Compte rendu

Commission
des affaires sociales

   Projet de loi de finances pour 2021 (n° 3360) (seconde partie) : examen des crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite et du compte d’affectation spéciale Pensions (M. Belkhir Belhaddad, rapporteur pour avis)               2

   Information relative à la commission.......................31

   

 

 

 


Mercredi
4 novembre 2020

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 18

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
Mme Fadila Khattabi,
Présidente
 


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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 4 novembre 2020

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

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La commission en vient, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2021 (n° 3360) (seconde partie), à l’examen des crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite et du compte d’affectation spéciale Pensions (M. Belkhir Belhaddad, rapporteur pour avis).

Mme la présidente Fadila Khattabi. Ce matin, nous concluons nos travaux sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2021, avec un cinquième rapport pour avis consacré à la mission Régimes sociaux et de retraite. Je félicite notre rapporteur pour avis, M. Belkhir Belhaddad, pour son rapport très riche, qui met en lumière l’impact indéniable du covid, mais dresse également un tableau intéressant de l’égalité entre les femmes et les hommes face au système de retraite.

M. Belkhir Belhaddad, rapporteur pour avis pour les crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite et du compte d’affectation spéciale Pensions. Nous avons beaucoup parlé des retraites il y a quelques mois. Depuis, bien des choses se sont passées et se passent encore : l’actualité est tristement riche. Néanmoins, il est bon que nous gardions un œil sur la question des retraites, tant la problématique demeure ; pis, elle s’aggrave avec la crise. Les dernières projections du Conseil d’orientation des retraites (COR), parues au mois d’octobre, prévoient une dégradation massive du déficit du système de retraite, de 1,9 milliard d’euros en 2019 à 25,4 milliards d’euros en 2020. La réalité sera sans doute pire, puisque ces projections ne prennent pas en compte la deuxième vague.

Au-delà de 2020, la crise que nous vivons aura des effets durables sur les équilibres de notre système de retraite. Une note récente de l’Institut Montaigne anticipe un déficit supérieur à 30 milliards d’euros en 2030, soit une dégradation de 20 % par rapport à ce qui était prévu avant la crise. Nous ne pourrons donc pas mettre de côté très longtemps le sujet. Le Gouvernement a choisi de ne pas prendre de mesures de rééquilibrage pour la branche vieillesse dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2021 ; avec la crise économique que nous vivons, et le contexte très mouvant, cette décision était sage. Mais, tôt ou tard, nous devrons reprendre cette discussion. Nous devrons alors retrouver l’ambition qui était la nôtre au début de quinquennat : réformer en profondeur notre système de retraite pour le rendre plus simple, plus lisible, plus endurant, plus soutenable et surtout plus équitable.

Car c’était là l’enjeu central de la création d’un système universel de retraite. La coexistence de tous les régimes actuels n’est pas seulement complexe, inefficace, incompréhensible pour le citoyen ; elle est aussi profondément injuste. Qui peut justifier que certaines catégories professionnelles aient droit à des retraites beaucoup plus avantageuses que d’autres ? Qui peut justifier que des personnes déjà pénalisées pendant leur vie active le soient davantage à l’heure de la retraite ?

Or c’est ce qui se passe actuellement, et la crise économique ne fera qu’aggraver ces inégalités. Certaines catégories socioprofessionnelles sont plus touchées que d’autres, le privé l’est davantage que le public, les jeunes sont particulièrement pénalisés, ainsi que les indépendants et les femmes. Si nous ne réformons pas notre système de retraite, qui favorise les carrières longues et ascendantes, toutes ces personnes qui souffrent actuellement seront encore pénalisées à l’heure de la retraite.

Nous devons donc tous avoir conscience que l’heure est grave pour les retraites. Notre système est clairement insoutenable et les deux missions dont j’ai la charge, la mission Régimes sociaux et de retraite et le compte d’affectation spéciale Pensions, en sont une bonne illustration.

La mission Régimes sociaux et de retraite porte la subvention du budget de l’État à plusieurs régimes spéciaux qui ne peuvent se financer eux-mêmes, notamment celui de la SNCF, désormais clos, de la RATP, des marins, mais aussi plusieurs petits régimes pratiquement éteints. La contribution de la solidarité nationale à ces régimes s’élèvera en 2021 à 6,2 milliards d’euros, malgré les multiples réformes entreprises pour les rapprocher du droit commun.

Le compte d’affectation spéciale Pensions retrace quant à lui la contribution de l’État employeur aux pensions civiles et militaires des agents de l’État. En 2020, cette contribution s’élevait à 42,5 milliards d’euros. L’État consacre donc environ 49 milliards d’euros au financement des régimes spéciaux et des retraites des fonctionnaires et ces dépenses devraient s’accroître au cours des prochaines années, en raison des évolutions démographiques.

Il est évident que nous ne pouvons pas accepter cette insoutenabilité et cette iniquité. Nous devons donc poursuivre la réflexion sur les caractéristiques d’un futur système de retraite : il est évident qu’une réforme comme celle-là ne s’improvise pas, et qu’elle doit pleinement associer la représentation nationale et les citoyens.

C’est pourquoi je propose que nous entamions, au sein de la commission des affaires sociales, un travail préparatoire à la reprise de cette réforme. Dans le cadre de ce rapport, j’ai choisi une thématique centrale pour l’équité du futur système de retraite : l’égalité entre femmes et hommes. Centrale, car les femmes concentrent souvent les désavantages dans les régimes de retraite actuels, même s’il y a des différences selon les régimes et selon les catégories socioprofessionnelles.

Il n’en reste pas moins que la pension d’une femme est en moyenne inférieure de 40 % à celle d’un homme. Cette différence s’explique par des inégalités de carrière et par le fait que le système actuel pénalise les carrières courtes et heurtées. Certes, les différents dispositifs de solidarité viennent compenser quelque peu ces écarts de revenus, mais la situation n’est pas satisfaisante pour autant.

À l’évidence, la priorité commande d’œuvrer en faveur de l’égalité professionnelle des femmes et des hommes, afin de réduire les écarts de salaire. Je salue le grand pas en avant que nous venons de faire avec l’allongement du congé de paternité, mais nous devons aller plus loin. La réforme du congé parental, préconisée par la commission des 1000 premiers jours, est une étape indispensable pour rééquilibrer le partage des tâches domestiques et familiales au sein des couples. Le Gouvernement y travaille ; notre commission doit y veiller et être force de propositions.

