Compte rendu

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

– Audition de Mme Bérengère Abba, secrétaire d’État chargée de la biodiversité 2

– Informations relatives à la Commission..................17


Mardi 23 mars 2021

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 45

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de

Mme Laurence Maillart-Méhaignerie,

Présidente,


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La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a procédé à l’audition de Mme Bérengère Abba, secrétaire d’État chargée de la biodiversité.

Mme la présidente Laurence Maillart-Méhaignerie. Mes chers collègues, nous avons le plaisir d’accueillir Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Le moment est particulier, puisque nous allons discuter dans quelques jours, en séance publique, du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dit « climat et résilience », qui comprend des dispositions importantes en matière de biodiversité et d’aires protégées.

De fait, la lutte contre le réchauffement climatique et le combat pour la préservation de la biodiversité sont intimement liés. L’érosion alarmante de la biodiversité a donné lieu à de nombreux rapports, notamment de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). Il est urgent d’agir, d’abord à l’échelle nationale. Le plan Biodiversité adopté en juillet 2018, la création d’un nouvel opérateur – l’Office français de la biodiversité (OFB) – ou encore la création de nouveaux parcs naturels régionaux répondent à cet impératif. Toutefois, l’enjeu dépasse nos frontières. La France en est consciente, qui a adopté la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée, laquelle prend acte de la nécessité d’une action coordonnée à l’échelle internationale et implique tous les acteurs concernés.

Nous aurons plusieurs échéances importantes, dont le congrès mondial de la nature de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui se tiendra à Marseille, puis la quinzième conférence des parties à la convention sur la diversité biologique (COP15). Par ailleurs, la présidence française de l’Union européenne, qui se tiendra au premier semestre 2022, offrira l’occasion aux États membres de progresser ensemble.

Madame la secrétaire d’État, nous souhaitons donc vous entendre sur les actions que vous engagerez dans les mois à venir pour que la France soit au rendez-vous de ces échéances majeures.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. L’année 2021 sera ponctuée d’événements liés à la préservation de la biodiversité, tant sur le plan national qu’à l’échelle internationale. La crise sanitaire consécutive à la pandémie a conduit à une prise de conscience de ces enjeux, qui doit nous amener à enrichir nos politiques publiques en la matière. Nous devons aussi mobiliser l’ensemble des acteurs, publics et privés, et favoriser la participation citoyenne.

La dégradation de la biodiversité, vous l’avez dit, est sans précédent. Les chiffres de l’IPBES, le rapport Planète vivante 2020 du Fonds mondial pour la nature (WWF) ne nous invitent plus à agir mais nous y obligent. Nous devons prendre en considération dès maintenant dans nos politiques publiques la préservation de la biodiversité, qui est intimement liée au réchauffement climatique. Il importe de décloisonner ces politiques. Dans leur rapport d’information, Mmes Frédérique Tuffnell et Nathalie Bassire ont formulé quarante-neuf recommandations pour améliorer l’application de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages – dite loi « biodiversité ». Les bilans dressés par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et les autorités environnementales ont mis en évidence des insuffisances et des fragilités dans la mise en œuvre du texte. Je pense, notamment, à la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC), qui est l’un des outils majeurs à notre disposition, et qui nous appelle à réfléchir, en particulier, sur l’étendue des mesures compensatoires.

Nous avons développé plusieurs outils à la suite de l’adoption de la loi de 2016. Dans le cadre des paiements pour services environnementaux, les agences de l’eau pourront engager 150 millions d’euros sur trois ans pour aider les agriculteurs à adopter des pratiques plus respectueuses de l’environnement. Grâce au nouveau contrat créé par la loi, qui institue des obligations réelles environnementales, un propriétaire foncier peut imposer des actions de protection et de restauration de la biodiversité sur ses terrains.

Nous nous attachons à protéger les espèces et les espaces tant sur le plan national que dans le cadre des négociations internationales.

Nous soutenons la recherche et le partage de la connaissance. La préservation de l’environnement et le bien-être animal sont parfois appréhendés sous le prisme de l’émotion. Il nous faut objectiver ces sujets et poser sur eux un regard scientifique.

Il nous faut également renforcer la police et la justice de l’environnement. Ce mouvement, amorcé depuis quelques années, s’est traduit par l’adoption de la loi relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée. Le décret du 16 mars dernier a désigné les pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement au sein de chaque cour d’appel.

La gestion de l’eau, qui est un enjeu majeur, en particulier pour les collectivités locales, appelle une réflexion sur la notion de bien commun. Si nous avons, en ce domaine, un long chemin à parcourir, certaines mesures devront être prises dans l’urgence pour lutter contre le réchauffement climatique. Nous devons être particulièrement vigilants à l’égard des atteintes portées aux milieux naturels, en particulier du fait de la pollution.

Nous devons adapter nos politiques publiques concernant la chasse, la pêche et le bien-être animal, qui ont pris une place de premier plan dans le débat citoyen. Les effets de certaines pratiques sur l’agriculture, tels les dégâts de gibier, doivent faire l’objet d’un travail approfondi, à l’instar des questions de sécurité. Les pêcheurs sont nos sentinelles ; ils participent à la vigilance au quotidien et accompagnent nos dispositifs.

L’OFB, que le monde observe et commence à nous envier, doit être le bras armé de nos politiques publiques. Il est pleinement opérationnel depuis janvier, grâce au regroupement de l’Agence française pour la biodiversité (AFB) et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Ce nouvel opérateur public, fort de 2 600 agents et doté d’un budget de 516 millions d’euros, dispose de moyens substantiels pour appliquer les politiques destinées à préserver la biodiversité. Ses crédits ont été renforcés par le projet de loi de finances (PLF) et, de manière plus ponctuelle, par le plan de relance. Ses effectifs ont été consolidés par la création de quarante équivalents temps plein (ETP), qui seront affectés dans les parcs nationaux et les parcs naturels marins.

Une des difficultés était de faire naître une culture commune au sein de cette structure créée le 1er janvier 2020, qui rassemble des agents venant d’horizons et d’opérateurs différents. Un travail substantiel a été mené en matière de requalification des agents techniques, et des engagements forts ont été pris pour les accompagner dans le cadre de leur évolution de carrière et pour que leurs compétences soient reconnues. Hier, à Montpellier, avec les agents de l’OFB, nous avons précisé cette évolution et discuté des moyens de la faciliter ; au-delà de la stabilisation des effectifs, nous avons évoqué les questions de la pérennisation des postes et des requalifications.

