Compte rendu

Commission
des affaires sociales

   Table ronde, en visioconférence, sur le numérique en santé à l’heure de la crise sanitaire 2

  – Information relative à la commission.......................28

 

 

 


Mercredi
17 février 2021

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 52

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
Mme Fadila Khattabi,
Présidente

 


 


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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 17 février 2021

La séance est ouverte à dix heures cinq.

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La commission réunit, en visioconférence, une table ronde sur le numérique en santé à l’heure de la crise sanitaire.

 

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous poursuivons nos travaux de suivi de la crise sanitaire avec une table ronde sur le numérique en santé. Les enjeux de cette thématique sont nombreux. Nous l’avons d’ailleurs déjà récemment abordé en auditionnant les responsables des plateformes utilisées pour la prise de rendez-vous dans le cadre de la vaccination contre la covid-19. Par ailleurs, avant même le déclenchement de la crise sanitaire, la dimension numérique jouait un rôle de plus en plus important dans le secteur de la santé. Cela justifie que nous nous y intéressions.

Je remercie donc l’ensemble des intervenants qui ont bien voulu répondre à notre invitation pour nous éclairer le plus largement possible sur ce sujet.

Mme Laura Létourneau, déléguée opérationnelle à la transformation numérique de la santé. L’état des lieux sur le numérique en santé a été dressé dans un rapport de M. Pon et de Mme Coury fin 2018. Il pointe un important retard sur le sujet du numérique en santé, ce qui complique la coordination entre les différents professionnels de santé et du médico‑social et fait que le patient est encore peu acteur de sa santé et pas réellement au centre du système de santé, notamment faute de pouvoir accéder à ses données.

Début 2019, nous avons tenté de remonter aux causes de cette situation afin de les travailler et faire en sorte demain, de faire mieux collectivement. Nous avons donc établi une feuille de route comportant cinq grandes orientations et trente grandes actions. Elle court sur trois ans.

Evidemment, ces chantiers étant vertigineux, l’action à mener ne sera pas terminée en 2022. Néanmoins, collectivement, nous voulons parvenir à passer un cap en trois ans pour permettre une réelle accélération du numérique en santé, combler le retard et enfin, nous projeter dans l’avenir.

L’année 2019 a été consacrée à établir les raisons de notre action, à identifier les actions à mettre en œuvre et la manière de les mener.

L’année 2020 a été dédiée à l’implémentation de cette réflexion, dans un contexte de pandémie qui est venue la percuter. Néanmoins, en dépit de ces circonstances, nous avons fait en sorte de mener les deux combats de front et de ne pas prendre le moindre retard dans l’implémentation des étapes annoncées dans la feuille de route. C’est en effet elle qui permettra des améliorations notables sur le moyen et sur le long termes. C’est donc notre devoir d’y travailler en parallèle.

Enfin, l’année 2021 sera l’année du citoyen, avec la concrétisation du projet phare de la feuille de route du numérique en santé qui tire tous les autres. C’est l’espace numérique de santé. Il permettra au patient d’être vraiment acteur de sa santé.

En 2019, nous avons défini les motivations des actions à mener. Il ne s’agissait pas de faire du numérique un objectif en soi, mais d’en faire un outil de coordination entre professionnels de santé et d’un moyen pour rendre le citoyen acteur de sa santé. Ces objectifs ont été très clairement fixés et nous avons tenu à ce qu’ils soient intégrés à un cadre éthique, humaniste et citoyen. De cette manière, nous souhaitons instaurer une troisième voix de numérique à la française, et idéalement à l’européenne. De manière un peu caricaturale, cette voix représenterait ainsi un pendant à la voix chinoise et la voix des États-Unis.

Cette volonté d’inscrire tous les développements du numérique dans un cadre éthique ne doit pas rester un vœu pieux. Il s’agit en effet du quatrième axe de notre feuille de route qui est décomposé en une multitude d’actions particulièrement concrètes visant à agir sur la fracture numérique, sur la formation, sur l’ethics by design en intelligence artificielle, sur une grille d’auto-évaluation à l’éthique des systèmes d’information hospitaliers, et même sur l’impact écologique du numérique en santé. En effet, nous considérons que le développement du numérique en santé doit être fait dans ce cadre. C’est donc la toute première action de fond de notre feuille de route. Elle est indispensable et à défaut de la mener à bien, nous ne réussirons pas.

