Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

– Audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture, sur les conséquences de la crise sanitaire pour le secteur culturel et les perspectives pour 2021              2

 

 

 

 


Mardi
12 janvier 2021

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 22

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
M. Bruno Studer,
Président
 

 


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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mardi 12 janvier 2021

La séance est ouverte à dix-sept heures trente.

(Présidence M. Bruno Studer, président)

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La Commission procède à l’audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture, sur les conséquences de la crise sanitaire pour le secteur culturel et ses acteurs.

M. le président Bruno Studer. Madame la ministre de la culture, mes chers collègues, je suis heureux de vous retrouver pour cette première réunion de l’année en format mixte dans la salle de la commission des affaires européennes, que je remercie de nous accueillir. Je vous souhaite une année 2021 sereine et solidaire, progressivement libérée de la contrainte sanitaire et qui nous permette de mener à bien les projets qui nous sont chers.

Les fluctuations de la situation sanitaire créent un climat d’incertitude forcément difficile à vivre et à lever. Depuis le mois de mars 2020, l’État a fait beaucoup pour amortir l’impact économique et social de la crise de la Covid-19, puisque le secteur culturel a reçu
– c’est inégalé dans le monde – plus de 7 milliards d’euros d’aides. J’aime à rappeler que, de l’autre côté de la Manche, un Premier ministre a dit aux artistes : reconvertissez-vous ! Ici, nous leur disons : nous vous soutenons, nous ne vous lâchons pas, et nous n’avons pas fait tout cela pour arrêter maintenant.

Madame la ministre, je suis sûr qu’au-delà des questions relatives à la crise et à son impact, vous aurez à cœur de développer votre feuille de route pour le futur vers lequel il faut regarder.

Regarder vers le futur c’est aussi regarder ce qui se passe autour de nous, par exemple en Espagne où certaines salles de spectacle ont pu rester ouvertes et où des expérimentations sont menées, afin de se projeter vers une réouverture et le retour à une certaine normalité.

Vous avez engagé, madame la ministre, une nouvelle concertation avec les acteurs du monde de la culture sur les scénarii envisageables selon l’évolution de la situation sanitaire, suivant un calendrier glissant. Des dispositifs adaptés au contexte particulier des différents secteurs pourraient ainsi être conjointement définis.

Les acteurs culturels ont déjà fait preuve d’une grande capacité d’adaptation : leur créativité pour inventer de nouvelles manières de renouer avec le public doit en particulier être soulignée. C’est essentiel pour eux comme pour tous les Français.

Bien entendu, même si les salles de spectacle vivant et de cinéma sont particulièrement touchées par la crise, toutes les pratiques culturelles ne sont pas à l’arrêt.

Je vous remercie d’avoir rendu possible, avant les vacances de décembre, la réouverture des lieux d’enseignement artistique et culturel : elle a été une bouffée d’oxygène et un bon signal, en dépit du couvre-feu, qui nécessite une part d’adaptation. Je sais que vous avez comme priorité de vous appuyer dans le futur sur ces pratiques pour la relance.

Je serais par ailleurs heureux que vous nous donniez quelques précisions à propos du Pass culture auquel, vous le savez, je suis très attaché. Un tel réseau social culturel ne doit pas dépendre de méga-puissances privées étrangères. Ce serait tout de même le comble pour le pays de l’exception culturelle que de voir toutes les données relatives à la consommation culturelle de nos jeunes appartenir à d’autres qu’au ministère de la culture. C’est un enjeu essentiel. Nous avons d’ores et déjà, en un temps relativement record, mis en place un outil technique. J’ai toujours appelé de mes vœux une progressivité dans l’application de ce Pass qu’il faut à présent généraliser afin qu’il bénéficie à toutes et à tous.

Ce dispositif, auquel je vous sais également très attachée, madame la ministre, est critiqué au motif qu’il concernerait davantage certaines catégories socioprofessionnelles. Or, lors du déplacement que j’ai effectué avec notre collègue Maud Petit en Guyane, où tous les établissements scolaires font partie de réseaux d’éducation prioritaire (REP), j’ai pu mesurer à quel point il bénéficiait à toute la jeunesse. Je ne doute pas un seul instant que sa généralisation sera également un outil de relance.

Avant de vous passer la parole, madame la ministre, je souhaite la bienvenue à notre collègue Grégory Labille, membre du groupe UDI et Indépendants, qui a rejoint la commission.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. En ce début d’année, permettez‑moi tout d’abord, monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, de vous présenter tous mes vœux, personnels et pour les travaux de cette commission. Je souhaite que nous continuions à travailler ensemble dans l’esprit de collaboration, d’amélioration et d’optimisation dont vous avez fait preuve depuis six mois que je suis en charge de ce ministère prestigieux. Je tiens à venir régulièrement devant vous afin d’expliquer l’action que je mène et de répondre à vos questions légitimes puisqu’elles reflètent celles que se posent nos concitoyens dans leur vie quotidienne.

Notre pays traverse, depuis dix mois maintenant, une crise sans précédent qui affecte profondément le monde de la culture. Nous entendons et partageons le désarroi des professionnels, des artistes, des techniciens et de tous ceux qui s’occupent de culture et qui ne peuvent plus exercer leur activité, comme celui de nos concitoyens qui ne peuvent profiter pleinement de l’offre culturelle qui fait la fierté de notre pays.

Comme l’a indiqué le Premier ministre la semaine dernière, et je sais que ce sujet sera au cœur de nombre de vos questions, la situation sanitaire n’est pas satisfaisante. D’après mon récent échange avec Olivier Véran, nous en sommes en effet à presque 20 000 contaminations par jour.

La clause de revoyure, qui n’a jamais été une clause de réouverture, n’a pas permis, à ce stade, une reprise des activités culturelles. Les décisions quant au calendrier et aux modalités de réouverture seront prises le 20 janvier prochain, en espérant que la situation sera alors suffisamment éclaircie.

Afin de définir les conditions de cette réouverture, je poursuis en ce début d’année les concertations avec les représentants du spectacle vivant, du cinéma et du patrimoine. Une nouvelle série de réunions s’est ainsi tenue vendredi dernier en visioconférence. Nous travaillons ensemble à l’élaboration d’un modèle de réouverture progressive, selon des modalités plus adaptables, afin que l’on ne soit pas confronté, à chaque inflexion de la situation, à un choix binaire : laisser les établissements ouverts, ou les fermer. Cela ne doit pas être du tout ou rien.

Les secteurs culturels ont en effet besoin de perspectives en termes de méthodes et de calendrier pour ouvrir. Leur modèle économique, avec des cycles d’investissement longs, donne encore plus d’acuité à cette exigence que pour d’autres secteurs.

Par ailleurs, les études disponibles montrent que, lorsque des protocoles sanitaires solides sont en place – gestes barrières, port du masque, distanciation, renouvellement de l’air –, les risques de contamination ne sont pas supprimés, mais réduits.

Pour autant, les protocoles sanitaires doivent demeurer exigeants et s’adapter à la situation, qui n’est pas simple. C’est à tout cela que nous travaillons avec les professionnels des différents secteurs, chacun apportant ses propositions et son expérience, avec l’objectif difficile d’aboutir à un dispositif partagé que je pourrai proposer au niveau interministériel.

Nous sommes à un moment charnière de la gestion de crise. Le déploiement de la campagne de vaccination, qui s’accélère, est également un vrai motif d’espoir. Je me réjouis à cet égard que de nombreux artistes se mobilisent en ce sens pour se faire les avocats de la vaccination.

Si nous devons préparer l’après-crise et la reprise de ces activités culturelles, il est indispensable de soutenir nos artistes pour surmonter au mieux la situation. L’État ne cesse depuis dix mois d’adapter ses dispositifs d’accompagnement : au total, près de 7,5 milliards d’euros ont été mobilisés pour accompagner le secteur, dont 5 milliards d’euros au titre des mesures transversales et 2 milliards d’euros de mesures spécifiques portées par le budget du ministère de la culture.

Je sais qu’il peut exister quelques dysfonctionnements, parfois des lenteurs dans la mise en œuvre des mesures, et des situations insuffisamment prises en compte qui reflètent d’ailleurs l’extrême morcellement du secteur culturel. Les professionnels que je rencontre reconnaissent cependant chaque fois l’effort considérable de ce gouvernement et l’adaptation constante des aides à la situation.