Nous devons également mieux lutter contre les discriminations salariales entre femmes et hommes. Un écart de rémunération de 5 % subsiste, qui ne s’explique ni par la quotité de travail, ni par le poste occupé : ces 5 % correspondent à des pratiques discriminatoires des entreprises, mais aussi des administrations publiques. Nous devons généraliser les obligations de publication de résultats en matière d’égalité femmes-hommes, afin de forcer un changement de culture.

En outre, pour mieux garantir les droits à retraite des femmes, nous pouvons bâtir sur certaines pistes du système universel de retraite qui sont plutôt des avancées. Je ne vais pas revenir en détail sur toutes mes analyses et propositions ; vous les trouverez dans mon rapport, que je vous invite à consulter, si ce n’est déjà fait.

Le projet de système universel était parvenu à un bon équilibre sur la question des droits familiaux, avec la majoration de 5 % des pensions par enfant, dès le premier enfant, une part revenant obligatoirement à la mère au titre de la maternité. Ce système permet de mieux prendre en compte la situation des familles monoparentales. La majoration supplémentaire de 2 % pour les familles de plus de trois enfants me semble aussi bienvenue et équitable.

Je suis également favorable à la suppression de ce qui constitue des incitations à ne pas travailler pour les femmes : ainsi, l’allocation vieillesse des parents au foyer, associée au congé parental dans son format actuel, constitue une trappe à inactivité pour les femmes. En revanche, en réformant le congé parental, nous devrons aussi veiller à ce qu’il soit pleinement pris en compte pour les droits à la retraite.

Autre question soulevée par la réforme des retraites, les pensions de réversion, qui profitent très largement aux femmes, du fait de leur plus grande longévité. La notion de maintien du niveau de vie des veuves retenue par le projet de loi, à raison de 70 % des revenus antérieurs du couple, me semble équitable.

Mais, nous devons encore avancer sur plusieurs questions, comme celle du droit à réversion des divorcés. Je suis très favorable à ce qu’on étudie l’option d’un partage des droits à retraites au sein du couple au moment du divorce, en fonction du nombre d’enfants élevés pendant les années de mariage. Nous pourrions utilement creuser cette idée.

Nous devrions aussi étudier l’option d’une ouverture – mesurée – de la réversion aux pacsés. Pourquoi la réserver aux mariés, alors que l’un des membres d’un couple pacsé peut tout à fait avoir mis entre parenthèses sa carrière pour s’occuper des enfants, sans aucune compensation à l’heure de la retraite ?

Enfin, nous devons repenser dès à présent la définition des critères de pénibilité, qui donnent droit à une retraite anticipée. La crise sanitaire met en lumière les métiers du soin et des services à la personne, sans lesquels notre société ne pourrait pas tourner, et qui actuellement perdent sur tous les plans. Les critères actuels de la pénibilité sont trop masculins et ne s’appliquent que marginalement à ces métiers qui sont pourtant – nul ne le contestera – des métiers pénibles.

Nous devons également aborder sans tarder la problématique de la rémunération des enseignants – souvent des enseignantes, surtout dans le premier degré. La réforme des retraites a mis en lumière les inégalités dans la fonction publique, dont sont tributaires les enseignants qui n’ont que très peu de primes. Les exigences qui pèsent sur le système scolaire ne font pourtant que s’accroître. La période actuelle en est une bonne illustration : je salue tous ces enseignants et enseignantes qui se démènent pour continuer à accueillir nos enfants, avec des protocoles sanitaires drastiques.

Voilà, mes chers collègues, les grandes réflexions que je souhaitais partager avec vous. Vous les trouverez plus en détail dans mon rapport. Ce que je souhaite, et que j’ai cherché à impulser, c’est que nous reprenions un à un les éléments du débat sur les retraites pour y travailler de manière apaisée et constructive, en sachant que, tôt ou tard, cette réforme devra avoir lieu.

Dans l’immédiat, je vous appelle à voter en faveur des crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite et du compte Pensions, car ils financent les retraites de plusieurs millions de nos concitoyens que nous ne pouvons pas priver des moyens de leur subsistance, dans l’attente d’une réforme globale du système.

Mme Monique Limon. Monsieur le rapporteur pour avis, je vous remercie pour la qualité de votre rapport, et pour l’approche que vous avez choisie : certes, nous abordons les crédits de la mission Régimes spéciaux et de retraite, qui financent des régimes spéciaux n’ayant pas la capacité de s’autofinancer et nécessitent une subvention de l’État, mais il apparaît aussi important et nécessaire de s’interroger plus largement sur l’impact de la crise et ce qu’elle met en lumière pour les Français les plus fragiles.

Sur les crédits de la mission, la crise ne se fait pas sentir : on note une certaine stabilité, avec une légère baisse des crédits, principalement liée à la démographie de l’ensemble de ces régimes – 6,15 milliards d’euros contre 6,23 milliards, en diminution de 1,19 % par rapport à la programmation pour 2020. Bien entendu, nous voterons les crédits de cette mission qui permettent d’assurer le versement des retraites des régimes spéciaux des mines, de la SEITA, de la SNCF, régime désormais fermé, de la RATP, des chauffeurs poids lourds ou encore des marins. La baisse des crédits résulte pour la plupart des régimes de la baisse du nombre de bénéficiaires pensionnés, mais le financement des caisses reste assuré.

Vous abordez dans votre rapport le point d’étape réalisé par le COR le mois dernier. Vous avez raison, il est alarmant puisqu’il estime que le déficit du système de retraite se creusera très massivement dès 2020 pour atteindre 25 milliards d’euros, puis plus de 10 milliards d’euros pour les années suivantes jusqu’à 2024. Ces premiers constats – qui ne prennent pas en compte la deuxième vague –, ne rendent-ils pas nécessaire la reconstruction d’un système universel solide, en intégrant les quarante-deux régimes spéciaux de retraite et en rattachant l’ensemble des assurés au régime général pour corriger les nombreuses injustices du système actuel et construire un modèle de protection sociale ancré dans le XXIe siècle ?

Vous le dites d’ailleurs très bien dans votre rapport : la crise actuelle a conduit à mettre en pause la réforme des retraites. Mais en accentuant les déséquilibres des régimes de retraite, elle en accroît aussi l’urgence. Une telle situation conduit nécessairement à une réforme du système. Je souhaite la mise en œuvre du système universel tel que nous l’avons voté en première lecture il y a quelques mois.

M. Thibault Bazin. Voté ? Nous n’avons pas pu voter !

Mme Monique Limon. Tous nos amendements ont été pris en compte, malgré le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Nous étions donc tout à fait satisfaits de ce texte, tel qui se présentait à la sortie de l’Assemblée nationale.

