Compte rendu

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

 Audition, suivie d’un vote, en application de l’article 13 de la Constitution, de M. JeanChristophe Niel, dont la nomination est envisagée aux fonctions de directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) (Mme Mathilde Panot, rapporteure)              2

 Informations relatives à la Commission..................21


Mercredi 7 avril 2021

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 49

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de

Mme Laurence Maillart-Méhaignerie,

Présidente

 


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La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a procédé à l’audition, en application de l’article 13 de la Constitution, de M. JeanChristophe Niel, dont la nomination est envisagée aux fonctions de directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) (Mme Mathilde Panot, rapporteure).

 

Mme la présidente Laurence Maillart-Méhaignerie. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et de la loi organique du 23 juillet 2010, nous auditionnons M. Jean-Christophe Niel, que le Président de la République envisage de reconduire dans ses fonctions de directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

Cette audition publique sera suivie d’un vote à scrutin secret, effectué par appel nominal, hors la présence de la personne auditionnée. Aucune délégation de vote ne sera possible. Le dépouillement aura lieu immédiatement après le scrutin. En application de notre règlement, nous avons nommé Mme Mathilde Panot rapporteure de cette proposition de reconduction. Les réponses de M. Niel au questionnaire qu’elle a élaboré ont été publiées sur le site internet de l’Assemblée nationale et vous ont été diffusées.

Monsieur Niel, il est envisagé de vous reconduire à la direction d’un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) dont le rôle est crucial. Ses missions ont été redéfinies par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV). Elles couvrent les risques liés aux rayonnements ionisants utilisés dans l’industrie et la médecine ainsi que ceux liés aux rayonnements naturels. Vous avez donc compétence sur la prévention des accidents majeurs dans les installations nucléaires, sur la sûreté des réacteurs, des usines, des laboratoires, des transports et des déchets, ainsi que sur la radioprotection de l’homme. Si nous voulons avoir confiance dans l’énergie nucléaire, la sécurité dans ces domaines ne peut être mise en doute.

Monsieur le directeur général, vous disposez d’une quinzaine de minutes pour procéder à une présentation préalable. Pourriez-vous présenter votre bilan à la tête de l’institut, l’exécution du contrat d’objectifs et de performance (COP) 2019-2023 ainsi que les perspectives, dans l’hypothèse où votre reconduction serait validée ?

M. Jean-Christophe Niel, directeur général de l’IRSN. Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de votre accueil.

J’ai l’honneur de servir mon pays en me consacrant, depuis une trentaine d’années, à l’évaluation et à la gestion des risques, notamment ceux liés à la radioactivité. À 59 ans, je dirige ce bel établissement qu’est l’IRSN. Mon premier mandat, entamé quinze ans après la création de l’institut, m’a permis, avec les femmes et les hommes qui y travaillent et en lien avec nos tutelles, de le conforter dans ses missions, au profit des autorités, de nos partenaires, de nos interlocuteurs et de la société.

Pour s’adapter aux évolutions dans la sûreté et la sécurité nucléaires, la radioprotection des personnes et de l’environnement, ses domaines de compétence, l’IRSN s’est engagé dans une stratégie, avec 2030 pour horizon. Afin de répondre aux enjeux considérables qui se posent et pour poursuivre mon action, je sollicite mon renouvellement au poste de directeur général.

Être auditionné par votre commission est pour moi un honneur. Cela me permet de présenter mon parcours professionnel, de dire en quoi il répond aux exigences de cette fonction, de présenter les principales réalisations menées à bien depuis cinq ans et de détailler mes projets et mes ambitions pour l’IRSN.

Je suis ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts. Docteur en physique, j’ai fait de la recherche fondamentale pendant près de dix ans avant d’exercer diverses activités dans le domaine de l’évaluation et de la gestion des risques radiologiques et nucléaires, alternativement à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et à l’IRSN, toujours du côté du contrôle et des pouvoirs publics. J’ai occupé pendant neuf ans le poste de directeur général de l’ASN après sa transformation en autorité administrative indépendante.

Mon itinéraire présente quelques caractéristiques essentielles, au premier rang desquelles le dialogue avec les parties prenantes, les élus – dans le cadre des commissions locales d’information (CLI), structures pluralistes associées aux installations nucléaires, et de l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (ANCCLI) – et les associations.

J’ai acquis une expérience des situations de crise et de leurs suites, notamment lors de l’accident de Fukushima, dont nous célébrons ces jours-ci le dixième anniversaire, et lors de mobilisations régulières de notre centre de crise, pour des exercices ou en situation réelle, en France et à l’étranger.

Mes activités présentent également une dimension internationale. Depuis 2017, je suis président du comité sur la sûreté des installations nucléaires (CSNI) de l’OCDE, qui regroupe plusieurs responsables d’organismes scientifiques et techniques.

Ayant dirigé diverses structures publiques, j’ai acquis une expérience certaine en matière de management, je connais les mécanismes budgétaires et administratifs, je sais mener des évolutions, organiser les travaux et interagir avec les différents interlocuteurs que sont le Parlement, les tutelles, les autorités partenaires ou les instances représentatives du personnel.

L’IRSN est l’expert public du risque radiologique et nucléaire. Il contribue à la mise en œuvre des politiques publiques relatives à la sûreté et à la sécurité nucléaires, ainsi qu’à la protection de la santé et de l’environnement contre les effets des rayonnements ionisants. Cet EPIC est placé sous la tutelle des cinq ministres directement concernés.

Il est chargé de remplir quatre missions. Il apporte son expertise aux autorités publiques, notamment l’ASN. Pour ce faire, il rend plus de 600 avis et rapports chaque année, dont la plupart sont publiés, conformément à la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Il fournit aussi cet appui en situation de crise. Sa deuxième mission, qui représente 40 % de son budget, est de mener des recherches sur les risques radiologiques et nucléaires. L’IRSN est également chargé de missions d’intérêt public, telles que la surveillance radiologique de l’environnement et la gestion des données dosimétriques des travailleurs. Enfin, il assure des prestations diverses, en France et à l’étranger.

Les trois quarts des 1 800 collaborateurs de l’IRSN sont des experts et des chercheurs. L’institut rend régulièrement compte de ses activités et de ses expertises au Parlement. Il interagit avec les divers acteurs – exploitants, autorités publiques, société civile – dans le cadre des CLI. Il est très impliqué au sein du réseau ETSON, le réseau européen des organismes techniques de sûreté. Il mène aussi de nombreuses collaborations internationales bilatérales et multilatérales.

Dans le cadre de la transition énergétique, les enjeux de sûreté nucléaire pour les années à venir sont importants. Citons les projets de prolongation de l’exploitation des réacteurs nucléaires au-delà de 40 ans, le réexamen de la sûreté des installations du cycle du combustible, le traitement des déchets radioactifs, le démantèlement d’installations et la construction de nouvelles, telles que le réacteur pressurisé européen (EPR), le projet de centre industriel de stockage géologique (Cigéo), le réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER) et le réacteur de recherche Jules Horowitz (RJH). Dans le domaine médical, le recours à des technologies de plus en plus sophistiquées, notamment en radiothérapie, constitue un enjeu de protection des patients et des professionnels contre les rayonnements ionisants.

Les éditions successives du baromètre de l’IRSN sur la perception des risques et de la sécurité indiquent que les préoccupations de santé environnementale sont en croissance. Par ailleurs, les questions de sécurité et de lutte contre les actes malveillants prennent une importance grandissante.

Nous devons travailler selon trois axes, que je considère essentiels si nous voulons être présents aux grands rendez-vous qui nous attendent, en matière de sûreté et de sécurité nucléaires, de radioprotection et d’expertise, ainsi que de recherche.