Les chiffres communiqués par le Syndicat de la librairie française, la semaine dernière, sont loin du tableau apocalyptique qui avait été dressé par certains : ils montrent en effet que malgré les contraintes du confinement, et grâce au fort soutien de l’État, les librairies ont limité la chute de leurs ventes puisque la baisse de leur chiffre d’affaires est estimée à 3,3 %. Quand on y ajoute les aides accordées par l’État, on s’aperçoit que ce secteur a non seulement vraiment tenu le choc mais peut-être trouvé de nouveaux consommateurs de livres. En tout cas, c’est ce que les libraires m’ont dit !

Au-delà de la gestion de la crise sanitaire qui me mobilise évidemment beaucoup, je porte avec la même énergie, depuis mon arrivée au ministère, un certain nombre de grands chantiers que je voudrais rappeler devant vous.

L’année 2021 va être celle du déploiement du plan de relance, avec 2 milliards d’euros – pour lesquels je me suis battue – qui vont permettre d’accompagner l’ensemble des pans du secteur culturel.

La répartition des crédits en faveur des opérateurs a été effectuée dès le mois de septembre afin de donner de la visibilité aux établissements et les enveloppes d’investissements dans les régions ont fait l’objet des premières notifications aux directions régionales des affaires culturelles et aux préfets au mois de novembre dernier.

Les projets retenus sont très divers, puisqu’ils vont de la restauration de l’abbatiale de Redon, en Ille-et-Vilaine, au château de l'Herm en Dordogne et à la réhabilitation des bâtiments de la scène nationale de la Guadeloupe. Je veux en effet une très grande équité entre les territoires.

Les dotations aux différentes filières culturelles ont également été arrêtées et rapidement exécutées : je pense notamment au secteur du cinéma, particulièrement impacté par la crise sanitaire. Outre l’ensemble des dispositifs d’accompagnement, le plan de relance dote le Centre national du cinéma et de l'image animée de 165 millions d’euros.

J’ai en outre mis en place un comité de pilotage qui se réunit mensuellement pour faire le point sur l’exécution du plan de relance, ligne par ligne et opération par opération. Comme vous le savez, la guerre est un art d’exécution : un plan de relance aussi, car c’est dans ces détails que réside désormais son succès.

En complément des moyens du plan de relance, vous avez quasi unanimement soutenu le projet de budget de mon ministère pour 2021, avec des crédits en forte hausse. Vous avez également été nombreux à vous mobiliser pour renforcer les dispositifs fiscaux qui permettront de relancer l’activité et de donner de la visibilité au secteur.

Ces moyens budgétaires, conséquents et inédits pour le ministère de la culture, vont permettre la mise en œuvre de nombreux chantiers et projets.

Ainsi, dans le domaine patrimonial, outre le suivi de la mise en œuvre des crédits du plan de relance et la réouverture des musées et monuments, je serai particulièrement attentive au suivi de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Je me suis d’ailleurs à nouveau rendue sur le chantier ce matin, et je sais qu’un travail de grande qualité est mené par la mission d’information que conduisent Brigitte Kuster et Sophie Mette.

La réflexion sur les musées devra également se poursuivre en s’interrogeant sur le modèle économique, la place du numérique et les impacts de la fréquentation touristique.

L’année à venir devra également permettre de donner un nouvel élan à l’Établissement public national à caractère industriel et commercial du Mont‑Saint‑Michel qui sera fortement accompagné financièrement par l’État en 2021, aux côtés des collectivités territoriales. J’ai d’ailleurs échangé longuement avec Hervé Morin sur ce sujet.

En matière de création, en parallèle de la reprise des spectacles attendue par tous, j’ai, ces derniers mois, lancé deux missions : l’une, que j’ai confiée à Georges-François Hirsch et Christophe Tardieu – fins connaisseurs de la maison – sur les perspectives et les modalités d’accompagnement et de soutien de l’Opéra national de Paris, dont les conclusions me seront remises dans les prochaines semaines, et l’autre, confiée à Caroline Sonrier, sur la politique de l’art lyrique en France, dont les travaux seront clos au mois de juin 2021.

Un important chantier concernera par ailleurs le soutien à l’emploi artistique et culturel, avec notamment le suivi de l’année blanche pour les intermittents du spectacle. J’ai souhaité que s’engage d’ores et déjà un travail interministériel sur ce sujet – puisqu’il s’agit de crédits « Emploi » – afin de pouvoir anticiper les difficultés que pourraient rencontrer au 1er septembre ceux dont les activités professionnelles auront été les plus pénalisées par la crise et d’identifier, le cas échéant, les mesures nécessaires.

Les modalités n’en sont pas totalement arrêtées mais nous devrons également mettre en œuvre le plan de commande artistique de 30 millions d’euros souhaité par le Président de la République.

Les festivals, qui irriguent nos territoires, resteront également au cœur de mes préoccupations : la deuxième partie des États généraux des festivals se tiendra, en principe, lors du Printemps de Bourges au mois de mai prochain. J’espère vraiment que nous pourrons la tenir dans ce cadre. En tout cas, la réflexion continue et l’on passera, au cours de cette deuxième édition, du diagnostic aux solutions.

Dans le champ des médias et des industries culturelles, la suite de la réforme du financement de la création pour le secteur du cinéma et de l’audiovisuel constitue une priorité majeure. Au-delà de la mise en œuvre du décret relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (SMAD), la refondation du financement de la création nécessite de revoir la chronologie des médias ainsi que le décret TNT.

J’ai lancé des concertations sur ces deux chantiers juste avant Noël afin qu’elles puissent déboucher dans un cadre rénové. L’enjeu est que le nouveau régime du financement de la création pour le cinéma et l’audiovisuel puisse être mis en place au plus tard à l’été 2021 : c’est un calendrier exigeant, mais nous bâtissons vraiment un système global et coordonné.

Dans les semaines à venir, il s’agira également de poursuivre la mise en œuvre de la loi DDADUE (Diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union Européenne) : après l’ordonnance transposant la directive sur les services de médias audiovisuels, dite directive SMA, le décret SMAD a été notifié à la Commission européenne.

Trois ordonnances sont par ailleurs en cours pour transposer les directives « droit d’auteur » et « câble satellite ».

Je sais par ailleurs, car tout est lié, vos attentes concernant la reprise des dispositions consensuelles du projet de loi audiovisuel. Mes services ont élaboré un nouveau texte, d’une quinzaine d’articles, visant à protéger l’accès aux contenus audiovisuels. Je travaille en collaboration étroite avec Marc Fesneau afin de permettre son inscription à l’ordre du jour du deuxième trimestre. Nous avions encore une réunion hier soir à ce sujet – je précise que c’était ses cinquante ans et que ceux qui le souhaitent peuvent lui souhaiter son anniversaire…

M. le président Bruno Studer. Nous ne manquerons pas de lui souhaiter un bon anniversaire. Chers collègues, je vous appelle à une démarche transpartisane. (Sourires.)

Mme Roselyne Bachelot, ministre. On n’est jamais trop bien avec le ministre chargé des relations avec le Parlement ! (Sourires.)

En outre, les contrats d’objectifs et de moyens des sociétés de l’audiovisuel public seront adoptés dans les semaines à venir, et je sais que votre commission, notamment la rapporteure Florence Provendier, est particulièrement mobilisée en ce moment sur le sujet.

Le soutien à la profession de journaliste est également primordial – vous connaissez le plan de filière destiné à la presse. Ce qui est arrivé à Sciences & Vie nous a tous beaucoup choqués et interpellés. J’ai confié une mission à Laurence Franceschini sur la conditionnalité des aides à la presse et serai attentive aux travaux que mènera la commission présidée par Jean-Marie Delarue, dont les résultats devraient être connus le 15 mars.

Enfin, la structuration d’une filière consacrée aux industries culturelles et créatives est en bonne voie. La stratégie d’accélération du développement devrait être finalisée début février : cela va nous permettre, en liaison avec le Secrétariat général pour l’investissement, de préparer les appels à projets 2021 concernant la mobilisation des 400 millions d’euros du quatrième Programme d’investissements d’avenir (PIA4) qui seront dédiés, sur cinq ans, à la filière. On peut évidemment les séparer en cinq tranches de 80 millions, mais si l’on veut dépenser plus, on le peut : si vous avez pour 160 millions d’euros de projets pour cette année, je suis preneuse. Enfin, cette dernière bénéficiera prochainement, comme d’autres filières
– l’hydrogène ou l’intelligence artificielle –, de la mise en place d’un comité stratégique de filière.

