Compte rendu

Mission d’information de
la conférence des Présidents sur
l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19
 

 

 Audition, en visioconférence, de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.  2


Mercredi
22 avril 2020

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 7

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Présidence
de M. Éric Ciotti


  1 

La séance est ouverte à dix-sept heures trente-cinq.

 

Présidence de M. Éric Ciotti, vice-président de la mission d’information

 

La mission d’information procède à l’audition, en visioconférence, de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.

 

M. Éric Ciotti, président. Si le confinement affecte profondément la vie quotidienne de tous nos concitoyens, il touche plus particulièrement ceux qui ne peuvent plus exercer leur activité professionnelle. L’activité économique globale a chuté de 36 %, ce qui est considérable. La baisse d’activité touche certains secteurs de façon encore plus dramatique, le mot n’est pas trop fort : elle est de 88 % dans la construction, de 43 % dans l’industrie et même de 90 % dans l’hébergement et la restauration.

 

Au-delà de ces chiffres, qui traduisent une situation terriblement dégradée, les Français sont touchés de plein fouet par les conséquences d’abord sanitaires, mais aussi économiques et sociales de la crise, en particulier ceux qui voient leur activité réduite, ceux qui craignent de ne pas pouvoir la poursuivre ou de ne pas retrouver leur emploi, ceux qui redoutent cette situation pour eux ou pour leurs enfants, notamment ceux qui s’apprêtaient à entrer dans la vie active.

 

Au moment où nous connaissons une récession économique mondiale inédite, avec une contraction très marquée de notre richesse, nous attendions cette audition avec beaucoup d’impatience, madame la ministre du travail, car de nombreuses questions se posent. Une angoisse économique et sociale s’installe au cœur du pays : la peur du lendemain est dans l’esprit de nombre de nos concitoyens.

 

Pour contenir les effets de la crise économique et sociale de grande ampleur qui s’annonce, le Gouvernement a adopté des mesures exceptionnelles que nous avons soutenues dans notre immense majorité – ce fut mon cas. Elles comprennent notamment des aides financières, avec la création du fonds de solidarité, et la facilitation du recours à l’activité partielle, avec une prise en charge très élevée de l’État. Vous avez annoncé que la barre des 10 millions de Français concernés par le dispositif était à présent dépassée. Ces mesures sont en train d’être complétées par le Sénat, dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances rectificative.

 

Au-delà de ces dispositions qui, nous le soulignons, sont importantes, de nombreuses interrogations se posent encore.

Ces mesures suffiront-elles face à l’ampleur de la crise ? Les aides sont-elles mobilisables ? Ont-elles été mobilisées en temps utile ? Quelle incidence auront-elles après le dispositif d’activité partielle ?

 

Des inquiétudes plus spécifiques concernent les travailleurs indépendants et les artisans, notamment lorsque leur entreprise vient d’être créée, car ils ont le sentiment de n’être pas suffisamment soutenus.

 

Le déconfinement soulève aussi un grand nombre de questions. Comment pourra s’organiser la reprise du travail tout en respectant des conditions de sécurité satisfaisantes ? Comment concilier la sécurité sanitaire avec l’indispensable reprise de l’activité économique ? La question est au cœur des décisions cruciales qui seront prises, notamment pour les indépendants, dont la situation est souvent préoccupante, voire dramatique.

 

Certains secteurs ont maintenu leur production pendant le confinement, ce qui a permis de garantir l’approvisionnement de l’ensemble de nos concitoyens et de maintenir la sécurité alimentaire. Je pense à la grande distribution, aux transporteurs, à toute la chaîne logistique, aux agriculteurs, aux ouvriers de l’industrie, en particulier de l’industrie agroalimentaire, qui a tenu le choc. Je veux leur dire notre reconnaissance collective et leur rendre hommage. Des aménagements des procédures et des postes de travail dans ces secteurs ont été au cœur du maintien de cette activité. Ont-ils été suffisants ? Quels problèmes ont été identifiés dans vos services pour remédier aux difficultés constatées ? Les artisans et commerçants ont par exemple fait remonter des difficultés s’agissant de la centrale d’achat collective des outils de protection, que vous avez créée.

 

Il est également indispensable d’évoquer la situation de ceux qui n’ont pas pu reprendre leur activité et qui paient un très lourd tribut à la crise, notamment les cafetiers, les restaurateurs et les hôteliers. Ces professionnels ont accueilli avec une forme de sidération et une grande angoisse l’annonce du Président de la République que leur activité ne reprendrait pas immédiatement à la date fixée pour le déconfinement. Certains réclament de connaître une date de reprise de leur activité, que je considère comme indispensable. En effet, personne ne pourrait comprendre qu’une restauration collective se mette en place, notamment dans les écoles ou les entreprises, sans que ces lieux ne rouvrent, en appliquant naturellement les mesures de sécurité indispensables ; parce qu’ils participent à la chaîne de fonctionnement de l’économie, ils sont essentiels à la reprise de l’activité économique globale. Ces acteurs, comme les parlementaires, attendent de votre part une réponse précise. Le 15 juin sera-t-il la date choisie pour le déconfinement de ces activités ?

 

Ces questions, dont je me fais l’interprète en préambule, seront aussi soulevées par les membres de la mission d’information.

 

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Mesdames et messieurs les députés, avant toute chose, j’espère que vous vous portez bien, de même que vos collaborateurs et vos proches. J’exprime également ma solidarité profonde avec toutes les personnes endeuillées, dans votre entourage comme dans toute la France, ainsi que ma gratitude envers toutes celles et tous ceux qui luttent au quotidien contre le virus, que ce soit en première ligne – les soignants –, en deuxième ligne, pour permettre que la vie continue, ou en respectant strictement les mesures de confinement.

 

Je tiens aussi à remercier les députés pour leurs nombreuses remontées du terrain, qui sont très utiles. Dans cette situation inédite, elles permettent de corriger le tir et de compléter le dispositif au fur et à mesure que nous prenons connaissance des difficultés sociales, économiques, administratives rencontrées par nos concitoyens ainsi que des nombreuses initiatives, qui peuvent être des sources d’inspiration. Elles sont complémentaires des échanges téléphoniques approfondis que je conduis avec les partenaires sociaux, deux ou trois fois par semaine, précieux pour partager notre analyse de la situation, annoncer les différents dispositifs ou prendre un avis avant de telles annonces, et recueillir toutes les remontées du terrain : ce qui fonctionne ou pas, ce qu’il faut accélérer ou corriger, ainsi que les éventuels angles morts. Dans une telle période, il faut être à la fois très solidaire, résolu et pragmatique pour adapter les mesures aux réalités du terrain. Nous conduisons également des réunions très fréquentes avec le ministre de l’économie et des finances, et, plusieurs fois par semaine, avec les fédérations professionnelles. Cet esprit de dialogue, qui construit l’union nationale, est indispensable pour essayer, ensemble, de réagir à la situation et de la traiter au mieux.

 

Le ministère et les opérateurs sont très mobilisés depuis le début de la crise. Les agents du ministère du travail traitent en particulier de la création et du déploiement du dispositif d’activité partielle, avec le soutien de l’Agence de services et de paiement (ASP), ainsi que de la santé et de la sécurité des travailleurs. Pôle emploi n’a pas connu de dysfonctionnement dans l’indemnisation des demandeurs d’emploi : l’actualisation de fin de mois s’est déroulée sans problème, à distance, et le travail de continuité est effectué avec les demandeurs d’emploi, également à distance.

 

Sur le plan juridique, grâce à l’habilitation que vous avez donnée au Gouvernement, nous avons déjà publié dix ordonnances dans le champ du travail, dont les neuf premières dans un délai de dix jours après l’adoption de la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Un dernier texte, dit « ordonnance balai », présenté ce matin devant le Conseil des ministres, tend à régler certaines situations particulières. Huit décrets ont été publiés sur la base de ces ordonnances : deux relatifs à l’activité partielle ; deux, à l’assurance chômage ; un, aux missions des services de santé au travail ; un, aux modalités de réunion à distance des comités sociaux et économiques (CSE) ; un, au complément employeur des indemnités journalières ; un, aux modalités d’extension des accords collectifs. Trois décrets sont à venir : un portant sur l’activité partielle, en application de l’ordonnance présentée ce matin ; un, sur les possibilités pour les médecins du travail de prescrire des arrêts de travail ; un, sur les délais de consultation des comités sociaux et économiques pour la reprise de l’activité économique. Des décrets sectoriels viendront, le cas échéant, compléter le paysage juridique en ce qui concerne la dérogation à la réglementation relative au temps de travail. La publication de ces textes est un gage de sécurisation juridique des engagements que nous avons pris devant vous et devant les Français pour éviter les défaillances d’entreprises, protéger l’emploi et les salariés, et éviter des vagues de licenciements massifs qui, sinon, n’auraient pas manqué d’arriver.

 

Mon administration produit par ailleurs de nombreux documents explicatifs, notamment des questions-réponses, actualisées plusieurs fois par jour, qui sont très consultées par les salariés comme par les employeurs, ainsi que des guides et fiches techniques. Compte tenu de toutes les modifications à apporter dans cette période de crise, il importe que l’ensemble des acteurs puissent s’en saisir très rapidement.

 

L’action du ministère s’inscrit dans le cadre des moyens sans précédent que le Gouvernement a décidés, après validation du Parlement, grâce au plan de 110 milliards d’euros visant à gérer la situation de crise. Vous l’avez vu, nous nous adaptons constamment à l’évolution de l’épidémie et de ses conséquences économiques et sociales, de sorte que personne ne soit laissé au bord du chemin.

 

Mon ministère applique trois ensembles de mesures : des mesures de protection, pour éviter les licenciements, préserver l’emploi et conserver les compétences, principalement le dispositif d’activité partielle ; des mesures de protection des plus vulnérables d’entre nous contre la menace de la précarité, qu’ils soient demandeurs d’emploi ou confrontés à d’autres difficultés ; des mesures visant à concilier l’impératif de santé et de sécurité des travailleurs, avec la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique de la nation – car tout l’art de la reprise consistera à concilier l’activité économique, avec l’absolue nécessité de protéger les salariés sur les plans de la santé et de la sécurité.

S’agissant des mesures visant à éviter les défaillances d’entreprises et à conserver les compétences et l’emploi, le Gouvernement a opéré une refonte complète du système d’indemnisation du chômage partiel, qui est devenu le plus protecteur d’Europe. À titre de comparaison, lors de la crise de 2008 et 2009, le dispositif d’activité partielle a pris en charge 300 000 salariés.

 

L’expression « chômage partiel », trop installée pour n’être pas employée, ne doit pas créer d’ambiguïté. Il ne s’agit absolument pas d’une situation de chômage, puisque la personne concernée conserve son contrat de travail, qui est seulement suspendu. L’État et l’UNEDIC se substituent à l’employeur pour le paiement des salaires. Le contrat de travail est immédiatement réactivé à la fin du chômage partiel.

 

J’ai annoncé ce matin les chiffres, qui sont considérables : 10,2 millions de salariés du secteur privé sont concernés par une demande d’activité partielle, ce qui représente plus d’un salarié sur deux du secteur privé, et 821 000 entreprises, soit six entreprises sur dix ; 95 % des demandes d’activité partielle ont déjà été validées. Les trois secteurs les plus concernés sont : les établissements de commerce non alimentaire, au sens large, incluant la réparation automobile ; la construction, dont 93 % des salariés sont concernés, dans un secteur presque à l’arrêt ; l’hébergement et la restauration, au même niveau que la construction, les bars, les restaurants et les cafés étant de plus frappés par une mesure de fermeture administrative, tandis que l’hôtellerie subit le ralentissement général.

 

La refonte de l’activité partielle a été conçue selon trois axes majeurs : le basculement vers un système de prise en charge proportionnel ; un élargissement considérable des publics éligibles ; des démarches simplifiées, grâce à une transformation sans précédent du système d’information.

 

L’allocation d’activité partielle, qui s’élève à 100 % du salaire net pour un salarié touchant une rémunération égale ou inférieure au SMIC et de 84 % au-delà, est payée pour les deux tiers par l’État et pour un tiers par l’UNEDIC, par le biais d’une convention avec l’État. L’État garantissant par ailleurs la dette de l’UNEDIC, sa responsabilité sur l’ensemble du dispositif est très élevée. Les entreprises sont remboursées intégralement, jusqu’à un salaire de 4,5 fois le SMIC.

 

La mesure s’explique par notre volonté de sauver l’emploi dans les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME). Dans le passé, ces structures ne recouraient pas au chômage partiel en raison d’un reste à charge élevé, et, en situation de crise, elles se trouvaient obligées de licencier. Pour éviter ces licenciements, nous couvrons l’ensemble des salaires, jusqu’à 4,5 fois le SMIC. Nous avons atteint notre objectif de couvrir très majoritairement le tissu de TPE et PME, si essentiel à la vie économique du pays, puisque 60 % des travailleurs en activité partielle travaillent pour des entreprises de moins de cinquante salariés.

 

Nous avons également étendu ce dispositif à des publics qui n’étaient pas éligibles : assistantes maternelles, employés à domicile, salariés au forfait jour. Nous avons augmenté la prise en charge des apprentis et des bénéficiaires de contrats de professionnalisation. Les saisonniers sont également mieux protégés. Le dispositif a de plus été ouvert aux VRP, aux pigistes, aux marins pêcheurs, aux intermittents du spectacle, aux personnes payées au cachet, au personnel navigant – je ne dresserai pas la liste exhaustive, mais tous les statuts particuliers ont été pris en compte.

