Compte rendu

Commission
des affaires économiques

 Point sur le rapport d’application de la loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires (Mmes Barbara Bessot Ballot et Anne-Laure Blin, rapporteures).              2

 .....Examen de la proposition de loi relative à l’interdiction des « fermes-usines » (n° 4018) (Mme Bénédicte Taurine, rapporteure).              2


Mercredi
14 avril 2021

Séance de 10 heures 45

Compte rendu n° 57

session ordinaire de 2020-2021

 

 

Présidence
de M. Mickaël Nogal,
Vice-président


  1 

La commission des affaires économiques s’est réunie pour faire un point sur le rapport d’application de la loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires (Mmes Barbara Bessot Ballot et Anne-Laure Blin, rapporteures).

 

Ce point de l’ordre du jour ne fait pas l’objet d’un compte rendu écrit. Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l’Assemblée à l’adresse suivante :

http://assnat.fr/j04FUy

*

Puis la commission des affaires économiques a examiné la proposition de loi relative à l’interdiction des « fermes-usines » (n° 4018) (Mme Bénédicte Taurine, rapporteure).

M. Mickaël Nogal, président. Mes chers collègues, nous examinons, sur le rapport de Mme Bénédicte Taurine, la proposition de loi relative à l’interdiction des « fermes-usines » (n° 4018), inscrite à l’ordre du jour des séances réservées, le jeudi 6 mai, au groupe La France insoumise.

J’observe que ce groupe a prévu l’examen de pas moins de neuf propositions de loi, et que le présent texte doit être examiné en dernier. Il y a quelques semaines, lors de la conférence des présidents au cours de laquelle a été arrêtée la liste des propositions de loi retenues par le groupe Socialistes et apparentés, le président Lescure s’est élevé contre la nouvelle pratique consistant à inscrire à l’ordre du jour d’une niche parlementaire un nombre de textes manifestement inadapté au temps disponible pour les examiner en séance publique. Notre bureau se saisira prochainement de cette question.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure. La réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole, la transition de notre modèle alimentaire vers une alimentation moins carnée, le bien-être animal, le renouvellement des générations dans le monde agricole, la montée en gamme des productions et l’amélioration de la rémunération des producteurs sont des enjeux qui sont au cœur de l’élevage industriel. Pourtant, au sein de notre commission et plus généralement de notre assemblée, ce sujet semble tabou.

Ainsi, le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets l’élude. Quant à la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale, adoptée au mois de janvier dernier, elle fait l’impasse sur la question des animaux d’élevage. Les amendements portant sur ce sujet que nous avons déposés sur ces deux textes ont été systématiquement déclarés irrecevables. Seule la proposition de loi relative à de premières mesures d’interdiction de certaines pratiques génératrices de souffrances chez les animaux et d’amélioration des conditions de vie de ces derniers, présentée par M. Cédric Villani en septembre dernier, nous a permis d’aborder la question, mais dans le cadre d’un ordre du jour contraint, et sans nous offrir la possibilité de débattre des articles consacrés à l’élevage dans l’hémicycle.

La proposition de loi que je présente devant vous est brève ; elle porte exclusivement sur l’élevage. Elle prévoit un moratoire de trois ans pour les projets d’installation, de transformation et de réunion d’exploitations agricoles relevant, au sein de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), de la procédure de l’autorisation environnementale (A) ou de l’enregistrement (E), selon le nombre d’animaux par exploitation.

Il s’agit des élevages qui nous semblent les plus disproportionnés, et dont les effectifs sont deux fois plus élevés que la moyenne nationale, s’agissant des élevages de poules pondeuses et de poulets de chair, et neuf fois plus élevés s’agissant des vaches laitières. Ces installations sont des aberrations, comme l’illustrent avec force certains exemples d’élevages à l’étranger. Citons notamment les presque 900 000 porcs élevés en Chine dans un immeuble de plusieurs étages, dans un environnement complètement fermé, et les 30 000 truies qui, sur onze hectares, produisent jusqu’à 840 000 porcelets par an. Peut-on vraiment considérer que ces exemples incarnent l’avenir de l’élevage dans l’objectif de nourrir la population mondiale ?

Chez nous, de tels projets n’existent pas encore. Toutefois, nous n’oublions pas la ferme dite des « mille vaches », située dans la Somme, dont les animaux n’avaient pas accès aux pâturages. Dans un petit village du Pas-de-Calais, une exploitation industrielle hébergera bientôt 825 000 poulets de chair.

Je considère que ces fermes-usines ont plusieurs points communs qui permettent d’en proposer une définition. Leur modèle repose sur un mode de production calqué sur celui de l’industrie, caractérisé par la forte concentration d’animaux dans un espace limité, leur claustration, la standardisation génétique visant à accroître la productivité, la spécialisation des élevages et la financiarisation des structures.

L’article 2 de la présente proposition de loi vise à renforcer les contrôles des exploitations placées sous le régime de l’autorisation environnementale. À l’heure actuelle, ils n’ont lieu qu’une fois tous les sept ans, alors même que les accidents se multiplient.

Au sein des fermes-usines, on ne peut pas dire que l’on pratique l’élevage ; il s’agit plutôt de production animale. En 2005, Mme Jocelyne Porcher écrivait : « Depuis 10 000 ans, des êtres humains et des animaux vivent ensemble et surtout travaillent ensemble. Notre relation avec les animaux a construit les sociétés paysannes dont nous sommes issus. Dans ces sociétés, les animaux ne sont pas une ressource à exploiter, mais les partenaires d’un rapport de survie à la nature ». L’objectif n’est pas de stigmatiser l’élevage, moins encore les éleveurs, mais de préserver un modèle paysan permettant d’être éleveur au plein sens du terme.

La question des fermes-usines est avant tout sociale et économique. L’avenir du modèle français de l’agriculture familiale, structurant pour nos territoires ruraux, est en jeu. Nous ne devons pas, me semble-t-il, nous laisser berner par ceux qui affirment que l’industrialisation de l’agriculture n’est pas une réalité en France. Le fait est qu’elle progresse, comme le démontre l’évolution de la taille des exploitations. Elle affecte toutes les filières, de façon différenciée, avec une puissance accrue pour les filières porcine et avicole.

Il en résulte des conséquences sociales et économiques graves, à plusieurs niveaux.

La financiarisation des structures dépossède les paysans de leur outil de travail et rend très difficile sa transmission, ce qui aggrave les difficultés en matière de renouvellement des générations. Ces exploitations sont bien moins pourvoyeuses d’emplois que les autres. Ainsi, la ferme « des mille vaches » nécessitait trois fois moins de main-d’œuvre qu’une exploitation laitière classique. Or la vitalité économique de nos territoires doit beaucoup à l’emploi agricole. Par ailleurs, les citoyens s’opposent de plus en plus à ces installations. Il s’agit donc d’un enjeu sociétal fort.

En aval, pour le consommateur, se pose la question de la moindre qualité de l’alimentation proposée. Certains syndicats agricoles affirment défendre tous les modèles de production pour satisfaire tous les marchés, sous-entendant que nous acceptons de développer une alimentation à deux vitesses. En forçant un peu le trait, on propose une alimentation produite dans de bonnes conditions aux plus riches et des poulets à croissance rapide aux plus pauvres.

À la prétendue nécessité d’assurer, en France, une production industrielle pour les uns et une production haut de gamme pour les autres, nous répondons que les plus pauvres ne choisissent pas l’alimentation bas de gamme par plaisir. Nous plaidons, en matière alimentaire, pour des politiques sociales dignes de ce nom. Nous estimons qu’il faut aller plus loin, par exemple en faisant avancer le projet de sécurité sociale de l’alimentation, qui semble être le seul moyen de remédier efficacement aux problèmes d’accès de certaines populations à l’alimentation et aux difficultés de nos paysans.

La question de la rémunération des agriculteurs doit être posée. Pour l’heure, la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « EGALIM », n’a pas atteint ses objectifs. La situation semble cependant évoluer, notamment en ce qui concerne l’instauration d’un prix plancher des produits agricoles.

Pour sortir de l’agriculture pratiquée à l’heure actuelle, il faut sortir des accords de libre-échange, qui soumettent nos agriculteurs à une concurrence déloyale. Comment peut-on continuer de penser qu’une montée en gamme est possible si le marché national est inondé de produits étrangers à moindres coûts, produits dans des conditions que nous ne pouvons pas accepter ? Je suis donc favorable à l’instauration d’un prix minimum d’entrée sur le marché national pour les produits agricoles, ce qui permettrait de rectifier les situations de concurrence déloyale.

Les fermes-usines constituent une menace environnementale, comme en témoigne leur classement ICPE. Elles sont responsables d’émissions massives de polluants dans l’atmosphère, ainsi que dans les eaux souterraines et de surface. Elles encouragent la déforestation, dont l’Europe, d’après le WWF-le Fonds mondial pour la nature, est le deuxième responsable mondial.

La question du bien-être animal ne peut pas être considérée comme secondaire. Les conditions de vie des animaux, en élevage industriel, sont source de stress. Elles affectent leur comportement et amènent les exploitants, en réaction, à recourir à des méthodes qui ne sont pas acceptables, telles que la caudectomie, consistant à couper la queue des cochons, réprouvée par l’Union européenne et pourtant pratiquée dans 99 % des élevages français. Plus généralement, la sélection génétique des animaux induit des caractéristiques morphologiques susceptibles de provoquer de la souffrance. Par exemple, certains poulets de chair grossissent si vite que leurs pattes ne peuvent plus supporter leur poids.

Par ailleurs, la question du bien-être animal ne peut pas être dissociée de celle du bien-être des hommes qui travaillent dans de telles exploitations. Ils sont nombreux à témoigner de l’horreur et de la lassitude qu’ils éprouvent à travailler dans ces conditions.

Enfin, la question de l’élevage industriel présente un enjeu sanitaire. Le nombre d’épidémies animales a été multiplié par trois au cours des quinze dernières années. Or la concentration et la claustration des animaux favorisent l’émergence de ces maladies, dont certaines sont des zoonoses.

La présente proposition de loi constitue une première étape dans la réponse que nous devons collectivement apporter à ces questions. Elle ne peut pas être dissociée d’une réflexion sur la sécurité sociale de l’alimentation, la juste rémunération des agriculteurs et la sortie du secteur agricole des accords internationaux de libre-échange.

