Compte rendu

Délégation aux droits des femmes
et à l’égalité des chances
entre les hommes et les femmes

 Audition de M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l'Économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises               2

 

 

 


Mercredi
7 avril 2021

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 51

session ordinaire de 2020-2021

Présidence
de Mme Marie-Pierre Rixain, présidente


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La réunion est ouverte à 15 heures.

Présidence de Mme Marie-Pierre Rixain, présidente.

La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes auditionne M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l'Économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises, dans le cadre de la mission d’information sur l’égalité économique et professionnelle (Mmes Marie Pierre Rixain et Laurence Trastour-Isnart, corapporteures).

Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l’Assemblée à l’adresse suivante :

http://assnat.fr/zeGNFP

Mme Marie-Pierre Rixain, présidente. Monsieur le ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises, nous vous remercions chaleureusement pour votre participation aux travaux de notre Délégation.

La crise sanitaire a un impact fondamental sur l’égalité entre les femmes et les hommes, tant sur le lieu de travail qu’à la maison. Elle vient aggraver une situation économique et professionnelle historiquement défavorable aux femmes.

Les entreprises détenues par des femmes ont plus de difficultés à obtenir des financements, tant au niveau des banques que des fonds d’investissement. Du fait de leur souscapitalisation, les entrepreneures ont structurellement moins de capacités à résister à la guerre d’usure que représente la crise économique actuelle. Moins soutenus financièrement, les projets portés par des femmes ont été davantage susceptibles de manquer de trésorerie, mais aussi d’accompagnement, tant les investisseurs jouent un rôle crucial dans le déploiement des plans d’urgence.

Les entreprises fondées par des femmes pâtissent donc d’une fragilité financière inhérente au système de financement. Quelques chiffres : les femmes reçoivent 2,5 fois moins de fonds que les hommes à la tête de startups ; les entreprises dirigées par des femmes représentent moins de 5 % des investissements, du capital amorçage jusqu’au capital transmission ; le taux de rejet des crédits demandés par des créatrices d’entreprises est de 4,3 %, contre 2,3 % pour les hommes.

Par ailleurs, la grande majorité des femmes entrepreneures exercent dans les services ou dans le commerce, des secteurs particulièrement affectés par les fermetures administratives et les pertes de revenus. Pendant le confinement, 69 % des femmes entrepreneures ont été contraintes de suspendre leur activité, contre 49 % des hommes entrepreneurs, et 66 % n’ont pas été en mesure de se rémunérer, contre 55 % des hommes. Cette situation s’explique en partie par le poids de la charge domestique et parentale, qui incombe encore trop souvent aux femmes. Les entrepreneures, notamment à la tête de très petites entreprises, ont vu leur activité reléguée à un revenu complémentaire, voire à la variable d’ajustement pour maintenir la carrière de leur conjoint.

Ce constat particulièrement préoccupant pourrait avoir des conséquences sur l’entrepreneuriat des femmes dans un avenir proche, alors même qu’il s’agit d’une source de croissance et de dynamisme économique dont nous ne pouvons pas nous passer. C’est pourquoi nous nous interrogeons sur les leviers permettant de soutenir les entreprises détenues par des femmes et de stimuler l’entrepreneuriat des femmes, dont les chiffres stagnent depuis des années, comme l’a encore montré le Conseil économique, social et environnemental dans son rapport Femmes et entrepreneuriat.

Aussi, monsieur le ministre délégué, pourriez-vous nous indiquer les pistes auxquelles travaille votre ministère et son action en la matière, directement ou par l’intermédiaire de ses opérateurs ? Vous avez évoqué devant la délégation aux droits des femmes du Sénat la possibilité que Bpifrance crée un fonds dédié au financement de l’entrepreneuriat des femmes, pouvez-vous en dire davantage ?

De même, les freins à la reprise d’entreprise sont plus importants pour les femmes. Une combinaison de facteurs explique le faible taux de reprises d’entreprises familiales par les femmes, à commencer par la faible socialisation des filles au sein des entreprises : très tôt, elles sont beaucoup moins impliquées que les fils – je suis certaine que notre collègue Gaël Le Bohec pourra compléter ces propos. Ce constat est très justement dressé par les auteurs de l’ouvrage Le genre du capital, qui s’appuient sur l’enquête « Histoire de vie et patrimoine » de l’INSEE pour montrer que, dans les successions, les hommes reçoivent plus fréquemment des entreprises et autres bien structurants que les femmes. Or recevoir des biens plutôt que de l’argent est avantageux, car les parts en nature ont souvent plus de valeur que celles en argent, ce qui sécurise le capital du repreneur sur le plus long terme.