L’année 2020 a été marquée par le lancement de la requalification des agents techniques de l’environnement (ATE) en techniciens de l’environnement (TE). Une liste d’aptitude exceptionnelle a été établie et un concours interne spécial a été organisé, qui ont permis la promotion de 274 agents techniques de l’environnement. En 2021, grâce à 274 promotions supplémentaires, près de 60 % du corps des ATE intégrera celui des techniciens de l’environnement. Par ailleurs, nous avons entendu le souhait des agents concernés de bénéficier d’un accès élargi à la voie de la promotion par la liste d’aptitude. Je l’ai confirmé hier aux agents de l’OFB : nous avons obtenu, dans le cadre d’un partenariat avec le ministère de la fonction publique, une meilleure répartition des promotions. Une importance particulière sera accordée à l’amélioration des conditions de carrière des personnels contractuels de l’environnement sous quasi-statut. L’évolution statutaire des agents est un chantier prioritaire de notre pôle ministériel. La direction des ressources humaines ministérielle travaille parallèlement avec l’OFB sur des propositions d’évolution du statut de ces personnels contractuels. Nous veillerons, dans les semaines et les mois qui viennent, à ce que ces mesures, qui ont fait l’objet d’un accord dans le cadre de l’amélioration du cadre de gestion des contractuels, évoluent positivement.

La stratégie nationale pour les aires protégées, présentée en janvier, répond à un objectif clair, réaffirmé lors du One Planet Summit par le Président de la République : 30 % du territoire français – métropole et outre-mer, espaces terrestre et marin confondus – doit être protégé, et 10 % doit faire l’objet d’une protection forte. Conformément à la conception française de la protection, il s’agit de nourrir la plus haute ambition environnementale tout en permettant la présence des activités humaines. Nous prônons un retour à l’équilibre en faisant une place à des pratiques qui n’ont pas d’effet négatif sur l’environnement

Nous avons déployé cette stratégie au moyen de plans d’action triennaux opérationnels. Le premier d’entre eux prévoit, entre autres, la mise sous protection forte de 250 000 hectares de forêts, la création de deux parcs naturels régionaux, le placement sous protection de 6 000 hectares de notre littoral, ou encore l’intégration de 75 % des récifs coralliens au réseau des aires protégées, l’objectif étant de tous les inclure d’ici à 2025. Un travail est en cours pour adapter les outils et renforcer les réseaux.

Nous avons la ferme volonté de territorialiser la stratégie, car l’État n’a évidemment pas vocation à agir seul. Ceux d’entre vous qui ont fait l’expérience, sur leur territoire, de pratiques associant acteurs et élus à la définition de périmètres et à l’élaboration de chartes de protection des aires, connaissent la richesse de ces concertations. Je souhaite consolider la territorialisation de la stratégie par des contrats associant les élus à la gouvernance et au fonctionnement de ces dispositifs. Ces chartes permettront d’accompagner les collectivités dans la phase d’identification des périmètres des aires protégées et leur offriront la possibilité d’être associées à leur gestion. L’objectif est de renforcer les formes d’intervention à tous les niveaux de collectivités.

L’article 57 du projet de loi « climat et résilience » rétablit le droit de préemption sur les espaces naturels sensibles ; grâce à des initiatives parlementaires, que je salue, ce droit a été étendu, en particulier aux dons, lorsque ceux-ci ne sont pas pratiqués entre ascendants et descendants ou collatéraux. Cette mesure était attendue ; les départements s’en réjouissent.

La biodiversité concerne toutes nos politiques, la finance comme l’éducation, la défense nationale, qui déploie ses propres projets, comme l’agriculture, la santé comme les transports. L’une des missions que je m’assigne est de décloisonner nos politiques et de faire en sorte que ces enjeux soient pris en considération à l’échelle interministérielle.

La stratégie nationale pour la biodiversité animera nos réflexions tout au long de l’année 2021. Je fais actuellement la tournée de toutes les régions de France, où je participe à des comités régionaux de la biodiversité pour recueillir l’expérience des élus et des acteurs sur l’application de nos politiques et de nos dispositifs. Ce matériau sera soumis aux instances nationales et aux experts afin que la prochaine stratégie nationale 2021-2030 parte de l’expérience concrète, du réel, et que nous levions les freins existants. Il faut renforcer le déploiement des outils de préservation de la biodiversité dans tous les territoires, tant au sein des collectivités que dans la sphère publique, les associations et les entreprises.

À l’issue de cette première phase territoriale, l’application de la stratégie nationale fera l’objet d’une deuxième séquence centrée sur la participation citoyenne. Le site biodiversité.gouv.fr doit ouvrir dans les heures qui viennent. Cette plateforme offrira un socle de connaissances sur la biodiversité, grâce à l’agrégation des ressources disponibles. On y trouvera les moyens d’agir en faveur de la nature. Chacun pourra contribuer à l’élaboration de la stratégie nationale en déposant sa contribution, soit en tant que représentant d’une association ou d’un corps constitué, soit à titre individuel.

La stratégie nationale se poursuivra au sein des instances nationales, qui se prononceront sur les préconisations émanant du terrain et des citoyens. Elle fera l’objet d’une première présentation lors du congrès mondial pour la nature de l’UICN, à Marseille. Nous pourrons peut-être amender le volet international de ce texte à l’issue de la COP15 sur la biodiversité, en octobre prochain. La stratégie sera présentée à la toute fin de 2021.

Ce calendrier nous appelle à veiller à la cohérence entre les politiques publiques, qui s’inscriront dans un cadre interministériel renforcé, et les financements que nous leur apportons – grâce au PLF, au plan de relance et à la création d’ETP –, mais aussi entre notre action nationale et internationale.

La politique de l’eau fait l’objet d’un certain nombre de réflexions dans les territoires. Elle donne parfois lieu à des tensions car nous sommes confrontés, en raison du réchauffement climatique, à une pression sur la ressource en eau. Celle-ci doit nous amener à reconsidérer les besoins et les usages. C’est l’objet de notre politique d’anticipation, à laquelle nous réfléchissons localement, notamment par la définition des projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE). Ces derniers doivent offrir un cadre de discussion apaisé entre les acteurs. La réflexion se poursuit également outre-mer, où il nous faut relever un certain nombre de défis.

La forêt est également très présente dans nos réflexions, qu’il s’agisse de la filière bois ou, plus encore, de son évolution, alors qu’elle est en proie à des épisodes de sécheresse répétés et que son écosystème est soumis à diverses pressions. Nous menons un travail en lien avec le ministère de l’agriculture sur la nécessité de diversifier les essences de la sylviculture. Le contexte climatique doit nous conduire à faire évoluer la gestion de ces espaces et à définir des politiques plus volontaristes.