M. Mickaël Nogal, président. Nous allons entendre à présent les orateurs des groupes.

M. Jean-Baptiste Moreau (LaREM). Nous voici une fois de plus – en tant qu’éleveur, je le regrette – saisis d’une proposition de loi dont le vocabulaire témoigne d’une triste méconnaissance de notre modèle agricole, et qui trouve ses fondements dans un modèle bien éloigné de celui prévalant dans nos campagnes. Madame la rapporteure, votre conception de l’agriculture française est plus proche de Martine à la ferme et de Oui-Oui au pays des agriculteurs que de la réalité complexe de l’agriculture et de l’élevage français. Une fois de plus, nous examinons une proposition de loi qui les stigmatise et jette l’opprobre sur eux, en premier lieu sur ces femmes et ces hommes dont les pratiques figurent pourtant parmi les plus strictes et les plus contrôlées du monde et dont les produits sont reconnus dans le monde entier pour leur excellence.

La proposition de loi que nous examinons vise à imposer un moratoire de trois ans aux demandes d’autorisation environnementale des exploitations agricoles qui sont considérées comme des usines, en raison du nombre d’animaux qu’on y dénombre. Les installations d’élevage sont strictement encadrées par le régime des ICPE, en fonction de leur taille et du risque qu’elles font peser sur l’environnement.

Pour rappel, les ICPE classent les exploitations en trois catégories : déclaration, enregistrement et autorisation. À titre d’exemple, un éleveur de bovins est soumis au régime de la déclaration s’il possède plus de cinquante bêtes, au régime de l’enregistrement s’il en possède entre 400 et 800, et au régime de l’autorisation s’il en possède plus de 800. Ces seuils varient selon le type d’élevage – bovins, caprins, porcins, volailles. Les exploitations relevant des deux dernières catégories font l’objet, lors de leur installation, d’une consultation publique et toutes celles qui relèvent du régime de l’ICPE sont soumises à des contrôles très stricts, menés par les directions départementales des services vétérinaires et par les préfectures.

Madame la rapporteure, votre proposition de loi omet certains aspects de la question, me semble-t-il. Parler de fermes-usines, c’est oublier que la taille des exploitations est radicalement plus petite en France que dans les pays voisins, et bien éloignée du modèle appliqué ailleurs dans le monde, qui présente des externalités négatives pour l’environnement. Nos élevages sont bien éloignés des feedlots nord-américains et sud-américains, ce dont nous devons nous réjouir.

Parler de fermes-usines et motiver votre proposition de loi par une nécessaire évolution en matière de bien-être animal n’a guère de sens. Le régime des ICPE, fondé sur le nombre d’animaux par exploitation, ne prend pas en considération le mode d’élevage. Par exemple, le moratoire que vous proposez vise à interdire les exploitations de plus de 30 000 volailles. Dans l’élevage bio, les exploitations comptent en moyenne 25 000 poulets. Demain, si cette proposition de loi était adoptée, la plupart des élevages de volailles en agriculture biologique seraient interdits.

S’agissant de l’objectif d’augmentation du nombre de contrôles, sachez que le ministère de l’agriculture et de l’alimentation a mené plus de 4 000 inspections des ICPE en 2018. Chaque année, les exploitations agricoles françaises dans leur ensemble font l’objet de plus de 23 000 inspections, relatives au respect de la réglementation environnementale, des normes de production, du bien-être animal et de la protection animale. Connaissez-vous un autre secteur où les contrôles sont si réguliers et si nombreux ? Par ailleurs, le moratoire proposé constitue une limitation à la liberté d’entreprendre, dont la décision du Conseil constitutionnel du 13 janvier 2000 a rappelé qu’elle doit être justifiée par l’intérêt général ou liée à des exigences constitutionnelles.

Le groupe La République en Marche souhaite accompagner les agriculteurs dans l’évolution de leurs pratiques, plutôt que les accabler une fois encore, comme vous tentez de le faire. En tant que député paysan, je rappelle que les agriculteurs ne constituent ces exploitations agrandies qu’en mutualisant leurs moyens, pour alléger les contraintes liées à ce métier, tout en travaillant sur les coûts de production et en continuant à respecter les normes de production demandées par les consommateurs, notamment en matière de bien-être animal. Pas un éleveur ne maltraite sciemment ses animaux ! Le bien-être des animaux est au cœur des préoccupations du métier de passion qu’est le métier d’éleveur. Certes, les cas de maltraitance existent, et il faut les condamner. Bien souvent, ils résultent d’une situation de mal-être de l’éleveur. Telle est la réalité du terrain. Ce n’est pas parce que c’est petit que c’est bien – on relève des cas de maltraitance animale dans des élevages de petite taille –, et ce n’est pas parce que c’est naturel que c’est sans danger.

Bien loin des dogmes et des idées toutes faites, nous souhaitons maintenir nos fermes à taille humaine et familiale, bien loin des modèles de l’agriculture mondiale. Nous le ferons avec les agriculteurs, en les aidant et en les accompagnant, et non contre eux. Nous présenterons donc des amendements de suppression des articles de votre proposition de loi.

M. Fabien Di Filippo (LR). Madame la rapporteure, vous dites ne pas vouloir stigmatiser les agriculteurs ; je ne vous ferai aucun procès d’intention. Toutefois, entre ne pas les stigmatiser et les aider, il y a un monde.

Pour notre part, nous avons toujours été attachés au modèle agricole familial et qualitatif que nous connaissons en France. Le modèle que vous décrivez dans l’exposé des motifs de la proposition de loi fait davantage penser aux grands feedlots que l’on trouve en Amérique du Nord et en Amérique du Sud. Je souscris aux propos de l’orateur précédent sur la réglementation et le contrôle des ICPE, ainsi que sur les élevages de volailles bio.

S’agissant du modèle agricole français, la question que nous devons nous poser collectivement est la suivante : comment vivre de ce métier et développer des exploitations ?

Dans ce domaine, force est de constater l’échec de la loi EGALIM, que nous annoncions dès le mois de septembre 2017, comme en atteste le compte rendu de nos débats. Partout, le prix des produits agricoles a augmenté, en raison du relèvement du seuil de revente à perte. À l’autre bout de la chaîne, les producteurs n’ont pas bénéficié de la moindre hausse de revenu, car les indicateurs de référence introduits par la loi n’ont jamais été vraiment calibrés, faute de pouvoir contrôler les négociations.

Le deuxième problème posé par la présente proposition de loi est l’imposition de contraintes à nos agriculteurs. Les distorsions de concurrence avec le reste du monde, et même avec les pays de l’Union européenne, ne font qu’augmenter, non seulement en matière de taxes, de charges et de contrôle des intrants, mais aussi, avec cette proposition de loi, en matière de taille des exploitations. Tout cela risque d’avoir un effet contre-productif et de nous amener à vivre de plus en plus des importations de produits étrangers et de moins en moins des produits du sol national.

Troisième remarque : lorsque nous envisageons de contrôler davantage la façon dont on produit sur le sol national, afin d’inciter le consommateur à acheter la production française au motif que sa qualité est supérieure à celle des autres, la justice européenne rend des décisions défavorables, telle l’annulation de l’obligation d’afficher l’origine et la composition des produits laitiers dans un souci de transparence. Tant que nous n’avons pas résolu ce problème, s’imposer davantage de contraintes que les autres ne présente aucune valeur ajoutée pour le producteur français.

Quatrième remarque : il convient de se demander pourquoi la taille des exploitations augmente. Il s’agit d’abord de remédier au problème des revenus : il faut une exploitation de plus en plus grande pour retirer de son activité le minimum de subsistance. Il s’agit ensuite de remédier au problème du recrutement. Dans les dix années à venir, nous devrions perdre un tiers de nos agriculteurs. Mathématiquement, si nous voulons continuer à nourrir la population alors même que nous dissuadons les jeunes de devenir agriculteurs, nous devrons accepter une augmentation de la taille des exploitations. Celle-ci résulte enfin du progrès technique. Nous disposons d’outils assez remarquables – le dire n’est ni une insulte, ni un plaidoyer pour une baisse de la qualité des productions – permettant d’exploiter davantage de terres qu’auparavant, ce qui est heureux, compte tenu de la diminution du nombre de paysans.

Cinquième remarque : de nombreux agriculteurs s’organisent pour écouler leurs produits directement auprès des consommateurs, dans le cadre de réseaux de proximité, en toute transparence et en toute connaissance de cause, ce qui marche très bien. Toutefois, dans une période de crise comme celle que nous connaissons, accumulant les confinements, les processus d’achat se concentrent sur les services drive offerts par les enseignes de la grande distribution. Les circuits courts souffrent beaucoup de la restriction de la liberté d’aller et venir.

Avant de débattre de cette proposition de loi, penchons-nous sur ces différentes questions pour aider nos agriculteurs, qui font un travail remarquable et de qualité.

Mme Marguerite Deprez-Audebert (MODEM). La proposition de loi que nous examinons vise à interdire les exploitations agricoles classées A et E par la nomenclature ICPE. Madame la rapporteure, la notion de ferme-usine que vous employez pour les décrire ne fait l’objet d’aucune définition. Vous faites le choix de retenir uniquement le critère du nombre d’animaux pour mettre en œuvre cette interdiction. Tel est le premier point sur lequel le groupe MODEM est en désaccord avec vous. Si le respect du bien-être animal au sein des exploitations agricoles est une réelle nécessité à laquelle nous devons veiller, nous ne considérons pas qu’il peut être mesuré exclusivement sous l’angle du nombre d’animaux présents sur un même site. Il faut tenir compte de plusieurs autres critères.

Par ailleurs, vous connaissez nos convictions en ce qui concerne la manière dont les transformations écologiques doivent être menées. Ce type d’interdiction stricte ne permet pas d’atteindre nos objectifs. En interdisant ces exploitations agricoles françaises, nous ouvrons nos portes à la viande importée, écologiquement et qualitativement moins contrôlable.

Le modèle agricole français doit relever un double défi : notre production agricole doit être respectueuse de l’environnement tout en restant accessible au plus grand nombre de Français. De surcroît, cet équilibre délicat s’inscrit dans un contexte de concurrence internationale et européenne. Il est donc nécessaire d’accompagner et d’inciter nos producteurs, au lieu de les punir.

À titre de comparaison, la taille des exploitations françaises est plus petite que celle des exploitations de nos concurrents européens et extra-européens. Par exemple, le taux de chargement moyen des exploitations avicoles françaises est de 10,1 unités de gros bétail par hectare, contre 14,4 en Pologne, 15,3 en Allemagne, 33,9 en Belgique et 51 en Espagne. Il faut donc trouver des solutions pragmatiques et constructives, afin de ne pas sanctionner inutilement les agriculteurs français.

Au sein du groupe MODEM et apparentés, nous pensons, comme nos collègues des groupes La République en Marche et Les Républicains, qu’il faut accompagner nos éleveurs dans leur transition écologique et réfléchir à un cadre réglementaire européen plus ambitieux, en vue d’obtenir des solutions équitables et efficaces à grande échelle.

