Compte rendu

Mission d’information de
la conférence des Présidents sur
l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19
 

 

 Audition, en visioconférence, de M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur  2

 

 


Jeudi
9 avril 2020

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 4

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Présidence
de M. Richard Ferrand


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Mission d’information de la conférence des Présidents sur
l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions
de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19

Jeudi 9 avril 2020

La séance est ouverte à 10 heures 30.

Présidence de M. Richard Ferrand.

 

La mission d’information procède à l’audition, en visioconférence, de M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur général. Monsieur le ministre de l’Intérieur, nous vous remercions d’avoir répondu à notre invitation pour cette troisième audition de la mission d’information. Outre vos missions habituelles de maintien de l’ordre, vous êtes chargé de garantir le respect du confinement de la population, afin de protéger la santé de tous. Ce confinement, tout à fait inédit, fait partie de l’arsenal des mesures exceptionnelles prises en application de l’état d’urgence sanitaire, permises par la loi du 23 mars 2020. Un régime spécifique encadre ces restrictions temporaires des libertés fondamentales. En parallèle, la loi prévoit que les assemblées soient informées sans délai des mesures prises par le Gouvernement sur le terrain, et elle autorise les assemblées à requérir toute information complémentaire, dans le cadre du contrôle et de l’évaluation desdites mesures. Ce contrôle est directement inspiré de celui, bien connu de vous, qui fut conçu pour assurer un suivi de l’état d’urgence décrété au lendemain des attentats de Paris.

L’adéquation entre les mesures prises en application de l’état d’urgence sanitaire et les objectifs poursuivis nécessite une attention particulière. La conciliation des libertés et des nécessités de l’ordre public est en effet impérative, y compris dans les circonstances exceptionnelles de la crise sanitaire d’une ampleur inédite que nous traversons. L’organisation et le contrôle du confinement, les réactions à ce contrôle et les éventuelles sanctions afférentes, les couvre-feux décrétés dans certaines villes ou certains territoires, la protection des agents chargés du contrôle, les exigences du maintien de l’ordre, les questions soulevées par le tracking et l’utilisation des données personnelles – au sujet desquels vous vous êtes personnellement exprimé – sont autant de questions que mes collègues et moi-même souhaitons aborder avec vous.

Nos travaux se déroulent en coordination avec ceux que mènent les commissions, dans leurs champs de compétences respectifs – en l’occurrence, avec la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. Vous m’avez remercié, selon l’usage, de me livrer à cette audition, mais il est normal que le ministre de l’Intérieur se présente devant le Parlement, en particulier devant l’Assemblée nationale, pour rendre compte de son action et répondre aux questions qui lui sont adressées.

Nous vivons une période particulièrement grave : nous affrontons un ennemi, le Covid-19, qui peut tous nous frapper, met à l’épreuve notre système de santé, éprouve notre cohésion nationale et interroge certaines de nos valeurs fondamentales, comme la liberté – le confinement est en effet une atteinte à la liberté, dont nous devons rendre compte. Il est donc parfaitement légitime que vous m’interrogiez sur ces points.

Depuis le début de l’épidémie, le Gouvernement a pris des décisions fortes, guidé par l’avis des médecins et des experts. Toutes ont visé un unique objectif : préserver la santé des Français et le système de soins. Nous devions tout faire pour limiter au maximum la propagation du virus : c’est le sens des gestes barrières, de la distanciation sociale et évidemment du confinement décidé par le Président de la République le 16 mars et entré en vigueur le 17 mars. Le confinement est en effet notre meilleure arme contre le virus, et, en tant que ministre de l’Intérieur, l’une de mes priorités est de le faire respecter, aux côtés de M. Laurent Nunez et grâce à l’engagement de l’ensemble du ministère. Nous le devons aux Français, à leur sécurité sanitaire et à tous les soignants, qui accomplissent quotidiennement un travail exceptionnel – et je sais combien les parlementaires sont à leurs côtés.

Le ministère de l’Intérieur dans son ensemble a pour mission de faire face à la crise épidémique. Je pense d’abord aux préfets, points de repère en période de crise, à la manœuvre depuis plusieurs semaines aux côtés des agences régionales de santé (ARS), secondés par les personnels des préfectures, tout aussi mobilisés. Je pense aux sapeurs-pompiers et à la communauté de la sécurité civile, qui jouent un rôle déterminant d’aide au système de soins. Je pense à ceux qui font fonctionner quotidiennement la cellule interministérielle de crise (CIC) de la place Beauvau, ainsi qu’à tous ceux qui ont été mobilisés pour élaborer les lois, ordonnances et décrets rendus nécessaires par la situation épidémique. Je pense enfin aux policiers et aux gendarmes qui arpentent les rues, interviennent et effectuent des contrôles partout, sans exception, pour faire respecter avec pédagogie et discernement les mesures prises en réponse à l’épidémie. Leur mission est exigeante, et nous devons faire bloc avec eux ! Elle est d’autant plus exigeante que leur travail ne se limite pas aux tâches exceptionnelles et nouvelles qui résultent de l’épidémie du Covid-19, leur activité sur le front de la lutte contre la délinquance et contre le terrorisme se poursuivant – le drame de Romans-sur-Isère nous le rappelle.

Avant de répondre à vos questions, je dresserai un premier bilan de la période que nous traversons et présenterai la réponse que l’État a construite face à l’urgence sanitaire.

Coordonnée, ferme, cette réponse suit les orientations fixées par le Président de la République – à la lumière des recommandations du conseil scientifique placé auprès de lui –, en particulier lors des conseils de défense et de sécurité nationale. Sous l’autorité unique du Premier ministre, cette réponse repose sur trois piliers : le centre de crise sanitaire du ministère des Solidarités et de la Santé, chargé de la réponse sanitaire à la crise ; le centre de crise du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé notamment des Français se trouvant à l’étranger et souhaitant revenir sur le territoire national ; au sein du ministère de l’Intérieur, la CIC, au service exclusif des décisions prises par le Premier ministre, qui rassemble, lors de ses réunions quotidiennes, des représentants de tous les ministères concernés par la crise.

Les préfets, quant à eux, sont chargés de coordonner notre action dans les départements. Tous les soirs, depuis le 17 mars, je tiens avec eux une réunion durant laquelle je leur présente les décisions prises et je recueille leurs observations. Ces échanges permettent de mieux appréhender les problèmes qui se posent sur le territoire et de nous assurer que les mesures que nous prenons sont applicables, appliquées et, si nécessaire, corrigées – nous devons en effet tenir compte de circonstances particulières, au plus près de nos concitoyens. Je tiens à souligner l’engagement remarquable des préfets et de toux ceux qui travaillent à leurs côtés et participent à la CIC sans économiser leurs efforts.

Soixante-douze agents issus de dix ministères arment la CIC. Celle-ci est composée de différentes entités – situation, anticipation, logistique, communication et décision –, conformément à l’organisation classique d’une cellule de crise. S’y ajoute une cellule thématique interministérielle, créée dès la première semaine de confinement, destinée à trancher les questions complexes touchant plusieurs ministères. Sous l’autorité du Premier ministre, la CIC mène donc un véritable travail interministériel. Ce système a fait ses preuves, notamment lors des attentats de 2015 et des intempéries violentes qui ont affecté Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Il permet une coordination efficace des services de l’État et une réponse rapide aux enjeux rencontrés. La CIC déploie également des outils qui nous aident à mieux aborder la crise sanitaire, dont une plateforme dédiée aux acteurs étatiques concernés.

Je veille tout particulièrement à ce que le contrôle parlementaire de l’état d’urgence sanitaire s’opère dans de bonnes conditions. Une plateforme vient ainsi d’être créée, sous l’égide du Premier ministre, pour vous permettre d’accéder à l’ensemble des arrêtés préfectoraux pris sur le fondement de l’état d’urgence sanitaire. Elle est mise à jour chaque semaine, afin que vous puissiez exercer votre rôle de contrôle et solliciter, de notre part, tous les éléments nécessaires à cette fin.

J’en viens à la façon dont le ministère s’emploie à faire respecter le confinement. Des consignes ont été données aux Français et répétées autour d’un mot d’ordre clair : restez chez vous. Quelques exceptions strictes ont été prévues et expliquées à nos concitoyens : les personnes qui souhaitent sortir de leur domicile ne peuvent le faire qu’avec parcimonie, munies d’une attestation dûment remplie. Les quelque 100 000 policiers et gendarmes déployés sur l’ensemble du territoire pour faire respecter cette règle mènent une action remarquable : 9,5 millions de contrôles et plus de 568 000 verbalisations ont été effectués depuis le début du confinement. Nous avons aussi démontré notre capacité à nous projeter sur le terrain en prévision de risques de mouvements de population. Nous craignions en effet que le début des vacances scolaires de la zone C occasionne des départs vers des lieux de villégiature. Depuis vendredi matin, nous avons déployé 160 000 policiers et gendarmes pour procéder à des contrôles renforcés, au moment des départs comme au cours des trajets et sur les sites d’arrivée. De fait, une infime minorité de Français sont partis à l’occasion des vacances.

Je n’évoquerai pas les sanctions pour non-respect du confinement – vous les connaissez puisque vous les avez votées il y a quelques jours. Elles ont bien évidemment leur importance. Je tiens toutefois à souligner que les contrôles se déroulent partout, sans aucune exception : l’intégralité de la France en fait l’objet depuis le début du confinement, des quartiers huppés aux banlieues, des quartiers pavillonnaires aux zones rurales. J’ai conscience qu’il est certainement plus difficile de respecter le confinement quand on partage, à plusieurs, un appartement dans une tour d’un quartier bétonné, que quand on vit dans un pavillon avec jardin dans une charmante commune des Alpes-de-Haute-Provence ou du Morbihan. Pour autant, il nous faut veiller à ce que les mesures induites par l’état d’urgence sanitaire soient respectées partout. Dans ce cadre, le Premier ministre, le ministre chargé de la santé et, localement, les préfets, ont été habilités à prendre des mesures utiles pour faire face à l’épidémie, et c’est dans ce cadre que nous intervenons.

Vous m’interrogerez certainement sur la protection des professionnels qui continuent d’exercer leur activité – des forces de l’ordre en particulier. Je ne suis ni médecin ni membre d’une autorité scientifique : dès lors, notre action dans ce domaine a correspondu à la stricte application des doctrines arrêtées par les autorités sanitaires, j’y reviendrai si vous le souhaitez. C’est un principe que le Gouvernement et moi-même appliquons depuis le début, et je continuerai à le faire.

Telle est l’organisation exceptionnelle que nous avons mise sur pied. Pour finir, je tiens à saluer l’engagement transversal et interministériel de l’ensemble des membres du Gouvernement et de nos administrations, du national jusqu’au local, pour faire en sorte que le combat que nous menons, dont nous savons qu’il sera long et difficile, permette de préserver au maximum la sécurité, au sens le plus large possible, de nos concitoyens.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur général. Le confinement inédit de la population française est le pilier de notre combat contre l’épidémie. Son respect est primordial, les Français en ont collectivement pris conscience. Il portera ses fruits mais ses résultats ne seront sensibles que si nous maintenons l’effort. Le périmètre exact des dérogations au confinement a parfois suscité des questions parmi nos concitoyens, notamment en ce qui concerne l’ouverture des marchés. Quelles instructions ont été données aux forces de l’ordre pour faire appliquer ces règles ?

Ma deuxième question concerne les forces de sécurité intérieure, dont je tiens à saluer l’engagement sur le terrain pour faire respecter les mesures de confinement. Je suis certain que l’ensemble des parlementaires mesurent l’engagement de tous les fonctionnaires placés sous votre autorité, qu’ils exercent dans les préfectures ou sur le terrain, qu’ils soient policiers, gendarmes, pompiers ou qu’ils concourent à l’action publique sous d’autres formes. Nous exprimons notre profonde reconnaissance à ces équipes. Faire respecter le confinement est une mission difficile pour laquelle les forces de sécurité intérieure ne se considèrent pas suffisamment équipées, particulièrement en masques de protection. Quelle doctrine d’équipement votre administration applique-t-elle en la matière ? Est-elle susceptible d’évoluer ? Les dotations en équipements sont-elles à la hauteur des besoins actuels et de ceux des semaines à venir ? Par ailleurs, quelles mesures envisagez-vous pour la reconnaissance professionnelle des policiers et gendarmes qui auraient contracté le coronavirus dans l’exercice de leurs fonctions ?

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. S’agissant du confinement et de l’approche qui en est faite par les différents acteurs du ministère de l’Intérieur – par exemple les préfets pour les fermetures de marchés, mais également les forces de sécurité intérieure lorsqu’elles procèdent au contrôle des attestations et s’assurent du respect du confinement –, la règle est le discernement. Celui-ci est d’autant plus nécessaire que les moyens de contrôle ont été instaurés partout en moins de vingt-quatre heures. Cette rapidité était essentielle pour que les Français comprennent ce que le confinement impliquait et qu’il soit massivement respecté, comme cela a été le cas.

Faire preuve de discernement est un exercice plus difficile que d’appliquer une règle simple et écrite : il ne suffit pas à nos policiers et gendarmes de cocher des cases ; ce n’est pas ce que nous attendons d’eux. Des règles strictes ont été posées : restez chez vous, ne sortez pas. Néanmoins, l’attestation dérogatoire de déplacement permet le transport pendulaire domicile-travail – elle a d’ailleurs été simplifiée pour ce motif –, mais également de se rendre chez le médecin ou de faire ses courses. Nous avons invité les forces de sécurité à appliquer cette règle dans le respect des libertés fondamentales de chacun et du droit, dont vous et moi sommes les garants de l’application. Il fallait donc construire le confinement dans un rapport de confiance.