Avec le ministre des solidarités et de la santé, j’ai annoncé vendredi qu’à partir du 1er mai, les salariés en arrêt de travail pour garde d’enfants ou pour aide à une personne vulnérable passeront en activité partielle – les règles du complément employeur en matière d’indemnités journalières prévoyaient que leur rémunération tombe de 90 à 66 % de leur rémunération précédente.

 

Vous avez fait remonter de nombreuses questions sur l’éligibilité au dispositif et les démarches à effectuer. Je le dis clairement : un dispositif qui fonctionnait manuellement, pour quelques centaines de demandes par an, n’était absolument pas adapté à l’ampleur de la crise. Je salue encore une fois l’action de la direction générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) de mon ministère et de l’ASP, qui, en dix jours, ont entièrement modifié le système d’information pour accueillir une demande très élevée, passée d’une centaine à 821 000 cas. Des milliers de cas à la minute sont désormais traités automatiquement. Cette organisation explique les remarques formulées les premiers jours sur la difficulté à obtenir des codes d’accès : dans le système précédent, ces éléments étaient générés manuellement, au cas par cas, alors qu’une réponse automatique est dorénavant apportée en quarante-huit heures, à défaut de quoi la demande est considérée comme acquise. Afin de rattraper les premiers jours difficiles, j’ai autorisé les entreprises à demander la compensation jusqu’au 30 avril.

 

Le deuxième grand axe est la protection des personnes vulnérables. Nous avons pris six mesures pour protéger les chômeurs. Les droits de ceux arrivés en fin de droits en mars ont été prolongés en avril et en mai, sur la base de l’indemnisation de mars. Ceux des intermittents du spectacle ont également été reportés jusqu’à la fin du confinement, et celui-ci sera neutralisé dans le calcul de leurs 507 heures de travail. Les salariés en contrat à durée déterminée comme les intérimaires bénéficient automatiquement du chômage partiel. Nous avons allongé virtuellement les contrats des saisonniers pour qu’ils puissent également en bénéficier. Les salariés qui ont démissionné pour répondre à une promesse d’embauche qui n’a pu se concrétiser à cause du confinement sont pris en charge par l’assurance chômage, ce qui n’est habituellement pas le cas. Enfin, la période de confinement sera neutralisée dans le calcul des droits pour tous les demandeurs d’emploi.

 

Comment concilier l’impératif de santé et la sécurité des travailleurs avec la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ? Tous ceux qui travaillent doivent être protégés, nous ne transigerons pas sur ce point, car il ne s’agit pas de choisir entre activité économique et protection sanitaire. Le dialogue social est essentiel, et nourri, avec les partenaires sociaux. Depuis trois semaines, en les consultant, nous élaborons des guides de bonnes pratiques sanitaires avec les experts de chaque secteur, métier par métier. En effet, les gestes barrières ne sont pas les mêmes pour une hôtesse de caisse, un chauffeur-livreur, une auxiliaire de vie, un éboueur, un opérateur en télémaintenance, etc.

 

Trente-six guides validés par les ministères du travail et de la santé sont déjà en ligne sur notre site, et une trentaine d’autres sont en préparation et seront publiés dans les prochains jours. Ainsi, les employeurs seront sécurisés s’ils respectent ces préconisations et les salariés pourront aller travailler en sécurité. À l’initiative du secteur, nous avons traité en priorité la filière agroalimentaire, de l’agriculteur à l’industrie agroalimentaire en passant par la distribution. Un guide plus général sera édité pour les secteurs non couverts au moment du déconfinement. C’est un sujet crucial pour la reprise de l’activité.

 

Nous sommes, vous le voyez, déterminés à protéger les salariés contre le risque de licenciement, à protéger leur santé et à assurer leur sécurité, mais aussi à protéger les entreprises, petites et grandes. Dans le contexte actuel, la solidarité nationale ne doit laisser personne au bord du chemin.

 

M. Éric Ciotti, président. Dans le secteur de l’hébergement et de la restauration, stratégique pour notre pays, la situation est dramatique : la chute de l’activité est de 90 %. Quelle date envisagez-vous pour le déconfinement de ces activités ? Il semblerait que ne soit pas le 11 mai – cela fait d’ailleurs beaucoup débat –, mais peut-être le 15 juin. Pourriez-vous nous le confirmer ?

 

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Pourquoi les cafés, restaurants et commerces de détail non alimentaire ont-ils fait l’objet de ce confinement extrême, avec une interdiction administrative ?

 

La nature même de leur activité vise au regroupement, à la proximité, à la convivialité, engendrant des risques majeurs dans un contexte épidémique. C’est pourquoi le Président de la République a annoncé que leur déconfinement ne saurait intervenir le 11 mai. La date sera annoncée prochainement, mais nous devons préalablement mettre en place les mesures sanitaires et de sécurité adéquates dans les restaurants et les cafés, pour les employeurs, les salariés et les clients, ce qui, dans certains cas, ne sera pas facile. Nous avons entamé ce travail, mais aucune date de réouverture n’a encore été fixée.

 

Pour le commerce de détail non alimentaire, la situation est différente. Il bénéficiera de l’expérience des commerces alimentaires pour lesquels, après quelques jours de tâtonnement, les mesures sanitaires sont désormais bien rodées. En outre, il pourra s’appuyer sur le guide relatif au commerce de détail, déjà publié.

 

Un indépendant libéral ou autoentrepreneur peut faire appel au fonds de solidarité pour lui – 1 500 euros par mois plus un possible complément de 5 000 euros en fonction des besoins – et mettre ses salariés au chômage partiel, l’activité partielle étant liée au salariat.

 

M. Éric Ciotti, président. À ce stade, vous ne confirmez donc pas la date du 15 juin ?

 

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il est trop tôt pour confirmer ou infirmer une date.

 

Mme Brigitte Bourguignon, corapporteure. Nous avons franchi la barre des 10 millions de Français au chômage partiel : plus d’un salarié sur deux bénéficie de ce filet de protection sociale hors norme, inédit et pourtant nécessaire pour faire face à l’épreuve. Je tenais d’abord à remercier tous les collaborateurs de votre ministère, qui ont permis de préserver les compétences des entreprises et surtout de protéger les travailleurs français, dans un délai et dans des proportions records.

 

Quelles mesures les différents acteurs de l’insertion ont-ils déployées pour garantir l’accompagnement et la continuité du lien social avec les salariés récemment privés d’emploi ou des chômeurs de longue durée, difficiles en cette période de confinement dans les territoires les plus isolés numériquement ? Des expérimentations ont-elles débuté ?

 

Les missions des services de santé au travail et les règles applicables aux visites médicales ont été adaptées afin de concentrer l’action de la médecine du travail sur les enjeux prioritaires de l’épidémie. Quels sont les premiers retours de terrain ? Afin de ne pas remettre en cause l’obligation de santé et de sécurité au travail qui incombe à l’employeur, les entreprises en contact avec des clients ont-elles renforcé les mesures de contrôle et de prévention ?

 

L’ordonnance du 25 mars permet à certains secteurs d’activité de déroger aux durées légales quotidienne et hebdomadaire de travail. Quels secteurs d’activité peuvent recourir à ces dérogations ? Quelles sont les compensations prévues pour leurs salariés ?

 

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Vous avez raison, les agents du ministère sont très engagés.

 

Outre que le dispositif d’activité partielle constitue un filet de sécurité et un amortisseur social très puissant, il facilitera une reprise sécurisée : les salariés ne perdent pas leur contrat de travail et l’entreprise ne perd pas ses compétences. C’est donc un investissement social et économique, non une simple dépense.

 

Comment fonctionne le service public de l’emploi durant le confinement ? Hormis quelques agents chargés de l’indemnisation des demandeurs d’emploi, la majorité des personnels de Pôle emploi travaillent à distance.

 

Toutefois les contacts avec les demandeurs d’emploi sont organisés, les agents ne se contentant pas de répondre aux appels. Si 90 % des demandeurs d’emploi effectuent l’actualisation de leur situation sur internet, 10 % avaient l’habitude de se rendre en agence afin d’être guidés ; tous ces chômeurs ont donc été contactés par téléphone pour procéder à l’actualisation.

 

Les agents de Pôle emploi ont également ciblé certains demandeurs d’emploi en difficulté ou en passe de trouver un travail, afin de poursuivre les entretiens par téléphone. Quelques entretiens physiques ont également eu lieu, car les secteurs en tension – l’agriculture, l’agroalimentaire, les transports ou l’aide à la personne – continuent de recruter.

 

Pôle emploi a aussi amplifié ses actions de formation. Quand les trois quarts des salariés sont chez eux, c’est le bon moment. À ma demande, l’organisme a mis en place une offre de formation en ligne, gratuite et rémunérée : 150 types de formations sont disponibles, dans l’informatique, le numérique et les langues, mais aussi en électricité par exemple, grâce à des tutoriels techniques. Ces formations seront validées grâce à un complément de stage en fin de confinement. En outre, 150 organismes de formation – le Centre national d’enseignement à distance (CNED), l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), OpenClassrooms, etc. – ont mis en ligne gratuitement tout leur catalogue de formations pour les salariés et les demandeurs d’emploi ; il vient compléter les 170 000 offres de formation en ligne déjà présentes sur moncompteformation.gouv.fr – la ressource a doublé en quelques semaines. Il s’agit d’aider chacun à utiliser cette période contrainte comme une opportunité d’accélérer un développement de compétences, habituellement complexe faute de temps disponible.

 

Beaucoup de services de santé au travail ont arrêté de fonctionner au début du confinement, ne sachant comment se situer. Or nous avions besoin d’eux. Le 1er avril, nous avons donc publié une ordonnance et un décret d’application afin qu’ils appuient la mise en place des bonnes pratiques de santé et sécurité au travail, surtout auprès des TPE. Nous avons mobilisé les médecins du travail sur les actions de prévention et la prescription d’arrêts de travail en lien avec l’épidémie, en les allégeant de quelques tâches, et avons réservé les visites d’embauche aux postes à risque et aux personnes les plus vulnérables. Ces modifications, provisoires, permettent de mobiliser les services de santé au travail. Leur contribution sera essentielle au moment du déconfinement puisqu’ils devront s’assurer de la mise en place des gestes barrières dans les entreprises, en lien avec les partenaires sociaux et les directions d’entreprise. Les services d’inspection du travail continuent quant à eux de contrôler les secteurs d’activité qui fonctionnent et doivent respecter les consignes des autorités de santé et de la direction générale du travail.

 

Nous n’avons pas encore pris le décret concernant les dérogations à la durée du travail autorisées par l’ordonnance. Les secteurs les plus susceptibles d’y recourir sont ceux de la santé et du médico-social ainsi que toute la filière agricole et agroalimentaire. Pour l’instant, ils fonctionnent. Ce sera un dernier recours, ponctuel, s’il y a trop d’absentéisme ou s’ils n’arrivent pas à recruter.

 

En l’état actuel du droit, les heures supplémentaires sont dues à partir de la 36e heure, jusqu’à 48 heures. L’ordonnance porte le plafond à 60 heures, sous réserve de ne pas effectuer plus de 46 heures par semaine sur une période de douze semaines. Ces heures supplémentaires sont majorées de 25 % puis, à partir de la 44e heure, de 50 %.

 

M. Éric Woerth, co-rapporteur. Quel volume d’heures représente désormais le chômage partiel ? Un volume de 4,2 milliards d’heures, cela représente plus de 50 milliards d’euros de dépenses. Dans le projet de loi de finances rectificative que vous nous avez soumis, actuellement en discussion devant le Sénat, vous avez seulement inscrit 24 milliards d’euros. Cela semble donc insuffisant, même si l’État et l’UNEDIC se partagent le coût. Qu’en pensez-vous ?

 

Pour certains, le chômage partiel risque malheureusement de se transformer en chômage réel, selon le scénario de reprise. Quels pourraient être les chiffres du chômage à partir de l’automne prochain ? Peut-être est-ce trop tôt pour le dire, mais il n’est pas trop tôt pour le prévoir. J’imagine que le ministère étudie différents scénarios. Que peut-on faire pour amoindrir les effets de la crise ?

 

Beaucoup de jeunes vont rentrer sur le marché du travail cet été, comme tous les ans. Je ne voudrais pas qu’ils deviennent une génération sacrifiée. Ils risquent pourtant de trouver portes closes dans les entreprises qui devront déjà réabsorber leurs salariés au chômage partiel. Quelles initiatives allez-vous prendre pour leur offrir une alternative professionnelle ? Les stages pourraient-ils durer plus longtemps ? Comment lutter contre ce risque majeur ?