Le premier axe consiste à réaffirmer les fondamentaux de l’IRSN, qui est d’abord l’expert public du risque radiologique et nucléaire. L’institut doit éclairer la décision grâce à l’évaluation du risque induit par l’utilisation des rayonnements ionisants. Cette évaluation de haut niveau obéit aux canons et aux exigences de la science. Collective et impartiale, elle est fondée sur une expertise nourrie par notre recherche, elle-même alimentée en retour par les questionnements de l’expertise. Menée en cohérence avec les agences sanitaires européennes et nationales, cette mission d’évaluation est bien distincte de la mission de décision, d’inspection et de sanction qui incombe aux pouvoirs publics. Grâce à ce système de double sécurité, associant experts et autorités, évaluateur et gestionnaire du risque, l’État assure la protection de nos concitoyens contre les usages des rayonnements ionisants.

L’IRSN est un interlocuteur de confiance des pouvoirs publics, de ses partenaires et de la société. Il répond à leurs attentes en délivrant, de façon transparente, des informations de qualité. Il joue également un rôle de vigie aux échelons national, européen et international, notamment par le biais de son implication dans le suivi des installations et des transports, de son exploitation du retour d’expérience, de la surveillance qu’il exerce au travers de ses réseaux, notamment en matière de radioactivité dans l’environnement, et par le biais de ses multiples connexions institutionnelles, en France et à l’étranger.

Le deuxième axe est formé par l’anticipation et la culture du risque. Notre environnement, au sens large, évolue en permanence. De nouveaux enjeux et de nouveaux risques émergent, comme en témoignent plusieurs grandes crises récentes, notamment la pandémie de coronavirus et l’accident de Fukushima. À chaque crise, l’anticipation et la culture du risque sont mises en question, et les pouvoirs publics interrogés sur ces sujets.

L’anticipation, la préparation et l’implication de chacun, à sa juste place, sont des facteurs essentiels de prévention et de protection. L’IRSN peut et doit être, pour les pouvoirs publics, un instrument d’anticipation décisif pour la gestion des risques liés à l’utilisation des rayonnements ionisants, ainsi que pour le développement de la culture de sûreté. L’anticipation fait partie du COP signé en 2019.

Il s’agit d’anticiper par la recherche en lien avec l’expertise, ainsi que par l’analyse du retour d’expérience et l’évaluation, les sujets techniques à venir, tels que la prolongation de l’exploitation des réacteurs nucléaires de 1 300 mégawatts au-delà de 40 ans, la gestion des déchets nucléaires, le radon. Il s’agit aussi d’anticiper les enjeux de santé environnementale, de cybersécurité, de la révolution des data et du numérique, ainsi que les nouvelles préoccupations sociétales, en renforçant notre politique de dialogue avec la société. Par l’innovation et la concrétisation de nouveaux partenariats, nous devons anticiper la variabilité des crises et grâce à une veille active à l’international, prévenir et suivre les situations d’urgence, qu’elles soient potentielles ou avérées. Enfin, nous devons anticiper en capitalisant sur l’humain, sur les compétences et sur les connaissances. Comme l’écrivait Saint-Exupéry, « pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir mais de le rendre possible ».

Le troisième axe repose sur la performance et l’efficience. Pour remplir ses missions de recherche et d’expertise, pour anticiper et contribuer au développement des doctrines, pour appuyer l’État dans l’élaboration des politiques publiques, pour interagir avec la société, l’IRSN doit être performant, efficient et prospectif. Il doit veiller à faire évoluer ses méthodes et ses pratiques.

Tel est l’un des objectifs des évolutions récentes que j’ai introduites dans nos modes de fonctionnement et dans notre organisation, par le biais de quatre programmes de transformation : transformation des modes de collaboration, par exemple en développant le travail en mode projet et les communautés de pratique ; transformation managériale, en favorisant la mobilité dans le cadre des parcours professionnels et en préparant les métiers et les compétences de demain ; transformation numérique, par exemple en développant les méthodes et les outils d’aide à l’expertise et à la recherche, et en offrant un environnement de travail digital et nomade ; transformation des relations sociales et sociétales, en renforçant notre démarche de responsabilité sociale et environnementale (RSE).

La mise en œuvre de ces évolutions de nos modes de fonctionnement et de notre organisation doit nous permettre d’engager, dans les années à venir, un chantier majeur pour l’exercice de nos missions, qu’il s’agit d’évaluer de manière collective, comme nous le faisons toujours, en interaction forte avec nos interlocuteurs – tutelles, pouvoirs publics, autorités partenaires, société. Il s’agit d’évaluer la façon dont nous réalisons nos missions, en respectant notamment l’équilibre entre nos activités d’expertise et de recherche, entre nos divers domaines de compétence et entre nos interlocuteurs.

J’aimerais citer ici quelques réalisations de ces dernières années. Dans le domaine de la sûreté nucléaire, l’IRSN a évalué la sûreté des réacteurs de 900 MW dans la perspective de la prolongation de leur exploitation, ainsi que celle de l’EPR, du sous-marin nucléaire Barracuda et du projet Cigéo. Dans le domaine de la sécurité nucléaire, l’IRSN a apporté son appui à la conduite, par le ministère de la transition écologique, du programme d’amélioration de la sécurité des installations sensibles. Dans le domaine de la radioprotection, l’IRSN a fait la synthèse de l’état des pratiques médicales en vue de la mise à jour des niveaux de référence diagnostiques (NRD), réévalué les doses délivrées aux patients, achevé la réalisation des constats radiologiques régionaux, dressé le bilan annuel des expositions professionnelles aux rayonnements ionisants en France et achevé le déploiement de ses sondes de surveillance de l’environnement. Dans le domaine de la recherche, l’IRSN a mis en service plusieurs plateformes expérimentales et conclu des programmes de recherche, confirmant ainsi son rôle majeur au niveau européen.

Depuis sa création, l’IRSN contribue à protéger les citoyens contre les risques liés aux usages des rayonnements ionisants sous toutes leurs formes et à renforcer leur implication dans la vigilance. Dans un monde en constante évolution, la pérennité et la pertinence de notre action nécessitent une adaptation permanente. Mon projet est de permettre à l’IRSN, en relation étroite avec les autorités publiques, de répondre à tout moment à ce besoin d’adaptation et de garantir au plus haut niveau la sûreté nucléaire, la sécurité nucléaire, la protection des personnes et de l’environnement. Dans une société actrice de la gestion des risques, l’institut doit être un outil d’anticipation et de confiance. Dans un univers innovant et numérique, les femmes et les hommes de l’IRSN, en relation avec leurs homologues, en interaction avec leurs concitoyens, mettront leurs compétences, leur expertise et leur savoir-faire au service de l’excellence.

Mme Mathilde Panot, rapporteure. Monsieur le directeur général, parmi les sujets que vous abordez dans les réponses au questionnaire qui vous a été adressé, j’ai noté votre inquiétude s’agissant du maintien des emplois équivalents temps plein (ETP) et des moyens humains consacrés à une expertise publique absolument indispensable. Vous avez indiqué, en présentant le COP, que la réalisation des actions repose sur une communauté humaine forte de son savoir et de ses savoir-faire, qu’il est nécessaire de préserver et de transmettre. C’est un sujet dont nous faisons souvent état, notamment lors de l’examen des projets de loi de finances.

Vous avez évoqué les enjeux de sûreté et de sécurité nucléaires pour les années à venir, notamment la prolongation de certains réacteurs au-delà de 40 ans, la gestion des déchets nucléaires, l’EPR et le démantèlement de certaines installations.

Si vous avez répondu aux questions que je vous ai adressées sur les travailleurs, et notamment les travailleurs sous-traitants, vous n’avez pas abordé ce sujet ce matin. Or c’est un sujet qu’il faut prendre davantage en considération. À plusieurs reprises, dans notre histoire sociale, la science a révélé que des salariés avaient été exposés pendant des décennies à des substances dangereuses, telles que l’amiante ou la chlordécone. L’IRSN publie, à intervalles réguliers, le bilan des expositions aux rayonnements ionisants en France, dont les conséquences sur la santé humaine vont des atteintes cutanées aux cancers, en passant par des dommages irréversibles sur les gonades ou le cristallin. Ce risque a été redoublé par la pandémie, car les travailleurs sous-traitants du nucléaire, toujours en première ligne, ont été exposés à la radioactivité et au coronavirus.