J’ai eu très peu de retours d’anomalies graves concernant des verbalisations. Après vérification de celles alléguées sur les réseaux sociaux, il se trouve que souvent, elles n’ont pas été confirmées. Il n’empêche que l’exercice a pu amener à des erreurs d’interprétation, comme la fouille d’un sac de courses, ce qui ne correspond pas à une bonne application de la doctrine que nous avons fixée. Chaque jour, chaque heure, la doctrine de gestion a toujours été appliquée, sous l’autorité du directeur général de la police nationale (DGPN), du directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) et du préfet de police, avec ce seul souci du discernement et de l’intelligence dans le contact. Globalement, peu d’incidents nous ont été remontés par la plateforme de saisie de l’inspection générale de la police nationale. Par ailleurs, nous avons veillé à ce que le délai de recours contre les contraventions, parfaitement légitime, soit porté de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours

Pour la fermeture des marchés, nous partons là aussi d’une règle simple : le décret édicté par le Premier ministre prévoit l’interdiction des marchés. Mais nous connaissons l’importance à la fois sociale et économique des marchés : ils permettent parfois de faire ses courses pour moins cher qu’à l’épicerie du coin ou constituent le seul lieu d’approvisionnement alimentaire accessible dans la commune ou le village où l’on vit sans avoir à prendre sa voiture pour aller au centre-bourg. Bien des marchés sont également nécessaires car les ventes directes des exploitants sont essentielles dans l’organisation agricole du territoire, il importe de ne pas l’oublier. C’est pourquoi nous avons adopté une doctrine spécifique s’agissant des marchés : si la règle est la fermeture, les préfets ont la possibilité, en lien avec les maires, d’y déroger par arrêté, au cas par cas ; c’est la consigne constante que je donne. Dans ce cas, et afin que les gestes barrières puissent être respectés sur les marchés, leur organisation spatiale a été soumise aux services du ministère des Solidarités et de la Santé.

S’agissant des équipements de protection des policiers et des gendarmes, nous avons tout d’abord insisté sur les gestes barrières et les mesures de distanciation sociale : il est important que nos forces et nos représentants – les préfets et toute l’administration territoriale de l’État – les respectent, non seulement parce qu’il s’agit de la meilleure des préventions pour eux, mais également car ils doivent être exemplaires vis-à-vis de nos concitoyens. Cela a eu des effets lorsque le virus ne circulait pas encore activement sur le territoire.

La doctrine a évolué avec celle de la circulation du virus sur le territoire national : dès le mois de mars, dans le strict respect de la doctrine gouvernementale sur l’utilisation du masque mais en prenant en considération la dimension opérationnelle du ministère, j’ai veillé à ce que des kits de protection soient disponibles dans tous les véhicules de patrouille et d’intervention ainsi que dans les lieux chargés de l’accueil du public – commissariats, brigades de gendarmerie et guichets de préfectures. Il a été précisé que les masques devaient être portés en cas de contact avec une personne présentant un ou plusieurs symptômes du Covid-19, ou un risque important d’être infecté. Cette doctrine a été présentée par le secrétaire général du ministère au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail exceptionnel du 9 mars. Elle a ensuite été précisée le 13 mars par une instruction du DGPN, et les 16 et 27 mars par des consignes du DGGN Pour répondre aux interrogations qui résultaient de la progression de la diffusion du virus, j’ai souhaité qu’une réunion se tienne le 23 mars avec les organisations syndicales de la police nationale, la gendarmerie nationale et le directeur général de la santé, le professeur Salomon.

En ce qui concerne la dotation en équipements de protection, les stocks disponibles ont été répartis entre les départements, en application de la doctrine gouvernementale. J’ai ainsi fait procéder à des livraisons successives de masques pour la police nationale, la gendarmerie et les préfectures. Entre le 14 et le 23 mars, 810 000 masques, issus du stock ministériel dont nous disposions, ont été distribués. Le 26 mars, 300 000 masques supplémentaires ont été répartis entre la police nationale, la préfecture de police et la gendarmerie nationale.

Par ailleurs, notre service des achats et notre filière logistique ont été mobilisés sans relâche pour acquérir des équipements individuels de protection, toujours dans le strict respect de la doctrine et des règles définies au niveau national, notamment s’agissant de la possibilité de procéder à des importations. Ainsi, les 3 et 4 avril, 2,5 millions de masques en provenance de Chine ont été réceptionnés. Leur livraison est en cours, ventilée comme suit : près d’1,4 million de masques sont envoyés à la police nationale, un peu plus d’1 million à la gendarmerie, et 87 000 sont destinés aux préfectures. Ainsi, pas moins de 3,6 millions de masques ont été livrés aux services du ministère depuis le début de la crise, toujours, je le répète, dans le strict respect des règles d’allocations et d’une doctrine d’usage arrêtée en lien avec les autorités sanitaires.

Je suis un peu long, mais c’est une question qui reviendra régulièrement et il me semble utile de répondre de façon précise pour permettre ensuite d’autres questions. Nous disposions d’un stock d’1,46 million de masques de type FFP2, réservés au personnel soignant et aux intervenants dans les hôpitaux : un peu plus de 200 000 se trouvaient dans les secrétariats généraux pour l’administration du ministère de l’intérieur, 100 000 au sein de l’établissement central logistique de la police, et un peu moins d’1,2 million dans les régions de gendarmerie. J’ai demandé à ce que la quasi-totalité de ces masques – sous réserve de conserver un stock pour certaines interventions spécifiques non liées au Covid-19 – soient remis aux ARS à partir du 26 mars.

Parallèlement, dès la mi-mars, j’ai engagé une démarche de prospection pour identifier les dispositifs de protection alternatifs, en particulier les équipements de protection des yeux, autre organe vecteur de propagation du virus. Cela me semblait d’autant plus nécessaire que plusieurs incidents graves impliquaient des personnes crachant au visage des policiers ou gendarmes qui les contrôlaient. Nous avons donc également développé notre politique d’acquisition de dispositifs de protection complémentaires : à ce jour, 61 000 paires de lunettes de protection ont été livrées et 81 000 paires supplémentaires ont été commandées ; en complément de celles fabriquées localement dans les Fab Lab et testées dans certaines unités, 51 000 visières ont en outre été commandées ; 22 000 des 32 000 masques textiles commandés sont déjà en cours de livraison, et des plaques de plexiglas sont désormais installées dans les nombreux sites d’accueil du public qui en étaient dépourvus.

D’ici au 26 avril, 14 millions de masques supplémentaires devraient être livrés –j’emploie volontairement le conditionnel car chacun sait l’incertitude qui pèse sur le pont aérien et les incidents que nous avons pu connaître.

Au total, ce sont donc 40 millions de masques qui ont été commandés par le ministère de l’Intérieur à l’heure actuelle.

La reconnaissance professionnelle des agents ayant contracté le virus est importante. Sur les 300 000 fonctionnaires du ministère, 1 400 sont à ce jour reconnus affectés du Covid‑19, soit moins de 0,5 %, taux trop élevé pour tous ceux qui ont été ou sont encore en souffrance. Je pense aussi à ceux qui sont décédés : toutes les administrations de notre ministère resteront marquées par les deuils de fonctionnaires, qui n’étaient d’ailleurs pas nécessairement au contact du public.

Il me paraît évident que, même en respectant strictement les gestes barrières et en bénéficiant des matériels de protection que je viens d’évoquer, l’exposition accrue au risque est un facteur devant être pris en considération. Par conséquent, je souhaite que le Covid-19 soit inscrit au tableau des maladies professionnelles et que le lien entre l’affection et leur service soit automatiquement présumé pour les agents, dès lors qu’il est établi qu’ils ont assuré une mission au contact du public durant l’état d’urgence sanitaire. Deux syndicats, Alliance police nationale et l’UNSA, m’ont déjà alerté sur cette préoccupation globale de nos forces de sécurité intérieure et de nos personnels. Le 7 avril, j’ai donc saisi formellement Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, chargé des maladies professionnelles, et Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, pour que cette reconnaissance se traduise au plus vite.

Mme Yaël Braun-Pivet, corapporteure. Je vous remercie pour votre annonce concernant les personnels particulièrement exposés au Covid-19 dans l’exercice de leurs fonctions, comme les membres du personnel pénitentiaire, dont j’espère vivement qu’ils pourront bénéficier du dispositif.

Vous avez rappelé la doctrine de gestion du respect du confinement. Nos concitoyens ont besoin de clarté. Or nous voyons fleurir sur le territoire des arrêtés locaux ou départementaux visant à instaurer un couvre-feu, à interdire de s’asseoir sur un banc ou de s’éloigner de plus de dix mètres de chez soi, ou encore à obliger à porter un masque. Quelle est la doctrine du ministère de l’intérieur sur ces différentes initiatives ? Au-delà de la problématique juridique qu’elles posent parfois, j’ai le sentiment que l’on assiste à une forme de surenchère locale, qui pourrait donner à nos concitoyens l’impression que, selon là où ils vivent, ils sont plus ou moins protégés par leurs élus.

Enfin, s’agissant de la lutte contre le terrorisme, vous avez rappelé que notre pays avait récemment été endeuillé. Vous avez également indiqué que votre ministère était totalement mobilisé pour faire face à l’épidémie. Pour autant, la menace terroriste persiste. Je voudrais saluer vos services, qui continuent à informer la commission des Lois des actes pris en application de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, afin qu’elle puisse suivre les différentes mesures. Comment organisez-vous le ministère pour continuer la lutte contre le terrorisme malgré l’épidémie ?

M. Éric Ciotti. Je vous souhaite bon courage dans l’exercice de votre difficile mission. Je tiens également à exprimer ma reconnaissance envers tous les personnels du ministère de l’Intérieur, avec une mention particulière pour les policiers, les gendarmes, les pompiers, les personnels de la sécurité civile, mais aussi les préfets et leurs collaborateurs, qui incarnent l’État. Dans cette situation, nous avons besoin d’un État fort et d’une doctrine appliquée partout sur le territoire national.

Nous avons vu ce week-end que la menace terroriste était malheureusement toujours au cœur des grands enjeux nationaux. J’ai peur que demain, lorsque l’épisode pandémique aura perdu de son ampleur, les enjeux de sécurité se multiplient, notamment en raison de la libération massive de détenus. Mme Belloubet a parlé de 8 000 libérations à ce jour : à ce rythme, il y aura dans quelques semaines moins de 20 000 détenus dans notre pays. Ce sont souvent des trafiquants de drogue, qui se retrouveront à nouveau sur le marché de la délinquance. La garde des Sceaux a également indiqué hier que vingt-cinq détenus de droit commun radicalisés avaient d’ores et déjà été libérés. Je suis également inquiet quant à l’immigration : presque tous les centres de rétention administrative (CRA) sont fermés, ce qui signifie que les étrangers présentant la menace la plus forte sont dans la nature. Combien de CRA sont-ils encore ouverts et combien d’étrangers en situation irrégulière accueillent-ils ? Quelles mesures avez-vous prises pour suivre les détenus radicalisés libérés et empêcher que la menace terroriste, qui reste à son niveau maximal, ne se concrétise à nouveau ?

Mme Marielle de Sarnez, corapporteure. Dans la crise que nous vivons, la coopération et la solidarité entre pays sont essentielles, à l’échelle du monde comme en Europe. Si cela vaut pour la période de l’épidémie, cela devra tout particulièrement s’imposer lors de la sortie du confinement. Comme celle-ci ne sera pas simultanée dans tous les États membres – l’Autriche et le Danemark, par exemple, ont déjà annoncé des plans nationaux de levée progressive des mesures de confinement –, la question du contrôle sanitaire aux frontières intérieures de l’Union européenne se posera. En la matière, il serait préférable, je crois, que les décisions soient prises de manière coordonnée, et non dispersée. Cela vaut aussi pour la gestion sanitaire de nos frontières extérieures et les règles qui s’appliqueront aux ressortissants des pays tiers : il est essentiel de disposer d’une stratégie claire, lisible, compréhensible par tous et surtout directement utile dans la lutte contre la pandémie. Quelle politique entendez-vous poursuivre en la matière ?

M. David Habib. Comme mes collègues, je tiens à saluer l’investissement et le travail des fonctionnaires placés sous votre autorité : les policiers, les gendarmes, les pompiers, toutes celles et ceux qui contribuent à faire fonctionner nos services publics le font avec une compétence et un dévouement qui mériteront d’être salués. Je veux aussi m’incliner avec respect devant le travail accompli par les préfets et la bonne organisation qu’ils ont permise. Ce que je vois dans mon département, les Pyrénées-Atlantiques, démontre un investissement fabuleux et admirable.

On n’en est que plus gênés par les déclarations du préfet de police de Paris, M. Didier Lallement : je tiens à stigmatiser ce qui a été, plus qu’une erreur, une véritable faute, et à appeler votre attention sur le sentiment de culpabilité que ses propos ont pu faire naître chez un certain nombre de nos concitoyens.

S’agissant de la situation des policiers et gendarmes qui ont souffert du virus et sont aujourd’hui confinés, l’argumentation que vous venez de tenter de développer reposait sur le respect de la doctrine nationale en matière sanitaire. Or, dès le 23 mars, les organisations syndicales de policiers vous avaient alerté sur la nécessité de recourir à des masques. Or, à l’époque, ni vous ni M. Nunez n’avez entendu leur demande. Vous évoquez maintenant la commande de 40 millions de masques. C’est avec une certaine amertume que nous constatons que les policiers et gendarmes n’ont pas été écoutés au début du confinement.

Enfin, je tiens à dire clairement que le Parti socialiste n’a jamais demandé le maintien du premier tour des élections municipales : il est faux de prétendre le contraire. S’il y a une responsabilité dans ce choix de maintenir le scrutin, il faudra la chercher ailleurs que dans notre formation. Pouvez-vous nous indiquer le nombre d’élus, d’assesseurs et de scrutateurs atteints par le virus ?