Vous évoquez ensuite plus spécifiquement les mesures pour lutter contre les inégalités entre les hommes et les femmes. Nous aurons l’occasion d’y revenir avec les questions. Je conclurai en soulignant les mesures que nous avons prises et que nous proposons pour améliorer la situation des personnes qui sont actuellement les plus touchées par la crise : la revalorisation à 85 % du SMIC pour les exploitants agricoles, votée il y a quelques mois et généralisée dans le projet de loi, la prise en compte de toutes les heures travaillées, une meilleure prise en compte de la pénibilité, la création de nouveaux droits familiaux, notamment pour les mères isolées. Toutes ces mesures et celles permettant d’assurer un financement solide grâce à un pilotage unifié de l’ensemble des régimes n’ont jamais autant été d’actualité. Nous aurons l’occasion d’en débattre, mais il était important de nous les remémorer.

M. Bernard Perrut. L’heure est grave, avez-vous dit ; je partage votre constat. S’il est bien une préoccupation qui touche le cœur même de la vie des Français, c’est celle des retraites. Il y a quelques jours, le COR annonçait que le solde du système de retraite français incluant l’ensemble des régimes de retraite obligatoires – y compris le Fonds de solidarité vieillesse – connaîtra une dégradation brutale en 2020.

Monsieur le rapporteur pour avis, l’impact économique de la crise sanitaire doit être pris en compte lors du retour du projet de loi sur les retraites à l’Assemblée nationale. En entraînant une contraction brutale de la masse salariale du secteur privé – chômage partiel, baisse de l’emploi –, la crise économique a un impact massif sur les recettes du système de retraite, qui reposent sur des cotisations elles-mêmes assises sur les salaires. Et cet effet est amplifié par les mesures de report ou d’exonération de cotisations prises en soutien de l’activité économique.

Dans votre rapport, vous signifiez que la reprise économique pourrait permettre la résorption du déficit conjoncturel des retraites à l’horizon 2024. Vous vous appuyez toutefois sur les projections issues du projet de loi de finances pour 2021, aléatoires, car elles ne prennent en compte ni la deuxième vague, ni le reconfinement. Sommes-nous face à une forme de présentation insincère, monsieur le rapporteur pour avis ? Comment voyez-vous réellement l’avenir ?

Le groupe Les Républicains a pour sa part fait le choix de la responsabilité et de la clarté, en proposant de relever l’âge du départ à la retraite, seul moyen de pérenniser financièrement et durablement notre système, sans baisser les retraites ni augmenter les cotisations – ce que nous refusons.

En 2012, la pension nette moyenne représentait 62 % du salaire net moyen. Selon les projections du COR, elle passera à 48 % en 2040. Le risque pour beaucoup – et majoritairement des femmes – est que la pension se confonde avec un minimum social, faisant de la retraite une période d’appauvrissement marquée, sans espoir d’amélioration. C’est aussi le risque d’une dégradation du système actuel, le niveau de vie des retraités décrochant par rapport à celui des actifs. Plutôt que d’alimenter la guerre entre générations, nous voulons au contraire fixer trois objectifs : équilibrer financièrement le système des retraites pour garantir à chacun le niveau de pension auquel il a droit ; mettre fin aux régimes spéciaux afin de respecter les principes d’équité et de justice entre les Français ; permettre aux retraités les plus modestes et aux personnes âgées les plus dépendantes de bénéficier d’une plus forte solidarité nationale.

Vous évoquez la situation préoccupante des femmes dans votre rapport. Le Fonds monétaire international a publié une tribune dans laquelle il alerte sur les effets disproportionnés du covid-19 sur les femmes et leur statut économique : la pandémie menace d’effacer les gains obtenus, creusant les écarts qui persistent entre les sexes en dépit de trente ans de progrès.

Les secteurs d’activité qui concentrent une majorité de femmes ont la particularité de se situer aux deux extrémités du spectre des secteurs affectés par le covid-19 : elles sont en effet majoritaires dans les secteurs indispensables à la gestion de la crise sanitaire – soignants, personnels techniques dans les établissements hospitaliers et médico-sociaux, soins à domicile – et elles sont également nombreuses dans les secteurs les plus durement touchés par la distanciation physique et les mesures d’atténuation – distribution, tourisme, hôtellerie.

Enfin, le télétravail représente une double peine pour les femmes, souvent en charge de tâches domestiques et familiales très prenantes. Que proposez-vous pour les protéger ? Comment préserver les dispositifs redistributifs qui bénéficient davantage aux femmes, en atténuant en partie les inégalités de pension ?

S’agissant des pensions de réversion des veufs et des veuves, le Gouvernement entend mettre en place un système harmonisé qui garantirait au conjoint survivant 70 % du niveau de vie du couple. Avouez-le, le calcul est particulièrement flou et ferait de nombreux perdants : 4,4 millions de Français, soit près d’un quart des retraités, touchent une pension de réversion, dont 89 % sont des femmes. Il faut étudier cette question avec une grande d’attention, monsieur le rapporteur pour avis, car les Français attendent beaucoup de cette évolution.

M. Nicolas Turquois. Monsieur le rapporteur pour avis, je vous remercie pour la clarté et la qualité de votre rapport. L’examen de la mission Régimes sociaux et de retraite revêt une dimension particulière dans le contexte de crise sanitaire et économique, ces deux chocs combinés ayant conduit à l’arrêt brutal du processus de réforme de notre système de retraite au début de printemps dernier.

Les crédits que nous examinons aujourd’hui sont à l’image du système actuel, extrêmement complexes et peu lisibles. Les régimes spéciaux, dérogatoires et spécifiques de la fonction publique pèsent près de 50 milliards d’euros dans nos comptes publics. Plus que jamais, cette mission témoigne de la nécessité de tendre au plus vite vers l’universalité des régimes pour mettre fin à cette illisibilité et aux inégalités interrégimes qui se creusent au fil des années.

Au-delà de son aspect purement financier, cette mission budgétaire permet de mettre en perspective la nécessité d’une réforme d’ampleur afin d’harmoniser tous les régimes existants, et en particulier ceux financés dans les différents programmes que nous examinons – SNCF ou RATP par exemple.

