Compte rendu

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

– Audition, conjointe avec la commission des lois, de M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice, et discussion générale sur le projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement (n° 3787) (M. Christophe Arend, rapporteur pour avis)              2


Lundi 15 février 2021

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 40

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de

Mme Laurence Maillart-Méhaignerie,

Présidente, et de
Mme Yaël Braun-Pivet Présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République


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La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a procédé à l’audition, conjointement avec la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, de M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice, suivie de la discussion générale sur le projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement (n° 3787) (M. Christophe Arend, rapporteur pour avis).

Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Mme la présidente de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire et moi-même avons souhaité procéder conjointement à l’audition de M. le garde des sceaux, ainsi qu’à la discussion générale sur le projet de loi.

Il est de tradition que le garde des sceaux présente les projets de révision constitutionnelle. Monsieur le ministre, nous sommes particulièrement impatients de vous entendre sur celui-ci, qui est la concrétisation de l’une des propositions phares de la Convention citoyenne pour le climat, dont nous avons suivi attentivement le déroulement car elle constitue un exercice démocratique particulièrement innovant et intéressant. J’ai souvent eu l’occasion de rappeler que de tels exercices sont parfaitement complémentaires avec nos travaux et qu’ils ne nous placent pas en concurrence avec nos concitoyens. Cette complémentarité prend notamment forme en ce moment tant attendu par les parlementaires, qui ouvre la phase de l’examen parlementaire.

Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, présidente de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le ministre, je vous remercie d’être présent parmi nous pour entamer l’examen de ce projet de loi.

La commission du développement durable a naturellement souhaité se saisir du texte pour avis, comme elle l’a fait du précédent projet de révision constitutionnelle, au mois de juin 2018. Nous avions eu à cette occasion un débat nourri, au sein de notre commission, puis au sein de la commission des lois, sur les moyens juridiques de renforcer la préservation de l’environnement, en agissant directement sur la norme constitutionnelle. Ces débats ont permis de trancher un point important : la nécessité d’inscrire nos exigences environnementales à l’article 1er de la Constitution. Tel est le choix du Gouvernement dans le présent projet, ce dont nous nous réjouissons.

Il ne s’agit pas de procéder ainsi à une modification cosmétique ou symbolique, mais de dépasser le débat technique sur la modification de l’article 34 de la Constitution, visant à déterminer la répartition des compétences d’élaboration des normes. Il s’agit de poursuivre une évolution engagée par l’adoption de la Charte de l’environnement, pour faire de l’environnement et, désormais, des enjeux climatiques, de véritables objets juridiques, créateurs de droits et de devoirs. Il s’agit de placer la préservation de l’environnement à un rang constitutionnel, ce qui permet d’en assurer l’effectivité, sans la subordonner systématiquement à d’autres principes de même rang, tels que la liberté d’entreprendre, qui devront désormais être conciliés avec cet impératif. Il s’agit d’inscrire l’urgence climatique et environnementale au cœur de nos politiques publiques et de notre droit, en fixant un objectif constitutionnel à la France, comprise comme sujet international de droit et comme État responsable devant les citoyens.

Le présent projet de loi constitutionnelle marque une avancée majeure. Je ne doute pas que nos débats permettront de lever les interrogations soulevées par la rédaction proposée, qui est très proche de celle à laquelle nous avions abouti lors de nos précédentes discussions mais en diffère légèrement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Conformément à l’engagement pris par le Président de la République devant les membres de la Convention citoyenne pour le climat, qu’il a reçus le 29 juin 2020, le Gouvernement a déposé devant le Parlement un projet de réforme constitutionnelle qui vise à inscrire, à l’article 1er de la Constitution, la garantie de la préservation de l’environnement et de la diversité biologique, ainsi que la lutte contre le dérèglement climatique.

Ce projet est le fruit d’un long travail de consultation inédite de nos concitoyens, dans le cadre du grand débat national, puis de la Convention citoyenne pour le climat. Cette dernière a formulé 149 propositions, parmi lesquelles la révision de l’article 1er de la Constitution pour y faire figurer la préservation de l’environnement et de la biodiversité, ainsi que la lutte contre le dérèglement climatique. Cette proposition a été retenue par le Président de la République qui s’est engagé, si le présent texte est adopté en des termes identiques par les deux chambres, à la soumettre au référendum.

Le projet de loi qui vous est soumis est la traduction de cet engagement. Il comporte une disposition unique ayant pour objet d’inscrire à l’article 1er de la Constitution le principe selon lequel la France garantit la préservation de l’environnement ainsi que de la diversité biologique, et lutte contre le dérèglement climatique. Il vise deux objectifs essentiels : rehausser la place de la préservation de l’environnement dans notre Constitution et y inscrire un véritable principe d’action des pouvoirs publics à cette fin.

S’agissant de l’inscription de la protection de l’environnement au cœur de nos principes constitutionnels, je rappelle que notre loi fondamentale comporte d’ores et déjà des dispositions relatives à la préservation de l’environnement. Ce principe est inscrit dans la Charte de l’environnement, issue de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005. Mentionnée dans le préambule de la Constitution, elle fait pleinement partie du bloc de constitutionnalité. De surcroît, le Conseil constitutionnel, par deux décisions récentes, a conféré une importance accrue à la protection de l’environnement promue par la Charte.

En premier lieu, dans sa décision du 31 janvier 2020, il a jugé que la préservation de l’environnement, « patrimoine commun des êtres humains », constitue un objectif à valeur constitutionnelle et non, comme il le jugeait auparavant, un objectif d’intérêt général. En second lieu, dans sa décision du 10 décembre 2020, il a jugé que les limitations portées par le législateur à l’exercice du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, droit consacré par l’article 1er de la Charte de l’environnement, « ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi ».

Le Gouvernement n’en nourrit pas moins l’ambition de renforcer encore la place de la protection de l’environnement dans notre texte constitutionnel.

L’inscription de la préservation de l’environnement à l’article 1er de la Constitution présente une valeur symbolique forte, voulue par les membres de la Convention citoyenne pour le climat. Désormais, ce principe figurera au cœur des grands principes qui guident notre République. Ce positionnement dans notre Constitution exprime la volonté de la Nation tout entière de placer le combat contre le dérèglement climatique au cœur de notre action et donnera une nouvelle impulsion à notre engagement.

Je tiens à préciser que « rehaussement » ne signifie pas « hiérarchie ». Le Gouvernement n’entend pas introduire une échelle de valeurs entre les principes constitutionnels qui, demain comme hier, seront tous de valeur égale. L’objectif est de donner plus de poids à la protection de l’environnement dans sa conciliation avec les autres principes de valeur constitutionnelle. La force nouvelle que nous lui conférons trouvera sa traduction, en premier lieu, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Je tiens à préciser également qu’il ne s’agit pas davantage d’introduire un principe constitutionnel de non-régression des lois en matière d’environnement qui, s’il existe dans la loi, n’a pas sa place dans la Constitution. Le Gouvernement souhaite laisser au législateur le pouvoir de préserver efficacement d’autres principes constitutionnels, telle la protection de la santé, ce qui peut s’avérer particulièrement important, par exemple dans un contexte de crise sanitaire tel que celui que nous connaissons.

Le second objectif du projet de loi est d’introduire un véritable principe d’action des pouvoirs publics nationaux et locaux en faveur de la préservation de l’environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique. Le Gouvernement entend insuffler dans chaque politique publique la préoccupation environnementale, dont il estime qu’elle doit innerver son action à l’échelle nationale et internationale. Dans cette optique, le projet qui vous est soumis prévoit que les pouvoirs publics doivent garantir la préservation de l’environnement ainsi que de la diversité biologique et lutter contre le dérèglement climatique.