Monsieur le directeur général, la sous-traitance massive dans le nucléaire pose problème. Les travailleurs sous-traitants, qui assurent 80 % de la maintenance, sont les plus exposés au risque de radioactivité. À titre individuel, j’estime que leurs conditions de travail sont parfois intolérables. Je pourrais vous parler de Patrice, envoyé en zone d’exposition alors même qu’il en revenait, atteint d’un cancer de la thyroïde à 32 ans, de Jean-Marie, qui touche 1 600 euros par mois après trente-neuf ans de nomadisme dans le nucléaire, ou encore des employés d’un sous-traitant à Romans-sur-Isère, contraints de travailler quarante-deux heures par semaine après que le contrat de leurs collègues n’a pas été renouvelé, ce qui, en matière de sûreté et de sécurité nucléaires, n’est pas sérieux.

Par-delà la situation des personnes, qui est de la première importance, cette situation signifie une perte de compétences pour l’exploitant. Du point de vue de la société, elle est très inquiétante et les incidents et accidents survenus ces dernières années ne devraient pas nous laisser indifférents. Je pense à la chute d’un générateur de vapeur dans la centrale de Paluel ou à la diffusion hors du cercle des personnes autorisées des plans de protection de l’EPR, peut-être via la chaîne de sous-traitance.

Ma question est simple : en l’absence de convention collective protégeant les travailleurs opérant dans la sous-traitance nucléaire, pensez-vous que les 160 000 travailleurs sous-traitants soient protégés ? N’est-il pas du devoir de l’IRSN de saisir le Gouvernement afin qu’une convention collective protège enfin leur santé ainsi que notre sécurité à toutes et à tous ?

M. Jean-Christophe Niel. Madame la rapporteure, le sujet des travailleurs sous-traitants est essentiel. Au sein du parc nucléaire d’EDF, ils assurent 80 % de la maintenance des gros équipements. En 2015, l’IRSN a expertisé l’organisation de la sous-traitance par EDF, un travail qui a consisté à mener un grand nombre d’entretiens sur quatre sites.

Le constat que nous avons dressé reste d’actualité. Nous estimons que l’organisation présente plusieurs fragilités : EDF devrait renforcer sa capacité à s’assurer que les sociétés sous-traitantes sont bien en mesure de respecter les exigences de sûreté ; EDF devrait mieux prendre en compte les aléas afin que les opérations soient effectuées dans la plus grande sérénité possible ; enfin, EDF devrait favoriser le retour d’expérience et le partage d’informations sur les événements qui peuvent survenir au cours de ces opérations. En résumé, nous considérons que la relation entre EDF et ses sous-traitants doit relever davantage du partenariat que de la sous-traitance.

Nos dernières expertises montrent qu’EDF a entamé une évolution visant à réintégrer en son sein plusieurs fonctions stratégiques, à privilégier le « faire » sur le « faire faire ». Je pense ici à la réintégration des unités de logistique et de maintenance intervenant sur les turbines diesel activées en cas de rupture de la cuve des réacteurs. Dans son rapport annuel publié il y a quelques semaines, l’inspecteur général pour la sûreté nucléaire et la radioprotection insiste lui aussi sur l’importance, pour EDF, de réintégrer certaines fonctions.

Le code du travail confie à l’IRSN la mission de centraliser l’ensemble des données de la surveillance dosimétrique des travailleurs. En France, on dénombre 395 000 travailleurs susceptibles de recevoir des rayonnements ionisants ; 60 % d’entre eux travaillent dans le domaine médical, 25 % dans le nucléaire. D’autres activités, en recherche ou dans l’industrie classique, utilisent les rayonnements ionisants.

Un Francilien reçoit une dose annuelle moyenne de l’ordre de 4,5 millisieverts (mSv). La dose moyenne reçue par les travailleurs exposés est d’environ 0,85 mSv. Parmi les 395 000 travailleurs du nucléaire, les employés d’EDF reçoivent une dose de 1,46 mSv, les sous-traitants une dose de 1,89 mSv. La différence des métiers explique cet écart : les sous‑traitants, comme les robinetiers chargés d’intervenir sur les vannes et les gros composants situés dans les réacteurs, travaillent au plus près de la radioactivité.

La question de la convention collective ne relève pas des responsabilités de l’IRSN, qui est un organisme scientifique et technique chargé d’évaluer les risques. Mais nous pouvons éclairer la décision en fournissant des données.

Mme Danielle Brulebois (LaREM). Vous dirigez l’IRSN depuis 2016 avec une exigence de responsabilité, d’excellence et une haute idée du service public. Durant cette crise sanitaire, l’institut est resté opérationnel, vos équipes faisant preuve d’une rigueur constante. À titre personnel, j’ai apprécié votre disponibilité lorsque je vous ai interrogé sur l’exposition au radon et le recyclage des masques de protection.

Engagé dans une politique de développement durable, l’IRSN a développé une politique d’ouverture et de transparence au service du grand public – son site internet est d’une grande qualité. L’activité de recherche de l’IRSN est axée sur le développement des connaissances et fondée sur la complémentarité entre expérimentation et stimulation. L’excellence de l’IRSN est reconnue au niveau mondial, comme en témoigne sa participation à plusieurs programmes internationaux ou européens, tels que NUGENIA (Nuclear Generation II & III Alliance), CONCERT (European Joint Programme for the Integration of Radiation Protection Research), EURAD (EURopean joint programming on RAdioactive waste management and Disposal), H2020 EURATOM ou le réseau ETSON.

Votre contribution sera essentielle sur des sujets tels que l’anomalie de l’acier des fonds primaires des générateurs de vapeur, la mise en service de l’EPR, la prolongation de réacteurs au-delà de 40 ans, le démantèlement de Fessenheim, le traitement des déchets nucléaires, le projet Cigéo. Vous avez récemment alerté les autorités sur le risque de saturation des piscines de l’usine de la Hague.

Dans un contexte sociétal, industriel et environnemental en profonde mutation, l’IRSN apporte son appui technique aux autorités de sûreté et de sécurité nucléaires, ainsi qu’à diverses directions ministérielles. Le COP lui assigne aussi une mission d’accompagnement de l’État dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques dans les domaines de l’énergie, de la santé et de l’environnement. Comment l’IRSN envisage-t-il sa contribution au quatrième plan national santé environnement (PNSE4) ?

M. Jean-Marie Sermier (LR). Merci de votre exposé clair et précis, monsieur le directeur général. Sans vouloir vous soumettre à une pression infernale, je me demande si vous avez conscience de tenir entre les mains l’outil qui permettra peut-être à la France de préserver sa capacité industrielle et de respecter les engagements pris lors de la COP21.

Le projet de loi « climat et résilience » dont nous débattons ne permettra pas d’engager une réduction suffisante des émissions de gaz à effet de serre, notamment de CO2. Il faudrait passer de 420 millions de tonnes de CO2 émises chaque année à 310 millions ; les mesures proposées ne le permettront pas.

Nous restons néanmoins confiants car nous disposons du premier parc nucléaire au monde, qui nous permet de produire une électricité décarbonée. C’est pour cette raison que notre pays a été classé comme le quatrième pays le plus vert par une agence – bien que l’on puisse toujours douter de la qualité d’une agence privée.

L’IRSN est indispensable à notre activité nucléaire, car il nous assure de vivre avec le nucléaire de façon apaisée et transparente. Si la France maintient ses engagements, elle devra réaliser six EPR, le centre Cigéo à Bure et le sous-marin nucléaire Barracuda. Si le nombre d’investissements devait augmenter fortement, pensez-vous que vous disposeriez de moyens humains et techniques suffisants pour assumer votre rôle ?

Suite à l’accord donné par l’ASN, huit soudures vont être reprises dans l’EPR de Flamanville. Avez-vous des informations précises à ce sujet ?

Avez-vous travaillé avec nos amis japonais sur les suites de l’accident de Fukushima ? Il semble que les conséquences soient moins dramatiques que prévu ; il est important que nous puissions le savoir, et éventuellement le diffuser.

