Compte rendu

Commission
des affaires européenne
s

I. Audition de M. Clément Beaune, Secrétaire d’État aux affaires européennes sur les résultats du Conseil européen des 25 et 26 mars 2021.              3


Mardi
30 mars 2021

17 h 15

Compte rendu n° 184

Présidence de Mme Sabine Thillaye
Présidente


 

 

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 30 mars 2021

Présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente de la Commission

 

La séance est ouverte à 17 h 18.

 

I.                  Audition de M. Clément Beaune, Secrétaire d’État aux affaires européennes sur les résultats du Conseil européen des 25 et 26 mars 2021.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Monsieur le secrétaire d’État, nous vous recevons à la suite du Conseil européen du 25 mars 2021. Le Conseil européen a approuvé le durcissement du mécanisme d’autorisation des exportations de vaccins. En application du principe de réciprocité, l’Union européenne pourra désormais interdire les exportations vers des pays tiers qui bloquent eux-mêmes leurs exportations vers l’Union. C’est une réforme importante pour la crédibilité de l’Union sur la scène internationale, mais certains États membres ont fait valoir les risques de mesures de rétorsion contre l’Union, qui est dépendante de matières premières étrangères. Quelle est votre évaluation de ces risques ?

Par ailleurs, les dirigeants européens ont salué la désescalade en Méditerranée orientale, marquée par l’interruption des activités de forage illégales menées par la Turquie au large de Chypre et la reprise des pourparlers entre ces deux pays, mais ils ont également mis en garde la Turquie contre de nouvelles provocations. Ils se sont dits prêts à défendre les intérêts de l’Union européenne et la stabilité régionale. Pouvez-vous nous préciser quelles mesures l’Union européenne sera susceptible de mettre en œuvre au-delà des sanctions très limitées adoptées en décembre dernier ?

M. Clément Beaune, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Le Conseil européen du 25 mars s’est tenu, comme la présente audition, en visioconférence et n’a duré qu’une seule journée au lieu des deux initialement prévues. Les chefs d’État et de gouvernement se réunissent désormais dans le cadre du Conseil européen pratiquement tous les mois, ce qui permet de renforcer encore davantage la coordination, qui est encore loin d’être parfaite.

Le Conseil du 25 mars a été consacré prioritairement à la crise sanitaire. Les participants ont partagé un constat simple : la question des vaccins doit être traitée dans le cadre européen parce que c’est notre intérêt collectif, en mettant de côté les faux débats, comme le temps de discussion des contrats ou les prix d’achat. Outre que l’Union européenne a signé un contrat avec AstraZeneca vingt-quatre heures avant le Royaume-Uni, aucun de ces éléments ne saurait justifier les retards de livraison. La priorité est à l’accélération de la campagne de vaccination et donc au processus de production. Il faut produire plus et l’Union doit défendre ses intérêts face aux laboratoires, en contrôlant notamment l’exportation de leur production.

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a présenté des éléments chiffrés sur la campagne européenne de vaccination. Au cours du premier trimestre 2020, Pfizer et BioNTech, Moderna et AstraZeneca ont livré plus de 100 millions de doses de vaccin à l’Union européenne. Moderna a respecté l’intégralité de son contrat, Pfizer et BioNTech ont dépassé leur objectif d’environ 4 millions de doses et le laboratoire AstraZeneca n’a vraisemblablement livré qu’une quantité correspondant à un quart de ses engagements. Au cours du deuxième trimestre, les quantités livrées devraient tripler. Pfizer et BioNTech livreront environ 200 millions de doses, dépassant leurs objectifs initiaux de livraison ; AstraZeneca livrera 70 millions de doses, une quantité inférieure aux derniers objectifs annoncés de 100 millions de doses ; Moderna livrera les quantités prévues. Un nouvel acteur entrera en jeu. Il s’agit de Johnson and Johnson, dont le vaccin a été autorisé par l’Agence européenne des médicaments (EMA), et qui pourra commencer à être livré au cours du mois d’avril.

Un nouveau contrat a été signé, il y a quelques semaines, au nom de l’Union européenne avec Pfizer et BioNTech. Ce contrat prévoit la livraison de 300 millions de doses en plus des 300 millions de doses déjà réservées pour l’année 2021. C’est grâce à ce contrat que nous pouvons attendre la livraison de plus de 200 millions de doses au cours du deuxième trimestre. Nous assistons donc à une vraie accélération de cette campagne de vaccination. C’est une bonne nouvelle.

Deux débats ont eu lieu au cours du Conseil européen, l’un sur la solidarité européenne et l’autre sur la souveraineté européenne. Ils sont évidemment liés.

Sur la souveraineté, tous les participants se sont mis d’accord pour soutenir le mécanisme de contrôle systématique des exportations de vaccins décidé par la Commission européenne à la fin du mois de janvier et renforcé la semaine dernière par l’ajout d’un critère de réciprocité, en plus de celui de la proportionnalité. Ce mécanisme prévoit que les doses de vaccins ne peuvent, par principe, être exportées ; chaque État membre sur le territoire duquel se trouve un site de production doit autoriser l’exportation. Celle-ci peut être justifiée par la solidarité internationale, en particulier au titre de l’initiative COVAX dont l’objet est de livrer des doses à des pays qui n’y auraient pas accès autrement. Elle peut aussi être justifiée, au regard du critère de réciprocité, vers des pays dont la situation financière ou sanitaire n’est pas dégradée, mais dans lesquels sont implantés des sites de production respectant les contrats de livraison. Je rappelle que l’Union européenne est, avec les États-Unis, un pôle majeur de production mondiale de vaccins et deviendra à l’été le premier producteur mondial. C’est un atout industriel.

Des reproches contradictoires ont été faits à l’Union européenne, qui serait tantôt naïve parce qu’elle exporte, tantôt égoïste parce qu’elle n’exporte pas. La vérité, c’est que l’Union européenne a exporté, depuis le mois de décembre, plus de 70 millions de doses. C’est beaucoup. Ces exportations portent à 95 % sur les doses produites par Pfizer et BioNTech, qui ont respecté, et même dépassé, leurs engagements contractuels vis-à-vis de l’Union européenne. Il n’y a donc pas de raison de pénaliser ce fournisseur scrupuleux et efficace. En revanche, quand un pays – je pense au Royaume-Uni – ne respecte pas le principe de réciprocité, nous sommes dans l’obligation politique et morale de contrôler, de réduire et même d’interdire les exportations. Je rappelle que, depuis le mois de décembre, nous avons livré un total de 20 millions de doses de vaccins Pfizer au Royaume-Uni, qui ne nous a rien livré. Nous ne pouvons pas priver les Européens de doses auxquelles ils ont droit. Il n’est donc pas question de livrer depuis des sites de production européens des doses de vaccin AstraZeneca vers le Royaume-Uni si ce laboratoire n’améliore pas ses livraisons ou si les sites de production britanniques ne sont pas mobilisés en sens inverse pour livrer vers l’Union européenne.

Le contrat que l’Union européenne a signé avec AstraZeneca – un jour, donc, avant celui du Royaume-Uni – prévoit bien que quatre sites de production sont mobilisables pour nous approvisionner, deux sur le territoire de l’Union européenne et deux au Royaume-Uni, mais nous n’avons pas encore reçu de doses en provenance des sites britanniques. Nous devons changer cette situation au nom de la défense de nos intérêts et du respect des engagements contractuels. Je précise que, contrairement à ce qu’a pu dire AstraZeneca, les engagements pris par l’entreprise à l’égard du Royaume-Uni et de l’Union européenne sont identiques : les deux contrats prévoient notamment que l’entreprise fournira ses meilleurs efforts – best efforts – pour livrer au plus vite. Ces éléments sont publics, donc incontestables ; il n’y a pas eu de mauvaise négociation de l’Union européenne.

 

Le mécanisme de contrôle a permis à l’Italie de bloquer l’exportation de 250 millions de doses de vaccin AstraZeneca vers l’Australie parce que les critères autorisant l’exportation vers un pays ne se trouvant pas dans une situation sanitaire et financière plus dégradée que la nôtre n’étaient pas respectés. Par ailleurs, toujours dans le cadre de ce mécanisme, les autorités italiennes ont la semaine dernière, à la demande de la Commission européenne, mené une investigation sur un site de production finale de vaccins AstraZeneca implanté sur leur territoire : 29 millions de doses ont ainsi été identifiées, dont la destination est en cours de vérification. Il semblerait que la moitié est destinée aux marchés de l’Union européenne et l’autre à l’initiative internationale COVAX.

