Compte rendu

Commission
des affaires sociales

   Audition de Mme Claire Hédon, Défenseure des droits............2

  – Information relative à la commission.......................26

 

 

 


Mercredi
27 janvier 2021

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 37

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
Mme Fadila Khattabi,
Présidente
 


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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 27 janvier 2021

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

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La commission procède à l’audition de Mme Claire Hédon, Défenseure des droits.

 

Mme la présidente Fadila Khattabi. Notre commission des affaires sociales s’investit beaucoup depuis plusieurs semaines sur des sujets liés à la crise sanitaire. Pour autant, elle ne doit pas perdre de vue les nombreuses autres compétences qui sont les siennes. Ainsi le bureau de la commission a-t-il notamment souhaité que nous entendions la Défenseure des droits, dont certaines compétences rejoignent les nôtres. Je pense notamment à la lutte contre les discriminations dans les domaines de l’accès à l’emploi, de la formation, et d’autres encore, mais également à l’égalité des chances. Nous sommes sensibles à l’ensemble de ces sujets et nous vous écouterons, Mme la Défenseure des droits, avec la plus grande attention.

Mme Claire Hédon, Défenseure des droits. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, nous partageons un grand nombre de centres d’intérêt, qu’il s’agisse de l’accès aux droits sociaux, du fonctionnement des services publics, des droits des enfants et des discriminations, sujet majeur de cette audition.

Vos travaux vous conduisent à vous intéresser à des problématiques sur lesquelles le Défenseur des droits est apte, en effet, à vous apporter des éléments d’éclairage, notamment grâce aux réclamations dont il est saisi. Dans ce cadre, je me permets de vous rappeler que l’autorité indépendante que je représente est réellement à votre disposition pour vous transmettre des avis ou des observations. À l’instar de mon prédécesseur, je suis absolument convaincue de notre intérêt commun à entretenir des échanges nourris et réguliers.

Vous avez souhaité que cette audition porte sur le thème de la lutte contre les discriminations à l’emploi et le respect de l’égalité des chances. Cette sollicitation me permet de vous apporter de la visibilité sur un sujet auquel elle fait défaut et qui entre dans les priorités définies pour le mandat que j’ai accepté d’assumer pendant six ans. Le Défenseur des droits travaille depuis de nombreuses années sur ces questions, en collaboration notamment avec l’Organisation internationale du travail (OIT).

En 2020, nous avons reçu près de 5 200 saisines en matière de discrimination. Elles relèvent prioritairement de discriminations dans le domaine de l’emploi. 25 % des réclamations concernent l’emploi privé et 20 % l’emploi public. Pour autant, le nombre de 5 200 saisines relatives à la discrimination ne me paraît ni « suffisant » ni révélateur de la réalité des discriminations dans notre pays.

Parallèlement à ces saisines, nous réalisons et suivons chaque année, avec l’OIT, un baromètre relatif à la perception des discriminations qui permet de constater que l’ampleur du problème dépasse largement le nombre des réclamations que nous recevons. La treizième édition de ce baromètre, publiée au mois de décembre 2020, rappelle l’actualité et la persistance de ce phénomène dans le monde du travail. En 2020, 23 % des personnes actives déclaraient avoir déjà été victimes de discrimination ou de harcèlement discriminatoire dans l’emploi. Les critères les plus récurrents s’avèrent être l’apparence (40 % des mentions), le sexe (40 %) et l’état de santé (30 %). Le total dépasse les 100 % parce que certaines personnes invoquent plusieurs critères et l’un des problèmes que nous constatons réside en effet dans l’accumulation des discriminations.

Ce baromètre révélait également le continuum de la discrimination qui commence souvent par des phrases sexistes, racistes, censées être « drôles », mais qui ne le sont absolument pas, et qui enchaînent souvent différentes discriminations. En outre, cette enquête révélait que seulement 0,01 % des victimes de discrimination n’avaient jamais subi de propos discriminatoires, sexistes ou racistes auparavant, ce qui confirme le continuum.

Par ailleurs, le baromètre mettait en évidence l’impact des discriminations sur la santé physique, psychique des victimes et sur leurs liens familiaux.

Au-delà des volumes des réclamations, l’analyse des problématiques dominantes, des contextes et des critères des discriminations invoquées apporte des précisions importantes. Selon le cadre de l’emploi, qu’il soit public ou privé, les motifs de saisine diffèrent sensiblement, reflétant d’ailleurs la spécificité des contextes, des orientations professionnelles et des modalités de recrutement.

S’agissant de l’emploi public, les saisines concernent en majorité des situations de harcèlement, des difficultés liées au retour de congés maladie ou à l’aménagement d’un poste de travail. Les premiers critères de discrimination dans l’emploi public relèvent du handicap pour un quart des saisines, de l’état de santé pour un cinquième des saisines, de l’origine dans 13 % des cas et de la discrimination syndicale dans 11 % des saisines.

S’agissant de l’emploi privé, les saisines concernent majoritairement l’embauche ou l’évolution de carrière. Les premiers critères invoqués relèvent de l’origine pour 18 % des saisines, du handicap pour 14 %, de l’état de santé pour 13 % et de la discrimination syndicale pour 8 %.

Il convient d’apporter quelques précisions quant aux causes et conséquences qui s’attachent aux saisines que nous recevons. En matière d’aménagement du poste de travail des personnes handicapées, ainsi qu’en matière d’identité de genres, les saisines révèlent une méconnaissance des obligations légales de l’employeur. De même, concernant le harcèlement, nous constatons que l’employeur ignore la signification concrète de son obligation de protection à l’égard de son employé. Il apparaît que de nombreux employeurs ne mesurent pas l’ampleur de leur obligation d’intervenir pour protéger un employé qui dénonce ou qui est victime de harcèlement.

Afin d’illustrer les conséquences potentiellement induites par les discriminations dans l’emploi sur les personnes qui les subissent, je vous soumets l’exemple des agents contractuels dans le secteur public. Dans ce cadre, les réclamations que nous traitons mettent en évidence les conséquences très lourdes du non-renouvellement des contrats à durée déterminée (CDD), généralement signés pour six mois, sur les carrières des femmes, notamment l’absence de traitement pour la période précédant le congé maternité, la rupture dans leur parcours, qui aboutit à faire obstacle à l’accumulation d’années d’ancienneté, et les six ans nécessaires pour transformer le CDD en contrat à durée indéterminée (CDI).

Au printemps dernier, le Défenseur des droits a publié un rapport qui dresse le bilan de quinze années de lutte contre les discriminations fondées sur l’origine. Nous constatons prioritairement qu’alors que l’ampleur des discriminations raciales est bien établie, les pouvoirs publics peinent à s’emparer efficacement du sujet. D’une part, la dénonciation des discriminations paraît trop souvent devoir reposer sur la mobilisation des victimes devant les tribunaux. Si elle est nécessaire, cette mobilisation ne peut pas constituer l’unique modalité de lutte contre les discriminations. D’autre part, les politiques publiques en la matière tendent à se limiter à une approche par la politique de la ville alors qu’il serait nécessaire, pour répondre à ces enjeux, de mettre en œuvre une politique publique ambitieuse de lutte contre l’ensemble des discriminations, notamment celles qui sont liées à l’origine.

Bien que le récent baromètre révèle une forte conscience de la population, puisque 46 % des sondés estiment que des personnes sont souvent ou très souvent discriminées en raison de leur origine, il est vraiment essentiel de mettre en lumière encore davantage ce phénomène.

Afin que les discriminations soient mieux mesurées et identifiées, je préconise notamment de définir des indicateurs de mesure des discriminations liées à l’origine au sein des organisations, à l’instar de ce qui se pratique en matière d’égalité femmes-hommes, indicateurs d’ailleurs construits sur le modèle de ceux que la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques a publiés. Ces indicateurs devraient être intégrés par les entreprises dans leur rapport de gestion et dans le cadre de leur politique de responsabilité sociétale des entreprises (RSE).

Je suggère également de constituer une mission d’évaluation et de réflexion relative à ces enjeux et de mettre en place un observatoire national des discriminations qui permettrait de quantifier les discriminations. Une mission conjointe de valorisation des données de la statistique publique pourrait être confiée au Défenseur des droits afin de documenter la prévalence des discriminations en France.

Enfin, nous avons adressé des recommandations aux pouvoirs publics, notamment pour ce qui concerne les personnes en situation de handicap. Depuis la publication d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, le 26 mars 2015, les personnes travaillant dans les établissements et services d’aide par le travail (ESAT), et donc non salariées, sont considérées comme des travailleurs et ainsi protégées contre toutes les formes de discrimination. Afin d’en tirer les conséquences au regard des réclamations dont il était saisi, le Défenseur des droits a formulé dans une décision-cadre, en septembre 2019, plusieurs recommandations relatives à la situation de ces travailleurs, notamment la définition de critères objectifs de fixation de la rémunération, la mise en œuvre de la mission de contrôle des ESAT dévolue aux agences régionales de santé, l’accès effectif à la médecine du travail.

Dans le cadre du plan France Relance, une aide a été accordée aux employeurs qui recrutent des personnes bénéficiant de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). Cependant, seuls les titulaires de cette RQTH sont éligibles, et non pas l’ensemble des publics bénéficiaires de l’obligation d’emploi, à savoir les victimes d’accidents du travail, les titulaires d’une pension d’invalidité et les titulaires de l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Je recommande donc, dans la lignée du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), que l’éligibilité de cette aide soit étendue à l’ensemble des publics et non pas uniquement à ceux qui bénéficient de la reconnaissance de travailleur handicapé.

S’agissant de l’action de groupe, la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle a introduit un dispositif de recours collectif. Cependant, de nombreuses incertitudes complexifient son déploiement. D’abord, les prérogatives des syndicats en matière d’emploi ne s’étendent pas à l’embauche. Ensuite, l’action de groupe est autorisée pour une association en place depuis cinq ans, mais un délai de six mois de négociations préalables au lancement d’une action de groupe est imposé à une association de victimes nouvellement créée. Par ailleurs, la finalité est limitée à la suppression de la discrimination et les réparations en sont exclues. En outre, il n’existe aucun cadre procédural précis et le coût est très élevé. Enfin, la règle d’application de la loi est accessible uniquement pour les faits ou manquements générateurs survenus postérieurement à sa date d’adoption, ce que montre notamment l’affaire Safran.

Dans le domaine des contrats d’apprentissage, les enjeux de lutte contre les discriminations sont également immenses. En effet, le secteur de l’apprentissage, lieu d’accès au marché du travail pour de nombreux jeunes, reste très peu familier des interdits liés au respect du principe de non-discrimination. Cette méconnaissance concerne aussi bien les critères de sélection que les décisions prises et les comportements des encadrants. Ainsi, récemment, à l’issue de l’instruction réalisée par mes services, j’ai considéré que la rupture de la période d’essai du contrat d’apprentissage d’une jeune fille ayant été partiellement en arrêt maladie constituait une discrimination dans l’emploi et une atteinte discriminatoire au droit à l’éducation en raison de l’état de santé. À cette occasion, nous avons également pu acter les commentaires racistes ou homophobes et les difficultés de recrutement auxquels étaient confrontés certains jeunes.