Allez-vous partager votre expertise au niveau européen pour permettre à la France de faire reconnaître, par la taxonomie européenne, que l’énergie nucléaire est décarbonée et verte ?

Mme la présidente Laurence Maillart-Méhaignerie. Je précise que le classement auquel vous faites référence n’a pas été réalisé par une agence privée, mais par le MIT, prestigieuse université américaine.

Mme Frédérique Tuffnell (Dem). Monsieur le directeur général, comment votre structure s’est-elle adaptée aux nouvelles règles imposées par la pandémie ? Les transformations internes dans le domaine managérial ou dans le numérique, l’internalisation de certaines fonctions ont-elles été retardées ou adaptées ?

Vous avez enclenché une véritable transformation numérique grâce à la plateforme PIREX (plateforme intégrée de retour d’expérience) et au projet de portail national de surveillance de l’exposition des travailleurs aux rayonnements ionisants. Face aux risques de cyberattaques, qui évoluent et se multiplient, quels dispositifs prévoyez-vous d’installer pour assurer la sécurité de ces plateformes et des nombreuses données qu’elles contiennent ?

Vous avez engagé une démarche RSE structurée autour de quatre axes : la protection de tous ; les actions en faveur de l’environnement ; une exigence d’excellence et de responsabilité ; une implication active dans l’évolution de la société. Pour agir en faveur de l’environnement, vous avez mis en place une démarche « biodiversité et entreprises ». Quelles nouvelles mesures envisagez-vous ?

Une recommandation européenne incite les États membres à fixer un niveau de référence pour le radon dans l’eau – 100 becquerels par litre – afin de déterminer si des actions correctives sont nécessaires, et à appliquer des mesures correctives au-delà de 1 000 Bq/l. Un bilan réalisé par l’IRSN en 2010 a mis en évidence que 4 % des mesures significatives de radon dans l’eau dépassaient 1 000 Bq/l. La direction générale de la santé (DGS) et l’ASN, avec votre appui, ont indiqué réfléchir pour préciser la réglementation relative à la qualité des eaux de consommation. Alors que nous débattons du projet de loi « climat et résilience », il nous serait utile de connaître l’état de votre réflexion.

M. Gérard Leseul (Soc). Je suis l’élu d’un territoire très concerné par la sécurité nucléaire, avec les centrales de Penly et de Paluel. Les incendies survenus ce week-end sur le site de Paluel ont rappelé qu’en matière nucléaire, le scénario du pire peut devenir réalité, comme à Tchernobyl ou à Fukushima.

Votre baromètre 2020 démontre l’inquiétude ressentie par les Français à l’égard du risque d’accident nucléaire. Ne faudrait-il pas aller dans le sens de l’ASN, qui préconise la création d’un programme budgétaire unique dédié au contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection ? Les efforts consentis par l’État seraient plus visibles et lisibles, et l’ASN pourrait optimiser la ressource dédiée aux expertises techniques, dont elle est commanditaire.

Selon vous, quels sont les axes d’amélioration de la sûreté des centrales nucléaires ? Quelles actions faut-il mener en priorité pour améliorer la prévention d’accidents majeurs dans ces installations ?

La société française ne semble pas totalement préparée à des crises récurrentes, liées à des risques majeurs, sanitaires ou nucléaires. Pourtant, nous disposons de procédures sophistiquées de prévention et de gestion des crises. Le problème est-il humain ou financier ? Ces sujets sont-ils trop circonscrits aux discussions entre experts et insuffisamment partagés avec le grand public ? Comment la France pourrait-elle repenser sa culture du risque et renforcer ses mécanismes de prévention et de gestion des crises ?

Mme Maina Sage (Agir ens). Monsieur le directeur général, pour reprendre l’expression de mon collègue, je viens d’un territoire où le pire est déjà arrivé. C’est le bémol que j’apporte au bilan et à la stratégie que vous avez présentés : il n’y est jamais fait référence à la Polynésie française et aux travaux qui y sont menés. En Polynésie, 193 tirs, d’une puissance sept cents fois supérieure à Hiroshima, ont été réalisés en trente ans. Une quarantaine de ces tirs ont été aériens, et leurs lourdes conséquences pour la Polynésie ont été dévoilées en 2006.

Il m’est impossible de ne pas évoquer les dernières révélations de Disclose, média et ONG de journalisme d’investigation, qui remettent en question l’intégrité et la fiabilité des données de recherche rendues publiques par le CEA en 2006. Ces données ont fait l’objet d’analyses, et nous avons mis en place un dispositif d’indemnisation. Le rapport d’activité 2020 du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), qui revient sur dix ans d’activité, précise en page 19 que la méthode retenue se fonde sur « une étude du CEA, dont la méthodologie a été validée par un groupe de travail international missionné par l’AIEA, prolongée par des études de l’IRSN […] » Il est donc fondamental de recueillir votre avis sur cette question.

Dans votre stratégie pour 2030, vous évoquez trois axes fondamentaux : la qualité de l’évaluation et du contrôle ; l’exigence d’impartialité ; l’anticipation et la transformation avec l’évaluation collective. Compte tenu de ces nouvelles révélations, qui constituent une déflagration dans l’esprit et le cœur des Polynésiens, comment l’IRSN, dans son rôle d’expert indépendant, peut-il contribuer à faire toute la lumière sur la véracité et l’intégrité des données du CEA ? Au vu de cet imbroglio et des divergences d’interprétation de ces données, nous devons la vérité à tous les Polynésiens, et d’abord aux victimes.

C’est aussi une exigence de justice : ce fait nucléaire ne transparaît nulle part dans tous ces documents officiels, ces bilans et ces perspectives. Nous avons l’impression que c’est le jour et la nuit ; pourtant nous sommes autant en France, que l’on vive dans l’hexagone près d’une centrale nucléaire ou en Polynésie, dans ma circonscription, près de Mururoa et de Fangataufa.

M. Guy Bricout (UDI-I). Monsieur le directeur général, vous indiquiez en juin le risque de saturation du site de la Hague et la nécessité de prévoir d’ici 2030 des capacités de stockage supplémentaires. Comment évolue ce dossier, et comment comptez-vous vous y investir ces prochains mois ? S’agissant plus particulièrement de la nouvelle piscine d’entreposage de combustibles usés à la Hague, EDF se fixe pour objectif une mise en service en 2034 ; n’est-ce pas trop tardif ?

À la lecture du récent ouvrage de l’IRSN, Éléments de sûreté nucléaire – Les réacteurs à eau sous pression, il semble que la société civile prenne de plus en plus de place dans vos analyses. Quelle attention faut-il y porter dans les années à venir ? Comment mieux l’intégrer à vos réflexions ? Quel bilan tirez-vous de la charte de l’ouverture à la société, créée en 2009 ? Est-elle encore perfectible ?

Lors de votre audition par notre commission, il y a un an, vous indiquiez que l’IRSN avait dû suspendre son activité de recherche expérimentale en raison de la crise. Où en êtes-vous aujourd’hui ? L’institut a-t-il pris un retard notable dans des domaines particuliers ? Quels enseignements tirez-vous du premier confinement sur l’organisation de l’IRSN, notamment en termes de personnel, ainsi que sur le mode de fonctionnement et l’organisation de l’institut ?

La perte de compétences dans le secteur nucléaire français est souvent pointée du doigt – les retards de l’EPR de Flamanville en donnent un exemple criant. Quelle est votre analyse sur la question, plus particulièrement en matière de construction et de sécurité ? Quelles seraient vos préconisations pour pallier cette perte de compétences ?

Dans son bilan de l’année 2020, l’ASN note un recul de la prise en compte des mesures destinées à protéger les travailleurs du nucléaire des rayonnements ionisants. Confirmez-vous cette analyse et quelle réponse préconisez-vous ?

Vos moyens humains et financiers sont-ils à la hauteur des enjeux de sécurité nucléaire dans les années à venir ?

Quel impact les bouleversements climatiques, particulièrement les fortes chaleurs, auront-ils sur la sécurité de nos centrales nucléaires ? Quels travaux faudrait-il y entreprendre ?

