Compte rendu

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

– Audition, conjointe avec la commission des affaires économiques, de Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, sur le projet Hercule              2


Jeudi 4 février 2021

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 37

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de

Mme Laurence Maillart-Méhaignerie,

Présidente, et de
M. Roland Lescure, Président de la commission des affaires économiques


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La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a procédé à l’audition, conjointement avec la Commission des affaires économiques, de Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, sur le projet Hercule.

M. Roland Lescure, président de la Commission des affaires économiques. Mes chers collègues, nous nous retrouvons pour l’audition, conjointe avec la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, de Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, sur le projet dit « Hercule » d’EDF. La Commission des affaires économiques avait déjà entendu madame la ministre, le 17 septembre 2020, sur les enjeux énergétiques. La présente audition est plus ciblée : il s’agit d’évoquer le projet de réorganisation d’EDF, connu sous le nom de projet Hercule. Elle ouvre un cycle que nos deux commissions ont décidé d’organiser, qui se poursuivra la semaine prochaine, avec les auditions de M. Jean‑Bernard Lévy, président-directeur général d’EDF, et de M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance – cette dernière, propre à la Commission des affaires économiques, ne sera pas spécifiquement consacrée au projet Hercule, mais nul doute qu’il fera l’objet de questions.

À l’issue de ce cycle d’auditions – comme cela a été indiqué lors du dernier Bureau de notre commission, en réponse aux sollicitations de Mme Battistel, Mme Batho, M. Sempastous et M. Ruffin –, il sera toujours temps de s’interroger sur la nécessité de poursuivre les auditions, de créer une mission d’information ou d’attendre un futur dispositif législatif. Les douze travaux d’Hercule prendront sans nul doute du temps, à commencer par le premier : parvenir à un accord préalable avec la Commission européenne. Je ne doute pas que la ministre nous éclairera sur l’avancée des négociations.

Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, présidente de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Merci, madame la ministre, d’avoir accepté notre invitation à cette audition conjointe. Elle répond aux attentes de nombreux collègues, car le projet Hercule de restructuration d’EDF suscite sinon des inquiétudes, du moins de réelles interrogations.

Il intervient dans un contexte particulier, marqué par les difficultés financières du groupe, les incertitudes qui pèsent sur le programme nucléaire – avec en particulier les retards récurrents du projet de réacteur à eau pressurisée (EPR) et les surcoûts qui en résultent –, le vieillissement du parc nucléaire et, enfin, l’exigence d’assurer une transition énergétique qui fasse toute sa part aux énergies renouvelables, dans des conditions soutenables. Il intervient aussi alors que la France doit répondre aux exigences de la Commission européenne en matière de rémunération du nucléaire et que des négociations sont en cours.

Le projet de scission du groupe en trois entités rencontre des résistances de la part des personnels qui craignent un démantèlement et redoutent qu’il n’ouvre la voie à une privatisation de certaines activités.

De même qu’il nous avait paru important que le Parlement puisse être saisi de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui détermine les choix énergétiques structurants de la France, il est nécessaire que la Représentation nationale soit éclairée sur l’état des négociations avec la Commission européenne et les perspectives d’évolution du groupe EDF, opérateur historique et incontournable du paysage énergétique français. Où en est-on du projet Hercule ? Quels sont les gains attendus ? Quelles pourraient en être les conséquences, à moyen et long termes, sur les tarifs de l’électricité et la complémentarité des moyens de production ?

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Je suis très heureuse d’être avec vous, car j’accorde beaucoup d’importance aux relations entre le Gouvernement et le Parlement – sans doute eu égard à mon passé récent.

S’agissant du projet Hercule, comme vous, j’ai entendu et lu beaucoup de contre-vérités, tant sur nos objectifs que sur les enjeux liés à la production d’électricité et à la transition écologique. Lorsqu’on lit dans tel journal que le Gouvernement entend vendre EDF à la découpe, qu’on entend des accusations de duplicité, de dissimulation, voire de trahison ou des annonces de coupures massives d’électricité, je comprends que l’on puisse exprimer des craintes et des inquiétudes. Je le dis et le répète : tout cela est faux ! Lorsque les rumeurs les plus absurdes finissent par gagner des galons de véracité, il faut rappeler les faits et la vérité.

Il est ici question d’avenir : de celui d’un de nos opérateurs historiques et de ses salariés, de celui de l’accès à l’énergie électrique et de la transition énergétique en France. Historiquement, la France a choisi un mix électrique décarboné, comprenant une grande part d’énergie nucléaire. Nous faisons désormais le choix de nous tourner massivement vers les énergies renouvelables pour avoir un mix électrique plus diversifié – et toute l’Europe rejoint ce mouvement de résilience. Il s’agit de nous élever à la hauteur des défis de notre siècle en faisant de la France un pays neutre en carbone et de donner à notre économie les moyens de préserver à la fois son dynamisme et la planète.

Certes, avec un parc de production largement décarboné, la France se classe parmi les pays les plus vertueux en termes d’émissions de CO2, et donc dans la lutte contre le changement climatique. Cette électricité décarbonée nous permet d’atteindre notre objectif de neutralité carbone et de développer la mobilité électrique ou l’hydrogène par électrolyse. Toutefois, ces choix historiques ne doivent pas nous empêcher de regarder vers l’avenir et de le préparer. Cela signifie entretenir et moderniser nos installations nucléaires, majoritairement construites dans les années 1970 et 1980, et, parallèlement, donner à EDF les moyens de prendre le tournant des énergies renouvelables.

Partout, sur le continent, la concurrence s’organise : énergies renouvelables, hydrogène, stockage d’énergie, les concurrents d’EDF sont à pied d’œuvre. Je refuse que la France et EDF se retrouvent sur le banc de touche de la transition écologique. Mon ambition, celle du Gouvernement, et son engagement, c’est que l’entreprise reste un grand énergéticien et un champion français de la transition écologique et énergétique.

La situation résulte de l’inadaptation des cadres de régulation : les règles en vigueur ont été instaurées il y a plus de dix ans, dans un monde de l’énergie très différent de celui d’aujourd’hui. Dans ces conditions, EDF n’a pas les moyens d’être à la hauteur de notre ambition, ce qui nécessite de traiter deux sujets majeurs.

Le premier est la régulation des concessions hydroélectriques, dont une vingtaine est arrivée à échéance depuis 2011. Depuis qu’EDF a perdu son statut d’établissement public, en 2004, la mise en concurrence est devenue obligatoire à la fin des concessions. Nous sommes donc hors-la-loi et sous le coup d’un contentieux européen pour leur remise en concurrence – celui-ci est provisoirement suspendu compte tenu des discussions en cours.

Je sais l’attachement des collectivités et des territoires aux installations hydroélectriques ; je sais aussi que vous-mêmes êtes attachés à leur bonne gestion, d’autant que ces installations utilisent la ressource précieuse qu’est l’eau. Le sort des concessions est aussi un enjeu social : les personnels sont dans l’incertitude et ce statu quo leur nuit autant qu’il empêche la modernisation des installations. Nous voulons donc trouver une solution. Parmi d’autres scénarios, le Gouvernement explore une voie autorisée par le droit des concessions. Il s’agirait de renouveler, sans mise en concurrence, les concessions à une structure dédiée détenue par l’État. Cela mettrait fin au contentieux européen et permettrait de relancer l’investissement et de conforter les salariés. Ce serait donc un moyen de sortir de cette incertitude pesante qui n’a que trop duré et de redonner confiance aux territoires pour lesquels ces installations sont aussi un outil de développement économique.

Le deuxième sujet est la régulation du nucléaire historique. En vertu du dispositif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), tous les fournisseurs ont la possibilité d’acheter à EDF 100 térawattheures issus de la production nucléaire à un prix fixe. Le tarif, 42 euros le mégawattheure, n’a jamais été revu depuis 2012. À l’origine, ce dispositif était prévu pour être transitoire. Son objectif était d’aider au développement de la concurrence dans la fourniture d’électricité ; objectif atteint, puisque 40 % des volumes d’électricité en France sont commercialisés par des fournisseurs alternatifs.