Après avoir déterminé les raisons de notre action, et identifié les valeurs que nous souhaitons défendre, les actions en elles-mêmes et la logique d’état plateforme sont traduites par l’image de la maison. Ainsi, le rôle des pouvoirs publics est de couler les fondations de la maison. Cette étape fixe les référentiels socles et définit le cadre constitué par l’éthique, la sécurité et l’interopérabilité. Cette étape permet aussi de construite les infrastructures de base permettant l’échange et le partage. A cet effet, cinq services socles ont été définis, dont le fameux dossier médical partagé (DMP) qui, ces dernières années, a été repositionné avec l’assurance maladie. Ces éléments constituent la plateforme d’État et participent à la fois à créer le référentiel et l’infrastructure. Ils sont ouverts en interface de programmation d’application vers l’écosystème tiers, notamment privé.

En complément de ces fondations, nous avons déterminé trois grandes plateformes : celle du citoyen, l’espace numérique de santé ; celle des professionnels de santé ; celle des données.

En outre, nous avons aussi identifié de nombreuses actions essentielles pour créer de l’engagement et du soutien, évaluer et soutenir l’innovation, et animer tout cet écosystème.

Il est important de comprendre, notamment en cette crise de la covid, que ces fondations, composées de sujets particulièrement techniques, sont aussi constituées d’annuaires, de répertoires et de règles de sécurité. Sans ces éléments, tout le reste ne pourra que s’effondrer. Nous en sommes conscients, et ce, depuis des années. Ainsi, toutes les difficultés que nous avons rencontrées sur les projets numériques covid sont générées par le retard que nous avons dans la construction de ces fondations. Aussi, à travers ses orientations 2 et 3, la feuille de route vise à combler ces retards.

Concernant la manière de mener ces actions à bien, nous avons souhaité instituer une démarche de coconstruction permanente. Cela péchait précédemment, mais cela nécessite une coordination très rapprochée entre les différentes instances constituant le numérique en santé : le ministère, la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM), Santé publique France, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation ou encore l’Agence du numérique en santé (ANS). Toutes ces agences et opérateurs, acteurs du numérique en santé, doivent être raccordés autour d’une vision commune et être intégrés à une démarche de coconstruction permanente avec l’écosystème. Cette coconstruction soit être opérée par le biais du Conseil du numérique en santé, d’ateliers citoyens ou par exemple du tour de France des régions.

2020 a ensuite été l’année de l’implémentation. Nous étions au milieu du gué : de nombreux sujets avaient considérablement avancé et d’autres étaient encore au point mort, générant ainsi chez nous une certaine frustration, en interne comme en externe.

Ainsi, si nous avions eu l’espace numérique de santé, nous aurions pu référencer dans le catalogue toutes les applications de téléconsultation qui respectaient les référentiels d’interopérabilité et de sécurité ; disposer d’une messagerie sécurisée citoyenne et envoyer des prescriptions de tests covid ou échanger de nombreuses informations avec le patient ; croiser simplement les données issues de SI-DEP, de Contact Covid et de Vaccin Covid afin de déterminer si une personne vaccinée pouvait être recontaminée.

Il y avait certes une frustration, mais nous devions aussi relever de nombreux éléments positifs, comme la concrétisation de projets exceptionnels menée à bien en des temps records. Je souhaite également souligner le fait que nous sommes parvenus à réinventer des modes de concertation nous permettant de respecter les délais imposés par l’épidémie avec le Comité de contrôle et de liaison covid‑19. Ce dernier a été institué dans la loi, par les textes qui ont aussi institué SI-DEP et Contact Covid. Il n’accueille pas toutes les instances pertinentes sur le sujet du numérique en santé, mais il constitue une instance de concertation avec laquelle nous avons mis en place des modalités de travail pour itérer rapidement ou dans des délais particulièrement contraints. Ainsi, sur Si-DEP et sur Contact Covid, nos autres projets, nous sommes parvenus à travailler main dans la main avec cet organisme qui nous facilite la tâche. En effet, il regroupe toutes les parties prenantes et leur permet ainsi de s’exprimer d’une seule voix et ainsi, ce qui nous fait gagner un temps considérable. Il est donc important que nous poursuivions cette collaboration hors crise.

Les différents projets portés et concrétisés sont les suivants.