En matière de radiothérapie, quels travaux comptez-vous mener, et dans le cadre de quelles collaborations ?

M. Jean-Christophe Niel. Madame Brulebois, l’IRSN est très concerné par les sujets de santé environnementale. L’institut est sollicité dès que l’existence d’un cluster est suspectée en France, le rayonnement ionisant faisant toujours partie des suspects potentiels.

La santé environnementale est au cœur de nos recherches, notamment lorsqu’il s’agit des faibles doses. Le PNSE 4 comprend un volet consacré aux interactions avec la société ; c’est aussi l’un des axes stratégiques de notre institut depuis sa création, comme le rappelle le dernier COP.

Le PNSE 4 identifie quatre axes de travail. Le premier a trait à l’information, et l’IRSN peut y contribuer car nous disposons de nombreux éléments d’information sur l’aspect environnemental de la radioactivité. Nous gérons le site du réseau national de mesures de la radioactivité de l’environnement, www.mesure-radioactivite.fr. Il compile les mesures que les exploitants sont tenus de réaliser en application de la réglementation, celles que nous faisons nous-mêmes et celles de tout organisme agréé par l’ASN.

Nous avons mis à disposition sur notre site internet un outil, expop.irsn.fr, qui permet à chacun d’évaluer précisément la dose de rayonnements qu’il reçoit de manière naturelle selon qu’il habite au bord de la mer, qu’il fume, qu’il prend souvent l’avion ou qu’il a bénéficié d’examens radiologiques.

Le réseau Téléray regroupe 440 balises de mesure de la radioactivité dans l’environnement : une par département et les autres essentiellement concentrées autour des installations nucléaires, ainsi qu’une balise sur les toits des ambassades de France à Kiev et à Tokyo, pour des raisons que vous comprendrez aisément. Les résultats des mesures sont transmis en temps réel sur le site internet de l’institut, vous pouvez les consulter.

Suite à l’accident de Fukushima, nous avons développé le réseau OpenRadiation, autour d’un petit appareil que l’IRSN a développé. À Fukushima, les gens n’ont pas attendu que l’exploitant ou les autorités les informent de la contamination, ils ont acheté des dosimètres. Nous avons lancé une action à destination du public en proposant un kit à construire soi-même, que chacun peut connecter à l’application OpenRadiation, sur laquelle les mesures sont partagées.

Les deuxièmes et troisièmes axes du PNSE 4 nous concernent moins. Il s’agit des mesures de réduction de l’impact d’un certain nombre de polluants et d’agresseurs.

Le quatrième axe porte sur le développement des connaissances, et nous comptons nous y impliquer. Les nombreuses données environnementales dont nous disposons pourraient être déversées dans le Green Data Hub. Nous sommes associés aux travaux sur l’exposome, qui consiste à évaluer l’impact de l’ensemble des stresseurs environnementaux au cours de la vie d’une personne, notamment les rayonnements ionisants et les ondes électromagnétiques. Nous contribuons à une étude épidémiologique de l’INSERM, qui nous a chargés d’étudier les aspects consacrés aux rayonnements ionisants.

Nous travaillons aussi sur les multi-expositions avec l’OCDE. Nous développons le programme LILAS, qui va évaluer la multi-exposition dans un territoire – j’ai à l’esprit l’exemple de Dunkerque – avec d’autres organismes, dont l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) et l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), et des associations de défense de l’environnement. Ce projet est né d’un appel à manifestation d’intérêt de l’Agence nationale de la recherche (ANR) dans le cadre du programme « Science avec et pour la société ». Nous avons été retenus pour la première phase.

Monsieur Sermier, on ne se satisfait jamais des moyens à sa disposition, c’est une évidence. Dans mes réponses au questionnaire établi par la rapporteure de votre commission, nous faisons part de nos besoins de moyens supplémentaires, mais nous connaissons l’état des finances publiques. Nous nous sommes organisés pour gagner en efficience en hiérarchisant et en priorisant les dossiers. Nous avons mis en place une ingénierie d’élaboration de nos avis. L’ASN publie 400 à 500 rapports par an, nous dialoguons à tous les niveaux, des chargés d’affaires et des experts de terrain jusqu’au collège de l’ASN, pour hiérarchiser et affecter nos moyens aux sujets les plus nécessaires. Pour accompagner la prolongation de l’exploitation des réacteurs au-delà de 40 ans, le démarrage de l’EPR ou Cigéo, nous avons mis en place des comités stratégiques et des comités de pilotage afin d’anticiper les points durs. Aujourd’hui, nous arrivons à remplir nos missions avec les moyens qui nous sont attribués.

S’agissant de l’EPR, l’ASN a donné son autorisation pour les travaux de réparation. Les problèmes de qualité touchaient plus d’une centaine de soudures. La plupart étaient accessibles et EDF les a corrigées, mais huit soudures situées dans l’espace entre enceintes sont difficiles d’accès. L’IRSN a réalisé des expertises et transmis ses avis et ses recommandations à l’ASN. Nous avons considéré que les travaux pouvaient être engagés. Parmi les options possibles, EDF a retenu celle consistant à introduire un robot dans la tuyauterie pour faire la soudure. Nous avons estimé que les conditions étaient réunies pour réaliser des soudures conformes au niveau d’exigence requis. Il faudra ensuite vérifier que l’opération a bien permis d’atteindre le résultat escompté.

Le 11 mars 2011, le plus important séisme jamais mesuré au Japon a occasionné des destructions très importantes dans la région de Fukushima. Dans la centrale, le réacteur s’est arrêté, conformément à ce qui est prévu. Le tremblement de terre ayant détruit les alimentations électriques extérieures – les pylônes et les câbles –, les diesels de secours ont pris le relais. Le tremblement de terre a donc été géré comme attendu. Malheureusement, quarante minutes plus tard, une vague de plus d’une dizaine de mètres de hauteur a déferlé sur le site. L’eau salée a noyé beaucoup de matériel électrique, le rendant inopérant, et a détruit la source froide, c’est-à-dire la station de pompage nécessaire pour faire fonctionner un réacteur nucléaire ou une centrale électrique classique. C’est ce qui a amené à la catastrophe qu’on sait.

Aujourd’hui, le site est dans un état stabilisé. La situation n’en est pas pour autant normale, elle reste dégradée. Au début du mois de février, une réplique lointaine du séisme de mars 2011 a touché la région de Fukushima, ce qui nous rappelle que la situation n’est pas complètement fixée. Les Japonais auront encore besoin de dizaines d’années avant de traiter complètement le site.

Contrairement à la catastrophe de Tchernobyl, pour laquelle très peu d’études ont été effectuées sur les personnes directement concernées, les Japonais ont lancé des études significatives. Ils ont notamment interrogé 2 millions de personnes pour identifier les conditions dans lesquelles elles se trouvaient dans la région de Fukushima, et reconstituer les doses qu’elles avaient reçues. Pour plus de 60 % d’entre elles, la dose reçue a été inférieure à 1 mSv, ce qui correspond à la dose supplémentaire annuelle maximale pour le public, et aucune n’a reçu plus de 15 mSv. Je rappelle que dans la région parisienne, une personne reçoit en moyenne 4,5 mSv par an. Aucun effet directement lié aux rayonnements ionisants n’est observable aujourd’hui. Cela ne signifie pas qu’il n’y en a pas, mais ils ne se distinguent pas du bruit de fond. Il faudra suivre la population dans la durée, notamment les cas de cancers de la thyroïde.

Une enquête de chercheurs japonais publiée en 2015 dans la revue scientifique The Lancet ainsi qu’un rapport récent de l’UNSCEAR (Comité scientifique des Nations unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants) ont rapporté des effets indirects. Cinquante personnes seraient mortes durant l’évacuation, notamment des maisons de retraite. Dans les deux ans qui ont suivi, un peu moins de 2 000 personnes seraient mortes en raison du stress et de l’impact de cette catastrophe sur la vie des gens.