En outre, les inégalités de revenus entre les femmes et les hommes dans le salariat, en plus d’être injustes, réduisent également le capital que peuvent investir les entrepreneures dans leurs projets. À compétences et emploi équivalents, l’écart salarial reste de 10,5 %. Aussi, monsieur le ministre délégué, pourriez-vous évoquer les enjeux d’égalité entre les femmes et les hommes dans les petites et moyennes entreprises, qui présentent de moins bons résultats dans leur index de l’égalité professionnelle que les grandes ? L’index ne s’applique pas aux entreprises de moins de cinquante salariés, mais l’enjeu doit rester le même.

Par ailleurs, lors de nos différents travaux, nos interlocuteurs n’ont pas manqué de souligner l’avancée importante que constitue le statut de conjoint collaborateur, qui a permis une véritable reconnaissance du travail effectué par de nombreuses femmes au service de l’entreprise dirigée par leur conjoint – plus de 80 % des conjoints collaborateurs sont des femmes – et leur a ouvert le bénéfice de droits sociaux. Dans quelle mesure ce statut peut-il encore être valorisé ? Je pense notamment à la question des droits propres à la retraite ou à la formation. Le bénéfice pourrait-il en être étendu aux concubins non mariés et non pacsés ?

Plus globalement, le Président de la République vous a demandé de préparer un plan pour les indépendants : pourriez-vous nous indiquer quelle place y occupera l’égalité entre les femmes et les hommes ?

Comme vous le savez, je suis particulièrement mobilisée sur la question du congé maternité des travailleuses indépendantes, ayant activement œuvré à la réforme de 2019. Depuis le 1er janvier 2020, c’est la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) qui gère le calcul et le versement de ces droits. Celle-ci étant très peu outillée pour répondre aux demandes des travailleuses non salariées, ces dernières ont été confrontées en 2020 à de nombreux dysfonctionnements pour leur couverture maternité. Certains aspects techniques semblent petit à petit rentrer dans l’ordre, mais de très nombreuses indépendantes ayant récemment démarré leur activité se voient privées de leurs droits maternité car seuls les revenus de l’année N-1, en année civile non glissante, sont pris en compte dans le calcul de la CPAM. Ces femmes s’entendent dire qu’elles auraient eu une meilleure couverture maternité en restant sans activité professionnelle plutôt qu’en créant leur entreprise. Cette inflexibilité du système génère des inégalités et souligne à quel point la maternité est encore un facteur de discriminations dans le monde du travail. Quelles réponses pouvons-nous apporter à ces femmes qui travaillent et dirigent des entreprises dans une période difficile que la maternité ne devrait pas aggraver ?

Ces questions nourriront les travaux des missions d’information en cours dans notre Délégation. Celle que je mène avec Laurence Trastour-Isnart, « Travailler, entreprendre, gouverner : accélérer l’égalité économique et professionnelle » s’attache à décomposer les mécanismes à l’œuvre derrière les inégalités économiques et professionnelles. Elle étudie trois grands axes : l’entrepreneuriat, l’accès au marché du travail et la gouvernance économique. Une autre, menée par Gaël Le Bohec et Karine Lebon, s’intéresse aux stéréotypes de genre. En effet, nous constatons régulièrement la persistance de biais de genre favorisant l’orientation des femmes vers certains secteurs.

M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises. Permettez-moi de féliciter les membres de la Délégation pour les travaux qu’ils mènent. La proposition de loi visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle, qui sera débattue dans quelques semaines, permettra de poursuivre les travaux sur l’égalité femmes-hommes dans le monde professionnel et c’est heureux. La crise sanitaire, dont les conséquences sociales et professionnelles pèsent en particulier sur les femmes, appelle à poursuivre nos efforts.