Notre groupe est convaincu qu’il est indispensable de parvenir à un système en phase avec les réalités économiques actuelles, tout en accompagnant la transition des régimes spéciaux, mais aussi en protégeant leurs bénéficiaires et les fonds constitués et accumulés : il s’agit non seulement d’une question d’équité, mais aussi de soutenabilité financière à moyen terme. C’est pourquoi nous vous rejoignons, monsieur le rapporteur pour avis, dans votre analyse. La crise que nous vivons va accentuer les déséquilibres des régimes et la solidarité nationale ne pourra pas tout absorber. Le creusement des déficits déjà inquiétant avant la crise va continuer à s’aggraver. Le statu quo n’est donc pas une option.

Il faut se rendre compte que le financement des régimes spéciaux et des pensions des fonctionnaires par le budget de l’État constitue près de 13 % de ses dépenses totales.

À la lumière de ces éléments, il apparaît évident que la réforme des retraites doit être remise au cœur du débat public, même si nous ne savons pas sous quelle forme. Peut-être faudra-t-il d’abord s’attaquer aux questions paramétriques urgentes avant de reprendre la construction d’un régime universel ? Nous continuons à penser que l’un ne peut se faire sans l’autre. Dans tous les cas, les délais dont nous disposons pour maintenir le navire à flot sont extrêmement contraints.

Je ne reviendrai pas sur le détail des crédits de la mission et de ses programmes. Le rapporteur pour avis a explicité la situation et rappelé la nécessité de valider ces dépenses afin de garantir le montant des pensions de nombreux retraités. C’est pourquoi le groupe Mouvement Démocrate et Démocrates apparentés votera les crédits de cette mission tout en rappelant l’impérieuse nécessité de s’atteler rapidement à une réforme profonde de notre système de retraite.

M. Paul Christophe. Comme vous l’avez rappelé, la réforme des retraites a été malheureusement interrompue par la crise sanitaire et économique. Votre rapport souligne que l’État consacre 49 milliards d’euros pour financer les régimes spéciaux et les retraites des agents de l’État. La mission Régimes sociaux et de retraite subventionne des régimes spéciaux pour la plupart très anciens, qui ont cette caractéristique commune de connaître un fort déséquilibre démographique et d’être dans l’impossibilité de s’autofinancer. Ils bénéficient donc des crédits de l’État, au titre de la solidarité nationale, pour plus de 67 % de leurs ressources totales. Les crédits de la mission que nous examinons sont stables à hauteur d’un peu plus de 6 milliards d’euros.

L’un des mérites de l’examen de cette mission est de rappeler l’extraordinaire complexité qui caractérise notre système de retraite, avec le maintien de régimes spéciaux préexistants à la création du régime général de 1945. C’était d’ailleurs une des mesures fortes du projet de loi de réforme des retraites examiné début 2020, qui proposait leur extinction progressive. Les importantes disparités, qui subsistent, continuent de susciter l’incompréhension chez nos concitoyens.

Cette mission souligne bien l’importance de notre responsabilité de bâtir un système de retraite modernisé, clarifié, compréhensible et soutenable pour les générations à venir.

Dans votre rapport, vous mentionnez la clôture du régime de retraite du personnel de la SNCF. Depuis la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire, la SNCF a cessé de recruter au statut SNCF à compter du 1er janvier 2020. Les nouveaux agents recrutés par le groupe public sont ainsi affiliés au régime général, la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) et l’AGIRC-ARRCO assurant l’encaissement de leurs cotisations et le paiement de leurs droits futurs. Existe-t-il une projection permettant d’analyser les effets de la fermeture du statut sur le niveau de la subvention d’équilibre de l’État ? Même si les effets ne se feront sentir qu’à long terme, en raison du nombre de salariés encore sous le statut SNCF, il serait intéressant d’avoir une perspective chiffrée de cette mesure pour la réforme à venir.

En outre, comme vous l’avez souligné, en entraînant une contraction brutale de la masse salariale du secteur privé du fait de la mise en place du chômage partiel et de la baisse de l’emploi, la crise économique a un impact massif sur les recettes du système de retraite, qui reposent sur des cotisations assises sur les salaires. Quel sera l’impact de la crise sur le financement des retraites ? Comment envisager la soutenabilité du régime ?

Même si la deuxième vague que nous affrontons rend impossible l’adoption de mesures d’équilibrage du système de retraite – qui ne pourraient être que court-termistes en raison de l’instabilité de la situation – comment les déficits cumulés sont-ils gérés par l’État dans l’attente de la prochaine réforme ?

Comme toute crise, la situation actuelle démontre les forces, mais aussi les failles structurelles du système de protection sociale. Elle souligne avec plus de prégnance encore l’absolue nécessité d’établir un système de retraite lisible et financé.

Dans l’attente d’une réforme globale, que notre groupe Agir ensemble appelle de ses vœux, nous donnons un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite et du compte Pensions, indispensables pour le maintien de la retraite de millions de retraités.

M. Adrien Quatennens. Vu la mission que nous avons à examiner ce matin, on s’y attendait un peu, mais vous devriez avoir honte, chers collègues... Au cœur d’une crise sanitaire dont les conséquences sociales sont d’ores et déjà désastreuses et promettent de l’être encore davantage, alors que la pauvreté atteint dans notre pays un niveau jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale, vous devriez avoir honte, dis-je, de remettre sur le tapis, en ressortant les mêmes éléments de langage, une réforme des retraites qui a avorté et que 70 % des Français rejetaient. Et vous revenez avec votre petit sourire en coin nous resservir exactement les mêmes arguments ! Eh bien, puisque votre intention est de la remettre sur la table, la nôtre est de faire en sorte qu’elle reste bien profondément enfouie dans la poubelle où elle se trouve à cette heure.

Mais puisque vous relancez le débat de fond, allons-y : il est toujours aussi passionnant. Rappelons que sous couvert de simplification, de justice et d’égalité, l’objectif non avoué de votre réforme – bien que la discussion dans l’hémicycle ait provoqué certains aveux sur le banc du Gouvernement – est de procéder à une rupture historique : alors que, jusqu’à présent, lorsque la part des seniors dans la population s’accroissait, on augmentait la part de richesse consacrée aux retraites, vous entendez désormais la plafonner à son niveau actuel ; le produit intérieur brut (PIB) augmentant, expliquiez-vous, la richesse nationale allait augmenter et que nous n’aurions rien à craindre pour le financement des retraites... La suite des événements a montré quelle catastrophe en serait résulté si nous avions appliqué vos solutions de sorciers du fric... Le PIB a reculé de manière considérable, nous vivons une récession historique : si nous avions consacré la même part du PIB aux retraites, c’eût été un véritable désastre.