L’ARENH présente plusieurs inconvénients. Il est optionnel et asymétrique, c’est-à-dire que les fournisseurs peuvent ne s’y approvisionner que lorsqu’ils prévoient des prix de marché qui lui sont supérieurs. Son tarif non révisé depuis 2012 ne permet pas de couvrir les coûts et les investissements nécessaires dans le parc existant : l’écart entre le prix de l’ARENH et le coût de l’énergie pèse donc directement sur EDF – mais les acteurs qui lui achètent cette électricité ne sont pas davantage satisfaits puisqu’ils sont rationnés en électricité d’origine nucléaire. Si bien que quand les prix sont élevés, EDF voit ses revenus plafonnés et, quand ils sont bas, EDF n’est pas soutenue. Bref, l’entreprise ne peut pas prendre franchement le virage de la transition énergétique et développer les énergies renouvelables au même niveau que ses concurrents.

Adapter le dispositif de l’ARENH pour le rendre plus juste et plus efficace n’est pas envisageable dans la mesure où il est encadré par la Commission européenne et qu’il arrive à échéance en 2025. Dès lors, que faire pour honorer notre engagement de donner à EDF les moyens d’assumer son rôle dans la transition énergétique du pays ? Ouvrir la discussion avec Bruxelles car, qu’on le veuille ou non, la régulation des marchés de l’énergie est largement européenne.

Que voulons-nous obtenir de cette discussion ? D’abord, la protection des consommateurs français. Ceux-ci ont contribué à constituer un parc de production nucléaire dont la collectivité supporte les risques et pour lequel elle a intérêt à provisionner de manière adéquate le démantèlement. Or, l’ARENH une fois parvenu à son terme, en 2025, les consommateurs seraient directement exposés à un prix de marché français presque totalement déterminé par les prix des matières premières fossiles et du carbone, sans rapport avec la réalité de leur approvisionnement. Les Français ne sauraient accepter la transition énergétique devant une situation aussi contradictoire. Le Gouvernement ne peut pas leur expliquer qu’ils devront payer plus cher leur électricité parce que les prix du carbone, du gaz ou du charbon augmentent, alors que la quasi-totalité de leur électricité est décarbonée. Puisqu’ils ont historiquement participé au financement de cet outil de production, les consommateurs français doivent aussi être protégés contre les variations imprévisibles de leur facture. Pour cela, il faut garantir le financement du parc nucléaire existant, qui nécessite des investissements majeurs – c’est le « grand carénage », le programme de rénovation et de modernisation des centrales nucléaires.

Nous devons donc réformer les conditions de vente de la production nucléaire et faire en sorte qu’EDF soit rémunérée à la hauteur des coûts de production qu’elle supporte. Nous avons également besoin d’avancer au sujet des concessions hydrauliques d’EDF, pour éteindre le contentieux sans remise en concurrence, afin de maintenir ces installations dans le giron public et mettre fin à l’incertitude sur leur avenir. Il s’agit à la fois de protéger les salariés et les territoires. Ceux qui prétendent que ce projet portera atteinte aux tarifs réglementés ou au principe de la péréquation se trompent ou, pire, agitent des contre-vérités pour faire peur. En réalité, rien dans la réforme que nous envisageons ne porte atteinte au principe des tarifs réglementés et la péréquation n’est en aucun cas concernée. Je le dis devant vous : nous ne cachons rien, ni dans les manches ni dans les tiroirs ! Notre ambition, notre seul mandat, c’est de réussir à faire évoluer la régulation en faveur d’EDF, de ses personnels, des consommateurs et de la transition écologique, bref, de notre pays.

Nous avons donc engagé la discussion avec la Commission européenne. C’est un chantier de modernisation sans précédent, dont la taille nécessite de savoir évoluer. Il est vraisemblable, en effet, que les structures internes du groupe et l’organisation de l’entreprise aient à être adaptées, car nous souhaitons faire reconnaître à EDF un rôle particulier de producteur nucléaire de service public à partir de son parc existant. Si la Commission accepte ce nouveau modèle de régulation, elle demandera des garanties, notamment que la régulation ne s’applique que pour l’activité de production nucléaire et non aux autres activités de l’entreprise, afin d’éviter toutes subventions croisées. La même logique s’appliquera pour les concessions hydroélectriques : si elles redeviennent publiques, par exemple en étant intégrées dans une quasi-régie, c’est-à-dire une entité appartenant au secteur public et pilotée par l’État, nous devrons garantir que cette entité n’en financera pas d’autres, concurrentielles, au sein du groupe, comme celle en charge du développement des énergies renouvelables.

En aucun cas il ne s’agit de démanteler le groupe EDF, ni de la privatiser. Je le répète, l’entreprise est et restera un groupe public intégré : quelle que soit l’organisation retenue, toutes ses activités auront vocation à rester détenues majoritairement par l’État. Cela n’a rien d’un dépeçage, d’un démantèlement ou d’une quelconque remise en cause du statut des salariés. Ceux qui le disent ou, pire, veulent le faire croire, ont tort, voire mentent délibérément pour agiter les peurs. Présenter le statu quo comme la meilleure solution est tout autant une erreur : il n’est pas tenable dans la durée.

Nous ne sommes certes pas encore en mesure de décrire le schéma précis de la réforme et de ses impacts sur l’organisation interne du groupe EDF. La raison en est simplement que les négociations avec la Commission européenne sont toujours en cours. Nous n’avons pas même la certitude de parvenir à un accord, car nous nous montrerons intransigeants. Si les conditions d’un accord conduisaient à une forme de démantèlement du groupe, nous ne l’accepterions pas ; si le tarif de l’énergie nucléaire régulée ne permettait pas de couvrir les coûts de sa production, nous ne l’accepterions pas.

En face, toutefois, la Commission demandera que la conformité au droit européen de la régulation que nous proposons soit démontrée et que les mécanismes de régulation soient bien limités au parc nucléaire existant et aux concessions hydroélectriques, sans subventions cachées aux autres activités d’EDF. Elle demandera des garanties afin que les mécanismes de régulation que nous cherchons à construire pour ces deux secteurs ne constituent pas des avantages compétitifs injustifiés au bénéfice des autres activités d’EDF.

Soyons clairs, il n’est pas question d’une quelconque privatisation ; il n’est pas question d’une remise en cause des parcours professionnels des personnels, ni du statut des industries électriques et gazières (IEG). Le groupe EDF est public, il le restera – c’est un engagement –, car il fait partie de notre histoire et de notre conception du service public. Notre seule volonté est de conforter le groupe et son statut de grand énergéticien public au sein d’un marché et d’un système électrique européens, et de lui permettre d’assurer son rôle clé dans la transition énergétique.

Ce vaste chantier n’en est qu’à ses débuts. Sachez-le, nous ne toucherons pas à EDF sans que vous soyez associés, puisqu’il faudra revoir la loi. Jamais la négociation que nous menons ne pourra préempter votre voix, celle des élus de la Nation, ni se passer de la discussion parlementaire préalable et indispensable à toute réforme. De même, la réorganisation n’interviendra qu’après en avoir débattu avec les partenaires sociaux, notamment dans les instances de gouvernance du groupe. L’évolution du groupe EDF ne se fera pas contre la volonté de ses salariés. On ne construit pas le changement depuis un bureau à Paris ou à Bruxelles ; on le fait avec les citoyens et leurs élus, avec les femmes et les hommes qui travaillent au quotidien sur le terrain ; on le fait démocratiquement.

Il était devenu nécessaire d’apporter clarté et précisions dans le débat public. Je vous remercie chaleureusement de m’en avoir donné l’occasion. Avec ce projet, EDF restera le premier énergéticien bas-carbone d’Europe, capable de financer ses moyens et champion de la transition. À des kilomètres d’un démantèlement ou d’une privatisation, c’est bien de l’avenir d’un fleuron national public qu’il s’agit.

M. Jean-Charles Colas-Roy. Au nom du groupe La République en Marche, je salue le volontarisme avec lequel le Gouvernement aborde les enjeux de décarbonation de notre mix énergétique, en rappelant le rôle prépondérant du groupe EDF dans cette transition. C’est tout le sens du projet Hercule.

EDF fait face à trois grands défis : l’ampleur des investissements à réaliser dans les productions d’énergie et dans les réseaux ; la nécessaire renégociation de l’ARENH ; le renouvellement des concessions d’hydroélectricité, sujet très cher au député de l’Isère que je suis.

Pour la stratégie énergétique de la France, notre majorité a fait le choix d’une complémentarité des énergies nucléaire et renouvelables dans le mix électrique à l’horizon de 2035. L’organisation et le développement d’EDF y jouent un rôle crucial. Les parlementaires souhaiteraient être mieux associés aux discussions en cours entre le Gouvernement et la Commission européenne. Comment l’envisagez-vous ?

Dans l’hypothèse où les discussions européennes n’aboutiraient pas, le statu quo sur l’ARENH et l’hydroélectricité pourrait avoir des conséquences très complexes à gérer. Comment préparez-vous cette option ?