Nous travaillons aussi sur les questions relatives à la chasse. Nous réfléchissons tout particulièrement en ce moment aux dégâts de gibier. Les chasseurs et les agriculteurs se sont concertés pour proposer au Gouvernement des mesures destinées à marquer un coup d’arrêt à ces dégâts sans précédent qui demandent une action ferme et résolue. Nous poursuivons également nos réflexions sur la sécurité. Nous savons tous qu’il faut être constamment vigilants pour éviter les accidents, qui continuent de se produire. Le cadre existant doit être renforcé. Nous travaillons sur la gestion adaptative, qui me semble essentielle. Même si sa gouvernance demande à être précisée et apaisée et que ses outils exigent peut-être d’être renforcés, nous avons, je crois, un bel instrument d’apaisement dans la pratique, avec des références scientifiques permettant d’évoluer.

Nous partageons les questions relatives à la mer avec le ministère du même nom. Nous sommes conduits à des réflexions intenses, quand on connaît les épisodes de capture accidentelle de cétacés ou les pressions sur les enjeux économiques et de préservation de la biodiversité. Cela représente un important travail interministériel, qui s’inscrit dans un cadre communautaire.

Se posent également des questions de police. Une concertation a eu lieu entre la chancellerie et les services de la gendarmerie. Je salue, à ce sujet, le directeur général de la gendarmerie nationale, M. Christian Rodriguez, dont le travail a permis aux agents de l’environnement de bénéficier de nouvelles compétences en matière de police judiciaire. Ils pourront ainsi mener des enquêtes de bout en bout et auront plus de facultés pour agir. Ce gain de réactivité sur le terrain était essentiel.

Enfin, il nous appartient de préserver les moyens importants dont nous disposons. Alors que nous avons obtenu des moyens sans précédent, il convient de veiller particulièrement aux moyens humains. De fait, l’accompagnement de la montée en puissance des politiques publiques de préservation de l’environnement et de la biodiversité ne se fait pas qu’avec des moyens budgétaires.

L’année 2022 verra donc une très forte mobilisation : UICN, COP15, présidence française de l’Union européenne. Nous travaillerons, dans ce dernier cadre, sur la question du contentieux, pour faire œuvre d’exemplarité, ainsi que sur d’autres dossiers, notamment sur la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée, qui se décline à l’échelle européenne. Des entreprises ont pris un engagement très fort pour travailler avec des filières qui ne contribuent pas à la déforestation à l’autre bout du monde, et des outils seront mis à la disposition du grand public et des entreprises pour vérifier les produits et les filières d’approvisionnement. Nous poursuivrons aussi, dans le cadre de REACH et de REACH UP, tout un travail sur les produits chimiques, qui doit trouver des déclinaisons à l’heure où les Français sont plus que jamais sensibles aux questions de santé environnementale. Il nous revient de trouver des réponses et d’être les plus avisés possible.

Après plusieurs décennies de prise de conscience et de déploiement de politiques publiques sur le réchauffement climatique, la question de la biodiversité a pris toute sa place. Il va nous falloir la décliner et la renforcer, ce qui nous conduira à poursuivre notre conversation dans les temps qui viennent.

M. Sylvain Templier (LaREM). C’est un grand honneur pour moi de porter la parole de notre groupe, et aussi beaucoup d’émotion – chacun ici comprendra pourquoi… La crise sanitaire que nous traversons depuis plus d’un an a démontré, une fois de plus, les liens de causalité entre la détérioration de la biodiversité et l’émergence de pandémies. En octobre dernier, l’IPBES précisait que 70 % des pandémies récentes étaient d’origine animale. Mais, nous le savons, les causes initiales sont en réalité liées à l’activité humaine : destruction d’habitats naturels, braconnage, artificialisation, commerce illégal. Vous l’avez rappelé, la protection de la biodiversité est un véritable impératif. Protéger la faune et la flore est un défi qui dépasse nos frontières et qu’il convient d’appréhender de manière globale, en concertation avec le reste du monde.

L’année 2022 sera marquée par des événements internationaux sur le sujet : COP15 sur la biodiversité en octobre ; en juin, la France présidera la quarante-troisième réunion consultative du traité sur l’Antarctique ; en septembre, le Congrès mondial de la nature se déroulera à Marseille. Ces grands événements doivent être l’occasion de rappeler l’importance de l’approche One Health, liant santé environnementale, santé animale et santé humaine. Comment, dans ce cadre international, la France fera-t-elle avancer ces sujets ?

Par ailleurs, si les échelons mondiaux et européens sont bien évidemment indispensables, à l’échelle nationale, nos décisions peuvent aussi peser lourdement. L’UICN a récemment mis à jour sa liste rouge : 13 842 espèces sont désormais surveillées et près de 20 % sont considérées comme menacées. Une telle dégradation appelle une amplification de nos politiques. Des actions ont été lancées, comme le plan Biodiversité ou la stratégie nationale pour les aires protégées. Je me réjouis d’ailleurs de la création prochaine de la réserve intégrale du parc national de forêts, qui nous est si cher, Madame la secrétaire d’État. Je sais votre implication dans la stratégie de lutte contre la déforestation importée. Nous entendons sur le terrain l’importance de sensibiliser le public à la préservation de la biodiversité, tout autant que d’assurer une politique efficace de l’environnement. Alors que la troisième stratégie nationale pour la biodiversité est en cours de construction, quels moyens et quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il afin de répondre à l’urgence de la situation ?

M. Emmanuel Maquet (LR). Parmi les enjeux majeurs relatifs à la biodiversité en France, j’en ai retenu deux qui me semblaient particulièrement alarmants. Devant Dunkerque, au large de Fécamp ou de l’île d’Yeu, dans la baie de Saint-Brieuc et devant Dieppe-Le Tréport, comme partout en Europe, les projets de parcs d’éoliennes en mer auront un impact désastreux sur des écosystèmes particulièrement fragiles. Comment pourrait-on défendre la biodiversité, quand on se prépare à causer des dégâts irréversibles en mer au nom de choix énergétiques absurdes ? Aucune époque, aucune génération n’avait encore réussi l’exploit de dénaturer nos océans. Arrêtons le massacre ! Qui plus est, ces parcs auront un effet désastreux sur le tourisme et, partant, sur l’économie de nos territoires maritimes, en détruisant des paysages qui font toute la renommée des sites naturels. Il est urgent d’agir.