De plus, la réforme proposée place les Français devant une alternative simple : soit devoir travailler toujours plus longtemps pour atteindre le même niveau de pension, soit partir à la retraite à l’âge fixé, mais avec des revenus diminués – à moins de les compléter grâce aux assurances privées, qui n’ont cessé de faire des propositions en ce sens, ce que nous avions à l’époque dénoncé.

Mais surtout, elle soulève un problème d’ordre philosophique. Historiquement, avec le progrès, la productivité s’est considérablement accrue en France ; en parallèle, le temps de travail nécessaire pour produire la même chose s’est réduit, et c’est une des raisons pour lesquelles l’espérance de vie a augmenté – je ne dis pas que ce soit le seul facteur qui a joué, mais cela y a incontestablement contribué. Or ce vous nous proposez est antinomique avec le progrès.

Pour ce qui est du financement, je veux vous rassurer. Je sais que vous n’êtes pas honnêtes intellectuellement et que votre but est de faire travailler les gens plus longtemps, mais admettons un instant que vous le soyez et que, monsieur le rapporteur pour avis, vous soyez viscéralement inquiet pour le financement des retraites. Il n’y a aucune inquiétude à avoir. Pourquoi ? Parce que la question qui se pose est uniquement celle de la répartition de la richesse produite. Or, bien que seul le travail humain produise de la richesse, les dividendes versés aux actionnaires ont augmenté de 60 % en cinq ans ! En dix ans, en France, les dividendes ont augmenté de 70 % tandis que, dans le même temps, l’investissement productif reculait de 5 % et que le salaire minimum n’augmentait que de 12 %. Il est là, le cœur du problème : si la répartition de la richesse produite se faisait en faveur du travail et du salaire plutôt que du capital, que vous survalorisez depuis trois ans, nous n’aurions pas de problèmes pour financer notre système de retraite. Cessons donc les faux débats ; ce que vous voulez, c’est que les Français travaillent plus longtemps, parce que vous voulez consacrer une richesse toujours moins importante au travail humain et à sa rémunération, notamment par les retraites.

M. Nicolas Turquois. Quels propos outranciers ! Que l’on ait des divergences politiques, je peux l’entendre, cela fait partie de notre rôle, mais que l’on nous accuse de ne pas faire d’honnêteté intellectuelle dans notre grille d’analyse, ce n’est pas supportable, monsieur Quatennens.

Mme Monique Limon. Très bien !

M. le rapporteur. Je n’ai pas pour habitude de me laisser insulter, monsieur Quatennens.

M. Adrien Quatennens. C’est de la caractérisation politique ! Je n’ai insulté personne !

M. le rapporteur. Je trouve vos propos inadmissibles et parfaitement irresponsables – comme d’ailleurs les solutions que vous avancez. Je souhaiterais bien du plaisir aux Français s’ils s’avisaient de les mettre en œuvre !

M. Adrien Quatennens. Sur quoi vous fondez-vous pour dire cela ?

M. le rapporteur. Madame Limon, il est en effet nécessaire de remédier aux incohérences du système et aux iniquités de traitement entre nos concitoyens, et nous n’avons pas attendu que la réforme des retraites soit mise en œuvre pour apporter des corrections au profit de certains d’entre eux, en particulier les agriculteurs, trop longtemps oubliés.

Vous avez raison, monsieur Perrut : l’heure est grave. Les hypothèses sur lesquelles nous travaillons sont celles du COR ; elles vont jusqu’en 2024 et sont fondées sur les hypothèses de croissance du Gouvernement – qui ne prennent pas en compte les effets de la deuxième vague. À l’horizon 2024, le déficit structurel sera d’un peu plus de 13 milliards d’euros ; il devrait s’aggraver pour atteindre quelque 30 milliards d’euros à l’horizon 2030 : c’est considérable. D’où la nécessité de réagir rapidement.

S’agissant des pensions de réversion, il a été proposé d’assurer au conjoint survivant un niveau de revenus à hauteur de 70 % des ressources du couple et, à l’initiative de l’Assemblée nationale, d’en rendre le bénéfice possible à partir de 55 ans au lieu de 62 ans.

Le système actuel est extrêmement complexe, la juxtaposition de régimes différents en rend la gestion pour la collectivité incroyablement coûteuse, et les cas de plus en plus fréquents de polypensionnés en font un véritable casse-tête ; mis surtout, il est profondément inéquitable. Qu’est-ce qui peut bien justifier que certaines catégories professionnelles ont droit à des retraites beaucoup plus avantageuses que les autres ? Ce qu’on ne cesse de constater depuis dix ou vingt ans recueillerait-il votre accord, monsieur Quatennens ? Si le système actuel vous satisfait, grand bien vous fasse !

L’inégalité est particulièrement criante pour ce qui concerne les femmes. C’est pourquoi je soutiens, ainsi que d’autres collègues ici, de vraies propositions, comme la majoration des pensions dès le premier enfant, la lutte contre la pauvreté des retraités par l’octroi de 2 points supplémentaires aux parents à faibles revenus ou la réforme des pensions de réversion – treize régimes différents ! Je ne suis pas sûr que nos concitoyens acceptent longtemps encore toutes ces iniquités, qui sont d’ailleurs dénoncées par certaines oppositions. Nous sommes pour notre part aux responsabilités et nous nous employons à gommer ces distorsions, à faire en sorte que la retraite minimale soit revalorisée afin qu’une vie passée à cotiser, fût-ce faiblement, soit rétribuée à sa juste valeur à l’heure de la retraite et, plus généralement, que chaque période cotisée soit valorisée, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.

On voit bien, monsieur Turquois, que les inégalités se sont creusées à l’occasion de cette crise et que ceux qui en paient le prix fort sont ceux qui étaient déjà les plus précaires et les plus éloignés de l’emploi. Nous ne pouvons pas accepter de continuer dans cette voie, d’autant que ces distorsions ont un coût pour la société, puisque, comme je viens de le dire, le déficit structurel atteindra près de 30 milliards d’euros en 2030. Cela signifie qu’au-delà des mesures conjoncturelles que nous avons prises, qui sont importantes et qui étaient nécessaires pour accompagner les plus fragiles, il est nécessaire de réformer en profondeur notre système de retraite. Nous en avons pris le chemin avec ce projet de loi, et je propose d’aller encore plus loin sur certains aspects, mais il faut, j’en conviens, intégrer dans notre réflexion la question de la soutenabilité financière. Pour ce qui est du calendrier, je laisserai au Gouvernement le soin de vous apporter des précisions sur le sujet.