Les collectivités territoriales et les syndicats d’énergie sont très attentifs à la gestion et au développement des réseaux d’énergie. Quelles garanties leur apporter dans le cadre de la nouvelle entreprise, EDF Vert, dont le capital serait ouvert, même si ce n’est que minoritairement ?

La direction d’EDF et les salariés souhaitent que l’organisation intégrée du groupe soit conservée. Comment comptez-vous préserver cette unité lors des négociations européennes ?

M. Julien Aubert. Madame la ministre, je vous remercie d’avoir rappelé que notre pays était largement décarboné grâce au nucléaire.

Vous vous êtes attachée à démontrer que le projet Hercule répond à un problème structurel d’EDF : la faiblesse de ses fonds propres. Si votre volonté est bien de donner à EDF les moyens de son développement, pourquoi ne commencez-vous pas par envisager une baisse des différentes taxes, dont la TVA, qui pèsent sur l’électricité ? Il s’agit en effet d’un bien essentiel, clé pour la décarbonation.

Si votre objectif est de renationaliser le nucléaire et l’hydraulique afin de financer sur fonds publics le nouveau nucléaire et de résoudre les problèmes que vous avez exposés, pourquoi ne pas l’avoir fait lorsque les cours en bourse étaient bas, plutôt que d’attendre une grande nouvelle de Bruxelles, qui va évidemment les faire monter ?

À part des liens financiers, que partageront EDF Vert et EDF Bleu ? Cette opération ne va-t-elle pas essentiellement enrichir les banques conseils ? Pouvez-vous nous garantir que vous procéderez à l’augmentation du capital d’EDF Vert par des émissions d’actions nouvelles, sans aucune cession des actions d’EDF Vert détenues par EDF Bleu ?

Quel intérêt y a-t-il à intégrer ENEDIS, distributeur d’électricité, au sein d’EDF Vert, appartenant au secteur concurrentiel ? Bien sûr, je vous ai entendue : il n’y aura pas de privatisation du groupe EDF. Mais on se souvient que l’État, par la voix de différents Premiers ministres et Présidents de la République, avait promis que Gaz de France (GDF) ne serait jamais privatisé. L’État pesait alors pour 70 % dans son capital ; aujourd’hui, il est malheureusement en dessous du tiers.

M. Patrick Loiseau. La France, qui se classe parmi les États européens les plus vertueux en matière de consommation énergétique, a fait de la lutte contre le dérèglement climatique un axe essentiel de sa politique. Afin de respecter les engagements qu’elle a pris dans la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat et dans l’accord de Paris, il devient nécessaire d’amplifier les investissements dans les énergies décarbonées. Cela passe d’abord par une restructuration d’EDF, dont le parc nucléaire et le potentiel hydroélectrique sont des leviers majeurs de développement des énergies neutres sur le plan environnemental. Toutefois, la performance d’EDF pâtit de normes et d’actifs anciens qui doivent être modernisés.

Pour que l’entreprise puisse mieux jouer son rôle d’investisseur dans la transition énergétique et pour sauvegarder le pouvoir d’achat des ménages et des entreprises, le Président de la République a demandé à ses dirigeants de réfléchir à un plan de restructuration. En parallèle, des discussions ont été engagées avec la Commission européenne pour permettre à EDF d’assumer ce nouveau rôle dans la transition énergétique. C’est ce que recouvre le projet Hercule, conçu pour atteindre trois objectifs : garantir le financement du parc nucléaire existant d’EDF ; mettre un terme au contentieux avec la Commission européenne sur les concessions hydroélectriques ; regrouper dans une entité unique les activités liées aux énergies renouvelables, à la fourniture d’énergie, aux services aux clients, aux nouveaux usages de l’électricité.

Ces objectifs suscitent toutefois des inquiétudes au sein des organisations syndicales et des collectivités, qui craignent une scission du groupe. Dans ces conditions, que deviendront les cahiers des charges de concession que les collectivités locales ont signés avec ENEDIS ? Comment sera assurée la gestion de leurs réseaux de distribution, leur sécurisation, leur déploiement et leur réparation si les nouveaux actionnaires ont des objectifs de rentabilité́ ?

La possible remise en cause de l’égalité́ de desserte et de la péréquation tarifaire fait l’objet de toutes les vigilances, car elle aurait pour conséquence de créer de nouvelles fractures au sein de nos territoires à l’heure où la crise économique engendrée par la covid-19 nécessite davantage de solidarité́. Rassurez-nous, madame la ministre !

Mme Marie-Noëlle Battistel. Si l’urgence climatique et la nécessité de transition énergétique l’emportent, n’est-il pas temps de privilégier le retour à l’intérêt général, à la défense des biens communs et à l’intervention publique, plutôt que d’attendre des marchés qu’ils répondent à ces impératifs s’agissant d’un bien de première nécessité comme l’électricité ?

Pensez-vous vraiment que le projet Hercule peut répondre à cette exigence ? Le Président de la République M. Emmanuel Macron a souligné que la pandémie révèle que certains biens et services doivent être placés en dehors des lois du marché. Cela me semble tout à fait approprié à notre sujet. Nous en sommes d’accord, le statu quo n’est pas la solution, le mécanisme de l’ARENH ne peut perdurer en l’état et il est nécessaire de sécuriser l’hydroélectricité dans le domaine public. Mais tout cela est possible sans le projet Hercule. Il est temps que la puissance publique joue son rôle !

Quel modèle d’EDF soutenez-vous dans les négociations avec la Commission européenne ? Vous comprendrez que le Parlement souhaite être davantage associé.

Si aucun accord n’est obtenu avec la direction de la concurrence de la Commission, comment comptez-vous résoudre les problèmes de sous-rémunération et de sous-capitalisation dont souffre EDF ? Quel est l’autre plan ? Envisagez-vous, comme pour la SNCF ou Air France, une recapitalisation justifiée par la valeur stratégique de l’entreprise ? Un rehaussement immédiat du prix de l’ARENH, dont la stagnation depuis 2012 ne permet absolument pas de couvrir les coûts et de couvrir le nucléaire ? La filialisation du nucléaire existant au sein de l’actuelle entreprise EDF SA afin d’obtenir la nouvelle régulation du nucléaire dont EDF a tant besoin ?

Pouvez-vous nous garantir que l’ouverture à la concurrence de l’exploitation de l’hydroélectricité est abandonnée, quel que soit le schéma retenu ?

Pourquoi ne pas reconnaître que la concurrence est totalement inadaptée au secteur électrique dont les coûts sont essentiellement fixes et de long terme ?

M. Antoine Herth. Grâce à EDF, le coût de l’électricité en France présente, par rapport aux autres pays européens, un avantage comparatif qui bénéficie à l’industrie et aux particuliers français. Notre objectif doit être de le maintenir. Or, pour reprendre la fameuse phrase du Guépard, « Il faut que tout change pour que rien ne change ». Donnons donc à EDF la possibilité de rester un acteur majeur de la réussite énergétique française afin de conserver une énergie bon marché, mais aussi d’assainir ses comptes et d’être au premier plan de la transition énergétique et du développement des énergies renouvelables.

À propos de l’ARENH, vous avez fait le lien avec le prix du carbone : le projet de la Commission européenne de réguler le marché du carbone peut-il influer sur l’équation que vous nous avez exposée ?

Autre question, le projet de construction de la centrale nucléaire de Hinkley Point est‑il affecté par le Brexit ?

Lors d’une audition, le président de RTE, gestionnaire du réseau de transport d’électricité, a insisté sur la nécessité de changer son modèle de financement, puisque l’entreprise à la fois transporte l’électricité jusqu’au consommateur et prend en charge celle qu’il produit. Cela doit-il passer par une nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie ? Le cas échéant, ferait-elle partie du travail législatif que vous avez évoqué ?

Je termine avec une question à caractère local : en Alsace, de nombreux utilisateurs ont mis les coupures d’électricité consécutives aux chutes de neige sur le compte de la fermeture de la centrale de Fessenheim. Pouvez-vous nous rassurer sur ce point ?

Mme Sophie Auconie. Les entreprises consommatrices d’énergie sont inquiètes. Alors qu’elles accompagnaient relativement positivement le projet Hercule, elles craignent, à l’issue des négociations avec la Commission européenne, de se retrouver exclues du champ d’application de la réforme. D’après ce que l’on peut analyser, l’instabilité et la volatilité prévisible des prix du marché auraient pour conséquence des hausses importantes des tarifs. Vous l’avez nié, mais on a mesuré combien la stabilité avait été difficile à tenir dans d’autres secteurs. De surcroît, du point de vue de la transition énergétique, alors qu’elles représentent 65 % de la consommation électrique française, les entreprises électro-intensives considèrent que le projet de réorganisation d’EDF les appréhende de façon fort inopportune.