Deuxième enjeu majeur : la chasse. Notons, avant toute chose, le véritable climat de défiance envers nos chasseurs, que je ne peux tolérer. La réforme de la chasse intervenue en juillet 2019 n’a pas porté ses fruits et présente de graves dysfonctionnements. Citons, par exemple, l’actuelle paralysie du comité d’experts sur la gestion adaptative (CEGA), dont la création résulte d’une promesse faite par le Président de la République à la Fédération nationale des chasseurs. Aucune dérogation de régulation n’a été accordée afin de rendre possible, notamment, la chasse aux oies cendrées en février. Les Européens du nord se plaignent d’une surpopulation d’oies. Or, en France, haut lieu de passage de ces oiseaux migrateurs, la chasse à l’oie est interdite dès le mois de février, ce qui pose problème, étant donné qu’elles retournent sur leur lieu de nidification vers la fin de ce mois. Aux dégâts causés par la surpopulation de ces oiseaux, les autorités néerlandaises répondent de la pire des manières, en en gazant environ 150 000 par année, selon la Commission européenne. Que compte faire le Président à ce sujet ?

Le CEGA ne semble recommander que des arrêts de chasse et demeure le lieu de difficiles débats, où les chasseurs ont toujours plus de difficultés à exprimer leur position. Où est le dialogue tant promis lors de sa création ? La chasse a une réelle vocation de préservation de l’environnement et d’aménagement du territoire, en partenariat avec les agriculteurs et les collectivités locales. Quelles actions comptez-vous engager afin d’incarner la réforme de la chasse tant souhaitée par les fédérations et promise par le Président ?

Le temps m’est hélas compté, mais j’aurais aimé vous parler de la pollution des océans et de celle de l’espace, qui devraient occuper une place de plus en plus importante dans les débats futurs.

M. Jimmy Pahun (Dem). Monsieur Maquet, soit dit en passant, nous avons déjà des retours de vingt-cinq voire trente ans d’expérience sur les éoliennes en mer.

Madame la présidente, je vous remercie d’avoir insisté pour faire passer, lors de l’examen du projet de loi « climat et résilience », l’amendement sur l’hyperfréquentation des sites protégés. Je me suis permis d’appeler des professionnels des îles du Ponant, qui ont à leur tour contacté leurs collègues de Port-Cros. Ils sont très touchés par ce que nous avons fait. Mais quels moyens pourrons-nous donner aux maires pour maîtriser l’hyperfréquentation de leurs sites ?

Concernant l’article 58, que j’avoue ne pas très bien maîtriser, du projet de loi « climat et résilience » et la question du recul du trait de côte, on a peut-être favorisé les établissements publics fonciers aux dépens des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER), pour la relocalisation d’espaces agricoles. Il y a deux ans, nous avons voté une loi sur le foncier agricole en zone littorale. Il est important que ce foncier agricole, plus particulièrement ostréicole, puisse être prioritaire dans les relocalisations.

Enfin, Madame la secrétaire d’État, j’ai besoin de vous pour m’aider à défendre un amendement sur le polystyrène, qui est une vraie catastrophe et qui échappe aux machines à tri mécanique. N’ayant pas réussi à le faire passer en commission, où il a été jugé irrecevable, je voudrais que l’on se donne les moyens de le discuter en séance. Ce serait une belle avancée pour les membres de la Convention citoyenne pour le climat (CCC).

J’essaierai de mener un travail plus poussé sur les économies de 50 millions de tonnes de gaz à effet de serre que nous pourrions faire à l’échelle internationale, en réduisant la vitesse des navires de commerce.

Mme Valérie Petit (Agir ens). Madame la secrétaire d’État, je suis ravie de parler de biodiversité, quand on n’a parlé que de climat dans la commission spéciale. Je vous remercie pour votre panorama des actions de la France. Vous l’avez rappelé, c’est la France qui présidera l’Union européenne à partir du mois de janvier 2022. La question de la finance durable sera un chapitre important de sa présidence. La directive sur la publication d’informations extra-financières (NFRD) doit ainsi être révisée. Comment rattraper le retard pris par la biodiversité par rapport au climat sur les questions financières ?

La Caisse des dépôts a développé toute une méthodologie pour mesurer l’empreinte biodiversité des entreprises, grâce au Global Biodiversity Score (GBS). Cette méthodologie est au point et des entreprises s’engagent. Mais, au moment où l’on fait preuve de beaucoup d’exigences sur le bilan des émissions de gaz à effet de serre, j’ai l’impression que l’on est un peu en retard pour ce qui est de la mesure de l’empreinte biodiversité. Avez-vous pour intention d’en favoriser le développement dans la performance extra-financière des entreprises, afin de soutenir des projets qui ont un impact positif sur les territoires ?

Par ailleurs, il est très important de donner aux investisseurs des indicateurs de mesure de l’impact des activités économiques sur la biodiversité pour qu’ils puissent faire des choix plus vertueux. Ce combat fait-il également partie de votre feuille de route ainsi que de celle de Mme Olivia Grégoire ?

Enfin, le projet de loi « climat et résilience » fixe des objectifs très ambitieux pour les acteurs économiques et les collectivités. Maintenant que nous avons des méthodes de mesure, ne pourrait-on pas développer un marché « biodiversité » à l’image du marché carbone, pour doper l’offre de produits en faveur de la biodiversité ?

M. Guy Bricout (UDI-I). Le récent bilan de la liste rouge des espèces menacées en France, dressée par l’UICN, l’OFB et le Muséum national d’histoire naturelle est sans appel : 17,6 % des espèces de faune et de flore sont menacées en France, et la situation s’est dégradée lors des treize dernières années, lourdement pour certaines espèces. L’ONG Global Canopy estime que les apports financiers mondiaux en faveur de la préservation de la biodiversité s’élèvent à 124 milliards de dollars par an, alors qu’il en faudrait six fois plus. L’OCDE, pour sa part, a rappelé que chaque année les investisseurs attribuaient 500 milliards de dollars à des projets détruisant la biodiversité. Comment percevez-vous les choses, Madame la secrétaire d’État ? Comment faire en sorte que les apports financiers mondiaux deviennent, d’une part, plus traçables et, d’autre part, plus conséquents en faveur de la biodiversité ? Comment mieux sensibiliser à l’échelle mondiale les grands acteurs de la finance ?

Citons, par ailleurs, un exemple assez flagrant du manque de cohérence qui freine notre efficacité : les forêts sont totalement absentes du projet de loi « climat et résilience ». Quid de la sensibilisation et, partant, de l’éducation à la biodiversité dès le plus jeune âge ? Vous penchez-vous sur cette question ? Avez-vous des pistes d’évolution ?

La quinzième réunion de la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique doit se tenir en octobre à Kunming, en Chine. Quel message la France compte-t-elle porter à cette occasion ?

Au sein de nos territoires, nombre d’associations font un travail formidable de prévention et de sensibilisation au service de la biodiversité. Elles ont énormément souffert de la crise. Votre ministère a-t-il prévu des soutiens particuliers ? Comment allez-vous travailler avec les collectivités locales pour les impliquer au mieux dans les nouvelles stratégies ?