La fin du statut spécial de la SNCF entraînera à court et moyen terme une augmentation de la subvention de l’État en raison de la diminution du nombre de cotisants, monsieur Christophe, et cela malgré la compensation versée par la CNAV aux termes de la convention qui a été signée. Cette subvention diminuera à partir du moment où le nombre de pensionnés baissera plus rapidement que le nombre de cotisants – c’est un phénomène démographique que l’on observe aussi dans d’autres régimes.

Je pense avoir également répondu à plusieurs des arguments avancés par M. Quatennens.

Mme Laurence Vanceunebrock. Il y a quelques mois, nous avons adopté une proposition de loi visant à revaloriser les pensions de retraite agricoles. Ce fut un symbole fort pour le monde agricole, souvent oublié par les réformes sociales menées par le passé. Au-delà du soutien financier apporté, il s’agissait pour nous, majorité, de réparer une injustice et d’exprimer notre reconnaissance envers les acteurs du monde agricole. Or, dans le contexte de crise actuel, la situation financière des agriculteurs – en particulier ceux qui étaient déjà en difficulté – s’est encore dégradée et les inégalités risquent de se creuser.

Votre rapport traite plus particulièrement de la question des inégalités entre les hommes et les femmes, phénomène avéré dans le secteur de l’agriculture. Pourriez-vous nous indiquer comment la réforme des retraites améliorera-t-elle la situation des femmes conjointes d’agriculteurs qui ont participé pendant des années à l’exploitation ? La mesure de revalorisation a-t-elle eu déjà des effets positifs sur les retraites de ces femmes ?

M. Jean-Pierre Door. Vous voulez remettre sur le métier le projet de loi instituant un système universel de retraite, adopté il y a quelques mois par suite de l’application de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution. Quelle que soit la décision que vous prendrez, le système restera déficitaire : le déficit atteindra entre 25 milliards et 30 milliards d’euros d’ici quelques années. Il faut y remédier, nous n’avons pas le choix. Pour le groupe Les Républicains, il n’est pas question de réduire les prestations, ni d’augmenter les cotisations ; en revanche, nous pouvons jouer sur la durée de cotisation et sur l’âge pivot – comme dans les autres pays européens. Notre choix est donc d’élever l’âge pivot d’un trimestre par an, pour aboutir à 64 ans en 2028. Fixer un âge d’équilibre à l’horizon 2037, comme le propose le Gouvernement, ne permettra pas de rétablir l’équilibre financier. Avant de devenir Premier ministre, Jean Castex se disait favorable à un âge pivot de 64 ans ; il déclare aujourd’hui que l’exécutif est partisan d’en reporter à 2037 l’entrée en vigueur – mais ce sera trop tard. Il faut agir dès maintenant.

Mme Mireille Robert. Le projet de réforme des retraites prévoyait l’instauration d’un système de retraite par points, permettant ainsi aux futurs bénéficiaires de la pension de réversion de toucher 70 % des revenus du couple, cela afin de garantir au conjoint survivant le même niveau de vie qu’avant le décès de l’assuré. Or, dans le projet de loi adopté en première lecture, il est prévu que la pension de réversion restera une prestation réservée aux couples mariés, ce qui entraîne de fait une inégalité au détriment des couples pacsés.

Dans votre rapport, vous proposez d’étudier une ouverture sous conditions de la réversion aux pacsés. Je salue cette proposition qui permettrait de prendre en considération toute une partie de la population jusque-là privée de ce droit. Se pose néanmoins la question de son financement. Vous dites que la dépense serait compensée par la baisse de celle résultant du partage des droits à la retraite pour les divorcés. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce point précis ?

M. Thibault Bazin. Monsieur le rapporteur pour avis, cher collègue lorrain, vous avez évoqué les inégalités entre les hommes et les femmes, et surtout la faible part de femmes ayant des responsabilités. N’y aurait-il pas un lien avec la politique familiale ? La modulation des allocations familiales en fonction du revenu mise en place par vos camarades socialistes au travers de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 et confirmée depuis trois ans par votre majorité porte en effet atteinte à l’universalité à laquelle vous prétendez aspirer pour les retraités. Surtout, elle vient pénaliser les femmes qui veulent développer une carrière professionnelle. En effet, si elles prennent plus de responsabilités professionnelles, elles ont des revenus supérieurs et on ne les aide plus à concilier vie familiale et vie professionnelle : cela ne les incite pas à le faire, ce qui les pénalise au bout du compte pour la retraite. Vous dites vouloir soutenir les femmes et souhaitez qu’il y ait plus de femmes cadres dirigeantes : dans ce cas, seriez-vous prêt à revenir sur la modulation des allocations familiales et à en rétablir le caractère universel ?

M. Philippe Vigier. À vingt mois d’une élection présidentielle, il y a naturellement une tentation : c’est, comme le dit un des personnages du film Le Guépard, que tout change pour que rien ne change. Si l’on n’a pas un peu de courage politique et d’esprit de responsabilité, nous resterons dans l’impasse et les inégalités persisteront. Les petites retraites, les femmes, les agriculteurs, les commerçants et artisans si durement touchés par la crise sanitaire, tous ceux-là vivront ce qu’ont vécu les retraités modestes. Pour ma part, je n’ai pas oublié les chiffres de 2012 à 2017, quand l’augmentation des pensions de retraite était inférieure à l’inflation. Voilà d’où l’on vient. C’est pourquoi je vous pose cette question, monsieur le rapporteur pour avis : êtes-vous, oui ou non, prêt à faire preuve de courage et à admettre qu’une réforme paramétrique est indispensable – je pense que nous pourrions la faire tous ensemble. Ce n’est pas le moment d’engager une réforme systémique : on retomberait dans ce qui s’est passé dans cette maison il y a quelques mois. Une réforme paramétrique, en revanche, permettrait de répondre à l’urgence et aux déficits abyssaux qui vont se creuser encore au cours des longs mois que risque de durer cette crise.

M. Adrien Quatennens. Oui, collègues, je mets de la passion dans mes argumentations ; je m’en excuse, mais je n’arrive pas à traiter ces sujets sur un ton de répondeur automatique. Pour autant, je n’ai insulté personne : j’ai fait une caractérisation politique. Je suis persuadé que le Président de la République sait ce qu’il fait en procédant à cette réforme, mais sa majorité peut se répartir en deux camps : ceux qui sont, comme certains Français, sensibles aux éléments de langage relatifs à la simplification et qui y croient sincèrement ; et ceux qui savent pertinemment qu’il s’agit en réalité de trancher entre plusieurs options – peut-être, s’il est bien informé, M. le rapporteur pour avis le sait-il.