 

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Nous avons estimé le coût total des heures demandées en chômage partiel à 24 milliards d’euros. Les entreprises ont en moyenne effectué leur demande pour une durée de douze semaines. De plus, nous constatons toujours, en matière de chômage partiel, que les entreprises prévoient large sans demander ensuite le paiement de toutes les heures, et c’est le cas actuellement : seules 55 % des 821 000 entreprises qui ont formulé une demande d’activité partielle ont commencé à demander le paiement d’heures. Elles se sécurisent en ouvrant leur droit à l’activité partielle, mais cela ne signifie pas qu’elles l’utilisent ou qu’elles l’utilisent en totalité, car elles n’ont pas nécessairement besoin de toutes les heures demandées. La dépense réelle va donc dépendre du comportement des entreprises dans les semaines à venir, lorsque la reprise sera facilitée et qu’un certain nombre d’entre elles vont déclarer moins d’heures de chômage partiel que prévu. Je rappelle qu’excepté dans les secteurs qui sont fermés par décision administrative, il n’est pas interdit de travailler, à condition de protéger la santé et la sécurité des travailleurs. Les 24 milliards d’euros constituent donc un bon ordre de grandeur ; ils permettent d’assurer des réponses à toutes les demandes sur la durée moyenne de douze semaines. Cependant, nous ne savons pas jusqu’où ira le recours au chômage partiel ni combien de temps exactement il sera utilisé ; cela dépendra de la rapidité et de l’ampleur de la reprise de l’activité économique, que nous constaterons ensemble.

 

Ce sera particulièrement le cas dans certains secteurs. La France est le pays d’Europe dans lequel l’activité du bâtiment et des travaux publics (BTP) a été la plus freinée, puisque 93 % de ses salariés ne travaillent plus alors que la moyenne européenne s’élève à 50 % ; en Allemagne, l’activité du secteur reste assurée à 80 %. Il y a donc une spécificité française à ce sujet, et nous y travaillons beaucoup avec les trois fédérations professionnelles concernées – un guide a été publié il y a déjà trois semaines. Dans ce domaine, la reprise de l’activité pourrait changer la donne, tout comme la réouverture prochaine de commerces de détail dans le secteur non alimentaire – ne sachant pas à quel moment ils pourraient rouvrir, ceux-ci ont tous prévu douze semaines de chômage partiel pour l’ensemble de leurs salariés. Nous établissons nos prévisions au mieux, au plus proche de la réalité probable ; cependant, dans un contexte où la situation évolue tous les jours, je ne peux vous assurer qu’elles se réaliseront.

 

Concernant la réalité du chômage, l’activité partielle permet d’éviter des vagues massives de licenciement : si nous n’avions pas mis en place ce dispositif, des millions de personnes auraient peut-être déjà perdu leur emploi. J’en veux pour preuve ce qui se passe actuellement aux États-Unis, où, en quatre semaines, 22 millions de personnes ont perdu leur emploi – et, par voie de conséquence, leur couverture santé. Vingt pays européens sur vingt-sept se sont dotés d’un système comparable au nôtre, et même ceux qui n’en avaient pas – à l’instar du Royaume-Uni, qui est encore un peu européen – sont en train de le faire ; c’est, de l’avis de tous, le moyen le plus massif et le plus efficace pour protéger l’emploi et éviter que la situation n’empire.

 

Nous allons progressivement faire repartir l’activité, mais le retour à la normale n’interviendra pas tout de suite car nous continuerons à vivre avec le risque épidémique. Dans certains secteurs, l’activité ne pourra pas reprendre exactement comme auparavant ; elle repartira, mais dans des conditions qui auront tendance à réduire la productivité et la rentabilité. Par conséquent, il ne serait pas lucide de penser qu’il n’y aura pas de demandeurs d’emploi en plus. Nous n’avons pas subi de vague de licenciements mais, tant que la reprise ne sera pas significative, les recrutements vont chuter – c’est ce qui se profile, et ce phénomène risque de s’amplifier dans les semaines qui viennent. Ceux qui arrivent sur le marché du travail, en particulier les jeunes, vont donc se retrouver en difficulté ; alors que les salariés qui ont un emploi sont protégés, un demandeur d’emploi aura plus de mal qu’auparavant à trouver un travail.

 

Face à ces difficultés, nous avons rapidement pris des mesures pour protéger les demandeurs d’emploi, mais de nombreuses réponses vont dépendre du plan de relance que nous allons mettre en œuvre : celui-ci comportera un volet compétences et relance de l’emploi très important. Il faudra prendre une décision collective pour continuer à investir massivement sur l’apprentissage, qui est susceptible de profiter à l’emploi des jeunes et au développement des compétences des entreprises. Nous nous trouvions en la matière dans une dynamique exceptionnelle, et ne pas investir en faveur des jeunes signifierait que nous n’investissons pas dans l’avenir. Une fois passée la période du confinement, je compte faire de ce sujet un élément essentiel de notre plan de relance ; mais il est encore trop tôt pour en parler.

 

Mme Marielle de Sarnez, corapporteure. Plus de 10 millions de salariés, soit un salarié sur deux, sont actuellement en chômage partiel ; c’est un taux considérable et sans précédent. À partir du 11 mai, l’activité va repartir progressivement dans de nombreux domaines, mais d’autres – notamment l’hôtellerie, la restauration et la culture – ne pourront reprendre leurs activités que plus tard. Comment envisagez-vous la poursuite du dispositif d’activité partielle pour tous leurs salariés ? Ceux-ci auront plus que jamais besoin que s’exprime et que continue de s’exprimer envers eux la solidarité nationale.

 

Par ailleurs, la Commission européenne a mis en place le programme SURE « Support to mitigate unemployment risks in emergency », qui vise à garantir les plans de soutien à l’emploi des États membres en leur permettant d’obtenir des prêts pour couvrir les coûts liés à la création ou à l’extension des régimes nationaux de chômage partiel. Comment ce mécanisme de réassurance, financé à hauteur de 100 milliards d’euros, sera-t-il réparti entre les États membres, et selon quels critères ?

 

Mme Valérie Rabault. Comme me l’a indiqué le Premier ministre par courrier, vous remplacez le régime d’indemnités journalières pour garde d’enfant de moins de seize ans par l’activité partielle : « À partir du 1er mai, les salariés en arrêt de travail pour les motifs de garde d’enfant seront placés en activité partielle. » Les indépendants qui ont des enfants de moins de seize ans bénéficient de ces indemnités – je suis allée vérifier sur le site, cela fonctionne –, mais vous avez dit qu’ils ne seraient pas éligibles à l’activité partielle, qui ne concernera que les salariés. Que va-t-il se passer pour les indépendants concernés ? Par ailleurs, sachant que votre collègue de l’éducation nationale nous a annoncé hier que la reprise de l’école interviendrait au moins en trois phases – 11 mai, 18 mai, 25 mai –, ce régime d’activité partielle pour garde d’enfants sera-t-il maintenu après le 11 mai ?

 

Vous avez expliqué que le système d’activité partielle n’était à l’origine pas calibré pour satisfaire un si grand nombre de demandes. C’est compréhensible, mais de nombreux employeurs ont fait des avances pour payer l’activité partielle et n’ont toujours pas été remboursés par l’État des sommes déboursées à ce titre au mois de mars, il y a déjà un mois. Cela représente, pour eux, une dépense très importante en trésorerie. Pouvez-vous nous dire quel est à ce jour le montant que l’État doit à ces employeurs et qu’il n’a pas encore payé ?

 

Enfin, en équivalent temps plein, 550 000 intérimaires n’ont plus de travail. Quel dispositif est mis en place pour leur venir en aide ?

 

M. Olivier Becht. Vous avez mis en exergue le travail remarquable réalisé par les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) pour traiter les millions de demandes émanant des entreprises, mais également pour le paiement de l’activité partielle.

 

Néanmoins des personnes et des entreprises passent à travers ces dispositifs. C’est notamment le cas de toutes les entreprises, surtout des commerçants et des artisans qui avaient des dettes de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ou envers l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) et qui, pour le moment, se trouvent exclues du fonds de solidarité. Certains indépendants, comme les avocats, payaient leurs collaborateurs sur leurs honoraires, ce qui les rend inéligibles au chômage partiel. Je souhaiterais connaître les mesures envisagées par le Gouvernement pour remédier à ces manquements.

 

M. Philippe Vigier. Avez-vous le sentiment que le recours au chômage partiel a atteint son pic, ou pensez-vous qu’il continuera à croître dans les prochains jours, avec les conséquences financières que cela entraînerait ?

 

Les délais de versement du chômage partiel seront-ils respectés ou accélérés ? J’ai pu constater sur le terrain que des entreprises ayant sollicité le chômage partiel en mars n’avaient toujours rien reçu.

 

Vous n’avez pas confirmé la date du 15 juin pour la reprise de l’activité dans la filière de la restauration, de l’hôtellerie et du tourisme. Êtes-vous favorable à l’idée de plus en plus répandue selon laquelle le déconfinement pourrait être territorial ? L’impact de la maladie n’est pas le même partout, et il me semblerait pertinent de faire en sorte que ces activités – qui sont celles subissant le plus les conséquences de la crise, avec une baisse de l’activité de 90 % – puissent reprendre en fonction des zones géographiques touchées. Par ailleurs, une clarification est nécessaire à propos du respect des règles sanitaires : comment donner de l’espoir à un restaurant qui, pour respecter les normes prévues, devra passer de vingt à dix couverts, et ne retrouvera donc jamais l’équilibre ?

 

Enfin, où en sommes-nous s’agissant de la responsabilité des employeurs ? Les partenaires sociaux vous le disent fréquemment, les chefs d’entreprise s’inquiètent et veulent être protégés des recours qui pourraient intervenir, d’autant que les jurisprudences ne sont pas stables et que la directive européenne de 1989 relative à la sécurité et à la santé au travail, qui aurait pu servir de référence au Gouvernement, n’a pas été utilisée. Je voudrais à cet égard connaître votre avis sur la reconnaissance du Covid-19 comme maladie professionnelle.

 

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Les entreprises doivent pouvoir continuer à utiliser le chômage partiel de façon décroissante, au fil de la reprise de l’activité ; c’est ma vision des choses, et nous avons pris les textes à même de le permettre. Le pire serait de de leur interdire brutalement de recourir à ce dispositif. Si tel était le cas, tous les licenciements évités risqueraient d’être prononcés, car l’entreprise aura du mal à retrouver tout de suite une activité complète.

 

Nous avons donc prévu un système en biseau. Par exemple, une entreprise de cinquante salariés reprenant progressivement son activité ne rappellera au départ que dix d’entre eux ; elle réactivera leur contrat de travail, ils travailleront et seront payés normalement. Les quarante autres resteront en chômage partiel et, la semaine suivante, dix nouveaux salariés pourront être réintégrés. Nous prévoyons ainsi d’accompagner la reprise de manière progressive.

 

Une des ordonnances que nous avons prises ce matin permettra d’utiliser l’activité partielle à titre individuel. Une entreprise qui reprend son activité peut n’avoir besoin que de quelques salariés par service, et non de services entiers ; il sera possible de procéder ainsi, avec l’accord du comité social et économique (CSE), afin que l’activité reprenne de la manière la plus souple et la plus pragmatique possible. Nous voulons accompagner la reprise de l’activité tout en sécurisant les salariés et les employeurs.

 

Nous ne savons pas encore exactement de quelle manière la France bénéficiera des différentes mesures du programme européen SURE, que nous avons soutenu – j’en parlais hier avec le commissaire chargé de l’emploi et des droits sociaux, Nicolas Schmit. Ce programme fait partie du paquet gestion de crise, et tous les États peuvent en théorie y avoir accès ; les discussions relatives aux paramètres sont en cours de finalisation au niveau européen, et une limite sera probablement fixée pour les décisions d’octroi des prêts.

 

Cet instrument de solidarité aura encore plus d’effets sur les États qui rencontrent des difficultés pour se financer sur les marchés, comme l’Italie – pour eux, il apparaît même vital. Il nous faut développer une vision d’ensemble des instruments mis à disposition, afin de voir lesquels sont les plus pertinents par rapport à la situation française et à l’ampleur des mesures que nous prenons pour protéger le monde économique et social ainsi que le secteur sanitaire. Toutes les briques ne sont pas encore empilées. Nous en discuterons notamment demain lors du sommet européen. Mais l’accès au marché n’est pas un problème pour la France, et ce n’est pas dans ce domaine que nous voulons activer les instruments européens. Quoi qu’il en soit, nous sommes convaincus qu’une vraie solidarité européenne est indispensable pour sortir de la crise et qu’elle doit se concrétiser par l’émission d’une dette commune, essentielle pour l’avenir de la zone euro et pour nos marges nationales dans le cadre de la reconstruction ; cela déterminera notre capacité à relancer l’activité de tous les pays européens.

 

Madame Rabault, je vous confirme que les salariés en arrêt de travail pour garde d’enfants basculeront à partir du 1er mai dans le chômage partiel ; les indépendants, eux, garderont le bénéfice des indemnités journalières, dans les conditions actuelles.

 

Ensuite, tous les enfants ne vont pas reprendre l’école le 11 mai – on sait bien que, si l’arrêt de l’activité a été brutal, la reprise ne sera que très progressive –, et le dispositif sera donc maintenu dans un premier temps, tant qu’il aura son utilité.

 

En ce qui concerne le remboursement des avances aux employeurs, dans la mesure où l’État prend en charge l’indemnisation jusqu’à 4,5 SMIC, l’administration a besoin de connaître pour chaque entreprise le salaire horaire et le nombre de salaires versés pour calculer le montant des remboursements, ce qui prend un certain temps. Pour le mois de mars, seules 55 % des entreprises ont fait une demande, et 98 % d’entre elles ont déjà été remboursées, pour un montant global de 1,5 milliard d’euros. Nous sommes donc loin des 24 milliards d’euros évoqués par M. Woerth. Cela étant, la plus grande part des demandes concernera le mois d’avril, et les chiffres seront sans doute sans commune mesure avec ceux de mars.