Nous en avons longuement débattu dans le cadre du projet de loi de finances : en matière d’accès à la culture, l’année 2021 devrait permettre la généralisation du Pass culture sur l’ensemble du territoire, avec un montant réajusté au regard des comportements constatés dans le cadre de l’expérimentation.

La date de cette généralisation doit encore être définie au regard de la situation sanitaire et de la réouverture des établissements et des lieux de culture. Évidemment, ouvrir le Pass culture alors que l’offre culturelle est à l’arrêt n’aurait pas grand sens.

Cette généralisation sera accompagnée d’un dispositif complémentaire pour les moins de 18 ans dans le cadre scolaire, afin de les préparer à cette démarche d’autonomisation. Les prochains mois seront essentiels pour la montée en puissance du Pass. Je compte sur vous : vous devez être, mesdames et messieurs les députés, les ambassadeurs de ce formidable outil d’émancipation. Une large campagne de communication sera mise en œuvre en direction des bénéficiaires. Il était en effet impossible de la lancer tant que le dispositif n’était pas généralisé. Il conviendra de mobiliser l’ensemble des partenaires.

L’éducation aux médias et à l’information sera en outre un enjeu primordial. Elle revêt une importance accrue à la suite de l’assassinat de Samuel Paty dont je salue ici la mémoire et le sacrifice. Elle s’inscrira également dans le cadre du chantier « 100 % éducation artistique et culturelle » que je mène conjointement avec Jean-Michel Blanquer.

Enfin, s’agissant de l’enseignement supérieur, l’accent sera mis sur la qualité de vie des étudiants et l’insertion professionnelle des diplômés : ce sera l’une des missions de la nouvelle Délégation générale aux territoires, à la transmission et à la démocratie culturelle (DG2TDC) que j’ai créée le 1er janvier dernier au sein du ministère.

Je continuerai également de me mobiliser sur des dossiers transversaux essentiels : je pense en particulier à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes – je réunis le comité ministériel à l’égalité ce jeudi – ou à l’ensemble des sujets européens, avec la préparation de la présidence française de l’Union européenne qui aura lieu au premier semestre 2022 et dans laquelle je souhaite m’impliquer fortement, en parfaite collaboration avec Clément Beaune.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, oui, le monde de la culture traverse une crise profonde. Il est touché de plein fouet par les conséquences de cette crise sanitaire tragique. Je demeure pleinement mobilisée pour aider financièrement les professionnels durant cette période et préparer l’après-crise.

Au-delà, de nombreux chantiers nous attendent : il ne s’agit pas, au motif de la crise qui nous mobilise, de mettre ce ministère à l’arrêt. Bien au contraire. Je compte sur vous, sur la représentation nationale, pour mener ces chantiers à bien, dans un esprit de dialogue et d’écoute qui a toujours primé lors des échanges nourris que nous avons eus ces derniers mois.

Je nous souhaite à nouveau le meilleur pour cette année 2021.

M. le président Bruno Studer. Nous en venons aux orateurs des groupes.

Mme Aurore Bergé. Madame la ministre, chacun connaît, dans cette salle et en dehors, votre engagement profond en faveur du secteur culturel au cours de cette période : il a permis, avec l’augmentation du budget du ministère de la culture, un soutien budgétaire sans précédent non seulement dans l’urgence mais aussi sur le long terme. Je vous remercie d’avoir salué l’engagement des parlementaires qui ont permis que certains dispositifs fiscaux soient adoptés, en espérant qu’ils perdureront également.

Toutefois, la crise que traverse le secteur culturel bouleverse les habitudes culturelles des Français et fait courir le risque de voir certains d’entre eux ne pas ou ne plus avoir la possibilité d’en acquérir. Je pense notamment à l’éducation artistique et culturelle, qui se trouve au cœur du projet politique et culturel que nous devons défendre pour notre pays.

Dans ce contexte, il faut essayer de sortir du débat délétère autour des questions d’ouverture et de fermeture car nous n’avons pas une visibilité suffisante. Nous ne pouvons pas, en effet, vous demander aujourd’hui une date et une heure d’ouverture. Peut-on en revanche essayer d’imaginer ensemble de nouvelles modalités, notamment en matière d’éducation artistique et culturelle, considérant que, parce qu’il y a des publics prioritaires, certains lieux pourraient rouvrir en priorité ? Des espaces pourraient leur être dédiés.

On demande aux artistes de faire du hors les murs, de pratiquer l’itinérance, de se rendre dans les collèges et dans les lycées : ne pourraient-ils pas accueillir également un certain nombre d’étudiants, d’élèves et de familles, c’est-à-dire des publics particulièrement frappés par la crise, pour lesquels la culture constitue une réponse aux enjeux d’une inégalité sociale qui pourrait malheureusement en sortir renforcée ?

Ma deuxième question porte sur les grands gagnants – malheureusement – de ce confinement, les GAFAN, avec le risque d’une uniformisation tant de notre pensée que de la création artistique. À cet égard, au-delà de la transposition des directives que nous avons conduite, quelle est la politique offensive que vous souhaitez mener afin que nous disposions d’une réponse souveraine, nationale et européenne, sur cette question ?

Mme Valérie Bazin-Malgras. Permettez-moi, au nom du groupe Les Républicains, de vous souhaiter à tous une excellente année 2021.

M. le président Bruno Studer. Et un bon anniversaire au ministre chargé des relations avec le Parlement ! (Sourires.)

Mme Valérie Bazin-Malgras. Tout à fait !

En ce début d’année, c’est un message d’espérance qui a prévalu lors de nos échanges de vœux. Les milieux culturels, eux, espéraient depuis novembre : ils avaient l’espoir de reprendre leur activité le 15 décembre, avant que la date de la réouverture des lieux de culture ne soit reportée au 7 janvier. Nous sommes le 12, et ils peuvent toujours espérer. Les galeries marchandes et les lieux de culte sont ouverts ; on peut prendre le métro, le train, l’avion et y côtoyer d’autres passagers pendant plusieurs heures ; mais les lieux de culture ne peuvent pas rouvrir en appliquant des protocoles sanitaires stricts qui apportent pourtant toutes les garanties nécessaires. Alors les acteurs culturels désespèrent. Ils craignent de disparaître.

Avant même le deuxième confinement, le spectacle vivant avait déjà perdu 72 % de son chiffre d’affaires, le secteur du patrimoine 36 %, les arts visuels 31 %, l’industrie du livre 23 % et l’audiovisuel et le cinéma au moins 20 % – des chiffres dramatiques. Or la situation est bien pire aujourd’hui. L’activité de ces secteurs, déjà très fragilisés par le premier confinement et par le couvre-feu, est complètement à l’arrêt depuis près de trois mois. Pour eux, il y a urgence à rouvrir.

Madame la ministre, il faut que vous nous indiquiez clairement vos intentions. Vous devez annoncer une date de réouverture ferme. Pour les 670 000 professionnels de la culture, il n’est plus possible d’attendre.

Avant les sombres perspectives actuelles, le budget de la culture pour 2021, bien qu’en augmentation, était très insuffisant pour réagir à la crise. Vu le contexte, il faut donc évidemment débloquer de nouveaux moyens substantiels. Allez-vous proposer, dans le cadre d’un projet de loi de finances rectificative qui semble désormais nécessaire, un budget de la culture sincère et à la hauteur d’une année de crise ? C’est le vœu que notre groupe forme en ce début janvier.

Mme Sophie Mette. Permettez-moi à mon tour, madame la ministre, de vous présenter nos meilleurs vœux au nom du groupe MODEM et démocrates apparentés – et de souhaiter un bon anniversaire à Marc Fesneau ! Puisse 2021 nous permettre de gagner la bataille contre la covid-19 et faire que le secteur culturel se relève au plus vite et au mieux.

Mercredi 7 janvier, le Premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé ont fait le point sur la situation épidémique en France et sur les mesures qui en découlent. Des choix ont été faits, attendus, difficiles et légitimes, mais évidemment pénibles pour tous les amoureux de la culture. Le Gouvernement a désormais rendez-vous le 20 janvier avec les Français pour décider de rouvrir ou non les lieux culturels en février.

Vous vous êtes également exprimée et avez indiqué que nous manquions de visibilité quant à l’évolution de la pandémie, d’autant que de nouveaux variants du virus apparaissent. Vous avez aussi évoqué la nécessité de créer un « modèle résilient » pour surmonter la crise et rouvrir pour de bon tous les lieux culturels.