TousAntiCovid affiche aujourd’hui près de 13 millions de téléchargements, ce qui est proche de l’objectif de 15 millions ; de nombreuses fonctionnalités sont en cours de développement, notamment sur les QR-codes. Dépistage Covid, porté par santé.fr, permet à chacun de savoir où se faire tester, tant en RT‑PCR qu’en test antigénique. Ce service a ainsi enregistré 6 millions de vues mensuelles. SI-DEP, projet porté en seulement trois semaines, recueille automatiquement les résultats des tests ; il est le fruit d’un partenariat totalement inédit entre le ministère, Santé publique France, l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP‑HP) et tous les laboratoires de biologie médicale du France, puis leurs industriels chargés de leur système d’information, et un consortium d’industriels. Ainsi, collectivement, il a été possible de créer un entrepôt permettant de collecter en temps réel et de manière exhaustive et automatique, tous les tests RT‑PCR de France. Ainsi, sur le territoire, nous sommes aujourd’hui dotés d’un des meilleurs systèmes de suivi de l’épidémie au monde, pendant que de nombreux pays fonctionnent sur un système de remontées Excel. Alors qu’en France, depuis huit ans, nous essayions en vain de monter un tel projet pour les autres maladies infectieuses devant être surveillées par Santé publique France, nous sommes parvenus à finaliser ce projet en trois semaines.

Lorsque le résultat d’un test est positif, le citoyen doit se déclarer comme tel dans l’application TousAntiCovid. Il utilise alors un partenariat également innovant entre l’assurance maladie et l’organisation non gouvernementale Bayes Impact, créatrice du projet Briser la chaîne, destiné à aider les personnes à se remémorer leurs personnes contacts.

Le citoyen est ensuite appelé par l’assurance maladie et il s’isole. Il peut ensuite suivre ses symptômes sur mesconseilscovid.fr et ainsi guetter leur apparition et leur éventuelle aggravation afin d’être pris en charge le plus rapidement possible. Si cette éventualité se réalise, de nombreux systèmes d’information moins visibles du grand public prennent le relais. Ils ont été mis en place ou adaptés afin de suivre l’épidémie et gérer la crise de la covid, comme le transfert de patients en réanimation d’un hôpital à l’autre, ou le transfert de médicaments indispensables à la prise en charge de patients covid sous tension.

Il y a aussi tous les systèmes d’information relatifs à la vaccination : Vaccin Covid, développé par l’assurance maladie et indispensable à la traçabilité de l’acte vaccinal ; le portail de signalement des effets indésirables, développé par l’ANSM, qui permet la gestion des effets indésirables et qui comporte une interopérabilité avec Vaccin Covid afin qu’au moment de leur déclaration par le médecin assurant la vaccination, un préremplissage automatique soit opéré sur le portail de signalement.

Il existe aussi de nombreux projets, évoqués en introduction, concernant la prise de rendez‑vous en ligne. Ils ont également été portés en des temps records et ont mobilisé des partenariats public-privés innovants. Ils visent à faciliter l’accès à la vaccination, en complément d’autres modes de prise de rendez-vous, notamment par téléphone.

M. Emmanuel Gomez, directeur délégué à la gestion et à l’organisation des soins de la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM). Effectivement, nous travaillons très étroitement avec la délégation ministérielle au numérique en santé (DNS) et l’Agence du numérique en santé sur tous les projets numériques présentés par Mme Létourneau.

Depuis un an, nous avons été énormément sollicités sur la gestion de la crise. Nous ferons donc une présentation chronologique des différentes mesures prises ou actions menées au cours de cette crise sanitaire. J’aborderai les sujets relatifs à la téléconsultation et au télésoin.

Au début de la crise, le confinement a engendré une baisse importante du recours aux soins pour les patients et la fermeture d’un certain nombre de cabinets de professionnels de santé, principalement dentistes et masseurs-kinésithérapeutes par exemple.

Cela a donc induit une forte demande visant à faciliter le recours aux consultations ou soins à distance. Nous avons donc mené des échanges avec différents professionnels de santé afin d’assouplir et de faciliter l’usage de cette télésanté, et des mesures ont été prises. Ainsi, nous menons désormais des discussions conventionnelles avec ces professionnels dans l’objectif d’inscrire davantage ces actions dans la durée, de regarder les actes pris en charge, de mieux les tracer, et de faciliter à la fois le recours pour les patients et l’usage par les professionnels de santé.

En matière de téléconsultation, nous avons enregistré une importante augmentation du recours à cette pratique. Ainsi, de 40 000 actes mensuels, nous sommes passés à 4 millions au mois d’avril. Pendant l’été, nous en avons recensé 1 million, et 2 millions en novembre.

La pratique s’est donc démocratisée tant pour les patients que pour les médecins.