Le débat peut se résumer en deux points : premièrement, vous dites qu’il y a un problème de financement des retraites ; deuxièmement, vous en déduisez des solutions. S’agissant du premier point, outre le fait qu’avant la crise sanitaire, le COR lui-même relativisait le problème, je soutiens que si nous avions appliqué la réforme, il serait devenu bien plus aigu aujourd’hui, du fait de la crise ; qui plus est, on sait que les problèmes de financement sont en partie la conséquence des baisses de cotisations. Surtout, et c’est le second point, vous refusez de procéder à un rééquilibrage du partage de la richesse produite dans l’entreprise entre le travail et le capital, et c’est là notre point de désaccord essentiel.

Il est bien évident que je ne soutiens pas le statu quo. Ce qui est insupportable dans votre manière de faire, c’est que vous considérez que c’est soit le statu quo, soit votre solution, autrement dit qu’il n’y a pas d’alternative ! Ma question se résumera donc à ceci, monsieur le rapporteur pour avis : admettez-vous qu’il existe d’autres options pour financer les retraites que celle consistant à faire travailler les Français plus longtemps ou à baisser le niveau de leurs pensions ? On pourrait par exemple augmenter les salaires, voire les cotisations. Vous avez le droit de ne pas être d’accord, mais admettez que le problème ne se résume pas à une alternative entre le statu quo et la solution que vous proposez !

M. le rapporteur. Madame Vanceunebrock, n’ayant pas étudié particulièrement le sujet, je ne saurais répondre avec précision à votre dernière question, mais il est certain que la fixation du minimum de la pension de retraite agricole à 85 % du SMIC est un progrès pour toutes les personnes qui travaillent à temps plein et touchent de faibles revenus. Peut-être la situation des conjoints collaborateurs d’exploitations agricoles devrait-elle être examinée dans le cadre de la réforme des critères de pénibilité que j’évoquais tout à l’heure, réforme qui permettrait de porter une attention particulière à certains métiers qui n’ont pas été suffisamment valorisés. Cela permettrait d’aller plus loin que ce que nous avions fait dans le cadre de la proposition de loi déposée par nos collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Door a évoqué les différentes options envisageables, dont celle de l’âge pivot, et M. Vigier a insisté sur la nécessité d’engager cette réforme à court ou moyen terme. D’une manière générale, il me semble qu’il serait bon de mettre à profit cette pause – qui n’en est pas véritablement une – pour imaginer ce que pourrait être le futur système, en associant davantage les citoyens, en développant les simulations, notamment les études d’impact et les cas-types, en renforçant la communication sur cette question et en procédant à un réexamen des points sensibles. On pourrait alors mettre toutes les options sur la table – y compris celle de l’âge pivot, sans fermer aucune possibilité. Je rappellerai simplement qu’un certain nombre de propositions de l’opposition ont été intégrées dans le texte adopté en application de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution : cela montre notre ouverture aux propositions émises lors des débats, même si nous n’avons pas forcément réussi à trouver un terrain d’entente sur tous les sujets.

Madame Robert, en mettant en place un partage des droits pour les divorcés à la place de la réversion, nous dégagerions effectivement des économies qui permettraient de financer l’ouverture de la réversion aux personnes pacsées depuis au moins deux ans. Cela nécessiterait néanmoins des calculs plus précis, que je n’ai pas eu la possibilité de réaliser dans le cadre de ce rapport pour avis.

Monsieur Bazin, au procès qui nous est fait sur la politique familiale, je répondrai en citant les mesures que nous avons prises en la matière, par exemple concernant les 1 000 premiers jours, ou la majoration de 30 % du montant maximal d’aide auquel les familles monoparentales ou celles dont un enfant est en situation de handicap peuvent prétendre au titre de la garde de leur enfant, ou encore l’extension du tiers payant au complément de libre choix du mode de garde, les cent deux jours de congé maternité pour les travailleuses indépendantes et les exploitantes agricoles, l’allongement du congé paternité, pouvant aller jusqu’à trente jours consécutifs en cas d’hospitalisation de l’enfant. Je ne trouve pas que votre proposition aille dans le bon sens ; en tout cas, sur le plan philosophique, je n’y adhère pas.

Nous avons mis un projet sur la table, monsieur Quatennens. Ensuite, c’est le jeu démocratique : il y a eu un débat, à l’issue duquel nous avons intégré un certain nombre de propositions émises par les oppositions. Nous continuerons à agir ainsi, dans un esprit d’ouverture, car il y va de l’avenir de nos enfants et petits-enfants. Ce que nous souhaitons, c’est bâtir pour eux un système de retraite modernisé, résilient, soutenable et surtout protecteur de leurs droits.

La commission en vient à l’examen des crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite et du compte d’affectation spéciale Pensions.

Article 33 et état B : Crédits du budget général

 

La commission examine l’amendement II-AS4 de Mme Hélène Zannier.

Mme Hélène Zannier. Cet amendement me tient particulièrement à cœur. Élue du bassin houiller, fille et petite-fille de mineur, c’est avec beaucoup d’inquiétude que je suis la baisse des crédits de l’action sanitaire et sociale. Je vais essayer de vous expliquer la situation.

L’Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (ANGDM) est un établissement public administratif qui a été créé en 2004 à la suite de la fermeture de la dernière mine de charbon en Moselle. À l’origine, cette dernière ne s’occupait en priorité que des prestations compensatoires, c’est-à-dire de tout ce qui concerne le logement et le chauffage. Depuis 2012, l’ANGDM gère également, via la Caisse autonome nationale de sécurité sociale dans les mines (CANSSM), les fonds de l’action sanitaire et sociale, qui sont destinés à couvrir certains frais liés à la santé, notamment le suivi des personnes âgées les plus isolées. Les projets liés à l’action sanitaire et sociale donnent d’excellents résultats et permettent notamment un maintien à domicile des plus âgés, comme le préconisent les plans récents.

Pourtant, le budget dédié est en diminution constante, ce qui peut s’expliquer par la baisse du nombre de bénéficiaires, qui est environ de 6 % par an, et par la baisse draconienne qui avait été décidée dans le budget de 2017, voté en 2016, qui plombe depuis la trésorerie de l’ANGDM.