Ces derniers sont en souffrance. Nous savons votre engagement, dont témoigne la poursuite de la consultation des secteurs culturels les plus affectés – musées et monuments, spectacle vivant et cinéma.

S’agissant de ce dernier secteur, nous, parlementaires, sommes fréquemment interpellés par les professionnels et les syndicats. Vous l’êtes bien sûr aussi, et des personnalités célèbres et influentes vous interrogent régulièrement et publiquement – je pense à Maïwenn, Pierre Niney ou Richard Patry. Tous nous rappellent la gravité de la situation.

Avez-vous aujourd’hui davantage de visibilité concernant le secteur du cinéma ? À quoi le « modèle résilient » que vous avez évoqué devra-t-il ressembler ?

Deux milliards d’euros ont été alloués à la culture dans le cadre du plan de relance, auxquels se sont ajoutés 35 millions fin 2020. Devons-nous désormais attendre davantage de soutien ?

Mme Michèle Victory. Je m’exprimerai au nom du groupe Socialistes et apparentés. Je ne répéterai pas ce qui a été dit sur les conséquences terribles de la crise, sur la mobilisation des acteurs culturels et sur la place essentielle de la culture, que vous essayez de défendre, madame la ministre – nous le savons.

Alors que les salles de spectacle et de cinéma et les monuments historiques ne peuvent rouvrir en respectant les gestes barrières, nous avons vu des foules se presser dans les centres commerciaux : il y a là quelque incohérence. Peut-être l’expérience des pays voisins pourrait-elle nous servir pour envisager une réouverture le plus tôt possible.

Pourriez-vous développer s’agissant du plan de relance par la commande publique ?

Je suis inquiète s’agissant des écoles de musique et des conservatoires, où seuls les élèves de troisième cycle et des classes à horaires aménagés musique (CHAM) ont été autorisés à continuer de travailler leur instrument, ce qui laisse tous les autres sur le bord du chemin. Dans l’école départementale de ma circonscription, les quatre-vingts professeurs interrogés disent la grande difficulté à dispenser des cours de qualité avec un matériel insuffisant et sont très démotivés ; le résultat des cours par visioconférence n’est pas à la hauteur. À cela s’ajoute l’arrêt de toutes les pratiques amateur.

Quant aux festivals, leurs organisateurs et les participants ont besoin de pouvoir se projeter, même si les conditions de leur tenue doivent être dégradées. Ils doivent travailler en amont et ne peuvent donc attendre des décisions tardives. Il faudrait par conséquent prendre des mesures compensatoires de la prise de risque que cela suppose. Le Premier ministre a rappelé l’existence de plusieurs aides instaurées par le Gouvernement. Pourriez-vous nous en dire plus sur le calendrier de leur attribution, qu’elles soient transversales ou sectorielles, comme l’année blanche pour les intermittents ? Le Gouvernement envisage-t-il de les prolonger – ce qui nous paraît indispensable – et, si oui, jusqu’à quand ?

Par ailleurs, comment pensez-vous accompagner le monde de la culture vers une reprise économique en toute sécurité, pour mettre fin à un stop and go qui le prive d’une visibilité essentielle ?

M. Pierre-Yves Bournazel. Au nom du groupe Agir ensemble, je vous présente mes meilleurs vœux, madame la ministre, comme à mes collègues et au monde de la culture.

Du fait de la crise sanitaire, 2020 restera une année très difficile pour ce dernier. Vous avez parlé des théâtres, des salles de cinéma, des cabarets, des salles de concert, des musées, des librairies, des festivals ; je pense aussi aux femmes, aux hommes, aux artistes, intermittents, entrepreneurs culturels, auteurs et compositeurs qui font rayonner la culture dans notre pays et à travers le monde.

Lors de cette crise, chacun a pu mesurer combien la culture est essentielle à nos vies, à notre bonheur et au vivre ensemble. Elle constitue à mes yeux l’une des grandes réponses aux multiples fractures que nous connaissons.

L’enjeu pour 2021 est donc de protéger et de refonder notre modèle d’exception culturelle.

L’année 2020 aura déjà permis des avancées majeures, dont la régulation des plateformes, avec la transposition de la directive SMA, une grande étape sur la voie d’un partage plus juste de la valeur et de la préservation de la diversité de la création. Nous saluons, madame la ministre, votre engagement et votre détermination, ainsi que celle du Gouvernement, à protéger notre spécificité culturelle.

L’année 2021 peut être le moment d’accompagner l’ensemble des acteurs de la culture dans la relance de leur activité, de les aider – je le dis avec beaucoup de précaution – à préparer le retour à des conditions plus normales mais adaptées, et d’apprendre à vivre avec le virus.

Les acteurs du secteur culturel préparent actuellement des essais de concerts où toutes les précautions seraient prises pour éviter les infections. Une expérience en ce sens, réalisée en décembre à Barcelone, s’est révélée satisfaisante : aucune contamination n’a eu lieu à la suite de l’événement. Plusieurs projets de concerts tests sont sur la table en France, organisés notamment par le PRODISS, le Syndicat national du spectacle musical et de variété. En savez-vous davantage sur leur calendrier ?

À cause de la fermeture des salles de cinéma, les films non sortis s’accumulent et certains professionnels alertent sur le risque d’un embouteillage lors de la réouverture. Les spectateurs pourraient alors privilégier des blockbusters…

M. Grégory Labille. Monsieur le président, je vous remercie de votre accueil au sein de la commission : c’est un vrai plaisir pour moi de la rejoindre. Je prends la parole au nom du groupe UDI et indépendants.

Vous l’avez reconnu, madame la ministre : il se peut qu’il y ait eu des oubliés. Je veux évoquer les 276 000 intermittents du spectacle, qui souffrent malgré toute l’aide financière que vous leur avez apportée afin de compenser la cessation de leur activité. Pour la majorité d’entre eux, 2020 aura été une année blanche. Qu’est-il prévu pour eux ?

Que comptez-vous faire pour les primo-entrants, qui n’ont pu atteindre les 200 heures en raison de la crise du covid ? Est-il possible de recalculer leur prime d’activité en se fondant sur les trois mois précédant l’arrêt de leur activité en raison du premier confinement, puis du deuxième, c’est-à-dire janvier, février et mars 2020 ?

M. Michel Larive. Au nom du groupe La France insoumise, je vous adresse à toutes et à tous mes vœux de bonheur et de santé pour 2021.

Le 12 décembre dernier, près de 500 personnes se sont rendues dans la salle de concerts Apolo, à Barcelone, d’une capacité habituelle de 900 places, en se pliant à des consignes sanitaires drastiques – ventilation de la salle, surveillance de la température et port obligatoire d’un masque FFP2. Il s’agissait d’un test destiné à mesurer le risque d’infection par le nouveau coronavirus chez les participants à un événement de masse soumis à une haute discipline sanitaire. Résultat : pour l’ensemble des 463 spectateurs, le test était négatif avant l’événement comme huit jours plus tard. S’il fallait une preuve de la possibilité de rouvrir les lieux culturels en toute sécurité grâce à un protocole de logistique sanitaire planifié et strict, en voilà une.

Mais, en France, tout le secteur culturel est mis sous cloche depuis de longs mois et l’échéance de la réouverture ne cesse de reculer, plongeant les professionnels dans l’angoisse, la précarité et l’incompréhension. J’étais à leurs côtés lors de la manifestation du 15 décembre 2020 place de la Bastille. Ils dénoncent l’inégalité de traitement qu’ils subissent : les lieux de culte, les transports publics et les centres commerciaux tournent à plein régime tandis que les théâtres, musées et cinémas sont forcés à l’arrêt. Pourtant, les activités culturelles sont essentielles en période de crise : elles permettent aux citoyens d’affiner leur perception du présent, de lutter contre l’obscurantisme et de s’évader d’un quotidien anxiogène.

Les acteurs culturels attendent non seulement une date, mais de véritables solutions face à une épidémie qui s’installe dans le temps long. Pour mémoire, aucune propagation du virus n’a été constatée dans les lieux culturels. Il est grand temps d’écouter le monde de la culture en appliquant des protocoles construits avec les professionnels de santé. Il faut rouvrir les musées, les monuments, les théâtres. Madame la ministre, quand allez-vous enfin déconfiner la culture ?

M. Bertrand Pancher. Le secteur de la culture connaît un drame. Je souhaite relayer, au nom du groupe Libertés et territoires, plusieurs demandes précises de ses acteurs.