Au sein du portefeuille ministériel dont j’ai la charge, plusieurs leviers peuvent être actionnés pour encourager l’égalité femmes-hommes dans la vie économique. Dans les domaines de l’éducation, de la formation et de l’orientation, il faut favoriser la mixité des métiers. Il faut également travailler sur l’entrepreneuriat et l’accès au financement, sur la représentation des femmes dans les organisations patronales et syndicales et sur les différentes dispositions du plan pour les indépendants que le Président de la République m’a demandé de préparer.

S’agissant de l’éducation, nous devons poursuivre nos travaux en faveur de la féminisation et de la mixité dans les métiers, avec davantage de pédagogie, de formation et de communication. Toute disposition visant à renforcer la représentation des femmes, l’égalité dans les établissements du supérieur et la mixité des métiers sera bienvenue.

Cette sensibilisation de long terme est un levier essentiel pour encourager l’entrepreneuriat au féminin. Il faut construire des role models et former les enseignants pour lutter contre les stéréotypes de genre. Nous avons évoqué ce sujet il y a quelques jours, madame la présidente : il y a beaucoup d’efforts à faire dans le monde de l’éducation sur l’entrepreneuriat en général, et particulièrement l’entrepreneuriat au féminin. Dès les classes de quatrième et troisième, il faut faire en sorte que ces éléments soient intégrés à la représentation que les jeunes se font de leur avenir, et que chacun ait les bonnes informations au moment du choix de son orientation.

Concernant le financement, la priorité est de mieux identifier les freins et les difficultés d’accès. Sans données chiffrées, aucun axe de progression ne peut être envisagé : il faut mesurer pour progresser. C’est une demande des réseaux d’accompagnement féminins, que j’ai rencontrés à plusieurs reprises au cours de neuf derniers mois. Cette préconisation figure aussi dans l’étude du Conseil économique, social et environnemental Femmes et entrepreneuriat. Je suis favorable à l’instauration d’une obligation de transparence à l’égard de Bpifrance et de l’ensemble des établissements bancaires afin de déterminer les éventuels biais de genre.

La recherche de financements pour lancer son entreprise doit être distinguée de la levée de fonds. Des dispositifs sont prévus par Bpifrance, mais des marges de progrès existent. L’article 8 de votre proposition de loi va à cet égard dans le bon sens. Il vise à améliorer le financement des entrepreneures en introduisant des objectifs de mixité dans la politique de soutien à la création et au développement d’entreprises de Bpifrance, notamment en jouant sur la composition des comités de sélection des projets et des équipes dirigeantes des projets bénéficiaires. Je souhaite également que l’on étudie la création d’un fonds spécifique pour l’entrepreneuriat au féminin, qui soit bien identifié par l’ensemble des femmes qui souhaitent se lancer comme un outil mis à leur disposition. D’autres dispositifs existants, comme la garantie égalité femmes, sont peu utilisés et pourraient être renforcés et mieux connus. Pour ce faire, nous avons besoin d’objectiver les difficultés d’accès au financement.

S’agissant de la représentation des femmes, il est évident que des progrès restent à faire. Il est difficile d’imposer des objectifs chiffrés dans les organisations professionnelles sectorielles : l’égalité n’est pas possible dans les métiers de l’esthétique ou du bâtiment ! On peut toutefois encourager la parité dans les organisations interprofessionnelles et les réseaux consulaires, en prévoyant une concertation préalable et un calendrier raisonnable. Dans mes fonctions précédentes, j’avais agi pour que cet objectif soit inclus dans les règles des chambres de métiers et de l’artisanat. Des progrès restent possibles dans le réseau des chambres de commerce et d’industrie, et j’aborderai la question avec Pierre Goguet, président de CCI France.

Concernant les indépendants, j’ai très longtemps travaillé pour améliorer le statut du conjoint collaborateur. Ce statut, qui n’est apparu qu’en 1982, a été amélioré au fil des années. La loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (loi PACTE) en particulier a permis des avancées importantes. Je souhaite proposer au Président de la République d’élargir ce statut aux concubins, comme c’est le cas dans le secteur agricole, en y attachant des droits propres et simplifiés.

