unité des contrats militaires. Ils seront donc intégrés au régime militaire. Je suis donc défavorable à la suppression de cet alinéa.

M. Boris Vallaud. Dans son avis, le Conseil d’État a posé la question de l’opportunité du choix de l’ordre judiciaire puisque le juge administratif demeure compétent concernant le déroulement de carrière des agents publics. Comment les deux vont-ils s’articuler ? Le déroulement de carrière a évidemment des conséquences sur la constitution de la pension.

Je vous rappelle qu’il y a quelques mois, nous avons débattu d’un projet de loi portant de sévères coups au statut de la fonction publique. Qu’ils soient militaires ou fonctionnaires civils, ils ne perçoivent pas de salaire, mais un traitement. Comme d’autres ici – Stéphane Viry par exemple –, je considère qu’on ne sert pas de la même manière l’État et une entreprise. Or, lors de l’examen du projet de loi de transformation de la fonction publique, la direction générale de la fonction publique avait évoqué devant le Conseil d’État une proportion de contractuels pouvant aller jusqu’à 40 %.

En prenant en compte les dispositions de cette loi qui modifie le statut de la fonction publique, pouvez-vous nous indiquer les conséquences de cette dissociation des juridictions compétentes en fonction des contentieux ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur. C’est François Hollande qui, sous le précédent quinquennat, a demandé la publication des avis du Conseil d’État. Il s’agissait d’un effort de clarification car, auparavant, ils n’étaient pas publiés.

Je lis l’avis du Conseil d’État sur l’unification du contentieux : « le Gouvernement a choisi de prévenir une incertitude juridique (…) en modifiant l’article L. 142-1 du code de la sécurité sociale afin de soumettre expressément à la juridiction judiciaire les litiges relatifs à la mise en œuvre du système universel de retraite à l’égard des fonctionnaires. Le Conseil d’État estime que cette clarification ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel, les litiges en cause n’étant pas au nombre de ceux que le principe fondamental reconnu par les lois de la République, affirmé par la décision du 23 janvier 1987, n° 86-224 DC, réserve à la juridiction administrative. »

M. Boris Vallaud. Je suis vraiment ravi de cette démonstration en direct de votre lecture partielle et partiale de l’avis du Conseil d’État ! Pourquoi n’avez-vous pas lu un des paragraphes qui suit ? « Le Conseil d’État regrette que l’étude d’impact ne comporte pas d’analyse permettant d’éclairer le choix retenu par le projet de loi, en particulier sur la manière dont les juridictions des retraites pourront être amenées à se prononcer sur les questions relatives au déroulement de la carrière des agents publics, dont le juge administratif restera compétent pour connaître dans le contentieux de la fonction publique. » Si votre lecture est partielle, votre vision est borgne ! Malheureusement, c’est la façon dont vous traitez à peu près tous les sujets.

M. Bruno Fuchs. Monsieur Vallaud, Bruno Lasserre, vice-président du Conseil d’État, a été interrogé par Le Monde. Ces propos sont intéressants et permettent de replacer cet avis dans son contexte, et non de l’instrumentaliser comme vous le faites : « L’avis, qui fait soixante-trois pages, ne consacre que quelques paragraphes à l’étude d’impact. Il s’agit de remarques de méthode, en particulier sur les lacunes des projections financières, que le Conseil d’État a déjà formulées sur d’autres textes. Ce n’est pas non plus la première fois que l’institution regrette les délais très serrés dans lesquels elle doit examiner un projet de loi, ou qu’elle invite le Gouvernement à compléter son étude d’impact. L’épisode que nous venons de vivre n’a rien d’exceptionnel ». Vous devriez poursuivre la lecture de cet article ! (Exclamations sur les bancs de l’opposition)

M. Pierre Dharréville. Ces lectures successives sont très instructives… Je ne vois pas en quoi les remarques de Bruno Fuchs nous empêchent de tenir compte de l’avis du Conseil d’État : les critiques sont réelles, pourquoi en relativiser la portée ? Il faut au contraire en prendre la juste mesure. Elles correspondent aux lacunes et à l’impréparation de ce projet de loi.

Mme Catherine Fabre. Les explications du vice-président du Conseil d’État sont importantes. Depuis trois jours, sur la base de l’avis de cette institution, vous nous expliquez que la réforme est mauvaise. Mais que dit le vice-président ? Que cet avis n’a rien d’exceptionnel, que les études d’impact ne sont obligatoires que depuis 2008 et qu’en conséquence, la France n’est pas encore totalement « au point ». Certaines réformes très performantes n’ont-elles pas été votées avant 2008, quand les études d’impact n’étaient pas obligatoires ? Vous essayez de prouver que l’étude d’impact a des défauts et que cela met en cause notre réforme. Les propos du vice-président du Conseil d’État devraient vous conduire à relativiser !

M. Éric Woerth. Il n’y a rien à relativiser. Ces propos ne changent rien à l’avis rendu. Ils expliquent simplement l’environnement dans lequel il a été rendu. M. Lasserre le souligne d’ailleurs : « nous ne nous situons pas dans le jeu politique. Le rôle du Conseil d’État est de dire des choses qui parfois ne plaisent pas ». C’est tout ! Cela ne vous plaît pas, c’est comme ça. Nous avons le droit d’en débattre et de nous appuyer sur ces remarques, d’autant qu’elles ont rarement été aussi sévères.

M. Adrien Quatennens. Moi aussi, pour la sérénité de nos débats, j’aimerais qu’on évite d’utiliser de manière trop régulière cette étude d’impact. (Rire.)

Une telle étude, dont tous les cas types ont commencé à travailler à vingt-deux ans
– j’entends que c’est l’âge moyen d’entrée sur le marché de l’emploi –, avec des salariés dont les quatre trimestres sont validés chaque année – situation extrêmement favorable –, qui prend pour exemple des infirmières dont le salaire ferait envie à beaucoup – et qu’elles-mêmes ne peuvent pas espérer gagner un jour –, une étude d’impact qui gèle l’âge d’équilibre, contredisant votre propre projet de loi, ne mérite qu’une chose, comme le projet de loi d’ailleurs : c’est d’aller à bon port, suivant le souhait d’Emmanuel Macron, c’est-à-dire à la poubelle !

La commission rejette ces amendements.

Suspendue à dix-sept heures quinze, la réunion reprend à dix-sept heures trente-cinq.

La commission examine les amendements identiques n° 4552 de Mme Caroline Fiat et n° 4562 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. Nous avons beaucoup parlé des militaires qui, parce qu’ils mettent leur vie en danger pour le pays, auront un régime différent et ne seront pas intégrés au système universel. Doit-on comprendre que les pompiers, qui risquent eux aussi leur vie tous les jours, conserveront leur régime de retraite actuel ?

Mme Sabine Rubin. Les alinéas que nous sommes en train d’examiner proposent des dérogations pour un certain nombre de personnes. En l’occurrence, l’alinéa 15 concerne ceux qui « sont détachés dans une fonction publique élective locale ». J’aimerais savoir ce qui justifie ces exceptions.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Les militaires sont dans le système universel, mais leurs spécificités sont reconnues en tant que telles – on parle de sujétions. Tout à l’heure, M. Jean-Luc Mélenchon a énuméré un certain nombre des risques auxquels ils sont confrontés, et dont nous avons tous conscience. Nous les prenons en compte comme une spécificité de leur activité.

Pour revenir à vos amendements, qui tendent à supprimer l’alinéa 15, je rappelle qu’il existe un certain nombre d’exemptions au statut des fonctionnaires. Par exemple, des agents publics détachés dans une fonction publique élective locale relèveront, pendant cette période de détachement, du régime général. Je suis donc défavorable à la suppression de l’alinéa 15.

La commission rejette ces amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 4569 de Mme Caroline Fiat et n° 4579 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 16, mais j’aimerais revenir à la question que je viens de vous poser et que j’avais mal formulée, monsieur le rapporteur. J’aimerais savoir si, comme vous le faites pour les militaires, vous tenez compte du fait que les pompiers risquent quotidiennement leur vie pour la nation. Bénéficieront-ils, eux aussi, d’une clause spéciale dans le système universel de retraite ?

Mme Sabine Rubin. Mon amendement est défendu.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. L’alinéa 16 concerne les gens qui sont détachés à l’étranger ou dans des organismes internationaux. Ils devront adhérer à l’assurance vieillesse volontaire du système universel pour acquérir des droits.

Je ne reviens pas sur les spécificités des militaires : je m’en tiens aux amendements en discussion. Avis défavorable.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Madame Fiat, les dispositions relatives aux pompiers figurent à l’article 36, alinéa 4, qui concerne les départs anticipés pour certaines fonctions régaliennes : il y est question des « fonctionnaires concourant à des missions publiques de sécurité, y compris civile ».

La commission rejette ces amendements.

La commission examine ensuite les amendements identiques n° 4586 de Mme Caroline Fiat et n° 4596 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. Mon amendement est défendu.

Mme Sabine Rubin. Cette analyse point par point est intéressante. Je suis surprise de voir que les fonctionnaires détachés dans une fonction élective locale seront, le temps de ce détachement, rattachés à un régime général. Que signifie au juste l’expression « régime général » ? Est-ce la même chose que le régime universel ? J’attends des précisions sur ce point.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Vous me demandez une explication de texte et je conçois volontiers la difficulté, pour tout un chacun, de saisir toutes ces subtilités. Tout élu local relèvera du régime général, quel que soit son métier, sa fonction ou son statut d’origine. Je suis défavorable à la suppression de l’alinéa 17.

La commission rejette ces amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 4603 de Mme Caroline Fiat et n° 4613 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. L’amendement est défendu.

Mme Sabine Rubin. Je regrette, mais je n’ai pas compris vos explications. Quand vous parlez du régime général, vous voulez parler du régime universel, duquel l’élu local dépend habituellement ? Vous voulez dire qu’il dépend du même régime que lorsqu’il n’est pas élu ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Madame Rubin, j’ai déjà donné ces explications hier. Il existe un système universel et cinq régimes d’affiliation : le régime général, le régime agricole salarié, le régime agricole non salarié, celui des marins et celui de la fonction publique. L’élu local sera affilié au système universel via le régime général, le temps de son mandat.

La commission rejette ces amendements.

Elle examine ensuite l’amendement n° 21542 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Cet amendement, vous le connaissez bien, puisqu’il vise à substituer au mot « universel » le mot « inéquitable », à l’alinéa 18 de l’article 6. Je ne lâche pas l’affaire, parce que je suis toujours aussi convaincu du bien-fondé de cet amendement.

Je vous rappelle que nous vivons aujourd’hui une nouvelle journée de mobilisation, marquée par de grandes manifestations, à Paris, où elle se poursuit, mais aussi à Marseille, ce matin. C’est la preuve que votre projet ne passe pas : vous devriez écouter le refus qui s’exprime en dehors de cette enceinte – et dont je me fais le porte-voix.

Votre texte suscite un rejet massif et les réponses que vous apportez ne lèvent ni les inquiétudes, ni la volonté de le voir retiré. J’insiste sur l’importance de ce qui est en train de se passer en dehors de ces murs.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Sans Mme Rubin et ses demandes d’explication sur l’alinéa 15, nous n’aurions pas eu la chance, monsieur Dharréville, de vous entendre défendre cet amendement récurrent, que nous n’avions pas encore examiné aujourd’hui.

Blague à part, nous ne sommes insensibles ni à la mobilisation d’aujourd’hui, ni à l’appréhension que peuvent ressentir certaines professions. Mais c’est une erreur de monter les gens les uns contre les autres. Il faut apaiser nos concitoyens, leur expliquer que la transition vers le nouveau régime ne se fera pas du jour au lendemain et qu’à la fin, nous aurons un système de retraite plus résilient, car plus mutualisé. Les mêmes règles, ou du moins un ensemble de règles communes, s’appliqueront à tout le monde. Il faut rassurer ceux de nos concitoyens qui prendront leur retraite à partir de 2025 et ceux qui acquerront des droits à la retraite après cette date. Ils ne seront pas des perdants du futur régime. Nous serons tous gagnants, ensemble. Avis défavorable sur cet amendement.

M. Pierre Dharréville. Monsieur le rapporteur, vous dites qu’il ne faut pas monter les gens les uns contre les autres. Ce que je constate, c’est que vous avez réussi à rassembler les Français, mais contre vous et votre projet. Dans la rue, les avocats, les infirmiers et les infirmières, les professeurs, les dockers, les ouvriers portuaires, les danseurs et les danseuses de l’Opéra de Paris défilent ensemble – pour ne citer qu’eux. Le peuple de notre pays, dans toute sa diversité, manifeste contre votre réforme. Il faudrait le rassembler sur un projet qu’il accepte et qui nous tire vers l’avant, mais ce n’est pas ce que vous faites.

Essayer de monter les gens les uns contre les autres, ça a été le fondement, le point de départ de votre réforme, puisque vous avez commencé par pointer du doigt des soi-disant privilégiés. Mais vous n’avez pas réussi à monter les gens les uns contre les autres et les cheminots manifestent aux côtés des salariés du privé et des agents du service public. Regardez cette réalité en face : je crois que vous n’en avez pas encore pris la mesure.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement n° 22623 de Mme Émilie Cariou.

Mme Florence Granjus. L’amendement est défendu.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. L’unification de la compétence en matière de contentieux relatif à l’assurance vieillesse est une conséquence de l’universalisation du système de retraite. Jusqu’ici, le contentieux des droits à pension était divisé entre l’ordre administratif, en charge des assurés de la fonction publique, et l’ordre judiciaire, compétent pour les autres assurés. Ce que vous souhaitez supprimer permet pourtant de clarifier cette intégration du système universel dans le champ des litiges relevant du nouveau pôle social, récemment mis en place, de la juridiction judiciaire. Cette clarification ne contrevient pas au principe constitutionnel, comme nous l’avons indiqué avant la suspension de séance.