Concernant les salles de cinéma, les relations avec les partenaires bancaires se tendent considérablement. Les exploitants de cinémas sont très endettés en France. Une salle qui réalise 300 000 entrées produit un chiffre d’affaires de 2 millions d’euros, en forte diminution, et si l’exploitant est endetté comme l’est la moitié d’entre eux, il a 50 000 euros par mois à rembourser : ça ne peut pas durer. Le Centre national du cinéma est aux abonnés absents. Est-ce à lui de garantir les prêts ou à l’État de donner des consignes précises aux banques ? Par ailleurs, outre les petites salles, les cinémas Pathé, UGC ou CGR ont aussi besoin d’être aidés.

Concernant les spectacles privés, leur préparation nécessite trois mois à deux ans alors que l’on ne sait pas quand ils vont avoir lieu ni à quel endroit. Les acteurs demandent que le fonds de compensation des pertes de billetterie, un très bon mécanisme, soit pérennisé en 2021. De même, le dispositif d’exonération des cotisations sociales et patronales a besoin d’être prolongé au moins pendant le premier semestre. Leur prorogation fait-elle partie de vos objectifs ?

Enfin, il faut une solution de moyen et de long termes pour relancer les investissements, donc l’activité. La bonification des taux du crédit d’impôt pour le spectacle vivant et le relèvement de ses plafonds, introduits par le Sénat le 21 novembre dernier, ont malheureusement été rejetés par l’Assemblée nationale le 14 décembre alors qu’ils sont vivement demandés par les acteurs. Quelle est votre position à ce sujet ?

Mme Karine Lebon. Au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, je souhaite tout d’abord porter à votre connaissance des faits très graves qui se sont déroulés dimanche 10 janvier à La Réunion. Alors qu’il participait à un déjeuner familial dans un restaurant, un élu de la République, maire d’une commune de 56 000 habitants, ainsi que trois membres de sa famille ont été violemment agressés par des candidats à l’émission Les anges de la téléréalité qui séjournaient dans l’île pour le tournage d’un épisode.

L’indignation et la mobilisation populaires ont été d’une telle ampleur qu’après avoir exclu les protagonistes du jeu, la production vient de décider d’annuler le tournage. Cette décision est censée ramener le calme, mais elle laisse ouvertes les questions que l’incident a soulevées sur ces émissions et sur les modèles qui y sont proposés aux jeunes – car ces « anges », on le sait, ne sont pas sans influence sur la jeunesse. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) intervient à propos des contenus d’une émission, non de son contexte. Comment le ministère de la culture compte-t-il réagir à ce type de comportement ?

En cette période de crise sanitaire, on ne peut s’empêcher de faire le parallèle entre le maintien et la prospérité de ce genre d’émission et les nombreux programmes de qualité dans le secteur du spectacle vivant qui ont dû, eux, être annulés. Ce qui m’amène à évoquer la détresse et la souffrance du monde du spectacle. À ce sujet, je ne répéterai pas ce que mes collègues ont déjà exprimé. Je ne doute, madame la ministre, ni de votre inquiétude ni de votre détermination. Mais sans doute faudrait-il procéder dans l’ordre, en commençant par bannir le mot « essentiel » et son corollaire, « non essentiel », inutilement blessant, et par le remplacer – je propose le mot « élémentaire ».

Il faut ensuite répondre à une question qui revient en boucle : pourquoi fermer les salles de spectacle respectueuses des consignes sanitaires quand d’autres lieux également clos continuent d’accueillir un public souvent nombreux ?

Je souhaite enfin aborder un sujet plus spécifique aux outre-mer. Il n’existe pas à La Réunion d’antenne locale de Pôle emploi spectacles, ce qui pose plusieurs problèmes : le décalage horaire réduit drastiquement les créneaux disponibles et la barrière de la langue peut empêcher une communication efficace avec les conseillers. Une solution serait de dédier sur place un agent formé aux caractéristiques des métiers culturels – une demande plus raisonnable que celle d’implanter une agence entière ; cette modestie plaidera-t-elle en faveur des acteurs de la culture à La Réunion ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre. D’abord, une quasi-motion d’ordre. C’est à croire que c’est volontairement, dans la joie et la bonne humeur, que nous avons fermé les lieux culturels ! Cette décision a été prise en responsabilité pour faire face à une crise sanitaire tragique. Elle est très lourde. Qui peut raisonnablement penser qu’une telle mesure, qui touche au cœur le projet politique que nous défendons en atteignant les personnes et les responsables qui se mobilisent pour la culture, et qui, par un énorme effet de ciseau, nécessite des enveloppes budgétaires considérables – au-delà du secteur de la culture, l’ensemble des mesures de soutien pèse des centaines de milliards d’euros – tout en réduisant les recettes de l’État, est prise à la légère ? On a l’impression qu’il y a les bons d’un côté, les méchants de l’autre, et que les méchants, c’est nous !

La France n’est pas la seule à faire ce choix ; certains nous considèrent même comme les plus laxistes – alors que les résultats que nous obtenons ne nous placent pas parmi les pays les moins performants en matière sanitaire. Si quelques pays d’Europe laissent les lieux culturels ouverts, la fermeture est générale en Grande-Bretagne, en Allemagne, aux Pays-Bas.

Les nouveaux éléments de diagnostic ne sont pas rassurants. Alors même que nous n’avons pas encore pu évaluer l’effet des fêtes de fin d’année – en particulier du réveillon du Nouvel An, potentiellement beaucoup plus toxique que celui de Noël, plus familial –, la crise sanitaire connaît des échappements dont nous avons beaucoup de mal à déterminer les causes exactes. Alors que nous en étions à 15 000 contaminations quotidiennes, ce chiffre aurait atteint 18 000 à 20 000 au cours des deux derniers jours. S’y ajoute la perspective de l’arrivée du variant B117, dont nous n’avons absolument pas évalué l’impact. Je rappelle que la Grande-Bretagne compte 50 000 à 60 000 nouveaux cas par jour et que son système hospitalier fait face à une propagation que Sadiq Khan, maire de Londres, juge « hors de contrôle ».

J’appelle à la responsabilité ceux qui veulent une réouverture immédiate des lieux culturels. Pouvons-nous prendre un tel risque ? Je me suis exprimée avec passion, je tiens à le faire de façon claire. Valérie Bazin-Malgras, vous me demandez une date de réouverture ferme : je serais totalement irresponsable de vous en donner une aujourd’hui !

J’en viens à l’éducation artistique et culturelle, à propos de laquelle m’ont interrogée Aurore Bergé et Michèle Victory. Il s’agit de l’un des trois objets quotidiens de mon ministère, avec le Pass culture et la restauration du patrimoine, et je lie évidemment les premières réouvertures de lieux culturels, monuments et musées à l’éducation artistique et culturelle : les deux se pilotent simultanément.

Dans un premier temps, seuls les établissements mentionnés à l’article L. 216-2 du code de l’éducation étaient autorisés à ouvrir au public, pour l’accueil des seuls élèves inscrits dans les classes à horaires aménagés, en série technologique « Sciences et techniques du théâtre, de la musique et de la danse », en troisième cycle et en cycle de préparation à l’enseignement supérieur, lorsque les formations ne pouvaient être assurées à distance. Dans la continuité des échanges menés avec les conservatoires depuis le début de la crise sanitaire, mes services travaillent en permanence à des propositions visant à une réouverture progressive des établissements en fonction des décisions gouvernementales liées à l’évolution de la crise sanitaire.

Madame Victory, vous avez fait, je crois, une petite erreur : le décret du 14 décembre 2020 modifiant celui du 29 octobre sur les mesures sanitaires permet l’accueil des mineurs dans les conservatoires territoriaux et dans tous les établissements de l’enseignement artistique relevant du spectacle vivant et des arts plastiques. Nos jeunes élèves peuvent donc tous reprendre leur cursus sur place, dans des conditions sanitaires encadrées, quand les enseignements à distance ne peuvent être assurés – à l’exception de l’art lyrique, pour des raisons que tout le monde comprend. Je n’ignore pas les efforts qui ont été accomplis dans ces établissements afin de garantir jusqu’à présent la poursuite d’enseignements à distance de qualité. De même, les cycles professionnalisants, qui ont été maintenus, se poursuivront, comme les enseignements destinés aux classes à horaires aménagés, les troisièmes cycles des conservatoires et les classes préparatoires à l’enseignement supérieur. Il s’agit d’une première étape dans la reprise des activités culturelles.