M. Dominique Potier (SOC). Tout en assumant de prendre la parole dans ce débat, je dois avouer que ce n’est pas facile. J’apprécie Mme Bénédicte Taurine et ne doute pas de l’authenticité de ses convictions. Si je souscris en partie aux finalités de sa proposition de loi, je ne suis pas d’accord avec elle sur les moyens proposés. Il est difficile, quand on est de gauche et qu’on s’adresse à une autre force de gauche, de dire cela ; j’essaierai de m’exprimer avec le plus de vérité et de simplicité possible.

La présente proposition de loi soulève une question récemment posée par notre collègue Cédric Villani : celle du statut de l’animal et de la définition du bien-être animal. Tout en étant divisé sur ce sujet – comme sur d’autres, car certains débats ne recouvrent pas la partition gauche-droite et divisent au sein des groupes politiques –, le groupe Socialistes et apparentés considère que cette question ne peut être ignorée.

Pour ma part, j’estime que l’animal n’est ni une chose, ni une personne, et que, comme notre rapport à la machine, notre rapport à l’animal doit être redéfini. Je suis persuadé qu’il faut faire progresser le bien-être animal, tout en m’inscrivant très clairement dans une démarche d’opposition à l’antispécisme, dont je tiens à dire qu’il constitue une rupture. Je ne voudrais pas – tel n’est pas le cas de la proposition de loi – que ce débat nous amène à une sorte de sacralisation de l’animal, qui serait contraire à notre définition de l’humanité.

S’agissant des modèles agricoles, je rejoins les orateurs qui m’ont précédé. Madame la rapporteure, vous mettez en lumière une situation très marginale et très encadrée. La loi n’est pas uniquement normative, elle est également expressive, porteuse d’un message. Comme nos collègues, j’aurais tendance à condamner, sans excès, le vôtre : vous dénoncez une situation qui n’existe quasiment pas en France, en tout cas bien moins que dans d’autres pays.

Mais il y a tout de même un problème. Personne ne souhaite, pour notre pays, le développement de ce que vous appelez des fermes-usines. Si nous connaissions une dérive vers ce type de production animale, il faudrait ouvrir un débat avec les parties prenantes, afin de fixer des limites plus justes et plus adaptées. Jeter l’opprobre a priori et imposer un moratoire sans ouvrir une discussion plus fine sur la réalité de tels modèles de production me semble inadapté.

Si nous prévoyons, pour l’heure, de nous abstenir sur la présente proposition de loi, nous défendrons des amendements lors de son examen en séance publique, si tant est qu’il ait lieu. Trois pistes me semblent dignes d’être explorées, chère Bénédicte Taurine.

La première consiste à mobiliser le levier du marché et de l’opinion publique. Si le label bio inclut des dispositions relatives au bien-être animal, tel n’est pas le cas du label Haute qualité environnementale (HVE). Plus généralement, comme le rappelle souvent M. Antoine Herth, il dit peu de choses de la production animale. Il faut donc ouvrir, avec le ministère de l’agriculture et de l’alimentation, le chantier du troisième niveau d’exigence environnementale, afin d’y inclure la notion de bien-être animal, ce qui permettrait de trier la qualité de la nourriture en fonction du secteur où elle est produite.

La deuxième piste a été ouverte par la loi EGALIM. Si nous produisons des animaux dans des conditions qui ne sont ni aimables, ni souhaitables, c’est aussi en raison d’une compétition des prix déloyale et du pouvoir d’achat inique dont disposent une partie de nos concitoyens.

Enfin, il faut utiliser le levier du futur programme stratégique national (PSN), qui fera l’objet d’un grand débat démocratique au cours des semaines à venir ainsi qu’à la rentrée, à la demande de plusieurs groupes parlementaires. Le PSN peut être un puissant levier d’orientation des productions animales et de valorisation de nos territoires. Certaines méthodes – je pense, par exemple, à la production « à l’herbe » – sont de nature à rehausser la qualité de nos productions et la dignité des travailleurs, car l’une ne va pas sans l’autre. De nos territoires à la planète, il y a une voie : l’Europe. Dans les semaines et les mois à venir, elle devra faire des choix radicaux, qui l’orienteront vers tel ou tel mode d’élevage.

M. Thierry Benoit (UDI-I). Madame la rapporteure, chère Bénédicte Taurine, vos convictions vous portent à déposer une proposition de loi au titre clinquant. Interdire les fermes-usines : je partage cet objectif, car l’animal – et la loi le reconnaît comme tel – est un être sensible. Il nous est donc difficile de l’imaginer dans une ferme-usine.

En réalité, vous soulevez la question du modèle français d’élevage. Comme les orateurs qui m’ont précédé, je suis convaincu que nous n’avons pas à en rougir. Même si des améliorations sont envisageables, la situation en 2021 n’est pas comparable à celle qui prévalait dans les années 1950 ou 1960, qui ont vu l’avènement de l’élevage hors-sol. Celui-ci pose la question du lien de cette activité avec la terre : que prélève-t-on du sol pour nourrir les animaux enfermés dans des bâtiments ? Quelle est la quantité d’effluents et d’émissions carbonées ? Telles sont les questions que vous posez. Ce sujet m’intéresse, car je suis élu d’une région d’élevage, la Bretagne, où l’on trouvait, jusqu’à une période récente, de nombreux élevages hors-sol et où la concentration observée dans certaines filières provoque des difficultés.

Par ailleurs, l’exposé des motifs démontre, à l’unisson d’un débat qui traverse la société française depuis plusieurs années, que l’on ne peut plus parler d’élevage français sans considérer que la consommation de viande est excessive. Ce faisant, on jette l’opprobre sur les éleveurs, qui se sentent agressés, quelle que soit leur pratique. Aujourd’hui plus qu’hier, les éleveurs français doivent être défendus.

Je défends moi aussi un modèle d’agriculture à taille humaine et familial. Toutefois, il faut bien constater qu’on se livre, notamment en France, depuis quelques décennies, à une course à l’agrandissement, encouragée par les pouvoirs publics, soi-disant pour que les agriculteurs, particulièrement les éleveurs, soient plus heureux et perçoivent de meilleurs revenus. Dans la région où je suis élu, les agriculteurs et les éleveurs ont régulièrement été encouragés à s’installer seuls, afin que leur conjoint travaille hors de l’exploitation pour faire vivre la famille. L’outil de travail permet en effet à l’agriculteur de rembourser les annuités de l’emprunt pendant vingt ou vingt-cinq ans. Mais, arrivé en fin de carrière, plus ou moins usé, il s’interroge sur le modèle qu’il a fait tourner pendant toutes ces années.

De fait, en France, la question du revenu agricole se pose. Nous l’avons abordée lors de l’examen de la loi EGALIM, ainsi que dans le cadre des travaux de la commission d’enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec leurs fournisseurs, que j’ai présidée et dont M. Grégory Besson-Moreau était le rapporteur. Nous l’aborderons prochainement dans le cadre de l’examen d’une proposition de loi cosignée par plusieurs d’entre nous.

Nous devons également nous interroger sur le rôle de l’agriculture française en France, en Europe et dans le monde. Il s’agit en effet d’assurer non seulement l’autosuffisance alimentaire de la France, mais aussi ses exportations, car les agriculteurs et les éleveurs français s’inscrivent dans la filière agroalimentaire.

S’agissant plus spécifiquement de l’élevage, qui consiste à faire naître des animaux pour en faire le sacrifice, nous devrions parler bien davantage des conditions d’abattage. Les animaux doivent être élevés, mais aussi abattus, dans les meilleures conditions. Des améliorations sont possibles.

Au nom du groupe UDI et Indépendants, je voterai contre la proposition de loi.

M. Antoine Herth (Agir ens). Madame la rapporteure, le mot qui m’est venu à l’esprit, à la lecture de votre proposition de loi, est « hologramme ». Comme l’a dit notre collègue Dominique Potier, vous vous battez contre quelque chose qui n’existe pas. Votre proposition de loi est avant tout un plaidoyer. Au demeurant, vous ne masquez pas vos sources d’inspiration, au premier rang desquelles Greenpeace et L214, qui ont pour habitude de mettre l’accent sur des données souvent sorties de leur contexte, en passant sous silence les politiques développées par les gouvernements successifs. Il s’agit d’une forme de vérité alternative, à tel point que je me demande si Steve Bannon n’est pas devenu l’inspirateur de La France insoumise pour son travail de rédaction !

S’agissant de la taille des élevages, vous remettez en cause les ICPE, qui constituent un outil de protection. Ils sont le fruit d’un travail de réflexion visant à encadrer le développement des élevages français. Du reste, les éleveurs, lorsqu’ils investissent, intègrent de plus en plus les réglementations relatives au bien-être animal, et c’est tant mieux.

S’agissant des races bovines, vous parlez de Blanc bleu belge, que je ne connais pas. J’ai cru qu’il s’agissait du croisement d’une vache flamande et d’un café liégeois, mais non. Cette race est essentiellement élevée en Belgique. En France, nous avons des Charolaises, des Limousines, des Salers et autres races à viande. Dans l’Ariège, j’ai le plaisir de vous informer que la Limousine représente 40 % du cheptel, suivie de près par la Gasconne des Pyrénées.

S’agissant de l’impact sanitaire, pas un mot sur le plan Écoantibio, qui a permis de réduire de 40 % l’utilisation des antibiotiques dans les élevages. Je rappelle que les antibiotiques sont consommés aux deux tiers par les humains.

S’agissant de la protection de l’environnement, on découvre – ce qui est vrai – que les vaches ruminent et émettent du méthane. Toutefois, vous oubliez de dire que 300 méthaniseurs sont installés en France. Ils permettent de traiter les effluents et de transformer déchets et déjections en source prometteuse d’énergie renouvelable. Concernant les nitrates, pas un mot sur les efforts réalisés en Bretagne depuis de nombreuses années, qui ont permis de réduire de 16 % leur présence dans le sol. Sur les algues vertes, scénario catastrophe de votre côté ! Vous oubliez de dire que les échouages d’algues vertes ont diminué de 20 % à 30 % en 2020, d’après une publication du magazine Sciences et avenir, que vous auriez pu consulter. Cherchez l’erreur : en 2020, il y avait en Bretagne autant de cochons qu’avant, mais moins de touristes. Peut-être faut-il chercher la réponse de ce côté ! Vous oubliez également de parler des efforts que déploie le ministre de l’agriculture et de l’alimentation en faveur du plan de structuration des filières de protéines végétales. Ce sujet occupera une place importante dans la future politique agricole commune (PAC).