L’IRSN participe à un certain nombre de programmes de recherche élaborés sous l’égide de l’OCDE, notamment sur la compréhension de l’accident et les actions de démantèlement. Notre connaissance des aérosols – le comportement des poussières accompagnées de radioactivité – est mise à contribution dans le cadre d’un programme de recherche sur la découpe au laser du corium, cette matière radioactive qui a fondu dans le réacteur au moment de l’accident. Enfin, nous avons engagé une collaboration avec l’université médicale de Fukushima pour travailler sur les effets des rayonnements ionisants sur les personnes. Nous avons d’ailleurs accueilli un scientifique de cette université l’année dernière.

Nous n’avons pas été officiellement saisis au sujet de la taxonomie européenne des énergies renouvelables.

Madame Tuffnell, l’IRSN a massivement recouru au télétravail dès mars 2020. L’impact du covid sur notre activité s’est limité à des retards de trois ou quatre mois sur des programmes de recherche lorsque les tâches nécessitaient de se rendre sur place. Une partie des programmes peut toutefois être réalisée à distance ; il en est ainsi, par exemple, de l’élaboration des cahiers des charges techniques relatifs à une expérimentation ou de l’utilisation d’outils de simulation, dont les retours sur expérience ont montré qu’ils devaient être rendus plus accessibles aux chercheurs.

Le 31 mars 2020, nous avons remis en temps et en heure notre avis de synthèse sur la prolongation de l’exploitation des réacteurs de 900 MW au-delà de 40 ans à l’ASN – l’autorité vient de prendre position sur ce sujet il y a quelques jours. Ce document public est la synthèse de 40 avis et le fruit de 200 000 heures de travail, soit l’activité annuelle de plus de 140 personnes.

Le covid a également eu des effets managériaux. Nous avions signé dès 2019 un accord avec les organisations syndicales – il règne un bon climat social à l’IRSN – prévoyant l’extension du télétravail à deux jours hebdomadaires et les modalités de la mise en place de cette nouvelle organisation. La pandémie a accéléré le processus. Pour accompagner ce mouvement massif, nous avons élaboré des guides à destination des salariés, des managers.

La transformation numérique revêt plusieurs dimensions. Pour favoriser le travail nomade, nous avions décidé, dès janvier 2020, de nous équiper de la plateforme collaborative Teams, non sans nous être interrogés, notamment, sur les enjeux de cybersécurité. L’institut dispose d’une masse considérable de données – expertises, programmes de recherche, mesures dans l’environnement, etc. Afin de réfléchir à la politique à mener en la matière, j’ai nommé un chief data officer. Nous avons élaboré une doctrine en la matière.

Durant la pandémie, nous avons décidé avec l’ASN de passer au zéro papier dans nos échanges, sachant que nous adressons 500 rapports par an à l’autorité de sûreté. Sur les 1 800 salariés de l’IRSN, 400 travaillent pour l’ASN. Nous avons institué un système d’échanges numérisés, par exemple concernant nos avis techniques.

Pour améliorer l’utilisation de nos connaissances, nous avons développé des outils d’intelligence artificielle. Je citerai deux projets pour lesquels nous avons sollicité une aide du fonds pour la transformation de l’action publique. Le premier concerne le retour d’expérience à partir des milliers de déclarations d’événements significatifs survenus dans les centrales que nous recevons chaque année. Le second porte sur la centralisation des données de la surveillance dosimétrique des travailleurs.

En effet, nous recevons communication des doses reçues par les travailleurs dans les installations nucléaires ou les structures médicales. Si les chiffres sont supérieurs aux seuils autorisés, nous alertons le médecin du travail ou la personne compétente en matière de radioprotection pour que soit réalisée une enquête afin de déterminer s’il s’agit d’un vrai ou d’un faux signal et, dans la première hypothèse, pour en comprendre les raisons. Nous utilisons également ces données pour mener des études épidémiologiques. Grâce à l’intelligence artificielle, nous pourrons mettre en relation les valeurs reçues et les conditions de travail dans l’installation. En effet, quand bien même les chiffres seraient inférieurs aux seuils, nous pourrons ainsi vérifier que les courbes ne traduisent pas un dysfonctionnement.

Nous sommes particulièrement sensibilisés au risque de cyberattaque, d’une part, parce que c’est un problème d’actualité et, d’autre part, parce que l’IRSN traite de la cybersécurité dans les installations nucléaires. Nous employons des responsables de la sécurité des systèmes informatiques et disposons de systèmes de protection contre les attaques et de détection de ces phénomènes. Nous suivons de près les modifications de l’environnement informatique et appliquons les corrections nécessaires. Dans le domaine de la santé, nous appliquons rigoureusement les règles d’accès aux données.

S’agissant de la RSE, nous menons un certain nombre d’actions en faveur de la biodiversité. Nous avons installé des ruches, nous envisageons de créer des jardins partagés, en relation avec des associations locales. J’ai décidé de faire entrer la responsable de la RSE au sein du comité de pilotage des investissements – structure dont la création était recommandée récemment par la Cour des comptes. Nous avons lancé l’action « Dépensons responsable », qui vise à intégrer les considérations écologiques dans des domaines tels que la consommation de papier. Enfin, dans le cadre des objectifs partagés et de l’intéressement, nous avons introduit, en lien avec les organisations syndicales, un indicateur lié au nettoyage des bases de données informatiques, qui, comme on le sait, sont de très consommatrices d’énergie.

L’IRSN établit des comparaisons entre les mesures du radon dans l’eau effectuées par les laboratoires. Nous sommes la référence radiologique en la matière. Nous avons contribué à la rédaction d’un guide pour la DGS en 2018.

Monsieur Leseul, le risque d’incendie est élevé : dans chaque installation nucléaire, on compte, en moyenne, un départ de feu par an, du fait du grand nombre de connexions électriques. Samedi dernier, j’ai dû activer, au cours de la nuit, notre centre de crise, en raison du déclenchement d’un incendie sur un transformateur. Bien que ce dernier fût situé en dehors de la zone nucléaire, les procédures nous imposaient de nous mobiliser. Nous avons envoyé des personnes sur place, mais EDF a rapidement réglé le problème.

L’IRSN n’est pas favorable à la création d’un programme budgétaire unique dédié au contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Il faut revenir à la création de l’institut par le Parlement en 2000 : à l’époque, le choix, très politique, avait été de rassembler dans une seule organisation l’ensemble des dimensions du risque lié aux rayonnements ionisants.

Plusieurs questions avaient alors été débattues. En premier lieu, fallait-il relier l’expertise et la recherche ? Je rappelle que l’IRSN résulte de la fusion de l’Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN), qui faisait partie du CEA, et de l’Office de protection contre les rayonnements ionisants (OPRI). C’est donc le CEA qui détenait les moyens de recherche. La réponse donnée à cette première question a été positive ; il a été considéré que la connaissance du risque procédait à la fois de l’expertise et de la recherche. Dans son rapport sur « l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences », l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a d’ailleurs recommandé cette association.

Une deuxième question a été de savoir s’il fallait rassembler le civil et la défense dans la même structure, ce qui, là encore, a donné lieu à une réponse positive. Naturellement, pour respecter les exigences de confidentialité, l’IRSN met en œuvre des compétences particulières.

La troisième question consistait à déterminer s’il fallait réunir sûreté nucléaire et radioprotection – ou ingénieurs et médecins, comme on le disait à l’époque de manière un peu caricaturale – ; le choix a été fait d’associer les deux domaines.

En revanche, le législateur a décidé de ne pas confier la décision et l’expertise au même organisme, ce qui a conduit à créer des structures distinctes : IRSN, ASN, Autorité de sûreté nucléaire de défense (ASND), etc.