Dans le domaine de l’accès à l’emploi, le Défenseur des droits constate également des discriminations à l’égard de mineurs non accompagnés (MNA) ou d’anciens MNA. Alors qu’ils choisissent généralement une formation dans les filières en tension de sorte à trouver un travail et à obtenir un titre de séjour, les MNA rencontrent souvent des difficultés pour poursuivre leur formation lorsqu’ils atteignent leur majorité. Dans les dossiers que nous instruisons, nous constatons fréquemment des refus opposés à la demande d’autorisation de travail auprès de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, pourtant de plein droit pour le MNA pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Nous observons également que ces jeunes rencontrent des difficultés pour obtenir une autorisation de travail, faute de titre de séjour, alors que les jeunes devenus majeurs, anciennement ou encore pris en charge par l’ASE, disposent d’un an suivant leur dix-huitième anniversaire pour déposer leur demande. Enfin, des protocoles départementaux conditionnent l’accompagnement des anciens MNA à des critères qui ne sont pas conformes au code de l’action sociale et des familles. L’ensemble de ces situations nous renvoie à la situation vécue par l’apprenti boulanger de Besançon.

Pour terminer, les effets de seuil liés à l’accès aux congés de maternité privent de nombreuses travailleuses précaires de l’accès aux prestations d’assurance maladie et de maternité. Afin de remédier à cette situation, le Défenseur des droits a recommandé, dans de nombreuses décisions individuelles et avis, d’une part, d’abaisser le seuil des montants des cotisations exigées de sorte à en autoriser l’accès aux personnes ayant travaillé l’une des périodes de référence et rémunérées au SMIC et d’autre part, de prévoir des règles propres pour l’ensemble des professions discontinues dans lesquelles les personnes sont rémunérées au forfait.

L’ensemble des alertes que je formule montre que le chemin est encore long pour parvenir à une société sans discrimination. Pour autant, ce constat ne doit pas nous décourager d’agir, au contraire. En effet, le contexte actuel risque d’aggraver ces discriminations parce que les personnes victimes de discrimination, notamment liées à l’origine, sont souvent surexposées aux conséquences de la crise sanitaire. Votre vigilance sur ce sujet sera importante ; la mienne également.

Mme Monique Limon. Madame la Défenseure des droits, je souhaite tout d’abord saluer votre nomination récente, en juillet 2020, par le Président de la République, au poste de Défenseur des droits. Compte tenu des règles institutionnelles, c’est en effet la commission des lois qui est saisie pour la nomination du Défenseur des droits. Nous avons le plaisir de vous entendre pour la première fois depuis votre nomination. Je m’en réjouis d’autant plus qu’un très grand nombre de vos missions concernent notre commission, notamment les saisines que vous recevez principalement et qui concernent les droits et libertés dans les relations avec les services publics, la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité, la déontologie de la sécurité ou encore les droits de l’enfant. Pourriez-vous, madame la Défenseure des droits, nous commenter ces diverses saisines ainsi que les suites que vous avez pu leur apporter ?

Vous avez pris vos fonctions dans un contexte particulier. En effet, la crise sanitaire et sociale que nous traversons depuis près d’un an a entraîné une réduction d’environ 50 % du nombre de dossiers traités par le Défenseur des droits au titre de l’ensemble de ses compétences depuis le mois de mars, bien que l’institution ait poursuivi sa mission.

Pouvez-vous nous préciser comment se sont déroulées les interpellations qui vous ont été adressées durant le confinement ?

Par ailleurs, en regard des violences de plus en plus fortes constatées dans notre société, le Président de la République a annoncé, début décembre 2020, la création d’une plateforme en ligne visant à recenser les discriminations de tous types, existant et proliférant au sein de notre société. Ce dispositif passerait par la mise en œuvre d’une plateforme nationale, à la fois téléphonique et en ligne, et serait destiné à simplifier le signalement de ces discriminations. Cette plateforme serait gérée par l’État, vous-même, madame la Défenseure des droits, et des associations compétentes en la matière, en particulier la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme. Vous seriez très probablement rejoints par d’autres associations. Trois fonctions sont attribuées à cette future plateforme, à savoir permettre de signaler un cas de discrimination, permettre un suivi en cas de dépôt de plainte et enfin, permettre à tout un chacun d’être écouté. Votre présence aujourd’hui au sein de la commission des affaires sociales me donne également l’occasion de vous assurer de notre total soutien à la création de cette nouvelle plateforme qui permettra, je l’espère, de lutter encore mieux contre tout type de discrimination. Le groupe La République en Marche est convaincu de l’importance de la mise en place de ce dispositif d’alerte et nous porterons avec vous la nécessité de l’octroi de moyens financiers supplémentaires pour le bon fonctionnement de cette plateforme.

Pouvez-vous nous dire, madame la Défenseure des droits, comment vous envisagez la mise en place de cette plateforme, à quelle échéance, et comment vous comptez intégrer les associations compétentes à cette lutte contre les discriminations ?

M. Bernard Perrut. L’urgence sanitaire place la France dans une situation exceptionnelle puisqu’il faut vivre avec le coronavirus. Des mesures d’exception sont indispensables afin de préserver la santé de tous. Dans le cadre de votre fonction, il vous incombe de rester vigilante à ce que ces mesures ne portent pas une atteinte excessive aux droits et libertés des personnes et de veiller à ce que les mesures temporaires mises en place ne privent personne de ses droits dans les domaines de compétence de l’institution, à savoir l’accès aux services publics, les droits de l’enfant, les discriminations, le respect de la déontologie par les professionnels de la sécurité ainsi que la protection et l’orientation des lanceurs d’alerte.

En septembre dernier, vous aviez adressé un courrier à l’Assemblée nationale en réaction au projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire qui limite drastiquement l’exercice des droits et des libertés et induit des conséquences pour les personnes plus vulnérables, notamment les personnes résidant dans des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et les personnes qui se trouvent en situation de précarité.

Madame la Défenseure des droits, avez-vous reproduit cette initiative à l’occasion du nouveau projet de loi, voté récemment par l’Assemblée nationale ?

Madame la Défenseure des droits, vous évoquez parfois la proportionnalité des mesures et leurs impacts concrets sur l’exercice des droits et libertés. Comment pourrait-elle être mesurée ?

Madame la Défenseure des droits, par extension, s’agissant du risque de voir les élections régionales et départementales, d’ores et déjà repoussées de mars à juin en raison de la crise sanitaire, être encore reportées au-delà de l’élection présidentielle de 2022, quelle action le Défenseur des droits pourrait-il mettre en œuvre afin de préserver ce droit constitutionnel ? Comment examiner ici la proportionnalité entre la santé de nos concitoyens et l’exercice de la démocratie quand, par exemple, d’autres pays tels que le Portugal organisent en ce moment même leur élection présidentielle et que certains länder allemands organisent leurs élections régionales.

Par ailleurs, madame la Défenseure des droits, comment éviter de pérenniser les régimes d’exception alors que depuis 2020, nous vivons une grande partie du temps sous état d’urgence ? Partagez-vous la position du Président du Sénat, qui considère ces lois d’urgence comme ouvrant des prérogatives exorbitantes et qui préfère ramener la date du 1er juin à fin avril, avec un rythme de deux mois et demi entre chaque prorogation ?

Enfin, madame la Défenseure des droits, vous avez vous-même affirmé qu’un débat démocratique de fond sur le caractère adapté des mesures favoriserait la cohésion sociale. Estimez-vous que ce débat démocratique existe et qu’il est suffisant ?

M. Cyrille Isaac-Sibille. Madame la Défenseure des droits, je souhaiterais vous interroger sur un sujet autre que les discriminations, à savoir la santé, notamment la santé de nos jeunes. Au mois de décembre, vous avez présenté un rapport annuel sur les droits de l’enfant qui fait écho à l’adoption de l’article 12 de la Convention internationale des droits de l’enfant. Celle-ci impose désormais aux États signataires de faire en sorte de considérer les enfants dans leurs droits respectifs, comme des acteurs en capacité à contribuer à leur propre protection en participant aux décisions les concernant. Dans votre rapport, vous formulez plusieurs recommandations visant à transposer concrètement ces principes dans notre pays. Pouvez-vous les expliciter ?

À l’Assemblée, j’ai porté un intérêt tout particulier aux questions de prévention santé et de santé publique, notamment en ce qui concerne les plus jeunes. Quelles sont, selon vous, les voies d’amélioration qui permettraient de mieux associer les enfants et adolescents à leur éducation en santé et à la prévention des différents maux auxquels ils sont de plus en plus confrontés et de manière de plus en plus précoce, à savoir les mauvais comportements de santé, les addictions diverses (alcool, tabac, psychotropes)...? Comment les défendre face à des acteurs multiples tels que les industriels, la publicité, les réseaux sociaux, etc., qui peuvent les inciter à des comportements de consommation néfastes pour leur santé ? De quelle manière concrète la santé des plus jeunes peut-elle être prise en compte et en considération dans la construction des politiques publiques qui les impactent directement ?

La période actuelle a mis en lumière la grande fragilité psychologique dans laquelle peuvent se trouver des étudiants, mais aussi les plus petits qui se trouvent dépourvus de leurs repères habituels. Il est évident que le devoir de la puissance publique consiste à soutenir ces populations vulnérables. Par quels moyens peut-elle y parvenir, en dehors de l’aspect purement financier ?

Mme Gisèle Biémouret. Madame la Défenseure des droits, permettez-moi tout d’abord d’exprimer, au nom du groupe Socialistes et apparentés, ma grande satisfaction de vous retrouver aujourd’hui dans vos nouvelles responsabilités. Vous ayant côtoyée dans vos combats précédents, je connais l’intégrité qui est la vôtre et votre attachement à défendre les plus vulnérables.

Je souhaite à ce titre évoquer la situation sanitaire et humanitaire des personnes exilées migrantes dans notre pays et en particulier des enfants. Que ce soit en Île-de-France, sur le littoral franco-britannique ou à la frontière franco-italienne, les mêmes brutalités et les mêmes atteintes aux droits fondamentaux des personnes sont constatées par les associations. Les cas rapportés se multiplient parmi lesquels l’accès à un médecin, un des droits fondamentaux qui n’est plus respecté. Je pourrais évoquer l’expulsion de leur protection de fortune à Calais, en décembre dernier, d’au moins trente enfants non accompagnés de moins de 15 ans, sans mise à l’abri à l’approche de la tempête Bella ; ou encore cette famille avec deux enfants de moins de onze mois, arrêtée par la police sur la frontière italienne, il y a quelques jours, qui n’a pas été autorisée à voir un médecin, alors même qu’elle avait passé plusieurs heures dans la neige, à 2 000 mètres d’altitude, sans être équipée pour la haute montagne.