L’entrepreneuriat au féminin est au cœur du rebond de notre économie. Il est temps de dépasser le plafond de verre qui limite la proportion de créatrices d’entreprises à 30 % depuis vingt ans, alors qu’il existe dans nos territoires un nombre important d’entreprises qui ne trouvent pas preneur. Pour les reprises d’entreprises justement, je souhaite également faire des propositions dans le cadre du plan pour les indépendants. Ce dernier contiendra des mesures portant sur le statut juridique, la protection sociale, la transmission, la formation et s’adressera à tous les entrepreneurs, femmes comprises. Dans la population active, 82 % des femmes ont envisagé l’entrepreneuriat parmi leurs choix professionnels, et 86 % des hommes. L’écart final constaté au moment de la concrétisation des projets ne peut donc s’expliquer par une différence dans le vivier disponible. En offrant un environnement juridique, fiscal, réglementaire et social simplifié et sécurisé, en encourageant la formation et la reconversion, en facilitant la transmission et la reprise d’entreprises, je suis convaincu que ce plan pour les indépendants lèvera de nombreux freins et permettra aux femmes tentées par l’entrepreneuriat d’aller au bout de leur démarche.

La diversité des profils et des parcours fera la force de notre tissu économique. Les femmes auront toute leur part pour innover dans nos territoires et reprendre les entreprises cédées, qui seront assez nombreuses dans les années à venir en raison des départs en retraite.

Sur ces différents points, je suis preneur de toute proposition pour encourager l’entrepreneuriat au féminin et créer avec vous les synergies possibles et souhaitables entre la proposition de loi visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle et le plan pour les indépendants, en vue d’améliorer la place des femmes dans la vie économique.

Mme Sophie Panonacle. Ma question concerne le financement des projets féminins. Vous avez parlé de la création d’un fonds spécifique à l’entrepreneuriat féminin : c’est une solution, mais je trouve qu’il est terrible d’en arriver là. Les banques ne sont pas mises face à leurs responsabilités, alors qu’elles financent moins les projets et l’entrepreneuriat féminins. Ne pourrait-on pas envisager, à l’instar de l’index de l’égalité professionnelle, une sorte d’index des banques – la formulation importe peu – qui permettrait d’assurer plus de transparence quant aux acteurs qui jouent le jeu ou non ? J’ignore si c’est de votre ressort, mais ne pourrait-on faire savoir publiquement quelles banques refusent de financer des projets féminins ?

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Je suis totalement d’accord. C’est une réflexion à mener dans le cadre du texte que nous avons tous signé.

M. Gaël Le Bohec. S’agissant de la Banque publique d’investissement (BPI), ou Bpifrance, qui est rattachée à votre ministère, vous avez parlé de façon assez politiquement correcte de « marges de progrès ». Je serai un peu plus exigeant que vous.

Nous avons demandé à la BPI au nom de la Délégation, dans un courrier du 9 avril 2020 que nous pourrons vous transmettre, si elle avait créé des indicateurs permettant de garantir que son action était égalitaire et que la question du genre était bien intégrée dans l’ensemble des soutiens apportés au monde de l’entreprise, en rappelant que le Président de la République avait décidé de faire de l’égalité femmes-hommes une grande cause du quinquennat. Il a fallu attendre un an pour obtenir une réponse, lors d’une audition qui a eu lieu il y a quelques semaines, et je crois comprendre que rien n’est en place dans ce domaine. Voilà qui explique la fraîcheur de mes propos.

Serez-vous très ferme, monsieur le ministre délégué, sur l’évolution des indicateurs ? Par ailleurs, pouvez-vous prendre position publiquement en faveur de l’article 8 de la proposition de loi déposée par notre présidente, qui devrait être examinée début mai en séance ? La BPI doit prendre cette question à bras-le-corps.

Mme Céline Calvez. La crise sanitaire a forcément un impact économique. Nous nous demandons quelles ont été, parmi les entreprises créées depuis un an – il y en a tout de même – celles qui l’ont été par des femmes. Dispose-t-on d’un indicateur ? Quels types d’entreprises sont créées ? Si ces indicateurs n’existent pas, pourquoi ne pas en élaborer ?

La crise s’accompagne de beaucoup d’aides économiques, dans le cadre du Fonds de solidarité ou d’autres dispositifs plus spécifiques. Pouvez-vous savoir quelles aides sont demandées par des femmes ? Cela correspond-il au taux d’entrepreneures dans notre pays ? Si ces données ne sont pas disponibles, pourquoi ne pas faire en sorte que ce soit le cas ? Comme vous l’avez dit, mieux mesurer permet d’apporter de meilleures réponses et de progresser.