Nous étions néanmoins inquiets quant à la possibilité de développer les soins à distance et de créer une sorte de supermarché de la consultation. Or, nous constatons bien que dans la majeure partie des cas, la téléconsultation réunit le patient et son médecin traitant référent. Nous avons donc été rassurés sur le respect du parcours de soins, même dans le cadre de la téléconsultation.

Les mesures prises concernent bien évidemment les médecins. Auparavant, il existait un certain nombre de restrictions, notamment un sujet sur la prise en charge à 100 %. Nous avons donc ouvert cette prise en charge intégrale de la téléconsultation.

Nous avons aussi ouvert la connaissance préalable du patient. Ainsi, le médecin téléconsulté pouvait être différent de celui qui connaissait déjà le patient auparavant, mais cette dérogation a été raisonnablement employée.

Nous avons aussi permis la réalisation d’autres actes, qui ne concernaient pas uniquement les médecins. Les sages-femmes ont ainsi été autorisées à pratiquer des interruptions volontaires de grossesse médicamenteuses.

Nous avons aussi autorisé les téléconsultations par téléphone, ou encore les télé‑expertises.

Toutes ces mesures ont bien sûr été l’objet de négociations et ont donné lieu à des arrêtés. Elles ont été prises très tôt en 2020, dès le mois de mars.

Actuellement, nos efforts portent sur l’inscription de ces mesures de manière pérenne. Ainsi, nous avons déjà passé un accord avec les orthophonistes et les négociations sont en cours avec toutes les autres professions de santé. Nous souhaitons inscrire cette pratique dans la durée et pour ce faire, nous devons identifier les éventuels freins et le niveau des actes de remboursement susceptibles de nous permettre de développer cette activité pour les patients et les professionnels de santé.

Mme Annika Dinis, directrice de la direction opérationnelle du numérique et de l’innovation de la CNAM. Lors du déconfinement au mois de mai, la CNAM s’est vu confier par la loi la mission du contact tracing, qui constitue l’un des piliers de la stratégie « Tester, alerter, protéger ». Aussi, en seulement trois semaines également, des plateformes ont été constituées et un outil a été développé, Contact Covid. Cet outil est aujourd’hui utilisé par les professionnels de santé de ville, mais aussi par des professionnels en établissement, par l’assurance maladie, par les agences régionales de santé (ARS) ou encore par Santé publique France.

Cet outil est fortement lié à SI-DEP. Aussi, lorsque des patients sont positifs, nous réalisons les enquêtes sanitaires, nous recueillons les contacts et nous recourons à différents canaux pour permettre aux cas contacts de suivre les consignes et d’être pris en charge. Par ailleurs, nous avons noué de nombreux partenariats concernant les données et la réalisation de statistiques. Ainsi, les ARS utilisent l’outil pour identifier et traiter les clusters.

Il est aussi utilisé par les communes, car au moins au début, il permettait la prise en charge des examens de biologie pour les dépistages et, pour les pharmacies de ville, la prise en charge des masques.

Il renferme aussi des informations qui sont transmises aux cellules pour les besoins d’accompagnement social et d’appui à l’isolement.

Il contribue à la statistique et au pilotage, et les données ont aussi été utilisées pour des études, de la recherche et des évaluations sur l’ensemble des actions.

Le contact tracing est aujourd’hui composé de trois niveaux.

Le niveau 1 est réalisé par les professionnels de santé de ville, mais aussi par les pharmaciens, infirmiers, dentistes, sages-femmes et masseurs-kinésithérapeutes, les établissements de santé, les centres covid et l’assurance maladie. Nous créons les fiches pour les patients positifs et nous établissons la liste de leurs contacts que nous appelons ensuite pour leur transmettre les consignes.

Le niveau 2 concerne les plateformes de l’assurance maladie. Elles recontactent les ARS, notamment pour les clusters.

Nous en sommes aujourd’hui à la trente-quatrième version de l’outil, afin de tenir compte de toutes les évolutions de l’épidémie. La dernière est liée à l’arrivée des variants et au suivi de l’isolement par les infirmières de ville.

Les données ne sont conservées que trois mois, conformément au décret et à ce jour, nous comptabilisons 2,7 millions de fiches de patients positifs P0, et 8 millions en cumulant patients positifs et cas contacts. De plus, ce service est utilisé par 20 000 utilisateurs simultanés.

Mme Sara-Lou Gerber, directrice de cabinet du directeur général de la CNAM. Pour le contact tracing, au-delà de Contact Covid qui constitue le pilier de la démarche, nous disposons aussi de deux autres outils numériques qui nous aident à encore mieux évaluer les patients zéro et leurs contacts. Nous utilisons notamment un certain nombre d’outils qui nous permettent d’accélérer le contact tracing.