Depuis la loi asile et immigration de 2018, plus de six cents enfants ont vécu le traumatisme de la rétention en France, selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF). Dans son dernier rapport, Médecins du Monde révèle les attaques menées en 2019 contre les droits à la santé des étrangers sans titre de séjour et contre les droits des demandeurs d’asile, en soulignant qu’aucun gouvernement n’était allé aussi loin dans leur remise en cause. Il convient d’ailleurs de saluer l’action de l’ensemble des associations qui œuvrent auprès de ces populations, en lieu et place de l’État dont la responsabilité consiste à garantir l’égalité de tous et toutes devant la santé. Je salue également l’appel de vingt-huit maires ou présidents de collectivités visant à soutenir SOS Méditerranée et affirmer collectivement l’inconditionnalité du sauvetage en mer, ce devoir inscrit dans tous les textes internationaux et dans le corpus législatif français.

Madame la Défenseure des droits, je souhaiterais avoir votre sentiment sur cette situation très préoccupante.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Madame la Défenseure des droits, vous avez pris vos fonctions dans le contexte très difficile de la pandémie. Je tiens à saluer votre nomination, mais également à remercier M. Jacques Toubon, ancien Défenseur des droits, pour l’ensemble du travail qu’il a accompli.

La crise sanitaire a creusé les inégalités et renforcé la pauvreté. Elle a également mis en lumière des discriminations existantes qui, malheureusement, se prolongent aujourd’hui, notamment les discriminations subies par les personnes en situation de handicap. L’institution que vous représentez soulignait d’ailleurs en juin dernier, dans son rapport annuel, qu’en 2019, pour la troisième année consécutive, le principal motif de saisine du Défenseur des droits restait le handicap. Depuis mars dernier, la pandémie a évidemment des incidences très fortes sur la vie des personnes en situation de handicap qui rencontrent des difficultés qui leur sont propres en regard du confinement et de l’isolement, notamment un besoin d’aide à domicile qui n’a pas pu être totalement satisfait. Pourriez-vous nous apporter votre éclairage sur ce sujet ?

Au printemps dernier, avec ma collègue Mme Jeanine Dubié, nous avons été chargées du suivi de la situation des personnes handicapées durant le premier confinement. Lors de nos auditions, nous avions été alertées à l’époque sur les différences existant entre les départements pour ce qui concerne l’équipement des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Ce constat induit un impact évident sur la gestion des dossiers. Quels sont les retours dont vous disposez à ce sujet ? La situation a-t-elle évolué favorablement ?

M. Patrick Gohet, adjoint au Défenseur des droits, a été particulièrement marqué par le suivi d’une personne en situation de handicap victime de discrimination dans l’exercice de son métier parce qu’elle était une femme et handicapée. L’inégalité résulte souvent de plusieurs critères de discrimination prohibés, ce que les sociologues appellent l’intersectionnalité. Pouvez-vous nous donner des précisions sur le nombre de dossiers et de saisines concernés par cette intersectionnalité ?

Madame la Défenseure, en effet, je confirme que le chemin est encore long pour une vie sans discrimination, mais cela ne doit pas nous freiner dans notre motivation et dans la vigilance de tous pour agir.

Mme Nicole Sanquer. Je vous remercie, madame la présidente, pour vos propos introductifs et pour votre engagement à défendre les plus vulnérables. Je souhaite concentrer mon intervention sur la protection des droits et libertés de nos compatriotes en situation de handicap.

Madame la Défenseure des droits, dans un communiqué de presse en date du 18 décembre dernier, vous avez rappelé que le handicap reste le premier motif de saisine du Défenseur des droits en matière de discrimination. Vous avez également indiqué : « Les personnes handicapées doivent pouvoir être indépendantes financièrement. Il faut donc exclure les ressources du conjoint pour l’attribution des allocations accordées au titre du handicap. » Notre groupe vous rejoint sur cette ambition. Nous l’avons d’ailleurs portée lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, par la voix de ma collègue, Mme Valérie Six, mais sans succès.

La protection des droits et des libertés des personnes en situation de handicap mérite une attention particulière dans le contexte de crise sanitaire, et plus encore après cette crise. À l’heure où nos services de santé se concentrent légitimement sur la lutte contre l’épidémie, il convient d’intensifier nos efforts en matière d’amélioration de l’accès aux soins des personnes en situation de handicap.

Pour ce qui concerne l’accès à l’emploi, le recours massif au télétravail ne doit pas être réalisé au détriment des personnes handicapées.

Madame la Défenseure des droits, comment comptez-vous articuler votre action pour la protection des droits des personnes en situation de handicap dans ce contexte de crise et au-delà ?

Mme Jeanine Dubié. Ma première question concerne la déconjugalisation en vue de bénéficier de l’AAH. À l’occasion d’une rencontre avec le CNCPH, en décembre dernier, vous avez réaffirmé votre volonté d’œuvrer afin de garantir l’effectivité des droits des personnes en situation de handicap dans tous les domaines. Vous avez notamment déclaré : « Les personnes handicapées doivent pouvoir être indépendantes financièrement. Il faut donc exclure les ressources du conjoint pour l’attribution des allocations accordées au titre du handicap. » Je partage cette volonté et je me bats depuis plusieurs années avec les associations et de nombreux collègues parlementaires, parmi lesquels Mme Marie-George Buffet, qui est également à l’origine d’une proposition de loi, et son groupe. Malheureusement, lors de l’examen de la proposition de loi présentée par le groupe Libertés et Territoires, en février 2020, nous avons fait adopter cette mesure contre l’avis du Gouvernement et le texte a été présenté au Sénat.

J’ai noté également que vous souteniez la pétition « Désolidarisation des revenus du conjoint pour le paiement de l’allocation adulte handicapé », lancée sur le site du Sénat en septembre dernier par Mme Véronique Marie-Bernadette Tixier et qui a recueilli aujourd’hui plus de quatre-vingt-dix mille signatures. Cette pétition a conduit le Sénat à inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour de la commission des affaires sociales. Avez-vous échangé avec les membres du Gouvernement sur cette question ? Pouvons-nous espérer que ce sujet soit enfin traité ?

Par ailleurs, dans une tribune publiée par Le Monde, le 23 octobre dernier, vous avez appelé à sortir du diktat de l’urgence. Dans l’hypothèse d’un troisième confinement, quelles sont les recommandations que vous formuleriez afin de garantir les droits et les libertés dans ce contexte sanitaire, notamment pour les EHPAD et pour les personnes soumises à une situation de précarité ?

M. Adrien Quatennens. Madame la Défenseure des droits, le 4 décembre dernier, plusieurs décrets ont été publiés modifiant les règles et les modalités de fichage en élargissant les critères, ce qui laisse craindre une inflation de ces fichages. Avant le décret, il s’agissait de ficher les personnes susceptibles de prendre part à des activités terroristes ou directement impliquées dans des actions de violence collective, notamment en milieu urbain ou à l’occasion de manifestations sportives. En 2017, cela permettait déjà de ficher quatre‑vingt mille personnes. Les nouveaux décrets du 4 décembre feront gonfler ces chiffres avec des notions floues qui font apparaître le risque arbitraire. Par exemple, le ministère a précisé qu’il intégrait dans la notion de sûreté de l’État, la notion de continuité des institutions de la République et de ses services publics. Peut-on, dans ce cas, imaginer que l’acte de grève, par exemple, qui est un droit, puisse faire l’objet d’un fichage sous prétexte qu’il menacerait la continuité des services publics ? Des données sur l’entourage de la personne, parents et enfants, pourraient être collectées et nous constatons également une multiplication des types de données qui pourraient être collectées. Il est en effet question non seulement des opinions politiques, des convictions philosophiques, religieuses et de l’appartenance syndicale, mais également des données relatives à la santé, à l’activité sur les réseaux sociaux, aux pratiques sportives, aux déplacements, aux habitudes de vie. Je souhaiterais que vous puissiez donner votre avis à notre commission quant à ces décrets qui entrent en résonance avec le projet de loi relatif à la sécurité globale, sur lequel vous avez donné un avis très clair, exprimant vos préoccupations quant aux restrictions envisagées s’agissant non seulement de la diffusion d’images des agents des forces de sécurité, dont vous avez rappelé le caractère public de l’action, mais également de l’usage des drones ou des caméras piétons.

Je souhaite également vous interroger sur le fait qu’aujourd’hui, six organisations non gouvernementales lancent une action de groupe contre l’État en raison des contrôles au faciès. Les individus perçus comme noirs subissent six fois plus de contrôles de police que les individus perçus comme blancs et, pour les individus perçus comme arabes, cette fréquence est multipliée par huit par rapport aux individus perçus comme blancs. Le groupe La France insoumise avait proposé une loi relative à la mise en place d’un récépissé lors d’un contrôle d’identité. J’aimerais connaître votre avis à ce sujet.

Enfin, comment renforcer le pouvoir de vos avis avant l’examen des textes de loi ? Il nous apparaît en effet que le Conseil d’État produit des avis qui ne présentent pas souvent un intérêt majeur pour la question de la défense des droits et des libertés.

M. Pierre Dharréville. Madame la Défenseure des droits, je salue à mon tour non seulement votre nomination, mais également le travail qui a déjà été entrepris depuis quelques mois.

Je souhaite vous faire part de l’inquiétude qui est la mienne, qui est la nôtre, à l’égard des mesures de restriction des libertés qui se succèdent et s’installent dans la durée, et vous interroger sur les conséquences qu’elles peuvent avoir, au-delà de la vie quotidienne, sur la manière dont nous constituons une société.

L’une des conséquences de la situation que nous connaissons, non seulement de cette crise sanitaire, mais également des mesures d’ordre public qui ont dû être prises, réside dans l’explosion des inégalités. Les chiffres le montrent dans la dernière période. Je pense que cela rejoint les préoccupations qui sont celles de la Défenseure des droits et de son institution.

De plus, nous constatons une difficulté croissante à faire valoir ses droits dans notre société. Nous sommes de plus en plus confrontés à des femmes et des hommes qui ne parviennent plus à identifier des interlocuteurs, à trouver un espace de dialogue, d’échanges, dans lequel les problèmes qu’ils expriment seraient réellement écoutés et entendus. Dès lors, je m’interroge au sujet de cette logique de plateforme qui ne me semble pas suffisante pour faire face aux enjeux et à cette réalité.

Je souhaiterais également connaître votre avis quant à la situation des jeunes, qui s’avère particulièrement complexe, et aux aides sociales qui leur sont accordées. Nous avons le sentiment que bien souvent, les jeunes n’apparaissent pas dans les radars, ce qui induit des problèmes lourds dans leur vie.