Le débat portant sur la solidarité européenne a mis en lumière le mécanisme d’achats communs des vaccins régi par le principe de la répartition au prorata de la population qui prévoit que, dès que des vaccins sont disponibles quelque part dans l’Union européenne, chaque pays soit livré en proportion de sa population. Nous serons ainsi tous vaccinés au même rythme puisque nous achetons ensemble. C’est une question de morale et de solidarité, mais c’est aussi une question d’intérêt pratique. L’Europe n’est pas une île. Quand un voisin avec lequel nous partageons une frontière terrestre n’est pas vacciné, il existe des risques de réimportation du virus sous forme de variants.

Lors des premières livraisons, des écarts avec le prorata strict ont été constatés, parce que certains pays n’avaient pas assez commandé alors que d’autres, dont la France, avaient trop commandé. Face à une situation sanitaire difficile, des pays comme la République tchèque, la Slovaquie ou la Bulgarie ont souhaité un rééquilibrage des livraisons. Grâce aux 10 millions de doses supplémentaires de vaccins Pfizer qui seront disponibles au deuxième trimestre, ce petit ajustement de quelques dizaines de milliers de doses pourra être réalisé permettant ainsi de rétablir la justice et la confiance partout en Europe.

Il n’y a pas de solution miracle ou de doses cachées. Les doses qui seront achetées par de nouveaux contrats ne sont pas encore produites. À l’inverse, toutes les doses commandées ont déjà été produites ou le seront dans les prochains mois. Signer des contrats supplémentaires en dehors du cadre européen n’apportera donc pas, dans les semaines et dans les mois qui viennent, de doses supplémentaires de vaccins. Des pays comme l’Autriche, le Danemark, la Pologne ou Malte ont d’ailleurs renoncé à le faire par pragmatisme, car ils n’ont pas trouvé de source miraculeuse. Des difficultés existent dans le cadre européen, mais il faut les résoudre en produisant davantage. J’ajoute que si la France avait parié sur des acteurs purement nationaux, nous n’aurions sans doute pas aujourd’hui de doses de vaccin. Notre intérêt est de maintenir la complémentarité des commandes et de la production industrielle en valorisant nos outils de production. Ce sera d’ailleurs le cas à partir de la mi-avril avec deux sites de flaconnage qui contribueront à l’effort européen collectif.

Au cours du sommet, le Président de la République a défendu la nécessité d’être dans l’anticipation pour les vaccins de deuxième génération afin de ne pas revivre les difficultés que nous avons connues et que nous connaissons. Il faut accélérer la production des vaccins actuels. L’Union européenne sera le premier producteur mondial de vaccins d’ici à l’été et atteindra une capacité industrielle de production de deux à trois milliards de doses à la fin de cette année. Il faut également développer les capacités d’innovation des vaccins de deuxième génération adaptés à de possibles variants. C’est ce qui a manqué à l’Europe. Les États-Unis ont, au printemps 2020, mobilisé plus de 15 milliards de dollars pour financer la dernière étape du développement des vaccins. L’Union européenne n’a pas consenti un tel effort financier. Il faudra le faire ensemble en allant au-delà des initiatives positives, mais encore parcellaires, qu’a prises la Commission européenne pour doter l’Union d’une agence de recherche par la création de l’incubateur Health Environment Research Agenda for Europe (HERA), financé à hauteur de 150 millions d’euros. C’est utile, mais ce n’est pas encore à la hauteur des enjeux.

Le sommet a également été l’occasion de discuter – rapidement, car un consensus existe à ce sujet – de la stratégie visant à renforcer la souveraineté numérique de l’Union grâce à des financements accrus dans le nouveau budget européen, mais aussi par la régulation, qui est au cœur du modèle européen. Je me félicite, à ce sujet, que les travaux internationaux sur la taxation des grandes entreprises numériques avancent plus rapidement avec la nouvelle administration américaine, mais si une proposition internationale dégradée était faite dans le cadre de l’OCDE, nous développerions une alternative européenne – c’est l’engagement que nous avons pris devant le Parlement européen à l’occasion de l’adoption du plan de relance. La Commission européenne fera, d’ailleurs, une proposition législative de taxe numérique européenne d’ici à l’été prochain.

Le débat autour de cette taxe n’a pas été conflictuel lors du sommet, mais il reste difficile au niveau européen. La France est, depuis 2018, très engagée dans l’instauration de la taxe. C’est une question de justice fiscale, mais aussi de renforcement des ressources propres nécessaires au remboursement du plan de relance à partir de la fin de notre décennie. La régulation doit être fiscale et financière, mais aussi sociale. La Commission prendra, notamment sous l’impulsion de la France, des initiatives à cet égard. C’est un enjeu important de l’après-crise. Les travailleurs des plateformes numériques ne bénéficient pas de droits sociaux européens et leur protection au niveau national est encore insuffisante. Ces questions seront évoquées lors du sommet social de Porto, sous la présidence portugaise, et je sais que votre commission est mobilisée sur ce sujet, après le rapport de Carole Grandjean et de Danièle Obono.

Parmi les sujets internationaux du Conseil, la Turquie a fait l’objet d’une discussion brève, mais qui avait été précédée de nombreux échanges. L’idée est d’envoyer un signal d’unité et de fermeté par un texte commun malgré les nuances, voire les différences, des positions de chaque État membre. La France, avec d’autres pays comme la Grèce, souhaite relever le niveau de fermeté européenne à l’égard de la Turquie. À la suite des pressions exercées depuis le mois de décembre par le biais de sanctions, la Turquie a envoyé des signaux positifs sur la situation en Méditerranée orientale. Nous avons cependant encore perçu des signaux préoccupants ces derniers jours : au niveau interne, le limogeage exprès du gouverneur de la banque centrale ou les pressions sur les partis politiques et, au niveau international, la sortie de la Turquie de la convention d’Istanbul luttant contre les violences faites aux femmes. C’est la raison pour laquelle j’avais demandé que la France porte ce sujet auprès du Conseil des affaires générales précédant la tenue du Conseil européen.

Nous acceptons l’augure des quelques signaux favorables envoyés par la Turquie et M. Charles Michel et Mme Ursula von der Leyen se rendront prochainement en Turquie pour discuter avec le président Erdogan. Nous avons à nouveau rendez-vous au mois de juin pour maintenir la pression et évaluer la volonté réelle de la Turquie de s’engager dans un dialogue avec l’Union européenne. Nous n’avons pas intérêt à escalader, mais nous devons savoir ce que la Turquie veut vraiment dans sa relation avec l’Union européenne.

La situation russe a été discutée brièvement dans les conclusions du Conseil européen avant l’intervention devant les Vingt-Sept du président américain Joe Biden, qui avait été invité par le président Charles Michel. Il a délivré un message positif marqué par la volonté de renouer, après quelques années difficiles, avec un partenariat transatlantique plus fort. Nous y sommes évidemment très favorables, mais notre seule boussole, Conseil européen après Conseil européen, reste l’autonomie stratégique de l’Union européenne et la défense de nos intérêts, qui passent aussi par ce partenariat avec les États-Unis. Ce message a été suivi de longs échanges puis de quelques mots du président Charles Michel et d’une intervention spécifique de chacun des Vingt-Sept.

Un nouveau Conseil, probablement présentiel, se tiendra au mois de juin. Si la coordination européenne sur les questions sanitaires l’exige, il pourra être précédé de nouvelles visioconférences dont je vous rendrai compte.

Xavier Paluszkiewicz (LaREM). Au nom du groupe La République en marche, je veux rappeler notre soutien à l’action du Gouvernement et de la Commission européenne en matière de stratégie vaccinale. Face aux comparaisons souvent erronées, plusieurs chiffres doivent nous encourager à poursuivre l’action conduite. À ce jour, en valeur absolue, la France a administré davantage de doses qu’Israël : 10,4 millions en France contre pas tout à fait 10 millions en Israël. En proportion de la population vaccinée, la France est au-dessus de la moyenne européenne, devant l’Allemagne et l’Italie. Au 28 mars 2021, nous avons inoculé 10,14 millions de doses, soit dix fois plus que nos voisins suisses. Soyons fiers de l’action qui est conduite et qui permettra, nous l’espérons, d’éradiquer le virus le plus rapidement possible.