Il nous semble que l’introduction d’un programme budgétaire de sûreté nucléaire amoindrirait l’action de l’institut, en la cloisonnant. L’IRSN est essentiellement financé par le programme 190 « Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables », auquel s’ajoutent les contributions des opérateurs, ce qui correspond à la volonté d’avoir un organisme unique en charge de l’évaluation du risque radiologique et nucléaire sous toutes ses facettes. Nous avons une grande variété d’interlocuteurs. Près d’un quart de nos effectifs travaille pour l’ASN ; nous sommes également en relation avec l’ASND, les ministères – l’IRSN rend régulièrement des avis aux ministères de la santé, de l’environnement, de l’intérieur –, le Parlement – nous avons établi un rapport dans le cadre des travaux de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires. Si chaque interlocuteur avait son budget, cela réduirait les capacités de synergie et d’interaction des différentes composantes de l’institut, et cela rigidifierait le système. Nos ministères de tutelle ont également considéré que ce ne serait pas souhaitable.

Cette question met en lumière l’enjeu de la visibilité du budget consacré à la sûreté nucléaire. Il nous paraît fondamental que le Parlement ait une vision globale de ces crédits et, à cette fin, nous sommes très favorables à ce que cette présentation soit faite dans un jaune budgétaire, comme le prône la Cour des comptes.

Les axes d’amélioration de la sûreté des centrales nucléaires renvoient aux conditions de prolongation des réacteurs au-delà de 40 ans. EDF a élaboré un programme substantiel d’amélioration, qui était à l’origine motivé par la volonté d’assurer la prolongation de vie des centrales, et dont la nécessité a été renforcée à la suite de l’accident de Fukushima. Les axes d’amélioration résident notamment dans l’ajout de matériels pour faire face à des situations extrêmes : diesel d’ultime secours, source d’eau ultime, dispositif supplémentaire de refroidissement de l’enceinte… Pour l’IRSN, il est primordial d’améliorer la recherche et le traitement des non-conformités dans les centrales, que l’on découvre encore en trop grand nombre de manière contingente. Le programme d’EDF va dans le bon sens. Ce travail, qui reste substantiel, devrait permettre d’atteindre les objectifs fixés par l’ASN.

La préparation aux crises est un sujet complexe, qui nécessite d’impliquer la population, notamment les personnes habitant à proximité des installations nucléaires. La loi LTECV a conféré des responsabilités aux CLI, auprès desquelles intervient l’IRSN. Nous avons développé, par exemple, l’outil de sensibilisation aux problématiques post-accidentelles à destination des acteurs locaux (OPAL), qui simule un accident nucléaire, en montrant, par exemple, ses effets en termes de contamination. Cet instrument aide la population à apprécier le risque, à se rendre actrice de la situation. Nous menons aussi des actions auprès de lycéens, pour favoriser le développement d’une culture du risque. Trois classes de première des lycées de Cherbourg, Coutances et Saint-Lô ont interagi avec notre laboratoire de Cherbourg-Octeville. Les lycéens ont effectué des mesures du tritium dans l’environnement, que le laboratoire a dépouillées.

Madame Sage, plus de 500 essais atmosphériques ont été conduits dans le monde, dont 46 ont été le fait de la France en Polynésie. L’IRSN a une équipe sur place, répartie sur huit sites ; il y a une présence à Papeete depuis 1962 – trois personnes s’y trouvent actuellement. Nous procédons notamment à des mesures dans l’environnement. Nous assurons une surveillance, tous les deux ans, sur sept îles de Polynésie représentatives des cinq archipels. Nos mesures, qui sont publiques, montrent depuis quelques années des niveaux très bas. L’hémisphère sud n’a pas subi les conséquences de l’accident de Fukushima car les circulations atmosphériques sont relativement étanches entre les deux hémisphères ; il subit essentiellement les retombées des essais – d’autres pays en ont effectué.

Nous procédons à des mesures dans l’eau, dans l’environnement ou sur des plateaux-repas type. L’exposition liée aux retombées des essais est de l’ordre d’un millième de la radioactivité naturelle, ce qui est très faible. Cela nous a conduits à ne plus établir ce rapport qu’un an sur deux. Le CIVEN nous a demandé en mars 2019 d’évaluer les doses reçues entre 1975 et 1980 : nous avons indiqué, dans un rapport public, que les valeurs étaient inférieures à 100 000 sieverts. Nous intervenons aussi au sein de plusieurs organismes, notamment la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires (CCSCEN).

La loi relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dite « loi Morin », repose sur la présomption d’imputabilité. Autrement dit, on considère que les essais ont pu contribuer à l’apparition d’un certain nombre de maladies – sur lesquelles l’IRSN est susceptible d’être consulté –, définies par décret. La DGS nous a interrogés sur les maladies radio-induites définies par le décret. Dans notre avis, nous avons conclu que ces dispositions étaient cohérentes non seulement avec les recommandations de l’UNSCEAR et de la Commission internationale de protection radiologique (CIPR), mais aussi avec la pratique observée dans d’autres pays. L’UNSCEAR a engagé une révision des cancers radio-induits en 2017, qui devrait aboutir, compte tenu du délai habituel de six ans, en 2023. Cela pourrait éventuellement conduire à une évolution de la liste.

Nous examinerons l’étude à laquelle vous faites référence – qui est très récente et de grande ampleur – essentiellement sous l’angle de la méthodologie employée.

Monsieur Bricout, vous m’avez interrogé sur la saturation du site de La Hague. Les combustibles qui sortent des centrales nucléaires doivent passent quelque temps dans des piscines de refroidissement avant d’être acheminés à La Hague. Ils y sont à nouveau entreposés avant d’être en partie retraités. Le combustible MOX, déjà issu d’un premier retraitement – il alimente une partie des réacteurs de 900 MW – doit y être stocké de manière durable. On constate une légère augmentation – de l’ordre d’une centaine de tonnes chaque année – de la quantité de combustible stockée dans les piscines du site d’Orano la Hague.

L’IRSN a rendu des avis sur le projet de création d’une piscine d’entreposage centralisé à l’horizon de 2034, mais la saturation des bassins actuels devrait intervenir avant. Nous avons alerté sur le problème de cohérence entre les deux calendriers.

Parmi les options envisageables, les opérateurs étudient la possibilité de densifier les bassins, autrement dit, d’y entreposer plus de combustible – le combustible usé est placé dans des paniers dont il s’agirait de réduire la taille grâce à l’emploi d’autres matériaux. Toutefois, il faut éviter qu’une réaction nucléaire ne débute dans la piscine, ce qui soulève des enjeux de protection neutrophage. Compte tenu des risques que nous avons identifiés dans notre première analyse technique, nous estimons que le site d’Orano devra compter des refroidisseurs supplémentaires, la charge thermique étant susceptible d’augmenter de 30 % quand la masse n’augmenterait que de 5 %. Mais les installations actuelles étant anciennes, la densification ne doit pas se substituer à la création d’une nouvelle piscine.

Le projet de densification des piscines fait l’objet de réunions avec la CLI de La Hague, l’ANCCLI et les représentants des associations. La population se montre très attentive au sujet et la société civile occupe une place croissante dans la réflexion. Il y a quelques années, les dialogues techniques n’existaient pas. L’IRSN les a développés avec les CLI, l’ASN et les opérateurs, ce qui lui donne l’occasion de présenter ses positions techniques.

La charte d’ouverture à la société, qui s’inscrit dans le cadre de nos axes stratégiques, a donné de bons résultats ces dix dernières années. Elle est désormais partagée par huit organismes, dont l’INERIS et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES).

Je citerai, parmi les pistes d’évolution, une diversification des interlocuteurs. À l’heure actuelle, le dialogue est circonscrit au petit cercle des gens concernés. J’ai récemment échangé avec France nature environnement et la Fondation Nicolas Hulot afin de déterminer comment nous pourrions renforcer nos relations. Notre contrat d’objectifs prévoit la création d’un comité des parties prenantes, qui nous aidera à avancer sur ces sujets.

Depuis le début de la pandémie, l’IRSN a fait preuve de résilience. Nous avons réussi à gérer plusieurs crises importantes. Les grands incendies survenus autour de Tchernobyl, qui ont suscité beaucoup d’interrogations, nous ont conduits à mobiliser notre centre de crise. À la suite de l’incendie qui a endommagé le sous-marin Perle, en juin dernier, le préfet nous a demandé d’envoyer nos moyens de mesure dans l’environnement.