L’emploi du verbe « garantir » exprime la force de cet engagement. Certes, il ne constitue pas une innovation dans notre Constitution. L’alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose : « [La Nation] garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». Toutefois, la formulation retenue dans le projet de loi constitutionnelle lui donne pour sujet la France et non la loi, contrairement à l’article 4 de la Constitution et à l’alinéa 3 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, relatifs respectivement au pluralisme politique et à l’égalité entre les hommes et les femmes. Cette formulation est à la fois plus large, car elle s’impose à tous les pouvoirs publics de la République et non au seul législateur, et moins rigide pour celui-ci, qui n’est pas le seul débiteur de cette obligation garantie.

Il n’en reste pas moins que les conséquences de l’emploi de ce verbe ne sont pas neutres. Telle est bien la volonté du Gouvernement, parfaitement conscient des conséquences qui peuvent en résulter s’agissant de l’engagement de sa responsabilité en matière environnementale. D’ores et déjà, l’action des pouvoirs publics est conditionnée à la préservation de l’environnement et la responsabilité de l’État peut être engagée à ce titre. Pour s’en tenir à deux exemples récents, citons l’arrêt du Conseil d’État du 10 juillet 2020, décidant d’une astreinte à l’encontre de l’État afin que le Gouvernement prenne des mesures pour réduire la pollution de l’air, et le jugement rendu par le tribunal administratif de Paris le 3 février 2021 dans l’« affaire du siècle », reconnaissant l’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique et considérant que la carence partielle de l’État français à respecter les objectifs qu’il s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre engage sa responsabilité. Le projet de loi constitutionnelle que nous proposons consacre davantage encore la responsabilité des pouvoirs publics, auxquels il tend à imposer, en promouvant la protection de l’environnement au rang de garantie constitutionnelle, une quasi-obligation de résultat.

À l’heure où nous assistons à la sixième extinction de masse, qui est la première due à l’action humaine, il importe que notre loi fondamentale traduise le choix de la Nation de mener le combat contre le dérèglement climatique, qui est le combat de notre siècle. Désormais, il incombe au Parlement de débattre du projet de révision constitutionnelle. S’il est adopté par les deux chambres dans les mêmes termes, il sera soumis aux Français par voie de référendum, conformément à l’engagement du Président de la République.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Au cours des deux dernières semaines, nous avons mené, avec mon collègue M. Christophe Arend, de très nombreuses auditions sur le présent projet de révision constitutionnelle.

Si les avis divergent sur certains aspects, tous se rejoignent sur un point : il y a urgence. Il est urgent d’agir, d’adapter notre droit et de prendre des mesures écologiques fortes. Au mois de décembre dernier, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies a appelé les dirigeants du monde à déclarer l’état d’urgence climatique. Ces propos font suite à une multitude de rapports, dont chacun ici a entendu parler, notamment ceux du GIEC – le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat –, de Météo France et du Haut Conseil pour le climat. Ces études sont toutes alarmantes. Elles estiment que d’ici la fin du siècle, la hausse de la température moyenne serait de quatre degrés Celsius, voire de six degrés dans les pires scénarios.

Malheureusement, l’urgence écologique ne se limite pas à la seule question climatique. Nous le savons : la sixième extinction de masse a commencé. Un million d’espèces animales et végétales sont menacées de disparition, soit une espèce sur huit. Il s’agit d’un désastre sans précédent. Si nous n’agissons pas rapidement, nous exposerons notre planète et les générations futures à de graves et inexorables menaces.

Ces constats alarmants dictent des actions d’urgence et étayent le présent projet de révision constitutionnelle. Il ne s’agit pas de la première révision consacrée à la préservation de l’environnement. Toutefois, cette révision est unique dans l’histoire de la Ve République : elle est le fruit d’un exercice démocratique inédit, la Convention citoyenne pour le climat, elle-même aboutissement du grand débat national voulu par le Président de la République. Le projet de loi que nous examinons reprend fidèlement, quasi textuellement, l’une des propositions formulées par les 150 membres de la Convention. Pour la première fois, le Parlement est amené à se prononcer sur un texte écrit par des citoyens tirés au sort. Son adoption définitive sera soumise, selon la volonté du Président de la République, à la procédure référendaire prévue par l’alinéa 2 de l’article 89 de la Constitution, c’est-à-dire à la consultation directe du peuple français.

L’équilibre entre démocratie directe et démocratie représentative constitue le deuxième enjeu de cette révision. Si nous parvenons à l’assurer, la France sera non seulement l’un des premiers pays au monde à inscrire la lutte contre le dérèglement climatique dans sa Constitution, mais se placera en outre à l’avant-garde de la démocratie participative. Notre objectif est clair : nous souhaitons que nos concitoyens puissent s’exprimer par référendum sur le texte proposé par la Convention citoyenne pour le climat, adopté par ses membres à une écrasante majorité.

Enfin, le troisième enjeu réside dans la portée juridique de la réforme. L’urgence climatique à laquelle nous sommes confrontés légitime l’inscription de la préservation de l’environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique dans notre ordre juridique, en les dotant d’une force accrue. Si nous voulons être au rendez-vous des enjeux écologiques cruciaux qui se présentent à nous et répondre aux aspirations de la société française, alors nous devons graver dans le marbre de l’article 1er de la Constitution, qui rappelle les grands principes sur lesquels est fondée notre République, la protection de l’environnement et de la diversité biologique, ainsi que la lutte contre le dérèglement climatique.

Tel est précisément l’objet de l’article unique du présent projet de loi, qui propose une rédaction à la fois ambitieuse et équilibrée.

La rédaction est ambitieuse, car les termes choisis ne sont pas neutres. Nous n’énonçons pas de simples intentions de principe ; nous utilisons des verbes d’action, tels que « garantir » et « lutter ». Ces mots, au fond, nous obligent. Ma conviction est la suivante : faute d’un principe constitutionnel fort, affirmant avec force que l’objectif environnemental est un fondement de l’action de la France, nous passerons à côté de l’essentiel. Une formulation insuffisamment engageante rendrait la réforme purement symbolique. En choisissant de tels termes, nous renforçons, dans l’ordre juridique, l’enjeu environnemental, tout en consolidant les principes de la Charte pour l’environnement promulguée le 1er mars 2005, dont je rappelle qu’elle ne mentionne pas la question climatique.

La rédaction est équilibrée, car elle n’instaure aucune hiérarchie entre les normes de valeur constitutionnelle. Je rappelle que la Convention citoyenne pour le climat avait également proposé de réécrire le préambule de la Constitution afin de donner à l’environnement la prééminence sur nos autres valeurs fondamentales. Le Président de la République n’a pas souhaité reprendre cette proposition, qu’il considère comme contraire à nos textes constitutionnels et à l’esprit de nos valeurs. Le juge continuera donc de placer les principes de valeur constitutionnelle sur un même plan, qu’il s’agisse de la protection de l’environnement, de la liberté d’entreprendre ou du droit de propriété.

Tout au long de nos auditions, des interrogations ont été exprimées de façon récurrente. Tous les avis s’accordaient sur l’existence d’une urgence écologique, mais nous avons aussi entendu des doutes, parfois des réserves. J’aimerais donc connaître, Monsieur le garde des sceaux, votre analyse sur les points suivants : quelles sont les conséquences juridiques attendues de l’emploi des mots « garantir » et « lutter »? Quel sera l’apport de la présente révision par rapport à la Charte de l’environnement, et comment s’articuleront ces deux textes ?

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. C’est avec la conscience de la responsabilité qui nous incombe que je vous présente les conclusions de nos travaux. Nous avions travaillé sur cet enjeu en 2018, hélas sans aboutir. Saluons donc le fait que la Convention citoyenne pour le climat en ait fait une priorité et que le Président de la République s’en soit pleinement saisi ! Inscrire la préservation de l’environnement dans notre loi fondamentale est un geste fort, qui exprime la volonté de la communauté nationale. Cette prise de conscience et cette envie d’agir excèdent la seule volonté de la puissance publique, ce dont il faut se réjouir.