M. Olivier Becht. Pendant la crise, la criminalité continue malheureusement de sévir : les violences intrafamiliales se poursuivent, des trafics de masques, de respirateurs ou encore de tests s’organisent, et, hélas, nos ennemis traditionnels des mouvements terroristes continuent de vouloir frapper la France. Or, pendant que nos policiers et gendarmes sont occupés à vérifier si nos concitoyens se rendent bien au supermarché avec la bonne attestation ou ne partent pas en vacances dans une résidence autre que la leur, il convient également de rester vigilant face aux autres formes de criminalité. Je souhaiterais que vous fassiez le point sur les moyens mobilisés pour assurer la sécurité des Français au quotidien ainsi que celle des infrastructures stratégiques comme les dépôts pétroliers, les centrales nucléaires et les réseaux de transports. Dans le contexte de la crise sanitaire, la France ne doit pas baisser la garde face à ses ennemis, qui pourraient profiter de ses malheurs pour la frapper.

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. Je vais tenter d’être exhaustif mais je vous invite à me signaler d’éventuels oublis afin que je puisse vous apporter une réponse écrite plus précise.

Mme la présidente de la commission des Lois, évoquant des surenchères locales, m’a interrogé sur le risque que coexistent, sur le territoire, des approches trop différentes d’un enjeu national, notamment quant au respect du confinement ; ce risque existe effectivement.

Depuis le début de la crise, j’ai donné pour consigne aux préfets de coconstruire les réponses avec les élus locaux, au plus près du territoire. Le meilleur exemple concerne les initiatives de couvre-feux, que j’ai systématiquement demandé aux préfets d’encadrer juridiquement – la compétence des maires à prendre des arrêtés dans ce domaine faisant d’ailleurs débat. Je n’ai posé que deux règles : un dialogue constant entre préfets et municipalités, au travers de leurs représentants ; en cas de couvre-feu, une couverture de la totalité du territoire communal, et non de certains quartiers uniquement, afin d’éviter la stigmatisation de ces derniers. Ces règles ont bien été appliquées. Il m’est arrivé de demander aux préfets de coordonner ces actions sur leur territoire. Dans les Alpes-Maritimes, plusieurs municipalités avaient ainsi pris de telles initiatives mais la présence, au cœur de la zone, de communes non concernées était incohérente ; le préfet a donc décidé de prendre un arrêté départemental.

Certaines initiatives peuvent apparaître comme contestables sur le plan juridique parce qu’elles mettent en cause les libertés fondamentales. Certaines risqueraient même de laisser penser – même si je sais que ce n’est pas l’intention de leurs auteurs – que l’on pourrait sortir du confinement grâce à des mesures comme le port obligatoire du masque, ce qui n’est pas le cas.

Le fondement juridique des arrêtés municipaux rendant le port du masque obligatoire s’avère plus qu’incertain – c’est un euphémisme. J’ai demandé aux préfets d’indiquer aux maires ayant pris un tel arrêté – ils n’étaient que deux hier soir – qu’il n’est pas cohérent avec l’exigence qu’implique le confinement, dans la mesure où il laisse entendre que le port du masque permettrait de s’affranchir des règles du confinement et de sortir de chez soi. Je leur ai également demandé de souligner que les actes de ce type mettent en cause l’égalité territoriale, car certaines communes disposent des moyens nécessaires pour équiper l’ensemble de leur population en masques, quand d’autres ne les ont pas. Cela peut en outre conduire à interdire l’accès à une commune aux habitants de la commune voisine, ce qui pose problème. Enfin, l’intérêt du port du masque n’est pas médicalement démontré – vous connaissez les débats sur ce sujet, mais, n’étant pas médecin, je ne me prononcerai pas. J’ai donc demandé aux préfets de prendre langue avec ces maires afin qu’ils retirent leurs arrêtés pendant toute la durée du confinement. En fonction de la doctrine nationale qui sera mise en œuvre pour la sortie du confinement, le moment venu, nous travaillerons avec eux sur les adaptations locales qui s’avéreraient nécessaires.

Ce que je souhaite, c’est que le confinement soir renforcé partout où un signe de relâchement apparaît. Dans ces endroits, il est important qu’avec l’équipe municipale en place, nous trouvions le moyen d’affirmer la volonté des autorités publiques – ministère de l’Intérieur et collectivités locales à égalité – pour durcir les mesures. Évitons, en revanche, les arrêtés posant des principes pour le moins contestables.

D’un autre côté, il faut accepter l’idée que les gens puissent sortir de chez eux. Nous sommes tombés dans un travers conduisant à considérer toute personne sortie de son domicile comme suspecte d’enfreindre la règle. Or ce n’est pas le cas : des dérogations sont possibles, et nous les croyons nécessaires, y compris pour s’oxygéner. Il faut simplement organiser ces possibilités, et c’est le sens du travail que nous menons ensemble sur le sujet.

J’en viens à la lutte contre le terrorisme, évoquée par Mme la présidente Braun-Pivet, M. Éric Ciotti et M. Olivier Becht. Personne n’a baissé la garde dans la prévention et la lutte contre le terrorisme. Ces sujets sont évidemment prioritaires pour nous et nécessitent que nous restions totalement mobilisés. Les services du ministère de l’intérieur continuent d’y travailler. J’ai même demandé que soit pris en compte le risque majeur de sur-accident dans l’organisation des services directement mobilisables sur des sujets d’exception comme la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), la sous-direction antiterroriste (SDAT), l’unité recherche, assistance, intervention, dissuasion (RAID) ou encore le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN). J’ai demandé à chacun de ces services de s’organiser – avec des équipes alternées, qui ne se croisent pas – de telle sorte que des personnels soient mobilisables en permanence.

Samedi après-midi, à Romans-sur-Isère, avant même que le procureur national antiterroriste ne décide de prendre la main sur l’affaire, la SDAT était prête à envoyer sur place trente enquêteurs, en fonction des instructions du procureur. C’est un sujet particulièrement important pour nous, sur lequel nous restons particulièrement mobilisés afin de pouvoir répondre à l’ensemble des sollicitations et rester armés en permanence.

L’ensemble des acteurs de la lutte antiterroriste demeurent à un haut niveau de mobilisation. Je vous rappelle que soixante et un attentats ont été déjoués depuis 2013 et que dix-neuf ont échoué. Tous nos dispositifs continuent de fonctionner. C’est le cas en particulier des groupes d’évaluation de la radicalisation (GED), dont j’ai fait vérifier qu’ils demeuraient actifs dans chaque département. En effet, même si je sais que les préfets sont mobilisés sur d’autres sujets, nous ne pouvons pas baisser la garde.

La question de M. Ciotti est générale mais vise plus particulièrement les sortants de prison. La garde des Sceaux a corrigé certains éléments inexacts parus dans la presse hier. Ce que je peux vous garantir, c’est qu’aucun détenu pour des faits de terrorisme n’a été libéré dans le cadre de l’ordonnance que Mme Belloubet vous a présentée hier. À la date du 3 avril 2020, se trouvaient en prison 853 individus incarcérés pour des infractions de droit commun mais aussi suivis en raison de leur radicalisation. Nous avons instauré un dispositif spécifique, réunissant l’ensemble de nos services, pour accompagner la sortie de chacun d’entre eux –quel qu’en soit le cadre, y compris la fin de peine. L’objectif est de favoriser la communication entre services pour que l’ensemble de ces personnes soient contrôlées et accompagnées – le terme n’est pas juridique, mais chacun le comprendra – au moment de leur sortie, quand elles doivent sortir. Il ne m’appartient pas de me prononcer sur les sorties. Toutefois, les prévisions de libération des terroristes islamistes, notamment, sont connues, de même que celles des personnes radicalisées : les services du ministère en sont informés et nous les accompagnons systématiquement. Les GED, qui se réunissent chaque jeudi, y contribuent. Les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance restent adaptées et nos services continuent d’en produire. La présidente de la commission des Lois a d’ailleurs évoqué le fait que ces sujets vous étaient rapportés.

Nous veillons donc à rester totalement mobilisés pour ne pas baisser la garde face au risque terroriste, qui, nous le savons, reste présent.

Plus globalement, la question de M. Ciotti portait aussi sur les risques anticipés d’un confinement long, en matière de sécurité et d’ordre public. Il existe plusieurs risques.

D’abord, à court terme, la perte d’adhésion progressive de la population aux mesures de confinement est une difficulté dont nous devons avoir conscience. Il existe aussi, pendant cette période, un risque d’augmentation des violences urbaines, dans les quartiers en particulier. Ce n’est pas avéré à ce jour : même si de telles violences peuvent être observées, elles ne se situent pas à un niveau anormal – le problème étant qu’en réalité, le premier acte devrait déjà être considéré comme anormal… Quoi qu’il en soit, le confinement n’a pas provoqué d’augmentation des violences dans les quartiers. Cela constitue plutôt une bonne nouvelle car on observe habituellement une augmentation des violences urbaines en période de vacances scolaires, les jeunes étant désœuvrés. Ce n’est pas le cas en ce moment mais nous sommes particulièrement vigilants sur ce point.

Le confinement pourrait avoir d’autres types de conséquences. Je m’inquiète, pour ma part, de la progression de certaines formes de délinquance. Certaines existent déjà mais s’aggravent, comme les violences intrafamiliales ; d’autres se développent au gré des opportunités, comme les escroqueries sur internet. Je crains aussi le risque d’un renforcement du communautarisme, à l’heure où la société doute, phénomène qui a pu être observé dans d’autres pays : le confinement peut provoquer un repli sur soi et un repli communautaire ; c’est un sujet de préoccupation que nous suivons et analysons dans la perspective de la sortie du confinement, le moment venu. Les pratiques de plusieurs religions impliquent par ailleurs l’organisation de rassemblements, pour Pâques par exemple, ou bien à l’occasion de la rupture du jeûne du Ramadan ; ces rassemblements pourraient eux aussi entrer en confrontation avec les règles du confinement. Sur ce sujet, nous restons vigilants et nous préparons à répondre. Les réseaux d’ultra-droite et la mouvance d’ultra-gauche restent quant à eux très actifs sur les réseaux sociaux et appellent à la préparation d’actes qu’ils voudraient commettre lors de la sortie de la période de confinement ou de la crise. Sur ces sujets – que je n’aborderai pas tous, afin de ne pas être trop long –, nous devons veiller à rester particulièrement mobilisés et vigilants.

En réponse à la question précise de M. Ciotti sur ce sujet, j’indiquerai que je n’ai pas souhaité fermer les CRA, ce que certains nous reprocheront sans doute. Les CRA hébergent en effet des sortants de prison et des personnes connues pour avoir provoqué des troubles manifestes à l’ordre public, et nous continuons à procéder, dans certains cas – même si c’est plus difficile actuellement –, à des expulsions ou à des exécutions d’obligation de quitter le territoire français. Actuellement, 184 personnes se trouvent dans des CRA. Le Conseil d’État, qui a été saisi en vue de leur fermeture, a considéré que les mesures que nous y avions mises en œuvre permettaient de considérer que la santé des personnes retenues n’était pas menacée. Si certains centres ont été fermés parce que leur taux d’occupation était inférieur à 10 %, ce n’est pas le cas de la majorité d’entre eux. Leur activité se poursuit. Hier, quatorze personnes, notamment des étrangers en situation irrégulière qui sortaient de prison, ont été placées dans ces centres.

Je partage l’avis de Marielle de Sarnez quant à l’aspect essentiel de la dimension européenne. Pour avoir participé à quelques réunions du conseil Justice et Affaires intérieures (JAI), je peux témoigner du fait que la prise de conscience du risque a été assez tardive. Lors d’une de ces réunions, à Bruxelles, alors que nous observions déjà les gestes de distanciation sociale en France, j’ai été surpris du comportement de certains de mes interlocuteurs, qui n’avaient pas la même conscience du risque. Lorsque nous avons abordé le sujet, entre ministres de l’Intérieur, en lien avec la Commission européenne, et que nous avons demandé des mesures communes partagées, nous avons compris qu’il ne s’agissait alors pas d’un sujet de préoccupation.

Puis la situation a évolué, comme on le sait, et chaque pays européen en a pris pleinement conscience, mais dans une désorganisation totale. Chacun a pris des initiatives que la Commission européenne n’a pas été en capacité de coordonner ou de réguler. Du côté français, nous avons toujours veillé – qu’il s’agisse successivement de l’Italie, de l’Allemagne, de l’Espagne, de la Belgique puis du cas particulier du Royaume-Uni – à ce que les décisions soient systématiquement coordonnées, anticipées de vingt-quatre heures et mises en œuvre en commun, avec des mesures de réciprocité visant à protéger les travailleurs transfrontaliers.

Je manque d’éléments de réponse quant aux perspectives de moyen terme, sur lesquelles vous m’avez aussi interrogé. Si la stabilisation de l’épidémie était parfaitement homogène dans l’espace européen, les restrictions actuelles aux frontières intérieures pourraient être levées. À l’inverse, si des foyers pandémiques subsistaient après la maîtrise du Covid-19 en France, nous pourrions privilégier des contrôles à nos frontières nationales ou bien l’établissement de contrôles par tous nos partenaires européens, avec ceux des États membres dans lesquels le virus reste en circulation active.

M. Habib a évoqué plusieurs sujets, dont la polémique au sujet du préfet de police de Paris. J’aimerais être clair à ce sujet si M. Habib considère qu’il s’agit d’une question prioritaire dans le cadre de cette audition. Le préfet de police a tenu des propos inexacts, maladroits et faux, qui ont pu heurter profondément ceux qui les ont entendus. Il a regretté ses propos et confirmé qu’ils étaient inexacts. Il s’est excusé. Ce que j’attends du préfet de police, c’est qu’il soit totalement engagé au service des priorités que je lui donne, parmi lesquelles figurent, entre autres mais pas seulement, le respect du confinement. Comme nous avons pu le constater ce week-end, il a fait en sorte que l’ensemble des effectifs de la préfecture de police soient mobilisés sur le terrain, et c’est ce que j’attends de lui.