Je tiens à souligner que l’ordre judiciaire aura le temps de s’approprier cette unification du contentieux, qui se produira pour l’essentiel à compter de 2037, date à laquelle les assurés nés en 1975 partiront à la retraite, à 62 ans. Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Je vous remercie pour cette précision, mais elle n’est que partielle, car la question que nous avons posée tout à l’heure était celle de l’articulation entre la compétence de l’ordre administratif, s’agissant des carrières, et de l’ordre judiciaire, s’agissant des pensions. Ce que déplore le Conseil d’État, c’est que vous n’en disiez rien dans l’étude d’impact, alors qu’il y a un lien patent entre la carrière et la pension.

La commission rejette l’amendement.

La commission examine ensuite les amendements identiques n° 4620 de Mme Caroline Fiat et n° 4630 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. L’amendement n° 4620 vise à supprimer l’alinéa 19 de l’article 6. J’en profite pour souligner qu’il n’y a pas qu’à Paris ou chez M. Dharréville, à Marseille, que les gens sont descendus dans la rue : à Nancy aussi, il y avait du monde cet après-midi. Par ailleurs, on entend trop souvent que le privé n’est pas dans la rue, mais ce n’est pas vrai. Demandez aux gens qui manifestent s’ils travaillent dans le public ou dans le privé : vous serez surpris !

Mme Sabine Rubin. L’amendement n° 4630 vise à supprimer l’alinéa 19, relatif au code des pensions civiles et militaires de retraite, mais c’est d’un tout autre sujet que je souhaite parler. Qu’en sera-t-il des danseurs de l’Opéra ? Feront-ils l’objet d’un article plus loin dans le texte ? Nous avons déjà évoqué un certain nombre de cas très spécifiques, mais pas celui des danseurs de l’Opéra.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Il me semble que notre rôle est d’examiner les amendements en suivant l’ordre du texte. L’alinéa visé par vos amendements concerne le code de pensions civiles et militaires et nous parlerons de l’Opéra de Paris plus tard. Ne mélangeons pas tous les sujets.

S’agissant des gens qui manifestent aujourd’hui, je tiens à dire que lors des cérémonies des vœux qui se sont succédé au mois de janvier, j’ai rencontré nombre de Français, notamment en milieu rural, qui soutiennent notre réforme. Il y a des gens qui se posent des questions et qui s’inquiètent, je ne le nie pas, mais il y a aussi des gens qui espèrent beaucoup du système mutualisé que nous proposons et de la revalorisation de la retraite minimum.

Pour en revenir aux amendements, aux alinéas 19 et suivants, nous inscrivons dans le code des pensions civiles et militaires les décisions que nous avons prises, à savoir que : « Le présent code n’est pas applicable : « 1° À partir du 1er janvier 2022 pour les assurés nés à compter du 1er janvier 2004 ; « 2° À partir du 1er janvier 2025 pour les assurés nés à compter du 1er janvier 1975. »

Avis défavorable sur ces amendements.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Il est toujours intéressant, en début de texte, de faire référence à ce qui viendra plus tard. Votre question sur les artistes du ballet de l’Opéra national de Paris trouvera sa réponse à l’article 39, alinéa 2. Cela dit, il n’est pas exclu que vous ayez déposé un amendement tendant à supprimer cet alinéa…

M. Pierre Dharréville. Monsieur le rapporteur, puisque vous venez d’évoquer la date fatidique du 1er janvier 1975, permettez-moi de vous demander une nouvelle fois ce qui a présidé au choix de cette date.

La commission rejette ces amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 4638 de Mme Caroline Fiat et n° 4648 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. Mon amendement tend à supprimer l’alinéa 23 de l’article 6. Vous nous dites, monsieur le rapporteur, que vous avez rencontré des gens qui sont contents de votre réforme : heureusement qu’il y en a quand même quelques-uns ! Même si 66 % des Français y sont défavorables, il y en a quand même 21 % qui vous suivent : nous ne l’avons jamais nié. Si 100 % des Français rejetaient cette réforme, on peut quand même imaginer que vous l’auriez retirée…

Mme Sabine Rubin. Monsieur le rapporteur, il est vrai que je n’ai pas appris le numéro des articles et leur contenu par cœur et je vous prie de m’en excuser. Cela étant, il est difficile de suivre l’ordre du texte comme vous nous y invitez, car il est assez décousu et qu’il est par exemple question des militaires à différents endroits.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je suis défavorable à la suppression de l’alinéa 23, car il tire les conséquences de l’intégration des fonctionnaires parlementaires dans le régime universel.

La commission rejette ces amendements.

Puis elle adopte l’article 6 sans modification.

Après l’article 6

La commission examine les amendements identiques n° 4672 de Mme Caroline Fiat et n° 4682 de Mme Sabine Rubin.

Mme Caroline Fiat. L’amendement n° 4672 est défendu.

Mme Sabine Rubin. L’amendement n° 4682 vise à insérer, après l’article 6, l’article suivant : « Dans un délai de trois mois à compter de la promulgation malheureuse de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport non truqué concernant l’application pertinente d’une mesure de convergence ayant pour objectif le maintien du niveau de vie des fonctionnaires à la retraite. Il établit la hausse des revenus nécessaires afin de maintenir un montant de pension similaire proportionnellement au taux de remplacement actuel, ainsi qu’au positionnement de ces pensions par rapport au revenu médian. » Nous voulons connaître précisément l’impact qu’aura votre réforme sur les fonctionnaires.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette ces amendements.

Article 7 : Champ d’application du système universel de retraite

La commission examine les amendements identiques n° 12866 de M. Sébastien Jumel et n° 21090 de M. Boris Vallaud.

M. Pierre Dharréville. À l’article 7, vous supprimez douze régimes spéciaux pour les remplacer par votre nouveau système. Vous rayez d’un trait de plume les acquis sociaux que nous devons aux négociations et aux luttes du siècle passé. L’amendement n° 12866 vise donc à supprimer cet article.

Il existe, dans la société, différents métiers différents statuts, différentes réalités, auxquels il faut s’adapter. Les régimes spéciaux ont déjà été bien abîmés par les réformes successives. On a d’ailleurs assisté à une course de vitesse pour supprimer, d’un côté, les droits au régime général et, de l’autre, les droits aux régimes spéciaux. Les mesures que vous proposez ne prennent pas en compte ce que vivent réellement celles et ceux qui, aujourd’hui, sont sous ces régimes.

Il est absolument incroyable que vous preniez prétexte de l’existence de ces régimes pour justifier votre réforme. Avec ce projet de loi, vous ne vous attaquez pas seulement aux régimes spéciaux, mais à l’ensemble des régimes, y compris, au régime général. Je tenais à le rappeler pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté entre nous et que notre débat ne soit pas tronqué.

M. Boris Vallaud. Le marché léonin que vous proposez aux Français – voir leur pension baisser ou travailler plus longtemps – ne saurait nous convenir. Votre système n’introduit pas beaucoup de justice ; la question de la pénibilité est traitée par-dessus la jambe ; vous durcissez le régime des carrières longues ; les droits que l’on se crée quand on est au chômage seront moins généreux qu’aujourd’hui ; et celles et ceux qui sont censés être les grands gagnants de la réforme, en particulier les femmes, ne le seront pas.

Vous avez réussi le tour de force de nous présenter une réforme qui semble ne faire que des gagnants, alors que la part des pensions dans le PIB va baisser et que le nombre de retraités va augmenter. Nous aurions aimé que vous nous présentiez des simulations indiquant clairement qui va y gagner et qui va y perdre sur l’ensemble d’un cycle de vie, en prenant en compte les cotisations et les pensions. Nous aimerions connaître le taux de remplacement pour chaque génération, puisque nous savons qu’il va fortement baisser.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Cet article expose les règles générales s’appliquant aux régimes spéciaux.

Monsieur Dharréville, à aucun moment nous n’avons stigmatisé les régimes spéciaux. La plupart d’entre eux ont été créés avant-guerre et ils correspondent à un moment de l’histoire. Aujourd’hui, nous considérons qu’ils n’ont plus lieu d’être et qu’il faut construire un régime qui définisse des règles communes à l’ensemble de nos concitoyens. Qui plus est, nombre de ces régimes spéciaux ont une base démographique étroite et ils présentent tous un déséquilibre entre le nombre d’actifs et le nombre de retraités, ce qui nécessite des compensations financières. Il convient, à l’avenir, d’intégrer les personnes qui relèvent de ces régimes dans le régime général.

Vous m’avez interrogé sur le choix de la date du 1er janvier 1975. Nous avons fait le choix d’intégrer dans le système universel tous ceux qui sont à plus de dix-sept ans de leur âge de départ légal à la retraite – cette période de dix-sept ans correspondant grosso modo au tiers de la vie professionnelle. Nous avons estimé qu’à dix-sept ans de la retraite, les gens commençaient à réfléchir à leur projet de vie post-professionnelle. L’âge légal de la retraite étant aujourd’hui de 62 ans, nous avons pris comme repère l’année de naissance des gens qui ont aujourd’hui 45 ans, c’est-à-dire 1975. Pour les personnes qui peuvent aujourd’hui partir à 57 ans – certains personnels non roulants de la SNCF ou de la RATP –, c’est l’année 1980, et pour ceux qui peuvent partir à 52 ans, l’année 1985.

M. Stéphane Viry. Il ne faut pas confondre les régimes spéciaux et les régimes autonomes. Pour notre part, nous sommes favorables au maintien des régimes autonomes au sein d’un système global. S’agissant des régimes spéciaux, un travail de convergence de tous les régimes a été mené par plusieurs gouvernements de droite – je songe notamment à la loi Woerth de 2010 – car l’universalité nous semble être une condition essentielle de notre pacte républicain. De ce point de vue, le groupe Les Républicains approuve cet aspect du texte. Cela étant, nous sommes en désaccord avec la méthode qui a donné naissance à ce projet de loi et avec les modalités d’application que vous préconisez : votre réforme, ce n’est pas notre réforme. Même si nous approuvons la fermeture de régimes spéciaux et si nous reconnaissons qu’il faut avoir le courage de le faire, nous aurions, pour notre part, défendu un projet plus ambitieux.

M. Pierre Dharréville. Je confirme qu’à cause de la démarche en escalier que vous décrivez, les régimes spéciaux ont déjà été largement réformés et n’ont rien à voir avec le tableau caricatural qu’on en fait souvent dans les médias.

Les bénéficiaires de ces régimes spéciaux sont aujourd’hui très minoritaires, puisqu’ils représentent 1,4 % de la population active et 4 % des retraités. Indépendamment de votre réforme, il y aura toujours moins de personnes relevant des régimes spéciaux, puisque la réforme de la SNCF et celle des industries gazières et électriques ont sorti nombre de travailleurs de ces régimes. Vous avez déjà largement dégradé les droits acquis, alors que nous pensons, pour notre part, qu’il aurait fallu adopter la démarche inverse et faire progresser les droits de tous et de toutes. Un certain nombre de métiers, aujourd’hui, ne sont pas reconnus à leur juste pénibilité et ne font l’objet d’aucun régime spécial, alors qu’ils auraient nécessité des mesures spécifiques.

Ce que nous contestons, c’est l’idée selon laquelle celles et ceux qui bénéficient de ces régimes spéciaux seraient des privilégiés : ce n’est absolument pas le cas. Il s’agit seulement de prendre en compte certaines particularités de leur statut, de leur carrière et de leur rémunération. Il existe d’autres solutions pour faire converger les choses intelligemment : par exemple notre projet d’une maison commune des régimes de retraite. Il y aurait beaucoup mieux à faire que cette suppression pure et simple des régimes spéciaux.

M. Jacques Maire. Je souhaiterais exprimer – et c’est la première fois – la position du groupe La République en marche sur la question des régimes spéciaux. Je voudrais d’abord rectifier les chiffres : les régimes spéciaux représentent 3 % des cotisants, mais 17 % des retraités. Ce déséquilibre, qui est déjà préoccupant aujourd’hui, ne fera que s’aggraver à l’avenir, puisqu’aujourd’hui le taux de remplacement est de 0,5 pour la SNCF et de 1,7 pour le régime général. On voit bien quelle est la tendance… Et le déficit des régimes spéciaux s’élève à 7 milliards d’euros, année après année.

Vous voyez bien que ces régimes sont en danger vital, puisqu’ils sont sous perfusion, et donc à la merci d’une décision brutale, comme vient de le dire notre collègue du groupe Les Républicains. Nous n’avons pas fait le choix de la décision brutale, mais celui de la transition longue. Il faut garantir aux salariés concernés, qui ont été engagés sur la base d’un statut, que ce statut sera respecté et définir des clauses pour chaque situation particulière.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Monsieur Dharréville, même si nous ne voyons pas les choses de la même façon, j’ai tout de même le sentiment que nous sommes parvenus, dans cette partie de la loi, à construire cette maison commune que nous voulions construire initialement, sans monter les Français les uns contre les autres et sans stigmatiser qui que ce soit. Ce faisant, il me semble que nous avons répondu à une demande essentielle de nos concitoyens, qu’ils ont souvent exprimée dans la vingtaine d’ateliers citoyens que j’ai pu animer quand j’étais député : celle d’une équité face à la retraite. Nos concitoyens ne nient pas, et nous non plus, la pénibilité de certaines activités, dans le transport ferroviaire, par exemple, pas plus que la nécessité de prendre en compte certaines carrières longues. Mais ils demandent que cela se fasse de la même façon pour tout le monde, sur des bases objectives.