Le sommet de la zone euro s’est tenu le jeudi 25 mars, en parallèle du Conseil européen. Les échanges ont porté sur le rôle de la monnaie unique sur la scène mondiale. Les participants ont insisté sur la nécessité d’approfondir l’union économique et monétaire, d’achever l’union bancaire et de progresser vers une véritable union des marchés de capitaux. Malgré la succession de crises, ces annonces ne s’apparentent-elles pas à de simples déclarations d’intention ? Quels sont exactement les projets proposés pour achever l’union économique et monétaire ? S’agit-il de revoir les règles budgétaires inscrites dans les traités de manière définitive, alors que la clause dérogatoire au pacte de stabilité et de croissance est désormais activée depuis un an ou s’agit-il de constituer une capacité budgétaire européenne accrue par rapport à l’étape qu’a déjà constituée le plan de relance européen ? Quel est l’avenir du plan de relance européen de 750 milliards d’euros alors que la cour de Karlsruhe examine sa légalité ? Face au bouleversement de la vie économique par la crise sanitaire, quelles seront les priorités et les projets crédibles de l’Union sur les questions économiques à moyen terme ?

M. Michel Herbillon (LR). J’ai une vision un peu différente de celle de Xavier Paluszkiewicz sur la campagne de vaccination. Dans la situation que nous connaissons, ni les excuses, comme en a fait la Chancelière Angela Merkel, ni les excès de satisfecit ne me semblent de mise. Gardons un jugement mesuré.

Je pense qu’il est en effet essentiel que l’Europe travaille en anticipation sur les vaccins de la deuxième génération, mais le montant de 15 millions d’euros pour l’agence HERA me paraît vraiment faible. Quels sont donc le calendrier et le programme qui nous permettront d’être prêts face à l’arrivée éventuelle de nouveaux variants, comme les variants sud-africain ou brésilien que l’on ne connaît pas bien ?

S’agissant de la Turquie, j’apprécie que vous ne pratiquiez pas la langue de bois et j’aimerais donc connaître votre vision des relations de l’Europe avec ce pays. On a quand même le sentiment d’un double jeu. D’un côté, la Turquie manifeste une volonté apparente de se réengager dans sa relation avec l’Europe en adoucissant son discours vis-à-vis des Européens, mais, de l’autre côté, la répression sur le plan intérieur se fait de plus en plus forte. Quelle est aussi votre vision des relations de la France avec la Turquie, puisque le Président de la République a été attaqué nommément par le président turc, ce qui est inacceptable ?

M. Patrick Loiseau (Dem). La troisième vague de l’épidémie de covid impose le maintien des mesures de soutien budgétaire aussi longtemps que durera la crise sanitaire. Après avoir dépensé 77 milliards d’euros en 2020, l’État français devrait consacrer cette année 32 milliards d’euros au soutien d’urgence à l’économie par le biais du fonds de solidarité, du chômage partiel ou encore des exonérations de cotisations sociales. Parallèlement, un plan de 100 milliards d’euros a été lancé en septembre dernier, dont 26 milliards sont déjà engagés.

Toutefois, c’est au niveau de l’Union européenne qu’une relance sera efficace, par la mobilisation à moindre coût de fonds très importants, avec un vrai effet d’entraînement. De ce point de vue, les décisions de l’administration Biden aux États-Unis sont intéressantes : un plan de relance de 1 900 milliards de dollars sera suivi d’un plan d’investissement dans les infrastructures. Pour parvenir à l’objectif de 6 % de croissance en France en 2021, il faut que l’Union européenne investisse pour renforcer son autonomie et reconquérir son appareil productif tout en devenant plus verte et plus digitale. Le plan de relance européen de 750 milliards d’euros adopté l’été dernier n’a pas encore ratifié par l’ensemble des États membres. Or la mise à disposition de ces fonds est urgente pour les pays bénéficiaires est indispensable pour harmoniser les taux de croissance dans chaque pays.

Par ailleurs, certains pays ont décidé d’imposer de nouvelles restrictions aux voyageurs venus de l’hexagone, ce qui gêne les travailleurs frontaliers. Les voyageurs en provenance de France devront présenter un test négatif de moins de soixante-douze heures pour entrer en Espagne et de moins de quarante-huit heures pour entrer Allemagne, qui impose en plus d’observer une quarantaine de cinq à dix jours. Pour éviter les embouteillages, les contrôles stricts aux frontières seront remplacés dans certains pays par des contrôles aléatoires. Toutes ces mesures génèrent confusion et incompréhension pour nos compatriotes européens.

Quelles sont les pistes retenues ou à l’étude pour accélérer et rendre plus efficace la réponse budgétaire européenne ? Estimez-vous utile de renforcer le plan de relance européen, comme l’a suggéré le Président de la République ? Enfin, une coopération européenne est-elle prévue afin d’harmoniser des stratégies plus respectueuses des bassins de vie frontaliers ?

Mme Marietta Karamanli (SOC). Aux termes de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie sur les migrations, de 2016, l’Europe s’engageait à verser 6 milliards d’euros pour aider la Turquie à accueillir 3,5 millions de Syriens. Des contreparties politiques étaient également prévues, dont la levée des visas Schengen pour les citoyens turcs, la relance des négociations d’adhésion à l’Union européenne et la modernisation de l’union douanière entre la Turquie et l’Union européenne. Le communiqué officiel du 25 mars 2021 est ainsi rédigé : « Nous sommes sensibles au fait que la Turquie accueille environ 4 millions de réfugiés syriens et nous marquons notre accord pour que l’aide de l’Union européenne aux réfugiés et aux communautés d’accueil se poursuive. Nous invitons la Commission à présenter une proposition au Conseil pour la poursuite des financements en faveur des réfugiés syriens en Turquie, ainsi qu’en Jordanie, au Liban et dans d’autres parties de la région. » Pouvez-vous nous donner la position de la France sur les conditions à poser et sur les contreparties qui seraient faites ?

S’agissant de la vaccination, au 22 mars, l’Union européenne avait administré au moins une dose de vaccin à près de 14 % de sa population contre 39 % aux États-Unis et 45 % au Royaume-Uni. Dans une note du Conseil d’analyse économique (CAE) de janvier 2021, il est montré que l’Union accuse un retard en matière de financement de la recherche dans le domaine de la santé, qui ne se limite pas seulement à la création de start-ups mais s’étend à la création de partenariats entre le public et le privé et à l’exploitation de la propriété intellectuelle. Selon d’autres sources, le Royaume-Uni et les États-Unis auraient dépensé sept fois plus d’argent par rapport à la taille de leur population que l’Europe pour le développement, l’achat et la production de vaccins contre le covid-19. Une initiative en matière de recherche thématique et ciblée sera-t-elle prise ? Pouvez-vous nous tenir informés sous forme d’un suivi chiffré ? Ces questions m’intéressent, car je travaille avec mon collègue Thierry Michels, au nom de la commission des affaires européennes, sur la gestion de la crise sanitaire au niveau européen.

M. Benoit Simian (LT). Dans son intervention à l’issue du Conseil européen, le Président de la République s’est montré très clair et très pédagogue.

Le commissaire européen Thierry Breton a annoncé, il y a deux jours, la mise en place au 15 juin à l’échelle de l’Union d’un certificat sanitaire, comme il en existe aujourd’hui pour se rendre outre-mer, par exemple en Guyane. Cette mesure avait été adoptée par le Parlement le 25 mars dernier. Ce document, qui permettrait d’identifier les personnes qui ont été vaccinées et le type de vaccin inoculé, deviendrait le sésame pour utiliser les transports aériens, pour participer à des manifestations d’ampleur ou pour se rendre dans certains lieux publics. Cela pose des questions au regard des libertés fondamentales.

Vous avez dit, monsieur le secrétaire d’État, que ce certificat serait obligatoire, ce qui semble contredire les propos de Thierry Breton. On s’y perd un peu. Pourriez-vous nous apporter des précisions ?