 

J’insiste sur le fait que, pour être remboursées, les entreprises doivent en avoir fait la demande. À partir de là, je me suis engagée à faire mieux que les deux mois de délai prévus par les textes, consciente que les TPE et les PME n’ont pas la trésorerie nécessaire : les remboursements se feront donc sous sept à dix jours à compter de la date de demande, et les banques se sont engagées à consentir des avances aux entreprises qui, en fin de mois, doivent régler les salaires.

 

Enfin, les textes indiquent que les intérimaires ont droit au chômage partiel. C’est ce que nous avons indiqué à EuroDisney qui, dans un premier temps, n’avait demandé le chômage partiel que pour ses salariés permanents. C’est ainsi que 1 300 intérimaires ont été intégrés dans le dispositif. Nous encourageons toutes les entreprises à y inclure tous leurs intérimaires en activité au moment du confinement, même si, depuis, leur contrat est terminé.

Monsieur Becht, les travailleurs indépendants qui travaillent comme collaborateurs pour des professions réglementées – concrètement, un avocat travaillant pour un cabinet – peuvent avoir recours au fonds de solidarité.

 

Pour les commerçants et artisans qui ont des dettes de TVA ou d’URSSAF mais n’ont pas accès au fonds de solidarité, nous avons fait en sorte de faciliter l’obtention de prêts bancaires. Par ailleurs, nous avons pris plusieurs mesures ces jours derniers pour étendre le bénéfice du fonds de solidarité aux TPE en difficulté. Cela ne préjuge pas de la suite, car ce sont souvent des entreprises qui connaissaient déjà des difficultés avant la crise, mais cela les aidera au moins à passer le cap.

 

Monsieur Vigier, j’ignore si nous avons ou non atteint le pic du recours au chômage partiel. Mon pronostic – mais ce n’est qu’une hypothèse – est que les demandes devraient continuer à augmenter dans les jours qui viennent, pour la raison simple que, afin de laisser le temps aux petites entreprises de se familiariser avec ce nouveau dispositif, j’ai donné jusqu’au 30 avril pour les demandes concernant non seulement avril, mais également mars. Cela explique que, chaque jour, 300 000 salariés supplémentaires sont encore pris en charge. Le mouvement risque de se poursuivre pendant quelques jours. Cela étant, près d’un salarié sur deux est désormais dans le système, ce qui fait que, en comptant ceux qui travaillent ou télétravaillent, nous ne sommes pas loin d’avoir couvert tout le monde.

 

De plus, on peut espérer une prochaine décrue du nombre de demandeurs avec la reprise de l’activité. Elle est déjà visible dans certains secteurs comme l’automobile, grâce au dialogue social et à la mise en place de mesures sanitaires adaptées. J’encourage d’ailleurs toutes les entreprises à faire de même, car mieux vaut une reprise partielle que pas de reprise du tout. Dans une économie où tout est lié, c’est l’activité qui produit l’activité.

 

Pour les hôtels et restaurants, nous n’avons pas encore statué avec le Premier ministre, le ministre de l’économie et le ministre de la santé sur la question d’un déconfinement territorial. En réalité, dans le cas de ces établissements, la question est surtout de savoir quels sont ceux qui sont configurés pour pouvoir mettre en place les mesures sanitaires et permettre le respect des gestes barrières. On ne peut se permettre en tout cas de risquer une relance de l’épidémie par manque de précautions. Il faudra donc trouver des solutions pour accompagner ces entreprises. Je pense, par exemple, à certains restaurants qui ont développé une activité de production de repas et de livraison, ce qui leur permet de garder un contact avec leur clientèle et de continuer à employer une partie de leur personnel de cuisine. On peut d’ailleurs imaginer que ce type de services soit voué à perdurer après la reprise de l’activité physique, pour permettre à toutes ces entreprises de survivre. Il faudra se montrer créatif.

 

En ce qui concerne la responsabilité des employeurs, notre cadre juridique est très précis : la responsabilité de l’employeur en matière de santé et de sécurité des travailleurs repose sur une obligation de moyens et non de résultat ; avant même la crise sanitaire, une entreprise du BTP qui faisait travailler ses ouvriers en hauteur, sans harnais et sans garde-corps, pouvait voir sa responsabilité pénale engagée. Afin d’éviter tout flou juridique et toute nouvelle jurisprudence liés à la définition des moyens de protection contre le Covid-19, nous avons donc élaboré, en collaboration avec le ministère de la santé, les guides de préconisations. Ils protègent à la fois le salarié et l’employeur, en servant de référence à ce que doit être une obligation de moyens.

M. Éric Ciotti, président. L’aide dont peuvent bénéficier les avocats est en effet essentielle, car une grande partie des cabinets d’avocats est menacée de disparition, et il est urgent que le service public de la justice retrouve un fonctionnement normal.

 

Mme Mathilde Panot. Le 15 avril dernier, votre ministère a sanctionné un inspecteur du travail de la Marne, Anthony Smith. Son tort : avoir fait son travail de protection des salariés, en saisissant le tribunal judiciaire en référé contre une structure d’aide à domicile qui n’avait pas pris les mesures suffisantes pour préserver la santé et la sécurité des travailleurs qu’elle employait.

 

Les alertes sur les pressions de la part de votre ministère se multiplient chez les inspecteurs du travail. Déjà, à cause d’un cruel manque d’effectifs et de la casse du code du travail que vous avez organisée, il leur était extrêmement difficile de mener à bien leurs missions de contrôle ; vous franchissez désormais un nouveau seuil dans la destruction de l’inspection du travail. En imposant l’obligation de demander l’aval de la hiérarchie avant tout contrôle, en laissant les inspecteurs sans aucune protection, si ce n’est quelques masques périmés ou en portant atteinte au droit de contrôle inopiné, pourtant indispensable, vous transformez l’inspection du travail en relais des consignes gouvernementales. C’est une violation de la convention 81 de l’Organisation internationale du travail, que la France a pourtant ratifiée. Quatre syndicats de l’inspection du travail ont d’ailleurs déposé plainte contre votre gouvernement auprès de cette instance internationale.

 

Il ne vous a pas suffi de porter la durée du travail hebdomadaire à soixante heures, d’attaquer le repos dominical, le droit aux congés et aux RTT ; en mettant à pied Anthony Smith, vous laissez penser que vous attendez de l’inspection du travail qu’elle couvre les mensonges d’État sur les masques ! La mission d’un inspecteur du travail est de protéger les salariés, pas d’assurer la poursuite à tout prix de l’activité économique : allez-vous bientôt donner des primes aux entreprises pour mise en danger des travailleurs ? Le ministère que vous dirigez a fait naître la sécurité sociale : montrez-vous à la hauteur !

 

Allez-vous réintégrer Anthony Smith et donner enfin les moyens aux inspecteurs de protéger les travailleurs, ou allez-vous rester la ministre du CAC 40 dont l’idée fixe est de casser nos droits et de détruire celles et ceux qui les protègent ?

 

M. Pierre Dharréville. On a autant de mal à comprendre la stratégie de déconfinement que la stratégie de confinement. Vous donnez le sentiment d’un entre-deux, en encourageant, comme je crois le comprendre, certaines activités à redémarrer sans attendre le 11 mai.

 

Alors que la plus grande attention doit être portée aux conditions de travail, nous apprenons que les inspecteurs du travail se seraient vus priés de mettre la pédale douce. À ce sujet, je vous demande des comptes, et je veux moi aussi protester contre la mise à pied de l’inspecteur Anthony Smith.

 

En outre, là où il y a de l’activité, les organisations syndicales doivent être autorisées à intervenir, et les tribunaux des prud’hommes doivent pouvoir juger les affaires urgentes.

 

Les personnes atteintes du Covid-19 qui ont travaillé pendant le confinement – a fortiori les soignants – ont de très nombreuses chances d’avoir contracté le virus à cette occasion, notamment lorsqu’elles travaillaient au contact du public. Nous demandons donc pour elles la reconnaissance du caractère professionnel de leur maladie et sa prise en charge par la branche AT-MP, y compris dans une logique préventive.

 

Vous avez sans doute des indications prévisionnelles sur l’évolution du chômage dans les mois qui viennent. Des mesures supplémentaires vont s’imposer, ainsi qu’une remise en cause de la réforme, notamment de son premier volet, qui doit faire l’objet d’une nouvelle négociation.

 

 

Le chômage partiel va être nécessaire pour accompagner la reprise progressive de l’activité ; sa prise en charge à 100 % doit être portée à deux SMIC. Par ailleurs, son utilisation doit être contrôlée, car il est inacceptable qu’il soit utilisé par des multinationales qui versent par ailleurs de gros dividendes.

Enfin, pour faire face à la crise et aux nécessités d’accélérer la transition écologique, ne pensez-vous pas qu’il faudrait imaginer un dispositif plus performant et plus sécurisant que le chômage partiel, qui prenne, par exemple, la forme d’un contrat de professionnalisation de nouvelle génération ?

 

M. Roland Lescure, corapporteur. J’entends qu’on vous accuse de ne pas beaucoup protéger les salariés. Il faut donc rappeler quelques données sans précédent : à peine 25 % des travailleurs français sont aujourd’hui à leur poste de travail ; 25 % sont en télétravail ; la moitié des salariés sont en chômage partiel, beaucoup sont en arrêt maladie, d’autres enfin en congé pour garde d’enfants.

 

Quant à ceux qui sont à leur poste de travail, ils ont vu leurs conditions de travail entièrement bouleversées ; c’est vrai pour les personnels de santé, qui sont en première ligne, mais également pour l’ensemble des salariés.

 

À cet égard, il faut remercier les chefs d’entreprise, les salariés et les partenaires sociaux qui ont su réorganiser l’activité dans l’urgence. Cette réorganisation va se poursuivre. En effet, lors du déconfinement progressif, il va falloir repenser dans chaque entreprise les modes de travail, mais également l’organisation des grandes chaînes industrielles. À plus long terme, il faudra également s’interroger sur la place des professions intermédiaires – les éboueurs, les caissières… – dont le rôle, insuffisamment reconnu par le passé, est apparu au premier plan à la faveur de la crise. J’aimerais donc vous entendre sur la manière dont l’État peut, en s’appuyant sur le dialogue social, repenser le monde de demain.

 

 

Vous avez évoqué l’exceptionnel filet de sécurité dont bénéficient en cette période de crise les travailleurs français. Nous avions déjà un système de protection sociale dont nous pouvions être fiers, mais il a fallu encore le renforcer pour englober tous ceux qui passaient à travers les mailles du filet. Quelles réflexions vous inspire l’universalité du système de protection à la française ? Comment voyez-vous son évolution dans l’avenir ?

Enfin, comme Philippe Vigier, j’insiste sur le fait que les employeurs ont besoin d’assurances sur les conditions de déconfinement.

 

Mme Muriel Pénicaud, ministre. J’ai deux priorités absolues : protéger les emplois, pour les salariés et les entreprises, et préserver la santé des travailleurs. Pour cela, la mobilisation de l’inspection du travail est primordiale. Nous nous sommes donc fixé pour objectif d’organiser la continuité de l’activité de l’inspection en période de pandémie, d’une part en protégeant les inspecteurs, d’autre part en leur permettant d’assurer leur travail sur le terrain.

 

La direction générale du travail, qui, conformément aux règles de l’OIT, est l’autorité centrale de l’inspection du travail, a donc donné une première instruction le 17 mars, pour garantir l’accès aux droits et demander la diffusion et l’application générale des informations sanitaires et des gestes barrières. Cela suppose évidemment une mobilisation forte de l’inspection du travail pour vérifier sur le terrain, mais les instructions de la DGT sont par ailleurs très claires : les interventions sur site doivent faire l’objet d’un échange préalable entre l’agent et son encadrement, afin de garantir les mesures de protection des inspecteurs du travail eux-mêmes. En effet, dans les cas où ces conditions ne sont pas réunies, il vaut mieux privilégier l’intervention à distance que l’intervention sur site.

 

Vous ne pouvez pas reprocher à la direction générale du travail de vouloir protéger les inspecteurs du travail qui sont aussi des agents de la fonction publique. Dans ces conditions, les interventions sur site sont réservées aux cas où le respect des gestes barrières et des consignes de protection sont une impérieuse urgence. Une première dotation de 60 000 masques a été attribuée au ministère du travail, essentiellement destinée aux inspecteurs remplissant ces missions ; le cas échéant, elle pourra faire l’objet d’un réassort.

 

Ces dernières semaines, les inspecteurs du travail ont donc fait de nombreuses interventions, soit à distance, soit dans le cadre de réunions – à distance – des CSE en cas de droit d’alerte, soit sur site.

 

On peut penser ce qu’on veut, moi je ne crois qu’aux faits. Je le dis fermement : jamais le ministère du travail, à quelque niveau que ce soit, n’a interdit ou n’interdira des interventions. En revanche, il est normal que l’action du service public fasse l’objet de procédures, ce qui est d’ailleurs conforme à la convention 81 de l’OIT, laquelle prévoit que chaque membre de l’organisation adhérant à111111 la convention dispose d’un système d’inspection. L’inspection du travail n’est pas une addition d’agents, mais un système global.