Madame Bergé, le projet de décret SMAD, qui vous tient à cœur et sur lequel vous avez beaucoup travaillé, exprime bien, au-delà de son aspect technique, notre philosophie à l’égard des GAFAM. Nous avons remporté une importante victoire lors de la renégociation de la directive. Conformément à l’engagement du Président de la République, dès 2021, les plateformes contribueront au financement de la création cinématographique et audiovisuelle française, y compris – c’était tout l’enjeu de la directive – celles qui ciblent notre territoire depuis celui d’un autre État membre, ce qui inclut Netflix, Disney et Amazon Prime Video. Ce rééquilibrage était nécessaire pour les diffuseurs traditionnels, qui faisaient face à une concurrence déloyale de la part d’acteurs bénéficiant d’asymétries réglementaires, et, bien entendu, pour les acteurs de la création française, qui auront de nouveaux financements dans un cadre conforme à nos principes. Il s’agira bien de financements supplémentaires, et non de substitution – j’y veillerai particulièrement. Cela permettra de défendre la production indépendante et de respecter le droit d’auteur. C’est d’autant plus nécessaire que la crise a durement affecté les recettes publicitaires des diffuseurs traditionnels, tandis que les confinements permettaient au contraire une forte hausse du chiffre d’affaires des grandes plateformes mondiales.

Un projet de décret élaboré par mes services après une phase de concertation intense avec les professionnels a été transmis pour avis au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et notifié à la Commission européenne le 18 décembre dernier. Cette notification ouvre un délai de statu quo de trois mois au terme duquel le projet pourra être adopté après l’examen en Conseil d’État. La publication du décret peut donc être envisagée pour le printemps 2021, pour une application dès 2021.

J’en viens à la question que posait Aurore Bergé sur ma philosophie : ce décret constitue un compromis équilibré entre une conception ambitieuse du financement de la production, notamment indépendante, avec un taux de contribution fixé à un niveau élevé, entre 20 et 25 % du chiffre d’affaires du service – des sommes considérables, ce n’est pas un pourboire qui est en jeu –, et la prise en compte de l’équité entre les diffuseurs et les modèles économiques des plateformes étrangères nouvellement assujetties. Surtout, l’accord nous préserve des contentieux qui auraient inévitablement surgi, peut-être pas à notre bénéfice, si je ne l’avais pas obtenu.

Dans le prolongement de la transposition de la directive SMA et de l’assujettissement des éditeurs étrangers ciblant la France, j’entends également moderniser le cadre des obligations qui s’appliquent aux acteurs nationaux, afin de rééquilibrer les règles du jeu, de garantir l’équité entre les services linéaires et non linéaires d’une part, entre opérateurs nationaux et extranationaux d’autre part. Les différentes composantes du régime doivent être ajustées de manière à garantir un haut niveau de financement de la production européenne et nationale, en particulier indépendante, tout en donnant aux diffuseurs historiques les moyens de mieux exploiter les œuvres qu’ils financent.

Une architecture a donc été développée, avec la transposition de la directive, le décret, la TNT, la chronologie des médias, et, enfin, les dispositions du projet de loi sur le piratage et le renforcement de l’autorité de contrôle avec la fusion de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) et du CSA. Mon ambition est d’avoir bâti une architecture logique et complète dans ce domaine à la fin du premier semestre 2021. Ce sont des dispositions non seulement techniques mais philosophiques que je défends dans la protection de la production française. N’opposons pas la culture patrimoniale et numérique, ce serait aller dans le mur. Au contraire, il faut considérer la seconde comme une opportunité. Nous devons toutefois la qualifier.

De nombreuses questions ont porté sur les concertations en vue de la réouverture des lieux culturels. Le 7 janvier, on l’a dit, était une date de rendez-vous pour faire le point de la situation sanitaire. Nous avons constaté que les nuages noirs ne s’étaient pas transformés en nuages gris, bien au contraire. Dès le 15 décembre, nous avons entamé un travail de concertation et de dialogue avec les différents acteurs du milieu culturel, un milieu d’ailleurs très divisé, avec des attentes et des modes de fonctionnement très différents.

Ce qui compte, c’est la dynamique, la tendance de maîtrise de la pandémie. Les annonces du Premier ministre ont clarifié la situation et donné davantage de visibilité en précisant que les lieux culturels ne pourraient pas rouvrir tout le mois de janvier et qu’une évaluation de la situation sanitaire serait à nouveau faite le 20 janvier. À cette date, nous disposerons d’une évaluation complète de la situation pandémique résultant des fêtes de fin d’année ainsi que d’une première évaluation de l’impact des nouvelles mutations du virus.

C’est une décision difficile, liée à une situation sanitaire très dégradée. Je l’ai rappelé, il y a entre 18 000 et 20 000 contaminations journalières, un chiffre obtenu avec un nombre de tests très diminué – il avait été avancé que c’était parce que nous testions plus que nous avions davantage de contaminations. Il y a eu en effet de nombreuses contaminations pendant les fêtes. Sans prendre la place du ministre de la santé, on peut dire que les tests antigéniques, notamment, ont parfois donné un sentiment de sécurité trop important. Le nombre de cas parmi mes proches montre que nous avons été un peu trop confiants avec ces tests.

Nous enregistrons 2 500 nouvelles hospitalisations et plus de 200 admissions en réanimation. Un point de revoyure a été fixé au 20 janvier. Je travaille avec l’ensemble des représentants du secteur du spectacle vivant, du cinéma, des musées, des monuments historiques, pour construire ce modèle agile, résilient, de réouverture des lieux culturels. Nous échangeons sur tous les sujets – jauges, moyens de circulation, promotion de l’application TousAntiCovid et du QR code afin de retrouver les cas contact dans les salles, en cas de contamination. Cela me donne l’occasion de répondre à M. Larive sur l’expérience de Barcelone, ainsi qu’à M. Bournazel. Nous sommes très attentifs à cette expérimentation comme à celles que proposeront en France le Syndicat national du spectacle musical et de variété (PRODISS) avec l’Assistance publique hôpitaux de Paris (AP-HP), et le Syndicat des musiques actuelles (SMA) avec l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM).

Dans l’expérience barcelonaise, toutes les personnes admises dans la salle ont été testées au moyen d’un test PCR, avec écouvillonnage, avant le spectacle. Seules celles dont le test était négatif ont pu entrer dans la salle, avec un masque FFP2. Une ventilation était assurée, ainsi qu’une vérification de la stabilité de la température, qui ne serait vraisemblablement plus à faire en temps ordinaire. Vous le voyez, les conditions de cette expérimentation sont très compliquées à remplir dans le fonctionnement normal d’une salle.

J’ai discuté de ces sujets avec les professionnels du spectacle. Ils attestent de la difficulté de mettre en place de tels dispositifs avant chaque représentation. En période normale, à Paris, 50 000 personnes se rendent chaque soir dans une salle de spectacle, sans parler de la fréquentation dans les territoires. Faire passer 50 000 tests PCR avant la représentation est compliqué. Il faut également s’assurer que la salle présente les caractéristiques qui permettent d’assurer la même sécurité qu’à Barcelone, ce qui conduit à une labellisation des salles et écarte celles qui ne sont pas compatibles avec la lutte contre la pandémie.

Étant une habituée des salles de spectacle, je peux vous dire que la labellisation sera difficile pour certaines d’entre elles, par exemple s’il s’agit de caves voûtées. Je ne citerai aucun nom pour ne pas stigmatiser d’établissement, mais certains lieux auront du mal à respecter les consignes sanitaires. J’écoute avec intérêt, je regarde, mais j’appelle l’attention quant aux modalités de généralisation. Je veux bien de telles conditions de réouverture, si les professionnels s’engagent à fournir les masques FFP2, par exemple, et estiment que leur modèle économique fonctionnera. Cela oblige aussi les spectateurs à être présents très en avance pour effectuer le test, ce qui est compliqué. Cela ne veut pas dire que les mesures sont inopérantes : c’est une expérimentation, il y a ensuite une généralisation. Cela n’est pas si simple, et la généralisation sera possible pour certains établissements, mais pas pour tous.