M. André Chassaigne (GDR). Je suis de ceux qui considèrent que l’Union européenne a échoué lors de cette crise sanitaire. Mais pouvait-il en être autrement ? Adepte de l’orthodoxie budgétaire, de la mise en concurrence perpétuelle, elle est apparue au cœur de cette tempête tout simplement telle qu’elle est. Je n’ai donc pas été surpris de voir qu’elle rechignait à investir 2 milliards d’euros dans la recherche sur les vaccins en plein cœur de la crise, quand les États-Unis engageaient 14 milliards de dollars. Je n’ai pas non plus été étonné de la petitesse d’un plan de relance de 750 milliards d’euros, assorti de cadeaux aux frugaux et de la promesse de libéraliser toujours un peu plus nos économies. Dans le même temps, le Japon mettait en place un plan de relance de 584 milliards d’euros et les États-Unis de 1 900 milliards de dollars.

Certains se plaisent à expliquer cette différence par l’assistance accordée par notre pays aux plus fragiles et aux entreprises, tandis que les Américains n’auraient rien fait. Pourtant, en 2020, les États-Unis ont dépensé 10 % de leur PIB à soutenir directement les ménages alors que la France y consacrait seulement 5 %. Comme le Président de la République l’a lui-même indiqué au cours de sa conférence de presse à l’issue du Conseil, ces insuffisances auront des conséquences : à la fin de l’année, le PIB de la zone euro ne devrait dépasser que de 1,7 % son niveau d’avant la crise, alors que les États-Unis le dépasseraient de 9 %.

Je n’ai pas plus été ébahi devant la naïveté de la Commission européenne, si soumise au dogme de la libre circulation des biens qu’elle pensait pouvoir triompher des logiques mortifères du capitalisme qui s’y attachent. Je pense notamment au comportement de la firme AstraZeneca, qui a manqué à sa parole. Comment est-il possible que les dirigeants européens aient mis si longtemps à réagir ? La situation sanitaire que nous connaissons est d’une telle gravité qu’il nous faut redresser la barre au plus vite.

Vous avez annoncé que la moitié des doses d’AstraZeneca confisquées dans une usine italienne reviendraient à l’Union européenne. Qu’adviendra-t-il de l’autre moitié ? Quels enseignements allez-vous tirer de cette crise ? Pouvez-vous revenir sur les mécanismes que la Commission va mettre en place pour lutter contre ces dissimulations ?

Comment sera organisé le déploiement du vaccin produit par Johnson and Johnson ? Combien de doses seront allouées à la France ?

Dans le contexte dramatique que nous connaissons, où, chaque jour, des médecins devront choisir entre les patients qui vont vivre et ceux qui vont mourir, pourquoi refuser le vaccin russe Spoutnik V ? Ce refus s’explique-t-il par des considérations idéologiques ?

Le 24 mars dernier, les parlementaires transalpins ont voté deux résolutions obligeant le gouvernement italien à travailler sur la levée des brevets des vaccins. La Maison-Blanche l’envisage aussi, ce qui permettra à d’autres pays de produire librement quand ils s’en seront donné les moyens. Pourquoi votre gouvernement a-t-il voté contre la levée des brevets à l’OMC, sous le curieux prétexte, avancé cet après-midi, que cela ne servirait à rien ?

M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Le processus de ratification du plan de relance adopté par le Conseil européen en juillet dernier puis par le Parlement européen à la fin de l’année 2020, reste à achever dans seize pays sur les vingt-sept États membres de l’Union – tous devraient l’avoir ratifié d’ici à la fin du mois d’avril. La vie démocratique et constitutionnelle de chaque pays de l’Union européenne est ainsi faite que le processus a connu une péripétie supplémentaire en Allemagne, avec la saisine de la cour constitutionnelle de Karlsruhe. Cette dernière fixe, bien entendu, son délai de réponse, mais des analystes chevronnés l’estiment entre cinq et six semaines. Le gouvernement allemand et le Bundestag défendront devant elle un solide argumentaire juridique en faveur du plan de relance. Si les ratifications sont acquises au début du mois de mai, nous pouvons espérer des décaissements pour les préfinancements au cours de ce même mois. Cela reste bien sûr une prévision. En outre, il faudra faire en sorte – nous nous y employons déjà avec Bruno Le Maire – que la Commission européenne soit diligente dans l’examen des plans nationaux de relance et de résilience.

Quant aux perspectives d’amplification du plan de relance, le Président de la République a planté la graine, évoquant, lors du Conseil européen, puis en conférence de presse, la nécessité de compléter la réponse européenne en matière de relance. Le défi du moment est toutefois de faire fonctionner le plan actuel, d’obtenir les décaissements. Nous devrons ensuite réfléchir à la stratégie économique d’après crise pour assurer la transition écologique et numérique. Nous ne sommes pas aujourd’hui au niveau des États-Unis, mais il nous faut trouver le juste équilibre entre le développement de nos capacités d’investissement et le redressement progressif des comptes publics nationaux. Ce débat, avec celui des règles budgétaires, sera ouvert par la présidence française de l’Union européenne.

Le plan Biden de 1 900 milliards de dollars n’est pas seulement un plan de relance, puisqu’il vise aussi à renforcer les mesures d’urgence face aux risques d’accroissement de la pauvreté et des inégalités et à soutenir le pouvoir d’achat et l’activité des entreprises, comme nous l’avons fait en Europe. Ce plan sera complété par des dépenses d’investissement, que le président Biden devrait annoncer dans les prochains jours. Par ailleurs, en termes d’amortisseurs sociaux, la France consacre vingt points de dépenses publiques supplémentaires par rapport aux États-Unis. Nos amortisseurs sociaux sont sans commune mesure avec ce qui existe aux États-Unis et j’en suis fier. On ne peut donc pas comparer les 1900 milliards américains aux 750 milliards de relance européenne, même si les prévisions actuelles des grands organismes internationaux montrent que les Américains retrouveront leur niveau de croissance d’avant crise avant nous.

Je n’ai exprimé aucun satisfecit, j’ai simplement exprimé la conviction que l’on doit poursuivre nos efforts dans un cadre européen. Je n’ai pas dit que nos résultats étaient parfaits, les comparaisons internationales le montrent, mais elles montrent aussi que nos résultats ne sont pas les pires. En proportion de sa population, la Chine, dont vous avez vanté la gestion sanitaire, vaccine deux fois moins que nous et il en est de même pour la Russie. Nous ne sommes pas, à ce stade, les meilleurs du monde, mais je crois que nous pouvons le devenir pourvu que l’acquisition et la production de doses de vaccins ainsi que le développement de l’innovation se fassent à l’échelon européen.

Sur les vaccins de deuxième génération, l’HERA est la préfiguration d’une agence européenne inspirée de l’agence américaine de recherche biomédicale, la BARDA. Son budget de 150 millions d’euros n’est pas négligeable, mais c’est un montant encore très insuffisant pour développer de manière sérieuse les innovations sur les vaccins de deuxième génération et accroître nos capacités de production. Comment renforcer le budget d’innovation médicale européenne ? Nous en discuterons lors du prochain Conseil européen, et il faudra peut-être prendre des initiatives à quelques États membres. C’est une priorité absolue de l’après-crise. Le renforcement de la politique européenne de santé est une priorité, car l’absence de compétence européenne en matière de santé avant la crise a été une de nos faiblesses, même si cela ne justifie pas tout.

Vis-à-vis de la Turquie, l’Union européenne n’est plus dans la naïveté ou dans la complaisance. La Turquie n’est pas une forme de démocratie chrétienne orientale. Ce n’est pas sa stratégie extérieure ni sa politique intérieure et nous le regrettons. C’est nous qui avons fait émerger le débat sur la Turquie au Conseil européen. Malgré les nuances et les différences, nous avons trouvé un équilibre, notamment franco-allemand, qui consiste à rester ouverts au dialogue tout en maintenant la pression, notamment grâce aux sanctions décidées en décembre dernier par le Conseil européen. Nous sommes prêts à durcir notre politique à l’égard de la Turquie, mais attendons le résultat des prochains échanges entre Mme von der Leyen, M. Michel et M. Erdogan. Nous aurons un nouveau rendez-vous en juin sur ce sujet.