Enfin, quid des aires marines protégées ? Des spécialistes s’interrogent sur les choix faits en métropole, alors que les enjeux sont également très importants dans l’Atlantique ou en Méditerranée. Que leur répondez-vous ?

Mme Jennifer De Temmerman (LT). Nous saluons les crédits du plan de relance dédiés à la reconquête de la biodiversité sur notre territoire et à la lutte contre l’artificialisation des sols, mais ils ne nous font pas perdre de vue les nombreux renoncements en matière de protection de la biodiversité depuis le début du quinquennat. Malgré la promesse du candidat M. Macron d’interdire le glyphosate, cet herbicide classé parmi les substances cancérogènes probables par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’est toujours pas banni en France. Pire, les néonicotinoïdes, interdits par la loi en 2016, ont été réautorisés en novembre dernier – pour une durée certes limitée, mais leur impact sur la biodiversité sera durable.

Quant aux mesures prévues dans le projet de loi « climat et résilience », elles nous semblent insuffisantes pour pallier notre impact croissant sur les écosystèmes. Comment envisager la résilience sans considérer la biodiversité ?

Nous regrettons que le sujet essentiel de la forêt soit absent de ce texte. En commission, la ministre de la transition écologique nous a fait part de sa volonté d’aborder cette question, mais la majorité des amendements à ce sujet ont été déclarés irrecevables. Allez-vous faire de nouvelles propositions visant à mieux protéger nos bois et leur biodiversité ?

La question du plastique a également été oubliée. Au-delà du développement du vrac, qu’allez-vous faire pour lutter contre ce fléau ?

Pour finir, je souhaite évoquer un sujet qui me tient à cœur : l’éducation à l’environnement et au développement durable en milieu scolaire. Allez-vous renforcer les moyens destinés aux professeurs, pour que la sensibilisation aux enjeux écologiques ne reste pas un vœu pieux ? J’avais déposé un amendement visant à encourager les activités périscolaires dans ce domaine et à favoriser la création d’associations environnementales scolaires, qui jouent un rôle essentiel dans le financement de ces activités, mais il a malheureusement été jugé irrecevable au titre de l’article 45 de la Constitution. J’espère que nous pourrons en discuter en séance.

M. Loïc Prud’homme (FI). Nous vivons la sixième extinction de masse de la biodiversité. En quinze ans, un oiseau sur trois a disparu des campagnes françaises, et les populations d’insectes volants ont diminué de 80 % en trente ans en Europe. Ce constat est devenu presque banal, il est pourtant glaçant. Sans protection de la biodiversité, il est illusoire de vouloir lutter contre le changement climatique.

Que ce soit dans le plan France relance ou dans le projet de loi « climat et résilience », le Gouvernement a considéré la protection de la biodiversité comme un enjeu tout à fait secondaire. Bien sûr, dans la communication officielle, vous vous targuez des milliards consacrés à la biodiversité dans le plan France relance. Mais quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit que cette enveloppe vise aussi à financer la rénovation de canalisations d’eau, le renforcement de barrages, la création d’un parc immobilier ou l’achat d’équipements destinés à l’agriculture intensive. Quel est le lien avec la biodiversité ?

Le projet de loi « climat et résilience » passe complètement à côté de la cible. Vous avez refusé nos propositions d’amélioration du texte concernant la protection des forêts ou la lutte contre l’artificialisation des sols. Les acteurs de la protection de la biodiversité – comme l’Office national des forêts (ONF) – manquent de moyens, tandis que le Gouvernement finance des projets destructeurs avec le plan de relance. Les projets de méga-entrepôts pour
le e–commerce ne font toujours pas l’objet d’un moratoire. Vous autorisez de nouveau les néonicotinoïdes et faites sauter toutes les barrières juridiques visant à protéger l’environnement dans le cadre de travaux d’aménagement.

La biodiversité bénéficie en réalité de moins de 1 milliard d’euros, soit moins de 1 % du plan de relance, tandis que des milliards sont injectés dans les industries automobile et aéronautique, qui la menacent directement.

En septembre dernier, l’ONU a souligné la nécessité d’un renforcement de la prise en compte de la biodiversité dans tous les secteurs économiques, ainsi que l’insuffisance des efforts des États dans ce domaine. Pouvez-vous engager le Gouvernement sur des objectifs chiffrés pour enrayer l’effondrement de la biodiversité qui se déroule sous nos yeux, dans un silence assourdissant ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Monsieur Templier, l’approche One Health est impérative. Nous devons absolument adopter une vision plus transversale de la santé humaine, animale et environnementale. La crise sanitaire que nous connaissons nous le rappelle.

La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) définit une stratégie et des objectifs de diversification du mix énergétique. Les projets réalisés au cours des dernières décennies ont fait l’objet d’études d’impact, de débats publics et nous permettent de bénéficier d’un retour sur expérience. Nous devons avancer en respectant un certain équilibre. L’urgence climatique et environnementale nous pousse à abandonner progressivement certaines énergies, notamment fossiles, au profit de nouvelles technologies, mais nous restons très vigilants quant à l’impact des nouveaux parcs éoliens en mer.

Monsieur Maquet, le CEGA est un outil très récent, qui aura un rôle essentiel pour décrisper les débats et nous apporter un éclairage scientifique sur l’état des populations. Il doit encore trouver son équilibre, la gestion adaptative étant elle-même une notion nouvelle. S’agissant des oies, un plan de gestion européen doit être adopté en juin. La France prend une part active aux réflexions menées par la plateforme internationale, qui permettront d’éclairer les choix et peut-être d’augmenter les prélèvements et de valider des quotas par pays. Le débat doit être dépassionné et éclairé scientifiquement.

Monsieur Pahun, l’amendement que vous avez proposé sur les polystyrènes n’a pas trouvé sa place dans le projet de loi « climat et résilience ». Cette réflexion doit être menée au niveau européen. Les produits plastiques ont été évoqués dans la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, et la directive sur les plastiques à usage unique fournit un cadre renforcé pour mener une politique volontariste. Toutefois, les interdictions risquent d’être facilement contournées, ou se verraient annulées si elles étaient contraires à la directive sur les emballages. Le chemin est étroit, mais nous devons trouver des réponses satisfaisantes au sujet de ces polymères.

Madame Petit, vous m’avez interrogée sur la finance verte. Comme vous, je constate notre difficulté à définir des indicateurs pour évaluer les retombées de certaines activités ainsi que l’impact des mesures mises en œuvre pour réduire nos impacts sur la biodiversité. Le Global Biodiversity Score, développé par CDC Biodiversité, est l’un de ces outils qui font référence. D’autres initiatives, nationales et internationales, visent à mieux préciser ces indicateurs. Le chantier est en cours, mais beaucoup d’efforts ont été faits, ces dernières années, en matière de finance verte. La transparence sur les investissements a été instaurée par l’article 173 de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Des produits financiers exemplaires ont été créés, tels que les obligations assimilables du Trésor (OAT) vertes, lancées en 2017. Différents labels valorisent ces investissements. Avec le reporting extra-financier et le devoir de vigilance au niveau européen, tous ces instruments se structurent et prennent forme. Cependant, nous devons rester vigilants au sujet de la biodiversité, qui est parfois plus complexe à mesurer que le réchauffement climatique, en raison de l’imbrication des enjeux.