En somme, je vous recommande la lecture de la dernière note de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), numérotée 26, relative aux enjeux sanitaires et environnementaux de la viande rouge ; vous y trouverez quelques pistes alternatives de réflexion.

Parvenu à la fin du rapport, j’étais rassuré. En fin de compte, ce que vous proposez, c’est l’économie administrée. Je retrouve les habituels repères du groupe La France insoumise, dont l’inspiration est à chercher du côté de Hugo Chavez ! Nous allons faire une belle expérimentation en France en fermant les frontières, et en faisant du même coup une croix sur les 8 milliards d’euros d’excédent commercial de nos exportations ! Nous allons aussi généraliser les circuits courts ! Je vous signale – peut-être cela vous intéresse-t-il – que l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAe) a publié une excellente étude, intitulée Enjeux économiques et sociaux des espaces ruraux français et rédigée par Mme Cécile Detang-Dessendre, de l’antenne de Dijon. Elle rappelle que l’alimentation se fait essentiellement en ville, où vivent 77 % de nos concitoyens, ce qui rend très difficile la généralisation des circuits courts, à moins de déplacer une partie des populations des villes vers la campagne, et apprendre à beaucoup de gens comment cultiver leur propre champ.

Vous appelez de vos vœux une montée en gamme de l’agriculture française. Soit, mais à quel prix ? Les études de l’INRAe établissent que les consommateurs ne consacrent que 10 % de leurs revenus à la satisfaction de leurs besoins alimentaires. Cette proportion augmenterait. Mais vous semblez avoir trouvé la solution : la sécurité sociale de l’alimentation. Je retrouve mes marques, je suis rassuré, mais je ne voterai pas la proposition de loi. Dommage que vous n’ayez pas eu un mot sur la filière agricole et alimentaire française, qui a tenu le coup face à la crise de la covid-19 et a permis à chacun de manger à sa faim !

Mme Sylvia Pinel (LT). En décembre dernier, la ferme dite des mille vaches a définitivement cessé son activité laitière, mettant un terme à dix ans de controverses et à six ans d’exploitation. Sa fermeture ne clôt pas le débat entre partisans d’une production intensive et opposants à l’industrialisation de l’agriculture.

La proposition de loi que nous examinons ce matin nous invite à remettre ce sujet sur la table. Elle soulève des questions importantes : quelle agriculture voulons-nous ? Que signifie être éleveur de nos jours ?

Fille d’agriculteurs, j’ai grandi dans une exploitation à taille humaine. Je sais que l’agriculture de proximité et l’organisation des filières en circuit court contribuent à la richesse des territoires et façonne leur identité. Je suis également convaincue qu’elle est meilleure pour l’environnement, comme pour la santé. Ce modèle agricole respectueux et responsable, qualitatif et citoyen, je le défends, à rebours des fermes-usines, dont vous relevez à juste titre les défauts et les limites, Madame la rapporteure.

Toutefois, nous devons être attentifs aux conséquences que certains de vos arguments ou certains aspects de votre proposition de loi pourraient avoir sur les éleveurs et sur l’élevage dans notre pays. L’une des principales tares de l’élevage industriel est son impact environnemental. Il a pour conséquence des émissions de gaz à effet de serre accrues, une importation massive de fourrage et davantage de pollution du sol et des eaux, en l’absence de surfaces d’épandage adaptées. En outre, les conditions d’élevage ont des conséquences sur la qualité de la viande. Le recours aux antibiotiques et à une alimentation de piètre qualité pour le bétail constitue une menace pour notre santé et dégrade la qualité gustative de la viande.

Quant à la concentration et à la financiarisation de certaines exploitations, on ne peut nier l’existence du phénomène, même si, heureusement, il est encore peu développé. Cela rend ces structures difficilement transmissibles et contribue à déposséder les agriculteurs de leur outil de travail. Nous devons d’ailleurs être collectivement vigilants à la question de l’attribution des terres agricoles : les grandes exploitations se trouvent souvent renforcées lorsque des terrains agricoles sont libérés et cédés, au détriment des jeunes agriculteurs. Je regrette que cet aspect soit absent du texte.

Ces impacts sociaux, économiques et environnementaux de l’agriculture industrielle me semblent justifier un travail approfondi, nous permettant d’aboutir à un changement du droit. Or je doute que le texte, à ce stade, y parvienne. Toutefois, il a le mérite de soulever la question. La mise en œuvre d’un moratoire sur les installations les plus importantes, par exemple celles qui sont soumises au régime de l’autorisation et abritent plus de 800 veaux, plus de 200 porcs ou encore plus de 40 000 poules, n’est peut-être pas la meilleure solution, mais ces exploitations me paraissent effectivement bien éloignées des normes de qualité et du modèle agricole et alimentaire que nous souhaitons promouvoir. Les exploitations soumises à enregistrement sont, quant à elles, de taille plus restreinte ; elles me semblent plus à même de garantir des conditions de vie décentes pour les animaux, tout en permettant l’accès à une viande à un prix abordable.

En revanche, je comprends votre volonté d’améliorer les contrôles exercés sur les exploitations agricoles soumises au régime d’autorisation. Cet objectif rejoint d’ailleurs celui affiché par le Gouvernement, qui consiste à augmenter de 50 % d’ici à la fin du quinquennat le nombre annuel d’installations classées pour la protection de l’environnement, même si je redoute que les quelques équivalents temps plein supplémentaires créés ne permettent pas d’atteindre ce but.

Pour l’ensemble de ces raisons, je m’abstiendrai.

Mme Muriel Ressiguier (FI). Le terme « fermes-usines » désigne un système industriel et intensif visant à produire de la matière animale. Cependant, cette appellation n’a pas de définition dans la loi et doit être différenciée de l’élevage en tant que tel. Les exploitations de ce type, fondées sur une forte concentration d’animaux dans un espace réduit, présentent un taux de mortalité plus important que les autres et engendrent de nombreux risques tant sur le plan environnemental que sur ceux de la santé humaine et du bien-être animal.

Selon Greenpeace – organisation que certains de nos collègues aiment tant –, 1 % des fermes françaises produisent plus de la moitié des porcs, poulets et œufs dans notre pays. Le temps d’élevage y est beaucoup plus court : un poulet à chair, par exemple, atteint la maturité en six semaines, soit deux fois plus vite qu’il y a trente ans. Pour tenter de pallier les effets engendrés par une croissance trop rapide, à savoir la vulnérabilité des animaux et le risque sanitaire, le recours aux antibiotiques est massif : en 2020, les poulets élevés en batterie ont été exposés à 73,7 tonnes de ces produits et les porcs élevés industriellement à 140,6 tonnes, ce qui entraîne une baisse des défenses naturelles chez les animaux et contribue à renforcer l’antibiorésistance chez l’être humain.

C’est la raison pour laquelle nous demandons un moratoire de trois ans sur tous les nouveaux projets d’installation, d’agrandissement ou de réunion d’exploitations agricoles dont les productions sont supérieures aux seuils correspondant aux catégories E et A de la nomenclature ICPE.

Partout, ce modèle a également des conséquences sur l’environnement : diminution de la diversité des espèces par la sélection, déforestation pour l’implantation d’usines et de champs, recours à des quantités d’eau importantes pour les animaux et les champs, rejet d’importantes quantités de nitrates, de phosphore et d’antibiotiques, sans oublier les émissions d’ammoniac. En Bretagne, où sont installées 1 720 des 4 413 fermes-usines que compte la France, on observe une forte concentration de nitrates dans les eaux souterraines. En outre, les risques épidémiques sont plus élevés dans ce genre de structures. Selon l’Organisation mondiale de la santé animale, les épizooties ont quasiment triplé au cours des quinze dernières années. Nous proposons donc, à l’article 2 de la proposition de loi, un renforcement des contrôles des services d’inspection des exploitations d’élevage classées A dans la nomenclature ICPE.

Par ailleurs, lors de son audition, Mme Aurélie Trouvé, maître de conférences à AgroParisTech, prenant l’exemple de la ferme dite des mille vaches, dans la Somme, a évalué que la production de 8 millions de litres de lait nécessitait, dans cette exploitation, le travail de dix-huit salariés, ce qui signifie qu’elle créait trois fois moins d’emplois que ne le font en moyenne les exploitations françaises. Il y a donc un fossé entre le monde des éleveurs industriels et celui des agriculteurs paysans. Ce système productiviste met sous pression les paysans, leurs élevages et leurs terres ; il pousse à s’agrandir et à surinvestir dans du matériel, accentuant la dépendance des éleveurs à l’égard des banques.

Enfin, la maltraitance animale dans les fermes-usines a changé la relation particulière que l’éleveur établit avec l’animal, ce qui crée des conditions de travail déshumanisantes, qui sont sources de souffrance, et ce qui conduit à une perte de sens. Ce système est à l’opposé des modèles d’agriculture paysanne, structurants pour les territoires et créateurs d’emplois. Face à ce modèle productiviste passéiste, nous défendons un modèle d’élevage à taille humaine, respectueux des animaux et de l’environnement.

Pour toutes ces raisons, nous vous invitons à adopter la proposition de loi.

M. Mickaël Nogal, président. Nous allons entendre à présent les inscrits.

M. Jean-Pierre Vigier. Madame la rapporteure, votre texte rate sa cible. Pire encore, son titre me choque ; il est très dangereux, car il pourrait laisser à penser que toute l’agriculture française est fondée sur les fermes-usines, ce qui n’est pas le cas. Je le dis haut et fort : nous avons un modèle agricole exceptionnel, vertueux, qui crée des emplois et fournit des produits de grande qualité. Nos agriculteurs respectent non seulement les normes en vigueur, mais surtout l’environnement. Nous avons des exploitations familiales, par exemple dans l’agriculture de montagne. Or tous ces agriculteurs souffrent. Il vaudrait donc mieux les aider et les accompagner plutôt que les critiquer et les stigmatiser. N’oublions pas que ce sont les agriculteurs qui nourrissent la planète.

Vous feriez mieux de demander le contrôle des produits importés, notamment dans le cadre des accords de libre-échange : ils ne respectent pas les normes françaises, ce qui peut poser des problèmes sur le plan sanitaire. En outre, ils tirent les prix vers le bas. L’agriculture française souffre ; elle a besoin d’être soutenue. Il faut lui garantir des prix rémunérateurs, et non la stigmatiser.