S’agissant de l’aide aux réfugiés, il répond à nos intérêts à la fois humanitaires et migratoires de la prolonger. Nous avons posé comme condition que cet argent ne transite pas par les autorités turques et que les fonds soient gérés par les organisations non-gouvernementales et internationales afin que l’aide atteigne ses destinataires. Une faible partie de cette aide avait, dans ses deux premiers abondements, transité par les autorités publiques turques, en matière d’éducation notamment. Notre objectif est de réduire à zéro le montant géré par les autorités turques pour éviter toute contradiction entre la nécessité d’aider les réfugiés et le dialogue parfois difficile avec les autorités d’Ankara.

Mea culpa si je n’ai pas apporté toute la clarté nécessaire sur le certificat sanitaire, car je soutiens la proposition de la Commission européenne faite par Thierry Breton il y a quelques jours. La confusion vient aussi des termes employés. J’utiliserai le mot « certificat » ou « passe sanitaire » en insistant sur le mot sanitaire, car il ne s’agit pas d’un document strictement vaccinal – il ne sera pas nécessaire, et encore moins obligatoire, d’être vacciné pour pouvoir circuler librement en Europe. Le certificat sera un document, papier ou numérique, qui attestera de la situation sanitaire de son porteur : soit celui-ci sera vacciné – c’est la proposition de la Commission européenne –, soit il présentera un test négatif, comme c’est exigé par la France et beaucoup d’autres pays européens pour les déplacements intra-européens, soit il possèdera une immunité acquise après avoir contracté la covid. Ce document sera harmonisé au niveau européen et, pour lever les doutes sur la qualité des vaccins, il ne reconnaîtra que les vaccins autorisés par l’Agence européenne des médicaments.

Personne ne sera obligé de porter ce certificat dans son téléphone ou dans sa poche, mais il est possible que certains États l’exigent pour circuler, comme c’est le cas aujourd’hui pour les tests PCR. Ce document représentera une amélioration par rapport à la situation actuelle puisqu’il sera harmonisé et clair, et la preuve qu’il apportera d’une vaccination, d’un test PCR négatif ou de l’immunité acquise permettra de retrouver la libre circulation en Europe. Sa mise en place est prévue pour le mois de juin.

Ce certificat ne rendra donc pas la vaccination obligatoire. Ce n’est ni l’intention de la France ni celle de la Commission européenne d’obliger ceux qui, demain, voudront aller au restaurant ou au théâtre à se faire vacciner, même si certains pays aujourd’hui le font, mais de manière limitée à certaines activités. Même si la France atteint l’objectif de vacciner 30 millions de personnes vaccinées d’ici au mois de juin, les jeunes de moins de 18 ans ne le seront pas et nous ne pourrons pas leur interdire de prendre des vacances ou de réaliser un échange universitaire dans un autre pays d’Europe. Le débat sur le certificat sanitaire se poursuivra jusqu’au mois de juin entre les États membres et au Parlement européen. Nous aurons donc l’occasion d’en reparler, mais je souhaitais clarifier les concepts.

Le stock italien n’est pas miraculeux. Les 29 millions de doses identifiées dans l’usine d’Agnani à proximité de Rome n’ont pas encore été recensées, pour des raisons de transparence et d’anonymat. Les autorités de contrôle et le laboratoire cherchent encore à confirmer que 16 millions de ces doses sont destinées au marché européen, dont 2 millions de doses pour la France, à raison de sa quote-part de 15 % dans toutes les livraisons européennes, et 13 millions de doses à COVAX.

Les règles qui s’appliquent sont les mêmes pour tous les vaccins, qu’ils soient russes, allemands ou américains. Le vaccin russe Spoutnik V est soumis, comme tous les vaccins, à une rolling review, c’est-à-dire à l’examen détaillé des preuves scientifiques, par l’Agence européenne des médicaments. Cette procédure ne sera pas finalisée avant le mois de juin et devra être suivie par l’avis sur l’autorisation de mise sur le marché.

M. André Chassaigne (GDR). Certains pays européens ont pourtant déjà acheté des doses du vaccin Spoutnik V.

M. Clément Beaune, secrétaire d’État. La Hongrie a effectivement reçu des doses des vaccins chinois et russe et les a mis en circulation avant l’autorisation européenne. Ce n’est pas notre choix, car ni nos autorités scientifiques nationales ni les autorités scientifiques européennes n’ont fini l’examen du vaccin russe. En Slovaquie, le gouvernement est tombé parce que l’ensemble des partis de la coalition, à l’exception du premier ministre, ont voulu respecter le cadre européen. L’agence sanitaire nationale slovaque a d’ailleurs recommandé que les doses de vaccin russe ne soient pas mises en circulation avant la réponse de l’agence européenne. Par ailleurs, en l’état actuel de nos informations, il semble que la production des doses du vaccin russe soit encore faible et elle est inexistante en Europe. Le vaccin russe n’est donc pas une solution miracle qui aurait été exclue. S’il était autorisé, il ne le serait qu’en juillet, à un moment où l’Union européenne disposera de doses de vaccin de façon massive. Il ne résout donc pas le problème actuel posé par la nécessité d’accélérer les campagnes de vaccination.

Le vaccin de Johnson and Johnson a été autorisé et ses livraisons commenceront à partir du mois d’avril. Le calendrier indicatif de livraison de doses que notre ministère de la santé produit régulièrement indique que, au cours du deuxième trimestre, un peu plus de 10 millions de doses seront livrées en France. Au niveau européen, entre 55 et 60 millions de doses sont attendues au cours du deuxième trimestre, mais je dois vérifier ces chiffres.

Nous pouvons avoir ici une conversation plus posée que dans l’hémicycle sur la levée des brevets. Le brevet n’est pas un moyen d’obtenir un profit excessif ; sa fonction est de rémunérer l’innovation. Une des conditions mises par l’université d’Oxford dans son partenariat avec AstraZeneca est la vente à prix coûtant, partout dans le monde, des doses de vaccin. Les Britanniques sont légitimement fiers de ce vaccin, mais je voudrais rappeler qu’il a été financé à hauteur de 85 millions d’euros par les programmes de recherche de l’Union européenne à une époque où le Royaume-Uni était encore membre de l’Union européenne. Ce vaccin est donc aussi un vaccin européen. Les brevets sont donc utiles pour rémunérer et encourager l’innovation, notamment dans le domaine des vaccins de deuxième génération dont nous aurons certainement besoin. BioNTech est une réussite européenne, car cette start-up a été créée par deux chercheurs allemands financés en partie par des bourses européennes, mais sans leur motivation individuelle et les brevets qu’ils ont déposés, leur entreprise n’aurait pu recevoir les investissements très risqués dont elle avait besoin.

Il ne faut pas que cette légitime rémunération soit un obstacle à l’accès aux vaccins qui doivent être vus comme un bien public mondial. Le parlement italien a d’ailleurs récemment insisté sur ce concept. Pour favoriser cet accès, plutôt que de lever les brevets, l’Union européenne a choisi, avec les États-Unis, la solidarité internationale en finançant à hauteur de 40 % l’initiative COVAX qui a déjà permis d’acquérir et de livrer plus de 30 millions de doses dans cinquante-sept pays, principalement en Afrique. L’Union européenne compte poursuivre ces efforts. Elle a ainsi commandé 2,6 milliards de doses, soit largement plus que ce dont nous avons besoin pour vacciner les 450 millions d’habitants de l’Union. Ces commandes représentent une marge de précaution permettant de diversifier le portefeuille des vaccins et de livrer le plus rapidement possible les États membres de l’Union. Elles permettront également de fournir des doses de vaccins à des pays qui n’ont pas les moyens de les développer ou de les produire chez eux.

Quand bien même nous lèverions les brevets, la capacité industrielle de production n’est pas là. C’est donc en aidant et en finançant la production en Europe et ailleurs que nous pourrons faire des vaccins un bien public mondial. La directrice générale de l’OMC, qui est particulièrement sensible aux intérêts de l’Afrique sur ce sujet, a dit que la levée des brevets n’était pas la meilleure solution. L’Union européenne, ainsi que l’OMS et de nombreux pays africains, soutiennent des solutions innovantes de transfert de technologie qui permettront d’aller au-delà des dons de doses à court terme en favorisant le développement, au bout d’un délai d’un an ou deux, d’une production locale en Afrique et ailleurs.