L’organisation de nos travaux a été la suivante : nous avons commencé par vérifier que la formulation proposée par le Gouvernement répond le mieux possible aux aspirations exprimées par les citoyens tirés au sort de la Convention citoyenne pour le climat. Les auditions que nous avons menées ont confirmé l’importance et l’utilité de chaque mot retenu, notamment « environnement », « diversité biologique » et « dérèglement climatique ». Ce faisant, le texte permet d’aller plus loin que la Charte de l’environnement, d’une part en étant plus précis, d’autre part, en rehaussant l’importance de chacune de ces notions dans la hiérarchie des normes constitutionnelles.

Ensuite, nous nous sommes assurés, grâce à de nombreuses auditions, que le texte proposé ne crée aucune difficulté juridique majeure, voire impossible à résoudre. Les auditions ont démontré qu’il procède à un apport significatif et équilibré. En raison de l’introduction d’une obligation de moyens renforcée, le législateur et le pouvoir réglementaire devront développer un réflexe environnemental. Il en résultera notamment des exigences accrues en matière d’études d’impact et de mesures compensatoires en cas d’atteinte avérée à l’environnement.

Notre loi fondamentale dicte des principes généraux. Des mesures législatives et réglementaires complémentaires sont indissociables du présent projet de révision constitutionnelle, pour fixer concrètement les objectifs à atteindre et les moyens à mettre en œuvre à cette fin. Ainsi, le juge disposera d’une vision plus précise que celle offerte par la Charte de l’environnement, dont il pourra exploiter tout le potentiel. Il aura également la possibilité de sanctionner l’inaction des pouvoirs publics. Dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), il pourrait même sanctionner une loi antérieure incompatible avec ce nouveau cadre juridique.

Enfin, nous avons vérifié que le projet de révision constitutionnelle constitue bien un apport juridique en faveur de la préservation de l’environnement au sens large et qu’il offre la possibilité d’une réponse équilibrée, dans l’hypothèse où plusieurs principes ou objectifs de valeur constitutionnelle seraient mis en balance, par exemple un objectif environnemental, le droit de propriété et la liberté d’entreprendre. Je ne doute pas que Monsieur le ministre, dans les débats qui suivront, précisera l’appréciation du Gouvernement sur les conséquences du projet de révision constitutionnelle.

Quant à la méthode de révision constitutionnelle choisie, consistant à recourir au référendum, elle est conforme au souhait exprimé par la Convention citoyenne pour le climat. Les débats que suscitera le référendum permettront d’amplifier, dans le débat public français, les enjeux relatifs à la préservation de l’environnement et de la diversité biologique, ainsi qu’à la lutte contre le dérèglement climatique.

En conclusion, le texte proposé par le Gouvernement répond aux aspirations de la Convention citoyenne pour le climat. Il répond de façon satisfaisante et équilibrée au but recherché. Il ne nous semble ni utile ni souhaitable de le modifier. Dans le même esprit que la Convention citoyenne pour le climat, les auditions ont démontré que le présent projet de révision constitutionnelle atteindra son plein potentiel si – et seulement si – il est complété par des mesures législatives et réglementaires définissant des objectifs quantifiables, ainsi que les moyens nécessaires pour les atteindre. Il constituera alors une véritable injonction à l’action, en précisant le droit et en l’améliorant. Toute la hiérarchie des normes s’en trouverait renforcée, sans menacer le nécessaire équilibre entre les principes et objectifs de valeur constitutionnelle.

M. Jacques Krabal. Le projet de loi constitutionnelle que nous examinons s’inscrit dans un contexte tout à fait novateur. À l’issue du grand débat national, le Président de la République a pris l’initiative de convoquer une Convention citoyenne pour le climat au mois d’octobre 2019. Cette démarche innovante de démocratie participative est sans précédent. Elle n’enlève rien au rôle du Parlement au sein de l’architecture institutionnelle, au contraire. Pour nous, parlementaires, elle offre l’occasion d’une réforme constitutionnelle qui est un rendez-vous démocratique important.

La modification de l’article 1er de la Constitution est l’une des mesures les plus emblématiques adoptées, le 21 juin 2020, par 81 % des participants à la Convention citoyenne. Ce chiffre montre à quel point l’attente est forte parmi nos concitoyens ; il nous oblige. La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a décidé de se saisir pour avis du projet de loi constitutionnelle. Cette décision nous honore collectivement. Sur ce sujet fondamental, nous devons démontrer notre capacité à dépasser les clivages partisans et à nous rassembler autour d’une expression commune.

Le texte que nous examinons reprend la proposition, sans modification substantielle. Son article unique permettra d’affirmer la nature prioritaire de la cause environnementale, aux côtés des principes fondamentaux de la République. Après la proclamation, en 1789, des droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme, après la reconnaissance, à la Libération, de ses droits économiques et sociaux, l’heure est venue d’inscrire dans la loi fondamentale la dimension écologique de notre contrat social.

La constitutionnalisation progressive des principes environnementaux n’est pas un acte isolé ou marginal. L’excellent rapport de M. Christophe Arend démontre que cette démarche a été entreprise dans d’autres pays. La France a été à l’origine de l’accord de Paris sur le climat, conclu le 12 décembre 2015. Elle doit continuer à être à la pointe de ce combat. Si la Charte de l’environnement a constitué une grande avancée en droit interne, elle est désormais insuffisante. Il est donc temps de sécuriser le rehaussement – je préfère ce mot, que je vous emprunte, Monsieur le ministre, à celui d’« élévation », que j’ai écrit – de la préservation de l’environnement au rang des principes à valeur constitutionnelle.

Le présent projet de révision constitutionnelle nous en donne l’occasion. Il vise à inscrire l’urgence climatique dans la norme fondamentale. Il va plus loin que le droit en vigueur, car il introduit un principe d’action des pouvoirs publics. Une réforme constitutionnelle est tout sauf un acte anodin. Il s’agit d’un acte fondateur, par lequel la Nation affirme sa cohésion et rappelle ce qui est prioritaire à ses yeux, ainsi que d’un exercice exigeant, auquel on ne se livre « que d’une main tremblante », comme le rappelait Montesquieu. Plusieurs interrogations ont été formulées, ainsi que des réserves, notamment sur le principe de précaution, l’utilisation du verbe « garantir » et le principe de non-régression. J’invite tout un chacun à lire le rapport de M. Pieyre-Alexandre Anglade, rédigé à l’issue de nombreuses auditions. Sur chacune de ces questions, il apporte des clarifications précises et rassurantes.

Oui, nous sommes prêts. Faut-il ajouter que 85 % des membres de la Convention citoyenne pour le climat souhaitent l’organisation d’un référendum ? Alors, écoutons-les. « En toute chose il faut considérer la fin », écrit, dans sa fable Le Renard et le Bouc, Jean de La Fontaine, né à Château-Thierry et dont nous fêterons en 2021 le quatre-centième anniversaire de naissance.

Quelle est la finalité ? Ensemble, nous pouvons, d’une part, accélérer la lutte contre le dérèglement climatique et préserver la biodiversité, d’autre part, redonner des couleurs à la démocratie, en donnant la parole au peuple. Cette révision est l’émanation de la volonté du peuple. Les constituants que nous sommes doivent la porter avec conviction. Elle mérite d’être adaptée pour que nous soyons armés face au plus grand défi que nous ayons connu. C’est pourquoi, avec conviction, avec confiance, les députés du groupe La République en Marche soutiendront pleinement ce projet de loi constitutionnelle.