Cette demande ne vise pas à exclure, mais à inclure, à créer une dynamique du vivre ensemble. Ma conviction profonde, c’est que si nous voulons réaliser ce vivre ensemble, si nous voulons vraiment faire République, il faut que nous soyons capables, sur un socle de solidarité aussi important que celui de la retraite, de parler d’une seule voix et de créer cette dynamique. C’est une dynamique positive, qui se fait dans le respect du contrat social conclu par ceux qui se sont engagés dans ces entreprises à régimes spéciaux.

Des concertations spécifiques ont lieu avec chacune des entreprises concernées, parce qu’elles ne partent pas toutes du même point. Cela montre la volonté des responsables de ces entreprises, mais aussi des membres du Gouvernement, Mme Élisabeth Borne et M. Jean-Baptiste Djebbari, de trouver des voies de sortie apaisantes pour ceux qui ont choisi de s’engager dans ces entreprises, mais aussi dynamisantes et constructives pour l’avenir. Nos concitoyens se retrouveront dans une maison de retraite où chacun sera considéré selon les mêmes critères, où la pénibilité sera prise en compte de la même façon pour tout le monde et où nous aurons enfin des règles communes.

La commission rejette ces amendements.

Elle examine ensuite l’amendement n° 14668 de M. Pierre Dharréville.

M. Pierre Dharréville. Je voudrais rappeler qu’il existe aujourd’hui dans notre pays dix régimes spéciaux tout à fait identifiables et que les chiffres que j’ai rappelés tout à l’heure sont justes. Ceux que vous donnez, monsieur Maire, incluent les agents de la fonction publique. Or il n’est pas question d’eux ici.

Vous évoquez le risque financier. Je rappellerai d’abord que l’État a une responsabilité très claire dans la situation financière de ces régimes, puisqu’il s’agit pour l’essentiel d’entreprises publiques et que l’État a lui-même organisé la sortie d’un certain nombre de travailleurs et de travailleuses de ces régimes spéciaux, en privatisant.

Par ailleurs, je rappelle que ces hommes et ces femmes ont signé un contrat de travail global et que vous êtes en train de le modifier avec cette loi. Ces régimes spéciaux ont été conçus pour assurer l’équité et c’est vous qui la remettez en cause, comme nous le démontrons depuis le début de nos débats. Vous construisez un système qui ne va pas fonctionner et que vous êtes obligé d’adapter en permanence à des situations particulières. Ces régimes correspondent à des situations qu’il faut prendre en compte et cela n’exclut pas de beaucoup mieux prendre en compte d’autres situations qui ne le sont pas aujourd’hui.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je ne souhaite pas m’exprimer sur chacun des régimes spéciaux. À ce stade de nos débats, j’aimerais vous faire part d’une réflexion. Depuis vingt-cinq ans, plusieurs réformes des retraites sont intervenues, notamment celle qu’a menée M. Éric Woerth, ici présent. J’ai relu l’histoire de ces réformes et je dois dire qu’il a fallu une bonne dose de courage pour les mener à bien, parce qu’on touche, avec les retraites, à quelque chose de fondamental. Heureusement que des gens, dans notre République, ont fait ces réformes pour garantir la pérennité financière de notre système.

À chaque réforme, il y a eu des blocages dans le pays, au détriment de l’unité nationale. Il serait préférable, à l’avenir, de procéder d’une façon moins chaotique et de réformer le système de manière plus régulière et progressive. Un système universel, dans lequel les mêmes règles s’appliqueront à tous, favorisera cette évolution, car c’est souvent la comparaison avec les autres qui crée des crispations. Si nous pouvions instaurer un dialogue annuel au sein de la CNRU, notre pays et notre unité sociale auraient tout à y gagner.

Je suis favorable à l’extinction progressive des régimes spéciaux, non pas pour les stigmatiser, mais pour faire place à plus d’unité. Avis défavorable sur cet amendement.

M. Éric Woerth. Il faut évidemment faire converger les régimes spéciaux vers le régime de droit commun. Nous nous y sommes employés et vous voulez aujourd’hui aller plus loin : nous vous soutiendrons sur ce sujet. Rien ne justifie aujourd’hui le maintien de régimes spéciaux. Il convient en revanche de tenir compte de la pénibilité, pour tous et toutes.

Quand on est jeune, je ne crois pas que l’on choisisse une entreprise, uniquement parce qu’elle offre un système de retraite avantageux. Il arrive aussi que l’on aime son travail et qu’on n’ait pas envie de le quitter trop tôt.

J’aimerais savoir à quelle date un conducteur de train, qui a aujourd’hui le droit de partir à 52 ans, partira à l’âge légal de départ à la retraite, c’est-à-dire, dans votre système, à 62 ans. Je n’ai pas réussi à obtenir une réponse à cette question. À mon avis, il faudra un demi-siècle, mais vous allez peut-être me dire qu’il faudra trente ou quarante ans. En tout cas, en ce qui nous concerne, nous militons pour une période de transition plus courte. Il ne s’agit pas de se montrer brutal, mais seulement de raccourcir ces délais. À quelle date un conducteur de la SNCF qui part aujourd’hui à 52 ans devra-t-il partir à l’âge légal, c’est-à-dire à 62 ans ?

M. Boris Vallaud. J’entends le secrétaire d'État et le rapporteur dire qu’ils n’ont jamais cherché à stigmatiser qui que ce soit : la réalité, c’est que vous avez tenté d’utiliser les régimes spéciaux comme levier pour évacuer les débats sur le reste de la réforme, qui en constitue pourtant l’essentiel. Il vous aurait d’ailleurs été loisible de dire que les régimes spéciaux convergent avec le régime général depuis longtemps : les réformes successives de la SNCF en 2008 et 2011, ainsi que la réforme que vous récemment avez menée ont conduit à une augmentation de la cotisation des cheminots jusqu’en 2026, à une surcote et à une décote qui les incitent à partir plus tard ; à partir de la génération 1973, ils doivent déjà cotiser quarante-trois ans. Sur la période 2026-2060, l’âge de départ moyen des cheminots aurait été 61 ans.

Mais dans la mesure où vous avez supprimé le statut, personne n’entre plus dans ce régime spécial : cela va à l’évidence poser un problème démographique, alors que le stock de ceux qui sont déjà en pension demeure intégralement. Le sujet de la période de transition nous est masqué car il est renvoyé à une ordonnance. Comment voulez-vous que nous nous prononcions en conscience sur cet aspect essentiel de la réforme ?

M. Pierre Dharréville. Dans les régimes spéciaux, les âges d’ouverture des droits sont de plus en plus hypothétiques et aléatoires parce qu’ils sont désormais fonction de la durée de cotisation, qui évolue ; la durée d’assurance est désormais alignée sur le régime général ; enfin, la base de calcul pour la pension à taux plein a été alignée sur celle de la fonction publique. On voit bien que tout converge déjà et qu’il n’y avait pas besoin de cette réforme. L’objectif est donc bien de supprimer des droits à toutes et à tous. Je partage, pour d’autres raisons que lui, la question posée par Éric Woerth : vous ne dites pas ce qu’il adviendra précisément des premiers concernés par ces régimes. J’aimerais que vous nous décriviez précisément non seulement le processus de transition, mais les effets réels, concrets, pour chaque personne concernée.

Mme Sabine Rubin. J’ai du mal à comprendre votre logique à propos de l’universalité. Dès votre arrivée, vous vous êtes employés à casser la règle commune, le code du travail, au profit d’une négociation par entreprise. Comment croire que l’universalité soit autre chose qu’un alibi pour passer à un système de retraite à points, qui sera globalement défavorable à tout le monde ?

Par ailleurs, je voudrais revenir sur le déficit de certaines caisses – pas celle des avocats, qui n’est pas déficitaire. Je ne comprends pas la logique générale de votre projet, si ce n’est qu’elle vise à instaurer un système à points dont on sait, de source sûre, qu’il entraîne une baisse des retraites.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine les amendements identiques  13551 de Mme Caroline Fiat,  13561 de Mme Sabine Rubin et n° 14669 de M. Sébastien Jumel.

Mme Caroline Fiat. L’objet de l’amendement n° 13551 est de supprimer l’alinéa 6. Laissez-moi vous parler de mon ami Bertrand : cela fait vingt ans qu’il est cadre à la SNCF, vingt ans que je le saoule en vain à chaque mobilisation pour qu’il fasse grève. Je voulais vous féliciter car vous avez réussi là où j’avais échoué : vous avez poussé Bertrand à faire grève ! Vous aurez au moins réussi cela dans votre mandat ! Bertrand a en effet un humour très limité quand il s’agit de sa retraite, lui qui a accepté un emploi moins bien payé parce qu’il savait qu’en compensation, il partirait plus tôt à la retraite.

Mme Sabine Rubin. L’amendement n° 13561 est défendu.

M. Pierre Dharréville. L’amendement n° 14669 a pour objet de sauvegarder le système en vigueur pour les agents de la SNCF. Supprimer les régimes spéciaux ne résoudra en rien les problèmes de financement des retraites : ce n’est absolument pas la question ! En effet, les supprimer aujourd'hui ne garantirait pas à l’État de récupérer 6 milliards d’euros immédiatement car il faudrait dans tous les cas financer les droits acquis et les droits des régimes fermés.

Par ailleurs, et contrairement à ce que l’on entend bien souvent, les âges de départ des agents de la SNCF sont différents au sein de ce régime : or vous n’avez toujours pas expliqué comment vous allez gérer ces différents cas de figure. Les conducteurs sont soumis à une contrainte particulière car leur service requiert une concentration permanente, dont les effets sur leur santé ont été démontrés et ont conduit à la création de ce régime particulier de pénibilité. De manière plus générale, vous ne dites pas comment vous prendrez en compte la spécificité des différents métiers exercés au sein de la SNCF.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Que puis-je ajouter à ce que j’ai déjà dit ? Pour répondre à M. Woerth, qui disait que l’intégration dans le régime général serait repoussée de cinquante ans, je rappelle que nous avons réussi à le faire puisque nous avons supprimé le recrutement au statut à compter du 1er janvier 2020. Ceux qui seront embauchés à partir de cette date ans seront déjà en retraite dans cinquante ans : ils seront donc bien concernés avant.

L’enjeu particulier de tous ces régimes spéciaux, c’est le déséquilibre démographique : à la SNCF, il y a 127 000 cotisants pour 249 000 retraités. Le principe même de cette réforme est de mutualiser, ce qui se traduit par une subvention d’équilibre de 3,4 milliards d’euros en 2018. Nous sommes donc défavorables à ces amendements.

Concernant la pénibilité évoquée par M. Dharréville, de nombreuses professions, comme celle des infirmières, requièrent une concentration permanente. Cela n’est pas spécifique à un métier : il faut en tenir compte de la même façon, que l’on travaille à la SNCF, à l’hôpital ou dans le privé, en fonction de critères objectivés. Le ministère du travail aura pour tâche de définir, de la façon la plus équitable possible, un même critère de pénibilité applicable à tous les métiers qui y sont exposés. Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Monsieur le rapporteur, vous avez dit que la subvention d’équilibre au régime des cheminots pour 2018 s’était élevée à 3,4 milliards. Mais dans le nouveau système, le stock de ceux qui sont déjà pensionnés continuera à exister et ce que vous aurez à financer demeurera strictement équivalent.

M. Pierre Dharréville. Dans un certain nombre de métiers, la pénibilité pose un problème de sécurité publique : cela mérite d’être intégré dans nos réflexions. Monsieur le rapporteur, vous m’avez répondu qu’il fallait également tenir compte de la pénibilité du métier d’infirmière : je suis entièrement d’accord ! La pénibilité est insuffisamment reconnue pour certaines professions, mais faut-il pour cette raison dégrader sa prise charge quand elle est déjà reconnue ? Je ne le crois pas ; or c’est ce que vous êtes en train de faire.

La réforme que vous proposez aura pour conséquence qu’un certain nombre de personnes partiront à la retraite des années plus tard que ce qui est prévu sous le régime actuel ; dites-nous donc précisément à quoi cela aboutira pour elles. De la même façon, je suis favorable à ce que l’on discute des infirmières et des aides-soignantes. Il faut mieux prendre en compte la pénibilité et nous avons des propositions en la matière.

M. Jacques Maire. Tout d’abord, monsieur Dharréville, vous avez raison : j’ai fait une erreur tout à l’heure. Les régimes spéciaux représentent non pas 17 % mais 6 % de l’ensemble des retraités : vous avez eu raison de le faire remarquer, parfois on va un peu vite.

Concernant les mesures transitoires appliquées aux régimes spéciaux, l’article 39 prévoit que les assurés ayant effectué la durée de service qui leur est applicable ont droit à partir de façon anticipée dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui. De ce point de vue, M. Vallaud a raison : il n’y a pas de gain automatique à court terme sur les 3,4 milliards d’euros, et c’est bien normal.

Enfin, une ordonnance déterminera les conditions de la négociation transitoire. Celle-ci ne devra pas se limiter à la question des retraites : quand des jeunes cheminots ont pour principale motivation la retraite, parce qu’ils considèrent que les conditions de travail ne sont pas bonnes, cela signifie que ces métiers ont un sérieux problème d’attractivité. La retraite ne peut pas constituer la réponse.