Mme Létourneau a ainsi évoqué le site Briser la chaîne. Cela implique qu’avant même que l’assurance maladie ne l’appelle, un cas contact reçoit un SMS le dirigeant vers un site internet doté de petits outils lui permettant de lister au mieux ces contacts et être prêt lorsque l’assurance maladie le contactera pour recenser au mieux ses propres contacts pendant sa période de contagiosité.

Nous disposons également d’un site internet dédié aux personnes contacts. Elles y trouvent toutes les recommandations en matière d’isolement, de test et de mesures barrières.

Par ailleurs, depuis le 21 janvier, nous avons développé des améliorations dans notre dispositif de contact tracing. Nous nous sommes en effet aperçus que pour s’isoler convenablement, il est important que les patients bénéficient d’un véritable accompagnement de proximité, et pas uniquement des échanges avec le traceur de l’assurance maladie. Aussi, nous proposons désormais aux patients de recevoir à domicile la visite d’un infirmier pour les aider à s’isoler, leur confier toutes les recommandations et tester les personnes du foyer. Pour ce faire, dans toutes les régions, nous avons noué des partenariats avec des plateformes afin de mettre en lien les patients zéros volontaires et des infirmiers. Ce partenariat a été conclu avec les syndicats représentatifs des infirmiers au niveau national.

En parallèle, sur le volet de l’accompagnement social, lorsqu’ils sont contactés par l’assurance maladie, les patients peuvent exprimer un besoin d’accompagnement relatif par exemple au portage de repas ou à l’administratif. Ces informations sont alors transmises aux cellules territoriales d’appui, portées par les préfectures, qui peuvent apporter une réponse très rapide aux besoins exprimés.

Le volet contact tracing nous occupe évidemment énormément, mais le cœur des missions socles de l’assurance maladie est aussi composé des missions relatives aux arrêts de travail. Elles sont également très importantes dans une stratégie d’isolement, puisque nous ne voulons pas que les patients soient financièrement pénalisés, et prendre ainsi le risque de retarder leur isolement effectif.

Aussi, dès le premier confinement, le Gouvernement a souhaité que des arrêts de travail dérogatoires spécifiques soient mis en place. Ainsi, ils échappent à la période de carence habituelle. Pour nous, il a donc été nécessaire de développer des services très rapidement, en une dizaine de jours seulement. Ces services ont ainsi permis aux entreprises et aux salariés eux-mêmes de solliciter ces arrêts de travail spécifiques pour garde d’enfant ou pour vulnérabilité au covid-19 par exemple. De cette manière, nous pouvions isoler ces arrêts de travail des autres, afin de les traiter spécifiquement et ne pas leur appliquer la période de carence. D’ailleurs, le tout dernier téléservice en la matière a été développé récemment, en début d’année. Il a permis aux personnes présentant des symptômes du coronavirus de solliciter dès le premier jour, avant même qu’elles passent leur test, un arrêt de travail dérogatoire, sans carence, leur permettant de s’isoler immédiatement. Cette évolution fait suite au constat selon lequel les personnes attendaient souvent d’avoir le résultat de leur test pour s’isoler, alors qu’il est recommandé de le faire immédiatement pour prévenir tout risque de contamination. Ce téléservice est opérationnel depuis le 10 janvier et son utilisation nous semble satisfaisante. Sa notoriété est bonne et nous n’observons pas de demande excessive ou déconnectée des informations dont nous disposons par ailleurs sur la réalisation des tests.

Dr Dominique Martin, médecin-conseil national de la CNAM. Le système d’information Vaccin Covid est un téléservice de l’assurance maladie. C’est important, car cela permet une forte cohérence avec les données de l’assurance maladie et le système d’information. Cela permet notamment d’alimenter le système d’information à partir des données de l’assurance maladie. Il s’agit de données inter‑régimes, y compris des régimes spéciaux. Nous pouvons donc ainsi couvrir la totalité de la population.

En outre, le fait que nous ayons un accès aux données de l’assurance maladie au sens large permet le ciblage et l’information des populations ciblées. Nous avons ainsi utilisé le système pour informer certaines populations de leur éligibilité au vaccin. Bien entendu, ce système sera amené à être utilisé dans d’autres circonstances.

Cette participation à l’organisation de la vaccination est un élément important et entièrement lié au fait que nous soyons dans l’environnement de l’assurance maladie.

Le deuxième point important à retenir quant au périmètre de ce système d’information et le sujet de la traçabilité.