À propos des masques, monsieur Habib, je crains que vous n’ayez pas bien entendu mon propos liminaire. Il est vrai qu’il existe un désaccord sur la doctrine. Certaines organisations syndicales ont demandé que l’ensemble des policiers soient équipés en permanence de masques. Or ce n’est pas la doctrine nationale qui a été arrêtée sous l’autorité du ministère des Solidarités et de la Santé, appliquée actuellement. Mais la demande avait été bien entendue, bien avant la date du 23 mars que vous évoquez : le 9 mars, la doctrine a été présentée aux différentes autorités du ministère et aux organisations syndicales. L’instruction du DGPN a été transmise le 13 mars, suivie le 16 mars par l’instruction du DGGN. Enfin, le 23 mars, une rencontre a été organisée avec le professeur Salomon pour expliquer la doctrine. Je vous confirme que ce dernier n’a pas convaincu les organisations syndicales, mais il m’appartient d’appliquer la doctrine nationale et non pas une doctrine ministérielle qui irait à son encontre ; je suis certain que vous en conviendrez avec moi.

Vous affirmez, Monsieur Habib, que le PS n’aurait jamais demandé le maintien des élections municipales. Le PS, je ne sais pas. En revanche, Olivier Faure a déclaré le 12 mars : « Il n’y a pas plus de raison d’avoir peur d’aller voter que d’aller prendre le métro ou le RER, ou que d’aller au travail. Il n’y a pas plus de promiscuité : on rentre en général seul dans l’isoloir ; c’est la même règle. » Je ne sais donc pas comment interpréter vos propos, mais il me semble que son premier secrétaire ne partageait pas votre avis quant au maintien des opérations de vote…

Enfin, M. Becht m’a posé une question plus générale sur les moyens de la police. Nous avons réorienté les priorités en fonction des réalités auxquelles nous devons faire face. L’organisation du ministère de la justice ayant évolué pour prendre en compte les difficultés de fonctionnement liées au Covid-19, le « petit judiciaire » est devenu moins prioritaire.

Le respect du confinement est un engagement total de nos forces de sécurité intérieure, de même que le respect de nos frontières dans ce cadre. Il en va de même pour l’ensemble des faits relevant de troubles de la voie publique. La mobilisation est aussi accrue sur les violences intrafamiliales dont peuvent être victimes des femmes et des enfants. Enfin, il n’est pas question que nous répondions que nous sommes mobilisés sur le confinement lorsque des faits graves de criminalité, de cambriolage, de menace ou de vol surviennent, ou lorsque notre pays fait l’objet de trouble à l’ordre public ou de menaces subversives. Ces sujets font évidemment partie de nos priorités.

M. Philippe Vigier. Chaque soir, nous applaudissons chaleureusement l’ensemble du personnel soignant. Mais nous remercions aussi tous les personnels placés sous votre responsabilité : policiers, gendarmes, pompiers et agents des préfectures mobilisés dans la lutte contre le Covid-19.

Le tracking est un des moyens de lutter contre la propagation du virus. Envisagez-vous d’y recourir à court terme ? Quel sera le rôle du Parlement ? Comment préserverez-vous les libertés individuelles ? Y aura-t-il une coordination européenne dans ce domaine ? Le Conseil d’État a-t-il déjà été saisi d’un projet de texte ?

S’agissant des personnels exposés, je rappelle que l’Académie de médecine préconise le port du masque pour les protéger. Ne pensez-vous pas que vos agents, qui accomplissent tous les jours leur travail avec exigence, et qui ont déjà payé un lourd tribut à la maladie, devraient en disposer en toutes circonstances ?

Enfin, avec M. François Pupponi, député du Val-d’Oise, nous vous avons alerté à plusieurs reprises sur le fait que le confinement n’était pas toujours respecté dans les banlieues. Avez-vous donné des consignes très fermes pour y remédier ? Seul le confinement, en effet, nous permet de lutter efficacement contre le virus.

Mme Mathilde Panot. La lutte contre le coronavirus ne justifie pas le recours à des technologies de surveillance de masse. Êtes-vous donc incapable de concevoir votre rôle autrement que comme celui d’un ministre de la répression ? Les mesures adoptées pour lutter contre le terrorisme – dont l’état d’urgence, plusieurs fois renouvelé – ont déjà conduit à une forte régression des libertés publiques. Vous essayez maintenant d’utiliser l’état d’urgence sanitaire pour porter de nouvelles atteintes aux libertés, à la protection des données personnelles et à la vie privée. Une telle fuite en avant sécuritaire est inacceptable dans une démocratie.

À ce sujet, vous semblez changer facilement d’avis. Le 26 mars, vous déclariez : « Ça n’est pas la culture française, et je fais confiance aux Français pour que nous n’ayons pas besoin de mettre en place ces systèmes qui, au fond, atteignent la liberté individuelle de chacun [...]. Donc ce n’est pas un sujet sur lequel nous travaillons. » Pourtant, après avoir décidé d’utiliser des drones, vous avez indiqué travailler à l’élaboration d’une application de traçage numérique pour téléphone portable.

L’efficacité d’un tel outil est pourtant loin d’être démontrée. Singapour, un État qui exerce, grâce aux smartphones, une très forte surveillance de la population, a finalement été obligé de passer au confinement généralisé.

De plus, le traçage numérique est dangereux. Comment les données seront-elles anonymisées ? Pendant combien de temps seront-elles conservées ? Peut-on parler de libre consentement compte tenu de la pression patronale ou sociale qui s’exercerait si l’usage d’une telle application était imposé pour pouvoir travailler ou accéder à certains lieux publics ? Et je ne parle pas de l’atteinte au secret médical !

Le recours à cette technique serait en outre discriminatoire, puisque seraient exclues de fait les personnes âgées, vivant en milieu rural ou précaires. En effet, seulement 44 % des personnes de plus de 70 ans possèdent un smartphone ; 14 % des Français éprouvent des difficultés pour passer des appels ou envoyer des SMS.

Enfin, comment peut-on parler de volontariat si l’usage de cette application est le seul moyen d’accéder à des tests ?

De nombreuses organisations – dont la Quadrature du net, la Ligue des droits de l’homme ou le Syndicat de la magistrature – s’élèvent contre ce solutionnisme technologique. Le traçage numérique n’est qu’une manière d’individualiser la lutte contre le coronavirus pour mieux masquer les erreurs du Gouvernement et son incapacité à fournir des tests et des masques en nombre suffisant. Ne nous surveillez pas, testez ! Fournissez des masques aux policiers, planifiez l’approvisionnement, mais laissez nos libertés tranquilles !

M. Stéphane Peu. En Seine-Saint-Denis, les relations établies en toute transparence entre la préfecture et les élus sont très satisfaisantes, et les élus locaux comme les députés peuvent se réjouir de la qualité du travail que chacun, dans son propre rôle, a accompli.

Hier, le conseil des ministres a mis fin aux fonctions du directeur de l’ARS du Grand Est, dont les propos, très discutables, avaient semé le trouble dans la région. C’est dans ce contexte que je souhaite revenir sur les déclarations du préfet de police Lallement, que vous avez déjà évoquées. Les attaques personnelles ne font pas partie de nos habitudes, mais trop, c’est trop ! Les propos de M. Lallement sont absolument inqualifiables : selon lui, les personnes placées en réanimation se trouvent dans cette situation parce qu’elles n’ont pas respecté le confinement. Dans le même élan, il aurait pu parler de sanction divine frappant ceux qui ont péché ! Cette déclaration a profondément choqué les Français, en particulier la communauté médicale, compte tenu du taux élevé de mortalité en réanimation.

De nombreux médecins travaillant dans ces services ont réclamé la démission du préfet de police. Quand on vit une telle crise – une « guerre », selon le mot du Président de la République –, on ne peut accepter que des hauts fonctionnaires tirent dans le dos de ceux dont l’effort bénéficie à toute la nation – les médecins et les personnels soignants, en premier lieu, mais aussi les policiers et les services préfectoraux. D’autant que M. Lallement est un multirécidiviste : ce n’est pas la première fois qu’il tient des propos éloignés de notre conception d’une police républicaine. Allez-vous, dans les mois à venir, rester aussi discrets s’agissant d’une autorité qui, de toute évidence, n’est pas à sa place ?

M. Jean-René Cazeneuve. Alors que nous traversons une crise sanitaire d’une ampleur inouïe, les élus locaux – maires et conseillers municipaux, mais aussi élus intercommunaux et conseillers départementaux ou régionaux – se mobilisent aux côtés des services déconcentrés pour faire appliquer les mesures de confinement, organiser la solidarité et soutenir l’activité économique. De multiples exemples illustrent le rôle primordial qu’ils jouent dans la gestion de la crise. S’ils le font, c’est parce que le dévouement au service des Français est leur raison d’être, mais aussi parce que ces derniers ne comprendraient pas que nous ne soyons pas unis pour lutter contre la pandémie. L’action des élus est d’autant plus efficace qu’ils interviennent en concertation étroite et permanente avec l’État. Et quand, exceptionnellement, ce n’est pas le cas, il en résulte une grande confusion – je pense à certaines initiatives au sujet des masques de protection.

Première question, le décret pris hier en conseil des ministres renforce le pouvoir de dérogation attribué aux préfets. C’est une excellente décision, particulièrement adaptée à la situation : les décisions locales doivent être prises avec les élus. Ne craignez-vous pas cependant que les Français n’expriment leur incompréhension à l’égard de mesures qui, par définition, ne seraient pas de portée nationale ?

Deuxième question, face à la crise, le Gouvernement a décidé de maintenir les exécutifs municipaux et communautaires, et a adopté plusieurs ordonnances permettant d’assurer la gouvernance et la gestion financière de ces institutions locales. Le maintien des exécutifs se justifiait par la nécessité de disposer d’équipes aguerries ; de toute façon, l’aggravation de la situation sanitaire rendait impossible l’installation de nouveaux conseils. Cela fonctionne puisque, dans l’ensemble, anciens et nouveaux élus travaillent en très bonne intelligence. Néanmoins, si le second tour des élections municipales devait être repoussé à nouveau de plusieurs mois, ne faudrait-il pas, dans les intercommunalités, procéder à l’élection de nouveaux exécutifs, dont les fonctions seraient certes temporaires mais la légitimité plus forte ? Par quel processus démocratique serions-nous susceptibles d’obtenir un consensus républicain sur cette question ?

M. Joachim Son-Forget. En ce qui concerne la libération anticipée des prisonniers, on lit dans la presse que le suivi d’individus radicalisés et potentiellement dangereux pose des difficultés, dans un contexte où l’on peut craindre de nouvelles attaques comparables à celle qui a eu lieu le 4 avril, de la part personnes isolées ou de bandes organisées. Les capacités des services de renseignements connaissent-elles des défauts en ce domaine ?

S’agissant de la protection des fonctionnaires, je prends bonne note des commandes massives de matériels. Mais je m’interroge : pourquoi avoir commandé plusieurs dizaines de milliers de paires de lunettes, alors que chaque policier – au moins lorsqu’il est armé – est supposé en avoir une ? Je comprends les difficultés que vous avez pu connaître pour vous procurer des masques de protection mais, pour ce qui est des lunettes de sécurité, je suis surpris d’entendre que nous ne disposons pas des stocks nécessaires.

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. S’agissant du tracking, je crois savoir que la commission des Lois va procéder, cet après-midi, à l’audition de M. Cédric O, secrétaire d’État chargé du numérique. Il aura ainsi l’occasion de vous présenter le scénario qui est envisagé, fondé sur un téléchargement volontaire de l’application destinée à prévenir les risques de contamination.

Cela étant, le ministère de l’Intérieur n’est pas concerné par d’éventuelles opérations de tracking : un tel dispositif, d’ordre sanitaire et prophylactique, ne relève pas de mes attributions. Il ne s’agit donc pas d’un fichier de sécurité. Si cet outil était développé – je n’ai aucun avis sur le sujet –, et si le législateur jugeait nécessaire d’exercer un contrôle, les forces de sécurité veilleraient à ce que ce contrôle soit effectué, mais rien de plus. Insister sur ce point me permet de répondre aux propos de Mme Panot : avant de me traiter de « ministre de la répression », il convient de vérifier la répartition des compétences entre les membres du Gouvernement. Or cette question ne relève pas du ministère de l’Intérieur. De même, on peut me prêter toutes sortes de propos, mais ce que j’ai dit, lorsqu’on m’a interrogé sur l’usage d’un outil de ce type pour veiller au respect du confinement, c’est que je faisais appel à l’intelligence des Français. Je continue d’ailleurs de penser que celle-ci est au rendez-vous. Plusieurs études, ainsi que les données fournies par Google, montrent que les Français font partie de ceux qui, dans le monde, respectent le mieux le confinement. Je suis habitué aux procès, en particulier de la part de Mme Panot, mais, je le répète, le dispositif numérique envisagé ne relève pas des attributions du ministère de l’Intérieur.