Monsieur Bricout, notre position lors de la COP15 sera fondée sur la cohérence entre ce que nous déployons au niveau national et ce que nous défendrons au niveau international. Il faut prendre en considération les contextes internationaux différents de la situation française, pour ne pas empêcher les actions ou les démarches de changement positives au niveau international. Nous serons très ambitieux s’agissant des aires protégées et de la prise en compte de la biodiversité par la finance verte. Nous savons que la France est très observée, nous devons éclairer le chemin.

Madame De Temmerman, le projet de loi « climat et résilience » est essentiellement consacré aux questions climatiques. Les sujets liés à la biodiversité, à l’eau et à la forêt méritent bien plus que quelques dispositions dans ce texte. Lorsque j’ai été nommée au Gouvernement, j’ai envisagé de réunir une convention citoyenne sur la biodiversité, mais le calendrier ne permettait pas d’espérer une traduction législative de ces travaux. Plutôt que d’attendre des horizons incertains, il nous a semblé plus opportun d’investir la stratégie nationale pour la biodiversité et de renforcer la concertation, afin de permettre le débat et d’activer quelques leviers au service de cette stratégie. Je ne doute pas que les parlementaires prendront toute leur place dans cette réflexion et qu’ils n’hésiteront pas à proposer les mesures législatives nécessaires à la mise en œuvre de cette stratégie.

L’éducation au développement durable est au cœur de nos travaux. Il y a quelques semaines, j’ai présenté, avec M. Jean-Michel Blanquer, un kit de négociation internationale pour que les élèves puissent jouer le rôle de négociateurs des stratégies pour la biodiversité au sein de l’UICN et de la COP15. Je crois que les élèves y prennent beaucoup de plaisir, et que ces outils mis à la disposition des équipes pédagogiques rencontrent un certain succès. Nous entendons renforcer les moyens consacrés à l’éducation au développement durable au sein de l’éducation nationale.

Je répondrai aux questions de M. Prud’homme par écrit, puisqu’il a dû quitter la réunion du fait d’une contrainte d’agenda.

M. Yannick Haury. Nous avons adopté, le 29 janvier dernier, la proposition de loi visant à lutter contre la maltraitance animale. Un délai de sept ans a été décidé pour l’application de l’interdiction de la captivité des dauphins. Que deviendront alors les vingt et un dauphins qui se trouvent aujourd’hui dans les parcs zoologiques de Planète sauvage, dans ma circonscription, et du Marineland d’Antibes ? Ces dauphins, nés en captivité, ne peuvent pas être réintroduits dans leur milieu naturel. Où allons-nous les transférer ? Bénéficieront-ils de la même qualité de soin dans les sanctuaires évoqués ? Avec quels moyens seront financés ces refuges ?

Ces questions n’ont pas reçu de réponse précise. Lors de la première lecture, vous vous êtes fermement engagée à une concertation avec les professionnels afin d’aboutir dans un délai de trois mois suivant la promulgation de la loi. Alors que la navette parlementaire se poursuit, la concertation a-t-elle commencé ? Où en sont ces travaux ? Il serait utile que nous disposions de ces éléments en vue de la poursuite des débats.

M. David Lorion. La charte du parc national de La Réunion fixe l’objectif ambitieux d’inverser la tendance à la perte de biodiversité. Cette perte est liée, en majeure partie, aux invasions biologiques végétales – vous le savez pour avoir visité la forêt des Makes lors de votre déplacement sur l’île.

La note de l’UICN fait référence au problème des espèces invasives. Un programme opérationnel de lutte contre les invasives (POLI) a été approuvé, et une stratégie de priorisation des actions de lutte et de restauration a été consolidée. Une nouvelle liste d’espèces interdites sera-t-elle publiée ? Quand deviendra-t-elle applicable ? Quels moyens supplémentaires sont prévus pour la surveillance des frontières insulaires par les douanes ?

Mme Aude Luquet. Je suis engagée en faveur de la protection des arbres, aux côtés du conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) de Seine-et-Marne, de l’association ARBRES et du groupe national de surveillance des arbres (GNSA).

Dans le cadre de l’examen du projet de loi « climat et résilience », j’ai déposé trois amendements relatifs à la protection des arbres en dehors des forêts, qui ont été jugés irrecevables. Le premier visait à permettre le classement d’arbres remarquables au titre des sites patrimoniaux remarquables, le deuxième à réaliser un inventaire de notre patrimoine arboré remarquable dans le cadre d’un atlas des paysages, et le troisième à obtenir un décret d’application de l’article L. 350-3 du code de l’environnement, qui protège les alignements et allées d’arbres des abattages.

Si la protection de notre patrimoine arboré hors des forêts n’a pas sa place dans ce projet de loi, par quels moyens pourrons-nous faire avancer cette cause ?

M. Gabriel Serville. L’industrie aurifère est à l’origine de trente accidents majeurs ces trente dernières années, dont celui de janvier 2000 à Baia Mare, en Roumanie, pire désastre écologique en Europe depuis Tchernobyl. En France, nous sommes confrontés aux conséquences désastreuses de l’utilisation de substances toxiques par l’industrie minière, comme c’est le cas à Salsigne, considéré comme le site le plus pollué du pays.

Alors qu’une douzaine de solutions de remplacement existent, dont le thiosulfate, déjà utilisé avec succès en Guyane, les industriels refusent de renoncer au cyanure en raison d’objectifs de rentabilité manifestement incompatibles avec nos intérêts environnementaux et de santé publique. Tous les gros projets miniers en Guyane prévoient son utilisation, comme si nous ne retenions aucune leçon des désastres écologiques et sanitaires qui se sont produits dans les pays voisins – en 1995 au Guyana et en 2015 au Brésil –, où des dizaines de milliers de riverains ont été empoisonnés par des boues cyanurées.

Plusieurs pays européens ont interdit cette technologie dans les mines. Par deux fois, le Parlement européen a voté cette interdiction. Pourtant, mes amendements au projet de loi « climat et résilience » tendant à l’interdiction du cyanure ont tous été rejetés, alors que le sujet devrait faire consensus.