M. Thierry Benoit. La convergence public-privé est un préalable à la création d’un régime universel de retraite par points. Il me paraît donc logique d’amorcer la mise en extinction des régimes spéciaux, qui aurait déjà dû être faite depuis quelques dizaines d’années – ce sujet est abordé à chaque campagne électorale, présidentielle ou législative.

Pour ce qui concerne la pénibilité, le législateur devra se mettre d’accord sur une grille commune de critères. Ceux-ci devront être énoncés dans la loi et appliqués pour assurer une meilleure prise en compte, équitable et juste, de la pénibilité.

La commission rejette ces amendements.

Elle examine les amendements identiques n° 13569 de Mme Caroline Fiat, n° 13579 de Mme Sabine Rubin et n° 14670 de M. Pierre Dharréville.

Mme Caroline Fiat. Tout comme pour la SNCF, nous souhaitons supprimer l’alinéa 7 afin que les agents de la RATP continuent à bénéficier de ce à quoi ils ont droit actuellement et ne subissent pas votre réforme.

Mme Sabine Rubin. L’amendement n° 13579 est défendu.

M. Pierre Dharréville. Les arguments pour la SNCF valent pour la RATP. Je continue donc d’affirmer que vous ne prenez pas en compte la réalité du travail. Je serais d’ailleurs curieux de savoir comment vous avez engagé la concertation – je pense d’ailleurs que cela aurait plutôt mérité des négociations – avec les organisations syndicales concernées. J’aimerais en savoir plus car nous allons une fois de plus voter dans une incertitude totale. Tout cela n’est pas sérieux : comme vous pouvez le constater, la mobilisation est forte dans ces entreprises. Celles-ci ne se mobilisent d’ailleurs pas que pour elles-mêmes, chacun ayant parfaitement compris que, au-delà des régimes spéciaux, c’était le régime général qui était visé. La formule des points n’est pas adaptée, pas plus pour les salariés du régime général que pour ceux des régimes spéciaux. Comment envisagez-vous précisément la suite ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je ne vais pas répondre spécifiquement sur la RATP. Toutefois, concernant le sujet de la pénibilité des conducteurs de train, il me semble que cette dernière n’est plus la même que celle qu’ils ont pu connaître par le passé. Ce matin, vous étiez d’accord pour reconnaître la pénibilité des agriculteurs ; hier, M. Jumel, à juste titre, nous a parlé des marins, mais nous pourrions parler des maçons, des caissières, des policiers, des enseignants, des chauffeurs routiers, etc. Si la liste des métiers pénibles représentait 70 % de l’ensemble, cela poserait un problème de financement. Il faut donc objectiver les choses, les faire évoluer progressivement, travailler sur la pénibilité et la reconnaître de façon homogène, que l’on soit dans le privé ou dans le public et quel que soit le métier. Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. J’aimerais savoir si vous considérez que la transition du régime actuel au régime futur est un élément substantiel de la réforme. Si c’est le cas, on comprend d’autant moins que cela ne soit pas soumis à notre discussion.

Vous parlez de la pénibilité en disant « il faut, il faut, il faut ! », mais enfin, vous avez supprimé le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) en 2017, vous travaillez sur cette réforme depuis deux ans et demi, cela concerte prétendument depuis deux ans… Je vous pose la question : qu’est-ce que vous faites ? Il faut se réveiller ! En attendant, il y a des gens qui ont des vraies vies professionnelles, qui les abîment ! Il serait donc utile que l’on passe un peu à l’acte : si vous n’êtes pas prêts, différez !

M. Pierre Dharréville. Selon vous, la pénibilité n’est plus la même car les métiers ont évolué. Certes, mais le reste aussi a évolué – la prise en compte de la pénibilité, le régime – donc ne faisons pas comme si ! Il faut mesurer ce que peuvent être les conditions de travail de celles et ceux qui conduisent des métros – certains travaillent sous terre toute la journée –, des tramways ou des bus. Je suis pour que l’on reconnaisse la pénibilité, et pas seulement en région parisienne – on nous a beaucoup ressorti l’exemple du chauffeur de bus de Bordeaux : on le connaît par cœur !

Nous proposons donc un départ dès 55 ans pour les métiers pénibles et la création d’un nouveau dispositif de reconnaissance de la pénibilité en fonction des emplois occupés, du temps passé dans la fonction concernée et des facteurs de risques professionnels, afin d’assurer un temps suffisant de retraite en bonne santé. Tout cela est pour partie déjà pris en compte dans les régimes spéciaux, mais de manière insuffisante.

M. Stéphane Viry. Mon collègue Éric Woerth vous a interrogé, monsieur le rapporteur, sur les modalités et les délais d’extinction des régimes spéciaux. Il nous paraît que la portée du texte proposé par le Gouvernement variera selon les modalités. Pour les nouveaux entrants au 1er janvier, ce n’est pas une réponse, ce n’est pas une information : cela a été voté. Notre préoccupation porte sur celles et ceux qui sont actuellement dans ces régimes, qui seront ayants droit. Mes collègues vous posent des questions, sans doute avec une autre finalité que la mienne, sur les modalités de transition : en deux mots, pendant combien de temps le budget de l’État devra-t-il contribuer au financement des régimes spéciaux ? Pendant combien de temps, alors que vous prônez l’universalité, allons-nous admettre différents statuts de retraités dans notre pays ? Nous avons besoin d’éléments de réponse précis sur le délai d’extinction des régimes spéciaux.

La commission rejette ces amendements.

Elle examine les amendements identiques  13586 de Mme Caroline Fiat, n° 13596 de Mme Sabine Rubin et n° 14671 de M. Sébastien Jumel.

Mme Caroline Fiat. Plus je vous écoute, monsieur le rapporteur, et plus je suis convaincue que votre système universel ne fonctionne pas. Quand on vous parle d’une profession, vous répondez systématiquement que les infirmières méritent que l’on s’attarde sur leur cas, tout comme les pompiers et d’autres professions, qu’il faudra continuer à tenir compte de la pénibilité à la SNCF, et que l’on étudiera la question pour la RATP… Mais à tout garder, comme le disait Emmanuel Macron, ça va tomber comme des dominos : dès lors que l’on préserve un régime spécial, il faudra tous les conserver ! Nous voulons donc supprimer l’alinéa 8 car votre système universel de retraites n’en est pas un.

Mme Sabine Rubin. L’amendement n° 13596 est défendu.

M. Pierre Dharréville. L’amendement n° 14671 a pour objet de supprimer l’alinéa 8, qui concerne le régime spécial en vigueur pour les clercs et employés de notaires.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Monsieur Vallaud, vous répétez à l’envi : « Votre réforme n’est pas prête ! » Je vais donc vous citer un exemple typique de ce à quoi on aboutit quand on ne prend pas le temps de faire une réforme. Le C3P, que j’ai expérimenté en tant qu’agriculteur employeur de salariés, était une catastrophe ! Chaque mois, je devais déclarer si mon salarié portait des charges lourdes, s’il était exposé aux produits chimiques – sauf qu’un salarié agricole, par définition, n’est pas un salarié à la chaîne ! Il faisait peut-être deux traitements dans le mois : comment devait-on le déclarer ? Il soulevait peut-être une fois dans le mois un sac de ciment : devais-je le prendre en compte au titre des charges lourdes ? C’était inapplicable ! Il faut donc, pour ce type de métiers, une approche de branche : globalement, un salarié qui travaille dans le domaine des productions végétales, il est peut-être exposé en moyenne à tel ou tel risque. C’est comme cela qu’il fallait l’envisager !

La politique demande de fixer des objectifs mais cela suppose de déterminer les moyens d’y parvenir. Il faut tracer le chemin : c’est ce que nous faisons ici. Comme c’est un changement majeur, nous prenons le temps !

Mme Valérie Rabault. C’est ce qu’on vous demande depuis le début !

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Pour répondre à M. Viry sur la SNCF, les conducteurs de train concernés sont ceux qui ont été embauchés depuis le 1er janvier 1985 : ceux qui l’ont été avant cette date ne sont pas concernés. Cela veut dire qu’en 2025, des évolutions commenceront à intervenir, comme dans toutes les autres professions. Nous nous inscrivons dans une trajectoire de quinze à vingt ans pour rapprocher le statut actuel du statut définitif.

M. Boris Vallaud. Vous venez de faire la démonstration, en effet, de la nécessité, y compris quand la réforme porte sur un seul objet, de prendre le temps. Je conçois tout à fait que des réformes soient difficiles à mettre en œuvre, soit parce qu’elles ont fait l’objet d’une insuffisante préparation, soit qu’elles méritent d’être revues. Mais, en l’occurrence, votre réforme porte sur des dizaines, pour ne pas dire des centaines de points ! S’il ne s’agissait que d’une réforme de la pénibilité, encore ! Mais c’est la pénibilité, les carrières longues ; vous engagez tous les Françaises et les Français sur soixante ans ; il y a des effets de bord dans tous les sens, des transferts ; cela va changer le niveau des pensions, le niveau des cotisations ; des caisses demeureront et d’autres non ; il y aura un doublon entre tous pendant des décennies ; des gens qui rentreront dans les carrières au même moment n’auront pas le même niveau de pension… On est en train de s’engager dans un truc qui va ressembler au Brexit : une fois que vous l’aurez voté, vous ne saurez plus comment faire pour vous en sortir ! Voilà la réalité ! Vous avez dit que c’était une ambition considérable : alors prenez le temps ! Vous êtes en train de nous dire : « On fait les soubassements et on verra plus tard combien de pièces et d’étages on construit, avec quels matériaux… » Nous aimerions bien avoir une petite idée de ce que cela va donner !

M. Pierre Dharréville. Toutes les réponses que vous nous apportez font la démonstration que vous n’avez pas de projet précis. Vous venez de dire vous-même que vous ne saviez pas trop comment se ferait la transition, avant d’affirmer que la lisibilité était une des vertus cardinales de votre projet. Qu’entendez-vous par lisibilité ? Tout cela me semble de plus en plus obscur ! In fine, votre projet aura pour conséquence de faire cotiser plus certaines personnes pour un droit moins important. Il faut aussi assumer les choses telles qu’elles sont en le disant de la manière la plus claire possible.

Mme Carole Grandjean. Je veux revenir sur les questions de gouvernance, que nous examinerons dans le titre IV. Chacun d’entre nous aura pris connaissance des dispositifs prévus. Il faut rappeler qu’un schéma de transformation sera engagé et que le texte législatif prévoira un certain nombre d’évolutions pour la période de transition. De plus, dans la période de transition, des conventionnements seront prévus avec la caisse nationale ; en aucun cas il n’y aura de doublons, comme cela vient d’être dit. Enfin, le titre IV comporte des garanties, dans le cadre de la transition, pour l’ensemble des caisses, notamment les caisses autonomes.

M. Thibault Bazin. Arrivera-t-on un jour à ce titre IV ?

La commission rejette ces amendements.

Elle examine les amendements identiques n° 13603 de Mme Caroline Fiat, n° 13764 de Mme Sabine Rubin et n° 14672 de M. Pierre Dharréville.

Mme Caroline Fiat. L’amendement n° 13603 a pour objet de supprimer l’alinéa 9 pour protéger le régime spécial des industries gazières, conquis après des années de lutte sociale.

Mme Sabine Rubin. Nous souhaitons supprimer l’alinéa 9, lequel met fin au régime spécial des personnels des industries du gaz et de l’électricité. Cet alinéa est en effet en cohérence avec votre politique en matière d’énergie, qui consiste à découper ces entreprises de l’énergie en petits morceaux et à les privatiser. Vous remplacez ces régimes spéciaux par des aménagements spécifiques pour faire passer la retraite à points, qui est un excellent véhicule pour faire baisser les retraites de tous.

M. Pierre Dharréville. L’alinéa 9 vise à supprimer le régime spécial des ouvriers des industries électriques et gazières instauré en 1946, garantissant la prise en compte des facteurs spécifiques de pénibilité des travailleurs du secteur mais également la spécificité de leur mission, de leurs astreintes. Ce statut a été forgé à la Libération pour garantir la sécurité et l’indépendance énergétiques de notre pays. Tout cela fait un paquet global : quand on touche aux retraites, on touche aussi à l’ensemble des enjeux qui se rapportent au service public de l’énergie. Cela étant, ce n’est pas une raison pour poursuivre dans cette voie. Nous nous opposons donc à la suppression de ce régime spécial.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Les discussions sont assez décousues. Nous avons évoqué tout à l’heure les clercs de notaire, qui sont révélateurs de la situation démographique : ce petit régime de 60 000 personnes environ pour 60 000 retraités connaît un rapport démographique très défavorable. De ce fait, il faut faire appel à la solidarité nationale pour l’équilibrer. Nous devons être proactifs sur ces sujets.

Concernant EDF, je ne sous-estime pas le travail remarquable qui a été accompli après-guerre pour électrifier la France et gagner en indépendance énergétique. Mais je pourrais en dire autant des agriculteurs, qui ont redonné l’autonomie alimentaire à notre pays après-guerre, alors qu’il y avait encore des tickets de rationnement ; pour autant, eux n’ont pas bénéficié d’un régime spécial.

M. Viry et ses collègues trouvaient tout à l’heure que l’on consacrait trop de temps aux régimes spéciaux, que ces réformes coûteraient trop cher et engendreraient des dépenses nouvelles, tandis qu’à gauche, on nous dit que les pensions vont s’écrouler : nous devons être quelque part dans le juste milieu.

M. Boris Vallaud. Ou dans l’erreur complète !

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Avis défavorable à ces amendements.

Mme Valérie Rabault. Je souhaite réagir aux propos tenus par le rapporteur concernant l’importance des études d’impact – sur ce point, nous serons à 100 % d’accord avec lui.