J’ai déjà répondu au sujet des propos de M. Didier Lallement. M. Peu note que certains professionnels de santé s’en sont indignés, à juste titre, d’ailleurs. Je retiens pour ma part la réaction du professeur Pierre Carli, qui a l’habitude de travailler avec le préfet de police : il lui a renouvelé sa confiance aussitôt après que ce dernier a présenté ses excuses. Chacun peut s’appuyer sur les propos de tel ou tel médecin ; ce qui est sûr, c’est que le préfet de police a exprimé de la façon la plus claire qu’il regrettait ses propos, qui étaient une faute. Compte tenu de la tension qu’il subit, à l’instar des parlementaires, des ministres ou des fonctionnaires agissant sur le terrain, on peut comprendre que sa langue ait fourché et qu’il ait proféré une grosse bêtise. Ce qui compte, dans une telle situation, c’est que l’on prenne conscience de son erreur et que l’on s’emploie à la corriger. Pour en avoir parlé avec lui, je sais que M. Lallement est dans cet état d’esprit. Cela n’enlève rien à l’exigence que M. Peu exprime à son égard.

M. Vigier a abordé le sujet délicat du confinement dans les banlieues sensibles. Certains – mais je sais que ce n’est pas son cas – se sont empressés de faire le procès des quartiers difficiles, comme si les jeunes concernés étaient forcément des crétins incapables de comprendre qu’ils sont les premiers menacés par le Covid-19. Ce que nous avons observé, au contraire, c’est un respect général des règles de confinement, y compris dans les quartiers. Néanmoins, je sais qu’il est plus difficile de s’y conformer dans certains lieux : j’ai ainsi opposé, tout à l’heure, la situation d’une famille vivant dans un pavillon avec jardin offrant une jolie vue, bien équipée en terminaux numériques et abonnée à toutes sortes de services de loisirs, à celle qui est confinée dans un appartement au sein d’un quartier bétonné. Cette réalité, il faut la prendre en compte.

Nous n’avons pas pour autant été confrontés à des rassemblements massifs d’individus prompts à provoquer les forces de l’ordre. Il y a certes eu des incidents, notamment ce week-end, dans les Yvelines, à Trappes ou à Mantes-la-Jolie, en Seine-Saint-Denis, à Torcy ou à Clichy-sous-Bois, ainsi qu’à Mayotte – comme cela se passe, hélas, assez régulièrement. Je ne cherche pas à en contester l’existence. Souvent, la verbalisation pour non-respect des mesures de confinement donne lieu à des provocations à l’égard des forces de sécurité, voire à des violences urbaines. Il va sans dire qu’elles sont inacceptables et que nous devons lutter contre de tels agissements. Mais nous devons aussi le faire parce que ce sont ces jeunes qui, demain, seront les premières victimes du Covid-19, et parce que, étant victimes, ils risquent de rendre plus difficile le combat mené collectivement contre le virus. Je note par ailleurs que dans certains quartiers cossus de Paris, on sait tout aussi bien détourner la loi et rechercher l’exception… Quoi qu’il en soit, Monsieur Vigier, nous restons vivants et nos forces sont présentes partout.

M. Cazeneuve m’a interrogé sur le rôle des élus, une question que j’ai déjà abordée en répondant à Mme Braun-Pivet. Faire confiance aux territoires tout en évitant tout excès susceptible d’amener le désordre, tel est le double enjeu de la politique de différenciation que nous prônons. Il y a un équilibre à trouver, des lignes à ne pas franchir. Ainsi, en l’absence de consensus scientifique permettant de justifier une telle mesure, les maires ayant pris un arrêté rendant le port du masque obligatoire ont commis une erreur. Il convient donc d’éviter les excès, tout en faisant confiance aux élus.

La question des exécutifs locaux est délicate en raison du caractère provisoire de leur situation. Mais seule la loi peut permettre une organisation différente. Il vous appartient donc de décider en la matière.

Au sujet de la libération anticipée des prisonniers, Monsieur Son-Forget, j’insiste sur le fait que les dispositifs de suivi des sortants de prison restent opérationnels et que les services de renseignement sont pleinement mobilisés. La menace que représentent certaines personnes incarcérées faisant du prosélytisme religieux est protéiforme : elle concerne l’environnement carcéral lui-même mais peut être également projetée hors des lieux de détention. C’est pour y faire face qu’a été créé le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) et que la cellule de la DGSI consacrée aux détenus sortant de prison reste totalement mobilisée. Deux visioconférences exceptionnelles se sont tenues récemment pour anticiper les sorties de prison évoquées hier devant vous par la garde des Sceaux. Rien que depuis le début du confinement, soixante-deux réunions de GED se sont tenues.

Vraiment, dans ce domaine, personne ne baisse les bras ; notre niveau de mobilisation est très élevé. Malgré tout, cela ne garantit pas que nous puissions empêcher des attaques comme celle perpétrée à Romans-sur-Isère, par une personne qui n’était jamais apparue sur aucun de nos écrans. Celle-ci, entrée en France en 2016, avait obtenu le statut de réfugié et avait fait l’objet d’un processus d’accompagnement, notamment grâce au dispositif HOPE –hébergement, orientation, parcours vers l’emploi –, dont nous sommes plutôt fiers au vu de son efficacité en matière d’intégration. Pourtant, sept personnes ont été attaquées et deux sont décédées.

Par ailleurs, vous me posez une question technique au sujet des lunettes de protection : il faut faire la différence entre les lunettes utilisées pour l’entraînement au tir et celles utilisées lors des sorties en vue d’interventions sur la voie publique.

Enfin, le sujet du pouvoir de dérogation, que vous connaissez bien, comme nous, a été travaillé en profondeur avec la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Je ne crois pas que les Français s’en inquiètent. C’est un motif d’intérêt général qui doit justifier de telles dérogations, et des recours sont possibles. Depuis deux ans, nous avons utilisé la disposition 183 fois dans 17 départements, et cette expérimentation a montré l’intelligence d’un pouvoir local d’appréciation par rapport à la norme nationale. C’est pourquoi nous avons décidé hier, en conseil des ministres, de l’élargir.

Ce texte était le premier, depuis quelques semaines, qui ne soit pas en rapport avec l’état d’urgence sanitaire ; j’en ai été assez fier, car c’est aussi une façon de reconnaître l’extraordinaire engagement des préfets sur le terrain, déjà salué par beaucoup d’entre vous. Dès le début de la crise, j’ai demandé à tous les préfets – j’espère que c’est chose faite et que vous pourrez me le confirmer – de mettre en place des vidéos, des boucles Telegram ou autres afin d’informer les parlementaires de leur département, tous bords confondus, de ce qui s’y passe. En effet, je sais combien ce lien est important en cette période où vous-mêmes vous trouvez soumis à l’obligation du confinement.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur général. Permettez-moi, Monsieur le ministre, d’ajouter un hommage à l’action des sous-préfets, qui, dans les arrondissements, sont au plus près du terrain. Ma circonscription ne comportant pas de préfecture, je mesure chaque jour le dévouement, l’efficacité, avec lesquels les sous-préfets relaient l’action des préfets et de l’administration.

Mme Josiane Corneloup. Je voudrais à mon tour saluer les élus locaux – les maires, mais aussi les élus départementaux et régionaux –, qui, de concert avec les préfets et les sous-préfets, réalisent un travail remarquable, aux côtés des soignants, pour lutter efficacement contre la pandémie. Je tiens également à rendre hommage aux pompiers et aux forces de l’ordre, en première ligne depuis l’instauration de l’état d’urgence sanitaire.

Pour aider ces personnels dans leur lourde tâche, le premier devoir de la nation est de préserver leur santé en les dotant d’équipements de protection sanitaire individuels, notamment de masques, de gants et de lunettes. Or, le 27 février, le président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France jugeait inacceptable que ceux-ci ne bénéficient pas à titre prioritaire de masques de protection et ne puissent faire l’objet de tests de dépistage du Covid-19. Depuis fin février également, les policiers alertent le Gouvernement au sujet du manque de masques et des risques qu’ils courent.

Vous-même l’avez évoqué, le mercredi 25 mars, vos services ont demandé aux policiers de rendre aux ARS leurs masques FFP2. Quand policiers et gendarmes disposaient de masques, votre secrétaire d’État, M. Laurent Nunez, leur demandait de les revêtir uniquement au moment de contrôler des individus qui leur semblaient présenter des symptômes de la maladie. Ces consignes d’utilisation me laissent perplexe. Comment un policier peut-il, lors d’un contrôle, juger qu’une personne est ou n’est pas porteuse du Covid‑19 ? En outre, le directeur général de la santé encourage désormais le grand public à porter des masques.

Ce qui a dominé jusqu’ici, c’est le flou des ordres et des contre-ordres. Je suis certaine que, contrairement aux déclarations du Gouvernement, la France ne disposait pas de stocks de masques suffisants, ce qui expliquerait qu’ils aient longtemps été réservés au personnel soignant. En vérité, aucun plan de préservation des forces de secours et des forces de l’ordre n’a été élaboré. Alors que les maires commencent à prendre des arrêtés imposant le port du masque, pouvez-vous nous assurer que les forces de secours et des forces de l’ordre disposent désormais des équipements nécessaires ? Vous avez dit qu’ils étaient commandés. Sont-ils arrivés ?

M. Jean-Noël Barrot. Premièrement, on comprend évidemment les impératifs sanitaires qui ont conduit les préfets, sous votre autorité, à prendre des décisions de fermeture des marchés et des jardins familiaux. Néanmoins, serait-il possible d’envisager une réflexion en vue de définir au cas par cas des conditions de réouverture ? La fermeture des marchés pose la question des débouchés de nos agriculteurs ; celle des jardins familiaux, la question de la capacité des foyers les plus modestes à se nourrir alors que la période de confinement se prolonge.

Deuxièmement, vous avez évoqué les sujets de l’asile et de l’immigration. J’ai deux questions en la matière. D’abord, la France envisage-t-elle de suspendre les transferts « Dublin », comme l’ont fait d’autres pays, en particulier l’Italie et plus récemment l’Allemagne ? D’autre part, à la suite de l’évacuation des campements, quelles règles sanitaires sont appliquées dans les lieux d’hébergement, notamment dans les espaces collectifs ? Certaines associations ont dernièrement souligné les risques sanitaires qu’entraîne la promiscuité observée dans les gymnases. Quelles sont les règles du confinement dans ces lieux d’accueil ?

Mme Cécile Untermaier. En réaction à votre réponse à David Habib, je ferai observer qu’on ne peut présumer de l’accord d’un chef de parti sur le fondement de propos tenus le 12 mars, alors que le confinement n’était pas décidé et que la question, le 9 mars, n’avait pas encore été soumise aux dirigeants des partis.

Quoi qu’il soit, je commencerai par remercier les forces de sécurité intérieure, les fonctionnaires qui travaillent à vos côtés, les préfets et les sous-préfets ; ils nous sont d’un grand secours en cette période douloureuse.

Ma question porte sur les masques. Un pont aérien est déjà en place, mais nous avons constaté des problèmes à l’arrivée. Par deux fois, à l’aéroport de Bâle-Mulhouse-Fribourg, des commandes passées par la région Bourgogne-Franche-Comté avec l’accord de l’ARS ont été réquisitionnées par l’État. Suivant le principe de la réquisition, nous n’avons rien à dire : il s’agit de répondre à une urgence. Cela donne cependant une impression de chaos logistique, de commandes multiples, d’absence de commandement, à laquelle s’ajoute un manque de fair-play, puisque c’est l’importateur et non le préfet de la région Grand Est qui a informé la Bourgogne-Franche-Comté de ces réquisitions. L’organisation est-elle à la hauteur de la situation ? Envisagez-vous de la réviser ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Je vous questionnerai tout d’abord au sujet des violences intrafamiliales, dont l’augmentation nous inquiète. Comment fonctionne le service SMS que vous avez mis en place et sur quelles plages horaires? Combien d’interventions des forces de l’ordre ont trait à ces violences ? Quelle en est la teneur, par exemple l’éloignement immédiat du conjoint ou du parent violent ? Comment fait-on pour porter plainte quand, comme dans mon arrondissement de Seine-Saint-Denis, depuis plus d’un mois, il n’y a plus d’officier de police judiciaire (OPJ) au commissariat local entre le vendredi soir et le lundi matin ?

Ma deuxième question porte sur le respect du confinement. Lors de l’examen du projet de loi sur l’état d’urgence sanitaire, le Parlement avait choisi de fixer une contravention de cinquième classe, soit 1 500 euros, en cas de récidive du non-respect du confinement. Vous avez réduit ce montant à 200 euros. Je voudrais savoir pourquoi.

Enfin, je m’interroge sur votre doctrine concernant les marchés aux comestibles couverts dans les grandes villes. Les préfets s’abritent derrière le fait qu’ils ne peuvent autoriser leur ouverture qu’en cas de problème d’approvisionnement. D’après vous, qu’est-ce qui constitue un tel problème ? Des files d’attente de 300 à 400 mètres devant les supermarchés, surtout quand, après avoir patienté une heure ou deux, on ne trouve plus rien de ce que l’on voulait acheter ? Le fait que les drives ne suffisent plus à la demande, que les grandes surfaces admettent ne plus pouvoir assurer toutes les livraisons à domicile ? En quoi des marchés astreints à des règles sanitaires strictes feraient-ils courir plus de risques que des magasins où tout le monde touche les mêmes caddies, les mêmes emballages, les mêmes vitrines, où fruits et légumes sont en libre-service, ce qui n’est pas le cas sur les marchés bien organisés et sécurisés ? En réalité, j’ai le sentiment qu’un certain nombre de vos préfets craignent d’engager leur responsabilité pénale en acceptant des dérogations légitimes, justifiées et sécurisées. Avez-vous les moyens de les rassurer en les protégeant, pour que notre approvisionnement, qui commence à se dégrader sérieusement, puisse s’améliorer ?

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. L’intervention de Mme Corneloup me permet de rebondir sur le sujet des pompiers, dont je n’ai pas assez évoqué l’engagement. Depuis le début du mois de février, ils ont réalisé 47 000 interventions, beaucoup plus longues que d’habitude en raison du principe de précaution et des protections nécessaires. Ce sont les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS), qui sont chargés de leur équipement et appliquent la doctrine nationale de précaution.