Mme Stéphanie Kerbarh. En Sologne, les clôtures autour de plusieurs grandes propriétés contribuent à la fragmentation des espaces naturels. En créant des barrières physiques, elles empêchent le déplacement de la faune sauvage. De plus, ces clôtures entraînent une mortalité directe de la faune par collision ou écrasement.

La Sologne est une terre de chasse. Son engrillagement conduit à une chasse faussée, puisqu’il retient le gibier dans un enclos, sans possibilité de s’échapper. Il ralentit également l’arrivée des secours en cas d’incendie.

Quelles mesures votre ministère compte-t-il prendre pour permettre à la faune sauvage de se déplacer librement ?

M. Jean-Pierre Vigier. Il faut tout mettre en œuvre pour protéger la biodiversité : c’est une richesse et un atout qui permet d’assurer un développement culturel, touristique et environnemental de notre territoire, notamment dans les zones rurales. Cependant, tous nos voisins européens n’adoptent pas les mêmes mesures, ce qui entraîne des distorsions de concurrence et nuit à la compétitivité des entreprises françaises, parfois amenées, malheureusement, à délocaliser certaines activités dans d’autres pays. Comment appliquer au niveau européen les mesures prises par la France pour protéger la biodiversité ?

Mme Nathalie Sarles. D’année en année, des substances de plus en plus nombreuses sont rejetées dans les cours d’eaux et polluent les milieux aquatiques. Ne pourrait-on pas envisager un dispositif, sur le principe pollueur payeur, permettant le versement d’une redevance aux agences de l’eau et d’une contribution aux collectivités afin de lutter contre les micropolluants ? Bien que le projet de loi « climat et résilience » n’ait pu aborder le sujet, ne pensez-vous pas nécessaire d’aller plus loin dans ce domaine ?

Mme Yolaine de Courson. Près de 200 députés de tous les groupes se sont mobilisés pour amender le projet de loi « climat et résilience » afin de sauvegarder la forêt française – certains d’entre eux se sont d’ailleurs exprimés aujourd’hui. Tous leurs amendements ont cependant été déclarés irrecevables, soit qu’ils créent une charge, soit qu’ils aient été considérés comme des cavaliers législatifs.

La forêt française est jeune et très éloignée de son optimum écologique, comme de sa capacité maximale de stockage du dioxyde de carbone. Avec 79 % d’arbres de moins de 100 ans, moins de 1 % de nos forêts sont classées « réserves biologiques intégrales ». Moins de 20 % de nos écosystèmes forestiers remarquables sont dans un état de conservation favorable. Nous repoussons chaque année l’objectif de la convention sur la diversité biologique visant à mettre fin à l’érosion de la biodiversité.

Pour ce qui concerne l’industrialisation de la forêt, 84 % des nouvelles plantations sont monospécifiques – il s’agit, pour 87 % d’entre elles, de résineux. En tant qu’élue de la ruralité, je suis favorable au développement de la filière bois et au recours aux savoir-faire locaux. Je perçois cependant tous les risques qu’une trop forte industrialisation de la forêt ferait peser sur nos territoires. Pouvez-vous rappeler la cohérence du projet gouvernemental dans ce domaine ?

Mme Élisabeth Toutut-Picard. Vous avez déjà largement répondu à ma question, qui portait sur la façon dont votre ministère prend en compte le concept « Une seule santé » dans ses travaux, aux niveaux territorial, national, européen et international.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. J’en profite pour saluer votre travail sur le sujet : il est connu et reconnu.

M. Alain Perea. Je m’exprime en tant que coprésident du groupe d’études « Chasse, pêche et territoires ».

Vous avez longuement évoqué, à juste titre, l’enjeu de la sécurité. Je souligne cependant que les accidents de chasse ont diminué de 30 % cette année. Avec ma collègue Mme Martine Leguille-Balloy, nous avons rédigé un rapport d’information sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales. Le phénomène d’entrave pose des questions de sécurité pour la chasse. Comment comptez-vous y répondre ?

Lors de l’examen du projet de loi portant création de l’OFB, nous avons écarté de nombreux amendements visant à permettre au CEGA de s’autosaisir de la gestion adaptative de certaines espèces. Pouvez-vous confirmer que l’approche actuelle sera maintenue et que les autosaisines demeureront impossibles ?

Enfin, s’agissant de la pêche, que pensez-vous de la gestion des cormorans, qui pose de nombreux problèmes ?

Mme Nathalie Bassire. Alors que les espèces exotiques envahissantes sont l’une des principales causes de l’érosion de la biodiversité mondiale, plusieurs centaines de plantes introduites menacent la biodiversité et les paysages uniques de l’île de La Réunion. Un tiers des espèces indigènes sont menacées de disparition. Les espaces boisés classés, censés participer à la sauvegarde de notre biodiversité, sont eux aussi envahis d’espèces exotiques envahissantes.

Un agriculteur dont une partie de l’exploitation est classée en espace boisé ne peut que procéder à l’arrachage à la main des espèces envahissantes, une opération qu’il devra renouveler tous les quatre ou cinq mois s’il veut protéger la forêt, véritable pharmacopée, contenant des arbres endémiques. Cet arrachage insurmontable pourrait être remplacé par l’agropastoralisme. L’association de l’élevage et de l’agriculture favoriserait une agriculture saine et durable, tout en luttant contre les espèces invasives. En l’état actuel du droit, cette méthode est toutefois rendue impossible. Soutiendrez-vous une évolution en la matière ?

M. Fabien Lainé. Madame la secrétaire d’État, j’ai eu l’occasion d’échanger avec vous, accompagné d’Alain Perea, en tant que coprésident du groupe d’études « Chasse », devenu « Chasse, pêche et territoires ». Merci pour vos propos sur la chasse et la pêche. Nous sommes entièrement d’accord avec vous sur le fait qu’il faut objectiver les choses et adopter un regard beaucoup plus scientifique pour lutter contre les caricatures.

Je souhaiterais vous faire réagir aux deux résolutions qu’ont votées le Conseil de Paris et le conseil communautaire de Grenoble contre la pêche au vif. Une fois de plus, on est dans l’exagération et la caricature. Les membres de ces conseils se trompent de combat car ce sont souvent des urbains, qui connaissent la nature par les reportages militants d’Hugo Clément mais ne la pratiquent pas – nous les accueillerons bien volontiers dans les Landes ! En tant que secrétaire d’État chargée de la biodiversité, il serait bon que vous réagissiez en appelant à objectiver le débat.

Enfin, j’aimerais avoir votre avis sur la lutte contre les perturbateurs endocriniens, qui est un vrai combat. Nous pourrions améliorer le traitement des eaux usées dans les stations d’épuration : il suffirait de modifier la réglementation.