S’agissant de la méthode, je rejoins mes collègues pour dire que le Parlement n’est pas suffisamment associé. Je salue l’idée de ces auditions, mais le Gouvernement n’aurait-il pas dû associer le Parlement en amont des négociations avec la Commission européenne, à travers des débats ? Il aurait pu en retirer une feuille de route et une meilleure adhésion des citoyens. Pour reprendre une formule prononcée par une femme politique du Nord, « quand c’est flou, il y a un loup », ce qui explique la défiance exprimée par les consommateurs, citoyens, acteurs économiques ou élus locaux. Il n’est pas trop tard pour associer le Parlement. Je vous y incite.

M. Roland Lescure, président de la Commission des affaires économiques. Nous le faisons, chère collègue, vous l’avez reconnu !

Mme Sylvia Pinel. Avec le projet Hercule, nous parlons certes de l’avenir d’EDF mais, plus globalement, de la politique énergétique de la France pour les décennies à venir. Un tel projet ne saurait être élaboré dans le cadre d’une consultation peu transparente avec la Commission européenne. Il appelle, au contraire, un véritable débat social et démocratique et une plus grande concertation avec les partenaires sociaux et les élus. C’est loin d’être le cas à ce stade. Dans quel cadre pourrons-nous enfin en débattre – vous avez évoqué un projet de loi – et selon quel calendrier ?

Je m’interroge sur la cohérence de la politique du Gouvernement. Le découpage d’un service public fondamental pour nos concitoyens entre en totale contradiction avec la défense de la souveraineté énergétique et industrielle française. Alors que les catastrophes climatiques se multiplient en France – aujourd’hui, ce sont des inondations dans mon département et bien d’autres –, renforcer la sécurité de l’approvisionnement en énergie est primordial. Or, dans sa forme actuelle, le projet n’y contribue pas. En outre, la scission des activités envisagée laisse craindre que les logiques financières ne l’emportent sur l’intérêt général, conduisant au renchérissement du coût de l’énergie pour nos concitoyens.

S’agissant de l’avenir de la filière nucléaire française et de ses salariés, qui ont une compétence et un savoir-faire reconnus, le cadre réglementaire semble inadapté et ne permet pas de couvrir les coûts très lourds du renouvellement des centrales. À cet égard, que pensez‑vous de la création d’un service d’intérêt économique général européen ? Une telle solution, qui prendrait appui sur une révision et une refondation du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique, dit EURATOM, serait-elle envisageable ?

Le projet ne résout pas la faiblesse endémique des fonds propres d’EDF, ni le problème de sous-rémunération de l’entreprise depuis le début de l’ARENH. Où en sont les discussions concernant cette réforme ? Quelles pistes sont privilégiées pour renforcer la capacité du groupe à financer l’entretien des réseaux et à réaliser les investissements massifs nécessaires au renouvellement du parc nucléaire ?

Le Premier ministre s’est engagé à maintenir le statut des personnels des industries électriques et gazières. Toutefois, des craintes subsistent quant à la capacité du groupe à demeurer intégré à l’issue de cette réorganisation et à préserver ses emplois ainsi que ses compétences. Quelles garanties pouvez-vous apporter ?

Enfin, l’ouverture prévue d’environ 35 % du capital d’EDF Vert inquiète beaucoup les collectivités locales et les syndicats départementaux d’énergie quant au maintien des investissements sur le réseau et à la qualité de la desserte du territoire national.

M. Loïc Prud’homme. L’Union européenne, dogmatiquement obsédée par la concurrence, aiguillonnée par les lobbies, s’emploie à déréguler le secteur de l’énergie depuis de longues années, malgré toutes les évidences qui s’opposent à ce projet. Des évidences techniques, d’abord : quel concurrent pourrait construire de nouveaux systèmes de production d’énergie et déployer un second réseau ? Des évidences économiques, ensuite : le prix de l’électricité a augmenté de 60 % depuis 2006 alors que l’inflation n’a été que de 20 % depuis l’ouverture du marché de l’électricité. Pourtant, vous continuez de dérouler le tapis rouge aux illuminés de « Notre-Dame de la Concurrence », la Commissaire européenne Mme Vestager.

Votre projet Hercule n’a pour seul but que de transformer notre géant public EDF en vache à lait. D’un côté, l’État, c’est-à-dire chacun d’entre nous, paiera les frais de la partie qui restera publique : le nucléaire, véritable gouffre financier qui engloutira les 100 milliards d’euros nécessaires au grand carénage visant à prolonger dangereusement l’utilisation des centrales et les 37 milliards d’euros de dettes actuelles. D’un autre côté, « en même temps », le secteur privé aura accès à tout ce qui est rentable, c’est-à-dire les énergies renouvelables et les barrages hydroélectriques. Je passe sur le hold-up de nos réserves en eau potable, si précieuses et stratégiques, stockées dans ces barrages.

Enfin, vous maintenez une concurrence artificielle sur la seule commercialisation de l’électricité. Les centrales nucléaires, entretenues par l’État, vendront leur électricité à un prix bas contraint à des distributeurs privés qui, sans produire ni même livrer l’électricité, se contenteront de la revendre aux particuliers selon les cours du marché, s’engraissant sur notre dos. La concurrence est une chimère, un leurre : elle ne peut pas exister dans un système électrique qui est ce que l’on appelle un monopole naturel. C’est là toute l’absurdité de votre projet Hercule.

Madame la ministre, comment allez-vous digérer cette énième couleuvre qu’est ce sauvetage du nucléaire pour engraisser un marché privé artificiel, sacrifiant les énergies renouvelables, qui devraient être déployées massivement grâce à la puissance publique ?

M. Sébastien Jumel. Dans le sang et les larmes de la Libération, Marcel Paul a considéré que ce « bien commun » que constitue l’énergie devait être sous maîtrise publique. J’aurais aimé entendre ces mots de votre bouche, madame la ministre. L’énergie n’est pas une marchandise comme les autres.

Vous ne manquez pas d’air ! Vous dites entendre des rumeurs contradictoires sur le sujet, alors que vous négociez en catimini. Vous ne reconnaissez pas la légitimité des organisations syndicales : vous ne les avez pas reçues. D’ailleurs, quatre-vingt‑quatre parlementaires de tous les bancs demandent à être reçus par le Premier ministre, attendant de la transparence sur les négociations engagées.

Une nouvelle augmentation du prix de l’énergie vient d’être enregistrée : 50 % d’augmentation au total grâce à vingt années de libéralisation ! Mettrez-vous sur la table le bilan de ces vingt ans de politiques libérales ?

Hercule est un mauvais projet, un colosse aux pieds d’argile : nous n’en voulons pas. L’ARENH est évidemment un mécanisme asymétrique qui pénalise notre fleuron industriel – nous ne l’avons pas voté. Quel bilan en faites-vous ? Envisagez-vous un mécanisme de régulation à l’échelle européenne, en faisant payer aux Français ce qu’ils ont déjà financé ?

Alors que la dette d’EDF s’élève aujourd’hui à près de 41 milliards d’euros, que l’entreprise aura besoin de 35 à 45 milliards d’euros pour les carénages et la modernisation nécessaire de son appareil productif, pourquoi refuser une recapitalisation ? Rien dans le droit européen n’oblige la France à revenir sur l’unicité d’EDF. Rien ne s’oppose non plus à ce que le Gouvernement recapitalise immédiatement EDF afin de financer sa bifurcation écologique, la rénovation de son parc nucléaire ou le déploiement de nouvelles centrales. Sinon, qui paiera ces démantèlements – les concurrents, les Français, EDF ? Pourquoi la mise à l’encan d’ENEDIS ? Si 35 % d’ouverture du capital n’est pas une privatisation, je ne sais pas de quoi l’on parle ! Envisagez-vous de soutenir au niveau européen, ce qui serait audacieux, l’idée d’un service d’intérêt économique général pour ce bien commun que représente l’énergie ?

Ce ne sont là que quelques-unes de la multitude de questions que nous avons à poser. Nous souhaitons que ce projet, qui emporte la souveraineté énergétique de la nation, soit débattu et voté par le Parlement. Vous n’avez pas de mandat pour négocier avec la Commission européenne sur ce sujet.