J’ai bien noté la position de l’Académie nationale de médecine, ainsi que la réitération, il y a deux jours, de celle du directeur de l’Organisation mondiale de la santé. Il y a des discussions, et la difficulté tient à ce que nous nous appuyons sur des bases scientifiques qui évoluent. En effet, par nature, l’évaluation médicale du risque change. Je n’ai pas de certitudes ; j’applique les doctrines formulées par ceux dont c’est le métier. Je ne suis pas compétent pour estimer qu’il faut adopter tel ou tel comportement ; je veille, en revanche, à ce qu’il soit adopté lorsqu’il a été préconisé par ceux qui sont compétents en la matière.

J’en reviens aux pompiers. Des consignes claires ont été données aux préfets pour que ceux-ci se mettent à la disposition des présidents et des directeurs opérationnels de SDIS, afin que les stocks du ministère de l’Intérieur puissent être mobilisés. Nous avons également intégré ces besoins aux travaux prospectifs concernant les sapeurs-pompiers.

S’agissant des forces de l’ordre, j’ai déjà répondu au début de mon propos.

J’en arrive à la question des marchés. La règle est simple : la fermeture, puis une réouverture éventuelle s’il n’y a pas de solution de proximité classique – supermarché, épicerie ou autre. La décision se prend au cas par cas, sous la responsabilité du préfet. Celui-ci peut considérer que l’offre commerciale à l’échelle de la commune est largement suffisante et qu’il n’est pas nécessaire d’ajouter un foyer de risque – j’emploie le verbe « ajouter » car les grandes surfaces en constituent aussi. Même si je pourrais le faire, il ne m’appartient pas d’expliquer aux préfets que telle commune doit faire l’objet de telle décision. Je leur fais confiance – dans le cas contraire, je suspendrais leur décision – pour apprécier au mieux chaque situation.

Vous avez posé une question simple en droit, compliquée en fait. Se rendre dans son jardin familial pour y faire pousser une production qui sert en général à l’alimentation n’est pas se rendre sur son lieu de travail ; pourtant, vous constatez mon embarras à vous répondre. Lorsque j’étais maire, j’ai créé des jardins de ce type. C’est une culture et parfois une urgence sociale. Je vais donc reprendre la discussion avec nos services et voir si nous pouvons élaborer une fiche qui permette la réouverture de ces jardins, compte tenu du contexte. Nous allons également assouplir les règles en matière de graines et de plants, que nous savons indispensables à l’alimentation. Je ne peux pas donner de réponse précise, mais il s’agit d’un vrai sujet.

En matière d’asile et d’immigration, les transferts « Dublin » ont été interrompus.

L’hébergement des plus démunis dans des gymnases ne constitue pas une solution privilégiée, et nous avons préféré des hôtels – je parle ici au nom de M. Julien Denormandie, qui pilote le dispositif, même si la partie concernant les migrants est financée par le ministère de l’Intérieur. Là où la situation est tendue, comme à Aubervilliers, à Calais ou à Grande-Synthe, où nous conduisons encore presque chaque jour des opérations perlées de mise à l’abri, nous privilégions également des hébergements non collectifs, suivant les préconisations du Haut Conseil de la santé publique. Lorsqu’il n’est pas possible de faire autrement, comme en Île-de-France, nous mobilisons des gymnases, ce qui nous permet d’agir dans des délais plus courts encore, mais nous faisons en sorte qu’ils respectent les recommandations de l’ARS pour limiter autant que possible les risques.

Madame Untermaier, je tiens à votre disposition la liste des consultations qui ont eu lieu avec l’ensemble des partis politiques : le 25 février, courrier du Premier ministre ; le 27 février, réunion ; le 5 mars, présentation aux associations d’élus par un certain nombre de ministres, dont moi-même ; j’en ai ensuite rendu compte aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat. Après un courrier du Premier ministre aux maires de France, j’ai mis en place des mesures convenues, entre autres, avec l’Association des maires de France, comprenant un certain nombre d’instructions sur l’organisation des bureaux de vote, l’organisation physique, le matériel de vote, les consignes sanitaires générales. Le 12 mars, le Premier ministre a présidé une réunion à laquelle ont été conviés, là encore, les chefs de parti et les présidents des groupes parlementaires. Le soir du 12 mars, le Président de la République s’est exprimé au sujet du maintien de l’élection. Le lendemain, j’ai mis en œuvre, par visioconférence, les dispositifs dont je vous parle. Les moments de discussion ont été nombreux : nous aurons l’occasion d’en reparler. Ne laissons pas penser que cette décision n’a pas été prise conformément à la ligne de conduite qui est la nôtre depuis le début, c’est-à-dire prendre l’avis des professionnels de santé et ouvrir le débat le plus largement possible, avec la volonté de chercher la meilleure solution. Nous garderons cette méthode jusqu’au bout, car notre responsabilité est de garantir la possibilité de la concorde nationale dans le combat que nous devons mener. Les doutes, les critiques n’en sont pas moins légitimes.

Je reviens sur ce que j’ai appelé hier, devant le Sénat, la « guerre des masques ». Elle est insupportable, et je trouve donc votre question légitime. Vous évoquez deux incidents. Je n’ai eu connaissance que d’un seul, survenu dimanche après-midi. Un importateur, comme beaucoup de ses confrères, a pris bien plus de commandes de masques qu’il n’était capable d’en livrer. L’ARS de la région Grand Est, dont on connaît la situation d’urgence, la région Bourgogne-Franche-Comté et le conseil départemental des Bouches-du-Rhône avaient passé commande. Sur les 6 millions de masques que cet importateur devait livrer à l’ARS vendredi après-midi, il n’y en avait que 2 millions, et il a annoncé qu’il livrerait les 4 autres millions par un avion atterrissant dimanche à Bâle-Mulhouse-Fribourg. À l’aéroport, il a été constaté qu’il n’y avait que 3,4 millions de masques et, en effet, la préfecture de la région Grand Est a usé de son droit de tirage prioritaire pour les réquisitionner en totalité au profit de son ARS, de ses hôpitaux et de ses établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Vous l’avez souligné, ce n’est pas cette décision qui est contestable, mais la méthode utilisée. Dès mardi soir, j’ai d’ailleurs fait savoir à l’ensemble des préfets que je la trouvais inopportune car contraire à l’esprit dans lequel nous devons travailler avec les collectivités locales. Il est donc hors de question que cela se reproduise ; mon message a été clair et je crois qu’il a été entendu. Je l’ai renouvelé hier au Sénat et je le renouvelle ce matin devant vous. Chacun est conscient des difficultés actuelles d’approvisionnement en masques. Il s’agit d’un enjeu mondial puisque le Japon et les États-Unis en manquent également, tout comme l’Allemagne et plusieurs autres pays européens. Dans ce contexte, il est absolument inacceptable que des erreurs viennent troubler la relation de l’État et des collectivités locales.

Monsieur Lagarde, j’ai déjà abordé la question des marchés aux comestibles dans les grandes villes. Quant à la classification de la contravention en cas de récidive du non-respect du confinement, elle relève du ministère de la justice. Je ne me prononcerai donc pas.

Les violences intrafamiliales, malheureusement favorisées par le confinement, sont pour nous une préoccupation majeure. Il s’agit des violences sexuelles et sexistes, mais aussi les violences à l’encontre des enfants. Je me suis déjà exprimé devant vous sur ce sujet lors des questions au Gouvernement. Nous voulons éviter que l’empêchement de téléphoner, d’alerter et de porter plainte ne se traduise par l’impossibilité d’agir. C’est pourquoi nous avons mis en place des moyens nouveaux pour permettre aux victimes de se manifester. Outre les numéros d’urgence bien connus, le 17 et le 3919, elles peuvent désormais communiquer avec la police et la gendarmerie, silencieusement, sur internet, à l’insu de leur conjoint violent. J’ai également demandé que les victimes puissent alerter les secours par SMS. Lorsqu’elles n’ont pas de téléphone portable, elles réussissent parfois à utiliser celui de leur conjoint en cachette et à envoyer un message d’alerte depuis les toilettes ou la salle de bain. Depuis l’extension du numéro d’urgence 114, désormais accessible par SMS vingt-quatre heures sur vingt-quatre, conçue à l’origine pour les sourds et les malentendants, nous avons reçu 170 demandes par jour. Enfin, une vingtaine de dossiers de violences conjugales sont quotidiennement orientés depuis le 114 vers le 17.

Pour être clair, peu importe qu’il y ait ou non un OPJ dans un commissariat : en cas d’alerte, il faut agir. La consigne est claire et a été largement diffusée. Qu’il y ait ou non une plainte, les forces de l’ordre doivent se rendre sur place en cas d’alerte. J’ai en outre demandé, dans le cas de contentieux familiaux connus, que soient développés les appels à l’initiative des gendarmes et des policiers spécialisés. Un entretien téléphonique permet de détecter un éventuel problème et de déclencher une visite. Les appels d’initiative des forces de l’ordre ont ainsi permis de mener des interpellations.

J’ai également demandé aux préfets de ne négliger aucune possibilité de relogement. Les familles qui demandent protection seront immédiatement relogées dans des hôtels, sans même attendre l’instruction judiciaire de leur dossier – la garde des Sceaux vous a sans doute indiqué hier, lors de son audition, que le traitement de ces dossiers était l’une des priorités du ministère de la Justice. C’est pourquoi le dépôt d’une plainte dans un commissariat – je n’en vise évidemment aucun – ne doit pas, selon moi, être considéré comme un critère déterminant pour agir. Sans attendre la plainte, les forces de l’ordre doivent être à l’initiative et intervenir de manière systématique.

Enfin, nous avons développé de nouveaux dispositifs d’alerte dans les pharmacies et dans certains centres commerciaux.

Malgré ces différents dispositifs, nous constatons un effondrement du nombre de plaintes pour violences intrafamiliales, qui sera sans doute confirmé à la fin du confinement. Nous savons tous que les chiffres actuels ne correspondent pas à la réalité : certaines violences et certaines victimes nous échappent. J’ai donc demandé à M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, à Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, et à Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, de placer ce sujet au cœur de leur action, en appui des politiques conduites par le ministère de l’Intérieur.

Nous ne lâchons rien ! Les fiches opérationnelles sont mobilisées et disponibles. Nous devons mener ce combat tous ensemble car il est essentiel.

M. Bertrand Pancher. Quand donnerez-vous des consignes de protection systématique des forces de l’ordre face au coronavirus ? Quand clarifierez-vous les modalités de contrôle ? Un profond désarroi règne actuellement parmi les forces de l’ordre, qui ont vu leur stock de masques se réduire dès le début de la crise. Le Premier ministre, que j’ai interrogé par courrier le 6 avril, m’a fait répondre que les masques devaient être portés par les agents dès lors qu’ils s’estimaient en contact régulier avec des personnes présentant des symptômes et qu’ils devaient, en cette circonstance, les inviter à se couvrir le nez et la bouche, voire porter un masque. Une telle doctrine ne manque pas d’interroger. Vous avez indiqué que l’approvisionnement en masques s’améliorait, mais quand serez-vous en capacité de donner des consignes de protection des policiers et des gendarmes en toutes circonstances ?

Par ailleurs, pourquoi continuez-vous, en cette période de crise, à vous acharner sur les migrants ? Quelle logique guide votre action ? Les CRA continuent de fonctionner alors qu’il est impossible de renvoyer quiconque à l’étranger ; ils contribuent donc à propager la maladie. Au CRA de Vincennes, une personne a été testée positive au coronavirus, tandis qu’on a remis en liberté son voisin de chambre, hospitalisé quelques semaines auparavant. Une telle inconséquence est dramatique. De même, le Gouvernement n’a pas suspendu l’obligation de pointer dans les préfectures pour les personnes assignées à résidence. Il n’a pas non plus prolongé les visas de court séjour des personnes dont la santé réclame des soins urgents. Je ne saurais, enfin, ne pas évoquer la situation catastrophique de Mayotte, où l’eau se vend au marché noir.

Je vous remercie des précisions que vous nous avez données sur les masques arrivés à l’aéroport Bâle-Mulhouse. Notre collègue a insisté sur la nécessité d’informer régulièrement les élus locaux. Il y a encore des trous dans la raquette ; merci de les corriger !

M. Éric Coquerel. Pour commencer, je rends hommage aux policiers et aux gendarmes décédés du coronavirus, et j’ai une pensée pour tous ceux qui sont malades – mille policiers ont été testés positifs, mais, d’après les syndicats de policiers, ils seraient dix fois plus à être contaminés.

Au sujet du maintien des élections municipales, je tiens à réaffirmer qu’aucune consultation des chefs de parti ou des présidents de groupe n’a eu lieu à ce sujet après le 12 mars, jour où le Président de la République et le Premier ministre ont fait état de l’aggravation de l’épidémie et du risque qu’elle faisait courir. Notre groupe, en tout cas, n’a pas été consulté.

S’agissant de la protection des policiers, qui me tient à cœur, vous avez une nouvelle fois évoqué la « doctrine nationale ». Manifestement, celle-ci n’évolue pas en fonction des besoins sanitaires, mais plutôt en fonction des moyens qui sont insuffisants. Elle a d’ailleurs changé puisque les masques n’étaient pas préconisés au début de l’épidémie et qu’ils l’ont été ensuite en cas de symptômes. Vous n’êtes certes pas médecin, mais les policiers non plus –sans compter qu’un grand nombre de cas sont asymptomatiques. Actuellement, certaines consignes administratives interdisent l’utilisation des masques lavables, auxquels la médecine préventive de la police est apparemment opposée.

Vous avez indiqué qu’il y avait 810 000 masques en stock, soit environ le nombre de masques nécessaires pour 100 000 policiers sur le terrain pendant trois jours. Rétrospectivement, pensez-vous que ce stock était suffisant ?