Mme Danielle Brulebois. Les parcs nationaux et les parcs naturels régionaux ont été créés pour préserver la richesse naturelle et la biodiversité de certains sites. Quant aux opérations « Grand site », elles visent à protéger des paysages exceptionnels. Ces outils datent un peu. Ont-ils été évalués ? Comptez-vous en développer de nouveaux ? Par ailleurs, les députés sont actuellement éloignés du processus de sélection. Pourraient-ils être associés à ces opérations ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. À ce jour, quatre orques et vingt et un dauphins sont concernés par la fin des delphinariums en France. M. Haury l’a dit, les meilleures conditions d’accueil doivent être assurées à ces animaux qui ne peuvent survivre dans la nature après tant d’années de captivité. Sur ce sujet, une concertation est actuellement menée avec les équipes, dont on connaît l’attachement à ces animaux avec lesquels elles travaillent depuis des années. Je rappelle que les délais avant l’interdiction effective de détention sont de sept ans pour les dauphins et de deux ans pour les orques ; si aucune solution n’est trouvée, ils peuvent être portés à dix ans.

M. Lorion et Mme Bassire ont évoqué les espèces exotiques envahissantes. La liste de ces espèces, dont l’acquisition et la détention sont encadrées, a été mise à jour afin d’aligner la réglementation française sur le droit européen. Les discussions ne sont pas terminées pour autant : nous relançons des concertations locales, notamment avec des collectionneurs, pour apporter des réponses concrètes aux questions posées. Nous examinerons attentivement les techniques et cas particuliers.

Je l’ai dit, les thèmes de la forêt et des arbres n’ont pas été inclus dans le périmètre du projet de loi « climat et résilience ». Je partage toutefois votre sentiment : la gestion forestière et l’avenir de la filière bois doivent faire l’objet d’un débat public et de mesures plus soutenues. Je m’engage à mener cette réflexion indispensable dans les mois et les années à venir.

Le plan de relance déploie des moyens substantiels, ce qui exige de notre part une vigilance quant à leur utilisation. La stratégie nationale pour les aires protégées prévoit en outre la protection de nombreuses espèces forestières. Le parc national de forêts sera la vitrine de tout ce que nous pouvons imaginer de plus innovant en matière de gestion forestière, d’essences et de ressources scientifiques pour accompagner le changement climatique et ses conséquences sur les forêts françaises. Il faudra aussi poursuivre la réflexion sur l’utilisation des produits phytosanitaires en forêt, la gouvernance et le label bas-carbone, des sujets très liés aux questions de biodiversité et de réchauffement climatique.

S’agissant des arbres en dehors des forêts, j’ai pu apporter des précisions à Mme Luquet dans l’hémicycle. Un décret d’application de l’article L. 350-3 du code de l’environnement est en cours de rédaction – le projet de loi dit « 4D » relatif à la décentralisation, à la différenciation, à la déconcentration et à la décomplexification devrait d’ailleurs permettre de sécuriser la rédaction de cet article, qui protège les alignements d’arbres. Dans le même temps, nous devons poursuivre la réflexion avec les CAUE, l’association ARBRES et les députés qui le souhaitent. Ayant été élue locale, je sais combien les arbres, en tant qu’éléments de patrimoine, font l’objet de débats vifs et passionnés.

M. Serville est revenu sur les boues cyanurées et le fléau de l’orpaillage illégal, qui conduit à une pollution généralisée. Plusieurs centaines d’ateliers clandestins sont démantelés chaque année. Cette question constitue une priorité absolue. La réglementation doit s’appliquer. Des moyens ont été accordés pour assurer la police de ces zones – je salue à cet égard les agents de l’environnement victimes d’attaques et de violences. Nous devons être fermes et nous donner les moyens de surveiller et de sécuriser ces zones, afin de voir disparaître ces pratiques illicites.

S’agissant des questions relatives à la chasse, évoquées par Mme Kerbarh et M. Perea, plusieurs réflexions sont en cours. Des travaux parlementaires sur l’engrillagement attendent des réponses. La Fédération nationale des chasseurs, consciente de ce que chaque accident appelle l’attention sur la chasse, poursuit une réflexion sur la sécurité. Il faut aussi améliorer l’information des riverains et des autres usagers de la nature, afin de les apaiser et de les sécuriser. Il convient, pour avancer, de dépassionner les débats et d’encourager les concertations. Quant aux travaux parlementaires sur le délit d’entrave, ils ne doivent pas alimenter une montée des tensions, que l’on observe sur certains sites. Là encore, il est nécessaire d’apaiser le débat public : des réponses doivent être trouvées, car personne ne peut imaginer que les violences et l’agressivité se cristallisent sur ces questions, du fait de raccourcis malheureux et d’amalgames entre différentes pratiques. La réflexion se poursuit également sur la gestion adaptative, avec un éclairage scientifique. Le CEGA doit nous permettre d’avancer.

M. Lainé m’a interpellée sur les vœux adoptés par certaines collectivités locales demandant l’interdiction de la pêche au vif. Leur objectif semble davantage de lancer un signal que d’instaurer un dispositif effectif. Les pêcheurs sont des acteurs quotidiens de la vigilance que nous devons avoir sur les cours d’eau et l’état de la biodiversité. Encore une fois, il faut dépassionner les débats. Je suis ouverte à un échange, au sein du ministère, avec tous ceux – élus ou acteurs de la biodiversité et de la préservation de la nature – qui souhaitent porter la réflexion sur le plan politique.

Enfin, M. Vigier s’est inquiété des freins aux investissements et des distorsions de concurrence que notre politique en matière de préservation de l’environnement pourrait induire. Je crois à l’inverse que les paysages français, qui ont aussi été dessinés par la main de l’homme, la qualité de la préservation de l’environnement dans notre pays et le tourisme vert, qui trouve aujourd’hui son public, sont un atout économique. Les études montrent que 1 euro investi dans les parcs nationaux génère 7 à 10 euros de retombées économiques dans les territoires. Le plan de relance doit nous aider à accompagner les filières industrielles dans leur transition, si leurs activités ont des répercussions sur l’environnement, plutôt que de résister par crainte d’une distorsion de concurrence. La transparence et la transition des pratiques en vue de limiter les impacts du secteur industriel sur l’environnement sont demandées tant par les consommateurs que par les acteurs des chaînes d’approvisionnement.

De tels sujets nécessitent des réponses détaillées. Je me tiens à votre disposition, avec mon cabinet, pour les approfondir.

Mme la présidente Laurence Maillart-Méhaignerie. Je vous remercie, Madame la secrétaire d’État. Nous aurons le plaisir de vous accueillir à nouveau pour prolonger ces échanges.

 

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Informations relatives à la Commission

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a nommé Mme Jennifer De Temmerman, rapporteure sur la proposition de loi relative à la prise en compte des objectifs de développement durable (n° 3575).