Sophie Mette, Grégory Labille et Bertrand Pancher m’ont demandé si nous allions continuer à soutenir le secteur. Bien entendu. Au moment même où je parle se tient une réunion interministérielle sur ces sujets. Nous suivons au plus près les besoins du secteur culturel. Nous allons les accompagner, les chiffrer. Au 12 janvier, il est encore trop tôt pour faire le bilan de tout cela. Les mesures de soutien ont été prolongées pour les premières semaines de cette année. Il n’y a donc pas d’inquiétude à ce niveau. Nous sommes en train de travailler sur la structuration de ces aides.

Michèle Victory et Grégory Labille m’ont interrogée sur les intermittents du spectacle. Monsieur Labille, je ne peux pas vous laisser dire que les intermittents ont été les oubliés de ce dispositif. Près d’un milliard d’euros a été consacré à un système, qui est unique au monde. On l’oublie souvent, bien qu’il soutienne la culture, il n’émarge pas à son budget puisque c'est une mesure visant l’emploi. Ces sommes, si on les agrégeait en comptabilité analytique, seraient bien dédiées au monde culturel.

Je rappelle qu’afin de limiter les effets de la crise sanitaire, l’indemnisation chômage des intermittents a été prolongée jusqu’au 31 août 2021. Il n’y a donc pas péril en la demeure. Pour autant, nous travaillons en amont, avec un coût d’année blanche de 949 millions d’euros. Au 31 août 2021, si la condition d’affiliation minimale de 507 heures au cours des douze derniers mois n’est pas remplie, les heures de travail manquantes pourront être recherchées sur une période de référence allongée, au-delà des douze mois précédant la dernière fin de contrat de travail. On a incorporé le nombre d’heures d’enseignement dans ce calcul, ce qui a permis de faciliter l’accès au seuil de 507 heures : la limite de 70 heures d’enseignement a été portée à 140 ; celle de 120 heures pour les artistes et techniciens de 50 ans, a été portée à 170 heures.

Un travail interministériel est mené. Vous avez appelé mon attention sur ce que l’on appelle vulgairement les « trous dans la raquette ». Pour les combler, un fonds d’urgence spécifique de solidarité pour les artistes et techniciens du spectacle (FUSSAT), temporaire, a été créé pour les professionnels qui n’entrent pas dans le champ d’éligibilité des dispositifs aménagés jusqu’à présent. Doté de 5 millions depuis septembre, il a été augmenté de 5 millions à compter de la mise en place du couvre-feu. Un abondement de 7 millions est également prévu pour 2021 au titre du plan de relance. Si des évolutions doivent être apportées à ce dispositif, nous les calibrerons en fonction des besoins des professionnels. Nous suivons cela de très près. Tous les aménagements, les améliorations, les abondements seront effectués dans ce cadre.

Bien entendu, monsieur Pancher, les dispositifs de soutien – prêts garantis par l’État, exonérations de charges sociales et patronales – sont maintenus. La réunion interministérielle  actuellement en cours vise d’ailleurs à les calibrer. Les diverses mesures restent en vigueur, y compris pour les cinémas. Si vous pensez à une difficulté particulière, n’hésitez pas à nous en faire part car un problème peut survenir dans des dispositifs aussi généraux. Nous sommes à votre écoute pour que les dossiers singuliers soient pris en compte.

Mme Lebon a évoqué un fait divers désastreux. Il dépasse les compétences du ministère de la culture. Les gens qui se sont mal conduits seront, je l’espère, sanctionnés s’ils se sont livrés à des violences ou des obscénités dans un tel cadre. Je pense que des plaintes ont été déposées. Les choses suivront leur cours avec la justice.

Vous me demandez ensuite de qualifier Les Anges de la téléréalité. Heureusement, il n’y a pas que cela à la télévision. Des programmes culturels de très grande qualité figurent parmi les émissions proposées : on n’est pas forcé de regarder Les Anges de la téléréalité. Même s’il en faut pour tous les goûts, le rôle des parents, des éducateurs, des professeurs peut être de guider les enfants vers des spectacles de qualité. Je ne censurerai pas Les Anges de la téléréalité.

Quant à votre remarque sur Pôle emploi spectacle, je la transmettrai à la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, puisque cette structure ne relève pas du ministre de la culture. J’appellerai son attention sur le point que vous avez soulevé.

Mme Béatrice Piron. Madame la ministre, nous partageons votre pensée pour tous les acteurs culturels durement touchés par cette crise et accablés par le manque de perspective.

Ma question porte sur le must-carry, l’obligation de reprise du signal des chaînes de télévision linéaires. Dans le projet de loi audiovisuel, nous avions instauré une obligation de contractualisation entre les distributeurs et les éditeurs de service public pour la reprise de leurs services, et une obligation de reprise des décrochages locaux, notamment pour garantir la visibilité des programmes de France 3. Dans le texte que nous aurons à examiner, envisagez-vous de reprendre cette obligation de reprise ? Dans quelle mesure pourrait-elle être élargie aux programmes non linéaires de l’audiovisuel public, comme la plateforme Okoo, afin de garantir qu’elle soit disponible et ait la même visibilité et facilité d’accès, quel que soit l’opérateur internet qui fournit la télévision ?

Les fournisseurs d’accès à internet (FAI) s’inquiètent des coûts inhérents à ces retransmissions, qui semblent grossir à mesure que le nombre d’utilisateurs augmente. Pensez-vous qu’il y aura des négociations dans cette obligation de reprise ? Si oui, n’y aurait‑il pas un risque de coût supplémentaire pour les sociétés d’audiovisuel public ?

Mme Constance Le Grip. Madame la ministre, pouvez-vous préciser votre position sur les expérimentations et les concerts tests ? Comme vous l’avez mentionné, le PRODISS et le SMA envisagent tous deux des concerts tests, dès le mois de février, à Marseille et à Paris. Ces expérimentations ne peuvent toutefois être organisées que sous l’égide du ministère de la culture et des ministères de la santé et de l’intérieur. Il faut donc un processus de décision ministériel et interministériel, précédé de concertations étroites avec les professionnels. Nous avons entendu vos interrogations, empreintes d’un léger scepticisme. Avez-vous décidé d’enclencher le processus décisionnel pour que ces concerts tests et ces expérimentations puissent être envisagés dans un avenir assez proche ? Cela est important pour les professionnels concernés.

Dans le cadre d’un rééchelonnement des réouvertures de lieux culturels, qu’il faudra commencer à envisager à un moment ou à un autre, pouvez-vous confirmer que les musées et les monuments ouvriraient en premier ?

M. Philippe Berta. Madame la ministre, je tiens d’abord à vous remercier pour votre réaction rapide et salutaire face aux tourments que connaît actuellement la rédaction de Sciences & Vie. Le lancement d’une mission sur les conditions d’accès aux aides à la presse est une décision positive et nécessaire dans les circonstances que nous connaissons. Pour reprendre les mots de la lettre que l’eurodéputé Christophe Grudler et moi-même vous avons adressée, « la crise sanitaire que le monde traverse actuellement rappelle combien développer la culture scientifique et technique est crucial pour lutter contre les fausses informations, les emballements infondés et les théories complotistes, ainsi que pour favoriser la compréhension de la méthode scientifique, et des méthodes physiques, chimiques et biologiques à l’œuvre ».

Au-delà de la question de la presse scientifique, je souhaiterais connaître plus généralement vos projets et les mesures envisagées pour renforcer la culture scientifique et technique dans notre pays.

Mme Sylvie Tolmont. L’année 2021 reste source d’incertitudes, donc de graves inquiétudes pour les acteurs culturels, malgré les espoirs nés de l’arrivée d’un vaccin. Rien ne pourra en effet remplacer ce qui a été perdu en 2020. L’impossibilité de se projeter avec clarté dans les semaines et les mois à venir laisse tristement présager une fermeture définitive pour nombre de structures, en particulier de nouvelles petites structures. Cette situation incontestablement anxiogène a amené certains acteurs culturels sarthois à « envahir » un centre commercial pour un happening artistique, au Mans. C’était une action contestataire symbolique, qui visait à partager non seulement leur émotion mais aussi leur situation d’extrême précarité.

Vous avez évoqué au fil de la discussion les travaux, les concertations que vous meniez avec les acteurs du secteur de la culture. Dans un article du JDD, paru le 27 décembre, vous évoquiez un schéma d’ouverture partiel, avec un modèle qui permette aux lieux culturels d’ouvrir de façon réduite. Travaillez-vous toujours sur ce sujet ?