Enfin, le troisième point est constitué par le fait que le système d’information est également le support à la rémunération des professionnels de santé pour le remplissage de ce système d’information.

En matière de traçabilité, les différentes étapes sont liées les unes aux autres. Il est ainsi fondamental d’instaurer une traçabilité entre les deux doses de vaccin. Le rappel doit être réalisé avec le même vaccin que celui injecté la première fois. Il s’agit d’un point important qui doit être respecté, quels que soient les lieux sur lesquels sont réalisées les différentes injections. L’information sur la nature et l’identité du vaccin injecté au départ doit donc être disponible au second vaccinateur.

La traçabilité concerne aussi les conditions d’éligibilité, à travers la notion de consultation prévaccinale. Le fait qu’un individu correspond bien aux catégories éligibles doit être tracé, de même que la garantie qu’il ait bénéficié d’un point de vue médical sur d’éventuelles contre-indications. Cette traçabilité est donc inscrite dans le système d’information et est tenue à la disposition du vaccinateur.

La pharmacovigilance a été évoquée par Mme Létourneau. C’est un point important. Il existe une interopérabilité avec le portail des signalements de l’ANSM. Aussi, si un événement indésirable grave était signalé, les informations seraient automatiquement chargées dans le portail des signalements et le médecin n’aurait qu’à remplir les données médicales relatives à l’effet indésirable. Cette procédure allège donc considérablement son travail et favorise le signalement. C’est le but recherché afin de procéder à la meilleure surveillance possible des personnes vaccinées.

La traçabilité dans le temps est aussi très importante. Ainsi, à distance, il sera possible de savoir qui a été vacciné, avec quel vaccin, les dates d’injections, mais aussi les lots de vaccins utilisés. En effet, les problèmes survenant avec des produits de santé sont parfois liés à des lots défectueux. Aussi, de cette manière, il sera possible de remonter jusqu’au lot administré en cas d’éventuelle difficulté. Cette information sera conservée dans le temps afin de pouvoir en disposer en cas de nécessité de rappel des patients pour des sujets de santé publique et éventuellement, en cas d’indemnisation.

Enfin, le système d’information permet de produire des indicateurs quotidiens sur le suivi de cette campagne de vaccination. Ces indicateurs sont exploités par le ministère de la santé et Santé publique France.

Le suivi permet une traçabilité de chaque étape, une identification du professionnel de santé, mais aussi du patient. Cela peut paraître évident, mais de cette manière, nous garantissons de connaître le professionnel qui est intervenu, l’identité du patient, et nous gardons ainsi trace de chacune des étapes et de leur organisation séquentielle.

Au terme de chaque étape du processus, un bilan est produit. Il peut être remis au patient sous un format PDF. Ce dernier dispose ainsi des informations en temps réel.

L’un des avantages d’un téléservice de l’assurance maladie est aussi que l’accès est sécurisé par un système d’authentification forte du professionnel de santé. Cette sécurisation est opérée soit par la carte de professionnel de santé (CPS), soit par la carte e‑CPS. En outre, cet accès a été organisé de manière qu’il soit ouvert aux médecins, mais aussi à d’autres professionnels de santé, en particulier à des infirmiers disposant d’une carte adaptée. Il peut également être étendu à d’autres professionnels, comme les pharmaciens si cette mesure s’avérait nécessaire dans le cadre de l’élargissement du champ des personnes amenées à vacciner les individus.

Le fait que nous nous situions dans l’environnement de l’assurance maladie et en lien très étroit avec l’Agence du numérique en santé et le ministère a aussi permis d’élaborer un système particulièrement important d’accompagnement comprenant des vaccinateurs et des tutoriels dédiés à l’utilisation du système e‑CPS, mais également à l’utilisation de Vaccin Covid, extrêmement facile par ailleurs. Toutes les informations sont en effet téléchargées à partir des données de l’assurance maladie de sorte qu’il y ait assez peu d’informations complémentaires à ajouter pour le vaccinateur. En outre, en complément d’un tutoriel, nous avons mis en place des supports : nous avons adressé des courriers aux professionnels de santé, proposé des supports téléphoniques et, à partir des caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), nous avons mis en place des campagnes d’information à destination des centres de vaccination soit par des délégués de l’assurance maladie, soit par des conseillers informatiques. Enfin, l’information est bien sûr aussi accessible sur Ameli tant pour le public que pour les professionnels de santé.