M. Cédric Villani. « L’enfer n’existe pas pour les animaux, ils y sont déjà », disait Victor Hugo, bien avant l’industrialisation de l’élevage. M. Yann Arthus-Bertrand, quant à lui, a parlé récemment d’« enfer sur terre » à propos des fermes-usines – modèle de production qui n’a d’ailleurs rien de marginal dans notre pays. Certains de nos collègues ont parlé du modèle français, mais il y a dans notre pays des systèmes très différents les uns des autres. Par exemple, 80 % des poulets de chair sont produits en élevage intensif. On nous parle d’élevages à taille humaine et familiale, de paysans, mais telle n’est pas la réalité : il s’agit d’un système dans lequel les humains ont une place inhumaine. Ils travaillent dur, sont mal rémunérés, n’ont pas de vacances. Sur le plan économique aussi la situation est terrible. J’en veux pour preuve l’affaire de Pihem, dans le Pas-de-Calais. L’objectif du projet était de produire 825 000 poulets par an. Pour cela, l’éleveur devait emprunter 1 million d’euros et rembourser 10 000 euros chaque mois, ce qui lui laissait un salaire inacceptablement bas de 800 euros mensuels. Est-ce un tel modèle que nous voulons pour nos éleveurs ?

Les fermes-usines réservent le moins de place possible à l’humain : dans certains élevages, y compris en Europe, la proportion est d’une personne pour 50 000 poulets. Quant aux conditions dans lesquelles ces derniers sont élevés, quelles sont-elles ? La surface d’une feuille A4 : voilà ce dont dispose chaque poulet, voilà où il passera toute sa misérable vie, en étant soumis à une croissance ultrarapide. Comme l’indique le rapport, si l’on ramenait à l’être humain – ce qu’à Dieu ne plaise – les performances que la sélection génétique ont permis d’accomplir avec les poulets, cela voudrait dire qu’un enfant atteindrait 150 kilos à l’âge de 10 ans, et ce sans jamais voir la lumière du jour. Est-ce là le modèle dont nous sommes fiers ? Ce n’est pourtant pas le modèle bleu-blanc-cœur, cher à M. Thierry Benoit et à d’autres : nous parlons d’élevages où s’entassent 21 poulets par mètre carré.

Ce modèle profite-t-il à la société ? Il est très mal accepté : 90 % de nos concitoyens le rejettent. Les gens n’en peuvent plus de ce système industriel. Profite-t-il au consommateur ? Nous consommons trop de viande. La consommation de volailles, par exemple, a plus que doublé en cinquante ans. Sur ce point, la note de l’OPECST, évoquée par Antoine Herth, est d’ailleurs équilibrée.

La ferme-usine, c’est produire plus, produire bas de gamme et sans humanité. Ce qu’il nous faut pour l’avenir, c’est le contraire : produire moins, produire mieux, rémunérer davantage et redonner de la fierté à l’éleveur.

M. Yves Hemedinger. Il faut arrêter de stigmatiser la profession agricole en mettant en avant des exemples certes inacceptables mais parfaitement minoritaires, qui plus est en sortant souvent les faits de leur contexte. C’est vraiment examiner le problème par le petit bout de la lorgnette. Cette démarche vise systématiquement à dénigrer les agriculteurs.

Il faut aller voir ces derniers et discuter avec eux. Si vous le faisiez, vous constateriez que la situation est totalement différente de celle que vous décrivez. Il faut aider les agriculteurs – en particulier les éleveurs – et les accompagner, plutôt que de chercher systématiquement à les accabler et à les punir. Ils souffrent : ne les enfonçons pas davantage. D’ores et déjà, ils n’arrivent pas à vivre de leur activité.

Les éleveurs aiment leurs bêtes et nous aimons les éleveurs. Plus que quiconque, ils sont attachés à la préservation de la nature et du bien-être animal, parce que c’est leur métier, qu’ils en vivent – et nous permettent de vivre grâce à leur activité. Le vrai risque réside plutôt dans leur disparition : c’est cela qui doit prioritairement nous mobiliser. D’ailleurs, les discussions autour de la politique agricole commune (PAC) les inquiètent, ce que l’on peut comprendre. Nous serons vigilants sur ce point.

Je le constate particulièrement dans la zone frontalière où je vis : chaque fois que l’on ajoute des contraintes – alors même que celles-ci sont déjà nombreuses –, on porte atteinte à la consommation de produits locaux, aux circuits courts, qu’il convient au contraire de développer.

Nous devrions réfléchir ensemble au modèle agricole, aux besoins actuels et futurs, ou encore aux revenus des agriculteurs. Les enjeux sont majeurs car la population mondiale augmentera fortement au cours des prochaines années et il faudra être en mesure de la nourrir. Ne détruisons donc pas ce qui fonctionne. Le labeur de nos agriculteurs fait la fierté de notre pays depuis de nombreuses générations. Cela fait partie de notre ADN.

Pour toutes ces raisons, je m’oppose à cette proposition de loi.

Mme Jennifer De Temmerman. À titre personnel, je suis totalement favorable à la proposition qui nous est présentée. Dans mon territoire, cela fait des mois que l’on se heurte aux pouvoirs publics à propos de certains projets, d’ailleurs de plus en plus nombreux.

Plusieurs collègues ont dit que nous stigmatisions l’agriculture. Tel n’est pas le cas : nous nous opposons à un certain type d’agriculteurs, ceux qui concentrent entre leurs mains à la fois les terres et les revenus, favorisant ainsi un mode d’agriculture qui ne permet pas à d’autres de trouver leur place. On nous accuse de dissuader les agriculteurs de s’installer ou de reprendre des exploitations. Or, en Flandre, dans mon territoire, j’observe que ceux qui veulent s’installer et adopter un autre modèle de production ne le peuvent pas, car les terres sont entre les mains de quelques-uns.

J’entends dire également que le phénomène que vise à combattre la proposition de loi est marginal. En 2019, à Looberghe, l’installation d’un couvoir destiné à recevoir 600 000 poussins par semaine a été autorisée. À la suite de cela, les projets de poulaillers industriels se sont multipliés tout autour : près de 850 000 poussins à Pihem, comme l’évoquait M. Cédric Villani, 61 600 à Noordpeene, 117 000 à Steenwerck. Le phénomène n’a donc rien de marginal, et si nous ne posons pas tout de suite des bornes, il continuera à se développer : dès que l’on autorise une exploitation, d’autres se créent.

Certains collègues ont vanté la viande française. Or, dans le Nord – je pense notamment au projet de Looberghe –, la réalité est que ce sont les Belges qui viennent prendre nos terres et y installent des poulaillers fonctionnant selon leur propre modèle. Non, ce n’est pas de la viande française qui est produite dans ces conditions. S’agissant du projet de Steenwerck, le résultat de la consultation publique a été négatif, et le conseil municipal s’est opposé au projet. Pourtant, l’autorisation a été accordée. Ne nous parlez donc pas de garde-fous : s’il y en a, ils sont insuffisants. Nous devons couper court au mouvement qui s’amorce dans les territoires. La vérité est que nous ne voulons pas des agriculteurs industriels : nous voulons de vrais paysans, des gens qui ont un lien avec leur terre et leurs animaux ; c’est cela qui fait la force de la France et de son agriculture.

M. Yves Daniel. J’ai décidé d’apporter quelques réflexions au débat après avoir entendu certaines interventions.

Tout d’abord, il faut faire attention à ce que nous disons et aux sources sur lesquelles nous nous appuyons. Je partage largement les propos de M. Jean-Baptiste Moreau : le terme « fermes-usines » n’est pas le meilleur si l’on veut être pédagogue et faire vraiment avancer les choses. En effet, il est de nature à diviser plutôt qu’à rassembler. Malgré l’excellent travail que vous avez réalisé, Madame la rapporteure, vous n’avez pas vraiment proposé de définition de ces fermes-usines. Prenons l’exemple d’un atelier où se trouvent 50 truies et 2 000 porcs au total. Si l’on vous dit que c’est un élevage de 50 truies, vous penserez qu’il est petit, mais si l’on vous parle de 2 000 porcs, vous aurez tendance à considérer qu’il s’agit d’une ferme-usine. Or il y a de nombreux élevages comptant quelques centaines de truies, ce qui représente en réalité des milliers de porcs. Il importe donc de mettre les choses en perspective, de façon à ne pas tromper nos concitoyens.

Ensuite, il faut répondre à trois questions. Pourquoi les exploitations sont-elles toujours plus grandes ? Parce que les paysans n’ont pas de revenus : ils sont tout simplement obligés d’augmenter leur volume. Comment faire face au problème que vous soulevez, Madame la rapporteure ? À cet égard, vous auriez pu traiter de la formation, car elle contribuera à faire avancer les choses. Enfin, combien y aura-t-il de paysans demain, et combien de temps faudra-t-il encore pour que la politique agricole permette de les rémunérer, justement afin d’éviter qu’ils ne s’engagent dans le cercle infernal qui est dénoncé ?

Pour toutes raisons, je voterai les amendements de suppression des articles.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure. L’objectif de cette proposition de loi, qui est très courte, est justement de réfléchir au modèle agricole. Contrairement à ce que certains ont laissé entendre, nous n’avons pas auditionné seulement Greenpeace : nous avons reçu également les syndicats agricoles. Ces derniers nous ont fait des remarques concernant la taille des exploitations, notamment celles où l’on élève des vaches laitières. Dans un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC), par exemple, 150 vaches, ce n’est peut-être pas suffisant.

Il s’agit de réfléchir ensemble, pas forcément de dire ce qui est bien et ce qui est mal. Force est toutefois de constater que notre modèle est en voie d’industrialisation – Mme De Temmerman a bien expliqué ce qui se passe. Du reste, ce n’est pas parce que la situation est pire ailleurs que tout va bien chez nous.

Les consommateurs doivent avoir la possibilité d’acheter des produits de qualité. Cela suppose aussi que leur pouvoir d’achat s’améliore. D’où l’idée d’une sécurité sociale de l’alimentation, d’ailleurs défendue par certains députés de la majorité. La réflexion doit être globale. Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas pour nous de stigmatiser l’élevage ni de le détruire.

Il était question tout à l’heure d’une diminution de la consommation de viande. De fait, il est préférable de manger moins de viande mais de faire en sorte que celle-ci soit de meilleure qualité. Pour ma part, je préfère la viande produite en Ariège, de race gasconne plutôt que limousine, et j’évite la viande issue des vaches de réforme. À cet égard, la proposition de M. Denormandie relative aux unités de gros bétail (UGB) me semble aller dans le bon sens. Nous verrons s’il tient cette position plutôt que de subventionner des vaches allaitantes, dont les produits sont destinés à l’exportation.

Des solutions existent, sur lesquelles nous ne nous opposons pas forcément. En revanche, il y a bien deux modèles : l’un est respectueux des gens, de l’environnement et des animaux, et l’autre est à l’opposé de ces valeurs. Trouvez-vous vraiment naturel de couper la queue des cochons et de leur limer les dents au motif qu’ils sont tellement serrés dans leur box qu’ils se mordent entre eux ? Pour ma part, je ne trouve pas cela normal. On est quand même en droit de s’interroger sur ce modèle sans que vous vous braquiez aussitôt, nous accusant de stigmatiser les éleveurs. C’est hallucinant !