Nicole Le Peih. Le Conseil européen a été l’occasion de rappeler les enjeux de la crise et de l’après-crise pour le bloc des États démocratiques. Comment réhabiliter le modèle européen et occidental face à l’émergence de pouvoirs autoritaires, à l’image de la Chine, par exemple ? Le Président de la République a notamment évoqué la nécessité, à court et moyen terme, de prévoir une deuxième salve d’investissements pour stimuler l’activité économique et répondre aux grands enjeux du monde de demain. À quelle échéance peut-on envisager un deuxième plan de relance et pour quels types d’investissements stratégiques ? Pouvez-vous partager avec nous le diagnostic établi avec nos partenaires européens ?

M. Thierry Michels. Depuis ce vendredi, l’Allemagne a classé l’ensemble de la France en zone à haut risque covid. Cette annonce, dont la menace planait déjà depuis quelque temps, vient de nouveau déstabiliser la vie professionnelle et quotidienne de nos concitoyens frontaliers. Si la crise sanitaire que nous subissons nous impose d’adopter des mesures fortes telles que celles prises par l’Allemagne, je m’interroge quant au calcul des seuils des taux de positivité d’un pays à l’autre. Avec ma collègue Marietta Karamanli, nous sommes corapporteurs d’une mission d’information sur la gestion de la crise sanitaire par les États membres. Les spécialistes auditionnés ont soulevé le problème de l’incohérence des méthodes de calcul. Quel est votre point de vue sur l’harmonisation du calcul des taux de positivité et, de manière plus générale, sur le nécessaire renforcement de l’interopérabilité des systèmes et des processus en matière sanitaire, en particulier dans les bassins de vie que sont les zones frontalières ?

La semaine dernière, Mme von der Leyen a décidé de renforcer le mécanisme de transparence et d’autorisation pour les exportations de vaccins mis en place depuis le 1er février. Cette décision pose des questions sur la négociation des contrats de vaccins avec les laboratoires pharmaceutiques. L’Union européenne était-elle suffisamment armée dans ces négociations ? L’est-elle aujourd’hui pour faire respecter les contrats dans un contexte où la santé n’est qu’une compétence d’appui de l’Union européenne ? Quels enseignements tirez-vous des retours d’expérience en la matière ? Comment envisagez-vous, dans la perspective de la présidence française au premier semestre 2021, le renforcement de la souveraineté et de l’autonomie européenne en matière de santé ?

Enfin, je ne peux m’empêcher de vous poser la question, hélas désormais rituelle, du retour tant attendu et si souvent différé des eurodéputés dans l’hémicycle du siège du Parlement européen de Strasbourg. Quel est l’état d’avancement de la négociation du contrat triennal et des actions permettant de conforter et de renforcer le statut de Strasbourg comme capitale européenne ? Je pense en particulier au lancement des travaux de la Convention sur l’avenir de l’Europe.

Mme Marguerite Deprez-Audebert. La réserve d’ajustement au Brexit fait actuellement l’objet de vives négociations au sein de l’Union européenne. Nos homologues de la commission des affaires européennes du Sénat se sont déjà saisis du sujet en adoptant une proposition de résolution européenne le 11 mars dernier.

Cette réserve d’ajustement sera dotée de 5 milliards d’euros déployés en deux temps : 80 %, soit 4 milliards, doivent être mobilisés cette année, le milliard restant devant être versé en 2024. Concernant la première tranche, la clé de répartition entre États membres prend en compte deux facteurs. D’abord, le volume du commerce des biens et services avec le Royaume-Uni ; ensuite, l’impact sur les pêcheurs qui poursuivent une activité dans la zone économique exclusive britannique. Selon cette clé de répartition, la France n’arrivera qu’en quatrième position des pays bénéficiaires, avec 396 millions d’euros, derrière l’Irlande, les Pays-Bas et l’Allemagne. Ces trois pays se partagent plus de 50 % de la première enveloppe, alors que la France a dû engager des investissements très importants, car près de 70 % des échanges commerciaux entre le Royaume-Uni et l’Union européenne transitent par notre pays.

Si cette réserve d’ajustement est la preuve d’une indispensable solidarité européenne, il faut que les aides arrivent dans les secteurs et les régions les plus touchées. À ce titre, je tiens à attirer votre attention sur ma région, les Hauts-de-France, qui est particulièrement exposée aux impacts du Brexit du fait de sa proximité géographique et de ses liens historiques et économiques particuliers avec le Royaume-Uni. Or le Comité européen des régions, la commission des affaires européennes du Sénat et plusieurs eurodéputés ont émis des doutes sur l’adéquation de cette clé de répartition avec les impacts économiques réels dans les régions. Il faudrait donc revoir la répartition des aides en tenant compte des impacts régionaux du Brexit et le montant alloué à la France devra être revu à la hausse.

Au niveau sectoriel, il est question de mieux prendre en compte les impacts du Brexit sur le tourisme plutôt que de se focaliser sur les services financiers. Ce dernier secteur pourrait effectivement bénéficier des effets du Brexit, qui pousse plusieurs acteurs basés à Londres à délocaliser leurs activités à l’intérieur de l’Union. En revanche, le Brexit porte un coup dur au tourisme. Il s’agit là d’un secteur de poids pour notre économie, qui se retrouve dans une situation difficile depuis le début de la crise sanitaire. Quelles actions le Gouvernement compte-t-il prendre afin de modifier la clé de répartition de la réserve ?

M. Ludovic Mendes. L’Allemagne a décidé, vendredi 23 mars, de classer la totalité du territoire français ainsi que les territoires d’outre-mer comme zones à haut risque d’infection à la covid-19. La chancelière Merkel insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une décision politique mais d’une conséquence de la dégradation sanitaire en France, où le taux d’incidence dépasse depuis longtemps le seuil des 200, tandis qu’il est de 113,3 en moyenne en Allemagne.

Le Président Emmanuel Macron a pris la parole ce jeudi 25 mars, après un nouveau Conseil de défense, pour spécifier que l’objectif premier est de vacciner tous les Français qui le souhaitent d’ici à la fin de l’été. Il a précisé que la production de vaccins sur le sol européen allait s’accélérer dans les semaines à venir. Il rejoint ainsi la stratégie de vaccination de l’Allemagne, afin qu’une grande partie de l’Europe puisse être vaccinée pour assurer la libre circulation sur le continent.

Du fait de notre frontière commune, le département de la Moselle était le seul à être classé par l’Allemagne comme zone à haut risque. Un accord entre les départements frontaliers et les régions allemandes de la Sarre et de la Rhénanie-Palatinat existait cependant, concernant des tests antigéniques et des contrôles plus souples pour les quelque 16 000 travailleurs transfrontaliers. Désormais, avec le classement du territoire entier en zone à risque, de nouvelles restrictions sont mises en place et renforcées en Moselle : les contrôles aléatoires seront plus fréquents aux frontières et une quarantaine de dix jours est conseillée pour les citoyens français présentant un test négatif de moins de quarante-huit heures. Est-il envisagé de mettre en place un passeport vaccinal plus rapidement pour les travailleurs transfrontaliers ou serait-il possible de leur donner la priorité dans la stratégie vaccinale afin de protéger leurs emplois et les relations frontalières avec l’Allemagne ?

Mme Valérie Gomez-Bassac. Ces dernières semaines, la progression de l’épidémie semble être à nouveau très importante, mais la situation est sensiblement différente de celle que nous avons connue en mars dernier. Plus d’un an après le début de la pandémie, une lueur brille au bout du tunnel et la vaccination progresse dans tous les pays d’Europe. Si les stratégies vaccinales ont parfois divergé, la solidité du cadre européen nous a permis d’obtenir un nombre important de doses auprès de plusieurs laboratoires, et les volumes livrés continuent d’augmenter. Vous avez été, avec la ministre chargée de l’industrie et vos homologues européens, particulièrement actifs afin de garantir à nos concitoyens une vaccination sécurisée et la plus rapide possible.

Dans le contexte d’une campagne de vaccination qui s’accélère significativement, les États membres se sont engagés, lors du dernier Conseil européen, à mener des travaux préparatoires pour une approche commune de levée progressive des restrictions, une décision à saluer considérant les effets délétères des mesures de restriction divergentes entre les pays. Pouvez-vous nous en dire plus, même si j’ai noté que vous avez abordé la question du passeport sanitaire ainsi que les prochaines étapes dans le dialogue avec les autres États membres en vue de coordonner nos approches sur le déconfinement dès qu’il pourra être mis en œuvre ?