M. Julien Aubert. En préambule de mon intervention, rappelons que la famille politique que je représente n’a pas à rougir pour ce qui est des initiatives en faveur de la protection de l’environnement. Georges Pompidou a créé le premier ministère chargé de l’environnement, qui fête d’ailleurs ses cinquante ans cette année. C’est sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing que le législateur s’est intéressé à la protection du littoral, notamment face à l’urbanisation croissante et massive, puisqu’il a créé, par la loi du 10 juillet 1975, le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres. C’est sous la présidence de Jacques Chirac que fut adoptée la Charte de l’environnement. C’est enfin sous la présidence de Nicolas Sarkozy que fut conduit le Grenelle de l’environnement qui a permis de traiter de nombreux sujets relatifs à la protection de l’environnement et qui a été suivi de deux lois.

Le projet de loi constitutionnelle qui nous est proposé vise à ajouter au premier alinéa de l’article 1er de la Constitution que la France garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique. C’est ce que vous appelez une protection rehaussée dans la Constitution, aux côtés des autres principes essentiels de la République. Selon l’exposé des motifs du projet de loi, cette inscription lui donne une force particulière, ce que vous avez d’ailleurs rappelé, Monsieur le ministre. Ce projet est issu des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, adoptées en juin dernier. Contrairement à ce que prétend M. Krabal, ce projet n’émane pas du peuple mais bien de quelques citoyens tirés au sort.

En l’examinant attentivement, force est de constater, toutefois, que cette réforme est, au mieux, inutile et, au pire, dangereuse. Elle est inutile, en effet, car une place importante est déjà accordée à la protection de l’environnement dans le droit existant, normes constitutionnelles comprises. En termes parlementaires, on vous dirait que votre amendement est déjà satisfait, chers collègues ! Ainsi, la Charte de l’environnement de 2004, qui fait pleinement partie du bloc de constitutionnalité, prévoit dans son article 1er et son article 2 des mesures fortes en la matière. Le Conseil d’État relève, dans son avis sur le présent projet de loi, que le principe de protection de l’environnement occupe déjà la plus haute place dans la hiérarchie des normes et que la cause environnementale fait l’objet d’un contrôle juridictionnel de plus en plus poussé de la part de tous les juges. Il relève d’ailleurs deux récentes décisions du Conseil constitutionnel qui confèrent une importance plus grande aux effets de la Charte de l’environnement. Du coup, quel serait l’apport ? Sauf à ce que le juge constitutionnel, qui ne manquera pas d’être saisi régulièrement à ce sujet, cherche à donner une interprétation contraignante à votre nouvelle disposition, celle-ci relève d’un artifice de communication. Rappelons tout d’abord que son inscription à l’article 1er ne lui confère pas plus de valeur que les dispositions des autres articles. D’ailleurs, Monsieur le ministre, l’autorité judiciaire apparaît péniblement à l’article 64 de la Constitution, après les traités de commerce qui figurent à l’article 53, ce qui ne veut pas dire que vous soyez moins important que le ministre chargé du commerce…

Vous avez également déclaré que cette inscription aurait une valeur symbolique forte, ce qui donnerait plus de poids à ce principe tout en le maintenant à égalité avec les autres. Il suffit de relire l’article 6 de la Charte de l’environnement : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. » Ce que vous avez dit en est l’exacte paraphrase. D’ailleurs, le sujet de l’environnement dépasse largement le seul dérèglement climatique. L’un de mes collègues évoquait une étude d’impact : je le renvoie à l’article 5 de cette même Charte qui prévoit des procédures d’évaluation.

Cette réforme est également dangereuse. La Constitution est là pour établir des règles, pas pour donner des objectifs. On ne va pas commencer à inscrire dans la Constitution que le Gouvernement lutte contre le désendettement, contre l’immigration ou pour la sauvegarde des baleines, sinon notre Constitution se trouvera rapidement très alourdie. De plus, le Conseil d’État a relevé qu’en prévoyant que la France « garantit » la préservation de la biodiversité et de l’environnement, le projet imposerait aux pouvoirs publics une quasi-obligation de résultat dont les conséquences sur leur action et leur responsabilité risquent d’être plus lourdes et imprévisibles que celles issues du devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement résultant de l’article 2 de la Charte de l’environnement. Le Conseil d’État suggère le terme « préserve ». Ce serait d’ailleurs plus prudent pour vous puisque vous fermez les centrales nucléaires qui concourent à la lutte contre le réchauffement climatique…

S’agissant de la protection de l’environnement, certains juristes, comme M. Arnaud Gossement, estiment au contraire que cette disposition, en cas d’interprétation contraignante, opérerait un retour en arrière. L’article 2 de la Charte serait plus protecteur en ce qu’il dispose que toute personne a le devoir de prendre part à la préservation de l’environnement.

Ce projet de loi comporte d’importantes incertitudes et, M. Krabal l’a rappelé, une réforme constitutionnelle n’est pas un acte anodin. Il conviendrait de revoir la formulation pour éviter toute instrumentalisation de l’enjeu.

Jean de La Fontaine vient d’être cité. Napoléon, quant à lui, disait qu’il ne faut jamais interrompre un ennemi qui est en train de faire une erreur. Pour le coup, nous voterons sans doute contre.

M. Jimmy Pahun. Les nations se sont engagées, en signant l’accord de Paris, à limiter le réchauffement climatique à un niveau inférieur à 2 degrés Celsius. Pourtant, selon le tout récent rapport de Météo France, les rapports du GIEC et le rapport du Haut Conseil pour le climat, cette température moyenne pourrait augmenter de 4 degrés en France d’ici 2100. Il faudra donc s’attendre à des événements climatiques extrêmement plus fréquents et plus violents, à la destruction d’écosystèmes entiers et à la disparition massive d’espèces. On le sait et on agit. Que les membres de la Convention citoyenne pour le climat n’oublient pas ce que nous faisons depuis près de quatre ans : la loi « Egalim », relative à l’alimentation, la programmation pluriannuelle de l’énergie, la loi d’orientation des mobilités, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, le plan de relance qui consacre 30 milliards d’euros à la transition écologique, le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets... Du concret, du quotidien, du structurant, du long terme : voilà ce dont le pays a besoin, à l’opposé d’une écologie des grands mots qui dit parfois plus qu’elle n’agit. Nul besoin de parler plus fort pour agir avec détermination. C’est ce même souci qui nous guide dans l’examen du présent projet de loi constitutionnelle visant à inscrire la protection de l’environnement à l’article 1er de la Constitution.

Nous voulons hisser au plus haut sommet de l’ordre constitutionnel la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité. Les termes exacts et précis du projet de loi comptent peut-être moins que cette volonté que nous aurons exprimée avec force et clarté. Oui, la protection de l’environnement compte autant que les libertés et les droits les plus fondamentaux reconnus et garantis par la République. Le socle de notre République se renforce d’un nouveau pilier, ce dont je me félicite au nom de mon groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés. Nous attendons de cette réforme des effets concrets et substantiels pour être à la hauteur du double défi climatique et démocratique puisque, in fine, cette question sera soumise au référendum. Ce référendum marquera la France de l’après-covid. Nous aurons vu, nous aurons réfléchi à ce que nous sommes et faisons, nous dirons collectivement notre volonté de changement. Je vous remercie, Monsieur le ministre, d’être également attentif à tout cela.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Je reviendrai sur l’articulation entre la nouvelle rédaction qui nous est proposée de l’article 1er de la Constitution et la Charte de l’environnement. Le choix d’inscrire le mot « garantit » dans la Constitution est extrêmement important. Dès lors qu’il ne figure pas dans la Charte, il n’aurait pas pour seul effet de consacrer l’état actuel de la protection constitutionnelle de l’environnement et de l’interprétation qu’en a donnée la jurisprudence. En effet, en prévoyant que la France garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique, le projet imposerait aux pouvoirs publics une quasi-obligation de résultat dont les conséquences sur leur action et leur responsabilité risquent d’être plus lourdes et imprévisibles que celles issues du devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement, résultant de l’article 2 de la Charte de l’environnement. Certaines personnes que nous avons auditionnées nous ont mis en garde contre le risque que « la créature échappe à son créateur ». Qu’en pensez-vous, Monsieur le ministre ?