 

Elle est du reste parfaitement mobilisée pour assurer la protection des salariés. Ainsi, quarante‑deux mises en demeure ont déjà été notifiées par les DIRECCTE. Si certaines ont fait la une, on ne peut pas dire que nous empêchions les inspecteurs de travailler. Le cadre national prévu par les conventions de l’OIT les protège aussi. L’inspecteur de la Marne que vous citez a vu ses fonctions suspendues à titre conservatoire à la suite de plusieurs faits considérés comme fautifs, puisqu’il a méconnu de façon délibérée, grave et répétée les instructions de l’autorité centrale de l’inspection du travail. Il a par exemple enjoint aux employeurs des conditions de maintien de l’activité non conformes aux prescriptions des autorités sanitaires. Il est intervenu hors de sa compétence territoriale et a également développé des pratiques internes non conformes aux règles professionnelles et déontologiques. La procédure disciplinaire engagée par l’administration lui permettra de se défendre pleinement. Comme les textes le prévoient, il conservera son traitement durant toute la procédure. Plus que jamais, le souci de l’intérêt général doit prévaloir, et les agents publics doivent être exemplaires.

 

Les conseils de prud’hommes continuent de travailler à distance. Le droit de recours n’est évidemment pas suspendu. Je ne connais néanmoins pas leur date de reprise, que j’espère la plus prochaine possible.

S’agissant de la reconnaissance du Covid‑19 comme maladie professionnelle, la situation des soignants est particulière, dans la mesure où ils sont exposés à des charges virales très importantes. C’est pourquoi le ministre de la santé a souhaité qu’ils bénéficient automatiquement de la présomption d’imputabilité. Si un salarié estime qu’il a contracté le virus dans son cadre professionnel et qu’il a des séquelles, il pourra saisir l’autorité compétente pour faire valoir ses droits.

 

Je ne dispose pas d’indications prévisionnelles concernant le nombre de demandeurs d’emploi. Avec Pôle emploi, nous préparons la reprise, conscients qu’il faudra porter une attention particulière aux plus vulnérables, les chômeurs de longue durée et les jeunes.

 

Vous avez regretté que les multinationales puissent recourir au chômage partiel. Cet instrument n’a pas été conçu pour telle ou telle entreprise, mais pour protéger les salariés. La priorité accordée aux petites entreprises fonctionne, puisque seulement 5 % des salariés en chômage partiel travaillent dans les grandes entreprises, à l’exemplarité desquelles nous sommes particulièrement attentifs. À l’occasion d’un échange avec une dizaine de patrons de grandes entreprises, j’ai ainsi suggéré qu’ils revoient leurs demandes pour qu’elles restent raisonnables, ce qu’ils ont fait. Le chômage partiel doit être le dernier recours, quand le télétravail est impossible.

 

Pour ce qui est de votre appel à proposer un contrat de professionnalisation nouvelle génération, je ne peux vous répondre aujourd’hui ; mais il est clair que toute une série d’instruments que nous utilisons actuellement devront être adaptés à la reprise de l’activité. Nous discuterons de ceux qui sont les plus efficaces. Il nous faudra être imaginatifs.

 

Le sujet de l’organisation du travail est devenu central. Beaucoup d’entreprises ont découvert le télétravail à l’occasion de la crise. Cette expérience d’un télétravail massif, qui concerne environ 5 millions de salariés, va donner de nouvelles idées et de nouvelles envies, mais imposer aussi de revoir l’organisation du travail. Ce chantier suppose un très haut niveau de dialogue social. Au niveau national, le dialogue avec les organisations syndicales et patronales est aussi intense que constructif. Les conditions de la relance et les questions de santé et de sécurité des travailleurs suscitent une attente forte des branches, avec lesquelles nous discutons. En réalité, la clé de la reprise est sur le terrain. Notre rôle est d’encadrer, de donner des supports, des guides, des points de repère et de sécuriser ; mais, à la fin, il y aura un chef d’entreprise qui réunira son CSE, ses organisations syndicales et qui discutera avec ses salariés pour mettre en œuvre les gestes barrières et organiser le travail. C’est le dialogue social de terrain qui fera la différence dans la relance.

 

Il était prévu cette année de mener une grande réforme de la santé et de la sécurité au travail. L’actualité nous a rattrapés en installant durablement ce sujet au cœur du monde du travail.

 

Nous avons décidé très pragmatiquement d’aller vers un système universel de chômage partiel, après avoir constaté qu’il y avait beaucoup de trous dans la raquette. C’est désormais un acquis, dont nous espérons ne pas avoir besoin dans une telle ampleur, bien sûr. Nous aurons beaucoup de leçons à tirer de la crise. La réassurance des employeurs quant à leurs responsabilités est l’une des deux conditions de la reprise, avec la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.

 

Mme Émilie Bonnivard. Il est nécessaire d’effectuer les remboursements des salaires dans un délai convenable. L’Agence de services et de paiement (ASP) est‑elle en mesure de traiter massivement des dossiers ? Dans quelles conditions les banques accepteraient‑elles un tuilage entre le versement des salaires et ce remboursement ? Y aura‑t‑il des frais ?

 

Par ailleurs, envisagez‑vous de maintenir, après la reprise, les conditions de chômage partiel s’appliquant à l’activité partielle, et sous quelle forme ?

 

Les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration et de l’événementiel seront les plus touchés. C’est pourquoi il est essentiel d’annuler la taxation supplémentaire des contrats à durée déterminée d’usage (CDDU), afin d’alléger au maximum leurs charges et de leur donner plus de souplesse.

 

L’application de la réforme de l’assurance chômage pour les contrats saisonniers doit être reportée au 1er septembre. Il nous semble impératif de la reporter au-delà de cette date, de sorte que les saisonniers bénéficient d’une indemnité chômage complète.

 

M. Jean-Noël Barrot. Les guides de bonnes pratiques, élaborés par votre ministère en lien avec les fédérations professionnelles, doivent servir de base à la définition de la responsabilité des employeurs. Dans quels secteurs et pour quels salariés ces guides, permettant aux chefs d’entreprise de reprendre leur activité dans de bonnes conditions, sont‑ils d’ores et déjà disponibles ?

 

Serait‑il possible de favoriser l’emploi des demandeurs d’asile, des étudiants étrangers et des saisonniers étrangers dans certains secteurs, notamment agricoles, qui ont habituellement recours à des travailleurs étrangers mais qui, en raison de la fermeture des frontières, souffrent d’une carence de main-d’œuvre à un moment où leur activité pourrait reprendre ?

 

M. Boris Vallaud. Les employés à domicile ont vu leur activité réduite, voire suspendue par la crise. Des mesures d’indemnisation exceptionnelles leur permettent de bénéficier de 80 % du montant net des heures non réalisées. Alors que le SMIC est compensé à 100 %, que prévoyez‑vous pour compenser auprès de ces familles modestes, disposant souvent d’une rémunération inférieure au SMIC, la perte de 20 % de leur salaire net ?

Des organisations syndicales nous ont alertés sur le comportement, marginal je l’espère, d’employeurs dans le secteur de la santé privée. Elles font état de pressions sur les personnels pour les contraindre à solder leurs congés, leurs RTT et leurs heures supplémentaires, en dehors de toute négociation. On nous a également rapporté le cas de compteurs d’heures négatifs, qui permettraient de faire travailler, à la reprise, au‑delà des heures légales sans payer d’heures supplémentaires. Ces entreprises s’appuieraient sur la possibilité exceptionnelle ouverte par la période actuelle de déroger au droit du travail. Avez‑vous connaissance de tels comportements ? Que pouvez‑vous faire pour les interdire ? Pouvez‑vous nous assurer qu’il n’y aura pas de dérogations disproportionnées aux droits du salarié lorsque l’activité reprendra ?

 

L’ordonnance du 1er avril a élargi temporairement les missions des services de santé au travail. Elle permet à la médecine du travail de prescrire des arrêts maladie en rapport avec le Covid‑19, ainsi que de procéder à des tests de dépistage. Sous quelle forme les arrêts maladie seront‑ils délivrés ? La reprise après arrêt sera‑t‑elle également à la main des médecins du travail ? Par ailleurs, de quels tests parlez‑vous ? Les tests PCR sont réservés aux laboratoires d’analyses. Comment cela va‑t‑il se passer ? Qui les financera ?

 

Mme Sophie Auconie. Si l’administration sait habituellement se montrer très exigeante, les conditions exceptionnelles actuelles devraient l’inviter à se montrer tout aussi exceptionnelle à l’égard de nos entreprises et de nos concitoyens. Un seul exemple : une entreprise de ma circonscription, qui met à disposition ses locaux, son encadrement et ses machines pour fabriquer des masques, a besoin d’embaucher des fonctionnaires, ce qui lui est d’autant plus difficile que l’administration fonctionne au ralenti. Ne serait‑il pas opportun de simplifier les dispositifs, afin d’éviter les ratés, les lenteurs et les procédures inutiles que déplorait le Président de la République lui‑même dans sa dernière allocution ?

 

Avant la crise, le Gouvernement avait entamé une réflexion pour réformer la médecine du travail, dont le coût pèse sur nos entreprises. Chaque salarié doit en effet verser une cotisation annuelle pour une visite qui n’a lieu que tous les cinq ans, quand il y a un médecin… La conjoncture nous impose d’alléger ces coûts.

 

Plusieurs filières agricoles, dont la viticulture, ont besoin de faire appel à des travailleurs saisonniers étrangers. Une directive permettant leur circulation est appliquée par plusieurs pays. Quand la France se décidera‑t‑elle à accueillir ces travailleurs indispensables ?

 

Mme Muriel Pénicaud, ministre. L’ASP s’est entièrement adaptée pour que les remboursements aient bien lieu dans les sept à dix jours. Les banques, qui bénéficient du dispositif de prêts garantis par l’État (PGE), peuvent accorder en toute sérénité des prêts aux entreprises. Nous verrons fin avril si elles ont pleinement joué le jeu et assuré leur rôle de relais. Rappelons tout de même que le délai du dispositif originel, pour 821 000 entreprises, était de deux mois !

 

Quelles règles faudra-t-il conserver en matière de chômage partiel ? Nous tirerons les leçons de ce qui aura été fait, mais il est certain que la douzaine de catégories que nous aurons intégrées devra continuer à bénéficier de ces dispositions. Le chômage partiel doit couvrir un champ large. Nous déterminerons les conditions particulières quand nous aurons plus de recul.

 

La taxation de 10 euros des CDDU avait été décidée en loi de finances pour 2020, dans un contexte marqué par une forte reprise de l’activité et une précarisation phénoménale : neuf emplois sur dix étaient de très courte durée, sept CDD sur dix étaient conclus pour moins d’un mois et un tiers d’entre eux pour moins d’une journée. J’ai suspendu cette taxation ; nous verrons par la suite ce qu’il faut conserver ou modifier.

 

J’ai repoussé l’application des nouvelles mesures concernant les « permittents » du 1er avril au 1er septembre. La priorité est de protéger l’emploi, les entreprises et les salariés, et de permettre la reprise de l’activité en garantissant un niveau extrêmement élevé de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.

 

Monsieur Barrot, le site du ministère du travail met à disposition trente-trois guides élaborés avec des professionnels et des experts, après avis des partenaires sociaux. Ils fournissent des informations pratiques tout en apportant de la sécurité juridique. Ils ont d’abord couvert des secteurs tels que la distribution alimentaire, l’agriculture, la logistique et les transports, avant d’être étendus à de nombreux autres métiers, comme la collecte des ordures ménagères. Outre la trentaine de guides qui vont être publiés dans les jours qui viennent – nous en avons déjà fait paraître un consacré au commerce de détail –, nous avons l’ambition de diffuser, d’ici au 11 mai, un guide générique, transversal, détaillant les conditions de reprise de l’activité et les gestes barrières.

 

L’agriculture embauche chaque année, au printemps, 200 000 saisonniers, dont 70 000 travailleurs détachés. Les frontières sont quasiment toutes fermées en Europe. La France ne saurait prendre un risque épidémique en rouvrant unilatéralement les siennes. Nous avons conclu des protocoles avec plusieurs pays pour permettre le recours aux travailleurs frontaliers, mais il n’est pas envisageable de le faire pour les travailleurs détachés. Par ailleurs, beaucoup de demandeurs d’emploi sont prêts à travailler dans le domaine agricole. Enfin, nous avons permis le cumul, pendant quelques semaines, des allocations de chômage partiel et de la rémunération du travail agricole, ce qui a attiré beaucoup de candidats. En complément, nous avons autorisé la venue de travailleurs saisonniers espagnols, qui viennent chaque année et sont formés, et nous avons rédigé des guides de sécurité en espagnol. La directive sur le travail détaché ne s’appliquant qu’au 1er juillet, nous leur imposons de signer un contrat de travail de droit français. Avec la FNSEA et Pôle emploi, nous avons créé une plateforme de recrutement de travailleurs saisonniers qui pourra être pérennisée.