Nombre d’installations nucléaires ont été arrêtées. Toutefois, les réacteurs d’EDF – et le cycle du combustible qui leur est associé – ont continué à fonctionner. EDF a reporté les arrêts de tranche, ce qui a parfois entraîné des difficultés à la reprise des travaux. Les tensions, le stress ont pu favoriser l’apparition d’incidents. Le report à l’hiver des arrêts de tranche a fait craindre un incident réseau généralisé, un risque déjà identifié lors du passage à l’an 2000. Une météo plutôt favorable a permis de l’éviter.

Nous avons proposé à l’ASN, qui l’a repris à son compte, un cahier des charges pour questionner les opérateurs sur les enseignements qu’ils tirent du covid. Nous ferons un retour d’expérience à partir des données qu’ils nous fourniront sur les effets de la pandémie sur les processus de décision, les métiers, l’interaction entre les composantes du cycle nucléaire – réacteurs, station de fabrication du combustible –, les relations avec les fournisseurs industriels ou encore le contrôle des installations.

Après Fukushima, on a constaté une baisse de l’intérêt pour les carrières dans le nucléaire. À titre d’exemple, les effectifs des sessions de formation en génie atomique assurées par l’Institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN) sont passés de 100 à 60 personnes. Nous arrivons toujours à attirer des profils de valeur au sein de l’IRSN, mais nous avons plus de difficultés à les garder. En France, les opérateurs nucléaires se sont organisés pour traiter ce sujet.

Le sujet de la canicule avait été traité une première fois au milieu des années 1980. Lors des épisodes caniculaires de 2003 et de 2019, on a pu constater que, dans certaines conditions, les normes de conception des installations étaient dépassées. Cela nous a conduits à demander à EDF de renforcer un certain nombre de dispositifs, comme des échangeurs de chaleur, afin de s’assurer que des éléments importants pour la sûreté ne soient pas soumis à des températures excessives. EDF doit procéder à des essais et à des vérifications dès que des épisodes de forte chaleur surviendront. Nous suivons aussi de manière très sérieuse les conséquences du changement climatique. Le référentiel de sûreté des installations nucléaires doit être révisé tous les ans, en s’interrogeant notamment sur les niveaux de température qui seront atteints. L’IRSN a également mis en place il y a quelques mois un groupe de recherche pluridisciplinaire sur les enjeux du changement climatique.

Je suis heureux que vous m’ayez interrogé sur la radiothérapie, car l’IRSN travaille aussi sur les aspects médicaux du nucléaire. Nous participons au plan cancer de l’Institut national du cancer (INCa) et nous serons chef de file d’un programme européen visant à organiser la radioprotection médicale.

M. Jacques Krabal. Ma question porte sur la sûreté des centrales nucléaires au-delà de 40 ans, âge atteint par les 32 réacteurs de 900 MW les plus anciens. Conformément à la loi de 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, les réexamens de sûreté ont lieu tous les dix ans. Qu’en est-il pour les centrales de plus de 40 ans ? Faut-il réviser la loi ? Permettez-moi de citer un extrait de la fable Le Loup, la Chèvre et le Chevreau de Jean de la Fontaine, dont nous célébrons le 400e anniversaire de la naissance à Château-Thierry : « Deux sûretés valent mieux qu’une ». En France, nous avons la chance d’avoir l’ASN et l’IRSN !

M. Martial Saddier. Je ne vois pas l’intérêt de poser des questions à ce stade de l’audition. Je suis resté par correction, mais je ne suis pas certain de participer au vote.

Monsieur le directeur général, j’aurais souhaité vous entendre sur l’aspect médical de l’activité de l’IRSN. Par ailleurs, vous avez évoqué la nécessité, à la suite de l’accident de Fukushima, de disposer de sources de refroidissement pour les centrales nucléaires. Menez‑vous des travaux sur les quantités d’eau et la température adéquates ?

M. Jean-Luc Fugit. Quels axes de recherche avez-vous identifiés comme majeurs pour les prochaines années ? Quelle est votre perception en matière de recrutement de doctorants et de formation doctorale ? Le domaine du nucléaire suscite parfois un militantisme hostile, pouvant dissuader les jeunes chercheurs de s’engager dans cette filière.

Dans le COP 2014-2018 figuraient des éléments intéressants en matière de transparence. Comment organiser un dialogue continu avec la société et faire en sorte que la science l’emporte sur les croyances ? Quelles améliorations pouvez-vous envisager ?

M. Jean-Christophe Niel. Les exigences de sûreté formulées par l’ASN pour la prolongation au-delà du seuil de 40 ans s’expliquent par deux raisons. La première est que certains des composants des centrales ont été conçus pour quarante années d’exploitation. Il est donc normal de s’interroger spécifiquement sur ces derniers. La seconde est qu’avec la mise en service de l’EPR, deux générations de réacteurs cohabiteront dans le parc français, avec quarante ans de différence d’âge ; d’où l’importance d’améliorer de manière significative la sûreté des réacteurs les plus anciens afin qu’il n’y ait pas d’écart entre elles.

La médecine est un champ important de l’activité de l’IRSN. Nous fournissons des expertises très diverses à la demande des agences régionales de santé (ARS) ou du ministère de la santé, allant de la dose reçue lors d’une radiographie par une femme ignorant qu’elle est enceinte à une analyse sur les doses délivrées par le parc de scanners en service, afin d’étudier s’il convient d’accélérer son remplacement.

En matière médicale, les axes de recherche s’organisent autour de deux thèmes : d’une part les fortes doses et l’impact des sur-irradiations, parfois d’origine médicale – nous avons signé un accord récemment sur ce sujet avec l’institut Gustave-Roussy –, d’autre part les faibles doses et leurs effets chroniques – l’exposome. Nous travaillons également sur la surveillance des patients, en établissant de manière régulière un rapport sur l’exposition radiologique de la population française liée aux examens d’imagerie médicale diagnostique.

Des travaux de recherche sont en cours sur le refroidissement des centrales nucléaires. Il s’agit d’un sujet majeur, puisque la perte de refroidissement peut aboutir à un accident grave. Tout un champ de notre recherche est consacré aux accidents graves. Après celui de Fukushima, nous avons engagé, grâce à un financement de l’ANR, des études sur le refroidissement des piscines d’entreposage de combustible – thème probablement insuffisamment traité auparavant.

En matière de recherche, nous menons aussi des travaux sur le combustible, sur le risque d’incendie et sur le vieillissement des matériaux. Dans le domaine de la radioprotection, nos travaux portent sur les faibles doses chroniques et sur les fortes doses, notamment en cas d’accident de radiothérapie. L’IRSN joue un rôle moteur avec l’hôpital Percy dans le développement de thérapies par injection de cellules-souches pour soigner les victimes de sur-irradiation.

La recherche représente 40 % du budget de l’IRSN ; il emploie en permanence une centaine de doctorants et post-doctorants : c’est un élément essentiel, une force de frappe en contact étroit avec le milieu académique.

L’amélioration du dialogue avec la société est l’un des axes stratégiques figurant dans le COP. Un comité de dialogue avec les parties prenantes est en cours de création. Nous avons également pour projet d’élargir le champ des organismes et des personnes avec lesquels nous échangeons.

Mme la présidente Laurence Maillart-Méhaignerie. Je vous remercie pour la précision de vos réponses. Cette audition a été très éclairante.

M. Jean-Christophe Niel. L’IRSN et moi-même sommes à la disposition de la commission et de chacun d’entre vous.

 

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Après le départ de M. Jean-Christophe Niel, il est procédé au vote sur la proposition de nomination par appel nominal à la tribune et à bulletins secrets, les scrutateurs d’âge étant Mmes Mathilde Panot et Laurianne Rossi.

Les résultats du scrutin qui a suivi l’audition sont les suivants :

Nombre de votants

24

Abstention, bulletins blancs ou nuls

1

Suffrages exprimés

23

Pour

22

Contre

1

 

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Informations relatives à la Commission

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a nommé Mme Sabine Rubin, rapporteure sur la proposition de loi relative à la limitation des impacts négatifs de la publicité (n° 4019).

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