M. Gérard Leseul. Je salue une nouvelle fois les travaux réalisés par la Convention citoyenne pour le climat, qui témoignent de l’ampleur du défi climatique auquel nous faisons face. Elle a proposé un ensemble de mesures ambitieuses, dont la modification de notre Constitution. Si les citoyens, après plusieurs parlementaires, en particulier mes collègues du groupe Socialistes et apparentés, par la voix de Mme Cécile Untermaier, ont proposé de modifier la Constitution, ce n’est pas un hasard, mais bien parce que nous constatons tous un manque dans notre loi fondamentale. Je reprendrai simplement une phrase de la conclusion des travaux de la convention qui doit rester le fil rouge de notre engagement et de nos discussions : « Nous ne sommes pas uniquement devant le choix d’une politique économique pour faire face à une crise économique, sociale et environnementale, nous devons agir sans plus attendre pour stopper le réchauffement et le dérèglement climatique qui menacent la survie de l’humanité. »

Je remercie les rapporteurs MM. Pieyre-Alexandre Anglade et Christophe Arend, avec qui nous avons mené les auditions pour préparer l’examen de ce projet de loi constitutionnelle. Nous avons ainsi reçu des constitutionnalistes, des représentants d’organisations non gouvernementales (ONG) ou d’associations, ou encore des citoyens de la Convention citoyenne pour le climat.

Pour la quasi-totalité des constitutionnalistes interrogés, la modification de notre Constitution, telle qu’elle est envisagée, n’emportera sans doute aucune obligation nouvelle pour le législateur, malgré sa forte portée symbolique. De même, le juge ne sera pas plus éclairé en l’absence de notions et de cadre plus précis qui devraient être énoncés dans notre Constitution. Notre Constitution est nourrie et inspirée par la libre propriété. Elle a été conçue dans une période d’après-guerre et de reconstruction du pays, sacralisant les libertés et droits individuels fondamentaux. Cependant, certains principes comme le droit de propriété et la liberté d’entreprendre, appliqués de manière absolue, peuvent sembler en contradiction avec la protection des biens communs, donc avec la préservation de l’environnement. Ainsi, certaines notions fondamentales qui ont permis autrefois l’émancipation des hommes face à l’arbitraire peuvent se retourner contre l’intérêt général. C’est ce qu’avait justement rappelé mon collègue M. Dominique Potier lors de l’examen d’une proposition de loi constitutionnelle déposée en mai 2020. Lutte contre le changement climatique, lutte contre la fraude fiscale, lutte contre l’accaparement des terres agricoles : autant de propositions de réformes censurées, vidées de leur substance ou avortées ces dernières années, suite à des avis ou des décisions du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel, rendus au nom de la défense du droit de propriété et de la liberté des entreprises.

L’urgence environnementale nous pousse, aujourd’hui, à revoir la nécessaire conciliation des libertés individuelles avec les droits humains, la protection de la nature et l’amélioration de l’environnement qui conditionnent la vie humaine sur Terre. Bien sûr, le Conseil constitutionnel est déjà capable de faire preuve d’initiative pour protéger l’environnement et le vivant. Ainsi, dans une décision rendue le 31 janvier dernier, il a reconnu pour la première fois que la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constituait un objectif de valeur constitutionnelle qui pouvait justifier des atteintes à la liberté d’entreprendre. Le conseil des sages, parfois très inspiré, sait manier le clair-obscur et l’estompe mais est-ce suffisant pour faire face à l’urgence climatique ? Le Conseil d’État, dans un avis rendu le 21 janvier dernier, prévient quant à lui que le mot « garantir », qui est proposé pour la préservation de la biodiversité, de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique, imposerait une quasi-obligation de résultat aux pouvoirs publics, ce que nous souhaitons vivement. Le 3 février, le tribunal administratif de Paris a condamné l’État pour ne pas avoir tenu ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Si une obligation de moyens semble découler de cette décision, l’obligation de résultat est encore loin d’être garantie, de notre point de vue.

Si l’adoption de la Charte a permis une première prise de conscience des défis environnementaux et climatiques, il reste à formaliser l’urgente action climatique. En effet, à la lecture des travaux préparatoires de la Charte, on constate que les changements climatiques, leur existence, leur manifestation mais surtout les moyens pour y faire face, n’ont été que peu soulignés ou n’apparaissent qu’incidemment.

Pourtant, l’objectif de la neutralité carbone est désormais fixé par le Gouvernement à travers sa stratégie nationale bas carbone. Il ne pourra être atteint sans gros efforts dans certains secteurs, ce qui risque de conduire à d’importants imbroglios juridiques si les cadres normatifs ne sont pas adaptés et précisés. Le cas récent des néonicotinoïdes, à nouveau autorisés pour au moins deux ans, en est la parfaite illustration. Dès lors, ne faut-il pas profiter de l’occasion qui nous est donnée par le Président de la République de modifier la Constitution pour intégrer des notions structurantes déjà évoquées, comme les limites planétaires ? Contrairement à ce que dit le ministre, il me semble important d’inscrire des principes de non-régression et des mesures d’impact.

M. Michel Zumkeller. Le groupe UDI et Indépendants souhaite rappeler en préambule que les citoyens de la Convention citoyenne pour le climat, tirés au sort, ne représentent pas les Français, même si leur travail mérite d’être souligné. Seuls les députés peuvent y prétendre, aussi le dernier mot doit-il leur appartenir dans le cadre de nos institutions.

Nous regrettons que les tentatives de réforme institutionnelle ou constitutionnelle sur d’autres sujets tout aussi importants n’aient pas abouti depuis 2017, qu’il s’agisse de la reconnaissance du vote blanc, de l’introduction d’une dose de proportionnelle ou de la différenciation territoriale, aussi tenterons-nous d’y remédier par voie d’amendement.

Notre groupe n’a pas d’opposition de principe à cet ajout dans la Constitution. Le changement climatique est le défi des prochaines générations et la formation à l’écologie, une priorité. Cependant, des actes seraient bien plus efficaces pour la planète qu’une révision constitutionnelle. Fermer une centrale nucléaire en laissant fonctionner les centrales à charbon est l’un des mauvais exemples de notre situation énergétique actuelle.

Le Gouvernement n’est pas clair sur les effets concrets du projet de loi. Beaucoup de professionnels, en particulier des juristes et des universitaires, considèrent que cette modification constitutionnelle ne changera rien. Nous sommes sceptiques et nous craignons que l’inscription de cette nouvelle règle à l’article 1er de la Constitution n’ait pas plus de valeur que l’introduction de la Charte de l’environnement dans le préambule de la Constitution. Le Conseil d’État relève ainsi que cette inscription revêt surtout une portée symbolique et qu’elle ne lui confère aucune prééminence juridique sur les autres normes constitutionnelles. Si cette mesure devait avoir de réelles conséquences, notamment pour les décisions de justice, une étude d’impact aurait dû être fournie aux parlementaires ; nous l’attendons toujours. Le Conseil d’État avait également appelé l’attention du Gouvernement sur les conséquences de l’emploi du terme « garantit » et avait demandé des précisions. Nous ne les avons pas reçues avant ce soir. Appliquons déjà le droit existant et améliorons son contrôle. Qui plus est, l’approche des élections nous fait douter de la possibilité d’organiser un référendum avant la fin de ce quinquennat, sans parler du report prévu des élections locales en juin.