Enfin, la question des discriminations est extrêmement importante et leur négation est un poison pour la République. Je vous remercie donc de mettre ces questions en lumière. Quels moyens pouvez-vous déployer de sorte à mettre en échec et parfois obtenir réparation ? Comment pouvons-nous dépasser la seule mise en lumière de telles réalités ?

M. Guillaume Chiche, référent pour le Défenseur des droits. Madame la Défenseure des droits, c’est évidemment un plaisir et un honneur de vous recevoir ce matin au sein de la commission des affaires sociales. J’ai suivi votre présentation et je tiens à saluer l’étendue des travaux que vous avez menés, notamment pour mettre en évidence l’existence de différentes discriminations, et singulièrement sur le marché de l’emploi ou dans l’accès à l’emploi.

Au cœur de la crise sanitaire que nous traversons, il est à craindre que surviennent, dans les semaines et les mois à venir, de nombreuses destructions d’emplois liées à un ralentissement du dynamisme économique. Dès lors, nous redoutons une accentuation des discriminations au moment où nous allons potentiellement devoir faire face à des destructions d’emplois ; des discriminations liées à l’état de santé, à l’identité de genre, à l’origine présumée, à l’origine ethnique, etc. De quelle manière, selon vous, pourrions-nous anticiper au mieux le respect des principes d’égalité et de non-discrimination, y compris sur le marché de l’emploi ?

Par ailleurs, à l’instar d’un certain nombre de mes collègues présents dans cette salle, je suis élu d’un département rural et la question de l’accès au service public se pose régulièrement. Le Gouvernement a mis en place des dispositifs, notamment celui des maisons France Services, qui se déploient lentement sur notre territoire. Ma circonscription de cinquante-huit communes compte deux maisons France Services. L’objectif affiché était que chacune et chacun de nos concitoyens puissent accéder aux services publics en moins d’une demi-heure. Nous sommes encore très éloignés de cet objectif. Bon nombre de nos concitoyens ressentent ce constat comme une véritable injustice. Je pense que nous pourrions progresser à ce sujet sur lequel je souhaiterais connaître votre avis.

Madame la Défenseure des droits, vous avez évoqué les discriminations liées à l’état de santé des personnes et je pense que ce point mérite d’être approfondi. Notre commission des affaires sociales a récemment organisé l’audition d’acteurs dans les domaines concernant les personnes atteintes du virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Elle les a interrogés au sujet de leur accès aux droits, notamment pour ce qui concerne les assurances de prêts. Il s’avère, encore et toujours, que ces personnes vivant avec le VIH se retrouvent confrontées à l’obligation de s’acquitter de surtaxes s’agissant des assurances de prêts immobiliers, ce qui représente un obstacle absolument majeur dans la construction de leur projet de vie. Malgré les interpellations et les mécanismes qui ont été mis en place, notamment la convention AERAS, bien souvent, ces personnes ne font pas mention de leur pathologie chronique de sorte à pouvoir recourir à un prêt. Plus clairement, elles préfèrent cacher le fait qu’elles vivent avec le VIH de sorte à pouvoir y accéder, ce qui non seulement n’a aucun sens, mais surtout limite considérablement l’égalité d’accès aux droits, y compris dans la construction des projets de vie.

Madame la Défenseure des droits, la question de l’aide sociale à l’enfance constitue un sujet particulièrement complexe. Un certain nombre de dispositifs conduisent à placer des mineurs sous protection dans des chambres d’hôtel. Personnellement, je ne pense pas que la place de mineurs placés sous la protection de la République soit en isolement dans des chambres d’hôtel, car cela accentue leur détresse et leur sentiment d’insécurité. Je souhaiterais connaître votre avis à sujet.

Mme la Défenseure des droits. Permettez-moi, en premier lieu, de saluer le travail de mon prédécesseur. Je me sens en cohérence avec l’ensemble des avis qu’il a été amené à rendre et cette identité de vue s’avère très confortable pour moi. En second lieu, je souhaiterais saluer le travail des équipes qui m’entourent. Je suis impressionnée par la qualité du travail qu’elles produisent. Cet avis est largement partagé. Lorsque nous réunissons les collèges, l’ensemble de leurs membres – dont certains ont d’ailleurs été nommés par le Président de l’Assemblée nationale, d’autres par le Président du Sénat, la Cour de cassation et le Conseil d’État – salue le travail remarquable des équipes pour ce qui concerne les avis que nous rendons.

Je suis en poste depuis exactement six mois, à quelques jours près. Vous avez évoqué la diminution de notre activité en 2020, mais en réalité, sur l’ensemble de l’année, notre activité a été constante. Elle a effectivement diminué au moment du premier confinement parce qu’il était plus complexe de joindre les délégués, mais de nombreux délégués ont poursuivi leur activité à distance. Par ailleurs, je rappelle que nous avons mis en place une plateforme téléphonique et que nous sommes ainsi restés joignables. Nous étions d’ailleurs parfois un des seuls services publics en capacité de répondre. Ainsi notre activité a-t-elle été constante au cours de l’année. Lors du second confinement, une grande partie de nos délégués ont continué à réaliser des accueils en présentiel de telle sorte à ne pas limiter notre écoute à des accueils téléphoniques.

S’agissant de l’impact de la crise, nous avons évidemment été fortement frappés par les saisines de familles ou de résidents en EHPAD sur la question de l’interdiction des visites ou de leur limitation, et des impacts induits. Nous avons constaté la dégradation subite de la santé de ces personnes âgées hébergées dans les EHPAD. Nous avons également été très rapidement saisis par des mères de famille qui se voyaient interdire l’entrée des supermarchés avec leurs enfants – je crois que mon prédécesseur avait évoqué ce sujet avec vous. Nous avions immédiatement émis une alerte ainsi qu’au sujet des personnes âgées ou en situation précaire qui se voyaient interdire le règlement de leurs achats en espèces. Il est intéressant de constater que nous représentons un lieu de vigie des dysfonctionnements et que nous disposons d’une capacité d’alerte rapide auprès du Parlement et du Gouvernement sur des sujets qui peuvent être réglés relativement rapidement. À titre d’exemple, le problème de l’interdiction du règlement en espèces dans les supermarchés a été réglé assez rapidement.

Vous m’interrogez sur la plateforme. Nous serons responsables de cette plateforme en toute indépendance, ce qui n’exclut pas de travailler en lien avec les pouvoirs publics. L’indépendance représente une des clefs de la crédibilité et du succès de la plateforme. Nous travaillerons bien sûr en collaboration avec les associations, que j’ai d’ailleurs déjà rencontrées, pour une bonne partie d’entre elles, et je poursuivrai ces rencontres dans les jours à venir. Elles se positionneront en première ligne sur cette plateforme. L’objectif consiste à rassembler des personnes formées juridiquement, capables de répondre au téléphone le plus rapidement possible et d’orienter très rapidement les appels. Certains sujets relèveront de notre domaine ; d’autres, comme les propos racistes ou les violences, qu’il conviendra d’orienter. Cette orientation ne doit pas consister simplement à communiques des numéros de téléphone. C’est pourquoi nous souhaitons installer des systèmes qui nous permettent d’effectuer nous-mêmes le transfert d’appel de sorte que la personne victime ne soit pas obligée d’appeler un second numéro. En effet, nous pensons que nous perdons un certain nombre de victimes dans ce genre de situation. Cette plateforme reposera sur un site internet totalement adapté au téléphone au portable parce que la majorité des gens consultent à partir de leur smartphone. L’orientation figurera sur le site, par le biais soit d’un numéro de téléphone, soit du tchat. Il affichera également les numéros de téléphone d’associations ou autres avec lesquelles il sera possible d’entrer en contact.

J’ai parfaitement conscience que la question des discriminations n’est pas suffisamment visible. Je pense que notre institution a la chance de regrouper l’ensemble des questions liées à l’accès aux services publics, aux discriminations, aux droits des enfants, à la déontologie des forces de sécurité et des lanceurs d’alerte, ce qui lui confère une plus grande force. S’il existe un pôle chargé des discriminations, nous constatons qu’elles impactent l’ensemble de nos activités. Il en est de même pour le droit des enfants. La fonction de Défenseur des droits a la chance de regrouper ces autorités indépendantes.

Pour autant, en effet, je constate que la question des discriminations n’est pas suffisamment visible et je pense que cette plateforme permettra de la rendre beaucoup plus visible. Je souhaite que nous soyons plus efficaces et je pense que cette plateforme peut contribuer à notre efficacité. Son lancement me réjouit et nous la démarrerons en souhaitant qu’elle fonctionne. Nous ne partirons pas perdants parce que je pense que nous pouvons réussir. Quoi qu’il en soit, les équipes sont très mobilisées et je salue à nouveau leur travail parce que nous leur demandons de créer cette plateforme en quelques semaines.

Sur la question de nos libertés et de la pérennisation des régimes d’exception, je me suis souvent exprimée devant le Parlement à ce sujet. Je répète que le débat me paraît essentiel. Je comprends parfaitement que dans la crise actuelle que nous traversons, la priorité soit accordée à la santé et cette priorité ne souffre aucun doute. Toutefois, la question de la proportionnalité se pose, notamment pour ce qui concerne les EHPAD. Le débat est absolument essentiel et il conduit à une adhésion plus ou moins importante. Si nous devons subir un nouveau confinement, des questions se poseront à nouveau, notamment pour les personnes les plus en difficulté.

Les jeunes constituent la seconde priorité mon mandat. Ils nous saisissent très peu et je suis assez frappée par ce constat. Je pense qu’ils n’imaginent pas qu’ils peuvent saisir le Défenseur des droits. Non qu’ils ne soient pas victimes de discriminations ou de difficultés d’accès aux services publics ou de difficulté avec les forces de sécurité, mais de fait, ils nous saisissent peu. Il y a donc un travail important à mener en direction de la jeunesse. Comme vous, je suis inquiète, et depuis un certain temps, sur la question de la santé mentale qui sera d’ailleurs la thématique du rapport annuel sur les enfants que nous publierons au mois de novembre, au moment de la journée mondiale des enfants. Cette journée sera consacrée à la santé mentale, aux difficultés d’accès aux soins, d’abord en lien avec la crise, mais pas uniquement. Je pense en effet que la crise a renforcé un problème déjà existant.