J’ai évoqué Marcel Paul mais, des gaullistes aux communistes, en passant par les socialistes, les insoumis et les écologistes, l’attachement au service public national de l’énergie est largement partagé. Je vous prédis un bel anniversaire des 75 ans d’EDF si vous ne renoncez pas à ce mauvais projet !

M. Roland Lescure, président de la Commission des affaires économiques. On peut sans doute me reprocher beaucoup de choses, mais pas de ne pas répondre à la demande de certains groupes d’organiser des débats sur les sujets d’importance.

M. Sébastien Jumel. Je vous en remercie, monsieur le président. Ma critique s’adressait au Gouvernement, pas à la commission.

M. Roland Lescure, président de la Commission des affaires économiques. Le Gouvernement vient devant nous en les personnes des deux principaux ministres concernés par le projet. Mme Barbara Pompili a accepté de nous rencontrer dès que nous l’avons contactée, avant Noël.

Je veux arrêter cette petite musique que j’entends de la part de nombreux collègues. Nous ouvrons aujourd’hui un débat intéressant. Il se poursuivra la semaine prochaine, et je suis prêt à le faire durer autant que nécessaire, en auditionnant tous les acteurs qu’il faudra. Nous discuterons en réunion de Bureau de la meilleure manière de procéder. Sur ce projet important, le Parlement a besoin d’être éclairé, et le processus commence aujourd’hui.

M. Sébastien Jumel. Il nous faudra un calendrier.

Mme Barbara Pompili, ministre. Nous en sommes, avec la Commission européenne, aux échanges sur les grands principes d’une réforme de la régulation du nucléaire et de l’hydroélectricité. Cela ne préemptera en rien l’indispensable débat parlementaire sur l’avenir d’EDF, qui doit être préalable à la réforme. Une loi spécifique sera sûrement nécessaire, une loi qui ne sera pas intégrée dans un projet de loi plus large et qui laissera toute sa place au débat. Cela n’empêche pas des débats plus généraux sur EDF et Hercule : le Sénat en a organisé un il y a quelques semaines ; j’ai été interrogée comme je le suis aujourd’hui par vous-mêmes. Je serai toujours à votre disposition pour répondre à vos questions.

Par ailleurs, la réorganisation précise du groupe en vue d’intégrer de nécessaires contreparties aux progrès obtenus pour le parc nucléaire et les concessions hydroélectriques, et de permettre une mise en conformité avec le droit européen, devra aussi être débattue au sein des instances de gouvernance de l’entreprise EDF et en associant les partenaires sociaux. C’est une base, et ce sera fait. Mais pour débattre, il faut avoir quelques éléments de départ. Qu’on ne soit pas d’accord avec le fait qu’une régulation s’effectue au niveau européen, c’est un autre débat. En l’espèce, c’est le cas, et nous devons voir où nous en sommes au niveau européen.

En revanche, j’insiste sur les grands principes auxquels nous tenons et qui feront l’objet de garanties dans une éventuelle réforme : la préservation des parcours professionnels au sein du groupe EDF, l’encouragement des mobilités, le maintien du statut des IEG. En outre, la marque EDF, qui est porteuse des valeurs de l’une des entreprises préférées des Français, restera commune à l’ensemble du groupe EDF.

Le projet de réorganisation envisagé ne remettra pas en cause les principes de fonctionnement du réseau de distribution, ni la nature de ses relations avec les collectivités territoriales. L’acheminement et le raccordement au réseau public de distribution de l’électricité sont des missions de service public et le resteront. Ils ne sont aucunement liés aux conditions de détention du capital des entités qui les exercent. Ne nous faisons pas peur, ce que nous décidons n’aura pas d’incidence dans ce domaine.

Les échanges avec la Commission européenne ont été nombreux depuis deux ans ; les discussions intenses. Sans valider ni rejeter le projet français, la Commission est attachée à ce qu’un éventuel futur cadre de régulation du nucléaire existant s’intègre dans le droit de l’Union. Elle devrait clarifier sa position sur le projet que nous défendons dans les semaines qui viennent.

Notre objectif demeure de faire aboutir les négociations sur un projet viable qui satisferait tout le monde. Si nous ne trouvons pas d’accord, nous ne resterons pas les bras croisés. Je répète que le statu quo n’est pas possible compte tenu des problèmes majeurs que constituent les concessions hydroélectriques et le financement d’EDF. Évidemment, nous voulons qu’EDF reste un groupe intégré, mais si nous n’aboutissons pas, il faudra bien trouver un plan B. Ce n’est pas facile mais, comme a pu le dire Mme Élisabeth Borne, si nous ne faisions pas le projet Hercule, nous ferons le projet « Hector »... Autrement dit, nous sommes obligés d’agir, nous ne pouvons pas rester dans la situation actuelle.

M. Sébastien Jumel. Ce ne serait pas un statu quo que de renationaliser ce bien commun...

Mme Barbara Pompili, ministre. Nous n’envisageons pas une baisse de la TVA ou d’autres taxes parce que nous voulons apporter une réponse structurelle et non pas conjoncturelle aux problèmes. Agir sur la fiscalité, c’est être à la merci d’une modification par toute loi de finances. Or EDF a besoin de stabilité à moyen et long termes. Quant à une éventuelle nationalisation, les modalités n’en sont pas encore définies. Nous y réfléchirons en fonction de l’issue des négociations. Tout cela est à l’étude. Nous ne fermons aucune piste.

Dans les discussions avec la Commission européenne et sur proposition de l’entreprise, le Gouvernement défend un projet d’organisation qui rassemble dans une entité unique les activités liées aux énergies renouvelables, à la fourniture d’énergie, aux services aux clients, aux nouveaux usages de l’énergie et à la croissance internationale d’EDF. L’évolution du système électrique mettant le réseau de distribution au cœur de la transition énergétique, ENEDIS a toute sa place dans cet ensemble. Le projet de réorganisation ne remettrait donc pas en cause ses principes de fonctionnement ni les missions qu’elle exerce. L’acheminement et le raccordement au réseau public de distribution de l’électricité sont des missions de service public et le resteront. De même, le mode de financement d’ENEDIS ne sera pas affecté par la réorganisation ; il restera fixé par la Commission de régulation de l’énergie (CRE), autorité administrative indépendante qui garantit notamment la péréquation tarifaire. Ce principe, selon lequel chacun paie le même tarif d’utilisation des réseaux où qu’il soit dans le territoire, est inscrit dans la loi. Il n’est aucunement lié aux conditions de détention du capital d’ENEDIS.

Nous faisons tout pour aboutir à une décision le plus rapidement possible, de façon à pouvoir prendre avant la fin du quinquennat les mesures législatives qui s’avéreraient nécessaires. Ce serait préférable pour tout le monde. Je ne peux toutefois pas vous donner de calendrier.

Pour ce qui concerne EDF Azur, même si l’instauration d’un nouveau cadre de régulation nous oblige à faire évoluer l’organisation de l’entreprise EDF, nous ne transigerons pas sur nos objectifs forts que sont le maintien du groupe intégré et la préservation de l’intérêt des salariés et des consommateurs. La négociation avec la Commission européenne est difficile de ce fait, mais elle est globalement de bonne qualité. Pour le renouvellement des concessions hydroélectriques, nous défendons la solution de la quasi-régie car elle a l’avantage de maintenir des installations dans une structure 100 % publique, contrôlée par l’État. Cela nous permettrait de relancer l’investissement dans nos barrages et de redistribuer les ressources financières dans les territoires. Cette solution répond aussi à l’inquiétude des salariés. Nous espérons aboutir sur ce dossier.

Effectivement, il faut que tout change pour que rien ne change. Du fait que le contexte a changé, nous devons nous réorganiser pour garder l’objet de notre consensus : un groupe public intégré, des tarifs supportables par les utilisateurs et des salariés qui gardent leur statut.

L’idée de la régulation, c’est de stabiliser les prix pour les consommateurs. La régulation des prix du carbone sera étudiée en parallèle, mais elle est nécessaire pour protéger cette stabilité. C’est tout l’intérêt de ce que nous faisons.

Le Brexit n’aura pas d’incidence sur le projet de Hinkley Point, qui était inclus dans les négociations précédant le Brexit.

La PPE doit être révisée à l’horizon 2023, avec une loi de programmation, comme cela avait été prévu dans la loi relative à l’énergie et au climat (LEC) – nous avions été nombreux à le demander, à l’époque où j’étais encore parmi vous.