Monsieur Herth, en dehors de vos effets de manche, vous n’avez rien apporté au débat. Vous vous êtes fait plaisir, mais c’est absolument sans intérêt pour ce qui est de faire avancer la réflexion sur notre modèle agricole. En outre, je vous ai trouvé très irrespectueux. La même remarque vaut pour votre référence à Martine à la ferme, Monsieur Moreau : ce n’est pas digne de vous. Peut-être la proposition de loi, en l’état, ne correspond-elle pas à vos propres orientations, mais elle permet d’engager un débat qui me semble important. Il n’est pas nécessaire de s’invectiver et de se mépriser. À cet égard, je remercie M. Benoit et M. Villani, qui ont participé aux auditions et ont abordé le débat de manière constructive.

Je connais personnellement des éleveurs, même s’il est vrai que le modèle agricole d’un territoire comme l’Ariège n’est pas le même que celui de la Bretagne. La question de l’abattage est très importante à mes yeux. Je considère d’ailleurs qu’il est important de développer l’abattage à la ferme. Je me suis rendue dans des abattoirs ; j’ai vu comment on y tue des agneaux. Je n’ai pas fermé les yeux. On dirait que, selon vous, si on n’est pas éleveur, on n’a pas le droit de s’intéresser au sujet et on ne peut pas le comprendre. Quand on est député, on peut quand même prendre un peu de recul !

M. Antoine Herth. Comme j’ai été mis en cause par Mme la rapporteure, je voudrais lui répondre en deux mots. Pour ce qui est du ton dont j’ai usé, ne soyez pas surprise, Madame : j’ai délibérément choisi celui de La France insoumise, que nous entendons jour et nuit dans l’hémicycle. Je vous renvoie simplement l’image que vous nous donnez.

Sur le fond, vous avez dit que je n’avais rien apporté au débat. Je vous invite à lire le compte rendu de notre débat : vous verrez que j’ai cité un certain nombre de sources, notamment un rapport de l’OPECST et une étude de l’INRAe, que je vous recommande.

 

La commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

 

Article 1er (article L. 331-2-1 [nouveau] du code rural et de la pêche maritime) : Moratoire de trois ans sur les installations, agrandissements et réunions d’exploitations agricoles dont les productions sont supérieures aux seuils correspondant aux catégories A et E de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE)

 

Amendement de suppression CE5 de M. Jean-Baptiste Moreau.

M. Jean-Baptiste Moreau. Il n’y avait aucune condescendance ni aucun mépris dans mes propos, Madame la rapporteure, et d’autres personnes que des agriculteurs peuvent parler d’agriculture, bien entendu. Ce que je dénonce, c’est le fait que cette proposition de loi se trompe complètement de cible, puisqu’elle vise à interdire l’installation de toute nouvelle exploitation soumise à autorisation ou à enregistrement, selon la nomenclature des ICPE. Cela conduirait à interdire des exploitations de 150 vaches laitières, alors qu’un éleveur tenant une ferme avec ses deux fils atteint facilement ce seuil, sans qu’il s’agisse d’une ferme-usine, évidemment.

Je suis là pour débattre du fond. Or, de ce point de vue, le texte n’est ni fait, ni à faire. Disons-le clairement : il conduirait à interdire la moitié des installations d’élevages de poulets bio et Label rouge. En effet, il fixe le seuil à 30 000 animaux, ce qui correspond au nombre moyen de volailles dans des exploitations en Label rouge. Je conteste une telle vision de l’agriculture.

S’agissant de l’usage des antibiotiques, comme l’a souligné M. Antoine Herth, il a diminué de 37 % en dix ans en médecine vétérinaire. J’aimerais qu’on le souligne davantage. De combien l’usage de ces produits a-t-il diminué dans le même temps en médecine humaine ? L’antibiorésistance est un problème, effectivement. Pendant des années, un certain nombre de pratiques totalement inadaptées, notamment dans l’élevage, ont développé l’antibiorésistance. L’ensemble de la profession a travaillé sur ce problème, y compris avec le ministère – le plan Ecoantibio, lancé par M. Stéphane Le Foll, était une grande idée, et il a fonctionné. On ne peut donc pas dire que rien n’a été fait en la matière.

Nous aussi, à La République en Marche, nous sommes attachés aux exploitations familiales à taille humaine, et nous non plus nous ne voulons pas d’une agriculture mondialisée, mais l’agribashing, en particulier à travers des critiques systématiques adressées aux éleveurs de races à viande, cela ne fait pas bouger un sourcil des tenants de feedlots nord-américains ou d’immeubles de plusieurs étages servant à l’élevage des porcs en Chine ; en revanche, cela conduira à la disparition de notre agriculture.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure. En ce qui concerne les antibiotiques, nous avons demandé au ministère de l’agriculture les chiffres par type d’élevage, pour savoir, par exemple, si les exploitations soumises à autorisation en utilisent davantage que les autres. Nous n’avons pas encore reçu de réponse.

Vous dites sans arrêt que vous défendez les éleveurs. Or, défendre les éleveurs, selon moi, suppose aussi de défendre le modèle qui leur permettra de continuer à être de véritables éleveurs, car dans les grosses structures, on n’élève plus rien du tout : on produit de la viande. Dire cela, ce n’est pas stigmatiser les éleveurs. Force est de constater que certains modèles ne relèvent pas de l’élevage. Il y a des éleveurs qui travaillent extrêmement bien. Or les petits élevages – je pense notamment aux élevages de porcs laineux en plein air, dans les zones de montagne – sont voués à la disparition du fait de l’industrialisation.

Il existe bel et bien plusieurs modèles agricoles ; la question est de savoir lequel on souhaite voir se développer. Prendra-t-on exemple sur les exploitations du nord de l’Europe ? Ce n’est pas possible. Tout à l’heure, j’entendais dire, que comme il y avait de moins en moins d’agriculteurs, c’était une bonne chose d’agrandir les structures. Or, tout au contraire, il faut faire en sorte que davantage de jeunes s’installent. Dans mon département, ceux qui souhaitent le faire n’arrivent pas à trouver des terres, car c’est l’agrandissement qui est privilégié.

En ce qui concerne votre amendement, au lieu d’essayer d’améliorer l’article, vous vous contentez d’en demander la suppression. Je ne vois pas l’intérêt de cette démarche. Avis défavorable.

M. Dominique Potier. Bénédicte Taurine a raison de dire qu’il faut verser des éléments au débat. En voici un, qui a trait aux États généraux de l’alimentation (EGA), organisés sur l’initiative du Gouvernement et dont les conclusions n’ont rien à voir avec la loi EGALIM – il y a un rapport de un à dix entre ce qui s’est passé lors des EGA et ce qui a été produit dans la loi ÉGALIM et ses décrets d’application. J’avais eu l’honneur d’animer l’atelier no 11 des États généraux, consacré à l’alimentation durable, laquelle suppose de promouvoir une agriculture écologique et solidaire – « de la fourche à la fourchette ». Il y avait autour de la table des représentants de la phytopharmacie, de l’industrie, des abatteurs et de la FNSEA, aussi bien que de Greenpeace. Or, sur les questions de condition animale, de repositionnement de la viande dans l’alimentation, ou encore de rapport au sol, nous avons obtenu des votes unanimes. Cela montre qu’il existe des voies de réconciliation, qui ont été indiquées lors des EGA. Je verse cet élément au débat en tant que socialiste, mais dans une perspective transpartisane.

J’ai appris deux choses lors de notre débat. D’une part, comme l’a souligné Mme Sylvia Pinel, il y a un problème d’autorisations d’urbanisme et de réglementation agricole. Ni elle, au ministère dont elle avait la charge, ni M. Stéphane Le Foll, n’étaient en mesure de contraindre. D’autre part, l’argumentaire le plus fort que j’ai entendu ce matin – j’en rends hommage à mon collègue et ami Thierry Benoit – soulignait la question du rapport au sol, à la terre. La réglementation française – et non européenne – en matière d’agriculture biologique résout le problème : dans ce cadre, ce type de concentration hors sol – car c’est bien de cela qu’il s’agit – n’est pas possible. Il y a là une source d’inspiration pour les certifications et réglementations futures : le rapport au sol reflète un équilibre des cycles minéraux – phosphore, azote, etc. – et nous dit quelque chose qui renvoie à la démarche « Une seule santé », pour la Terre et pour les hommes.

M. Guillaume Kasbarian. En ce qui concerne le modèle agricole, nous avons des points de convergence : moi aussi je préfère manger de la viande produite en circuit court, dans un élevage familial de ma circonscription. Je ne me lancerai donc pas dans une opposition entre les modèles qui, en réalité, n’existe pas vraiment.

En revanche, je ne suis pas d’accord avec M. Potier quand il évoque un problème de réglementation. Lorsque l’on dépasse un certain nombre d’animaux – 800 pour les bovins, 40 000 pour les volailles, 2 000 pour les porcs, 250 chiens dans les élevages canins –, la création d’une exploitation agricole est soumise à un régime très complexe, dans le cadre de la nomenclature des ICPE. On vous demande une description du projet, une analyse de l’état initial de l’économie agricole du territoire concerné, une étude des effets du projet sur cet état, les mesures envisagées pour réduire les effets négatifs notables du projet, ou encore les mesures de compensation collective visant à consolider l’économie. Il ne faudrait donc pas laisser croire à ceux qui nous écoutent que l’on part de zéro : une réglementation existe bel et bien, elle est déjà très complexe et fonctionne bien. Elle permet à l’État d’effectuer tous les contrôles nécessaires au moment de la création d’une exploitation.

M. Cédric Villani. À force de parler de l’élevage, on finit par connaître par cœur la rhétorique qui est opposée chaque fois qu’une initiative vise à faire progresser les choses. On la retrouve d’ailleurs dans l’exposé des motifs de cet amendement de suppression. Premièrement, le concept est mal défini : qu’est-ce qu’une « ferme-usine » ? Deuxièmement, on nous reproche d’attaquer toute la filière : c’est une humiliation pour les paysans, dont on est si fier. Troisièmement, c’est pire ailleurs. On est fier des élevages familiaux français, et si la production n’est pas organisée selon ce système, il faudra importer des produits encore pires. Tout cela vise à empêcher que quoi que ce soit ne bouge.