Mme Florence Provendier. Depuis le début de la crise que nous traversons, l’audiovisuel public a su innover et réaffirmer son rôle structurant dans le paysage médiatique français. Bien que nos cinq grands médias accusent une perte d’une partie de leurs revenus complémentaires, la stabilité de leur financement a permis la continuité de leurs missions, notamment en soutien à la création cinématographique et audiovisuelle. Leur trajectoire financière a une incidence d’un côté sur leur capacité à produire des contenus de qualité, dont une information juste, au cœur de notre démocratie, et, de l’autre, sur tout le secteur de la création française.

Les prochains contrats d’objectifs et de moyens (COM) de ces médias s’arrêtent en 2022, avec la fin de la contribution à l’audiovisuel public. Pouvez-vous nous rassurer sur la volonté du Gouvernement de leur conserver une source de financement indépendante et pérenne, pour continuer de proposer un service public à haute valeur ajoutée, pleinement adapté à l’évolution des usages, tout en garantissant notre souveraineté culturelle ?

Mme Brigitte Kuster. Je souhaite rebondir sur la question de la réouverture des salles de spectacle car les mesures de sécurité sanitaire ne sont pas les mêmes selon les villes. À Madrid, les spectateurs n’ont pas à produire un test PCR négatif, mais doivent se soumettre à une simple prise de température. Dès lors qu’aucun cluster n’a été détecté, cette démarche paraît pertinente et constitue une perspective fort attendue par les professionnels français.

Mme Roselyne Bachelot, ministre. Le service public audiovisuel bénéficie du régime de must-carry et les distributeurs, notamment les fournisseurs d’accès internet, sont tenus de reprendre les chaînes publiques sur leur réseau gratuitement. Dans le cadre de l’examen du projet de loi sur l’audiovisuel en mars dernier, votre commission avait adopté des amendements visant à renforcer ce régime : il s’agissait d’obliger les distributeurs à retransmettre l’intégralité du signal des chaînes publiques auprès de leurs abonnés, à garantir la visibilité et l’accessibilité de l’offre d’informations régionales et locales de France 3 et de rendre obligatoire la conclusion préalable d’un contrat entre le distributeur et la société publique portant sur les conditions de reprise et de mise à disposition du signal.

Je ne vous raconterai pas de carabistouilles : je m’efforce de trouver un créneau législatif pour examiner un nouveau projet de loi ; compte tenu des contraintes qui pèsent sur le calendrier parlementaire, je souhaite que ce texte soit limité aux dispositions relatives au piratage et à l’autorité de régulation. Je veux surtout qu’il s’agisse de sujets consensuels ; nous n’aurons pas la possibilité, à moins d’une bonne surprise, d’examiner les dispositions relatives au must-carry.

Vous m’avez questionnée sur les concerts-tests et d’autres expériences, dont je comprends qu’elles focalisent l’attention, mais les situations particulières sont trop diverses pour que l’on puisse en tirer des leçons générales. Je n’ignore pas qu’au Teatro Real, que j’adore et ai beaucoup fréquenté, on procède simplement à une prise de température. Pour bien évaluer ces procédures, il convient de ne pas considérer seulement la salle, mais de prendre en compte l’environnement extérieur – on sait le rôle que jouent les conditions climatiques dans le déploiement de la pandémie. Nous portons une grande attention au déroulement de ces expériences, mais je vous demande de garder à l’esprit qu’elles peuvent sortir du cadre de protection sanitaire mis en place partout en Europe.

Nous analysons les effets de ces mesures de précaution, mais c’est bien le monde du spectacle qui, in fine, les adoptera. On reproche souvent à l’État de produire des normes, d’émettre des préconisations ; ce que je veux, c’est travailler avec les acteurs culturels et qu’ils me disent si ces mesures de précaution sont acceptables, compatibles avec les différentes formes de spectacle, adaptées au modèle économique des établissements privés. À eux de déterminer si ces contraintes ne les empêcheront pas de faire marcher leur boutique
– pardon, mais le mot n’a rien de déshonorant pour la pharmacienne que je suis.

Il n’y a pas besoin d’être grand clerc, ou épidémiologiste chevronné, pour expliquer que les musées et les monuments historiques pourront faire l’objet d’une réouverture encadrée, si la situation se stabilise et quand bien même on dépasserait encore les 5 000 contaminations par jour. Les responsables de musées, que j’ai rencontrés, se disent prêts à déterminer de nouvelles jauges, de nouveaux modes de fonctionnement. Cela permettrait de relancer l’éducation artistique et culturelle, à laquelle nous tenons tous.

Ce qui s’est passé après le rachat par Reworld Media de Sciences et Vie, un magazine de grande qualité – 400 000 abonnés et près de 4 millions de lecteurs – qui devait son succès à la qualité de ses articles, m’a alertée. Suite au départ, provoqué ou volontaire, de journalistes de la rédaction, remplacés par des « contributeurs de contenu », j’ai demandé à Mme Laurence Franceschini, présidente de la commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), d’analyser la situation et de proposer, en concertation avec l’ensemble des professionnels, des aménagements réglementaires relatifs à la nécessaire présence de journalistes professionnels au sein des équipes rédactionnelles, en particulier pour les titres d’information politique et générale (IPG). Elle rendra ses conclusions le 15 mars.

Fille de journaliste, je suis très attachée à l’indépendance de la presse et à la distinction entre ce qui relève du travail journalistique et ce qui n’en relève pas. Je ne veux pas jeter l’opprobre sur les « contributeurs de contenu », mais le métier de journaliste consiste à contextualiser, à vérifier les sources, à expliciter. Nous devons protéger cette profession. Il serait quand même tout à fait extraordinaire qu’après avoir lancé un plan extrêmement ambitieux de soutien à la filière presse et de sauvegarde de la presse écrite, nous nous concentrions sur les questions de diffusion sans nous intéresser à la protection de la profession de journaliste et à la qualité des contenus ! Cela me semble essentiel, à un moment où les théories complotistes et les fake news font florès sur des sujets aussi capitaux que la crise sanitaire ou le réchauffement climatique.

Vous m’avez interrogée sur la culture scientifique, un domaine qui se trouve sous la responsabilité du ministre de l’éducation nationale. Dans le cadre du cahier des charges fixé par la loi de 1986, les entreprises de l’audiovisuel public doivent accorder une place à la culture scientifique au travers de programmes de connaissances et de décryptage. Ainsi, France Télévisions a diffusé 600 heures de documentaires scientifiques en 2019. Vous voyez, il n’y a pas que Les Anges de la téléréalité, mais aussi d’excellentes émissions – je pense en particulier à E=M6, une émission de vulgarisation, de surcroît amusante ! Je vous avoue que je regarde un peu plus Mezzo, mais à chacun ses goûts.

Sur la contribution à l’audiovisuel public, je sais que le président Bruno Studer est à la manœuvre. Le Président de la République s’est exprimé sur ce sujet ; il ne s’agit pas de budgéter les ressources de l’audiovisuel public mais les voies et les moyens pour garantir son indépendance sont à l’étude.

Le plan de transformation de l’audiovisuel public de juillet 2018 demeure plus que jamais d’actualité. Les priorités du Gouvernement au sortir de la crise et le nouveau calendrier parlementaire ont conduit à l’abandon du projet de création d’une société mère. Pour autant, je ne renonce pas à poursuivre la transformation de l’audiovisuel public et à favoriser les coopérations en son sein. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu doter l’ensemble des entreprises de l’audiovisuel public de nouveaux contrats d’objectifs et de moyens. C’est l’occasion de faire des COM des documents plus stratégiques, recentrés sur un nombre plus restreint d’objectifs. Leur temporalité sera alignée sur l’horizon budgétaire prévisible, puisqu’ils s’achèveront en 2022, et leurs périodicités respectives seront harmonisées. Enfin, l’abandon du projet de création d’une société-mère ne remet nullement en cause les coopérations, qui procéderont d’une démarche plus volontaire.

M. le président Bruno Studer. Madame la ministre, je vous remercie.

Je conclurai cette réunion en saluant la grande figure de l’audiovisuel public qu’était Georges Pernoud (MM et Mmes les députés applaudissent.) Nous sommes nombreux à nous souvenir de ces veillées devant la télévision, le vendredi soir. Georges Pernoud était un éveilleur de consciences, et s’il savait célébrer la force de la mer, il nous alertait aussi sur les dangers. On se pose souvent la question des missions, sur le long terme, de l’audiovisuel public ; évoquer le nom de Thalassa suffit à ouvrir des champs de travail. Je vous souhaite donc bon vent !

 

 

 

 

La séance est levée à dix-neuf heures dix.

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