Concernant les évolutions, un élément est important à garder à l’esprit. Il s’agit du fait que ce système connaît des évolutions itératives afin de l’adapter aux nécessaires évolutions de la campagne de vaccination. Ainsi, nous avons dû introduire les nouveaux vaccins et rappeler les différents délais requis entre les injections. Nous avons aussi apporté des adaptations aux questionnaires et introduit par exemple des systèmes d’autocomplétion pour faciliter l’accès. Il est aussi possible de procéder à un enregistrement manuel si le numéro d’inscription au répertoire de l’INSEE n’est pas connu. Cela permet de nous assurer que personne ne sera écarté de la vaccination. De plus, nous développons actuellement un tableau de bord destiné au professionnel de santé vaccinateur. Il accédera ainsi à un outil lui permettant de suivre la situation de manière synthétique.

L’un des éléments importants du système d’information est sa capacité à produire des informations quotidiennes. Elles sont remontées au ministère de la santé pour traitement. Elles sont aussi mises à la disposition du public dans le cadre de l’open data et font l’objet d’un traitement par Santé publique France, qui procède ainsi à des calculs de couverture vaccinale. Nous pouvons ainsi suivre par exemple la couverture vaccinale de première injection et d’injection complète des résidents en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Les taux atteignent ainsi respectivement 75 % et 30 à 40 %. Il s’agit évidemment d’un suivi essentiel dans la mesure où nous ciblons des populations particulières. La campagne progresse en fonction des risques et de l’exposition. Ainsi, chaque jour, nous disposons des données relatives aux personnes ayant reçu la veille la première ou la seconde injection, et les détails sur le vaccin administré. Le suivi est aussi géographique, puisqu’il est effectué au niveau régional et départemental.

Mme Sara-Lou Gerber, directrice de cabinet du directeur général de la CNAM. Notre présentation est centrée sur le numérique et la crise, mais nous pouvons évidemment répondre aux questions des parlementaires qui porteraient sur les outils numériques inscrits sur notre feuille de route plus structurelle, en lien avec la DNS.

M. François Lescure, président de Les Entreprises de la Télémédecine (LET). De nombreux éléments ayant déjà été abordés, je m’attacherai à vous présenter plutôt le LET. Il s’agit d’une association représentant une quarantaine de sociétés. Elles constituent un écosystème plus large qui est celui de health tech. Il s’agit d’un important vivier de création de valeur et d’innovation. C’est un élément sur lequel j’insiste, car en cette période de crise, il y a la nécessité impérieuse de pouvoir développer autour du numérique en santé.

Je tiens donc à saluer le travail réalisé avec la DNS. C’est le fruit d’une coconstruction à laquelle nous avons activement participé. Il est vrai que les relations sont un peu plus compliquées avec la CNAM, notamment lorsque nous sommes qualifiés de « supermarchés de la téléconsultation ». Aussi, je tiens à rappeler que l’ensemble des téléconsultations réalisées pendant la crise et encore en ce moment, le sont sur la base des outils développés par ces mêmes plateformes, soit au travers des services que nous avons contribué à mettre en œuvre, soit au travers des outils développés. Je souhaite donc réitérer l’invitation déjà adressée à la CNAM et à vous, députés. Venez découvrir ce que nous faisons et la manière dont nous travaillons.

Je rappelle également que la téléconsultation est un acte médical mobilisant de vrais médecins, qu’ils soient libéraux ou salariés. Tous utilisent des outils sécurisés. Aussi, dans le cadre de la convergence avec l’ANS, nous avons convenu d’un niveau de sécurisation requis pour ces outils, contredisant ainsi certaines annonces selon lesquelles des outils non sécurisés seraient utilisés. Je souligne également que, quel que soit le médecin ou le patient, la confidentialité de la télémédecine est respectée. Ainsi, l’ensemble des plateformes que nous représentons aujourd’hui respecte tout à la fois la déontologie, la sécurisation et la confidentialité des échanges.

Aujourd’hui, environ 5 % des consultations le sont par le biais de la téléconsultation. Plus de 80 % des médecins généralistes la pratiquent et un quart des Français y ont déjà eu recours. Plus de 90 % d’entre eux se déclarent satisfaits. Cela démontre la démocratisation de l’usage de cette pratique et le fait qu’elle ait été parfaitement comprise par la population comme par les professionnels. Pendant la crise sanitaire, les plateformes ont joué leur rôle. Elles ont notamment mis en place tous les outils proposés par la Haute Autorité de santé (HAS) pour dépister très rapidement les patients covid et les orienter dans le parcours de soin, dont nous sommes particulièrement respectueux. Ainsi, bien que nous prenions en charge une personne en dehors de ce parcours, nous nous efforçons de l’y ramener autant que cela est nécessaire. Ainsi, pendant la crise, je pense que nous avons parfaitement joué le rôle important consistant à orienter et à prévenir des risques. Nous avons ainsi évité environ un recours sur cinq aux urgences, ce qui n’est pas négligeable.