J’ai déjà répondu plusieurs fois dans l’hémicycle à des questions sur la centrale de Fessenheim. Je le redis, les problèmes d’approvisionnement en électricité sont gérés : il n’y aura pas de black-out. Il ne faut donc pas s’inquiéter. Certains calendriers de maintenance des réacteurs ont dû être décalés du fait de la crise de la covid-19 et une vigilance particulière a été prévue jusqu’en mars, mais cela n’a rien à voir avec la fermeture de la centrale de Fessenheim. La fermeture n’a d’ailleurs pas eu de réelles conséquences. Les réacteurs qui devraient être en service mais ne le sont pas, ou ceux qui devraient fonctionner mais qui restent en maintenance pendant des années – ils sont nombreux – me préoccupent davantage.

Le secteur nucléaire se gère sur le temps long ; on a besoin d’anticiper. On n’aurait pas pu renoncer à fermer Fessenheim pour disposer d’une petite marge de sécurité face à un problème conjoncturel : les visites décennales et les travaux d’adaptation exigés par les conditions de sûreté n’avaient pas été menés car il était prévu que la centrale ferme. Tout cela ne se fait pas en claquant des doigts. Ceux qui le disent font preuve soit d’une grande méconnaissance du sujet, soit d’un peu de mauvaise foi – je suis certaine que ce n’est jamais le cas.

Les entreprises consommatrices d’énergie sont un sujet majeur de discussion avec la Commission européenne : nous affirmons notre volonté particulière de maintenir les entreprises dans le système et c’est un point compliqué. Nous avons bien cette problématique à l’esprit.

J’entends qu’il y a une défiance ; elle est dans l’atmosphère et s’exprime sur beaucoup d’autres points – dans le cadre du projet de loi issu des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, par exemple, on est tombé dans des délires complètement fous. Il n’y a rien d’autre que les informations que je vous ai données : il n’existe pas de sujet caché. Ce que je vous explique, c’est ce qui se passe. On ne peut pas donner tous les détails techniques quand des négociations sont en cours, mais en ce qui concerne les principes qui nous guident et les aspects les plus importants, vous avez accès tout.

Les négociations étaient déjà en cours lorsque je suis arrivée. Je les ai reprises. Puisque vous demandez à avoir des échanges sur ce sujet, je réponds présente et mes collègues feront de même.

S’agissant de la sécurité des approvisionnements en énergie, j’ai déjà parlé d’ENEDIS et des réseaux ; je n’y reviens pas. Nous avons besoin de donner à EDF des capacités d’investissement. C’est pour cette raison que nous travaillons à une réforme. Nous sommes conscients de la nécessité pour EDF d’avoir les moyens d’investir dans le parc existant, mais aussi dans les renouvelables et éventuellement dans un nouveau parc nucléaire, si c’est la décision qui est prise après un débat que j’entends être démocratique.

Un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et de RTE a montré que plusieurs solutions étaient envisageables : certaines avec de nouvelles capacités nucléaires, d’autres sans, et d’autres encore qui permettraient d’atteindre presque 100 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2050. Tout cela est ouvert. Nous voulons que la démocratie fonctionne. RTE présentera plusieurs scénarios permettant de préserver la sécurité d’approvisionnement de notre pays. Une fois que tout sera sur la table – nous aurons certains éléments d’ici à la fin de l’année –, on pourra organiser un débat démocratique au cours duquel chacun pourra s’exprimer et un choix pourra être fait pendant le prochain quinquennat.

Quand on me dit qu’il faut une association en amont s’agissant d’Hercule et qu’il est évident qu’il faut de nouvelles capacités nucléaires…

Mme Sylvia Pinel. Je n’ai pas dit cela. J’ai parlé des investissements futurs, globalement.

Mme Barbara Pompili, ministre. D’accord, dont acte. Ce que nous faisons vise à permettre à EDF de faire des investissements, quel que soit le choix qui sera fait. Il faut que l’entreprise ait l’assise financière nécessaire : quoi qu’il advienne, il s’agira d’investissements lourds.

Les prix de l’électricité ne sont pas fixés par le Gouvernement mais par la CRE. Ils ont augmenté mais je tiens à signaler que la facture globale, toutes énergies confondues, ne s’est pas alourdie pour les Français.

Quant à la recapitalisation, c’est une solution conjoncturelle. J’en veux une qui soit structurelle. C’est un choix assumé.

Mme Stéphanie Kerbarh. L’entreprise publique Energias de Portugal a été rachetée, une fois privatisée, par le groupe chinois China Three Gorges. Quelles garanties offrez-vous pour qu’EDF Vert ne soit pas racheté par des puissances étrangères ?

Le projet Hercule a pour vocation de proposer un nouveau mécanisme d’achat de la production nucléaire en substitution de l’ARENH. Avec ce nouveau mécanisme, l’augmentation du prix actuel de 42 euros par mégawattheure entraînerait-elle une hausse du prix de l’électricité ?

Le projet Hercule annonce-t-il la disparition des tarifs réglementés de vente d’électricité aux consommateurs domestiques ? Si c’est le cas, comment sera préservée la péréquation tarifaire, notamment pour les territoires ultramarins non interconnectés ?

M. Dino Cinieri. Je vais m’écarter un peu du projet Hercule d’EDF pour parler des éoliennes. Il y a dix ans, les territoires ruraux accueillaient leur implantation comme un élément de modernité et un atout pour les recettes fiscales des communes, mais les remontées sont désormais très négatives, notamment dans la Loire. Les élus locaux font part d’un grand désarroi face aux pressions des promoteurs qui veulent installer toujours plus d’éoliennes, de plus en plus imposantes : elles atteignent 120, voire 180 mètres de haut et même plus.

C’est aussi une question d’aménagement du territoire. Les éoliennes sont implantées dans les zones périurbaines et rurales. Ces dernières connaissent un véritable mitage qui dévalorise considérablement la valeur des parcelles avoisinantes. Le tourisme est également affecté et les paysages sont dénaturés. Comment pourrions-nous accepter qu’un parc naturel régional comme celui du Pilat soit massacré par des implantations d’éoliennes qui conduisent à couler des tonnes de béton dans la terre, au profit d’acteurs privés ? Le groupe Total réclame, par exemple, 900 000 euros à vingt-neuf habitants et à trois associations de défense du patrimoine. C’est inacceptable !

Loin de m’opposer au développement des énergies renouvelables, je pense qu’une complémentarité en la matière fait la richesse et la force de la France : cela permet de garantir notre autonomie. Néanmoins, faut-il laisser les opérateurs privés et les promoteurs prendre le pas sur les contribuables et les citoyens ? Ils expriment, à travers leurs associations, leur refus d’implantations d’une telle ampleur.

M. Paul-André Colombani. Je souhaite attirer votre attention sur les zones non interconnectées (ZNI) – cela concerne les territoires d’outre-mer et la Corse, où la production d’électricité coûte beaucoup plus cher. Selon le projet Hercule, la filiale d’EDF en Corse, EDF SEI, devrait intégrer EDF Vert, qui comprendrait les activités rentables du groupe. Pouvez-vous nous assurer que cela ne posera pas de problème pour le maintien de la péréquation tarifaire et que les prix ne seront pas affectés ?

Mme Mathilde Panot. L’énergie est un secteur stratégique pour la vie d’un pays. La stabilité et la fiabilité du système d’approvisionnement en la matière sont capitales. L’urgence écologique nous impose de garder la maîtrise de toute la chaîne de production et de distribution. Or vous faites exactement l’inverse. Le projet Hercule éparpillerait, « façon puzzle », EDF qui est un outil stratégique majeur, et nous priverait des moyens de réaliser la bifurcation écologique dont nous avons tant besoin.

Les raisons sont floues : c’est peut-être l’obsession de sauver coûte que coûte le soldat nucléaire, et peut-être aussi l’appât du gain des amis de M. Emmanuel Macron à qui on a soufflé l’idée saugrenue de vendre EDF à la découpe, avec les justifications que vous donnez, reposant sur les conseils mal avisés de la Commission européenne, et ce malgré l’opposition des salariés du secteur et des associations de consommateurs et d’élus de tous bords. Vous savez très bien quelles en seront les conséquences, les mêmes recettes conduisant aux mêmes échecs : lorsqu’on socialise les pertes et qu’on privatise les profits, c’est toujours au détriment des usagers.