S’agissant de l’ensemble de la jeunesse, j’ai rencontré récemment dans le XIXe arrondissement une association, Feu Vert. J’ai été très impressionnée par ce que j’ai entendu. On ne peut pas me reprocher d’être déconnectée du terrain, mais je reste toujours très étonnée de ce que j’entends des jeunes, notamment pour ce qui concerne les contrôles d’identité. Nous avons déjà rendu plusieurs avis sur ces questions. Je pense qu’il est urgent d’expérimenter, à certains endroits, la remise d’un récépissé et à d’autres endroits, d’évaluer simplement le nombre de contrôles réalisés, les personnes qui en font l’objet, à quel moment et pour quelle raison. Je pense qu’il y a urgence et qu’il s’agit d’une des conditions qui permettront de rétablir la confiance des jeunes dans les forces de sécurité. Ce que nous constatons actuellement s’agissant des amendes liées au confinement est intéressant parce que cela signifie que nous sommes parfaitement capables d’évaluer le nombre de personnes contrôlées et le nombre d’amendes. Ce que nous réclamons depuis longtemps, à savoir que soit évalué le nombre de contrôles d’identité, ne me paraît donc pas compliqué puisqu’on a déjà réussi à le faire, malgré les objections qui nous ont été opposées. Je pense qu’il est vraiment urgent d’agir dans ce domaine. En effet, les jeunes que j’ai rencontrés se retrouvent dans des situations qui, à force de récurrence, sont absolument insupportables. Parfois, sans qu’il ait été procédé à des contrôles policiers – les forces de l’ordre connaissent l’identité des jeunes –, des amendes sont adressées aux familles. Certaines situations sont impressionnantes dans ce domaine : lorsque trois contraventions tombent exactement à la même heure pour trois motifs différents, c’est un peu exagéré et ce constat nous inquiète.

S’agissant des exilés et des migrants, vous n’êtes pas sans savoir que je me suis rendue à Calais au mois de septembre. Mes équipes et moi-même avons constaté des atteintes aux droits fondamentaux, des atteintes au droit à l’hébergement, des atteintes au droit à la protection, des atteintes à la dignité. Ce n’est pas nouveau ; cela dure depuis de nombreuses années et mon prédécesseur l’a souvent évoqué. La situation va en s’aggravant et nous sommes saisis sur cette question ainsi que sur la situation en Île-de-France. Les atteintes à la dignité d’autrui constituent une atteinte à notre propre dignité. Nous n’en sortons pas grandis et je suis effectivement très inquiète.

S’agissant des questions liées au handicap, vous avez raison de rappeler que le handicap représente le premier motif de nos saisines en matière de discrimination. Dans ce cadre, il convient de louer le travail des associations, qui se sont fortement mobilisées et qui nous ont saisis très largement. Vous évoquez également l’intersectionnalité. J’ai été frappée de constater que, dans les derniers avis que j’ai eus à rendre, étaient généralement évoqués plusieurs critères de discrimination. Il existe réellement une accumulation de discriminations. Il va de soi que la situation actuelle risque d’accroître les discriminations et les tensions dans l’emploi. Le risque est prégnant et nous nous en inquiétons. Nous avons sollicité les associations de sorte qu’elles nous informent le plus rapidement possible, dès le constat de situations concrètes. Nous avons mis en place des comités d’entente sur un certain nombre de questions telles que le handicap, le grand âge, l’origine. Ils constituent des lieux de dialogue avec le monde associatif très importants pour nous parce qu’ils nous informent très rapidement des difficultés constatées sur le terrain. C’est ainsi qu’ils nous ont alertés quant aux sujets que vous évoquez et nous leur avons demandé de nous faire parvenir des éléments relatifs à des situations concrètes.

Concernant l’individualisation de l’AAH, je tiens d’abord à vous dire que je ne soutiens aucune pétition. La question m’a été posée et j’ai répondu en effet que j’étais convaincue de la nécessité de l’individualisation de l’AAH, tout comme je le suis de la nécessité d’autres minima sociaux, parce que ce sont souvent les femmes qui se trouvent dans les situations les plus précaires, quand la dépendance existe. Je pense que cette individualisation est nécessaire afin d’éviter des discriminations et des mises en difficulté pour les femmes.

Je reviens sur les contrôles d’identité et les contrôles au faciès sur lesquels vous m’avez également interpellée. Nous avons été alertés au sujet de l’action de groupe que nous suivrons attentivement.

S’agissant du fichage, ces questions doivent être évoquées avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Il existe en effet un risque de discrimination qu’il conviendra de surveiller attentivement.

Concernant le fait de renforcer le pouvoir de nos avis, je suis tout à fait d’accord avec vous, mais j’oserais dire que, pour une partie, il n’en tient qu’à vous. En effet, il vous appartient de tenir compte de nos avis lorsque vous êtes amenés à voter des lois. C’est souvent le cas, mais pas en toutes circonstances. Nous avons dressé un bilan des observations que nous avons pu faire, de ce qui a été suivi et de ce qui n’a pas été suivi. Malgré tout, en deux ans, nous constatons que 50 % de nos recommandations ont été suivies d’effet. J’ai souvent évoqué la question de la déontologie des forces de sécurité et les trente-six situations sur lesquelles nous avons demandé des poursuites disciplinaires, requêtes qui n’ont pas été suivies d’effet. Ce constat est inquiétant. Lorsque nous sollicitons un simple rappel à la loi, nous sommes suivis dans 80 % des cas. En revanche, nous ne sommes pas entendus lorsque nous réclamons des poursuites disciplinaires. Pour autant, je ne peux plus affirmer que nous ne sommes jamais suivis puisque, sur une récente affaire, le ministre de l’intérieur a répondu à ma demande d’un conseil de discipline et d’un contrôle des services. Il n’empêche que la confiance dépendra des suites positives données, en toute transparence, à nos demandes de poursuites disciplinaires. D’ailleurs, la transparence de l’Inspection générale de la police nationale dans ce qu’elle demande, ce qui est suivi et ce qui ne l’est pas, me paraît également indispensable.

L’accès au droit aux services publics se place également au nombre de nos sujets prioritaires. Je vous rappelle que notre priorité majeure concerne les discriminations, notamment la discrimination liée à l’origine. La jeunesse constitue notre deuxième priorité. Notre troisième priorité concerne l’accès aux services publics. Nos délégués nous ont alertés quant à l’absence de réponse des services publics. En effet, nos délégués rencontrent des difficultés identiques à celles des usagers pour obtenir des réponses des services publics. Nos cinq cent vingt délégués bénévoles, répartis sur le territoire, estiment que leur action a du sens. Ils trouvent leur métier, ou plus exactement leur travail, formidable parce qu’ils parviennent à résoudre les problèmes que la population rencontre. La résolution de problèmes constitue un moteur. Cependant, lorsqu’ils n’obtiennent pas de réponse des services publics, ils ne résolvent pas les problèmes et leur mission perd de son sens. Nous souhaitons progresser dans ce cadre. Il sera intéressant de suivre le fonctionnement des maisons France Services, notamment dans les zones rurales.

Mon prédécesseur avait rendu un rapport traitant des risques de la dématérialisation. La dématérialisation représente une chance pour beaucoup de personnes dans l’accomplissement de nombreuses démarches, mais elle exclut tout de même une partie de la population. De fait, mon prédécesseur avait estimé qu’il était indispensable de maintenir une présence physique dans les services publics. Au mois de décembre, nous avons récompensé une chercheuse dont la thèse portait sur l’accès au revenu de solidarité active (RSA) en zone rurale. Cette thèse est très intéressante parce que non seulement elle rejoint la problématique de la dématérialisation, mais elle souligne également l’importance de la qualité de l’accueil. Cette chercheuse cite l’exemple d’un homme vivant à une trentaine de kilomètres du lieu où est située la caisse d’allocations familiales (CAF) auprès de laquelle il doit déposer sa demande de RSA. In fine, les démarches de cet homme ont duré quinze mois ; quinze mois au cours desquels il était sans ressources. Il s’est rendu physiquement à la CAF, malgré la complexité de sa situation puisqu’il ne possédait pas de voiture pour parcourir cette distance de 30 kilomètres. Lorsqu’il est arrivé à la CAF, on l’a renvoyé chez lui parce qu’il devait préalablement s’inscrire sur internet pour un rendez-vous. Ces démarches ont été longues puisque, s’il disposait de faibles revenus, cet homme ne possédait probablement pas un ordinateur lui permettant d’avoir accès à internet. Finalement, il est parvenu à prendre un rendez-vous et il est retourné à la CAF. Évidemment, cet homme n’avait pas les codes, c’est‑à‑dire qu’il ne savait pas très bien ce qu’il devait demander et comment le demander. Au bout d’un moment, la CAF en arrive à affirmer que cet homme n’est pas motivé pour obtenir le RSA. C’est ainsi que cet homme a mis quinze mois à obtenir le RSA. Il ne s’agit pas d’un exemple isolé ; ces situations sont fréquentes. Et donc, oui, je suis inquiète quant à l’accessibilité de nos services publics.

Je nourris également des inquiétudes quant à la question des inégalités territoriales. Vous avez évoqué les MDPH, mais le problème existe également pour les CAF. J’ai été interpellée par nos délégués en Alsace où des montants de RSA ont été suspendus pour des personnes qui avaient vendu l’une ses vêtements, l’autre sa voiture, simplement pour survivre. La CAF a considéré que ces personnes avaient fraudé puisque le fruit des ventes était équivalent à des revenus et il a été déduit du montant du RSA. La lutte contre la fraude est susceptible de mener à de tels excès. Qu’est-ce qui relève de la fraude ? Comment définit-on l’indu ? Mon parcours précédent me conduit à éprouver une grande inquiétude quant à cette question de l’accès aux services publics.

J’ai évoqué le rétablissement de la confiance dans les forces de sécurité, mais rétablir la confiance dans notre démocratie imposera un égal accès aux droits. Force est de constater qu’une partie de la population, les personnes les plus en difficulté, celles qui sont victimes de discriminations, ne bénéficient pas d’un égal accès aux droits. C’est une de nos batailles.

S’agissant de l’aide sociale à l’enfance, M. Adrien Taquet a récemment indiqué que plus aucun mineur ne devait être hébergé dans des chambres d’hôtel. Je partage votre point de vue, car il n’est pas acceptable d’accompagner ces mineurs de cette manière. Le secrétaire d’État s’est prononcé à ce sujet et je pense qu’il partage également ce point de vue.

Pour ce qui concerne les assurances de prêts pour les personnes porteuses du VIH et pour les personnes atteintes de maladies psychiatriques, je partage également votre point de vue. Au-delà d’un montant d’assurance plus élevé, nous constatons que l’accès au prêt et à l’assurance sont souvent refusés. Il s’agit d’un domaine dans lequel nous devons progresser.

Plus largement, il importe que nous progressions sur l’information relative aux discriminations. Ainsi que je l’ai indiqué dans mon introduction, les banques, les employeurs, etc., n’ont pas toujours conscience de leurs obligations. Nous constatons également des discriminations de la part des agences de location. Il est indispensable de diffuser de l’information et de façon régulière et récurrente parce que les équipes changent, les équipes tournent, et les mauvaises habitudes reviennent. Le travail de sensibilisation et d’information est important.