Selon M. Kasbarian, il y a des modèles différents, mais il ne faut pas les opposer. Or l’enjeu est bien là, justement : les modèles en question sont très différents, il n’y a pas un modèle à la française, et le terme « fermes-usines » désigne certains modes d’élevage bien précis. Il convient de faire la différence entre les techniques d’élevage qui sont respectueuses du sol et qui l’enrichissent, comme le disait si éloquemment M. Thierry Benoit, les modes d’élevage qui relèvent d’une tradition millénaire et ceux qui sont apparus il y a quelques décennies avec l’industrialisation à tout-va. La chercheuse Jocelyne Porcher, directrice de recherches à l’INRAe, que cite Mme Bénédicte Taurine dans son rapport, et qui a passé sa vie à étudier les modes d’élevage, dit clairement que, même quand on aime l’élevage, il faut faire la différence entre ces différents systèmes. Soit dit en passant, elle devrait être sympathique à certains de nos collègues car elle pourfend inlassablement les végans et les antispécistes, entre autres.

Monsieur Moreau, vous reprochez à Mme la rapporteure de mal définir les fermes-usines. Eh bien, suggérez une autre définition ! Puisque vous dites vouloir favoriser l’élevage à taille humaine, respectueux des animaux, et non les exploitations où des dizaines de milliers de poulets sont entassés, disposant chacun d’une surface équivalente à celle d’une feuille A4, faites vous-même la distinction. Quoi qu’il en soit, cessez d’entretenir le mythe selon lequel il existerait un seul mode d’élevage à la française.

Mme Muriel Ressiguier. Il n’est pas question, dans cet article, d’éradiquer l’élevage industriel : il s’agit d’instaurer un moratoire de trois ans, car il y a bel et bien un problème. Doit-on continuer comme cela ? Les agriculteurs – en tout cas une majorité d’entre eux – sont en train de crever. Le taux de suicide est très alarmant. Nombreux sont ceux qui doivent vivre avec 400 à 450 euros par mois. Il n’est donc pas étonnant qu’il n’y ait pas beaucoup de candidats pour se lancer dans l’aventure. En supprimant cet article, vous ne réglez pas le problème des revenus. Vous ne proposez rien.

Nous sommes en désaccord et nous essayons d’avancer en réfléchissant ensemble. Des idéologies différentes sont en présence. Certains, qui sont productivistes, constatent que d’autres pays ont adopté le système d’exploitation dont nous parlons. Ferons-nous donc comme le Brésil ou les États-Unis, où il y a des élevages industriels absolument délirants ? On estime que 59 % des céréales produites dans le monde servent à nourrir les animaux, et 24 % des humains. Jusqu’où ce délire ira-t-il ? Quant aux conditions de travail, il faut payer les gens toujours moins, tandis que l’on abîme toujours plus la planète. Qu’allons-nous donc laisser à nos enfants ? Quel aura été notre rôle ? Il faut se poser ces questions.

L’enjeu n’est pas de savoir si l’on est pour ou contre les agriculteurs, mais de choisir le modèle que nous voulons. Vous avez parlé d’aider les agriculteurs : nous attendons vos propositions. En l’occurrence, la question est de savoir qui est passéiste et qui est moderne. Détruire la planète, laisser mourir les animaux dans des conditions absolument abominables, est-ce être moderne ? Pour ma part, j’ai toujours pensé que l’on traite les animaux de la même manière que l’on se traite entre nous. Quoi qu’il en soit, de grâce, faites autre chose que supprimer tous les articles du texte !

Mme Sylvia Pinel. Je voudrais revenir sur les propos de M. Potier et de M. Kasbarian, et prendre l’exemple de la ferme des mille vaches. Lors de son installation, j’étais membre du Gouvernement. Je me souviens de l’émotion et de la forte opposition que le projet a suscitées, sur place et au-delà. Il ne se passait pas une semaine sans qu’une question d’actualité porte sur le sujet. Je ne dis pas qu’il ne fallait pas demander l’autorisation de créer une telle exploitation, mais les règles d’urbanisme et le régime d’autorisation en vigueur n’ont pas permis au Gouvernement et aux autorités administratives, en dépit de l’opposition locale de l’ensemble des élus et de la profession, de refuser cette installation.

Je ne suis pas sûre que la ferme des mille vaches corresponde au modèle que nous souhaitons pour l’agriculture française – je me tourne, en disant cela, vers ceux d’entre nous qui exercent ou ont exercé une profession agricole. En tout cas, ce n’est pas celui que je souhaite.

Je me suis contentée de dire qu’une réflexion pourrait être menée pour améliorer et conforter le régime d’autorisation : il n’y a pas lieu de sur-interpréter mes propos. Par ailleurs, Monsieur Kasbarian, il est un peu caricatural de dire que nous avons laissé entendre qu’il n’était pas nécessaire de demander une autorisation.

Peut-être la proposition de loi ne répond-elle pas exactement au problème, mais on ne peut pas dire que celui-ci n’existe pas.

M. Thierry Benoit. Je rejoins totalement Mme Sylvia Pinel. Je suis convaincu qu’il y a un problème s’agissant de l’élevage industriel ou de l’industrialisation de l’élevage, même si je ne l’aborde pas de la même manière que Mme Taurine – c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je ne peux pas soutenir sa proposition de loi.

J’ai eu la chance de visiter la ferme des mille vaches. L’une des questions que posent les élevages industriels de ce type – quels que soient les animaux concernés – est celle de leur acceptabilité. Il y a aussi la question du sens, celle du lien au sol. Je connais un peu la filière du veau de boucherie, par exemple. Eh bien, un veau de boucherie, en principe, est élevé avec du lait et non pas avec des substituts tels que de la poudre de lait. Des pratiques comme celles qui sont dénoncées ici posent donc question – en tout cas, elles me posent question. Cela n’a rien à voir, d’ailleurs, avec le modèle d’élevage que défend notre collègue Jean-Baptiste Moreau. Celui-ci est éleveur, et l’on aimerait voir de nombreux éleveurs comme lui, dont les animaux parcourent les pâturages. L’enjeu est que les éleveurs tirent un revenu de leur métier, ce qui pose également problème.

Pour en revenir à la ferme des mille vaches, les animaux y étaient élevés dans de bonnes conditions. Il n’en demeure pas moins qu’au terme de ma visite, qui avait duré une demi-journée, je m’étais dit que j’avais raison de ne pas soutenir ce modèle… J’avais d’ailleurs demandé à l’un des co-concepteurs du projet – qui avait mis dix ans à voir le jour, au terme d’un combat acharné ; l’un de ses auteurs était d’ailleurs décédé peu de temps après le début de l’exploitation – s’il était heureux de diriger cet établissement. Dans sa réponse, j’avais perçu beaucoup d’états d’âme. Entre-temps, la ferme s’est arrêtée et ce directeur s’est lancé dans une autre activité.

On voit bien qu’un tel système pose de multiples questions ; on ne peut pas les balayer d’un revers de main. Ce qui est sûr, c’est que nos débats doivent faire sourire nos amis Américains, qui, eux, ne s’embarrassent pas de tant de questions : il s’agit de têtes de bétail, élevées par milliers aux farines animales – si l’on prend l’exemple de la filière bovine – et placées dans des parcs, tandis que, chez nous, l’élevage dit « industriel » est limité et extrêmement réglementé.

J’ai effectivement assisté, ainsi que M. Cédric Villani, à l’une des auditions que vous aviez organisées, Madame la rapporteure, car elle me paraissait essentielle : je voulais savoir comment, au ministère de l’agriculture, on percevait les choses. J’ai été rassuré : nous avons vu des femmes et des hommes qui abordent la question avec la plus grande conscience et le plus grand sérieux.

Il faut que nous discutions de ces enjeux et que nous arrivions à définir un modèle. Il faut aussi continuer à rappeler que nos agriculteurs sont les acteurs de notre autosuffisance alimentaire, mais qu’ils doivent également – c’est en tout cas ma conviction – exporter et, ce faisant, contribuer à nourrir d’autres populations de la planète. C’est aussi là le rôle des 28 millions d’hectares de surface agricole utile que compte la France, et que nous voulons préserver, dans des conditions humaines et responsables à l’égard des êtres vivants que sont les animaux.

M. Philippe Bolo. À écouter nos collègues, il se confirme que le sujet nous fait réagir comme humains et comme animaux, si j’ose dire. Mais le moratoire tel qu’il est proposé, applicable aux exploitations relevant des catégories A et E du régime des ICPE, est problématique. Car si l’on considère les effectifs plancher pour appartenir à la catégorie E, comme je l’ai fait en ce qui concerne les vaches laitières, les porcs et les volailles, on constate – c’est le cas dans ma circonscription – que cette catégorie compte des exploitations à taille humaine, familiales, respectant des labels, où les exploitants font quotidiennement des efforts pour préserver leur environnement, assurer le bien-être de leurs animaux, rester fiers, mais où ils ne touchent pas des revenus à la hauteur de ce travail et de ces efforts. Il y a donc dans la mesure quelque chose qui ne va pas.

M. Yves Daniel. La proposition de loi a le mérite de nous permettre de nous poser ces questions. Je voterai l’amendement de suppression, mais n’en restons pas là : nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut trouver des réponses à ces questions. Voilà des décennies que l’on tient les mêmes discours sur l’agriculture et le besoin de la réconcilier avec la société – ce que l’on appelle aujourd’hui l’agribashing. À un moment donné, il faut passer des paroles aux actes. Le présent débat est l’occasion de le souligner.

Mais, pour poursuivre le travail ainsi entamé grâce à ce texte, peut-être faut-il commencer par cesser de parler de fermes-usines comme le fait son titre. Quand une usine ou une entreprise artisanale ou commerciale veut s’agrandir, on ne lui en conteste pas la possibilité. L’agriculture a sa particularité : un produit agricole ou alimentaire n’est comparable à aucun autre type de produit. Notre alimentation est un bien commun au même titre que l’air ou que l’eau. Par elle, l’agriculture doit assurer la santé de la planète et du vivant, dont nous autres humains.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure. En ce qui concerne le nombre de vaches laitières par exploitation, nous en avons débattu avec les syndicats agricoles lors des auditions : il faut déterminer le nombre d’animaux nécessaire eu égard au revenu des éleveurs et à la structure, notamment. Ce n’est pas dans le cadre d’une « niche » parlementaire que l’on peut aborder une aussi grande variété de sujets. Nous avons donc choisi un aspect en particulier, et il peut paraître polémique. Mais l’objectif, qui semble atteint, était de soulever les bonnes questions et de permettre à chacun de proposer ses solutions ; on voit ainsi que ce n’est pas parce que l’on parle d’élevage que l’on verse dans l’agribashing, qu’il est possible de débattre sereinement d’un sujet qui est important, comme vos interventions le confirment. En ce sens, je suis satisfaite du rôle que joue notre proposition de loi.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article est supprimé.