M. Jean-Pierre Pont. Nous étions à peu près satisfaits des accords du Brexit concernant la pêche lors de leur signature, mais la situation actuelle nous inquiète profondément, malgré tous les efforts que vous-même et Annick Girardin faites pour sauver nos pêcheurs. Sur les 110 bateaux des Hauts-de-France, 23 seulement ont reçu leur licence et il semble que la Grande-Bretagne fasse tout pour revenir en arrière. Ainsi, elle conteste la méthodologie proposée par la Commission pour prouver l’antériorité de nos navires et exige que les navires de remplacement soient d’une capacité égale ou inférieure. Cette analyse, fortement contestable, n’est pas conforme à l’accord de commerce et de coopération. De surcroît, l’exigence d’une preuve de position, comme le système d’identification automatique (AIS) ou une carte électronique, est difficile à satisfaire pour les petits navires, la plupart ne disposant pas de tels outils. On a l’impression que la Grande-Bretagne freine des quatre fers pour protéger à tout prix ses eaux et ses marins pêcheurs. Ne pouvez-vous pas agiter le chiffon rouge et remettre ces accords sur une bonne voie ?

Mme Typhanie Degois. Nous ne pouvons que saluer l’accélération de la production, de la livraison et du déploiement des vaccins, tant l’attente dans nos territoires est grande. Sur les 300 millions de doses disponibles d’ici au mois de juin dans l’Union européenne, combien seront livrées en France ? Plusieurs sites de production doivent être implantés en France. Auriez-vous des précisions sur le calendrier ?

Quant au certificat de vaccination, s’il peut être salutaire pour relancer le tourisme, il ne doit pas devenir une contrainte supplémentaire.

M. Christophe Jerretie. Les discussions du Conseil européen sur la coordination vaccinale ont-elles également porté sur la coordination du dépistage et celle des mesures de restriction ? Il me semble important que ces trois éléments soient coordonnés.

À l’approche de l’été, la question du tourisme se pose du point de vue à la fois sanitaire et économique. A-t-elle été évoquée ?

La Commission doit émettre son paquet de recommandations autour du plan de relance pendant le semestre européen de coordination des politiques économiques. Pensez-vous qu’un document opérationnel sera disponible au mois de mai pour le plan national de relance et de résilience (PNRR) ?

Contrairement à notre collègue André Chassaigne, je pense que le paquebot de l’Union européenne ne s’est pas échoué ; il a été un peu ensablé au début et le gouvernail a dû être recentré, mais il a désormais pris la bonne route. L’évolution est donc positive. Il me semble important de le dire, car nous travaillons dans cette commission avec vigueur et intelligence.

M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Avant de penser à un deuxième plan de relance, il faut d’abord faire fonctionner le premier – vous savez à quel point il a été difficile à obtenir. Il y a exactement un an, lors du Conseil européen, nous n’étions nulle part : sur la question de la relance, tous les dirigeants européens s’étaient divisés. Quatre mois plus tard, nous trouvions, de façon assez inespérée, un accord sur un plan de relance original, car porté par une dette commune. Cela montre bien que, avec l’énergie politique suffisante, nous sommes capables de surmonter les difficultés. C’est beaucoup mieux que de faire cavalier seul. Grâce au plan de relance européen de 750 milliards d’euros, la France devrait recevoir 40 milliards d’euros en subventions budgétaires à partir de l’été 2021. Ces subventions ont permis de construire un plan de relance national ambitieux de 100 milliards d’euros.

Pour rouvrir le débat budgétaire sur un deuxième plan de relance, le plan de relance actuel devra d’abord démontrer son utilité, notamment par l’emploi de ses fonds sur les bonnes priorités telles que la transition écologique. Nous pourrons alors avoir, à la fin de cette année, sous la présidence française, un débat économique et social sur l’après-crise afin de définir les règles budgétaires et de construire, le cas échéant, un plan d’investissements complémentaires. À cet égard, j’ai souligné que la comparaison avec les États-Unis doit être nuancée, mais il existe néanmoins un écart à combler.

Sur la coopération transfrontalière, les bassins de vie et la coordination de la levée des mesures sanitaires, il faut être lucide : l’Europe de la santé, ce n’est pas pour demain. Les États membres n’appliquent pas les mêmes critères dans leur classement des zones à risque à l’intérieur ou à l’extérieur de leurs territoires. En outre, dans beaucoup de pays, comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne, les mesures sanitaires sont prises au niveau régional. Ainsi, nous menons en concertation avec les députés un dialogue avec les Länder frontaliers afin d’alléger leurs dispositifs sanitaires et éviter qu’ils n’interrompent le travail frontalier, comme nous avons pu le vivre en mars dernier lorsque les frontières étaient fermées. Ce fut, sur le plan économique et politique, mais aussi symbolique, une déchirure. Nous ne sommes plus dans cette situation et nous sommes parvenus à ce que les Länder frontaliers allègent leur protocole, sauf pour la Moselle malheureusement. Les tests obligatoires ne sont plus quotidiens mais bihebdomadaires, les transports publics permettant de traverser la frontière sont maintenus et les vérifications de tests ne sont plus assurées aux points frontières, mais dans les entreprises ou dans la zone frontalière. C’est important en termes symboliques et de fluidité du trafic.

L’interopérabilité et la comparabilité des données font partie des axes autour desquels, selon moi, devrait être construite l’Europe de la santé.

Le premier axe, c’est l’acquisition de produits médicaux ou de solutions vaccinales en commun. Après la première vague, une réserve sanitaire européenne a été mise en place grâce à une réforme des mécanismes de protection civile. Elle permet de mettre en commun des produits tels que des respirateurs, des gants, des masques ou des tests. On se souvient tous de la difficulté à obtenir de tels produits lors de la première vague et quelques pays européens connaissent encore des tensions sur certains équipements médicaux. Grâce à une telle réserve, les risques sont mutualisés, car, à l’avenir, nous ne connaîtrons pas nécessairement les mêmes problèmes sanitaires au même moment. En outre, la solidarité européenne en ce domaine nous permettra de ne plus subir la géopolitique russe ou chinoise en matière de masques ou de vaccins.

Le deuxième axe, c’est une recherche et une innovation médicale soutenues par une agence européenne dotée de vrais moyens pour qu’on ne soit pas des innovateurs frustrés. De belles success stories ont débuté en Europe : l’ARN messager a d’abord été une découverte européenne ; les fondateurs de BioNTech sont deux chercheurs allemands qui ont été financés par l’Union européenne avant de s’allier à un laboratoire américain pour la production. L’Europe dispose donc d’une solide base d’innovation que nous devons renforcer.

Le troisième axe a perdu de son importance aujourd’hui, mais il a été une question très sensible au tout début de la pandémie. Je veux parler de la comparabilité des données concernant, par exemple, le nombre des cas, des décès ou des lits de réanimation. Il y a exactement un an, des comparaisons polémiques étaient faites entre la France et l’Allemagne, faisant dire que la France était très en retard alors que l’on ne savait pas comparer les données. On ne le sait d’ailleurs toujours pas complètement aujourd’hui, alors qu’on est capable de comparer le déficit public à plusieurs décimales près. Ce chantier a déjà commencé au niveau européen. Ces difficultés valent aussi pour les applications de détection et de signalement des cas, car elles n’ont pas été développées dans un souci d’interopérabilité. C’est aussi un des arguments en faveur d’une réflexion commune sur le certificat sanitaire qui serait une preuve sanitaire harmonisée au niveau européen alors qu’arrive la saison touristique.