Parmi les réformes envisagées, Monsieur le ministre, vous aviez évoqué celle du parquet, que vous vous étiez engagé à mener avant la fin du quinquennat, ce qui semble compliqué. Confirmez-vous cet engagement ? N’aurait-il pas été possible de profiter de cette réforme pour prévoir l’inscription d’autres principes dans la Constitution ? Qu’apporte cette réforme par rapport à la Charte de l’environnement ? Quand pourrait-elle être définitivement adoptée ? Pensez-vous pouvoir organiser le référendum envisagé par le Président de la République ?

M. François-Michel Lambert. La manœuvre politique qui se cache derrière ce projet de réforme de notre Constitution soulève de nombreuses questions. Beaucoup a déjà été dit des débats entre constitutionnalistes ou de l’articulation avec la Charte de l’environnement mais j’y reviens tout de même.

Monsieur le ministre, admettons que cette réforme aille à son terme : dans quelles proportions permettra-t-elle de réduire les émissions de gaz à effet de serre ? Quels bénéfices pourrons-nous en attendre pour le climat, l’environnement, la biodiversité, les ressources ? Je ne vois rien, dans la réforme constitutionnelle, qui pourrait permettre une telle transformation. Cette réforme aurait-elle permis d’éviter que l’usage des néonicotinoïdes soit à nouveau autorisé, l’accord économique et commercial global (le CETA) ratifié, l’accord avec le Mercosur signé ? On pourrait multiplier les exemples. Vous me répondrez que je ne suis pas un constitutionnaliste mais, fort de mon expérience dans le domaine de l’environnement, je constate que les objectifs sont toujours lointains et rarement contraignants. Qui plus est, les moyens pour atteindre ces objectifs sont rarement à la hauteur. Ce quinquennat ne déroge pas à cette habitude. Je me souviens encore des annonces, mi-mandat, d’un virage, d’une accélération écologique ! Que reste-t-il aujourd’hui ? J’ai l’impression que tous les écologistes sont partis à la suite de Nicolas Hulot.

Lorsque le Président de la République, qui n’avait plus d’écologistes dans sa majorité, a convoqué 150 citoyens, nous avons espéré franchir une nouvelle étape dans la lutte contre le dérèglement climatique. Hélas, la présentation du projet de loi dit « climat et résilience », la semaine dernière, a confirmé nos craintes et, d’un projet de loi qui aurait repris l’intégralité des propositions, nous sommes passés à un texte lacunaire.

Il n’est pas interdit de se demander si la révision constitutionnelle ne servirait pas à camoufler d’autres renoncements. Les Français ne s’y trompent pas, d’ailleurs, puisqu’ils sont 64 % à y voir une manœuvre politique. Nous ne sommes pas dupes de la portée symbolique d’une telle réforme et l’absence d’engagement nous angoisse pour l’avenir. Une vision plus ambitieuse du droit de l’environnement suffirait. J’espère que nous progresserons en matière de justice climatique. L’« affaire du siècle » est la preuve que l’on peut aller de l’avant. La jurisprudence du Conseil constitutionnel a également évolué puisqu’elle a reconnu en 2020, à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité, que la protection de l’environnement constituait un objectif de valeur constitutionnelle qui pouvait justifier des atteintes à la liberté d’entreprendre. Cette position est suffisamment claire pour rendre inutile une modification de la Constitution. Notre justice est parfaitement capable de relever ces enjeux. En revanche, notre Constitution présente quelques lacunes. Par exemple, l’inscription du principe de non-régression aurait empêché que l’on autorise à nouveau l’usage des néonicotinoïdes. Autrement dit, quel est l’intérêt d’ajouter une phrase à l’article 1er de la Constitution puisque la Charte de l’environnement fait déjà partie du bloc de constitutionnalité ? Des spécialistes parlent de garantir, d’agir, de favoriser, mais où sont les résultats ?

Les débats autour de la modification de la Constitution nous donneront l’occasion de réaffirmer collectivement notre volonté de faire face aux défis écologiques. Pour ma part, je crains que cette réforme tienne surtout de la diversion politique et de l’opération de communication. J’aurais préféré que le Gouvernement et la majorité reprennent la proposition de Nicolas Hulot de créer un poste de vice-Premier ministre chargé du développement durable. M. Emmanuel Macron avait inscrit cette mesure dans son programme de candidat à la présidentielle de 2017 mais il en aurait été empêché, par la suite, en raison de la Constitution. Il aurait fallu une réforme de la Constitution pour nommer ce vice-Premier ministre du temps long. Ces considérations nous dépassent, nous, politiques du temps court. Cette réforme-là nous aurait permis d’agir et de contrebalancer la politique d’un Premier ministre davantage préoccupé par la gestion du quotidien que par la préparation du temps long.

Pour conclure, je ne résiste pas au plaisir de citer Jean de La Fontaine qui écrivait dans une lettre à Jean Racine : « Un sot plein de savoir est toujours plus sot qu’un autre homme ». Sommes-nous sots au point de préférer la communication à l’action alors que nous savons l’urgence ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Depuis 2017, les gouvernements ont beaucoup fait pour l’écologie et nombre des mesures qu’ils ont prises sont à inscrire à leur actif. J’aurai sans doute l’occasion de le rappeler au banc car j’entends bien les regrets de certains députés : les actions seraient insuffisantes, il aurait fallu créer un poste de vice-Premier ministre – ce poste serait d’ailleurs peut-être vacant. Nous en reparlerons le moment venu.

Dans ce domaine, le débat parlementaire est essentiel et je n’entends pas substituer la réflexion de 150 de nos concitoyens à la vôtre. Cependant, gardons-nous d’opposer les uns aux autres. Le mot « urgence » est fréquemment revenu. Nombre d’entre vous avez aussi évoqué, à juste titre, l’exemplarité de la France dans ce domaine. La France, en effet, a un rôle à jouer au plan international et elle a déjà démontré à quel point elle pouvait être à la pointe sur ces sujets.

Monsieur Julien Aubert, vous dites que la Convention citoyenne pour le climat ne représente pas le peuple. Rappelons qu’elle rassemble 150 de nos concitoyens, aussi pardonnez-moi de penser qu’elle le représente tout de même un peu. Certes, ils ont été tirés au sort, mais ils ont beaucoup travaillé, ils ont été entourés d’experts et ils ont consulté toutes les associations. Pour avoir vécu ce débat à propos du Conseil économique, social et environnemental (CESE), je pense qu’on ne peut pas opposer 150 de nos concitoyens de bonne volonté à la représentation nationale. Ce serait même légèrement condescendant. Dans le registre de la saillie drolatique, vous avez ajouté, Monsieur Aubert, qu’on n’allait pas réformer la Constitution pour tout, sinon pourquoi ne pas y inscrire les baleines. Je suis bien d’accord avec vous, il serait difficile de réserver un article aux baleines dans la Constitution, mais surtout ce serait inutile car, si cette réforme aboutit, la garantie de la diversité biologique permettra de lutter contre la disparition de certaines espèces, en particulier des baleines. J’espère vous avoir ainsi rassuré…

Plus sérieusement, la préservation de l’environnement ne sera plus un objectif à valeur constitutionnelle mais un principe à valeur constitutionnelle à part entière. Vous semblez le craindre. Moi, pas du tout. Vous avez rappelé que les lois en faveur de l’environnement n’avaient pas manqué depuis cinquante ans. Le résultat est-il satisfaisant ? Avons-nous remarqué une amélioration pour l’environnement ? Sûrement pas. Il faut donc aller plus loin et c’est à ce défi que le Gouvernement entend répondre en donnant une force nouvelle à la protection de l’environnement dans la Constitution. Voilà en quoi réside l’utilité de cette réforme : l’obligation d’agir.