Ne croyez-vous pas, vous qui êtes ministre de la transition écologique, que les conséquences du réchauffement climatique et la nécessité d’une bifurcation écologique justifient, plus que jamais, l’existence d’une gestion publique unifiée d’un bout à l’autre de la chaîne de l’électricité ? Pouvez-vous nous garantir que la mise en concurrence de l’exploitation des barrages est abandonnée ? C’est si important, vous l’avez dit vous-même, pour la ressource en eau. Nous espérons que vous n’allez pas vous servir des barrages comme d’une monnaie d’échange dans les négociations avec la Commission.

Mme Delphine Batho. Je suis perplexe, madame la ministre. Vous dénoncez des contre-vérités, vous dites que rien n’est caché et, en même temps, vous annoncez qu’il y aura un projet de loi avant la fin du quinquennat.

Y a-t-il, oui ou non, un projet Hercule ? N’existe-t-il pas officiellement ou est-il retiré ?

Est-il vrai ou faux que des banques d’affaires ont été missionnées par EDF et par l’Agence des participations de l’État (APE). Si c’est vrai, quels sont leurs noms ?

Puisque vous ne voulez pas rendre publics les échanges entre le Gouvernement et la Commission européenne, pouvez-vous au moins transmettre au Parlement les différentes pistes et les différents schémas d’organisation que vous envisagez actuellement, d’une manière précise ?

Mme Huguette Tiegna. Vous avez très bien expliqué tout ce que le projet Hercule n’est pas. Le manque d’informations suscite beaucoup d’incompréhensions dans nos territoires. Nous avons, dans le Lot, des barrages dont les concessions viennent d’arriver à échéance et d’autres pour lesquelles ce sera bientôt le cas. Or nous n’avons pas de perspectives en la matière. Il y a aussi des inquiétudes des salariés : vous vous êtes exprimée pour les rassurer. Enfin, une question d’aménagement du territoire se pose.

Vous avez dit que vous associerez les parlementaires et les partenaires sociaux : c’est ce que nos territoires attendent. Vous avez également rappelé qu’il sera probablement nécessaire d’adopter une loi. Sachez que nous serons à vos côtés pour travailler sur ces sujets qui permettront d’assurer un aménagement efficace de nos territoires.

Dans quel délai aurons-nous des informations fiables de la part de l’Europe ? Nos territoires ont besoin de se projeter dans le temps.

M. Vincent Rolland. Je ne reviendrai pas sur Hercule, si ce n’est pour vous dire mon grand scepticisme et me faire le porte-voix des inquiétudes qui existent à l’échelle des territoires.

Les concessions de certains barrages hydroélectriques arrivent à échéance ou sont déjà échues dans mon secteur. Quid de la suite ? On sait qu’il y a des discussions avec Bruxelles. Nous demandons que ces barrages restent dans le giron public, sous une forme ou sous une autre. J’ajoute qu’il faudra tenir compte des usages de l’eau lors du renouvellement des concessions.

S’agissant des tarifs de l’énergie, nos industries électro-intensives ont besoin d’un soutien, en particulier en ce moment. Quels engagements pouvez-vous prendre afin de garantir des prix bas pour les secteurs industriels hyper électro-intensifs ?

M. Michel Delpon. J’ai bien noté que l’acheminement et le raccordement resteraient dans le domaine public, du côté de RTE. Hercule conduirait à une structuration en trois parties : EDF Bleu, rassemblant le nucléaire et l’hydraulique, EDF Vert pour les énergies renouvelables et EDF Azur s’agissant des barrages. L’arrivée de l’hydrogène risque toutefois de perturber ce clivage en faisant apparaître un nouveau métier : le stockage de l’électricité, y compris renouvelable, nucléaire et hydraulique. Qui sera le gestionnaire du stockage de l’hydrogène ?

Mme Barbara Pompili, ministre. En ce qui concerne les ZNI, le cadre de la régulation relève de la loi et il n’a pas vocation à être modifié, de quelque façon que ce soit, par la réforme. Le rôle de SEI en Corse restera le même qu’aujourd’hui – gestionnaire du réseau, acheteur unique de la production et fournisseur unique de tarifs réglementés. Les outils de régulation, le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), les tarifs réglementés de vente (TRV) et les compensations de charges de service public de l’énergie, resteront aussi sous le contrôle de la CRE.

Il ne faut pas avoir d’inquiétude : le transfert de SEI à EDF Vert s’accompagnera d’un transfert des missions, qui resteront les mêmes. Faire partie d’EDF Vert sera pleinement cohérent avec les nouvelles activités liées à la transition énergétique et cela mettra l’accent sur le fait que la réalisation des PPE des ZNI fait partie des missions de SEI. D’une manière plus générale, le projet de réorganisation qui est envisagé ne remet pas en cause les principes de fonctionnement du réseau de distribution, ni les missions exercées.

Si nous voulons conforter notre souveraineté, il faut agir sur tous les fronts, notamment les économies d’énergie, le maintien d’un haut niveau de résilience de tous les réseaux, la diversification des énergies, le développement de nouvelles technologies et le renforcement de la solidarité européenne. La réduction de l’usage des énergies fossiles va dans le sens de la lutte contre le changement climatique et renforce notre souveraineté énergétique. La question mérite aussi d’être posée à l’échelle européenne. Le Gouvernement met l’accent, auprès de ses partenaires, sur le besoin de renforcer notre réflexion collective en la matière.

La question des éoliennes n’est pas complètement liée au projet Hercule. Il y a des améliorations à apporter, mais je tiens à rappeler que nous ne faisons pas n’importe quoi. Les éoliennes sont des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), faisant l’objet d’autorisations environnementales délivrées par les préfets. Je pense, moi aussi, qu’on peut mieux s’organiser, en s’assurant notamment qu’il y ait une bonne concertation et que l’arrivée des éoliennes s’inscrive dans des projets de territoire.

Il faut aussi que ce soit en accord avec les objectifs de la PPE concernant le développement de l’éolien terrestre et maritime. Nous demanderons, dans le cadre du futur projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, que les préfets veillent à ce qu’il y ait une cartographie des zones où on peut implanter des éoliennes, les enjeux de développement ayant été intégrés dans les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) et dans les documents d’urbanisme. Il n’y a pas de raison que le développement des éoliennes n’ait lieu qu’à un endroit et qu’ailleurs on ne réalise pas sa part des efforts en matière de transition énergétique. Nous souhaitons une forme de planification associant tout le monde pour déterminer combien d’éoliennes doivent être installées dans telle région, où on peut les mettre, comment on discute, etc. Il en va de même pour les autres énergies.

Tout cela est en cours. Plus nous agirons en lien avec les territoires, les habitants et les élus, mieux ça se passera. Il faut aussi développer les énergies citoyennes – nous sommes en train d’y travailler. Je me suis récemment rendue sur un site. Quand des citoyens ou des élus sont à l’origine des installations d’éoliennes, cela fonctionne très bien. En cas de problème, on peut aller parler à son voisin qui fait partie de la même organisation – en plus, cela crée du lien social.

Nous voulons garder un groupe public intégré, comme cela est inscrit dans la loi. En ce qui concerne la mise en concurrence des barrages, j’ai déjà indiqué ce que nous souhaitons faire. Cela fait partie des négociations actuelles : nous avons le même objectif en la matière, Madame Panot.

Je souhaite un projet de loi avant la fin du quinquennat, afin d’avancer, Madame Batho. Nous verrons si nous sommes capables de le faire. Oui, le projet Hercule existe. L’APE a pour conseil juridique Gide et pour banque conseil J.P. Morgan, depuis 2016. Je vous ferai passer tout ce que je peux vous transmettre sur les différents schémas d’organisation.

Afin d’assurer leur compétitivité, les entreprises électro-intensives bénéficient d’un taux très réduit de fiscalité énergétique, notamment en ce qui concerne la contribution au service public de l’électricité (CSPE) et la taxe intérieure sur la consommation du gaz naturel (TICGN) : nous sommes au minimum communautaire. Cela représente une réduction fiscale de 1,6 milliard d’euros de CSPE, via la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité, et de 600 millions d’euros pour la TICGN en 2019. Ces industries bénéficient également d’une compensation carbone qui vise à compenser le coût du CO2 répercuté dans le prix de l’électricité, pour un montant total de 104 millions d’euros en 2019.