Ma question n’est pas directement liée aux gaziers mais peut les concerner aussi. Ainsi, page 311 de votre étude d'impact, on constate que la pension médiane baissera pour les générations des années 1980 – ce n’est pas moi qui le dis, c’est votre graphique, établi avec le logiciel Prisme de la CNAV. Comme vous ne cessez de nous dire, depuis le début de l’examen de ce texte, que tout va augmenter, je voulais savoir ce qui explique que cela baisse dans ce graphique : celui-ci est assez parlant car il montre que la réforme est pénalisante pour la génération 1980.

M. Stéphane Viry. M. le rapporteur a engagé un dialogue sur la portée du projet de loi. Nous ne donnons pas, monsieur le rapporteur, le même sens que vous au mot « réforme » : pour moi, réformer, c’est prendre des mesures compliquées, courageuses, mais qui s’inscrivent dans un temps maîtrisé. Vous avez dit vous-même : « On prend le temps. » Prendre le temps sur quinze à vingt ans, ce n’est plus une réforme : c’est peut-être un ajustement de situation, mais ce n’est pas une nouvelle donne ! Votre gestion des régimes spéciaux dénature totalement le concept de réforme !

M. Pierre Dharréville. Je connais un peu les enjeux de la reconstruction. Vous avez raison de dire que les gaziers et les électriciens n’ont pas été les seuls à donner pour la reconstruction de la France à la Libération. François Billoux, un communiste marseillais, fut le ministre de la reconstruction à l’époque. Mais la question qui nous est posée aujourd'hui est celle des conditions de travail actuelles dans ces industries en pleine mutation. Je ne pense pas que les 6 milliards dont vous parlez, comparés aux 321 milliards dépensés pour la totalité des retraites, posent un problème insurmontable à la solidarité.

Chacun s’était félicité, après la tempête de 1999, de voir tous ces électriciens monter sur les poteaux pendant les fêtes pour rétablir le courant ; cela arrive d’ailleurs très régulièrement. Nous devons tenir compte de ces contraintes, qui existent aussi dans d’autres métiers : je suis pour qu’on les prenne en compte partout où elles existent, mais qu’on ne les supprime pas là où elles sont bien prises en compte !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. Je ne boude pas mon plaisir à voir Mme la présidente Valérie Rabault nous solliciter sur l’étude d'impact : je ne voudrais pas qu’elle pense que nous ne lui répondrons pas sur ce sujet. Le tableau sur lequel vous nous avez alertés est intéressant. Sans faire d’analyse statistique trop pointue, il retrace à la fois la médiane et la moyenne : la première coupe en deux l’échantillon, tandis que la seconde établit la valeur moyenne. On observe que la moyenne augmente significativement alors que la médiane fait moins 0,1, ce qui correspond à la marge d’erreur, dans un sens ou dans un autre.

Mme Valérie Rabault. Non ! Elle est à moins 2,5 !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. La moyenne progresse de quasi 5 % tandis que la médiane est quasi stable. Je veux bien que l’on passe du temps sur ce sujet mais nous devrons alors consacrer ce temps à la moyenne, parce qu’elle augmente fortement. Ce sujet est intéressant mais il faut que vous regardiez l’ensemble, et pas seulement cette médiane, qui est quasi à l’équilibre.

Monsieur Viry, vous êtes un peu embêté parce que La République en marche arrive à mettre fin aux régimes spéciaux alors que les précédents gouvernements de droite n’y sont pas parvenus. C’est du moins le sentiment que vous donnez… Il est nécessaire de prendre le temps. Si vous aviez pensé pouvoir faire cette réforme en trois ou quatre ans, j’imagine que vous l’auriez fait ! En rappelant que nous allons mettre quinze à vingt ans pour éteindre les régimes spéciaux, vous soulignez que nous respectons le contrat social et moral passé entre ceux qui ont choisi ces régimes spéciaux et leurs entreprises, tout en prenant acte que ces régimes vont bien s’éteindre. Oui, c’est vrai, nous le faisons, dans le respect des engagements et avec la volonté de créer un système universel dans lequel tous les Français se retrouveront à égalité devant les retraites.

La commission rejette ces amendements.

La commission en vient aux amendements identiques n° 14052 de M. Adrien Quatennens, n° 14055 de Mme Sabine Rubin et n° 14673 de M. Sébastien Jumel.

M. Adrien Quatennens. Je reviendrai sur les industries électriques et gazières, dont j’ai été le salarié. Il ne m’est pas nécessaire d’invoquer les relations personnelles que j’entretiens avec elles, pour dire que celles-ci sont très mobilisées. Nous avons d’ailleurs pu rencontrer certains de leurs représentants au cours de la manifestation qui a eu lieu cet après-midi. Votre réforme vient s’ajouter à une entreprise de déconstruction méthodique, qui a eu lieu avant même l’arrivée au pouvoir de votre gouvernement. Elle a consisté à démanteler l’opérateur historique de l’électricité et du gaz, avec le résultat que l’on sait, sous l’injonction de la Commission européenne. Il s’agissait de mettre en œuvre une concurrence libre et non faussée qui est en réalité tout à fait artificielle, puisque c’est l’opérateur historique qui fournit à ses concurrents les moyens de lui faire concurrence – ceux-ci ne disposent pas des moyens de production suffisants. C’est une absurdité totale à laquelle la réforme des retraites vient s’ajouter, alors que le statut des salariés de ces industries est par ailleurs mis en cause. Cela fait beaucoup. Mon collègue Dharréville a eu raison d’évoquer la tempête de 1999 ; il suffit d’observer les conséquences du changement climatique pour imaginer qu’à l’avenir, ces salariés seront amenés à être mobilisés très régulièrement. Pourtant, cette réforme des retraites vient leur porter un nouveau coup très dur.

Mme Sabine Rubin. L’amendement n° 14055 est défendu.

M. Pierre Dharréville. L’amendement n° 14673 porte sur le régime spécial de retraite actuellement en vigueur pour les agents titulaires de la Banque de France. Pour des raisons similaires à celles invoquées pour d’autres catégories de salariés, nous proposons de le maintenir. Ce n’est pas le régime qui comprend le plus d’agents, mais ce n’est pas une raison pour nier le travail accompli pour aboutir à ce statut spécifique, dont vous ne prenez pas la mesure.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Tout se perd ! Il est assez amusant de voir M. Dharréville défendre la banque…

M. Pierre Dharréville. La Banque de France, pas toutes les banques !

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je plaisante. C’est à tout à votre honneur de défendre l’ensemble des salariés.

La tempête de 1999 a été évoquée. Je ne prétends pas connaître particulièrement les électriciens et les gaziers ; en revanche, je connais beaucoup mieux les bûcherons, qui ont été beaucoup sollicités à cette occasion. S’il est un métier pénible par excellence – que l’on pense aux vibrations permanentes de la tronçonneuse ou au danger des arbres en chablis –, c’est bien celui-là. Il existe de nombreux métiers en France qui sont importants, dangereux et invisibles – les bûcherons sont vraiment les invisibles parmi les invisibles. Nous devons tenir compte de tout cela de la manière la plus homogène possible, mais tous les métiers sont concernés.

Madame Rabault, j’ai regardé le graphique que vous évoquiez tout à l’heure décrivant l’évolution de la retraite médiane ; il s’explique très bien. Aujourd’hui, la situation est la suivante : le montant mensuel brut moyen de la pension de retraite des hommes – tous retraités confondus – s’élève à 1 780 euros, tandis qu’il est de 1 100 euros pour les femmes. La réforme met en œuvre une redistribution ; son impact n’est donc pas le même pour les hommes et pour les femmes, et les hommes vont moins y gagner. Comme l’a dit M. le secrétaire d’État, la pension médiane des hommes de la génération 1980 va connaître une évolution légèrement négative – d’environ 2 % ; les hommes représentant à peu près 50 % de la population totale, cela pourra conduire à une très légère baisse de la pension médiane pour l’ensemble de la génération 1980, hommes et femmes confondus. Cependant, on joue sur l’épaisseur du trait : la diminution est marginale, et je pense même que l’on se situe dans le taux d’erreur habituellement constaté pour ce genre de prévisions. Cette tendance est assurément liée au rééquilibrage hommes-femmes. Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Je commence à m’habituer à votre rhétorique consistant à dire que parce qu’il existe d’autres régimes spéciaux que celui que l’on est en train d’évoquer, il faut tous les supprimer. C’est un peu la logique de votre argumentation. Je ne partage pas cette orientation politique qui vous conduit à tout araser en cessant de traiter les problèmes auxquels des solutions pérennes avaient jusqu’à présent été trouvées : je pense qu’il faut au contraire mieux prendre en compte un certain nombre de réalités spécifiques.

S’agissant de la Banque de France, vous savez que j’y suis attaché ; je serais même favorable à ce qu’elle ait davantage de pouvoir – et que, de manière générale, les banques centrales aient un pouvoir plus important que les banques privées. En 2019, l’âge d’ouverture des droits à la retraite s’y élevait à 61 ans et trois mois, tandis que l’âge de départ moyen y était de 60,5 ans. Je donne des chiffres pour éviter que certains fantasmes soient nourris – je ne vous en fais pas le procès, monsieur le rapporteur, mais c’est l’occasion de rétablir un certain nombre de vérités dans l’opinion publique.

Mme Marie-Christine Dalloz. Deux choses m’interpellent dans le débat.

M. le rapporteur a l’air de penser qu’il va falloir traiter la question de la pénibilité par métier. Chaque fois qu’il prend la parole à propos d’un métier particulier, il reconnaît à son propos la notion de pénibilité. À la fin, on se rendra compte que tous les métiers ont une dimension pénible. Je ne connais personne qui dirait qu’il n’y a pas une part de pénibilité dans son activité professionnelle. Attention donc à votre manière de traiter le sujet.

Monsieur le secrétaire d’État, j’étais déjà députée lorsque nous avons voté la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites. Le courage, c’était alors d’afficher le recul de l’âge légal du départ à la retraite de 60 à 62 ans, ce que vous n’avez pas fait puisque vous avez retiré « provisoirement » l’âge pivot. Je ne sais pas ce que signifie ce retrait provisoire, mais ce n’est pas faire preuve de courage. Quand vous dites qu’il faudra vingt ans pour effectuer la transition entre les deux systèmes de retraite, et que l’on y ajoute les cinq ans qui mènent à 2025, on parvient à une réforme prévue pour dans vingt-cinq ans. Je ne suis pas certaine que ce soit courageux.

M. Éric Girardin. S’agissant du courage politique, pour compléter les propos de Mme Dalloz, je crois qu’en tant que députés, nous avons eu le courage de faire voter l’abandon de notre régime spécial, et que ce fut un bel exemple donné à la population. C’est pourquoi nous pouvons avoir ce débat sereinement ; en effet, s’il est une chose que la population jugeait anormale, c’était bien le régime spécial des députés – qui subsiste d’ailleurs pour les sénateurs. En faisant cela, nous avons fait un grand pas vers une forme de normalisation, permettant à chaque citoyen français d’apprécier ce qu’est un système de retraite juste.

Ensuite, vous jugez que la transition entre l’ancien et le nouveau système de retraite est trop longue. Il s’agit de faire converger les quarante-deux régimes existants vers le régime universel. À l’époque où ces quarante-deux régimes ont été mis en place, ils l’ont été en fonction de critères qui ont ensuite évolué au cours du temps. Notre approche est différente : il s’agit de mettre en œuvre une réforme de manière progressive, en prenant le temps d’envisager l’ensemble des aspects de la transposition conduisant à l’intégration de quarante-deux régimes en un seul.

La commission rejette ces amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 14062 de Mme. Caroline Fiat, n° 14069 de M. Adrien Quatennens, n° 14072 de Mme Sabine Rubin et n° 14674 de M. Pierre Dharréville.

Mme Caroline Fiat. Par l’amendement n° 14062, nous souhaitons supprimer l’alinéa 11 de l’article 7. Les mobilisations s’opposant à votre projet de système universel de retraite ont été fortes et durent depuis plus de soixante jours – cela devrait déjà vous faire réfléchir –, mais l’Opéra national de Paris nous a montré que la grève pouvait aussi être très belle. Nous en avons tous profité : après le spectacle improvisé des danseuses sur les marches de l’opéra Garnier, les musiciens de l’orchestre ont offert un concert sur celles de l’opéra Bastille. Ils ont refusé ce que vous leur proposiez, c’est-à-dire que la réforme ne s’applique pas à eux mais seulement aux artistes qui seront recrutés à partir de 2022. Tout à l’heure, quand j’ai pris l’exemple de mon ami Bertrand qui travaille à la SNCF, vous avez répondu, dans une perspective égoïste, qu’il n’était pas concerné. Mais tout le monde n’est pas égoïste ; certains ne pensent pas qu’à eux-mêmes et pensent aussi aux autres.

M. Adrien Quatennens. À observer la liste des secteurs mobilisés contre le projet de réforme des retraites, on se demande qui, à part les assureurs et les banques qui vont peut-être bénéficier de l’appel d’air créé vers les retraites par capitalisation, peut se réjouir d’une telle réforme. La mobilisation donne à voir des scènes que l’on n’avait jamais vues en France ; de ce point de vue, vous méritez peut-être tout de même d’être salués, car vous avez indirectement permis que se tiennent les magnifiques concerts donnés en place publique par l’Opéra de Paris, et qui vont encore se développer. Nombre de nos concitoyens se sont également adonnés à des happenings ou des flash-mobs, comme celui effectué par des femmes – les « grandes gagnantes » de la réforme, qui n’ont pourtant pas l’air d’en vouloir – dans la gare de l’Est. C’est peut-être la raison pour laquelle le candidat de La République en Marche pour les municipales à Paris a ensuite éprouvé l’envie de raser la gare de l’Est... On voit bien que toutes les professions sont concernées et se mobilisent contre votre projet de réforme des retraites.