Mon amendement vise à verser en une seule fois 3 millions d’euros au programme 195 Régimes de retraite des mines, de la SEITA et divers, et en particulier à l’action 01 « Versements au fonds spécial de retraite de la Caisse autonome nationale de sécurité sociale dans les mines » – autrement dit, nous verserions ce montant à la CANSSM qui le transmettra à l’ANGDM, laquelle gère les retraites des anciens mineurs et des conjoints survivants. Nous demandons donc 3 millions pour que l’État puisse reconnaître son attachement à ces travailleurs qui ont tant donné.

M. le rapporteur. Vous savez que je suis très sensible à votre amendement puisque je suis élu du même département que vous et que ma circonscription est concernée par ce sujet. Néanmoins, je ne vois pas en quoi cette hausse se justifierait dans la mesure où la population du régime de sécurité sociale des mines diminue chaque année d’environ 5 %. En l’occurrence, le PLF 2021 réduit les crédits d’action sanitaire et sociale de 900 000 euros pour les porter de 18 à 17 millions d’euros, ce qui correspond à une baisse de 5 %. Cela semble plus adapté à la diminution de cette population. Au total, le panier moyen des prestations d’action sanitaire et sociale par bénéficiaire n’a cessé de croître depuis 2011.

Vous dites que la population des mineurs est vieillissante et que le besoin de financement d’action sanitaire et sociale se maintient malgré la baisse du nombre de pensionnés. Vous faites notamment allusion aux besoins de santé des mineurs. Je rappelle que ces derniers bénéficient évidemment par ailleurs de prestations de santé, notamment d’une prise en charge de leurs soins de santé sans ticket modérateur pour 20 % d’entre eux.

Enfin, sur un plan plus technique, votre amendement ne permettrait pas d’atteindre l’objectif visé. En effet, les crédits d’action sanitaire et sociale sont prévus de manière limitative dans le cadre d’une convention d’objectifs et de moyens qui a été établie pour la période 2018-2021. En abondant les crédits du programme 195, vous abondez le financement du risque vieillesse de ce régime, ce qui ne semble pas nécessaire au vu des évolutions démographiques. Si vraiment vous estimez que la santé des mineurs est mal prise en charge, c’est plutôt dans le cadre du PLFSS qu’il conviendrait d’évoquer cette question.

Je demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, avis défavorable.

Mme Hélène Zannier. Je me suis peut-être mal fait comprendre. J’ai pleinement conscience que le nombre de bénéficiaires baisse entre 5 et 6 % par an. En revanche, je souhaiterais qu’on remédie à une décision, votée en 2016 et applicable en 2017, qui a fait chuter les budgets de 10 % ; et depuis c’est un peu la course pour essayer de récupérer cette trésorerie. J’en veux pour preuve que, lors d’un conseil d’administration, l’ANGDM a été contrainte de réduire des prestations qu’elle distribuait depuis plusieurs années. Ce que je souhaite, c’est rétablir cet équilibre, et résoudre une fois pour toutes ce problème de trésorerie.

M. Thibault Bazin. Monsieur le rapporteur pour avis, je tiens à vous alerter, parce que derrière cette demande d’augmentation de crédits, il est nécessaire d’apporter des corrections. C’est dans ma circonscription que se trouve la dernière mine en activité en France. Personne ne le sait, mais il y a, à Varangéville, une mine de sel dans laquelle descendent des mineurs qui y font un travail remarquable. Or nous avons des problèmes très concrets : par exemple, depuis 2016 les simulateurs sont inadaptés, et comme ils annoncent des valeurs farfelues, les gens partent à la retraite à l’aveugle.

Vous savez que l’allocation dite de raccordement est servie par l’Agence en complément de la pension minière de vieillesse servie par la retraite des mines et la Caisse des dépôts et consignations, raccordement qui est environ de 50 % de la complémentaire qui ne sera perçue qu’à l’âge légal de départ à la retraite. Il est calculé en fonction du nombre de points acquis. Or il y a des erreurs dans les relevés de situation individuelle, et les pensionnés rament pour pouvoir apporter des correctifs car on les balance d’interlocuteur en interlocuteur. Le raccordement étant largement minoré, leurs ressources le sont également, d’une certaine manière.

Nous avons besoin de votre aide, de votre appui en tant que rapporteur sur cette mission budgétaire, pour interpeller le Gouvernement afin de corriger les choses. On ne peut pas oublier ces petites problématiques très concrètes qui ont de sérieuses conséquences pour ces mineurs dont l’espérance de vie est plus faible que celle des autres parce que leur métier a été pénible et qu’ils ont travaillé dans des conditions difficiles. On doit leur apporter une réponse.

M. Paul Christophe. Madame Zannier, je comprends votre émotion puisque je suis moi-même député du Nord, territoire également très marqué par l’activité minière. Notre collègue Thibault Bazin nous avait déjà alertés l’année dernière en prenant également l’exemple de cette mine de sel située dans sa circonscription. Évidemment, l’exercice budgétaire nous donne l’opportunité d’en discuter, mais on voit bien que ce n’est pas le bon véhicule législatif puisqu’il s’agit d’enlever des crédits à l’un pour les mettre à l’autre, ce qui provoquerait un nouveau déséquilibre sur une autre ligne budgétaire.

Madame la présidente, notre commission s’honorerait à explorer ce sujet, peut-être par le biais d’une mission « flash ». Il serait bon en effet d’apporter une autre réponse que celle qui consiste à se revoir l’an prochain lors de l’examen de la mission.

M. le rapporteur. Je ne suis que rapporteur pour avis, ce qui ne veut pas dire que je n’ai pas d’avis sur le sujet. Je suis vraiment sensible aux arguments que vous venez d’évoquer. Je vous disais tout à l’heure que le panier moyen des prestations d’action sanitaire et sociale par bénéficiaire n’a cessé de croître, mais je ne doute pas qu’il existe d’autres problématiques auxquelles il faut remédier. Je vous propose de retirer votre amendement, de le retravailler avec M. Olivier Damaisin, le rapporteur spécial des crédits de cette mission, avant la semaine prochaine et peut-être de le redéposer en séance publique.

Mme Hélène Zannier. Je suis d’accord pour le retravailler, mais je préfère le maintenir pour pouvoir connaître l’avis de chacun.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite sans modification.

Article 35 et état D : crédits des comptes d’affectation spéciale et des comptes de concours financiers

La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits du compte d’affectation spéciale Pensions sans modification.

 

La réunion s’achève à dix heures quarante-cinq.

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Information relative à la commission

La commission a désigné M. Paul Christophe rapporteur sur la proposition de loi visant à améliorer les conditions de présence parentale auprès d’un enfant dont la pathologie nécessite un accompagnement soutenu (n° 3422).