Afin de mieux tenir compte des spécificités du profil de consommation des entreprises électro-intensives, le Gouvernement a créé des dispositifs valorisant leur flexibilité électrique, notamment leur faculté d’interrompre ou de reporter leur consommation – il s’agit des dispositifs d’interruptibilité et d’appel d’offres d’effacement, qui participent à la flexibilisation de la demande électrique. L’ordre de grandeur est de 200 millions d’euros. Il est envisagé, comme dans le cadre de l’ARENH, que les volumes des contrats de long terme entre EDF et les électro-intensifs puissent être exclus de la régulation. Le Gouvernement étudiera, en fonction du schéma final qui sera retenu, s’il faut créer de nouveaux schémas de contractualisation.

Enfin, le stockage de l’hydrogène sera une activité concurrentielle ouverte à tous les opérateurs et rémunérée en fonction des services apportés au réseau.

M. Anthony Cellier. Nous avons la chance, en France, de bénéficier d’un système électrique d’une grande qualité, d’une énergie électrique toujours disponible, faiblement carbonée et, quoiqu’en pensent certains, encore compétitive. Tout cela est le fruit du travail de femmes et d’hommes qui ont pensé, conçu et adapté le modèle français de production, de transport et de distribution d’électricité. On n’imagine pas, à chaque fois qu’on appuie sur un interrupteur, les trésors d’intelligence et d’ingénierie qu’il faut mobiliser pour satisfaire nos besoins grandissants en énergie électrique. Je veux remercier tous ceux qui y contribuent.

Tout cela, il faut le préserver avec un projet, quel qu’il soit, qui permette à EDF de s’adapter pour faire face à la concurrence des voisins européens. Je vous remercie, madame la ministre, de faire preuve de pédagogie en rappelant la trajectoire que le Gouvernement est en train de suivre dans ses discussions avec la Commission européenne. Pouvez-vous nous dire quels sont les bénéfices attendus de ce projet de réforme pour le consommateur ? Permettra-t‑il à EDF l’accès à une électricité compétitive, décarbonée et surtout disponible, même lors d’un épisode climatique intense comme il en est survenu en septembre dernier dans le Gard et les Alpes-Maritimes ?

M. Yves Hemedinger. Vous n’avez pas totalement dissipé mes inquiétudes sur les conséquences du projet Hercule. Surtout, je ne peux pas vous laisser dire que la fermeture de Fessenheim était inéluctable au motif qu’il aurait fallu réaliser des travaux en vue des tests de sûreté. La fermeture anticipée de la centrale a nécessité le versement d’une indemnisation de 400 millions d’euros à EDF : l’argent était donc là. Le comble est que 17 % de cette somme seront versés à un groupe allemand, membre du consortium. Par ailleurs, il est prématuré de dire que la fermeture de la centrale sera sans conséquence sur la production d’électricité et les risques de rupture d’approvisionnement. On fera le point l’année prochaine.

Je travaille sur la création d’une centrale à hydrogène par méthanisation sur le territoire français. Les Allemands avancent bien sur cette technologie ; j’espère que vous nous aiderez à la développer en France, où nous nous heurtons à deux difficultés. L’une est que la France a une vision de l’hydrogène obtenu par l’hydrolyse, alors que les Allemands travaillent sur la pyrolyse, qui est beaucoup plus efficace. L’autre est que les investisseurs ont besoin qu’un prix soit déterminé, ce qui n’est pas le cas pour l’instant.

M. Gérard Leseul. L’énergie est un bien national qui doit être accessible à tous les Français, particuliers comme entreprises. Nous partageons la volonté de diversifier les sources d’énergie pour répondre au défi climatique, mais ne perdons pas de vue que le problème de fond est la souveraineté nationale énergétique. N’ayant pas été totalement convaincu par vos réponses, je me permets de revenir sur le sujet : quelle souveraineté énergétique envisagez-vous pour la France ?

Vous refusez des solutions conjoncturelles ; en quoi une recapitalisation publique ne serait-elle pas une solution structurelle ?

Mme Stéphanie Do. En ces temps difficiles, l’hôpital public, en première ligne face à la covid-19, illustre la nécessité de conserver un service public fort et structuré. Dans la perspective de la privatisation, l’une des craintes récurrentes des agents d’EDF est de perdre leur statut de personnel des IEG, malgré les promesses réitérées du Gouvernement. Quelle pédagogie comptez-vous déployer pour expliquer la réforme, afin qu’elle soit mieux comprise et acceptée par les premiers concernés ?

M. Damien Adam. Durant des années, sous quelque majorité politique que ce soit, l’État, actionnaire à plus de 80 % d’EDF, a demandé à l’entreprise de lui verser de forts dividendes en cash pour financer ses dépenses. Certains, ici, étaient déjà parlementaires ; ils avaient alors approuvé ces choix mais estiment curieusement qu’aujourd’hui l’État va affaiblir EDF. En 2015, le ministre de l’économie, M. Emmanuel Macron, a décidé avec courage de mettre fin à cette pratique jusqu’en 2020. Cette décision qu’EDF ne verserait plus de dividendes en cash vaudra-t-elle pour les années à venir ?

La CRE a-t-elle une visibilité sur l’évolution des prix de l’électricité, au moins à l’intérieur d’une fourchette, d’ici à 2025, voire 2030 ? Le tarif a augmenté de 50 % en dix ans et, même si la France est l’un des pays d’Europe où le prix est le plus bas, nous perdons petit à petit notre avantage.

Mme Marie Lebec. Redonner à EDF la pleine capacité de développer ses investissements, tant dans le nucléaire que dans les énergies renouvelables, permettra de conforter la place de la France parmi les pays leaders de l’énergie décarbonée.

Le groupe EDF compte parmi les leaders internationaux en termes d’innovation, pour l’ensemble des productions et services énergétiques, notamment grâce à un pôle de recherche et développement (R&D) installé dans ma circonscription de Chatou, qui travaille sur les diverses activités de production et dont les laboratoires maillent le territoire. Dans quelle partie d’EDF serait intégré ce pôle d’excellence de R&D ? Ne serait-il pas pertinent, dans le cadre du changement, de garder une logique transversale pour l’avenir de la recherche et développement ?

Mme Barbara Pompili, ministre. Ce que nous entendons obtenir avec la réforme, c’est la stabilisation des prix : qu’ils soient déterminés en fonction des coûts de production et non des variations du marché qui dépendent des énergies fossiles. Les consommateurs français ont été fortement mis à contribution pour financer la construction et l’entretien du parc nucléaire ; il est normal qu’on essaie de leur garantir un prix régulé le plus stable possible, qui ne soit pas soumis sans arrêt aux variations du prix du carbone.

Pour ce qui est de Fessenheim, je maintiens mes propos.

Nous sommes en train de définir un cadre de régulation pour l’hydrogène en vue de passer, à moyen terme, à une phase industrielle. À court terme, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) lance des appels à projets pour soutenir le démarrage de la filière. Je rappelle que nous engageons 7 milliards d’euros – dont 2 milliards à travers le plan de relance – dans le cadre de la stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène. Je regarderai attentivement la question de l’hydrolyse et de la pyrolyse, mais il est vrai que nous nous concentrons plutôt sur le déploiement d’électrolyseurs.

La souveraineté est liée à la capacité de produire de l’énergie sur notre territoire, à partir de ce que nous avons. C’est pourquoi j’ai toujours pensé que les énergies renouvelables offraient, sous ce rapport, les garanties les plus fortes. Les énergies fossiles et l’énergie nucléaire – du fait du recours à l’uranium – doivent, quant à elles, être importées. La souveraineté passe aussi par la maîtrise de notre demande d’énergie. C’est pourquoi le plan de relance vise à développer les travaux destinés à réduire nos besoins – l’isolation des logements en fait partie. Nous travaillons également avec nos partenaires européens, avec lesquels nous sommes très interconnectés, pour renforcer la coordination entre les États et donner une dimension européenne à la souveraineté.

Le statut du personnel des IEG n’est pas remis en cause. Des concertations seront engagées avec les syndicats dans les instances de l’entreprise avant toute mise en œuvre du projet : tel est le principe fondamental qui nous guide.

Je pense que l’État continuera à percevoir les dividendes en actions plutôt qu’en cash.

Des scénarios prospectifs sur l’évolution des prix existent, mais les fourchettes sont, il est vrai, assez larges.

La recherche et développement ne sera évidemment pas remise en cause, bien au contraire. Il est essentiel de garder un pôle solide de R&D. Son positionnement dans la structure fait partie des questions qui restent à préciser, mais l’objectif est de faire en sorte qu’il profite à l’ensemble du groupe.

Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, présidente de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Merci beaucoup, madame la ministre, pour la clarté de vos propos. Comme l’a dit M. Roland Lescure, nous aurons à cœur de poursuivre les échanges sur le projet Hercule.

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