M. Alain Griset, ministre délégué. S’agissant de la façon d’inciter les banques à mieux soutenir l’entrepreneuriat au féminin, je suis totalement favorable à la transparence et en particulier à l’idée de demander à la BPI de présenter tous les ans des données très concrètes sur le nombre de dossiers de crédit qui concernent les femmes et les montants attribués. Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous progresserons si nous avons des informations. Il en est de même pour les délais de paiement : on se rend compte que pour arriver à les réduire, il faut absolument mesurer les écarts par rapport à la normale. En mettant donc en lumière les résultats, il y aura des prises de conscience et ceux qui sont vraiment en retard seront quasiment obligés d’avancer. Je suis favorable à une obligation claire de transparence, pour que chacun soit mis face à ses responsabilités.

Monsieur Le Bohec, la fraîcheur de vos propos ne me pose pas de problème. Elle est même conforme à la température actuelle. Il faut dire les choses. J’ai dit clairement que je souhaitais un fonds spécifique, géré par la BPI, pour la création d’entreprises au féminin, et j’espère qu’il verra le jour très rapidement.

Cela ne veut pas dire que Bpifrance ne fait rien : beaucoup de dispositifs existent déjà, la BPI a créé depuis un certain temps des outils adaptés à l’entrepreneuriat au féminin. Mais force est de constater qu’ils sont utilisés par un nombre relativement peu élevé de femmes et encore méconnus, y compris dans les réseaux d’accompagnement financés par la BPI. Il y a sûrement un effort collectif à faire.

Le mieux serait d’avoir des crédits dédiés et identifiés. Ce serait un premier pas, mais cela ne suffira pas : il faudra que le dispositif soit connu et « bien vendu ». J’en ai parlé avec le directeur général de la BPI il y a quelques semaines. Je l’ai vu très vite après mon entrée en fonctions et je n’ai pas tardé à évoquer ce type de sujets. Vous pouvez compter sur ma détermination, d’autant que cela ne coûtera rien : l’argent est disponible. Nous partageons tous, y compris à la BPI, l’idée qu’il est nécessaire d’accompagner les femmes en ce qui concerne les financements. Avoir un fonds dédié ne pourrait que montrer notre envie d’aboutir à un résultat positif. Nous prendrons, avec Bruno Le Maire, les dispositions nécessaires.

J’en viens au Fonds de solidarité, et j’en profite pour remercier les parlementaires : s’il existe en France des dispositions financières reconnues globalement comme très importantes pour les entreprises, c’est parce que le Parlement a bien voulu voter les moyens correspondants.

Je n’ai pas pour l’instant de chiffres à vous donner, madame Calvez, sur le nombre de femmes ayant recouru au Fonds de solidarité. Environ deux millions d’entreprises ont bénéficié de ce dispositif massif qui fonctionne d’une manière quasi automatique, grâce aux codes APE (activité principale exercée) et aux numéros SIRET (système d’identification du répertoire des entreprises). Nous n’avons pas encore regardé plus en détail quels chefs d’entreprise étaient concernés, mais nous pourrons le faire. Je verrai avec la direction générale des finances publiques (DGFIP), à qui l’on demande vraiment beaucoup en ce moment, s’il est possible qu’elle vous donne des éléments un peu plus tard. Je pense spontanément qu’il y a environ le même pourcentage de femmes bénéficiaires que de femmes entrepreneures, mais cela reste à vérifier. Donnez-moi deux ou trois mois pour le faire, car le Fonds de solidarité représente beaucoup de travail pour la DGFIP. L’État a dégagé des moyens importants et a vraiment répondu aux attentes des entrepreneurs, mais la période est compliquée parce que les dossiers à traiter sont lourds, les montants importants, et que la DGFIP doit vérifier manuellement plus de dossiers, ce qui mobilise beaucoup les équipes. Mais je m’engage à vous donner des éléments plus précis dans un délai rapide.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Je soutiens toutes les questions qui ont été posées. Je crois que vous êtes d’accord avec l’idée que ce n’est pas toujours la faute des femmes si elles ne bénéficient pas d’autant de crédits que leurs homologues masculins – nous en avons déjà parlé ensemble. Il faut que les opérateurs de l’État – peut-être en premier lieu la BPI, mais pas seulement – fassent connaître les différentes mesures dont pourraient bénéficier les femmes entrepreneures, qu’ils aillent les chercher. Nous attendons des progrès de la part de ces opérateurs. L’État pourrait être exemplaire au sein de l’écosystème, notamment vis-à-vis des établissements bancaires.