M. Marc Delatte. Madame la Défenseure des droits, il est confondant, hasard du calendrier, de vous auditionner en cette journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste, rappelant ô combien les droits les plus fondamentaux en notre humanité ont été bafoués. Je tenais à le rappeler en préambule. Ainsi, votre audition aujourd’hui conduit-elle à s’interroger également sur la misère et les pauvretés. Croyez-nous, elles sont nombreuses à passer la porte de nos permanences afin de réclamer un soutien, une aide, une écoute, à l’issue d’un parcours des plus erratiques. M. Amartya Sen, philosophe et prix Nobel d’économie, nous amène à réfléchir quant à la notion de capabilité, de capacité à faire ce qui est essentiel : la santé, l’éducation et les ressources monétaires à travers l’indice de développement humain, en lien avec les droits fondamentaux.

Dans cet esprit, depuis trois ans, nous nous efforçons, à la suite des précédentes législatures, de faire reculer les inégalités, guidés par des choix éthiques ayant pour socle la dignité de la personne, que ce soit dans le domaine du handicap face aux nouvelles technologies, pour l’emploi et la formation, pour l’accès et l’offre de soins pour tous, en faveur de la protection de l’enfance, en faveur des familles monoparentales, des personnes âgées, etc. Cette liste n’est pas exhaustive, car face aux pauvretés, nous ne ferons jamais assez, bien que je ne réduise pas la problématique de la défense des droits aux seules pauvretés.

Actuellement, la pandémie bouscule nos certitudes, révèle nos fragilités, mais témoigne aussi de nombreux élans de solidarité. C’est pourquoi, madame la Défenseure des droits, ma question est assez généraliste. Quelles répercussions cette pandémie a-t-elle eues sur vos activités ? Quelle réflexion vous inspire-t-elle ?

M. Philippe Vigier. Madame la Défenseure des droits, les chantiers ne manquent pas. Je crains que les prochains mois démontrent malheureusement que vous aurez encore beaucoup de sujets à traiter.

S’agissant des mineurs non accompagnés, que préconiseriez-vous ? Vous connaissez la situation actuelle et la politique de l’État gérée par des départements qui se retrouvent souvent dans des conditions extrêmement complexes pour régler ces affaires au quotidien. J’en ai l’expérience dans mon département. Nous confirmez-vous qu’il conviendrait de clarifier les compétences, ce qui signifie que soit la compétence est dévolue totalement aux départements, soit l’État la reprend ?

Pour ce qui concerne les jeunes, les étudiants, les jeunes travailleurs, vous êtes un peu les lanceurs d’alerte. Quelles seraient, selon vous, les mesures d’urgence qu’il faudrait prendre ? Les prochaines semaines seront en effet extrêmement douloureuses.

Je souhaite également revenir sur les propos exprimés par notre collègue, M. Bernard Perrut. Que pensez-vous, madame la Défenseure des droits, de l’organisation d’élections au mois de juin, sachant que nous sommes dans une situation sanitaire complexe qui a conduit à décréter l’état d’urgence sanitaire ? Les élections représentent des rendez-vous démocratiques majeurs et la respiration de la nation. Existe-t-il une incompatibilité entre un état d’urgence sanitaire et l’organisation d’élections dans des conditions satisfaisantes ?

Mme la Défenseure des droits. Je vous prie de m’excuser. J’ai effectivement oublié de répondre à cette question. Cependant, elle relève de la compétence du juge administratif, mais pas de la nôtre.

Mme Annie Vidal. Madame la Défenseure des droits, vous avez récemment indiqué dans la presse avoir reçu de nombreuses saisines de la part de résidents en EHPAD et de leurs familles. Au début de la crise sanitaire, ils ont été strictement confinés, mais l’interdiction de sortie et de visites a aussi constitué une privation de lien social dont beaucoup de nos aînés et de leurs familles ont souffert. Nous en avons tiré les leçons en préconisant dorénavant de maintenir les visites lorsque cela est possible. Un nouveau protocole de renforcement des mesures sanitaires dans les établissements médico-sociaux a été récemment publié en raison de l’émergence de deux nouveaux variants, entraînant de facto une réduction des possibilités de visites. Il souligne une nouvelle fois que nous devons être particulièrement vigilants sur ce point. Comment, selon vous, pouvons-nous garantir un meilleur accès aux droits fondamentaux de nos aînés ?

Par ailleurs, les visites sont interdites aux patients hospitalisés atteints de la covid‑19, les privant ainsi de la présence de leurs proches. Certes, il est très complexe de concilier la prise en charge efficace des malades, la limitation du risque de contamination dans les hôpitaux et le maintien des liens familiaux. Je pense qu’il convient néanmoins de préserver le droit au deuil. Avez-vous été saisis de ces questions ? Quelles sont vos préconisations sur ce point ?

M. Alain Ramadier. Madame la Défenseure des droits, vous nous avez indiqué que s’agissant des discriminations à l’emploi, vous aviez enregistré 5 200 saisines. La discrimination concerne aussi bien l’origine que le lieu d’habitation. Je souhaiterais connaître votre avis quant aux initiatives de curriculum vitae anonymes.

Je me suis rendu au Pôle emploi situé dans ma ville, en Seine-Saint-Denis. Le bilan semble mitigé. Pôle emploi développe une nouvelle méthode de recrutement, la méthode de recrutement par simulation, qui permet d’élargir les recherches de candidats en privilégiant davantage les capacités nécessaires à l’emploi que les critères basiques habituels tels que les diplômes, l’expérience. Quel est votre avis à ce sujet ?

S’agissant de l’ASE et de la situation des mineurs non accompagnés, je partage les propos de mes collègues. J’ai eu l’honneur de présider une mission d’information à laquelle ont collaboré certains de mes collègues présents dans cette salle. Nous avions émis des préconisations et je vous avoue que nous sommes très en attente de la mise en place de ces préconisations, notamment celles qui concernent les jeunes qui sont pris à l’ASE en MNA et qui en sortent à 18 ans, sans papiers. Nos préconisations étaient très pratiques et aujourd’hui, rien n’est proposé.

M. Didier Martin. Madame la Défenseure des droits, tout d’abord, permettez-moi de vous souhaiter bonne chance ainsi qu’à vos collaborateurs dans l’exercice d’une mission essentielle pour le respect de notre contrat social républicain.

Les seniors, les travailleurs expérimentés, sont encore trop souvent victimes de discrimination sur le marché du travail en raison de leur âge. Jugés trop coûteux, peu flexibles, ces travailleurs font l’objet de préjugés non seulement au moment de l’accès à l’emploi, mais également lorsqu’ils sont dans l’emploi. La probabilité qu’un senior soit convoqué à un entretien d’embauche est en moyenne de 50 % inférieure à celle d’un jeune. Lorsqu’ils sont embauchés, les discriminations à l’encontre des seniors perdurent et les formations leur sont plus souvent refusées, leur évolution de carrière est plus lente, les cessations d’activité sont plus nombreuses. Ces discriminations à l’encontre des travailleurs seniors ont un impact important sur leur inclusion dans le marché du travail. En effet, au moment de la retraite effective, seulement 55 % des seniors sont encore en activité. Madame la Défenseure des droits, quelle recommandation pouvez-vous formuler de sorte à lutter plus efficacement contre les discriminations dont font l’objet les travailleurs expérimentés, les seniors, sur le marché du travail ?

M. Jean-Philippe Nilor. Madame la Défenseure des droits, les peuples de Martinique et de Guadeloupe ont subi un véritable empoisonnement massif, perpétré en toute connaissance de cause et à ce jour resté impuni. Le chlordécone, substance active ayant composé des pesticides organochlorés ultratoxiques et ultrapersistants dans l’environnement, a été massivement utilisé dans les bananeraies jusqu’en 1993, alors que cette molécule avait été interdite en France et partout dans le monde dès 1977. Si, aujourd’hui, les sols sont contaminés pour des siècles, si 92 % des Martiniquais sont contaminés, la palme revient aux ouvriers agricoles qui développent de manière spectaculaire des cancers de la prostate – record du monde en la matière –, du sein, de l’utérus, des os, du poumon, etc. Dans leur calvaire, ces ouvriers se retrouvent aujourd’hui dépourvus d’accompagnement. À ce jour, aucune aide ne leur a été versée, ne serait-ce que pour subvenir à leurs frais médicaux ou judiciaires alors que leur retraite culmine péniblement entre 200 et 700 euros.

Madame la Défenseure des droits, comptez-vous prendre en considération cette souffrance collective de sorte à réparer cette injustice qui atteint la dignité de ces personnes ?

Mme Bénédicte Pételle. Madame la Défenseure des droits, je tiens tout d’abord à vous indiquer que je me suis réjouie de votre nomination, vous qui étiez précédemment présidente d’ATD Quart Monde, association que j’affectionne particulièrement.

Dans votre rapport annuel de 2020 relatif à la prise en compte de la parole de l’enfant, vous montrez que celle-ci n’est pas assez écoutée et à quel point elle est pourtant importante afin de permettre aux enfants de s’associer aux décisions et aux procédures qui les concernent, ainsi que pour déceler les violences dont ils peuvent faire l’objet. C’est encore plus vrai et plus nécessaire pour les enfants de l’ASE. J’ai participé, avec mon collègue, M. Alain Ramadier, à la mission qu’il a évoquée. Ces enfants ne sont pas suffisamment associés aux décisions qui ont pourtant un impact majeur sur leur vie quotidienne.

La loi de 2002 disposait de la participation de l’enfant au projet pour l’enfant. Votre rapport montre que l’enfant n’est pas encore suffisamment associé, comme pour les autres textes qui déterminent les conditions de sa prise en charge. La stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance, portée en 2019 par le secrétaire d’État, M. Adrien Taquet, dans son engagement 3, veut donner aux enfants les moyens d’agir et garantir leurs droits, notamment par l’élaboration d’une charte de l’enfant protégé, construite avec les jeunes. Selon votre rapport, elle va dans le sens d’une meilleure prise en compte de l’avis des enfants.

Que pensez-vous de l’identification préalable par l’ASE d’une personne ou d’une autorité tierce, extérieure et indépendante à la structure et à la famille d’accueil, qui permettrait aux enfants de parler plus librement en cas de difficultés, de violence ?

Enfin, avez-vous identifié, lors de l’élaboration de votre rapport, des exemples vertueux dans certains départements, dans d’autres pays, concernant la participation des enfants protégés ?

Mme Michèle de Vaucouleurs. Madame la Défenseure des droits, alors que dans la crise actuelle des difficultés financières touchent un grand nombre de nos concitoyens, les jeunes de moins de 25 ans sont particulièrement fragilisés, en raison notamment de leur incapacité à trouver un premier emploi ou un job d’étudiant. De nombreux pays ont fait évoluer leur législation de sorte à aligner la majorité civile et la majorité sociale. Tel n’est pas le cas de la France. Ainsi les jeunes de moins de 25 ans se voient-ils privés de ressources financières minimales, en contradiction avec les dispositions du Préambule de la Constitution de 1946, qui prévoit que tout citoyen qui se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence.