Quant au mot « garantir », que vous craignez tant, je rappelle qu’il figure déjà à quatre reprises dans la Constitution. En rendrait-il les dispositions concernées inutiles ? Dangereuses ? L’enjeu de l’urgence écologique nous impose de dépasser les positions politiciennes.

Merci, Monsieur Anglade, pour la qualité de votre travail et de votre réflexion. On ne peut pas opposer le travail de 150 citoyens et celui de la représentation nationale. Vous n’allez pas prendre pour argent comptant ce qu’a dit la Convention citoyenne : vous allez examiner les mots choisis. Vous avez, bien sûr, un véritable rôle à jouer.

Il y a eu récemment une condamnation de l’État, c’est vrai. Je ne vais pas la commenter, puisque je suis le garde des sceaux. L’environnement est l’affaire de tout le monde – de ces 150 concitoyens et de chacun d’entre nous. Ne plus jeter les mégots de cigarette par terre, ne pas polluer quand on est un industriel, aller de l’avant avec ce texte, c’est notre responsabilité compte tenu du constat que l’environnement se dégrade. Nos enfants, nos adolescents le savent parfaitement. Ils ont très souvent fait leur ce combat.

La Charte de l’environnement, qui date en réalité de 2004, a donné à la protection de l’environnement une valeur constitutionnelle. Cela permet au législateur de prendre des mesures importantes. Dans la Charte, la protection de l’environnement est un objectif vers lequel nous devons tendre. Par le présent texte, nous vous proposons d’en faire une obligation constitutionnelle, à la charge des pouvoirs publics. C’est ce que signifie l’emploi des termes « garantir » et « lutter » que nous voulons introduire à l’article 1er de la Constitution.

Je me déplace d’habitude avec un code pénal et un code de procédure pénale ; j’irai en séance publique avec un dictionnaire. Je rappellerai à ceux qui l’ont oublié, ou qui feignent de ne plus le savoir, que « garantir » revient à assurer sous responsabilité l’exécution de quelque chose dans des conditions parfaitement définies. C’est le mot juste et cela ne doit pas susciter je ne sais quels fantasmes ou je ne sais quelles peurs.

Je voudrais simplement vous remercier, Messieurs Arend, Krabal et Pahun, pour votre enthousiasme et votre envie d’aller de l’avant – vos interventions ne comportaient pas de questions. Vous avez parfaitement compris l’importance de cette réforme, pourquoi et comment elle doit être menée. Il a été question à plusieurs reprises de l’urgence et de l’exemplarité de la France : je reprends ces termes à mon compte. Ce texte – ce qu’il est actuellement et ce que vous en ferez – nous honorera. Il résulte de l’engagement du Président de la République et du choix de citoyens français. La représentation nationale existe, mais il y a aussi le peuple et on ne peut pas le négliger.

Il y a une toute petite modification, il faut le souligner, par rapport aux propositions de la Convention citoyenne : il est question de préservation non pas de la « biodiversité » mais de la « diversité biologique », car c’est le terme le plus adéquat. Le reste est inchangé : il s’agit, par ailleurs, de garantir la préservation de l’environnement et de lutter contre le dérèglement climatique, ce qui n’est prévu, jusqu’à présent, nulle part – certains d’entre vous m’ont interrogé sur l’apport du texte. Nous savons à quel point c’est essentiel : il suffit de regarder les dernières inondations pour comprendre qu’il y a un dérèglement. On ne peut plus être climatosceptique. Les preuves, cela a été dit, ont été apportées sur le plan scientifique.

La question que vous avez posée, Madame Jacquier-Laforge, est extrêmement importante. La Charte de l’environnement énumère précisément les principes constitutionnels en la matière, en particulier le droit de vivre dans un environnement sain, l’obligation de participer à la préservation et à l’amélioration de l’environnement, ainsi que les principes de responsabilité environnementale, de précaution et de participation à l’élaboration des décisions publiques. Le projet de révision constitutionnelle n’ajoute pas d’autres principes à cette liste. En revanche, il donnera une force plus grande à la préservation de l’environnement dans la Constitution. Le contenu des exigences constitutionnelles en matière environnementale ne sera pas modifié : c’est leur portée qui le sera.

Selon vous, Monsieur Leseul, ce texte n’irait pas assez loin. Il ne placera pas la protection de l’environnement au-dessus des autres principes constitutionnels mais il lui donnera une force nouvelle dont le Conseil constitutionnel tiendra compte dans sa jurisprudence. Il ne s’agit pas davantage, je le confirme, de créer un principe constitutionnel de non-régression des lois en matière environnementale. Un tel principe existe dans la loi mais il n’a pas sa place dans la Constitution : il est indispensable de laisser au législateur le pouvoir de préserver efficacement d’autres principes constitutionnels, comme celui de la protection de la santé, par exemple dans un contexte de crise sanitaire.

Monsieur Zumkeller, ce projet de loi constitutionnelle n’a pas vocation à se substituer à toutes les mesures concrètes en matière environnementale. Je rappelle qu’un projet de loi a été préparé en parallèle pour reprendre les propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Le présent texte a pour vocation de créer un principe d’action positive des pouvoirs publics : ils seront appelés à intégrer la préservation de l’environnement dans les politiques qui sont menées. À défaut, la quasi-obligation de résultat que nous proposons de créer pourra avoir des conséquences sur le plan de leur responsabilité.

Monsieur Lambert, vous m’avez questionné sur les économies qui seront réalisées en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Dois-je vous rappeler qu’il s’agit d’une réforme constitutionnelle ? Ses effets ne se mesurent en kilos de CO2… Une révision constitutionnelle impose des obligations générales – ce qui ne signifie pas qu’elles n’ont pas d’effet.

Vous dites que le référendum prévu est une manœuvre politique et qu’il n’y a pas d’engagement du Gouvernement dans la lutte contre le dérèglement climatique. Vous oubliez tout ce que ce gouvernement et le précédent ont fait depuis 2017. J’aurai l’honneur de rappeler, grâce aux débats qui auront lieu, le bilan de l’action engagée par le Président de la République en la matière.

Enfin, le principe de non-régression figure déjà à l’article L. 110-1 du code de l’environnement mais il n’y a pas lieu de le constitutionnaliser, je l’ai dit.

M. Gabriel Serville. Que l’on soit favorable ou non à cette réforme, tout le monde est d’accord sur le fait que la révision de l’article 1er de la Constitution que vous proposez n’aura aucun effet juridique immédiat sur la protection de notre environnement, contrairement à d’autres textes qui ont détricoté notre droit en la matière – je pense notamment à la récente loi d’accélération et de simplification de l’action publique.

On ne saurait parler d’atteintes à l’environnement sans évoquer l’écocide que constitue le pillage des ressources aurifères de la Guyane. Voilà des années que nous déplorons l’inadaptation totale du cadre pénal à ces crimes très spécifiques, même si nous avons réussi à faire adopter sous la précédente législature quelques améliorations, comme l’adaptation des conditions de garde à vue et la création du délit de possession d’or natif ou de matériel minier sans autorisation.

L’article 21 du projet de loi « climat et résilience », qui a été présenté mercredi dernier au conseil des ministres, habilite le Gouvernement à prendre toutes mesures susceptibles de renforcer et d’adapter le dispositif pénal de répression de l’orpaillage illégal en Guyane. Si on ne peut que déplorer le recours à une ordonnance, je dois vous dire mon enthousiasme sur le fond, alors que la commission d’enquête sur l’orpaillage illégal, dont je suis membre, doit commencer ses travaux après-demain. Pouvez-vous nous en dire plus, Monsieur le garde des sceaux, sur le renforcement du dispositif pénal ? Vous avez là une belle occasion de conduire une réforme qui aura vraiment un effet très positif sur notre environnement.