 

Monsieur Vallaud, les assistantes maternelles et les employés à domicile sont désormais éligibles au chômage partiel. Nous avons créé un dispositif exceptionnel, avec le concours de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), sur le site du chèque emploi service universel (CESU). Une ordonnance adoptée ce matin en Conseil des ministres permet de couvrir toutes les heures chômées par les assistantes maternelles. Aujourd’hui, le chômage partiel repose sur une durée de travail présumée de 35 heures, alors que les assistantes maternelles exercent très souvent 40 à 45 heures.

 

Vous faites part de pressions concernant les RTT, les congés payés et le compte épargne temps. Nous avons précisé les règles par voie d’ordonnance. En droit du travail, un employeur peut fixer les dates de congés payés en respectant un préavis d’un mois. En l’occurrence, nous avons prévu qu’un salarié pouvait être contraint de prendre une semaine de congé en étant prévenu un ou deux jours à l’avance, sous réserve de l’accord du CSE. Un grand nombre d’entreprises l’ont fait, les salariés étant conscients de la situation de leur entreprise et de l’emploi. L’employeur peut aussi mobiliser les RTT et le compte épargne temps. Il peut tenir compte du ralentissement de l’activité en cas d’annualisation du temps de travail. À défaut, le compte d’heures négatif serait illégal et sujet à sanction. J’ai été alertée sur ce sujet par plusieurs organisations syndicales ; des contrôles sont en cours.

 

Le décret concernant la prescription d’arrêts maladie par les médecins du travail sera prochainement publié. Les visites de reprise pourront avoir lieu, notamment pour les plus fragiles. Nous avons estimé que nous aurions besoin de tous les médecins, y compris des médecins du travail, dans le cadre de la mobilisation générale concernant les tests, et avons donc pris une ordonnance à cette fin. Les tests ne sont pas encore généralisés ; le ministère de la santé déterminera quels types de tests seront réalisés, quand et dans quelles conditions. Le secret médical devra être protégé.

 

Madame Auconie, je n’ai pas été alertée sur les difficultés d’embauche, notamment de fonctionnaires ; je vous invite à me transmettre vos informations. Je salue les nombreuses PME qui se sont lancées dans la fabrication de masques homologués, à l’instar du groupe Résilience, qui regroupe vingt entreprises d’insertion et conduit cette activité au profit des services de secours aux plus vulnérables, avec le concours de Thibaut Guilluy, haut-commissaire à l’inclusion dans l’emploi et à l’engagement des entreprises.

 

M. Bertrand Pancher. Allez-vous définitivement abroger la réforme de l’assurance chômage, dont la dette s’élève à 42 milliards et atteindra bientôt 50 milliards dans le cadre du financement du chômage partiel ? Le Gouvernement fait contribuer l’UNEDIC à hauteur d’un tiers, ce que celle-ci sera incapable d’assumer à moins de réduire substantiellement les allocations chômage. Avant la crise, la diminution des allocations fut dénoncée pour son injustice et son inefficacité. Il serait invraisemblable de maintenir ce choix, d’autant que le chômage risque de s’envoler. N’ajoutons pas de la souffrance sociale aux autres crises ! Ne serait-il pas plus rationnel que l’État prenne en charge les surcoûts du chômage partiel ?

 

Sans matériel de protection, les entreprises ne pourront reprendre l’activité. C’est partout la cacophonie. Chacun y va de son initiative. Or les entreprises ont besoin de masques immédiatement. Quel rôle de coordination jouez-vous en la matière ?

 

Les entreprises qui redémarrent travaillent souvent à perte, les mesures de sécurité coûtant, par exemple, 40 euros par jour et par salarié dans le BTP. Êtes-vous prête à soutenir la défiscalisation des heures supplémentaires et du travail les jours fériés ? Avez-vous d’autres propositions ?

 

Pour éviter l’extrême pauvreté, pourquoi ne pas envisager le revenu universel, auquel l’Espagne travaille et que le pape François appelle à généraliser ?

 

M. Éric Coquerel. Je m’étonne que vous ayez refusé nos amendements pour interdire les licenciements, comme cela a été décidé en Espagne. La reprise de l’activité le 11 mai fait courir un risque de contagion à la population et de relance du virus, si celui-ci n’est pas saisonnier. Vous avez choisi cette date plus en fonction de la concurrence internationale que du nombre de masques et de tests que vous posséderez. Comment ferez-vous en sorte que toutes les entreprises, y compris les PME – alors que les grands groupes risquent de saturer le marché – équipent leurs salariés de masques chirurgicaux ? Comment vous assurerez-vous du niveau de protection dans les entreprises où aucun syndicat n’est présent, singulièrement dans les secteurs ubérisés qui risquent de se développer ? Confirmez-vous qu’il appartiendra au conseil de prud’hommes de contrôler le droit de retrait, sans interférence du Gouvernement ?

 

M. Stéphane Peu. Pierre Dharréville ne dénonçait pas le fait que les grandes entreprises puissent recourir au chômage partiel, mais s’étonnait qu’elles aient la possibilité, dans le même temps, de verser des dividendes. Le Gouvernement entend-il corriger cette anomalie ?

 

Je vous ai interrogée il y a quelques semaines sur l’entreprise SFR, où les syndicats protestent contre la mise au chômage partiel de plus de 5 000 salariés alors que ceux-ci pourraient télétravailler – les deux statuts se cumulant parfois. Aurez-vous un discours un peu moins attentiste sur ces abus ?

 

On relève des inégalités dans le versement des primes au sein de la grande distribution, par exemple pour les salariés ayant un contrat de moins de vingt-huit heures, ce qui est le cas de beaucoup de femmes. Par ailleurs, certaines cliniques privées refusent de verser des primes. Peut-on encadrer ces pratiques ?

Mme Barbara Pompili, corapporteure. Un des principaux enjeux du déconfinement sera l’accès des personnes retournant au travail aux transports en commun dans des conditions optimales de sécurité sanitaire, notamment aux heures de pointe. Pourra-t-on décaler certains horaires de travail et, éventuellement, poursuivre le recours au télétravail ? Coordonnez-vous votre action avec le ministère des transports ?

 

Certains territoires, tels que les zones touristiques, de montagne ou littorales, sont particulièrement exposés à la baisse de l’activité. Des mesures spécifiques seront-elles prises pour accompagner les saisonniers et les entreprises ?

On relève des lenteurs dans la prise en compte des dossiers par les DIRECCTE. Constatez-vous de fortes disparités territoriales dans les délais de traitement des dossiers ?

 

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Il y a un an, monsieur Pancher, nous constations qu’il fallait réformer l’assurance chômage, notamment pour lutter contre la précarité qui s’était installée quasiment comme la norme d’embauche. Nous voulions à la fois protéger les salariés et inciter au retour à l’emploi, dans un contexte marqué par la baisse du chômage – il y a deux mois et demi, le taux était au plus bas depuis onze ans : 8,1 % pour la France entière et 7,9 % en métropole. Par ailleurs, notre système d’assurance chômage avait accumulé un déficit très important – 33 milliards d’euros, soit l’équivalent d’une année de cotisations –, garanti par l’État et entrant dans la définition de la dette, laquelle augmente très fortement. Il est évident que, lorsque le chômage augmente, il y a moins de ressources, en raison de la diminution des cotisations, et plus de dépenses. C’est la raison pour laquelle il est sain de faire des réformes permettant à la fois d’améliorer la fluidité du marché du travail et de faire quelques économies pour parer ultérieurement les coups durs.

 

Force est de reconnaître que la crise actuelle a pris tout le monde par surprise. Par définition, personne ne peut prévoir des crises comme celle-ci. Le régime d’assurance chômage n’avait pas eu le temps ces dernières années de résorber sa dette extrêmement élevée. Pourquoi mettons-nous un tiers de la dépense engagée à la charge de l’UNEDIC ? Parce que le chômage partiel fonctionnait déjà ainsi : l’État en assumait les deux tiers et l’UNEDIC un tiers – tout en sachant, encore une fois, que la dette de cette dernière est garantie par l’État. Désormais, l’enjeu dépasse la question financière, même si celle-ci existe aussi, bien entendu. Après la crise, lorsque nous connaîtrons exactement le niveau de la reprise de l’activité, celui des embauches et le taux de chômage – bien expert celui qui saurait le dire à l’avance –, nous étudierons la situation du régime d’assurance chômage. Pour l’instant, nous travaillons quinze à dix-huit heures par jour à sauver les emplois, protéger les salariés et éviter les défaillances d’entreprises. La réflexion à moyen terme est nécessaire et je salue votre capacité d’anticipation. Mais, je vous le dis très honnêtement, je n’ai pas le temps d’y travailler avec mes services. Ma priorité est de sauver des emplois tout de suite et de faire en sorte que le travail puisse reprendre tout en assurant un excellent niveau de santé et de sécurité pour les travailleurs.

 

Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances, a été chargée par le Premier ministre de coordonner l’action concernant la production et l’approvisionnement en masques – en dehors des professionnels de santé, dont l’approvisionnement est organisé par ailleurs. Outre les masques chirurgicaux et FFP2, une troisième catégorie de masques dits grand public a été homologuée. Ils garantissent un niveau de protection tout à fait comparable. Nous sommes en train à la fois d’en importer massivement et d’en produire – ce qui est nouveau, car la France ne fabriquait pas de masques. Nous avons agi de manière extrêmement rapide. D’ici au 11 mai, une centaine de producteurs fabriqueront au moins 17 millions de masques par semaine. Ces masques en tissu, à destination du grand public et des professionnels, peuvent être lavés et réutilisés vingt à trente fois, ce qui change tout – les masques chirurgicaux sont quant à eux à usage unique. Quatre pays en Europe, dont la France, sont en mesure d’en produire. Grâce à cela, la population sera très largement équipée, ce qui lui permettra de travailler et d’emprunter les transports. En ce qui concerne la distribution, un travail est en cours avec les fédérations professionnelles et les organismes consulaires pour déterminer le rôle des uns et des autres. Il faut éviter, effectivement, que les masques arrivent dans les grandes entreprises mais pas jusque chez l’artisan ou le commerçant parce que ces derniers ne sauraient pas comment s’en procurer.

 

Nous avions le même problème s’agissant des gels hydroalcooliques. Avant la crise, notre production était de l’ordre de 48 000 litres par jour en France ; nous en produisons désormais 500 000 litres, ce qui est suffisant. La réactivité des professionnels mérite d’être saluée.

 

En ce qui concerne les coûts supplémentaires induits par l’instauration de règles de sécurité, pour l’instant seul le BTP nous a fait remonter des informations. Nous avons demandé aux professionnels des cas concrets pour mesurer l’ampleur du phénomène et décider si nous pouvons – et devons – participer à la prise en charge. Ces coûts ne sont pas liés à l’équipement en lui-même : c’est plutôt l’organisation du travail qui est en cause.

 

Les heures supplémentaires sont déjà défiscalisées dans la limite de 5 000 euros, et une fraction des charges salariales est exonérée. Je suis donc réservée à l’égard d’une défiscalisation accrue des heures supplémentaires dans le bâtiment, d’autant que 1,25 million de salariés de ce secteur sont au chômage partiel. La priorité est de faire en sorte qu’ils puissent retravailler. Ce ne sera d’ailleurs pas le cas de tous, car certains chantiers auront du mal à reprendre. Dans le secteur, 88 % de l’activité est à l’arrêt, alors même qu’aucune interdiction n’avait été prononcée. Nous sommes le seul pays d’Europe dans cette situation. Les heures supplémentaires ne sont donc pas le premier sujet de préoccupation : il faut commencer par remettre les gens en situation de travailler. Pour ce faire, il y a les guides pratiques. Nous travaillons aussi activement avec le ministre de l’économie et des finances et les fédérations professionnelles à lever tous les autres freins.

 

Le revenu universel est aussi une question de long terme. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans les mois qui viennent. En pleine tempête, on s’efforce de garder le cap, on ne pense pas à la traversée suivante.

 

Il a été prouvé mille fois que l’interdiction des licenciements n’est pas la bonne méthode pour protéger l’emploi, monsieur Coquerel. Cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas attentifs à la question des licenciements, mais nous aurons l’occasion d’y revenir dans le cadre du plan de relance.

 

Tout le monde craint une nouvelle vague de l’épidémie, mais nous ne pouvons pas vivre confinés pendant six ou douze mois, si tel est le temps nécessaire pour élaborer un vaccin ou trouver un traitement. La situation est inédite. Le risque zéro n’existe nulle part dans le monde. La maladie se transmet très facilement mais on constate que, partout où sont instaurés et respectés avec sérieux les gestes barrières et les bonnes méthodes de protection, le risque de propagation se trouve très fortement limité. Par ailleurs, les Français sont d’ores et déjà obligés d’aller faire des courses pour se nourrir. On ne peut pas vivre 100 % du temps à la maison. Du reste, nous devons aussi protéger l’emploi des personnes les plus vulnérables ; or, plus la crise dure, plus ses effets seront profonds et durables. S’il ne faut en rien baisser la garde s’agissant de la santé des travailleurs, nous devons aussi faire redémarrer l’activité économique sous peine de jeter dans la pauvreté et la vulnérabilité un nombre très important de nos concitoyens.