Mme Laurence Gayte. J’avais prévu de vous poser une question sur les données genrées, mais mes collègues en ont déjà parlé. Vous avez évoqué l’éducation : il est clair que c’est par là qu’on doit commencer si on veut faire en sorte que les TPE, les PME et l’entrepreneuriat en général comptent plus de femmes. Quelles devraient être les actions pédagogiques à mener pour attirer plus de jeunes femmes dans l’artisanat et l’entrepreneuriat ? Pourrait-on, selon vous, imposer des quotas dans les chambres de métiers et les centres de formation d’apprentis ? Cela vous paraît-il pertinent ?

Mme Frédérique Meunier. Avez-vous le sentiment qu’il y a une différence entre les territoires, par exemple que les femmes auraient plus de mal à être reconnues dans ceux qui sont très urbanisés, qui comptent de grandes villes ? Dans des territoires ruraux comme le mien, les femmes ont peut-être plus de facilité à créer leur entreprise, elles ont peut-être un accompagnement un peu différent – mais c’est vraiment une question ouverte que je vous pose.

On a essayé d’appliquer des quotas pour les femmes en politique : c’est vraiment une très bonne chose, mais Dieu que c’est difficile, parfois ! Dans les petites communes, on peut avoir du mal à trouver des femmes voulant s’investir en politique ou tout simplement aider : elles disent souvent qu’elles n’en sont pas capables ou qu’elles n’ont pas le temps, alors qu’elles en sont tout aussi capables que les hommes, et qu’elles peuvent trouver le temps.

M. Alain Griset, ministre délégué. J’ai dit tout à l’heure que j’avais des réserves à l’égard d’une représentation proportionnelle obligatoire au sein des métiers. Certains d’entre eux resteront plutôt féminins ou masculins, quels que soient les efforts qu’on fera.

J’ai géré pendant de nombreuses années une chambre de métiers et de l’artisanat – j’avais vingt et un centres de formation et 8 000 apprentis sous mon autorité. La section coiffure comptait 90 % de jeunes filles en formation, ce qui représente une évolution considérable puisqu’il y a vingt ou vingt-cinq ans, elles étaient à peu près à parité avec les jeunes hommes. Cette évolution s’est faite sans quotas. Dans les formations en esthétique, nous avons dû avoir un jeune homme en une quinzaine d’années, ce qui pourrait paraître assez logique à certains, mais dans les métiers de l’alimentation, les évolutions ont été très fortes : beaucoup de jeunes filles s’y sont consacrées alors qu’il n’y avait pas de quotas.

Cela me permet d’insister sur l’importance de l’information et de la communication. Pourquoi plus de jeunes filles ont-elles rejoint les métiers de la pâtisserie ? Parce que des émissions télé leur ont montré qu’ils leur étaient accessibles et leur ont aussi permis de mieux les connaître. Lorsque j’étais président du fonds national de promotion et de communication de l’artisanat, on mesurait à chaque campagne la perception qu’avaient les Français de l’artisanat. Certains chiffres étaient très frappants. Ainsi, moins de 10 % des jeunes de moins de 20 ans pouvaient citer vingt ou trente métiers, sur les centaines existants. Dans un monde où la communication tient une telle place, il y a un manque criant d’informations des jeunes en général sur l’entrepreneuriat. C’est pour cela que j’insiste sur la partie éducative.

L’éducation doit pouvoir transmettre l’esprit d’entreprise. Il ne s’agit pas de dire à tous les jeunes qu’ils doivent devenir chef d’entreprise mais de leur ouvrir cette perspective, et surtout aux jeunes filles, puisque ce n’est pas un horizon culturellement acquis. Nous avons de nombreux défis à relever en la matière, dans l’éducation nationale et dans les familles, et il faut y travailler en profondeur. Je crois beaucoup aux modèles. Nous devons montrer, par le biais des outils de communication modernes, les réussites de l’entrepreneuriat au féminin. J’ai récemment rendu visite à Jacques Genin, le grand chocolatier, que sa fille, avocate d’affaires, a choisi de rejoindre. Elle disait combien elle était heureuse dans ce qu’elle faisait et combien elle avait trouvé dans ce métier le bonheur professionnel. Montrons, grâce à des exemples, que « c’est possible », quand pour beaucoup l’entrepreneuriat reste inaccessible. Je verrais très bien l’État lancer des campagnes de communication massives à destination des femmes, et des jeunes femmes en particulier. Ce ne doit pas être un feu de paille mais quelque chose de récurrent et profond, de sorte à faire évoluer les mentalités.