Madame la Défenseure des droits, quel est votre avis sur cette situation ?

Mme Mireille Robert. Madame la Défenseure des droits, votre prédécesseur avait à cœur de faire connaître le rôle de cette institution auprès de nos concitoyens. Dans ce cadre, le nombre de délégués territoriaux a nettement augmenté depuis 2014. Cependant, une enquête de l’IPSOS rapporte que seulement une personne sur deux connaît l’existence d’un Défenseur des droits. S’agissant des personnes discriminées ou harcelées, vulnérables ou précaires, cette proportion est encore plus faible.

Par ailleurs, internet ne peut pas être la seule solution pour nos concitoyens victimes de la fracture numérique. Ils ont nécessairement besoin d’un contact humain de proximité.

Quelle action allez-vous mettre en œuvre afin de rendre votre institution plus accessible pour l’ensemble de nos concitoyens, y compris les publics discriminés, harcelés, précaires et vivant dans les milieux ruraux ?

M. Thibault Bazin. Madame la défenseure des droits, vous avez évoqué la limitation des visites dans les EHPAD, en raison des conditions sanitaires. Malgré l’énergie déployée par les équipes locales, il faut parfois attendre plusieurs semaines pour disposer d’un créneau de visite. Certains aînés n’ont pas vu leurs descendants de moins de 6 ans depuis des mois, ce qui génère énormément de souffrances. Alors que la campagne vaccinale est en cours dans les maisons de retraite, et que le taux d’acceptation y est très élevé puisqu’il approche des 80 %, sachant en outre que l’isolement a provoqué des dégâts psychologiques chez un grand nombre de résidents et beaucoup éprouvé les familles, allez-vous demander un assouplissement des visites après l’injection de la seconde dose et les deux semaines nécessaires à l’efficacité des anticorps ?

Par ailleurs, dans certaines préfectures, des délais de plusieurs mois sont nécessaires pour obtenir des rendez-vous auprès des bureaux de l’admission au séjour. Êtes-vous intervenue auprès du ministère de l’intérieur ? En effet, rien ne semble évoluer pour améliorer enfin cette situation qui a des conséquences dans des secteurs qui vous tiennent à cœur.

M. Thierry Michels. Je souhaite aborder la question des personnes en situation de handicap. Au cours de cette période d’urgence sanitaire, nous avons cherché à prendre en compte dans les mesures de restriction les particularités des situations de ce public fragile. Or vous avez été saisie de 290 demandes sur 1 424 au total, relatives à la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité, entre le 16 mars et le 1er juin 2020. Ces saisines touchaient particulièrement aux difficultés propres aux personnes en situation de handicap, au niveau des attestations de sortie, de l’accès aux soins et de la situation des aidants.

Madame la Défenseure des droits, dans la perspective d’un renforcement du confinement et d’une gestion de l’épidémie dans la durée, quelles sont, selon vous, les mesures qu’il serait souhaitable de mettre en place de sorte à concilier la diminution de la propagation du virus et la juste prise en compte du handicap ?

Enfin, madame la Défenseure des droits, de manière plus générale, que pouvez-vous nous dire de ce que vous pouvez observer dans d’autres pays d’Europe et dans le monde qui pourrait nous inspirer en France pour ce qui concerne la prévention et la lutte contre la discrimination des personnes en situation de handicap ?

Mme Josiane Corneloup. Madame la Défenseure des droits, vous évoquiez 5 200 saisines ; c’est à la fois beaucoup et peu. Comment rendre le Défenseur des droits plus visible et plus accessible à nos concitoyens ?

Une volonté actuelle consiste à mailler le territoire national avec les maisons France Services. Ne serait-il pas judicieux d’envisager d’intégrer nos délégués territoriaux au sein des maisons France Services qui sont désormais clairement identifiées comme étant des lieux ressources pour la CAF, la Mutualité sociale agricole, etc. Ne pourraient-elles pas l’être également au regard du Défenseur des droits ?

Un nouveau protocole sanitaire a été publié pour les EHPAD face à l’arrivée des variants du virus. Il entraînera une réduction des visites pour nos aînés. Quelles sont vos préconisations afin de garantir leurs droits ? Nous savons désormais que la privation des visites est lourde de conséquences chez nos aînés, accélérant le syndrome de glissement qui a été régulièrement évoqué pendant les premiers confinements. Comment pouvons-nous l’éviter ?

Enfin, les problèmes de santé mentale chez les jeunes sont prégnants et une source de discrimination très importante. Que préconisez-vous pour y remédier ? Comment pourrions‑nous mieux les repérer et surtout plus précocement ? Comment pourrions-nous mieux accompagner ces jeunes ?

M. Belkhir Belhaddad. Je voudrais d’abord vous féliciter, madame la Défenseure des droits, pour votre nomination, et vous assurer que j’apprécie beaucoup la franchise, votre franchise, et la tonalité de vos propos.

Pensez-vous que l’amélioration de la situation mise en évidence dans le treizième baromètre imposera nécessairement un renforcement de notre cadre législatif ? Ne devrions‑nous pas plutôt concentrer nos efforts sur son application effective et chercher à augmenter le taux de recours aux procédures judiciaires et, le cas échéant, par quels moyens ?

Je souhaiterais également que vous approfondissiez l’une des propositions que vous avez évoquées dans vos propos liminaires relative aux indicateurs qui pourraient être élaborés sur le modèle de celui qui permet de suivre l’égalité femmes-hommes dans le cadre d’une démarche de RSE.

Mme Laurence Vanceunebrock. Madame la Défenseure des droits, dans vos propos liminaires, vous avez évoqué la création d’un observatoire des discriminations. Je m’en félicite et, par avance, je vous en remercie. Les sujets sont nombreux, à savoir le handicap, les origines ethniques, l’orientation sexuelle, les conditions de vie dans les départements et territoires d’outre-mer, etc. Nous avons souvent tendance à attendre de la part du Défenseur des droits qu’il se positionne et rende des avis sur bon nombre de sujets touchant à notre société. Je sais que nous pouvons compter sur les délégués qui vous entourent pour être des « récepteurs d’alertes », à l’écoute des différentes saisines dont vous faites l’objet. En ce qui nous concerne, en tant que parlementaires, il est parfois – peut-être même trop souvent –complexe d’être entendus lorsque nous voulons porter certains sujets. Je souhaiterais que vous nous assuriez, ou que vous nous rassuriez, quant à votre soutien éventuel dans les combats que certains d’entre nous mènent en vue de lutter contre les discriminations quelles qu’elles soient, et que vous nous indiquiez dans quelle mesure ce soutien serait possible.

M. Jean-Louis Touraine. Ma question concerne le droit des usagers dans leurs relations avec les services publics et, plus précisément, les conditions d’accès des étrangers à un titre de séjour. En effet, ces conditions, toujours difficiles, ont été aggravées encore par les procédures dématérialisées de façon exclusive, l’allongement important des délais, les conséquences de la crise sanitaire. Durant le premier confinement, tout a été bloqué pendant plus de trois mois.

Les personnes qui font une première demande de titre de séjour sont les plus pénalisées. Il est indispensable qu’ils disposent d’une connexion à internet et d’une adresse de courriel, qu’ils sachent utiliser les sites internet, qu’ils maîtrisent correctement la langue française, qu’ils comprennent le jargon administratif, qu’ils affrontent la saturation du dispositif, qu’ils sachent résoudre les problèmes techniques, qu’ils parviennent à réunir un dossier complet alors qu’une pièce est inaccessible, etc. In fine, il s’agit d’un véritable parcours du combattant, particulièrement dissuasif. Dans ma région, les délais atteignent vingt mois au lieu des six mois que prévoit la loi pour les premières demandes et de plus de six mois pour les renouvellements. Les courriers que nous adressons à la préfecture à ce sujet ne reçoivent pas de réponse. En définitive, l’État ne permet pas d’accéder à ses services et contraint ainsi de nombreuses personnes à rester ou à devenir des personnes en situation irrégulière. Ce constat n’est pas sans conséquences graves. À titre d’exemple, sur le plan sanitaire, 49 % de ces personnes ne sollicitent pas l’aide médicale de l’État (AME) quand elles sont malades. Certaines sont atteintes du virus du sida ou d’une tuberculose à germes résistants et elles ne se traitent pas. Leur maladie progresse gravement et elles restent contagieuses.

Mme Stéphanie Atger. Madame la Défenseure des droits, je souhaite en premier lieu vous remercier de votre disponibilité et des éléments que vous avez accepté de partager avec nous. Ces éléments sont en effet précieux dans le cadre de l’effectivité d’un égal accès aux droits pour tous.

Je souhaite pour ma part vous interroger quant à la situation du respect des droits à l’égard des personnes vulnérables. En effet, j’ai récemment lu un entretien que vous avez accordé sur les maltraitances institutionnelles. Il est souvent complexe d’évaluer la reconnaissance des droits des personnes âgées, souvent perçues comme étant inaptes à prendre des décisions les concernant. On peut observer ces éléments notamment en EHPAD ou lors de mises sous tutelle ou curatelle, lorsque des médecins experts signent parfois des dispenses d’audition, et ce en l’absence d’avis d’un magistrat. Pourriez-vous nous indiquer si vous avez été saisis à ce sujet, si ces problématiques sont, à ce jour, évaluables et dans l’affirmative, que préconiseriez-vous afin de nous aider à lutter contre ces éléments ?

Mme Catherine Fabre. Madame la Défenseure des droits, je voudrais vous interroger au sujet de l’accès des femmes à la formation en prison. Parce qu’elles sont moins nombreuses que les hommes, il apparaît que très souvent, par défaut, les formations proposées ne leur sont pas accessibles. Pourtant, il semblerait que certaines expérimentations montrent que dans certaines prisons, le fait de les rendre par défaut accessibles et inaccessibles sur motivation ne pose pas de problème particulier. Avez-vous identifié cette question ? Quelle recommandation pourriez-vous faire afin de dépasser cette problématique, de faire en sorte que les femmes puissent aussi se former en prison et ainsi se réinsérer dans la société, à leur sortie de prison ?

Mme la Défenseure des droits. En vous écoutant, je me dis qu’il serait souhaitable que nous nous rencontrions plus souvent parce que c’est très intéressant et vous soulevez des sujets qui entrent vraiment dans mes préoccupations. Je perçois à quel point cet échange est important et je pense effectivement qu’il serait opportun que nous le pratiquions régulièrement. En effet, je suis impressionnée par la quantité de questions que vous m’avez posées.