M. Paul-André Colombani. Vous êtes sûrement familier, Monsieur le garde des sceaux, du concept des « limites planétaires », qui sont au nombre de neuf : ce sont les limites physiques que l’humanité doit s’astreindre à respecter afin de préserver les conditions favorables dans lesquelles elle a pu se développer. D’après un rapport du ministère de la transition écologique, la France dépasse actuellement six de ces limites, notamment celles concernant les émissions de CO2, toujours trop élevées, ou encore l’érosion de la biodiversité. Cela menace de saper les bases physiques des systèmes socio-économiques et de mener à une réduction importante du niveau de vie et à une augmentation des inégalités. Il est urgent de sanctuariser le respect de ces limites, et le présent projet de loi constitutionnelle en est l’occasion.

Il a été démontré à l’échelle de la planète que les dispositions constitutionnelles favorables à l’environnement sont directement corrélées à une baisse des émissions nationales de gaz à effet de serre. La constitutionnalisation des limites planétaires conduirait à faire évoluer le droit et la pratique législative en direction de l’approche systématique qui est indispensable pour assurer la cohésion de toutes les politiques publiques et pour accélérer la transition écologique. Avec la Charte de l’environnement adoptée en 2005, la France était l’un des derniers pays industriels à faire entrer cette question dans sa Constitution. Êtes-vous prêt à faire de la France un leader de la transition écologique en faisant de notre pays le premier à intégrer le respect des limites planétaires dans sa Constitution ?

M. Erwan Balanant. Nos collègues de la majorité ont dit que ce texte était l’émanation d’une réflexion des citoyens et qu’il ne faudrait peut-être pas trop toucher à leur travail. Je suis en partie d’accord avec cette idée. Les citoyens ont très bien travaillé et je les en félicite : un débat démocratique extrêmement important a eu lieu. Néanmoins, la Constitution fait de nous des constituants. Nous devons avoir un débat et nous poser certaines questions. C’est utile et même nécessaire. Le sujet dont nous parlons dépasse la sphère de la politique, puisqu’il est d’essence philosophique.

Le Conseil d’État a formulé dans son avis des observations que je trouve extrêmement pertinentes. Pourriez-vous revenir sur l’articulation entre notre droit de l’environnement et la rédaction qui nous est proposée ?

J’aimerais, par ailleurs, qu’on profite de cette révision constitutionnelle pour renforcer certains outils. Il faudrait en particulier avoir une véritable évaluation climatique des lois. Une telle boussole nous permettrait d’éviter des querelles stériles.

Mme Cécile Untermaier. La préservation de l’environnement est un enjeu vital pour les générations présentes et futures. Un pas en avant doit être effectué grâce à l’inscription, à l’article 1er de la Constitution, de la nécessité de protéger l’environnement et la diversité biologique et de lutter contre les changements climatiques. Ce n’est pas anodin de le faire dans un article qui consacre les grands principes de la République et qui est la clef de voûte de notre loi fondamentale.

L’article unique de ce texte, voulu par la Convention citoyenne pour le climat, correspond peu ou prou à ce qui était proposé dans le cadre de la révision constitutionnelle du début du quinquennat. Je ne sais pas si c’est un motif de satisfaction, de regret ou d’exaspération… Faut-il en conclure que nul n’est prophète en son pays et qu’il fallait passer par une Convention citoyenne pour être entendu ? Je laisse chacun en juger. Nous avions beaucoup débattu du verbe qu’il fallait utiliser – « garantir » ou « agir ». Nous avions, pour notre part, milité pour l’emploi du premier terme. M. Nicolas Hulot avait obtenu que la Constitution soit révisée, ce qui représentait un grand pas en avant, mais en utilisant le verbe « agir ». Ne boudons pas notre plaisir aujourd’hui.

Nous allons déposer des amendements, notamment au sujet du principe de non-régression que nous avions eu du mal à inscrire dans la loi dite « Biodiversité » de 2016. Nous pensons qu’il serait utile de l’insérer dans la Constitution, en prévoyant une amélioration constante, une action en continu en faveur de l’environnement.

Ceux qui s’inquiètent toujours de telles dispositions doivent savoir qu’elles ne sont ni inutiles ni dangereuses : ce serait une bonne chose de faire évoluer en ce sens l’article 1er de la Constitution. Si la révision échoue au Sénat, tant pis : nous aurons quand même travaillé sur cette question et il n’en restera pas rien.

J’aimerais vous demander, Monsieur le garde des sceaux, sous la forme d’une plaisanterie, s’il faut passer par une Convention citoyenne pour faire aboutir, enfin, la réforme du parquet que nous souhaitons depuis un certain temps ? (Rires sur plusieurs bancs).

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Nous venons de créer, Monsieur Serville, à l’occasion du projet de loi relatif à ce qu’on a appelé le parquet européen, des juridictions spécialisées en matière d’environnement. J’étais tout à fait favorable à ce qu’il ne s’agisse pas d’une juridiction ayant compétence nationale et installée à Paris. Lorsque nous avons travaillé sur ces questions, nous avons évidemment pensé à la Guyane et à la question de l’orpaillage. Il fallait que les juridictions soient au plus près des pollutions spécifiques, dans les régions. Il y aura donc une juridiction spécialisée en matière d’environnement par cour d’appel. Cet outil nouveau sera mis en place à compter du mois d’avril.

J’ajoute que la convention judiciaire d’intérêt public est un outil extraordinairement efficace sur le plan pénal.

Il y aura certainement d’autres textes de nature pénale, notamment en réponse aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat, même s’il est encore un peu tôt pour en parler. Compte tenu du sujet, cela entrera naturellement dans le périmètre du ministère de la justice.

Vous voyez grand, Monsieur Colombani, si vous me permettez d’utiliser cette expression. Il va de soi que la protection de l’environnement a une dimension régionale – je viens de le rappeler – mais aussi nationale et planétaire. Néanmoins, la notion de « limites planétaires » ne fait pas l’objet d’un consensus et n’a pas un degré de précision tel qu’on pourrait l’inclure dans notre loi fondamentale. Vos propos sont extrêmement intéressants mais il serait un peu compliqué de leur donner une traduction dans la Constitution. Restons-en, pour le moment, à quelque chose d’un peu plus modeste, tout en veillant à préserver notre exemplarité dans le monde – nous avons été à la pointe dans ce domaine.

Je me souviens, Monsieur Balanant, que vous avez été rapporteur du projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental. Des écueils ont été évités. Vous faites partie de ceux qui savent qu’on ne peut pas opposer les citoyens et les parlementaires – des craintes s’étaient déjà exprimées à cette époque.

La question de l’évaluation est importante. J’ai vu que vous aviez déposé un amendement visant à modifier l’article 24 de la Constitution en ce qui concerne l’évaluation des politiques publiques. Puis-je vous dire dès à présent que j’y serai sans doute défavorable ? Des outils d’évaluation existent déjà. L’exécutif dispose de moyens en la matière, comme le Parlement. Mon sentiment est qu’il n’est pas nécessaire de modifier la Constitution sur ce point.

Je suis ravi que le verbe « garantir » vous fasse plaisir, Madame Untermaier. J’ai toujours plaisir à vous faire plaisir – et à travailler avec vous.

Vous avez demandé, en disant que c’était en souriant, s’il fallait une Convention citoyenne en ce qui concerne le parquet. C’est à la main du Président de la République. Voilà ce que je peux vous répondre.

Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Merci beaucoup, Monsieur le garde des sceaux.

J’ajoute qu’une mission flash relative à la création d’un référé spécial en matière environnementale, dont les rapporteures sont Mmes Cécile Untermaier et Naïma Moutchou, rendra ses conclusions le 10 mars prochain. Cette mission pourra éventuellement avoir des suites législatives dans le cadre du projet de loi issu des propositions de la Convention citoyenne pour le climat.

 

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