 

Que se passe-t-il là où il n’y a pas de syndicats ? Vous le savez, dans les ordonnances, nous avons prévu d’autres modes de représentation dans les entreprises de petite taille. Le syndicat reste l’option privilégiée, mais là où il n’y en a pas, un représentant du personnel élu par ses collègues peut être choisi. Si cela n’est pas possible non plus, notamment dans les toutes petites entreprises, il reste la solution d’organiser une consultation de l’ensemble du personnel, le cas échéant orale et à distance. Sur le terrain, nous mobilisons les observatoires départementaux d’analyse et d’appui au dialogue social et à la négociation, ainsi que les services de médecine du travail, qui aideront les petites entreprises à mettre en place les gestes barrières.

 

Si le salarié exerce son droit de retrait, que l’employeur considère que ce n’était pas justifié et qu’il le sanctionne, il est possible de contester la sanction devant le conseil des prud’hommes. Cela dit, cette possibilité montre justement, en creux, l’importance du dialogue social : il vaut mieux éviter que le salarié se sente contraint, du fait d’un défaut de sécurité, de faire valoir son droit de retrait et, le cas échéant, d’aller aux prud’hommes. La véritable solution consiste à créer de bonnes conditions sanitaires en instaurant les gestes barrières, en se dotant des équipements nécessaires et en respectant les guides pratiques dans l’entreprise. Le droit de retrait existe, il est plein et entier, mais la meilleure solution, c’est la prévention.

 

Monsieur Peu, je vous remercie d’avoir précisé la question de votre collègue, que je n’avais pas entièrement comprise et à laquelle, par conséquent, j’avais mal répondu. En ce qui concerne les dividendes, la position du Gouvernement est très claire : une entreprise ne peut pas à la fois en verser et demander, sur la base de difficultés de trésorerie, la garantie de prêts par l’État ou le report du paiement de ses charges sociales ; ce serait incohérent.

 

Le chômage partiel a pour objectif de protéger les salariés. Mon souci est d’éviter des vagues de licenciements massifs et, pour l’instant, nous tenons bon. Cela dit, nous avons appelé à une certaine modération. Les chiffres seront bientôt publiés. Je puis d’ores et déjà vous dire que l’immense majorité des entreprises du CAC 40, et même du SBF 120, a entendu cet appel et se montre extrêmement raisonnable. Pour les quelques cas où nous avons des doutes, nous avons engagé une action directe et bilatérale. J’ai appelé un certain nombre de dirigeants. S’agissant de SFR, nous avons étudié le cas de près. La demande de l’entreprise ne correspond pas à ce qui a été rapporté dans la presse : le chômage partiel ne concerne que les salariés des boutiques, lesquelles ne peuvent pas, objectivement, fonctionner sur la base du télétravail.

 

Vous m’avez aussi alertée sur le fait que l’application du système de primes varie beaucoup en fonction des entreprises, et même au sein d’une entreprise, par exemple selon que les salariés font plus ou moins de 28 heures. Cela relève du domaine contractuel et de la responsabilité des entreprises. Sur le plan juridique, nous ne pouvons pas intervenir. Toutefois, j’en appelle aux entreprises concernées : si nous avons instauré ce système s’adressant plus particulièrement aux salariés de deuxième ligne, qui, depuis plusieurs semaines, permettent à tous les Français d’être nourris, mais aussi d’avoir du chauffage et de l’eau, c’est parce que nous sommes conscients des efforts consentis par ces salariés. Il est important de les reconnaître et de souligner l’importance de leur métier. Si une entreprise commence à pinailler, à considérer que certains ont fait plus d’efforts que d’autres, ce n’est pas du très bon management – c’est une ancienne responsable de ressources humaines qui vous le dit. Il faut, au contraire, recréer de la cohésion sociale dans les entreprises après le traumatisme vécu par tous. Certains sont en deuxième ligne quand d’autres télétravaillent, parfois en gardant leurs enfants : tout le monde vit des choses compliquées, il faut le reconnaître. Toutes les entreprises doivent jouer le jeu. Il serait dommage de pas utiliser le cadre que nous avons prévu, car il facilite beaucoup les choses. Les entreprises qui l’auront fait constateront des effets positifs, car le climat social sera tout à fait différent par rapport à celles qui ne l’auront pas fait.

 

Madame Pompili, vous avez raison : les modalités d’accès aux transports en commun seront une question clé pour la reprise, dont on constate d’ailleurs la complexité : le travail, les transports, l’école, l’ouverture de certains services publics, tout est lié. Nous menons à cette fin un travail interministériel intense, sous l’autorité du Premier ministre. Les régions où les transports en commun constituent un moyen d’accès au travail important sont particulièrement concernées ; c’est vrai dans les grandes métropoles, bien sûr, mais pas exclusivement. Parmi les recommandations que je formulerai, il y en aura effectivement une concernant les horaires décalés. Il faudra résolument les favoriser dans un premier temps : il est beaucoup plus facile de respecter les gestes barrières si tout le monde ne se rassemble pas en même temps dans le même lieu. Il va donc falloir travailler à l’organisation des horaires de travail. De la même façon, les 5 millions de salariés en télétravail ne devront pas tous renouer immédiatement avec le travail physique à temps plein : on peut tout à fait envisager de commencer par un ou deux jours dans la semaine, par rotation. Nous devrons suivre en permanence ces deux impératifs : l’activité économique et le respect absolu de la santé. Certains territoires auront effectivement besoin d’un accompagnement plus poussé. Cela fait partie de nos discussions avec les régions, qui exercent la compétence en matière de développement économique.

 

Enfin, les différences de traitement par les DIRECCTE ont été observées pendant les quinze premiers jours. La gestion du travail partiel était pour elles une activité nouvelle ; en plus, elle a été massive. J’ai envoyé de nombreux renforts, car très peu de personnes y travaillaient. Qui plus est, les systèmes informatiques étaient obsolètes et il fallait procéder au cas par cas. Les choses sont rentrées dans l’ordre. Trois fois par semaine, dont une avec moi, des conférences téléphoniques ont lieu avec toutes les DIRECCTE. Nous avons aplani toutes les difficultés. Celles-ci étaient inévitables : nous avons voulu que le dispositif soit massif et d’application immédiate. On ne peut que se réjouir que la France ait décidé de protéger l’emploi immédiatement, massivement et sans compter. Nous ne le regretterons pas.

 

Mme Josiane Corneloup. Les fiches métiers et les guides pratiques par filière rédigés par le Gouvernement pour les employeurs et les salariés indiquent la marche à suivre pour aménager les postes et détaillent les mesures sanitaires qui doivent être respectées. Certains chefs d’entreprise craignent qu’il s’agisse de monstres bureaucratiques et que ces instructions soient impossibles à mettre en œuvre. Il faut faire preuve de pragmatisme. Ces guides ne doivent pas entraîner un surcroît de contraintes. Pouvez-vous nous donner des précisions à ce propos ?

 

Ma deuxième interrogation concerne la formation professionnelle. Une ordonnance a été prise le 1er avril pour faire face à l’urgence en la matière, dans le contexte de la crise sanitaire. Certains dispositifs ont été renforcés et adaptés afin de répondre aux besoins de formation des entreprises et des salariés placés en activité partielle ; nous ne pouvons que nous en réjouir. Toutefois, alors que la question de la formation a été renationalisée par l’État avec France compétences et que la période était propice au développement de la pratique, pourquoi n’y a-t-il pas eu de réelle volonté politique de développer la formation professionnelle ? Par exemple, une grande campagne nationale de communication destinée aux salariés en activité partielle aurait pu être organisée pour que ces derniers s’emparent pleinement de l’occasion. Il me semble tout à fait important de profiter de cette période pour former nos salariés, aussi bien pour l’après-confinement que pour préparer un avenir plus lointain.

 

Pour finir, je voudrais évoquer mon expérience : dans ma circonscription, certains restaurateurs souhaitent rouvrir et, pour ce faire, ont inventé des modes de fonctionnement tout à fait judicieux, à la fois respectueux des mesures barrières et de nature à répondre aux besoins d’entreprises qui ont elles-mêmes repris leurs activités et ont du mal à trouver des solutions de restauration le midi pour leurs salariés. Il en va de même pour les hôtels. Ne pourrait-il pas y avoir une certaine souplesse, notamment par un système de dérogations préfectorales, dans des cas très précis, tenant compte des spécificités du territoire et de la dimension des locaux concernés ?

 

M. David Habib. Je dois, à l’issue de notre réunion, téléphoner à deux chefs d’entreprise de ma circonscription qui m’ont sollicité. Le premier, M. Bordenave, carrossier à Bidos, souhaite reprendre son activité mais il veut auparavant soumettre l’ensemble de ses salariés à des tests. Le second, M. Flous, charpentier à Orthez, souhaite quant à lui équiper ses salariés de masques. Comment font-ils ? Vous n’êtes pas responsable de cette situation – vous avez, dans votre domaine de compétence, géré très correctement les choses avec votre administration. Mais reconnaissez qu’en matière de sécurité, l’improvisation est totale alors que les pouvoirs publics souhaitent une reprise de l’activité – fût-elle progressive – dans trois semaines.

 

Par ailleurs, envisagez-vous de prolonger au-delà du confinement les dérogations à la réglementation du temps de travail prévues par l’ordonnance du 25 mars, et aux règles applicables aux jours de congé des fonctionnaires et des agents contractuels, prévue par celle du 15 avril ? Si oui, comment assurerez-vous la protection effective des salariés ?

Enfin, le véritable enjeu est le rétablissement de la confiance, afin que les plus jeunes ne se sentent pas, demain, négligés par la société. Il faut donc prévoir un plan massif de retour à l’emploi, y compris pour celles et ceux qui, après avoir obtenu leur diplôme à la fin du printemps, entreront sur le marché du travail.

 

M. Jean-Christophe Lagarde. Tout d’abord, je ne veux pas oublier une catégorie de personnes dont nous n’avons pas parlé jusqu’à présent, celle des accueillants familiaux, qui accueillent à domicile notamment des personnes âgées ou handicapées et qui, bien qu’ils cotisent à l’assurance chômage depuis quelques années, n’ont pas le droit à une indemnisation et se trouvent sans ressources.

 

Ensuite, les parents salariés qui gardent leurs enfants et qui sont indemnisés par la sécurité sociale à hauteur de 100 % vont se trouver, le 1er mai, au chômage partiel et perdre de ce fait 15 % de leur revenu. Pourquoi seront-ils ainsi pénalisés entre le 1er et le 11 mai, date du déconfinement ?

 

Par ailleurs, pour travailler, il faut pouvoir emprunter les transports en commun, surtout dans les grandes métropoles – des protections seront nécessaires –, être équipé de masques – or l’État, qui n’en achète pas, ne peut pas intervenir en la matière – et, enfin, pouvoir se restaurer le midi. À cet égard, je ne comprends pas pourquoi on maintient la fermeture des cafés et restaurants alors qu’on autorisera certainement la réouverture des restaurants d’entreprise et des cantines scolaires.

 

Enfin, la législation, avez-vous dit, est claire s’agissant de la responsabilité de l’employeur : celui-ci est soumis à une obligation de moyen et non à une obligation de résultat. Or, selon les organisations d’employeurs avec lesquelles je me suis entretenu, la jurisprudence de la Cour de cassation leur impose bien une obligation de résultat. Cela fait peur à un certain nombre d’entre eux. Pouvez-vous donc préciser clairement, dans le cadre de l’habilitation confiée au Gouvernement, qu’en matière de protection des salariés contre l’épidémie de coronavirus, l’employeur ne saurait se voir imposer une obligation de résultat ? Lui incombe, en l’espèce, une obligation de moyen qui consiste, par exemple, à se conformer aux fiches du ministère du travail en cours d’élaboration. Il me paraît nécessaire de légiférer en la matière, faute de quoi nombre d’employeurs renonceront à reprendre leur activité, de crainte de se retrouver un jour devant un tribunal.

 

Mme Fiona Lazaar. Au nom de la délégation aux droits des femmes, je souhaite vous interroger sur les inégalités salariales. Des chercheurs et des représentants syndicaux nous ont en effet alertés sur le fait que beaucoup de métiers de première ligne sont, non seulement très féminisés, dans le public comme dans le privé – infirmières, aides-soignantes, travailleuses sociales, enseignantes, caissières… – mais aussi mal payés et peu reconnus. Or, l’importance sociale de ces métiers qui sont sous les feux de l’actualité est aujourd’hui évidente. Quelles pistes pourrions-nous explorer pour revaloriser ces professions ?

 

Par ailleurs, comment s’assurer que la crise n’accroîtra pas les inégalités salariales ? Comment être certain que les mères isolées, par exemple, qui n’ont eu d’autre choix que de s’arrêter pour garder leurs enfants, ne seront pas pénalisées au moment de la reprise ? L’index de l’égalité peut-il prendre en compte cette période particulière ?

 

Enfin, dans quelles conditions l’accompagnement des jeunes les plus vulnérables par les missions locales dans le cadre de la Garantie jeunes et du PACEA (Parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie) se poursuit-il ? Ne serait-il pas pertinent d’envisager une aide complémentaire ? De manière générale, comment accompagner les jeunes vulnérables qui, aujourd’hui encore, sont trop souvent hors des radars ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame Corneloup, les guides métiers, validés par les partenaires sociaux, ont été conçus par des experts de terrain pour être pratico-pratiques et applicables dans toute entreprise, quelle que soit sa taille. J’ai toute confiance dans les équipes qui se sont attelées à cette tâche – Laurent Pietraszewski contribue d’ailleurs à ces travaux.