Mme Sabine Rubin. Nous voilà enfin à l’opéra, pour traiter du cas des danseurs et des musiciens. Ce sont 2 000 salariés, dont 20 % de musiciens qui partent actuellement à la retraite à 60 ans, et des danseurs qui partent à 42 ans – il est aisé de comprendre pourquoi. Monsieur le secrétaire d’État, je sais qu’avec le ministre de la culture, vous avez vainement tenté de trouver un accord pour leur faire avaler la pilule de la réforme : il s’agissait qu’elle ne s’applique qu’à partir de la génération 1977 pour les musiciens, et de la génération 1980 pour les choristes et les techniciens ; quant aux danseurs, vous leur avez concédé la « clause du grand-père », selon laquelle seuls ceux recrutés à partir 2022 seraient concernés. Quid des danseurs recrutés en 2023 ? Est-ce qu’ils en bénéficieront ? En 2050, nous aurons peut-être des danseurs de cinquante ou soixante ans, pourquoi pas ? Je voulais alerter sur ce qui me semble être un cas d’école quant à l’absurdité de cette réforme.

M. Pierre Dharréville. L’Opéra de Paris est cette institution culturelle tricentenaire qui participe au rayonnement de la France, et dont l’ensemble des artistes, machinistes et techniciens sont reconnus dans le monde entier. La spécificité de leur métier justifie pleinement de conserver un régime de retraite adapté, prenant en compte la pénibilité des tâches et le niveau d’excellence attendu au sein de l’institution.

Je voudrais également souligner qu’au sein de cette institution, on exerce de véritables métiers, et que certains sont reconnus comme répondant à des critères de « fatigue exceptionnelle ».

Enfin, la caisse de retraite de l’Opéra de Paris a un financement particulier. Si votre réforme aboutissait, on estime qu’elle entraînerait une perte de pouvoir d’achat de 25 % pour toutes les catégories de personnels.

Ces exemples montrent bien l’incurie de la proposition qui a été mise sur la table.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je ne sais pas comment on peut parler d’incurie. Il est évident que le travail des artistes de l’Opéra de Paris et sa spécificité sont tout à fait reconnus et pris en compte. Ce n’est pas parce qu’ils seront intégrés dans un système universel posant des bases communes à tous les salariés que cette reconnaissance, que notre pays leur doit, sera remise en cause. Ce n’est pas la question.

Sur la Banque de France, monsieur Dharréville, le régime de retraite de ses agents n’est pas très éloigné du futur régime universel – à la différence par exemple de la SNCF ou de la RATP. Pour eux, la convergence sera donc plus rapide et plus simple. Rien en tout cas ne justifie aujourd’hui le fait qu’ils bénéficient d’un régime spécifique.

Madame Dalloz, selon vous, je considèrerais que tout travail est pénible. Ce n’est pas le cas : je crois beaucoup à l’émancipation par le travail. Cependant, les critères de pénibilité sont parfois transversaux et communs à un certain nombre de métiers. Je pense par exemple aux coiffeuses, avec qui je discute régulièrement – ce sont souvent des femmes, même s’il y a aussi beaucoup d’hommes qui sont coiffeurs ; la position verticale qu’elles doivent tenir en permanence en tournant autour du client est un facteur de pénibilité physique. Il faut donc essayer d’intégrer ces aspects. Chaque métier a sa part de pénibilité ; c’est une réalité inhérente aux métiers physiques.

Enfin, s’agissant des vingt-cinq ans que prendrait la réforme, j’insiste sur le fait que c’est à partir de 2025 qu’elle sera mise en œuvre et que la transition vers le régime universel débutera.

Mme Marie-Christine Dalloz. Celle-ci durera vingt ans !

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Cela signifie que pour celui qui partira à la retraite en 2025, ce sera peut-être un quinzième du problème qui sera réglé ; l’année d’après, ce seront deux quinzièmes, et ainsi de suite. Il s’agit de faire évoluer progressivement les situations pour les faire converger vers le système voulu. C’est le principe même de toute politique. Avis défavorable.

Mme Valérie Rabault. Je suis ravie d’entendre M. le rapporteur reconnaître la pénibilité du travail. Ce matin, il nous a indiqué que c’était dans la tête, et que nous nous faisions des idées. (Protestations.) C’est ce que nous avons entendu. Nous pourrons retrouver ce que les uns et les autres ont dit. Assumez-le ! Vous avez le droit de penser que la pénibilité n’existe que dans la tête. Nous avons du respect pour M. le rapporteur : nous l’écoutons et nous retenons ce qu’il a dit. Je suis ravie de l’entendre dire que quand on est coiffeur, la position debout tenue à longueur de journées et d’années peut finir par être pénible.

En ce qui concerne l’Opéra de Paris, tous les Français ont été sensibilisés à ce sujet au moment de Noël. Chacun sait que la danse fait partie des professions dans lesquelles le corps est mis à rude épreuve ; si un régime spécial a été conçu pour les danseurs, c’est précisément pour tenir compte des spécificités du métier. La carrière, c’est un tout : ce qu’on y fait, ce qu’on y gagne, et aussi la retraite.

M. Jacques Marilossian. Ayant longtemps habité à Lyon, j’y suis souvent allé à l’opéra. On m’a dit qu’il y avait aussi de très bons opéras à Strasbourg, à Bordeaux et à Toulouse. Aucun d’entre eux, me semble-t-il, ne bénéficie d’un régime spécial comparable à celui de Paris. Or nous pourrions reconnaître que ni à Strasbourg, ni à Toulouse, ni à Bordeaux, ni à Lyon, personne n’a jamais vu un danseur de 65 ans. Je suppose que tous les gens qui travaillent dans ces opéras de province – on pourrait ajouter à cette liste Nantes, Marseille ou Nancy, et j’adresse mes excuses à tous les opéras que j’ai omis de citer – ont des statuts qui leur permettent de vivre parfaitement l’état dans lequel ils ont à travailler. Il n’y pas de raison que ce ne soit pas le cas à Paris si l’on créé un même statut pour tous.

M. Pierre Dharréville. Nous connaissons bien cet argumentaire. Cependant, il faudrait en effet se poser la question de savoir si toutes ces danseuses et tous ces danseurs sont suffisamment protégés, et ce qu’ils deviennent une fois qu’ils ont arrêté de se produire sur scène.

Comme M. le rapporteur, je crois à l’émancipation par le travail ; cependant, je crois aussi – ce n’est pas incompatible – à l’émancipation par la retraite, qui doit arriver à un moment donné. Ces deux étapes peuvent se compléter utilement. Or vous nous proposez de reculer l’âge de départ en retraite, et vous nous livrez l’argument selon lequel s’il recule pour les uns, il doit aussi reculer pour les autres. Bien entendu, il serait problématique de laisser prendre des mauvaises mesures pour la majorité des travailleurs, en se contentant de préserver le statut de quelques-uns d’entre eux. Mais ce n’est pas la démarche que nous proposons : ce que nous voulons, c’est que l’âge de départ en retraite s’arrête de reculer pour tous. C’est bien le cœur de votre réforme – régime spéciaux ou pas –, et c’est bien cela que nous contestons.

M. Brahim Hammouche. Nous sommes dans une démarche d’accompagnement par rapport à des trajectoires professionnelles, et par rapport à des événements qui peuvent surgir au cours de la vie. Dans cette perspective, plusieurs questions doivent être prises en compte : celle de la pénibilité, que vous avez abordée, mais aussi celles de la prévention, de la réparation ou encore de la réorientation. À la fin du parcours professionnel de chacun, toutes ces difficultés éventuelles peuvent avoir un impact sur la retraite. Nous voulons adopter une démarche plus globale, et permettre avec cette réforme – qui est bien une réforme, au sens où elle s’inscrit moins dans une volonté de rupture que dans une exigence de couture, d’adaptation au plus près des besoins de chacun – que celles et ceux qui arrivent à la retraite ne le fassent pas au sens sémantique du terme, comme s’il s’agissait d’une fin de vie, mais le fassent en pleine capacité ; et que celles et ceux qui ont connu des heurts dans leur parcours ne subissent pas une double-peine et soient accompagnés au mieux, à l’aide d’une solidarité renforcée et bien répartie. Cette réforme, vous l’avez peut-être rêvée, nous sommes en train de la faire.

Mme Caroline Fiat. L’Opéra de Paris est une source de fierté nationale, il fait partie des institutions françaises les plus reconnues à l’étranger. M. Marilossian voulait opposer les opéras de province à l’Opéra de Paris ; pour ce faire, il a commencé par parler de celui de Lyon. Je n’ai pas eu le temps de me renseigner sur les autres mais, cher collègue, l’opéra de Lyon est en grève – contre le système universel de retraite, cela va sans dire ! Vous devriez aller rencontrer ceux qui y travaillent, car tout ne doit pas s’y passer si bien que vous le dites. Du fait de la grève, plusieurs représentations de Tosca ont été annulées entre le 24 janvier et le 1er février.

La commission rejette ces amendements.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 14079 de Mme. Caroline Fiat, n° 14086 de M. Adrien Quatennens, n° 14089 de Mme Sabine Rubin et n° 14675 de M. Sébastien Jumel.

Mme Caroline Fiat. Tout comme l’Opéra de Paris, la Comédie Française est une institution très importante, qui compte 300 salariés. Par la suppression de l’alinéa 12 de l’article 7, nous voulons protéger son régime spécial qui a été conquis après des années de luttes sociales. Je ne vais pas vous vendre la Comédie Française, dont on en parle au-delà de nos frontières ; elle représente la France et mérite largement que l’on supprime l’alinéa en question.

M. Adrien Quatennens. Il faut supprimer l’alinéa 12 comme il faut supprimer l’ensemble de cette réforme des retraites, qui est en contradiction avec les engagements présidentiels pris par Emmanuel Macron. Non seulement ce texte est très éloigné des grands principes que vous nous avez vendu – l’universalité et tout le reste –, mais l’argument d’autorité souvent utilisé par la majorité, selon lequel elle respecterait le programme pour lequel elle a été élue, est concrètement faux. Les Français s’en rendent compte, et nous aussi : nous avons lu le programme d’Emmanuel Macron, qui dit bien qu’il ne touchera pas à l’âge de départ en retraite ni au niveau des pensions. La retraite par points fera les deux, précisément, puisqu’en diminuant le montant des pensions, elle va pousser les gens à travailler plus longtemps, ce qui va automatiquement faire reculer l’âge effectif de départ en retraite. C’est valable y compris pour les artistes et les membres de la Comédie Française qui, comme tous les autres Français, ne méritent pas un tel traitement.

Mme Sabine Rubin. Le métier d’artiste, que ce soit à la Comédie Française, à l’Opéra de Paris ou ailleurs, est d’autant plus difficile et dangereux quand les moyens financiers sont insuffisants. J’ai eu l’occasion de rencontrer certains artistes avant la mise en œuvre de la réforme des retraites, et je me souviens d’un danseur qui avait failli prendre un décor sur la tête, au cours d’un spectacle, parce qu’il manquait de techniciens pour installer convenablement les décors. Je me souviens aussi de chanteurs qui disaient qu’ils devaient chanter tous les jours du Wagner, ce qui est impossible : à cause du contexte global d’austérité qui existe dans le domaine de la culture, ils sont poussés à bout.

Je sais que des solutions ont été présentées, avec des caisses autonomes ou des pré-retraites d’entreprise, mais elles coûtent beaucoup plus cher que le système actuel.

M. Pierre Dharréville. Je voudrais démentir M. Brahim Hammouche, car je n’ai pas le souvenir d’avoir rêvé de cette réforme. Il est vrai que l’on ne se souvient pas de tous ses rêves, et peut-être mon inconscient me protège-t-il. J’aurais pu, à la limite, en cauchemarder, mais je vous confirme qu’il ne m’est jamais arrivé d’en rêver.

La Comédie Française est l’une des institutions culturelles françaises les plus remarquables. Ses artistes et employés bénéficient d’un régime adapté aux contraintes inhérentes à leur métier depuis 1914. Les techniciens et les salariés du service de sécurité peuvent partir à la retraite dès 57 ans, ce qui se justifie par la pénibilité liée à la manœuvre des décors. En outre, que ce soit pour les artistes ou pour les techniciens, les représentations sont très nombreuses – 912 pour la saison 2018-2019 –, et la grille salariale y est inférieure à celle du théâtre privé, du lyrique ou du cinéma, ce qui est compensé par la possibilité d’un départ anticipé. Enfin les pensions de retraite étant actuellement calculées sur les six derniers mois, les salariés de la Comédie Française auraient beaucoup à perdre avec cette réforme. Nous nous prononçons donc pour la suppression de l’alinéa 12.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Vous confondez deux choses : d’une part, le problème des difficultés financières, qui sont réelles pour un certain nombre d’institutions culturelles, comme elles le sont pour l’hôpital, pour le secteur agricole ou ailleurs ; et d’autre part, la question du système de retraite. Aujourd’hui, la Comédie Française compte 300 actifs et 300 retraités ; ce sont donc des effectifs très faibles. Il y a un système spécifique pour 300 personnes ! Il faut les intégrer dans le système universel tout en tenant compte des spécificités de leur activité, notamment en matière de pénibilité. Cependant, il me semble qu’à Châtellerault, qui est la principale ville de ma circonscription, il y a aussi un théâtre avec des décors à manœuvrer, et j’imagine que les conditions de travail à la Comédie Française et leur pénibilité doivent être comparables à celles qui s’observent dans les autres théâtres de France et de Navarre. La nécessité d’adopter une approche commune me semble couler de source. Avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Vous proposez de tenir compte des spécificités de ces métiers. Encore une fois, je demande des engagements sur le sujet qui ne soient pas vagues. Actuellement, ils ont des droits très précis. Tenir compte, ce n’est pas une garantie, et c’est aussi parce que vous ne leur apportez pas de telles garanties qu’ils sont en colère.