Vous avez déclaré que 14 millions de masques allaient être commandés, mais où les trouverez-vous ? Ils seraient destinés aux hôpitaux, mais les hôpitaux disent qu’ils ne voient rien venir. Si je vous ai bien compris, le Gouvernement envisage de commander au total 40 millions de masques. Les policiers seraient intéressés de savoir où vous les trouverez.

Enfin, vous vous trompez sur la teneur des propos du préfet Lallement, que vous avez tort de les relativiser : compte tenu du risque d’arbitraire que fait courir l’état d’urgence sanitaire, les consignes données sont extrêmement importantes. Stéphane Peu a eu raison d’évoquer les excellentes relations qui existent avec le préfet de la Seine-Saint-Denis.

M. Alexandre Holroyd. Je vous remercie des différents éclaircissements que vous nous venez d’apporter et je m’associe à l’hommage rendu par mes collègues au travail remarquable des forces de l’ordre et au dévouement avec lequel elles accomplissent leur devoir dans des conditions extrêmement difficiles.

Vous avez fait référence à l’impérieuse nécessité d’une coordination européenne approfondie pour assurer l’efficacité des mesures prises par le Gouvernement. Au regard du débat public sur le déconfinement, quels échanges sont prévus avec vos homologues européens ? Ces échanges auront-ils lieu selon le format JAI du Conseil ? Comment la coordination entre les différentes administrations nationales s’articule-t-elle ? La Commission européenne ou la présidence croate ont-elles formulé des propositions ?

Pouvez-vous également nous éclairer sur la teneur de vos échanges avec nos voisins européens au sujet des communautés confrontées à de forts enjeux transfrontaliers ? Vous avez indiqué que le tracking ne relevait pas de vos compétences. Il est évident que, pour ces communautés, l’efficacité d’un grand nombre de mesures dépendra de la coopération entre les services des différents pays.

M. Pierre Dharréville. Nous sommes préoccupés par la santé des agents des forces de l’ordre, qui ont reçu l’ordre de porter un masque uniquement s’ils détectent des signes de contamination chez les personnes qu’ils contrôlent. Quand ils ont acquis un masque à titre personnel, leur hiérarchie directe leur demande même apparemment de le retirer. Il est nécessaire de sortir dès que possible de cette doctrine de pénurie. Une démarche de dépistage est-elle envisagée dans les plus brefs délais pour les agents ?

Je m’étonne que des réquisitions de masques aient eu lieu sans échange avec les collectivités. J’espère qu’une gestion centralisée est désormais prévue.

S’agissant des étrangers, lorsque des procédures judiciaires ne sont pas envisagées et en l’absence de perspectives d’éloignement du territoire, il paraît incompréhensible de poursuivre les mesures de placement et de maintien en rétention.

Enfin, fût-il sanitaire, l’état d’urgence porte atteinte à nos droits et à nos libertés fondamentales. Il est donc indispensable, pour garantir la nécessité et la proportionnalité des mesures envisagées, que leur cadre légal soit rigoureusement défini et respecté, et que les interventions de l’État soient maîtrisées. Certains arrêtés municipaux ajoutent des restrictions ou des obligations, parfois sans fondement juridique. L’état d’urgence est, par définition, un état transitoire. Son installation dans la durée comporte des dangers, d’autant qu’il constitue parfois un laboratoire pour le contrôle des populations. L’extension de l’usage des drones en offre une bonne illustration : dans quel cadre légal et réglementaire et selon quelles instructions est-elle intervenue ?

Le pouvoir élargi des préfets permet une application ajustée des mesures liées à l’état d’urgence sanitaire – comme sur la tenue des marchés –, mais comment entendez-vous garantir une application égale, non discriminatoire et sans expérimentation abusive ?

Enfin, n’est-il pas nécessaire de revoir le calendrier d’installation des conseils municipaux élus au premier tour, afin de pouvoir compter sur eux dans la période actuelle ?

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. En ce qui concerne les CRA, Monsieur Pancher, les retenues administratives de personnes malades ont été jugées appropriées par le Conseil d’État et font l’objet de consignes en conséquence. Certains estiment qu’il faudrait fermer les CRA. D’après ce que j’ai entendu ce matin, les positions diffèrent sur ce sujet. Dans le cas de personnes retenues parce qu’elles sortent de prison ou parce qu’elles ont troublé l’ordre public, je me refuse à décider de manière unilatérale de les remettre dans la rue. J’ai en mémoire un préfet du Rhône qui a perdu ses fonctions parce que sa décision de ne pas placer une personne en CRA a conduit à la mort de deux jeunes filles à Marseille. Ma responsabilité personnelle est engagée. Mon travail consiste à faire appliquer les lois adoptées par le Parlement et non de les adapter en fonction des critiques. J’applique également les décisions du Conseil d’État ; celles-ci peuvent bien entendu être contestées, mais elles sont appliquées par le ministère de l’Intérieur, qu’elles confortent ou non les politiques qu’il met en œuvre – c’est une question de cohérence.

Les préfets ont la latitude d’aménager les modalités de pointage des étrangers en situation irrégulière assignés à résidence, et ils en usent évidemment en période de confinement.

Par ailleurs, il est faux de prétendre que je ne souhaite pas voir prolongés les visas de court séjour. L’expiration des visas est l’un des cas dans lesquels les préfectures continuent de délivrer des titres. Des instructions ont été données en ce sens aux préfets dès le 16 mars.

Pour ce qui est des réfugiés j’ai lu récemment la tribune de plusieurs parlementaires appelant la France à s’aligner sur le Portugal pour la régularisation des sans-papiers. Je les invite à vérifier les mesures prises par ce pays et à se souvenir que la France a agi avant lui. Pour toutes les procédures liées aux droits des étrangers, quel que soit leur statut, à commencer par l’accès aux soins, nous avons anticipé la crise actuelle et garanti aux personnes concernées la continuité de leurs droits. Cela montre sans doute que nous ne communiquons pas assez sur les politiques que nous mettons en œuvre, dont la dimension humaine est essentielle.

En ce qui concerne les masques, monsieur Coquerel, nous appliquons une doctrine nationale : elle n’est pas discutée ministère par ministère ; elle est conçue par les autorités sanitaires et nous la mettons en œuvre. Cette doctrine peut, il est vrai, s’expliquer par la pénurie de masques – personne ne conteste ce phénomène au niveau mondial. En tout cas, elle est simple : les masques chirurgicaux et ceux de type FFP2 sont mobilisés prioritairement pour les personnels de santé, les plus exposés au risque.

Est-il normal que la France possède un stock de seulement 810 000 masques ? Vous m’avez mal compris. Comme je l’ai expliqué, l’État a donné aux hôpitaux 1,4 million de masques en sa possession et dispose d’un stock supplémentaire. Les 810 000 masques que j’ai évoqués provenaient de nos propres stocks et ont été distribués à partir du 13 mars dans le cadre de la doctrine définie par les autorités sanitaires, doctrine qui peut bien entendu être contestée et dont nous pouvons discuter. Le 26 mars, nous avons ajouté encore 300 000 masques. Depuis lors, 2,5 millions de masques en provenance de Chine ont été réceptionnés. Les livraisons sont en cours partout sur le territoire. Ainsi, 3,6 millions de masques ont été livrés à nos services depuis le début de la crise. Au total, compte tenu des commandes en cours, 40 millions de masques ont été commandés par le ministère de l’Intérieur.

Quant aux masques lavables, ils ne suscitent aucune opposition. Si une instruction contraire a été donnée au niveau local, il s’agit d’une erreur d’interprétation. Les masques pour les professionnels non soignants – je préfère cette appellation à celle de « masques lavables », peu claire – font aussi partie des solutions que nous expérimentons, et nous avons passé des commandes de masques en tissu de ce type. Nous préciserons, dans les prochaines semaines, comment ils pourront être utilisés et quelle doctrine sera définie pour leur usage. Le professeur Salomon a évoqué vendredi dernier leur utilisation par le grand public. Nous étudions actuellement le sujet, aucune piste ne devant être négligée.

M’étant déjà exprimé sur les propos du préfet Lallement, je n’y reviendrai pas.

M. Holroyd a évoqué la nécessité d’une coordination européenne approfondie. Elle a pu, il est vrai, apparaître jusque-là insuffisante. La Commission européenne, par la voix de sa présidente et de l’un de ses vice-présidents, a exprimé la volonté d’une coopération renforcée entre les pays européens, mais chacun a agi de son côté. En Allemagne, les Länder ont eux-mêmes pris des initiatives sans en référer au ministre fédéral de l’Intérieur, M. Horst Seehofer. Souhaitons que, le moment venu, nos pays soient capables d’agir de manière coordonnée vers la sortie de crise.

Seuls les ministres compétents pourront évoquer le tracking au niveau européen. En tout état de cause, cette question doit en effet être examinée.

Il est pertinent d’évoquer la gestion des travailleurs transfrontaliers, qui a fait l’objet de diverses approches par le passé. Je suis en contact régulier avec mes homologues afin de trouver des solutions au cas par cas, frontière par frontière, en fonction des besoins. Avec le Royaume-Uni, les choses ont été plus compliquées : comme vous le savez, nous avons adressé un ultimatum aux autorités britanniques sur la possibilité de fermer la frontière au cas où le pays ne prendrait pas de mesures de confinement. J’ai échangé sur le sujet avec Mme Priti Patel, secrétaire d’État britannique à l’Intérieur, après quoi le Premier ministre Boris Johnson s’est engagé dans une politique de confinement.

Plus généralement, il est indispensable que des échanges aient lieu pour régler la question de la diversité des pratiques entre pays européens. Un ou deux conseils JAI dématérialisés se tiennent chaque semaine, et un effort de coordination sera nécessaire au moment – que j’espère le plus proche possible – de lever les restrictions et les contrôles aux frontières.

M. Dharréville a rappelé notre doctrine concernant les masques ; je n’y reviendrai pas. Au passage, si j’ai regretté une absence de communication à l’occasion des réquisitions, je ne regrette pas la priorité donnée au personnel de santé de la région Grand Est, très fortement mobilisé par la crise.

L’usage des drones est très encadré : les forces de sécurité s’en servent régulièrement comme outil de vigilance, de la même manière qu’ils ont utilisé des hélicoptères, le week-end dernier, pour survoler la côte atlantique afin de vérifier qu’il n’y avait personne sur les plages. Évitons de lier les drones à la question du tracking, qui peut se poser par ailleurs.

En ce qui concerne les marchés, il a fallu faire un choix : faire confiance à l’appréciation des élus locaux, c’est-à-dire leur permettre de prendre des mesures au cas par cas, ou appliquer une doctrine nationale, laquelle aurait certes eu le mérite d’être plus égalitaire mais aurait conduit à fermer tous les marchés en France. Il a été décidé de permettre aux communes de déroger à la règle sous certaines conditions.

Enfin, en réponse à votre remarque concernant l’installation des conseils municipaux, je rappelle les dispositions de la loi d’urgence que vous avez votée il y a peu : la conduite à tenir sera déterminée sur la base d’un rapport que nous présenterons au Parlement le 23 mai. L’impasse juridique dans laquelle nous sommes jusqu’à cette date est simple : le ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales a élaboré une ordonnance simplifiant le fonctionnement des conseils municipaux, des établissements publics de coopération intercommunale et des autres collectivités, qui leur permet de délibérer de manière dématérialisée, sauf pour les élections personnelles, comme celle du maire et de ses adjoints, lesquelles doivent se tenir à bulletin secret. C’est la loi, nous ne pouvons pas y déroger. Or, pour l’instant, nous ne sommes pas en mesure d’organiser un vote à bulletin secret et à distance apportant les garanties nécessaires. Une fois les nouveaux conseils municipaux installés, on pourra envisager une organisation démocratique dématérialisée permettant aux oppositions de s’exprimer.

Par conséquent, soit le rapport remis le 23 mai laissera entrevoir la perspective du déconfinement, auquel cas nous nous fonderons sur ses recommandations, soit les nouvelles seront mauvaises et il conviendra de s’interroger sur le maintien des dispositions actuelles. En tenant ces propos, je n’annonce rien et je ne dis pas non plus que je suis favorable à une modification du texte. Des solutions sont néanmoins toujours possibles : sous l’autorité des présidents de l’Assemblée et du Sénat, malgré le confinement, nous avons su faire vivre la démocratie parlementaire en faisant évoluer ses usages, comme en témoigne la présente audition.

M. Jean-Pierre Door. Le groupe Les Républicains est solidaire des soignants, des acteurs de la sécurité civile et des citoyens touchés dans leur chair.

En 2010, après la pandémie de H1N1, le rapport sur la mutation des virus et la gestion des pandémies dont j’étais corapporteur indiquait que le confinement était la meilleure barrière à la propagation du virus. Il a démontré son efficacité à l’étranger et dernièrement à Wuhan ; après trois semaines et demie, il donne de premiers résultats intéressants dans notre pays.

Mais il y a des trous dans la raquette : si certaines zones respectent les mesures, certains quartiers, voire certains départements, ne sont pas confinés du tout. De plus, passez-moi l’expression, l’on voit à la télévision de nombreux je-m’en-foutistes. À cet égard, le mot « déconfinement », employé la semaine dernière, a probablement été interprété, à tort, comme un signal de liberté par une population qui n’attend que cela.

En outre, la coexistence de décisions préfectorales avec des arrêtés municipaux d’interdiction ou de dérogation résulte-t-elle d’une politique délibérée de décentralisation ? L’unité de la nation en matière de confinement ne risque-t-elle pas d’en être perturbée ?