Madame Meunier, je ne vois pas de différences majeures entre les territoires. La communication est désormais assez aisée, même si elle est diffuse et manque de fléchage. Peut-être qu’en Corrèze, territoire agricole, il y a une tendance à s’engager dans la même filière de père en fille ou en fils, mais ce sont les caractéristiques du territoire qui font que les jeunes gens sont orientés dans telle ou telle direction, me semble-t-il – je n’ai pas de chiffres à l’appui de cette intuition.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Je vous invite tous à regarder le documentaire sur le sexisme diffusé hier sur France 5, qui montre à quel point il est important que chacun puisse vivre sa vie de manière autonome sans subir des stéréotypes qui viennent briser des rêves ou des parcours professionnels.

M. Gaël Le Bohec. À l’occasion de la rédaction de son rapport sur la voie professionnelle scolaire, Céline Calvez et moi-même avions fait une visite qui confirme malheureusement ce que vous disiez sur les filières genrées. Personne ne doit être dédouané. L’ensemble de la chaîne d’orientation et de formation doit prendre conscience que des améliorations sont possibles à chaque échelon. Nous avions donc rendu visite à une classe spécialisée dans le BTP ou le dessin industriel me semble-t-il : en gros, comme les entreprises ne demandaient que des garçons, l’établissement ne souhaitait accueillir que des garçons – je caricature à peine ! Il faut le dire clairement, à chaque échelle, y compris dans les entreprises : il n’y a pas de métiers pour les garçons ni de métiers pour les filles, comme il n’y a pas de jouets pour les garçons ni de jouets pour les filles.

Je mène une mission avec Karine Lebon sur les stéréotypes de genre dès le plus jeune âge. Dès lors que l’on entreprend de remonter la chaîne de l’apprentissage, on constate en effet qu’ils commencent très jeunes. Vous avez eu raison d’évoquer les classes de quatrième et troisième, monsieur le ministre délégué, mais que pensez-vous de commencer encore plus tôt ? Cela soulève la question de la formation des professeurs, chargés de l’orientation des jeunes. On voit bien que certaines écoles orientent de façon différenciée. Et comment faire entrer le sujet dans le cadre de la responsabilité sociétale des entreprises, afin qu’elles prennent des engagements forts ? Je suis très attaché à l’association Entreprendre pour apprendre, qui fait un travail extraordinaire afin que l’entrepreneuriat soit pratiqué dès le plus jeune âge, dans des mini-entreprises, aussi bien par des garçons que par des jeunes filles. Les normes de genre sont malheureusement acquises et acceptées très tôt par les enfants qui, à 10 ans, vous expliquent qu’il y a des inégalités à l’école : il ne faut pas s’étonner qu’elles déterminent leur orientation plus tard ! Il faut donc déconstruire les modèles. Avant 10 ans, un poste financier est aussi bien tenu par une jeune fille que par un jeune garçon, tout comme la direction générale. À partir de 14 ou 15 ans, les rôles se genrent. C’est pourquoi il faut travailler à la fois sur les stéréotypes et sur l’incitation à l’entrepreneuriat. Peut-on imaginer que la future loi, si elle s’adresse aux adultes, comprenne des dispositions éducatives sur ces sujets ?

M. Alain Griset, ministre délégué. J’ai mentionné les classes de quatrième et troisième parce qu’elles correspondent, dans notre pays, au moment de l’orientation, mais je suis bien évidemment favorable à tout ce que l’on peut faire en amont. Même s’il en reste sûrement à accomplir, des progrès ont été faits dans le système éducatif. La volonté du ministre doit être forte pour développer cette ouverture d’esprit dans tous les collèges. J’ai beaucoup milité pour que des représentants de l’entreprise viennent au sein du collège échanger avec les élèves, présenter les métiers, les démystifier et dépasser les stéréotypes. Je suis favorable à tout ce qui permet d’ouvrir l’esprit des jeunes et de leur donner la perspective la plus large possible.