J’ai rappelé que leur statut constituait une forme de compensation par rapport à d’autres avantages dont ils ne bénéficient pas. Tous cela est plus complexe qu’il n’y paraît.

M. Boris Vallaud. Un collègue disait tout à l’heure que l’on n’avait jamais vu un danseur danser à 60 ans. En réalité, aujourd’hui, les artistes du ballet de l’Opéra de Paris ont le droit de partir à la retraite à 40 ans. Nous avons besoin que vous formuliez un certain nombre d’engagements pour savoir comment seront prises en compte les spécificités de ces métiers, y compris s’agissant des techniciens dont les conditions de travail répondent aux critères de « fatigue exceptionnelle », et qui risquent de ne plus bénéficier du compte professionnel de prévention (C2P). Ceux-ci vont devoir partir à la retraite à 62 ans voire 64 ans pour obtenir une pension à taux plein, alors qu’ils peuvent actuellement le faire à 57 ans. Quant aux artistes des chœurs, l’âge d’ouverture des droits est également fixé à 57 ans – 60 ans sans la décote – parce que l’on considère que, dans la perspective de maintenir le niveau d’excellence des prestations de l’Opéra de Paris, la plupart d’entre eux ne peuvent aller au-delà. Enfin, l’existence d’un régime autonome se justifie aussi par le fait que les affiliés versent un droit spécial sur les places occupées à l’opéra ; vous prévoyez de le leur retirer pour l’affecter au fonds de solidarité universelle. On lâche la proie pour l’ombre ! On ne sait en aucune manière, pour ces métiers comme pour beaucoup d’autres, quelles sont vos intentions, et il est peu probable que votre réforme améliore la situation des uns et des autres.

M. Olivier Damaisin. Monsieur Vallaud, pour suivre régulièrement le rugby, je me demande ce qui se passerait si tous les rugbymen prenaient leur retraite à 35 ou 40 ans. On peut pousser le raisonnement s’agissant des basketteurs, des handballeurs – et handballeuses, bien sûr – et des footballeurs. Compte tenu du salaire de certains footballeurs, je pense que ce serait très compliqué. Les sportifs professionnels ont bien conscience que leur carrière est très courte ; ils se reconvertissent ensuite, par exemple dans l’encadrement, en tant qu’entraîneur ou dirigeant. C’est la même chose pour les danseurs : à Lyon, à Bordeaux ou à Marseille, ils savent qu’ils ne pourront plus être danseurs passé un certain âge, et ils s’orientent vers une autre carrière. C’est très simple, et ce n’est pas la peine de chercher des problèmes là où il n’y en a pas.

La commission rejette ces amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 14209 de Mme. Caroline Fiat, n° 14216 de M. Adrien Quatennens et n° 14676 de M. Pierre Dharréville.

Mme Caroline Fiat. Par l’amendement n° 14209, nous souhaitons supprimer l’alinéa 13 de l’article 7, et donc l’application de la réforme aux ouvriers d’État, catégorie qui comprend différents corps comme les spécialistes des infrastructures de transport et de celles de la défense. Leur régime de retraite est très ancien, les premiers décrets régissant leur corps ayant été mis en place dès 1897. S’il a été décidé à cette époque qu’il fallait que ces ouvriers bénéficient d’une retraite spécifique, ce n’était pas pour rien.

M. Adrien Quatennens. M. Damaisin nous dit que tout va bien, un peu à la manière du Président de la République qui, lors de ses vœux aux Français le 31 décembre au soir, avait dit que la France n’avait pas connu un tel élan depuis des années. Vous êtes vraisemblablement les seuls à considérer les choses ainsi. Vous ne prenez pas la mesure de la situation dans le pays. Cette réforme des retraites est contestée par une majorité de Français ; si vous analysez la contestation seulement à l’aune du taux de grévistes et de manifestants, c’est que vous n’avez pas compris que de nombreuses personnes n’ayant pas l’opportunité de faire grève sont malgré tout très opposées à votre réforme. Surtout, même si vous avez été élus démocratiquement, votre programme disait l’inverse de ce que vous faites. Chers collègues, êtes-vous conscients de la signification de cette réforme des retraites ? À moins que vous soyez vous-mêmes atteints par les éléments de langage qui consistent à répéter qu’il s’agit d’une réforme juste, simple et pour tous – c’est beau, nous y souscrivons tous –, vous ne pouvez pas ne pas vous rendre compte qu’elle va simplement pousser les gens à travailler plus longtemps et encourager la capitalisation.

M. Pierre Dharréville. Il est ici question de la retraite des ouvriers des établissements industriels de l’État. Encore une fois, nous ne souhaitons pas la dégradation des conditions de vie, de travail et de retraite des salariés de ce pays dans leur ensemble. Un certain nombre d’entre eux ont été pointés du doigt comme des privilégiés ; nous pensons que ce n’est pas la vérité, que les privilégiés sont ailleurs et que vous ne vous attaquez pas réellement à leur cas. Votre discours est un leurre. J’entends des réactions outrées dans la salle lorsque nous expliquons que cette réforme provoque un rejet massif dans le pays, et qu’elle n’emporte pas l’adhésion de la majorité. C’est pourtant bien ce que je pense ; la contestation s’est manifestée de diverses façons et, malgré tous vos efforts, vous n’avez pas réussi à convaincre. Si vous êtes si certains de votre fait, organisez un référendum afin de soumettre votre projet au vote populaire. Nous verrons bien ce qui en sortira.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Tout a été dit à ce propos, et je ne veux pas me faire enfermer dans le débat qui consiste à dire que nous ne reconnaîtrions pas tel ou tel métier ; au contraire, nous faisons œuvre d’égalité et d’équité, ni plus, ni moins. Avis défavorable.

La commission rejette ces amendements.

Elle en vient aux amendements identiques n° 674 de M. Sébastien Jumel, n° 14226 de Mme. Caroline Fiat, n° 14233 de M. Adrien Quatennens et n° 22007 de M. Thibault Bazin.

M. Pierre Dharréville. Il est ici question d’un régime de sécurité sociale particulier et historique, qui date de plus d’un siècle : celui des mines, qui assure la solidarité nationale avec les 256 000 mineurs retraités – il y en a dans mon département des Bouches-du-Rhône. Ce régime a permis de garantir des départs à la retraite anticipés et des prises en charge spécifiques pour les mineurs ; voué à l’extinction progressive depuis 2010, il doit être préservé pour assurer à l’ensemble des 1 400 salariés cotisants des mines encore en activité de pouvoir bénéficier d’un régime de retraite adapté à leurs besoins. Nous proposons donc la suppression de l’alinéa 14 de l’article 7.

Mme Caroline Fiat. Comme l’a dit mon collègue Pierre Dharréville, il est ici question des mines. Je pense que nous pouvons tous nous mettre d’accord sur la pénibilité qui caractérise ce métier. Les mineurs ne sont plus que 1 400 à cotiser ; les affiliés ayant travaillé « au fond » des mines et ayant validé au moins 120 trimestres peuvent partir à la retraite de manière anticipée. Je pense que vous devez faire attention à ce que vous faites, et qu’il faut absolument protéger ce régime spécifique pour éviter un drame supplémentaire.

M. Adrien Quatennens. À mesure que nous étudions les alinéas, nous égrenons autant de professions ; tout le monde va être touché par cette réforme. Chers collègues de la majorité, monsieur le secrétaire d’État, je voudrais vous demander – j’imagine que vous recevez beaucoup de courrier : combien de Français soutiennent votre réforme des retraites et, le cas échéant, en quels termes le font-ils ?

M. Thibault Bazin. Le régime minier a été mis en extinction en septembre 2010 ; depuis cette date, tous les salariés embauchés dans les mines le sont au régime général. C’est la donne de la réforme précédente. La dernière mine en activité dans l’Hexagone se trouve dans ma circonscription de Meurthe-et-Moselle – sur le site internet du régime des mines, il est indiqué que toutes les mines sont fermées, mais c’est faux. Il y a à Varangéville une mine de sel qui fonctionne très bien, et j’en profite pour saluer ceux qui y travaillent. La question porte sur les derniers mineurs au régime minier, qui partiront à la retraite en 2040, soit trois ans après la date butoir de janvier 2037 prévue dans le projet de loi. Étant donné le coût de la transition et le fait que l’extinction du régime est déjà mise en œuvre – elle est gérée en délégation par la Caisse des dépôts et consignations, qui le fait plutôt bien –, ne vaudrait-il pas mieux en rester à ce qui avait été prévu ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur. En réalité, monsieur Bazin, la transition ne durera pas seulement trois ans, mais bien quinze. Les mineurs n’entreront pas brusquement dans le régime universel en 2037, et c’est dès 2025 qu’ils commenceront à s’en rapprocher. Leurs conditions d’affiliation et de cotisation commenceront alors à évoluer pour qu’ils puissent liquider leur retraite à la date prévue, en partie dans les conditions du nouveau système – environ un tiers de leur retraite subira l’influence de la réforme. Avis défavorable.

La commission rejette ces amendements.

La commission examine les amendements identiques n° 14243 de Mme Caroline Fia et n° 14250 de M. Adrien Quatennens.

Mme Caroline Fiat. L’amendement n° 14243 est défendu.

M. Adrien Quatennens. À l’heure où nous abordons le cas des employés du port autonome de Strasbourg, nous apprenons que de plus en plus de députés du groupe La République en marche quittent le parti : deux l’ont fait aujourd’hui, en raison de la réforme des retraites. Ils commencent à comprendre ; il n’y a donc pas que ces employés qui soient opposés à votre texte.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. J’ai essayé de comprendre le régime des employés du port autonome de Strasbourg car je ne connaissais pas son histoire. Jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, tous les ports autonomes disposaient d’un régime spécifique, celui de Strasbourg a été le dernier à en bénéficier. En raison de la faiblesse de leur base démographique, ces régimes ont été intégrés, les uns après les autres, au régime général. Il faut s’inscrire dans cette évolution. Il est donc normal que ces employés rejoignent le régime universel, sachant qu’il sera tenu compte de leur spécificité. Je suis donc défavorable aux amendements.

La commission rejette ces amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 14260 de Mme Caroline Fiat, n° 14267 de M. Adrien Quatennens et n° 14679 de M. Sébastien Jumel.

Mme Caroline Fiat. L’amendement n° 14260 est défendu.

M. Adrien Quatennens. L’alinéa 16, que l’amendement n° 14267 vise à supprimer, nous renvoie à la loi du 18 germinal an X.

M. Pierre Dharréville. L’amendement n° 14679 vise à supprimer cet alinéa relatif au régime spécial de retraite des cultes.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette ces amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques n° 14616 de Mme Caroline Fiat et n° 14623 de M. Adrien Quatennens.

Mme Caroline Fiat. L’amendement n° 14616 vise à supprimer l’alinéa 17 et à s’opposer à la suppression du régime spécial des pensionnés du Conseil économique, social et environnemental.

M. Adrien Quatennens. Le financement d’un régime de retraite permettant de partir à un âge convenable, c’est-à-dire selon nous, compte tenu de l’espérance de vie en bonne santé, à 60 ans, ne soulève pas de grande difficulté : la hausse des salaires et des cotisations induite le rendrait possible.

Puisque 1 % d’augmentation de salaire produit 2,5 milliards d’euros de cotisations supplémentaires, 100 000 emplois créés par exemple au moyen de la transition écologique généreraient 1,3 milliard d’euros de cotisations supplémentaires.

La productivité a augmenté mais la richesse produite est mal répartie. Les Français savent bien qu’il existe d’autres solutions que de travailler plus longtemps. Cette réforme des retraites permettra d’éviter qu’il soit nécessaire, dans les quinze ou vingt ans à venir, de décaler l’âge de départ à la retraite ou de jouer sur la durée de cotisation. C’est une sorte de package pour ne pas avoir à partager davantage les fruits de la richesse produite par le travail. Voilà pourquoi elle est totalement inacceptable.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Monsieur Quatennens, notre projet est différent du vôtre, en matière de répartition des richesses. S’il faut effectivement garantir le niveau de vie des retraités, une part de ces richesses doit aussi permettre de répondre, de façon équilibrée, à d’autres urgences, comme les difficultés de l’hôpital ou de l’institution judiciaire, qu’il faut financer.

C’est la raison pour laquelle nous souhaitons intégrer tout le monde dans le système universel et adopter les mêmes règles en vue d’affronter les différents défis que vous avez mentionnés. Avis défavorable.

M. Adrien Quatennens. En mettant de côté les aspects comptables, la fixation d’un objectif de départ à la retraite à un âge permettant, statistiquement en tout cas, de profiter de la vie en bonne santé, vous paraît-elle désirable ? La fixation de cet âge à 60 ans est-elle une perspective souhaitable ? Si vous répondez oui, je vous rassure : nous sommes capables de financer une telle mesure sans de trop grandes difficultés.

Depuis le début, vous présentez l’allongement de la vie active comme la seule solution pour financer les retraites : or il en existe d’autres. Pourquoi donc voulez-vous que les Français travaillent toujours plus longtemps ? Vous ne faites pas la démonstration qu’une telle évolution serait nécessaire.