 

En ce qui concerne la formation professionnelle, il est vrai que le message n’est pas passé auprès du grand public, mais nous avons pris des mesures importantes. Premièrement, le coût pour les entreprises de la formation de salariés au chômage partiel sera pris en charge à 100 % par le FNE-Formation, c’est-à-dire le budget du ministère. Deuxièmement, les opérateurs ont, à ma demande, développé leur offre ; le nombre des sessions de formation à distance est ainsi passé, en quelques semaines, de 100 000 à 170 000 sur le compte personnel de formation (CPF). J’observe que les centres de formation d’apprentis (CFA), qui n’étaient pas habitués à proposer des formations à distance, se sont remarquablement mobilisés, si bien que 90 % des apprentis ont pu poursuivre de cette manière leur formation théorique. Nous réfléchissons actuellement, avec les acteurs concernés, à la reprise de l’apprentissage lors de la réouverture des CFA ; à cet égard, le fait que l’enseignement théorique n’ait pas été interrompu est très important. Du reste, nous avons décidé par ordonnance de prolonger, le cas échéant, les contrats des apprentis afin qu’ils puissent aller au terme de leur formation. Nous avons également annoncé, avec le ministre de l’éducation nationale, que leurs diplômes seraient délivrés sur la base du contrôle continu et entourés des mêmes garanties d’équité, de qualité et de sérieux. Ainsi, les apprentis ne perdront pas leur année.

 

Par ailleurs, Pôle emploi propose aux demandeurs d’emploi 150 nouvelles formations à distance gratuites et rémunérées, grâce une allocation de 170 millions du plan d’investissement dans les compétences. Je crois que cette offre sera maintenue car, si les formations de ce type apportent une solution en période de crise, elles sont également utiles aux personnes qui vivent en zone rurale, à celles qui souffrent d’un handicap… Leur développement contribue donc à la justice sociale.

 

Enfin, 150 acteurs – OpenClassroom, Nathan, le Centre national d’enseignement à distance (CNED), le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)… – ont mis tout ou partie de leur catalogue en ligne à disposition des Français.

 

Les problèmes liés au chômage partiel et à la santé et à la sécurité sont si importants pour nos concitoyens qu’il est très difficile d’évoquer, notamment dans les médias, la question de la formation, perçue comme secondaire. Or, vous l’avez dit, cette période de chômage partiel ou d’arrêt de travail sans maladie est propice à la formation ; s’il y a l’école à la maison, il est bon que les adultes puissent également se former.

 

Une réflexion est en cours sur les conditions sanitaires dans lesquelles la réouverture des cafés et restaurants pourrait intervenir. La question est particulièrement difficile, car nous ne pouvons pas prendre le risque de relancer l’épidémie en permettant le regroupement d’un trop grand nombre de personnes dans des lieux clos – mais difficile ne signifie pas impossible. Je ne suis pas en mesure de vous annoncer une date ou une solution, mais la réflexion est en cours. Le guide sera évidemment très important.

 

Monsieur Habib, les gestes barrières sont les mesures les plus efficaces. On peut prescrire des tests : si ces gestes ne sont pas respectés, ils ne serviront à rien. Il en va de même pour les masques. Ceux-ci peuvent être nécessaires dans l’exercice de certains métiers, mais à titre de protection supplémentaire : dans tous les cas, les gestes barrières doivent être respectés. Actuellement, peu de tests sont disponibles. En tout état de cause, si une personne est asymptomatique, il faut la tester quotidiennement, ce qui paraît difficile. Ce qui importe donc, c’est que l’on puisse, à terme, soumettre à un test tout salarié qui présente des symptômes.

 

Par ailleurs, le guide conçu pour le secteur du bâtiment, extrêmement précis, devrait fournir à l’artisan charpentier que vous avez évoqué toutes les réponses qu’il attend. Il y est indiqué qu’un masque est nécessaire dans certaines situations précises – dans d’autres cas, il existe d’autres solutions, comme se déplacer dans plusieurs véhicules. Le site du ministère de l’économie recense les producteurs qui vendent des masques aux professionnels. Il est donc possible d’en acheter dès aujourd’hui.

Enfin, il ne faut pas que la jeunesse, qui doit déjà supporter l’endettement de l’État et qui redoute le coût de la transition écologique, ait le sentiment que la crise assombrit son avenir. Nous commencions à faire baisser le taux de chômage des jeunes, qui a été terrible ces vingt dernières années : il est encore de 18 %, certes, mais il était de 21 % il y a quelques mois. La désespérance de la jeunesse serait la pire des choses. Celle-ci sera donc, je crois, l’une des grandes priorités, notamment à travers l’apprentissage, du plan de relance que nous allons élaborer dans les semaines qui viennent. Je me réjouis que plusieurs d’entre vous, appartenant à différentes familles politiques, aient évoqué cette question, car une véritable coalition nationale sera nécessaire pour permettre aux jeunes de se projeter dans l’avenir et dans l’emploi.

 

Monsieur Lagarde, il est prévu, dans l’une des dernières ordonnances que j’ai signées, que l’ensemble des aidants familiaux, qu’ils exercent un emploi à domicile – c’est-à-dire s’ils se rendent au domicile de quelqu’un – ou qu’ils soient travailleurs à domicile – s’ils travaillent chez eux –, soient pris en compte, pourvu qu’ils aient un contrat de travail ou un salaire. Nous n’avons pas reçu d’alerte à ce sujet, mais envoyez-nous les éléments dont vous disposez : nous vérifierons.

 

M. Jean-Christophe Lagarde. Je parle de personnes qui ne sont pas employées par des particuliers, mais rémunérées par l’État ou les collectivités locales car elles accueillent des personnes placées auprès d’eux.

 

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Je ne peux pas vous répondre immédiatement, mais nous examinerons cette situation.

 

Pourquoi les personnes percevant actuellement des indemnités journalières vont-elles être placées au chômage partiel le 1er mai ? D’abord, toutes les écoles ne rouvriront pas le matin du 11 mai. Surtout, au bout d’un mois, le taux de l’indemnité versée au salarié – qui est de 90 % du salaire, si l’on ajoute le complément de l’employeur – tombe à 66 %. Or, il nous a paru important que les parents qui n’ont pas d’autre solution que de rester chez eux pour garder leur enfant ne voient pas leur rémunération chuter brutalement. Nous avons donc décidé qu’ils pourraient être au chômage partiel à compter du 1er mai. Ainsi, ils percevront 100 % de leur rémunération si celle-ci est équivalente ou inférieure au SMIC et 84 % si elle est supérieure. Ce n’est pas parfait, mais nous avons voulu une solution qui préserve leur pouvoir d’achat.

 

Il est très bien que les collectivités et les entreprises achètent des masques, mais je ne peux pas vous laisser dire que ce n’est pas le cas de l’État : il en achète beaucoup !

 

Quant à l’employeur, il est bien soumis, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, à une obligation de moyen. Mais celle-ci est une véritable obligation : un employeur qui ne ferait rien – c’est arrivé – devrait être immédiatement sanctionné. Je ne suivrais pas la personne qui me proposerait de supprimer toute obligation de l’employeur en matière de santé et de protection des salariés. Néanmoins, il nous faut renforcer notre communication en la matière car, je le constate comme vous, la peur est presque plus grande chez les employeurs que chez les salariés. Il existe une différence entre l’obligation de moyen et l’obligation de résultat, mais il n’est pas toujours facile pour un chef d’entreprise de la comprendre précisément.

 

Madame Lazaar, je vous remercie pour votre question, car nous sommes tous très attachés à l’égalité salariale hommes-femmes. De fait, beaucoup de femmes sont présentes en première mais aussi en deuxième ligne et leurs salaires sont parmi les plus bas. Il serait en effet intéressant d’étudier la manière dont nous pouvons, dans le cadre de l’index de l’égalité hommes-femmes – qui, pour le coup, prescrit des obligations de résultat –, prendre en compte de manière particulière ces métiers. De toute façon, je vais réfléchir avec les partenaires sociaux et les branches professionnelles concernées à la manière dont nous pouvons revaloriser les professions de la deuxième ligne – celles de première ligne relevant du ministère de la santé – pour que la crise n’ait pas pour conséquence d’accroître les inégalités.

 

S’agissant des jeunes accueillis par les missions locales, nous avons prolongé le PACEA et la Garantie jeunes et assoupli le dispositif, car les rendez-vous ont lieu à distance. Qu’ils soient ou non suivis par les missions locales, les jeunes en difficulté devront, je l’ai dit, être au centre de nos préoccupations. Par ailleurs, nous avons pris des mesures fortes en faveur des familles, des allocataires du Revenu de solidarité active (RSA), de l’Allocation de solidarité spécifique (ASS) ou de l’Aide personnalisée au logement (APL), de sorte que près de 4,5 millions de familles, soit 5 millions d’enfants, bénéficieront dès le 15 mai d’une aide qui leur permettra de faire face, par exemple, à la fermeture des cantines scolaires, qui a pu bouleverser l’équilibre financier extrêmement fragile des plus pauvres d’entre elles. Il est plus difficile de toucher les jeunes qui ne bénéficient pas de ces allocations et qui ne sont pas suivis par la mission locale, mais nous allons essayer de faire quelque chose pour eux dans les semaines qui viennent.

 

M. Éric Ciotti, président. Au terme de cette audition exhaustive et de qualité, au cours de laquelle vous nous avez apporté de nombreuses réponses, ce dont je vous remercie, permettez-moi de dresser un constat et de vous poser une ultime question. Nous mesurons l’ampleur du travail accompli en matière d’activité partielle et je veux, à mon tour, rendre hommage à l’ensemble des services – DIRECCTE, Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), Agence de services et de paiement (ASP), Chèque emploi service universel (CESU)… – qui, sous votre autorité, ont permis le traitement de ce volume inédit – 10,2 millions de salariés exercent désormais une activité partielle – en quelques jours.

 

Toutefois, il me semble que, pour les indépendants – commerçants, artisans, professions libérales.... –, les trous dans la raquette sont beaucoup plus importants. Il est donc nécessaire que nous allions plus loin. J’ai reçu, hier, les appels d’une hôtelière de mon village de Saint-Martin-Vésubie et d’un commerçant de la rue de la liberté à Nice qui étaient en pleurs, car ils craignent le lendemain. De fait, les indépendants sont privés du parachute dont le salarié peut bénéficier ; leur angoisse est donc considérable. Or, des mesures concrètes pourraient être prises. Ainsi, n’ont accès à la seconde partie du fonds de solidarité que les artisans et commerçants qui emploient plus d’un salarié. Dans la région PACA, 87 % des libéraux et 72 % des artisans en sont donc exclus. Par ailleurs, aucun financement n’est prévu pour les équipements de protection prescrits dans les guides métiers, qui pourraient permettre la réouverture des commerces.

 

Je vous remercie pour l’important travail qui a été accompli ; il permet d’éviter un basculement massif et immédiat vers le chômage. Nous verrons ce qu’il en sera à moyen et à long terme. Mais nous sommes face à l’exigence d’aller plus loin et de soutenir de manière plus accentuée les indépendants, les professions libérales, tous ceux qui investissent leur argent personnel dans leur activité et qui travaillent avec dévouement.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Je vous remercie d’avoir salué l’action des services ; il est important pour eux que la représentation nationale leur témoigne sa reconnaissance, car ils sont habités par l’intérêt général.

 

Les indépendants relèvent de la compétence du ministre de l’économie et des finances, mais nous collaborons étroitement en la matière. Le mécanisme mis sur pied commence à prendre de l’ampleur, puisque 1 million de petites entreprises ont demandé à bénéficier du fonds de solidarité, qui a déjà effectué 700 000 versements d’un montant moyen de 1 330 euros. Elles peuvent également bénéficier, le cas échéant, de prêts garantis par l’État. En outre, 1,7 million d’entreprises, parmi lesquelles de très nombreux indépendants, ont demandé et obtenu – puisque, s’agissant des cotisations, il est automatiquement accordé – le report de leurs cotisations sociales et impôts, pour un montant de 12 milliards. Cependant, vous avez raison de le souligner, l’équilibre financier des indépendants est souvent fragile, de sorte que tout à coup est sensible. C’est pourquoi le ministre de l’économie et des finances a décidé d’accorder des remises d’impôts directs dans le cadre de demandes individuelles. Des actions ont également été menées en faveur des petites entreprises pour qu’elles puissent reporter le paiement de leur loyer et de leurs factures d’eau, de gaz et d’électricité.

 

S’agissant du deuxième volet du fonds de solidarité, financé par l’État, les régions et les assurances, les dossiers sont en cours d’instruction au niveau régional. Le montant de l’aide, qui était limité à 2 000 euros, peut être porté à 5 000 euros. La moyenne mensuelle du chiffre d’affaires est désormais calculée sur les douze derniers mois. Le système s’améliore donc très rapidement. Je transmettrai cependant au ministre de l’économie et des finances de votre remarque sur le fait que l’accès à ce second volet est réservé aux entreprises comptant au moins un salarié. Mais, ces derniers jours, beaucoup d’améliorations ont été apportées pour élargir le spectre de ce fonds. Y ont ainsi désormais accès les entreprises en difficulté, qui ont besoin à court terme d’une bouée de sauvetage pour être sauvées. Il y va de notre tissu économique.

 

L’audition s’achève à vingt heures vingt-cinq.