 

Article 2 (article L. 331-2-2 [nouveau] du code rural et de la pêche maritime) : Renforcement des contrôles des exploitations agricoles bénéficiant d’une autorisation correspondant à la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE)

 

Amendement de suppression CE6 de M. Jean-Baptiste Moreau

M. Jean-Baptiste Moreau. Les exploitations soumises au régime des ICPE sont déjà contrôlées. Nous ne refusons pas de changer quoi que ce soit au système d’autorisation et d’enregistrement, mais c’est la proposition de loi telle qu’elle est rédigée dont nous débattons ; or elle définit mal les fermes-usines. Nous aussi, nous sommes attachés aux exploitations familiales. Mais la « ferme des mille veaux », dans ma circonscription, qui a elle aussi beaucoup fait polémique, c’étaient cinquante agriculteurs qui se sont réunis pour engraisser ensemble leurs animaux, sur un terrain montagneux où, ne pouvant cultiver la nourriture des bêtes, ils ont fait construire un bâtiment éclairé par des lampes destinées au bien-être animal, au top, plutôt que d’envoyer leurs broutards par camion en Italie se faire engraisser dans des conditions non maîtrisées. Selon le texte, il s’agit d’une ferme-usine. Faut-il donc l’interdire ? Vaut-il mieux envoyer les broutards en Italie que les engraisser sur place, quitte à en regrouper 1000 sur un an ? Il s’agit d’un modèle vertueux de coopération entre agriculteurs pour acheter l’alimentation à moindre coût et réduire les coûts de production. Ce type d’élevage est parfaitement compatible avec l’objectif de développer les fermes familiales.

De plus, il n’est pas aberrant de se mettre à trois ou quatre pour traire les bêtes, de manière à pouvoir se relayer et accroître le nombre de vaches laitières. Le problème n’est pas le nombre, mais le type d’élevage. Je ne trouve donc pas condamnable en soi d’avoir, à quatre ou cinq associés, 200 vaches laitières sur 300 ou 400 hectares. Ce que je condamne, c’est le dogmatisme de votre approche.

Vous parlez de taxes à l’importation, mais les poulets brésiliens, produits dans des conditions catastrophiques, arrivent déjà en France alors même que l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur n’est pas signé. En instituant une taxe à l’importation, on créera une France à deux vitesses où les uns achèteront une viande de bonne qualité quand les autres n’auront pas les moyens de se procurer de la viande – c’est d’ailleurs le but des associations qui soutiennent un texte comme le vôtre : réduire la consommation de viande et l’élevage en France et dans le monde.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure. L’article 2 concerne les contrôles, et votre amendement était motivé par le sentiment que leur périodicité annuelle serait excessive. Pourtant, les inspections ont lieu tous les sept ans en moyenne : c’est loin d’être suffisant. De plus, l’article ne porte que sur le contrôle des fermes-usines bénéficiant d’une autorisation. Ce ne sont donc pas 1 200 agents de la direction générale de la prévention des risques qui seraient concernés, contrairement à ce que vous écrivez dans l’exposé sommaire. Il faut contrôler davantage, mais aussi mieux former et accompagner les éleveurs pour qu’ils puissent changer de modèle.

Quant au nombre d’animaux, il est exact que la situation n’est pas la même selon que l’éleveur est seul ou intégré à un GAEC ou à une autre structure. De là à parler de bien-être animal « au top » à propos d’un bâtiment réunissant mille veaux… Le bien-être animal ne dépend pas seulement du type de structure.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article est supprimé.

 

Après l’article 2

Amendements CE3, CE4, CE1 et CE2 de Mme Jennifer De Temmerman

Mme Jennifer De Temmerman. Je suis heureuse d’avoir entendu beaucoup d’entre vous dire qu’il fallait aborder le sujet des exploitations de type industriel en agriculture, sans caricature – un principe auquel je n’ai pas l’impression que nous nous soyons toujours tenus depuis le début de la discussion. J’ai aussi entendu dire qu’il ne fallait pas en rester là ; mais on répète cela depuis 2018 et la loi EGALIM, laquelle a été suivie d’autres textes, par exemple sur le bien-être animal, qui n’ont pas davantage fourni l’occasion d’un tel débat alors qu’ils l’auraient pu. « On en parlera plus tard » – mais quand ? Au prochain mandat ? Je ne sais pas si nous serons encore nombreux entre ces murs après 2022.

Parlons des bénéfices économiques. Le projet de Steenwerck, par exemple, ne crée qu’un emploi – et encore : en réalité, l’épouse de l’exploitant abandonne son autre activité professionnelle pour se consacrer à l’exploitation. Quant aux revenus des agriculteurs, ce n’est pas la concentration des exploitations qui leur permet d’augmenter, mais, au contraire, la conversion à l’agriculture plus raisonnée ou biologique, qui améliore aussi leurs conditions de vie.

Des critiques adressées au texte, il ressort qu’il était possible de procéder autrement que par des amendements de suppression : en amendant le titre pour modifier le terme de ferme-usine qui vous gênait tellement, en supprimant la catégorie E, bref en travaillant sur le texte pour commencer de poser des pierres à l’édifice. Il le faut car, malgré ce que vous dites, le système actuel comporte des failles qui permettent d’autoriser des projets inacceptables.

Mes amendements ont pour objet d’intégrer aux schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles des critères d’appréciation liés au bien-être animal et à la préservation de l’environnement. Voilà la pierre que j’apporte au débat, pour ne pas me contenter de rejeter ce qui vient des autres, mais contribuer à l’améliorer et à faire progresser la discussion. On ne peut pas attendre indéfiniment pendant que, sur le terrain, malgré l’opposition du public et des commissaires-enquêteurs qui relèvent des manquements graves en matière de bien-être animal et de respect de l’environnement, les projets sont autorisés, se poursuivent, se multiplient ; bientôt, ils ne seront plus marginaux.

Mme Muriel Ressiguier. Je suis favorable à ces amendements et je remercie leur auteur de sa contribution au débat. Je regrette moi aussi que d’autres amendements, sur le libellé du titre par exemple, n’aient pas été défendus. Certes, les mots que nous employons sont importants, mais on ne peut pas repousser sans arrêt un débat qui porte sur des sujets de fond : notre rapport au monde, à l’animal, à la terre et à l’homme. Je le répète, il ne s’agit absolument pas d’éradiquer un type d’élevage, ni la consommation de viande. Simplement, dans notre société, l’homme est pressurisé, les animaux sont maltraités, la santé humaine se dégrade ; il y va à la fois de la santé publique et de l’environnement. Nous aurons manqué ce rendez-vous ; c’est dommage. Mais je ne doute pas que le sujet resurgira.

M. Cédric Villani. Nous avons eu un bon débat : après un premier tour de parole un peu caricatural, le second a été beaucoup plus constructif, et nombre de ceux qui s’opposent au texte ont cependant admis qu’il fallait parler et reparler du sujet. Je salue donc l’initiative de Mme Bénédicte Taurine.

Si nous ne faisons rien, la situation ne va pas s’améliorer : les conditions très inquiétantes, et même inacceptables, dans lesquelles se trouvent nos éleveurs et notre élevage ne changeront pas d’elles-mêmes.

M. Jean-Baptiste Moreau a évoqué les poulets importés du Brésil. Ce n’est pas un modèle pour la France que d’essayer de rester en compétition avec JBS et autres gigantesques producteurs internationaux. Produire toujours plus à un coût toujours plus bas n’est pas un projet de société valable ; ce n’est pas ce qui fera la fierté de notre pays, ce n’est pas un domaine où la France pourra être compétitive.

En la matière, les évolutions sont lentes ; si nous attendons tranquillement qu’elles viennent à la faveur des changements d’habitudes des consommateurs, nous aurons peut-être des résultats dans un siècle ! Voyez le retard pris par les décrets d’application de la loi relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires, sujet évoqué au début de notre réunion, et il ne s’agit encore que de la loi : le temps que le consommateur dispose d’une information éclairée et que les comportements d’achat s’adaptent à celle-ci peut être très long.

Enfin, Mme De Temmerman a raison d’insister pour inscrire explicitement dans la loi l’expression « bien-être animal », s’agissant d’un domaine où, depuis des siècles, on s’autorise de l’intérêt suprême de la consommation pour s’affranchir de toute règle de respect du vivant.

M. Jean-Baptiste Moreau. Concernant le bien-être animal, il existe déjà des normes dont le respect est régulièrement contrôlé dans les nouveaux élevages.

Quant à l’angle du revenu, il est particulièrement inapproprié ici : les ateliers hors-sol d’élevage de volailles ou de porcs sont fréquemment créés par de jeunes agriculteurs qui s’installent, n’ont pas accès à des surfaces suffisantes du fait du prix élevé de l’hectare et y voient le moyen d’un revenu garanti, bien souvent supérieur à celui que leur procurerait une exploitation plus « vertueuse » ou extensive. L’enjeu est précisément de permettre aux fermes familiales, extensives, aux élevages de bovins de produire du revenu. C’est tout l’objet de la proposition de loi que M. Grégory Besson-Moreau va déposer dans les jours qui viennent. Car avant d’orienter les agriculteurs vers un nouveau modèle, il faut leur donner les moyens de vivre.

Vous voyez que nous ne faisons pas rien. Nous avons tiré les leçons de la loi EGALIM, qui n’est pas entièrement satisfaisante. Mais nous ne sommes pas favorables à des textes hyper-répressifs, allant contre les agriculteurs. Il faut les accompagner et leur permettre de vivre dignement de leur métier, le plus beau du monde selon moi.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure. Je suis favorable aux quatre amendements. Dans la situation où nous sommes, il faut réagir rapidement. Pourquoi donc avoir soustrait le sujet de l’élevage à la discussion de la proposition de loi sur la maltraitance animale ou du projet de loi climat ? Vous critiquez notre texte, mais vous avez manqué les occasions de poser les questions qu’il soulève. On a aussi laissé de côté le sujet des pandémies liées à l’élevage industriel et à la déforestation dont l’Europe est en grande partie responsable. Nous espérons que de futurs textes permettront de l’aborder, car il faudra bien finir par le faire.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Article 3 : Gage

 

M. Mickaël Nogal, président. Seul le Gouvernement étant habilité à lever un gage, je propose que nous adoptions l’article.

 

La commission adopte l’article.

 

Elle rejette l’ensemble de la proposition de loi.

 

M. Mickaël Nogal, président. C’est donc le texte initial de la proposition de loi qui sera soumis à l’Assemblée lors de l’examen en séance publique – s’il peut avoir lieu, car il s’agit du neuvième point de l’ordre du jour du groupe La France insoumise pour sa journée de niche parlementaire.