La commission rejette ces amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques  14633 de Mme Caroline Fiat et n° 14640 de M. Adrien Quatennens.

Mme Caroline Fiat. L’amendement n° 14633 vise à supprimer l’alinéa 18. Je n’aime pas trop les ordonnances…

M. Adrien Quatennens. Ce gouvernement a souhaité faire de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes la grande cause du quinquennat, les femmes gagnant en moyenne 22 % de moins que les hommes. Or, si nous allions au-delà des vœux pieux, si le Gouvernement prenait des mesures permettant véritablement de l’atteindre, nous pourrions financer à court terme la retraite à soixante ans, compte tenu des cotisations supplémentaires que cela engendrerait. Nul ici ne s’oppose à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Mettons-la en œuvre !

Je cherche à vous aider à mettre en corrélation ce projet de loi avec vos éléments de langage : une réforme juste, simple et pour tous. Partir à 60 ans, c’est une belle perspective, non ?

La commission rejette ces amendements.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel n° 22653 du rapporteur général.

Puis elle est saisie des amendements identiques n  3 de M. Stéphane Viry,  458 de Mme Marie-Christine Dalloz et  703 de M. Pierre Dharréville.

M. Stéphane Viry. Le Gouvernement demande au Parlement de l’habiliter à légiférer par voie d’ordonnance. Si notre groupe n’est pas hostile par principe à cet outil, dans la mesure où il est prévu par notre constitution, il s’y oppose avec beaucoup de détermination et de fermeté dans le cadre d’un texte aussi important que celui portant sur les retraites, d’autant qu’il y est fait recours dans des proportions presque indécentes, c’est-à-dire pour près d’un tiers des dispositions. Or une telle réforme concerne tous les Français et, à travers eux, leurs représentants, c’est-à-dire les députés.

On ne peut pas demander au Parlement de déléguer au Gouvernement le choix d’un système de retraites qui concernera, en devenant universel, chaque homme et chaque femme de notre pays, c’est-à-dire les jeunes et les moins jeunes, les ruraux et les urbains, les salariés et les non-salariés, les fonctionnaires et les indépendants.

Seul le Parlement représentant du peuple français peut et doit légiférer en la matière : les Français ont le droit de savoir, avant que nous votions, ce qu’il en est. Or ils seront mis devant le fait accompli lors de la publication des ordonnances. Le Conseil d’État a lui-même pointé les limites à ce recours.

Mme Marie-Christine Dalloz. Trop d’éléments importants sont renvoyés aux ordonnances, et notamment la définition des dérogations à caractère professionnel, celle du régime d’invalidité, d’inaptitude et de pénibilité, la gouvernance du nouveau système de retraite et les conditions d’entrée en vigueur de la réforme.

Un tel recours est si excessif que le Conseil d’État a rendu un avis négatif sur le sujet. L’exigence de lisibilité de la loi, comme la garantie de la constitutionnalité de votre projet de loi, nous imposent de ne pas travailler à l’aveugle.

M. Pierre Dharréville. L’amendement n° 703 vise à supprimer les alinéas 25 à 29 habilitant le Gouvernement à réformer par voie d’ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi visant à adapter les règles du système prétendu universel de retraite à la situation particulière des marins mentionnés à l’article L. 5551-1 du code des transports.

Il s’agit d’un sujet d’intérêt national nécessitant incontestablement un débat serein et approfondi de la représentation nationale, et non une discussion expresse autorisant le Gouvernement à faire ce qu’il souhaite. Nous refuserons donc toutes les habilitations qui nous seront proposées car elles montrent clairement que votre projet n’a pas été préparé et n’est pas fini, et que vous voulez le mener au bout sans nous.

Vous avez refusé de discuter avec les organisations syndicales comme avec le Parlement et de prendre en considération l’avis du Conseil d’État. Comment accepter d’examiner un texte si important dans de telles conditions ?

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Les spécificités de chaque métier imposent de recourir aux ordonnances, sans quoi nous parlerions dans le vide. Celles relatives au régime des marins requièrent une attention particulière, compte tenu de son histoire très ancienne. Avis défavorable.

Mme Marie-Christine Dalloz. Il n’y a pas que les marins.

Mme Cendra Motin. Moi, je ne suis vraiment pas spécialiste des marins. Il me paraît donc préférable, pour écrire la loi et surtout des mesures réglementaires, que le ministre en charge discute des conditions particulières relatives aux personnes concernées avant de revenir devant nous avec des éléments précis. Je vous rappelle en effet que nous devrons ratifier ces ordonnances.

Toutes les personnes que nous avons auditionnées dans le cadre de la mission d’information sur la concrétisation des lois, nous ont demandé de définir simplement des cadres et d’arrêter d’inscrire dans la loi les détails les plus infimes, car cela revient à corseter leur action. Au final, les acteurs sur le terrain ne peuvent plus procéder aux adaptations qui leur conviennent.

Contrairement à ce que vous affirmez, ces ordonnances laisseront plus de liberté aux personnes concernées.

M. Boris Vallaud. Je ne me sens pas spécialiste des retraites, pas plus que la sécurité sociale ou de nombre de sujets examinés par la représentation nationale.

Mme Marie-Christine Dalloz. Cela évite de donner des leçons !

M. Boris Vallaud. Heureusement que nous ne sommes pas une assemblée de spécialistes et que la démocratie permet à chacun de se présenter, à un moment donné, aux suffrages et d’assumer une part de responsabilité. Ce qui est insupportable c’est de devoir s’en dessaisir car elle nous a été confiée. À nous seuls. Si le Gouvernement nous demande une habilitation à légiférer par la voie d’une ordonnance, c’est probablement que les dispositions concernées relève du domaine de la loi et non du domaine réglementaire.

La réforme des retraites de M. Fillon ne prévoyait pas de recours aux ordonnances. Celle de 2014 de Mme Touraine en comportait deux, dont une qui visait à étendre ses dispositions à un certain nombre de territoires d’outre-mer. Vos deux textes en prévoient 29 sur 70 articles, ainsi que 110 décrets : c’est indigent. Comment travailler dans de telles conditions ?  Comment accepter d’abdiquer ainsi la part de responsabilité que les Français nous ont confiée ?

Mme Jeanine Dubié. Sans revenir précisément sur l’ordonnance relative au régime des marins, le groupe Libertés et territoires déplore, comme d’autres, et notamment le Conseil d’État, cette façon de procéder. Vingt-neuf ordonnances sur quarante sujets tout aussi importants que le régime transitoire ou le financement : une telle démarche ne contribue pas à la lisibilité de cette réforme et ne participe pas au rétablissement de la confiance. Or un tel texte a d’abord besoin de l’adhésion des gens qu’il vise.

M. Stéphane Viry. Je ne peux souscrire aux propos tenus par notre collègue Cendra Motin : une ordonnance traite du législatif, pas du réglementaire. En outre, elle est rédigée, non pas par  des acteurs professionnels, mais par le Gouvernement. Cette procédure est un transfert de souveraineté au Gouvernement et à la majorité. Un tiers des dispositions se trouvent ainsi confisquées au débat parlementaire sur un texte aussi important. C’est indécent !

Le Conseil d’État relève d’ailleurs qu’il existe un risque majeur d’inconstitutionnalité du fait de cette absence de visibilité d’ensemble du projet de loi. Un tiers du texte, c’est loin d’être anecdotique.

Je maintiens donc avec beaucoup de détermination cet amendement, qui se justifie totalement.

M. Pierre Dharréville. Je suis moi aussi défavorable à ce que nous nous dessaisissions de nos prérogatives sur ce sujet – comme sur beaucoup d’autres d’ailleurs. C’est loin d’être un détail pour les gens concernés. Nous faisons la loi pour tout le monde, et cela engage des vies. Venant d’un territoire maritime, j’ai été élu notamment par des marins pour cela : ils attendent donc de moi que je n’abdique pas ce pouvoir et que je ne regarde pas ailleurs au moment où les choses se font.

Je revendique le droit des parlementaires que nous sommes à écrire la loi. Ce sujet est suffisamment important pour que nous puissions en débattre ici. Si vous n’y êtes pas prêts, allez discuter avec ceux qui peuvent vous éclairer sur la question et revenez nous voir ensuite. Nous déciderons alors. Mais il faut faire les choses dans l’ordre.

M. Adrien Quatennens. Mes collègues font état de l’émotion que suscite chez eux le recours massif aux ordonnances – 29 – s’agissant d’un texte aussi essentiel. Il souligne le caractère assez vain de notre discussion et, finalement, un simulacre de démocratie.

Si nous n’étions pas des spécialistes de la question des retraites, nous le sommes devenus à force d’étudier votre projet de loi et d’élaborer un contre-projet, conformément à notre rôle d’opposition parlementaire.

Les propos d’un membre du Gouvernement ont été rapportés dans Le Figaro : « Pour moi, un député de la majorité ne sert à rien. Il est là pour voter, avoir une mission de temps en temps… (Vives protestations sur les bancs du groupe LaREM).

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Une telle remarque est déplacée par rapport au débat que nous avons. Nous ne sommes pas des godillots. Même si nous avons l’habitude de ce genre d’invectives, je vous assure que c’est désagréable. Il s’agit en outre de propos rapportés et de bruits de couloirs, ce qui n’est pas très intéressant.

M. Adrien Quatennens. Madame la présidente, puis-je terminer mon intervention ? Ces deux derniers jours, vous m’avez en effet beaucoup coupé la parole quand mes propos ne vous convenaient pas.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Comme je l’ai déjà fait observer, cela me vaut beaucoup de messages de la part de vos amis. Mais ce n’est pas très correct dans la mesure où je respecte de la même façon tous les temps de parole.

M. Adrien Quatennens. Ce membre du Gouvernement disait donc : « Pour moi, un député de la majorité ne sert à rien. Il est là pour voter, avoir une mission de temps en temps et surtout, pour fermer sa gueule. » (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.) Supportez que l’opposition parlementaire envisage son rôle autrement.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Vous permettrez aux députés de la majorité de réagir de temps en temps. Nous ne pouvons pas jouer les momies vingt heures durant. Nous ne pouvons pas tout prendre dans la figure sans réaction. Mes collègues sont particulièrement patients mais ils doivent aussi pouvoir, parfois, se manifester sans se faire invectiver.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. Cette ordonnance est nécessaire pour les marins, qui ont un régime de cotisation spécifique. Ils partent à la retraite à des âges spécifiques et travaillent dans un environnement marqué par la concurrence internationale, comme on l’a vu récemment, notamment dans la région des Hauts-de-France. Il faut donc prendre le temps de la discussion avec eux, et il faut le faire bien. Même lorsqu’on n’est pas familier de leur activité, on comprend vite leur engagement dans la réalité de leur métier.

J’entends le débat sur les pouvoirs du Parlement. Sachez que le Gouvernement est soucieux de les respecter. Mais il considère qu’il faut écouter les marins afin d’intégrer leurs spécificités. Tel est l’objet de l’ordonnance.

La semaine dernière, j’ai écrit avec Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État chargé des transports, aux marins pour leur donner trois garanties. C’est bien ce qui compte sur le fond. Peu importe en effet aux marins que les mesures les concernant soient prises ou non par ordonnance, du moment qu’elles leur donnent satisfaction.

 La première a trait au régime spécifique et à la caisse spéciale dont ils bénéficieront au sein du système universel, car c’est important pour eux. Votre collègue Guilles Lurton, qui connaît bien l’Établissement national des invalides de la marine (ENIM) m’avait d’ailleurs sensibilisé, lorsque j’étais député, à la réalité du métier de marin. La deuxième garantie porte sur le maintien d’un départ à l’âge de 55 ans, et la troisième sur le niveau des pensions.

Un gros travail reste donc à faire pour mettre cela en œuvre : tel est l’objet de cette ordonnance.

La commission rejette ces amendements.

 

La séance est levée à vingt heures vingt.

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Membres présents ou excusés

Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite et le projet de loi organique relatif au système universel de retraite

Réunion du jeudi 6 février 2020 à 15 heures

Présents. - M. Thibault Bazin, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Thierry Benoit, Mme Aude Bono-Vandorme, Mme Brigitte Bourguignon, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Céline Calvez, M. Gilles Carrez, M. Lionel Causse, M. Gérard Cherpion, M. Paul Christophe, Mme Christine Cloarec-Le Nabour, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Damaisin, M. Dominique Da Silva, M. Pierre Dharréville, Mme Jeanine Dubié, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Nathalie Elimas, Mme Catherine Fabre, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Bruno Fuchs, Mme Albane Gaillot, M. Éric Girardin, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Fabien Gouttefarde, Mme Carole Grandjean, Mme Florence Granjus, M. Brahim Hammouche, Mme Marie Lebec, M. Didier Le Gac, Mme Monique Limon, M. Jacques Maire, M. Jacques Marilossian, M. Jean-Paul Mattei, M. Jean François Mbaye, Mme Cendra Motin, Mme Zivka Park, M. Adrien Quatennens, Mme Valérie Rabault, M. Hervé Saulignac, M. Vincent Thiébaut, M. Nicolas Turquois, M. Boris Vallaud, Mme Corinne Vignon, M. Stéphane Viry, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Thierry Michels, M. Patrick Mignola, M. Olivier Véran

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-René Cazeneuve, Mme Caroline Fiat, Mme Claire Guion-Firmin, Mme Véronique Hammerer, Mme Josette Manin, M. Jean-Luc Mélenchon, M. Bruno Millienne, M. Jimmy Pahun