S’agissant de la négociation des contrats, au départ, l’Union européenne n’était pas suffisamment armée, car elle n’est pas compétente pour les questions sanitaires. Ce sont la France, l’Allemagne et les Pays-Bas qui ont lancé, dès le mois de juin 2020, la négociation de contrats avec plusieurs grands laboratoires, et qui ont ensuite transféré, sans bureaucratie ni perte de temps, la négociation finale des contrats et l’extension à d’autres laboratoires au niveau européen pour le bénéfice de l’ensemble des Vingt-Sept. Le problème n’est ni dans le prix ni dans la rédaction, ni dans le délai de négociation des contrats. Le contrat avec AstraZeneca en est un bel exemple : il a été signé juste avant le Royaume-Uni et a été rédigé de la même façon. Les prix ne sont pas publics, mais l’Union européenne a probablement payé moins cher que le Royaume-Uni puisque ses commandes sont six à sept fois supérieures. Je pense que la difficulté réside en amont, dans nos capacités de production pharmaceutique, dans l’innovation et dans l’investissement lors de la phase finale de développement des vaccins, sur lesquels nous avons investi moins fort et moins vite que les Américains. C’est cela qu’il faut corriger.

Strasbourg est également chère à mon cœur et je m’entretiendrai, en fin de semaine, avec le président du Parlement européen David Sassoli. Début mai devrait se tenir à Strasbourg la conférence sur l’avenir de l’Europe – nous sommes en train de la confirmer avec la présidence portugaise. Ce sera l’occasion de montrer l’importance de Strasbourg pour le Parlement européen. Au-delà de l’organisation de cet événement, nous travaillons sans relâche au retour des sessions du Parlement européen à Strasbourg. Le contrat triennal, qui vise à renforcer le statut de capitale européenne de Strasbourg, est finalisé et pourra sans doute être signé dans quelques jours. Il fera l’objet, comme le contrat précédent, d’une signature formelle en présence du Président de la République dans les semaines qui viennent, et les moyens alloués par l'État dans le cadre de ce contrat sont en augmentation, ce qui n’est pas le cas de tous les financeurs. C’est dire l’importance que l’État accorde au statut européen de Strasbourg.

S’agissant de la réserve d’ajustement au Brexit, le compte n’y est pas. Les intérêts des régions françaises les plus touchées par le Brexit, les Hauts-de-France, la Normandie et la Bretagne, notamment dans le secteur de la pêche, ne sont pas suffisamment représentés dans la proposition de la Commission. Il devait y avoir une discussion sur ce sujet demain, à Bruxelles ; elle a été reportée de quelques jours afin que nous puissions finaliser les discussions pour améliorer notre retour financier. Ces revendications ne sont pas une forme d’égoïsme national ; elles sont légitimes, car certains pays ont reçu un traitement plus favorable que la France alors qu’ils semblent avoir subi des impacts économiques et territoriaux moins forts. Nous travaillons donc à rétablir l’équité dans la clé de répartition initialement proposée par la Commission européenne, tout en maintenant la solidarité envers des pays qui, comme l’Irlande, ont été très touchés.

La Moselle a été très touchée par le variant et c’est ce qui avait justifié la classification spécifique de l’Allemagne, il y a quelques semaines. Nous avons renforcé, chaque fois que nous le pouvions, les efforts de la campagne de vaccination. À la demande d’Olivier Véran, 30 000 doses supplémentaires ont ainsi été livrées en Moselle, dès le milieu du mois de février, pour améliorer la situation et rassurer les autorités allemandes afin que la Sarre allège son protocole sanitaire. Par ailleurs, si un certificat sanitaire doit être mis en place, il faudra qu’il soit déployé en priorité dans certaines régions. Je suis toutefois, à titre personnel, un peu sceptique, car le certificat pose pour l’instant un certain nombre de questions éthiques et scientifiques. Il faut notamment s’assurer de l’absence de contagiosité de la personne vaccinée.

Sur la levée des restrictions, je vais être très honnête et réaliste. Il faut se battre pour une coordination européenne sur la libre circulation, sur l’achat de vaccins et sur la levée des restrictions aux frontières. Nous avions obtenu, en septembre dernier, un accord pour que la classification des territoires en zones vertes, oranges et rouges se fasse suivant les mêmes critères au niveau européen. En revanche, je ne crois pas qu’une telle coordination soit possible pour les activités sociales, éducatives et culturelles ou pour les mesures de couvre-feu ou d’attestations parce que les pays ont territorialisé leur réponse à la vague actuelle. C’est le modèle fédéral de l’Allemagne et c’est la réponse choisie par la France afin d’adapter les restrictions à la situation territoriale. Dans cette crise, une difficulté chasse l’autre. Grâce à l’accélération de la campagne de vaccination d’ici à la fin du deuxième trimestre, nous retrouverons progressivement une vie plus normale. Il sera alors légitime que chacun retrouve sa liberté de vie et pense aux vacances d’été. Pour le secteur touristique, le certificat sanitaire pourra alors être un outil commun pour éviter la cacophonie de l’été dernier provoquée par les mesures différenciées de chaque pays.

Annick Girardin échangera dans les prochains jours avec le commissaire européen chargé de la pêche et son homologue britannique, afin de maintenir la pression. Le problème, qui se pose dans les Hauts-de-France mais aussi dans d’autres régions, est bien identifié : il concerne la définition de l’antériorité. La définition britannique est très restrictive et ne va pas dans le sens de nos intérêts. Nous aurons aussi une discussion avec les autorités britanniques pour faciliter les procédures douanières relatives aux bases avancées. C’est un autre problème. Le débarquement des prises en Écosse est soumis à de telles formalités administratives qu’il est détourné vers le Danemark ou d’autres partenaires. Cela porte atteinte à la santé économique de sociétés comme Scapêche qui sont très importantes pour le Boulonnais et pour la France en général. L’accord en lui-même est bon. Nous avons obtenu des licences dans la zone économique exclusive et en partie, mais en partie seulement, dans la zone des 6 à 12 miles et dans les eaux des îles anglo-normandes.

Le calendrier du passeport vaccinal a fait l’objet d’une proposition législative de la Commission européenne. Elle devrait être soumise à une procédure rapide d’examen pour aboutir dans le courant du mois de juin. Je pense qu’il est prématuré d’imposer un passeport vaccinal, notamment pour des questions éthiques et sanitaires. Il serait choquant d’avoir deux vitesses. C’est toutefois un débat qu’il faut préparer, notamment en vue de la saison touristique.

Il y a, au total, cinquante-deux sites de production de doses de vaccin qui sont mobilisés en Europe. Sur les cinq que comptera la France, deux – Delpharm et Recipharm – entreront en service aux alentours du 15 avril, les trois autres le feront progressivement d’ici à l’été. Afin d’accélérer la production, Sanofi produira des doses de vaccins de ses concurrents : Johnson and Johnson sur un site français pour 100 millions de doses à partir de l’été et Pfizer sur un site allemand. Toutes les capacités de production doivent être mobilisées, et c’est ce qu’a poussé le Président de la République ces dernières semaines.

La livraison de 300 millions de doses est prévue à l’échelle de l’Union européenne. Il s’agit d’une fourchette basse, car on pourrait atteindre 350 millions de doses – je préfère être conservateur sur les hypothèses de livraisons des doses du vaccin d’AstraZeneca. La France devrait recevoir 50 millions de doses au cours des trois prochains mois. Ces chiffres sont disponibles dans les tableaux de livraisons mensuelles que le ministère de la santé publie régulièrement. Il s’agit d’une accélération très significative par rapport à la période du premier trimestre.

Concernant le semestre européen, deux éléments s’articulent : le plan national de relance et de résilience, qui sera présenté aux autorités européennes et à nos partenaires européens d’ici à la fin du mois d’avril, et le programme européen de stabilité centré sur une trajectoire de finances publiques, qui comporte à ce stade un certain nombre d’incertitudes, puisque nous ne sommes pas collectivement sortis de la crise. Ce dernier document sera, comme de coutume, transmis aux assemblées parlementaires.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. La stratégie vaccinale de l’Union européenne semble prendre un bon chemin.

Le dossier du gazoduc Nord Stream 2, qui concerne aussi l’Allemagne, a-t-il été évoqué lors du Conseil européen ? Il s’agit là d’un sujet conflictuel qui touche à l’indépendance énergétique de l’Union.

M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Ce sujet n’a été abordé ni par le président Biden ni par Charles Michel. Le secrétaire d’État Blinken l’a évoqué à plusieurs reprises, rappelant les réticences américaines, qui sont déjà connues. Je n’ai pas davantage d’informations.

 

La séance est levée à 19 h 07.


Membres présents ou excusés

 

Le relevé des présents est suspendu en raison de la crise sanitaire.