Enfin, puisque vous avez détaillé le fonctionnement de la CIC installée place Beauvau, pouvez-vous nous expliquer pourquoi un délégué interministériel n’a pas été désigné, comme il y a dix ans, pour la lutte contre la grippe aviaire ?

M. Boris Vallaud. Mes trois questions portent sur des sujets très différents.

La première concerne les infractions aux règles du confinement. Dans la réponse que vous avez apportée sur la doctrine, vous avez indiqué ne pas avoir constaté de hausse massive des verbalisations, mais vous avez aussi reconnu que des erreurs d’appréciation avaient été commises, ici et là. Je voudrais donc savoir quelles modalités de contestation des verbalisations sont prévues. Du point de vue juridique, payer une amende équivaut à reconnaître l’infraction. A-t-il été demandé aux forces de l’ordre de préciser aux personnes verbalisées qu’elles peuvent choisir de ne pas payer l’amende immédiatement si elles souhaitent la contester ? De plus, la procédure de recours, qui suppose l’envoi d’un courrier recommandé dans un délai de quarante-cinq jours, est contrariée par les dispositions prises par les bureaux de poste. Quelle procédure de recours simplifiée le Gouvernement entend-il offrir aux Français ?

La deuxième question porte sur l’accueil des étrangers, plus précisément sur la situation des mineurs étrangers isolés, qui ne relèvent pas tous de la catégorie juridique des mineurs protégés. Il nous a été rapporté que, pour des raisons diverses, certains d’entre eux ne pouvaient pas bénéficier de l’accueil provisoire d’urgence des conseils départementaux. J’aimerais que vous fassiez un état des lieux. Certaines associations, qui nous avaient déjà alertés au moment du vote de la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, continuent de s’inquiéter que certains enfants soient ainsi livrés à eux-mêmes. Il est essentiel d’assurer leur protection.

La troisième question correspond à une préoccupation des familles. Compte tenu de la surmortalité consécutive à la pandémie, qui dépasse les capacités des structures funéraires habituelles, le préfet de police de Paris a procédé à la réquisition d’un bâtiment de Rungis pour le transformer en morgue. Si personne ne disconvient des tensions qui pèsent sur le système, les conditions, notamment financières, imposées aux familles dans ce cadre sont choquantes : 150 euros pour une semaine entière et 50 euros pour une heure de recueillement près du défunt. Si ces informations étaient avérées, pouvez-vous nous assurer que l’autorité ayant procédé à la réquisition en assumerait le coût ?

Mme Sophie Auconie. Le 23 mars dernier, les sapeurs-pompiers de France ont adressé un courrier au Premier ministre dans lequel ils demandent à bénéficier, comme le personnel soignant, d’un dispositif de garde d’enfants leur permettant de poursuivre leur travail. Ils demandent également le renforcement de leur capacité d’autonomie opérationnelle à travers le basculement des appels téléphoniques au 112 vers les centres de traitement de l’alerte des SDIS, afin de désengorger le service d’aide médicale urgente (SAMU). Ils demandent par ailleurs que le risque de rupture d’approvisionnement en masques chirurgicaux, notamment en masques FFP2, soit écarté et que des masques de la réserve nationale soient mis sans délai à leur disposition. Enfin, ils demandent que les préfets soient autorisés à suspendre les règles relevant de l’activité courante – celles concernant le contrôle technique des véhicules, par exemple – afin de ne pas entraver leur mobilisation opérationnelle. Que répondez-vous aux forces de sécurité civile des territoires, qui participent au quotidien à la sécurité des Français ?

Mme Françoise Dumas. La coordination entre les acteurs de la défense et de la sécurité est au cœur de l’organisation de la lutte contre le Covid-19. Je tiens, moi aussi, à saluer l’action des préfets en général, celle du préfet du Gard et de ses services en particulier. Les opérations sont conduites selon la logique d’un continuum sécurité-défense qui permet une approche globale, dans le cadre de la CIC.

Je salue tout d’abord nos armées, qui interviennent en appui aux forces de sécurité intérieure et aux forces de sécurité civile dans le cadre de l’opération Résilience pour répondre aux besoins sanitaires locaux, et de l’opération Sentinelle dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Je rends également un hommage appuyé aux sapeurs-pompiers, très mobilisés du fait de l’augmentation importante du nombre d’interventions consécutive au confinement de nombreuses personnes chez elles. Grâce à ses moyens aériens, la sécurité civile contribue à la lutte contre la pandémie : ses hélicoptères Dragon réalisent des transferts de patients vers les régions les plus épargnées, tandis que ses avions Dash participent à l’acheminement de matériel militaire. L’embarquement d’un Dragon à bord du Dixmude à destination des Antilles illustre la qualité de la coopération entre les différents intervenants.

En tant que Gardoise, je constate au quotidien l’ampleur de l’activité de la base aérienne de la sécurité civile. Pourriez-vous détailler la contribution totale de la sécurité civile à la lutte contre l’épidémie ?

M. le président Richard Ferrand, rapporteur général. J’ai une question supplémentaire. Des échos nous sont parvenus du Pas-de-Calais. Des migrants sont mis à l’abri dans des hôtels mais il semble que le caractère obligatoire du confinement ne leur apparaisse pas clairement et qu’ils ressortent presque aussitôt de l’endroit où ils sont hébergés. Cela suscite l’inquiétude de la population locale et la presse quotidienne régionale s’en fait chaque jour l’écho. Il semble nécessaire d’expliquer à ces migrants que leur mise à l’abri est assortie d’une obligation de confinement. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce point ?

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. Par égard protocolaire, je vous répondrai en premier, Monsieur le président. La difficulté réside dans le fait que ces mises à l’abri, comme celle à laquelle nous avons procédé pour 732 migrants – dont 711 hommes isolés – vivant dans un campement illicite à Aubervilliers, sont effectuées sur la base du volontariat. Les migrants auxquels vous faites référence, évacués des campements de Grande-Synthe et de Calais, ont été répartis entre plusieurs régions, où nous leur avons proposé un relogement ailleurs que dans des gymnases, pour revenir sur un point évoqué plus tôt. Contrairement aux placements effectués sur décision judiciaire, il ne s’agit pas là de mesures coercitives.

La seule règle que nous pouvons leur imposer est donc le respect du confinement. La difficulté consiste à leur expliquer qu’ils s’exposent à une amende en cas de sortie non justifiée puis à une amende plus importante encore en cas de récidive. Or les associations sur lesquelles nous nous appuyons d’ordinaire pour sensibiliser et accompagner les migrants afin de leur faire prendre leurs responsabilités sont plus difficilement mobilisables dans le contexte actuel. Je n’ai pas d’éléments en tête concernant les faits que vous rapportez ; je vérifierai si certains sites appellent le renforcement des contrôles de sécurité. La seule menace juridique dons nous disposons, dès lors que nous ne plaçons pas les migrants en CRA, ce qui nécessiterait un acte juridique, est celle d’un procès-verbal pour non-respect du confinement, qui, en raison des problèmes de compréhension que je viens d’évoquer, n’est pas une mesure optimale de dissuasion. Je suis néanmoins prêt à renforcer la présence policière sur certains sites bien précis, si cela s’avère utile.

Je tiens à revenir un instant sur la polémique qui a enflammé les réseaux sociaux concernant la verbalisation des SDF, derrière laquelle on a voulu voir un ordre du ministre de l’Intérieur, certaines associations relayant même ces propos. J’ai demandé une enquête, et les associations concernées ont été interrogées : nous ne verbalisons pas les SDF, cela n’aurait pas de sens ; en revanche, nous leur proposons des solutions de relogement, en particulier de relogement hôtelier, sujet sur lequel M. Julien Denormandie s’est fortement engagé.

M. Vallaud m’interrogeait sur la mise à l’abri des mineurs non accompagnés. Encore une fois, le dispositif est délicat à mettre en œuvre. Comme aux SDF et aux migrants, nous leur proposons un relogement hôtelier d’urgence. Néanmoins, nous sommes confrontés à des situations humaines, sociales et sanitaires extrêmement douloureuses, et il est difficile de faire respecter le confinement. Nous travaillons en lien étroit avec les services de l’aide sociale à l’enfance des conseils départementaux, pour ne pas dire sous leur autorité. Néanmoins, ces derniers ne sont pas toujours capables d’évaluer la minorité et ils sont tenus de proposer une mise à l’abri à tous ceux qui se déclarent mineurs. La souplesse de la répartition nationale, qui permettait précédemment à un mineur non accompagné identifié par un département d’être hébergé ailleurs, a été suspendue, et les transferts de personnes ne se font plus désormais qu’au cas par cas, quand nous savons que l’offre de logement d’un territoire est de meilleure qualité. J’insiste aussi sur le fait que les juges pour enfants doivent rester accessibles, que c’est pour nous une priorité – la garde des Sceaux, je crois, l’a certainement rappelé hier.

La morgue de Rungis est gérée par un opérateur privé, qui applique des tarifs que j’ai découverts hier, au moment de leur médiatisation. Je remarque, d’une part, que les critiques ont été émises par un autre opérateur privé et, d’autre part, que beaucoup ont mêlé à la question le préfet Lallement, qui n’y était objectivement pour rien. J’ai demandé dès hier soir qu’un contrôle précis soit effectué sur la question car il me semble anormal que les contraintes financières liées au confinement et à la hausse de la mortalité soient reportées sur les familles. Je vous communiquerai les éléments qui seront portés à ma connaissance.

Enfin, pour tenir compte des difficultés actuelles, nous avons porté le délai de recours en cas d’erreur de verbalisation de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours, délai dans lequel j’espère – sans rien annoncer, car je reste prudent – que nous serons sortis du confinement. Je n’invite pas à multiplier les contestations mais je comprends qu’il y en ait, car l’interprétation sur le terrain d’une règle de principe édictée vingt-quatre heures auparavant n’est pas un exercice facile. Les attestations ont été élaborées à partir du modèle italien – le document a été traduit dans l’après-midi, après quoi nous avons déterminé dans quelle mesure il pouvait s’appliquer à la situation française – et le document final a fait l’objet d’une expertise juridique. Nous avons donc agi vite, ce qui a pu mener à des imprécisions et des erreurs d’appréciation ; de ce fait, il est normal qu’un recours soit possible.

Monsieur Door, vous avez exprimé le soutien de votre groupe aux soignants, aux forces de sécurité intérieure et à nos concitoyens ; nous nous rejoignons tous sur ce point. Je souscris en outre à votre affirmation selon laquelle le confinement est la meilleure des solutions. Vous avez mentionné de premiers résultats, déjà relevés hier par M. Olivier Véran.

Nous observons effectivement du « je-m’en-foutisme » mais il n’est pas massif : la France fait partie, je le répète, des pays où le confinement est respecté. Néanmoins, il y a des endroits où certains considèrent que le confinement n’est pas pour eux, qu’ils ne courent aucun risque, qu’ils sont des super-héros, et ils adoptent des comportements totalement idiots. C’est pourquoi il faut maintenir les contrôles, et je les maintiens à un haut niveau.

Lorsque j’ai évoqué l’organisation de nos forces de sécurité intérieure, j’ai parlé de la priorité accordée au haut du spectre et du partage entre équipes A et B, mais je dois préciser un autre point : comme nous avons intégré que le combat serait long et difficile, nous avons veillé à ce que l’organisation du temps de travail des policiers et des gendarmes tienne compte de cette mobilisation de long terme. Autrement dit, nous ne pouvons pas être présents partout : les 100 000 policiers et gendarmes déployés sur le terrain ne peuvent pas être en permanence auprès des 65 millions de Français. C’est pourquoi nous lançons d’abord un appel à la conscience et à la responsabilité collectives, puis nous avons recours, si besoin, à la sanction. La consigne que je donne aux forces de sécurité est non pas de verbaliser, mais de protéger les Français. Cependant, s’il faut verbaliser pour protéger, nous l’assumons.

Selon vous, Monsieur Door, nous aurions parlé trop tôt du déconfinement. Toutefois, lorsque le Premier ministre a été auditionné par la mission d’information, le président de votre groupe, M. Damien Abad, lui a demandé : « Tous les Français s’interrogent sur la stratégie de sortie du confinement. […] Qu’entendez-vous par déconfinement progressif ? Sera-t-il organisé par région ? Par classe d’âge ? » Le Premier ministre a donc répondu aux questions qui lui étaient posées.

De même, Madame Auconie, je laisse le soin au Premier ministre de répondre aux courriers qui lui sont adressés. À ce stade, je ne peux pas apporter de réponse à votre question. Je peux néanmoins vous indiquer que le ministère de l’Intérieur a fourni des éléments au cabinet du Premier ministre pour la préparer et qu’elle ne devrait pas tarder.

Depuis le début de la crise, Madame Dumas, les pompiers ont accompli 47 000 interventions. Des moyens aériens sont mobilisés, notamment ceux embarqués à bord du Dixmude. Je tiens à évoquer, en outre, les missions d’appui du centre de crise auprès des forces de sécurité civile à La Réunion, à Mayotte et dans les Antilles. Depuis le 25 février, nous avons procédé à 173 évacuations sanitaires au titre de la sécurité civile. Nos services sont mobilisés, sous l’autorité de M. Alain Thirion – doublement engagé, dans le cadre de la CIC ainsi qu’en tant que directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises –, pour soutenir les structures mobiles d’urgence et de réanimation, les services mobiles d’urgence et de réanimation (SMUR), et les centres de réception des appels, dans de nombreux départements. Il est sûr que la sécurité civile, dans son acception la plus large –militaires et sapeurs-pompiers professionnels ou volontaires –, fait preuve d’un engagement exceptionnel qui lui fait honneur.

M. le président Richard Ferrand, rapporteur général. Je vous remercie de toutes les réponses que vous avez bien voulu apporter aux questions des membres de la mission d’information.

 

L’audition s’achève à douze heures cinquante-cinq.