Je répondrai d’abord sur la manière de faire connaître l’existence du Défenseur des droits. Mon prédécesseur a engagé un formidable travail afin de faire connaître l’institution, mais nous constatons que ce n’est pas suffisant. J’en conviens avec vous et, comme vous, je m’interroge sur la manière d’améliorer cette situation, particulièrement vers les populations les plus précaires. Lors de ma visite dans ce centre qui soutient et qui accompagne les jeunes, j’ai constaté en effet qu’aucun de ces jeunes n’avait entendu parler du Défenseur des droits et ils n’imaginaient pas qu’il soit relativement facile de nous saisir, et ce gratuitement. Ce constat interroge quant aux lieux dans lesquels nous pourrions nous implanter. J’admets que se rendre sur un site internet, remplir un formulaire, etc., représente des démarches complexes. C’est la raison pour laquelle nos délégués ont un rôle essentiel et nous nous interrogeons quant à la pertinence d’installer certains de nos délégués dans des quartiers, en bas des tours, de sorte qu’ils soient plus facilement saisis. Évidemment, nous nous sommes intégrés dans des maisons France Services parce que cela nous a paru intéressant. Nous suivrons l’évolution de ces maisons France Services. Ce dispositif est manifestement intéressant dans les lieux où il regroupe plusieurs compétences. Lorsqu’elles comptent peu de personnes, il conviendra d’être vigilant quant à la compétence et la formation des accueillants. La qualité de l’accueil s’avère absolument indispensable, ainsi que je l’ai démontré dans l’exemple que j’ai cité précédemment. Je vous confirme donc qu’il me tient vraiment à cœur de mieux faire connaître l’institution au sein des publics les plus en difficultés d’accès aux droits, les plus discriminés.

S’agissant des 5 200 saisines liées aux discriminations, je vous confirme que ce nombre est faible et je partage tout à fait votre point de vue à ce sujet. Ce nombre n’est évidemment pas révélateur de l’ensemble des discriminations, mais il est en revanche certainement révélateur de l’existence des difficultés rencontrées à nous saisir. Les personnes se disent qu’elles n’ont pas de preuve, que la démarche sera compliquée, bien que nous répétions souvent qu’il nous appartient de juger si les preuves existent ou pas. Je me souviens d’avoir entendu mon prédécesseur me dire exactement la même chose en s’adressant à ATD Quart Monde et, rétrospectivement, je pense que nous ne l’avions pas saisi suffisamment à l’époque. Je confirme donc qu’il ne me paraît pas normal qu’un aussi faible nombre de saisines concernent des questions de discriminations sur plus de 100 000 saisines que nous recevons.

L’ASE constitue évidemment une de mes préoccupations et c’est la raison pour laquelle j’ai souhaité la présence à mes côtés d’un défenseur des enfants, issu du terrain. Il a été éducateur, directeur de centre. Nous avions besoin de quelqu’un qui ait travaillé dans ce domaine-là de sorte à essayer de faire évoluer la situation. L’ASE constitue une de mes préoccupations et une des missions de mon mandat.

S’agissant des jeunes, je n’ai pas répondu à la question relative au RSA pour les jeunes. À une époque, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité s’était interrogée sur l’aspect éventuellement discriminatoire de la condition liée à l’âge de 25 ans. Il me paraît toutefois évident qu’un problème se pose pour jeunes âgés entre 18 et 25 ans. Je persiste à affirmer qu’il n’est plus possible de laisser les jeunes sans aucun revenu. Dans ce cadre, la garantie jeunes me paraît intéressante parce qu’elle oblige l’État à une formation et je pense que la création d’un RSA pour les jeunes devrait être assortie d’une obligation de formation par l’État. Si elle est intéressante, la garantie jeunes court sur une durée beaucoup trop courte pour réinsérer des jeunes en grande difficulté. Une durée d’un an ou un an et demi n’est en effet pas suffisante. Dans la mesure où une partie des financements que reçoivent, entre autres, les missions locales sur ces garanties jeunes est liée à l’insertion du jeune, ces dispositifs ont évidemment tendance à éviter de prendre les jeunes les plus en difficulté, ceux dont on sait à l’avance qu’il faudra plus de dix-huit mois pour leur trouver un emploi. En outre, le taux de chômage chez les jeunes est également lié à la difficulté du retour à l’emploi. Quoi qu’il en soit, il n’est plus possible de continuer à dire qu’on ne peut pas donner un revenu minimum à des jeunes, ce que confirme la situation actuelle.

S’agissant du MNA, des inégalités dans les départements et du rôle de l’État, de façon plus générale, je suis un peu inquiète quant aux inégalités identifiées entre les départements sur un certain nombre de questions, y compris sur le RSA. Il nous appartient de protéger les mineurs et cela constitue un postulat de base. Nous constatons d’importantes inégalités entre les départements et je pense que l’État a un rôle à jouer à ce sujet. Pour ce qui concerne les mesures d’urgence à prendre pour les jeunes, je confirme la nécessité d’un revenu minimum et l’importance de la formation.

Cela m’amène directement à la question de la formation des femmes en prison. J’ai récemment rencontré Mme Dominique Simonnot, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Elle m’a également alertée à ce sujet. Depuis le début de la crise sanitaire, la formation de l’ensemble des détenus a été arrêtée. Les jeunes ne suivent plus aucune formation et les femmes non plus. Il convient de réfléchir à ce sujet, car il ne me paraît pas acceptable que la crise entraîne un arrêt total de l’ensemble des formations.

Vous m’avez également alertée sur la question des préfectures. Je partage votre inquiétude et elle a fait l’objet de ma première sortie. En effet, je me suis immédiatement rendue en Seine-Saint-Denis et j’ai demandé à rencontrer le préfet parce que non seulement la préfecture ne répond pas aux usagers, mais elle ne répond pas non plus à nos délégués.

En raison des difficultés de prise de rendez-vous en préfecture, des officines payantes ont été créées pour activer des algorithmes le dimanche entre minuit et minuit dix, heure à laquelle des créneaux de rendez-vous se libèrent. La difficulté d’accès à des rendez-vous induit le développement de tels dispositifs, ce qui m’inquiète beaucoup.

S’agissant du droit au séjour, nous avons également été alertés sur la question du regroupement familial de personnes qui ont obtenu l’accord pour un regroupement familial, mais qui ne disposent toujours pas du visa. Le contexte sanitaire a provisoirement empêché la délivrance de visas. Pour autant, d’autres personnes voyagent. Je ne comprends pas les raisons pour lesquelles une telle situation est bloquée alors que le regroupement familial a été accepté. Ce constat est très inquiétant, car il dénote des inégalités patentes dans l’accès aux services publics.

Je vous remercie d’avoir évoqué l’AME et le problème lié au fait que des gens malades n’y ont pas recours. Le principal problème ne réside pas dans la fraude, mais dans le non-recours. Le plus gros problème n’est pas tant que les gens ne demandent pas ce à quoi ils ont droit, mais que les démarches sont tellement complexes et les écueils si nombreux qu’ils finissent par y renoncer. Certaines personnes persévèrent pendant des mois, d’autres renoncent.

S’agissant du handicap et des amendes, nous avons en effet été interpellés sur des amendes indues exigées de personnes en situation de handicap, de personnes âgées, de personnes en situation précaire. En réalité, nous avons enregistré peu de saisines concrètes probablement parce que ces personnes-là estiment qu’il est trop complexe de nous saisir. Des jeunes m’ont également récemment alertée sur ce problème.

Pour ce qui concerne la parole de l’enfant, le contexte actuel, qui révèle les violences sexuelles faites aux enfants, confirme à quel point la parole de l’enfant est absolument indispensable. Cependant, l’enfant ne parlera pas d’un seul coup de la situation difficile qu’il vit, surtout si on ne l’a jamais écouté jusque-là. Je pense qu’il importe de développer une culture de l’écoute de l’enfant dans différents lieux tels que l’école, mais pas exclusivement. Certains pays sont plus efficaces que nous en la matière, sans aucun doute. Dans de nombreux domaines tels les droits de l’enfant, les discriminations, la déontologie des forces de sécurité, les lanceurs d’alerte, nous sommes inscrits dans des réseaux européens et internationaux et également des médiations qui sont très utiles dans les échanges de bonnes de bonnes pratiques qu’ils initient.

Je pense que l’idée de la présence d’une tierce personne dans les lieux d’accueil quand il y a une difficulté est pertinente, car elle permettrait de faciliter la parole de l’enfant.

Nous n’avons pas été saisis sur la question du chlordécone. Je suis sensible à ce sujet‑là et dans le cadre de mes précédentes fonctions, comme journaliste à Radio France internationale, j’ai réalisé de nombreuses émissions sur ce sujet-là. Votre question souligne la difficulté d’accès aux soins, de façon générale. L’accès aux soins en général représente un réel problème dans certaines zones rurales éloignées des soins de santé. L’accès aux soins psychiatriques s’avère également excessivement difficile.

S’agissant des EHPAD, nous essayons au maximum d’agir par le biais de la médiation, au cas par cas, sur la question des visites. J’ai effectué une de mes premières sorties dans un EHPAD, dans le Loir-et-Cher, au mois de juillet. Honnêtement, les directeurs des EHPAD ont fait tout ce qui était en leur pouvoir. Ils se sont beaucoup mobilisés et il importe de saluer leur travail. Cependant, si certains EHPAD ont réussi très rapidement à réorganiser les visites et à mettre en place un accompagnement, d’autres n’y sont pas parvenus. Il est indispensable de partager les bonnes pratiques parce qu’il n’est pas acceptable que les personnes âgées ne bénéficient pas de visites.

Pour ce qui concerne la maltraitance dans les institutions, nous rendrons prochainement une décision-cadre relative aux droits fondamentaux des résidents en EHPAD.

Nous enregistrons peu de saisines relatives aux difficultés rencontrées par les seniors dans l’emploi. Je pense qu’une mobilisation est nécessaire parce qu’il est probable que la crise que nous traversons aggrave les discriminations dans l’emploi, notamment pour les seniors. Il conviendra d’être extrêmement vigilant.

S’agissant de l’état d’urgence, nous encourons le risque d’une accoutumance. Il faut dire et redire ce que j’ai continué et que je continuerai à dire, à savoir que le débat, notamment le débat parlementaire, est absolument indispensable. Vous avez un rôle à jouer en la matière.

La loi organique ne permet pas au Défenseur des droits de « soutenir » le Parlement. En revanche, elle n’interdit pas les échanges et je pense qu’il ne faut pas hésiter à nous rencontrer. Je suis vraiment disposée à échanger avec vous et j’estime que ces échanges sont constructifs et utiles parce que vous pouvez également nous interpeller sur un certain nombre de sujets.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Madame la Défenseure des droits, nous vous remercions. Nous avons beaucoup apprécié ces échanges.

 

La séance est levée à onze heures dix.

 

Information relative à la commission

La commission a désigné M. Dominique Potier rapporteur sur la proposition de loi pour une limite décente des écarts de revenu (n° 3094).