À cet âge-là, dans mon département du Nord, nous avions tous tendance à penser que nous travaillerions chez Usinor ou à la mine, parce que c’était ce qui se faisait de père en fils. Il faut sortir de ces modèles. Il faut informer les jeunes et les laisser faire ce pour quoi ils sont faits, ce qu’ils ont envie de faire. Je suis toujours frappé de voir des jeunes entrer en apprentissage à 22 ou 23 ans alors qu’ils en avaient toujours rêvé, parce qu’on le leur avait interdit plus tôt. C’est tellement important d’aimer son métier ! Une bonne information sur les métiers me paraît le premier échelon indispensable pour favoriser l’autonomie des jeunes. C’est de cette manière qu’ils vont découvrir – les jeunes filles en particulier – des choses qu’ils n’auraient pas imaginées parce qu’on les oriente par habitude ou par principe, sans s’intéresser à leurs compétences.

C’est un travail, je le répète, qu’il faut aussi mener auprès des familles. L’éducation nationale doit pouvoir pallier le manque d’information des familles défaillantes, pour permettre à chacun de s’épanouir. Je soutiendrai toujours les initiatives visant à ouvrir les esprits et à permettre à chacun de donner le meilleur de lui-même et d’être heureux professionnellement.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Pourriez-vous nous éclairer sur la question du congé maternité des indépendantes ? Nous avions fait voter deux dispositions sur le report automatique des charges. Cela leur permet de bénéficier d’indemnités journalières entières, ainsi que de reprendre progressivement leur activité si elles le souhaitent, un à deux jours par semaine, à l’issue d’une période incompressible de repos de six semaines. J’ai évoqué les difficultés que certaines ont rencontrées à la suite de la reprise par la Caisse primaire d’assurance maladie de l’indemnisation du congé maternité, auparavant effectuée par le régime social des indépendants (RSI). Avez-vous des éléments permettant de les rassurer ?

M. Alain Griset, ministre délégué. La protection sociale des indépendants est un très long combat, un chemin semé d’embûches. Elle progresse petit à petit et j’espère que le plan pour les indépendants continuera dans cette voie. Vous avez évoqué la question du calcul qui se fait sur la base de l’année N-1 ; il y a aussi celle des indemnités journalières. Certaines indépendantes disent devoir reprendre très vite leur activité après une naissance pour ne pas pénaliser l’entreprise, mais il leur faut aussi récupérer et être disponible pour leur enfant. Ce n’est pas facile de concilier les deux, mais nous allons tout faire pour leur donner des droits. Bien sûr qu’un travailleur indépendant, un chef d’entreprise prend des risques, mais nous sommes allés trop loin dans cette optique : il faut maintenant donner des garanties et mieux protéger les indépendants.

Dans le projet que je remettrai dans les prochaines semaines, un volet sera consacré à la protection sociale globale des indépendants, qui traitera de tous ces sujets. C’est une question très complexe, intrinsèquement d’abord, et ensuite parce qu’elle s’inscrit dans une histoire : dès lors que l’on doit modifier les pratiques très anciennes des structures très nombreuses qui gèrent la protection sociale, rien n’est simple. Avec mes équipes, nous y travaillons avec beaucoup de détermination et le moment venu, peut-être dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous vous proposerons des mesures devant améliorer globalement l’environnement social des indépendants. Le congé maternité en fera évidemment partie.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Merci, monsieur le ministre délégué, pour votre disponibilité. Ces échanges sont précieux pour nous toutes et nous tous, surtout en ce moment. Les entrepreneures ont besoin d’être accompagnées. Il ne leur est pas aisé, et encore plus lors des confinements, de concilier temps professionnel et temps familial. Il revient à la puissance publique de les accompagner. Nous sommes très heureuses et heureux de pouvoir compter sur votre détermination.

M. Alain Griset, ministre délégué. Je vous remercie. N’hésitez pas à me solliciter, je suis à votre disposition. Et si vous avez, dans vos circonscriptions, un entrepreneur ou une entrepreneure qui rencontre une difficulté avec les dispositifs existants, n’hésitez pas non plus à contacter mon cabinet.

La réunion s’achève à 16 heures.


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