Selon moi, l’épidémie a permis de démontrer que lorsqu’on est capable de s’organiser, comme nous le faisons avec la DNS et l’ANS, lorsqu’on est capable de mettre en place les ressources adéquates au moment opportun, on peut alors répondre à une demande très importante. Aussi, nous nous sommes mobilisés et nous avons réussi à mettre en œuvre et à coordonner l’activité de toutes les plateformes que nous représentons aujourd’hui.

Je souhaite aussi souligner que dans le cadre de Ma santé 2022, nous nous sommes mobilisés et nous coconstruisons les outils avec la DNS. Nous mettons donc l’ensemble des sociétés en conformité avec les exigences. Ce point a d’ailleurs été salué par notre ministre de la santé et par un certain nombre d’intervenants. Cet effort est important, car les sociétés que nous représentons ne sont pas de grosses sociétés, mais à forte création de valeur, car innovantes. Il est donc essentiel de comprendre qu’elles sont capables d’innover et d’entrer dans une collaboration avec l’ensemble des pouvoirs publics. Elles ne se positionnent donc pas de manière marginale. Néanmoins, il existe un petit décalage évident entre la volonté politique manifestée et la réalité. Cela concerne par exemple le maintien du caractère dérogatoire de la télémédecine. Si nous voulons porter les entreprises et leur permettre de créer de la valeur et de la richesse pour les patients, pour les médecins et l’ensemble des professionnels de santé, il est essentiel que le remboursement des téléconsultations et de la télémédecine s’inscrive dans un cadre juridique pérenne. Nous ne plaidons pas pour que l’intégralité de la téléconsultation soit prise en charge. Nous souhaitons simplement qu’une ligne directrice soit définie et poursuivie afin que nous puissions nous inscrire dans ce cadre.

De plus, nous observons une distorsion évidente entre le public et le privé. En effet, il arrive très régulièrement que nous soyons confrontés à des ARS ou d’autres établissements publics qui refusent de recourir à nos services et proposent des solutions soit expérimentales, dont la pérennité n’est donc pas garantie, soit publiques. Nous nous en sommes d’ailleurs ouverts à M. Pon. Cette situation nous complique donc la tâche et ne contribue pas à un développement harmonieux des plateformes et de la health tech, qui représente un très grand nombre de sociétés.

De plus, pour accompagner le développement de la télémédecine, notre recommandation est de faire en sorte que les entreprises du secteur soient réellement reconnues comme des acteurs du soin à part entière. À défaut, nous serons toujours considérées comme un « supermarché de la télémédecine ». Personnellement, l’ignore ce que cette expression signifie, mais elle est désagréable à entendre. Je pense en effet que cela dévalorise le rôle qui est le nôtre et que nous avons joué. Aussi, je souhaiterais que nous puissions vous expliquer, ainsi qu’à la CNAM, ce que nous faisons, la manière dont nous le faisons et dont nous pouvons intervenir dans le processus de prise en charge d’un patient. Je vous rappelle à cette occasion qu’à ce jour, plus de 8 millions de patients n’ont pas de médecin traitant et sont en errance de diagnostic et en errance thérapeutique.

Mme Annie Vidal. Je vous remercie pour ces présentations riches et précises qui nous éclairent dans une période où le numérique joue un rôle grandissant dans le domaine de la santé.

Depuis le début de l’épidémie, les Français se sont tous approprié des outils numériques plus ou moins innovants et très utiles dans la lutte contre le virus. Comme vous l’avez évoqué et décrit, l’application TousAntiCovid permet d’accélérer le traçage des cas contacts. Par ailleurs, le développement de la télémédecine a aussi facilité la continuité de l’accès aux soins pendant le confinement.

De notre côté, nous avons agi en faveur de la télémédecine en prolongeant la prise en charge intégrale de la téléconsultation par l’assurance maladie dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2021.

Plus récemment, le système de prise de rendez-vous pour vacciner les personnes les plus vulnérables est venu en appui de l’engagement de la campagne vaccinale. À ce stade, plus de 2,2 millions personnes ont reçu une première injection.

Outre les points indispensables de consolidation des données, cette campagne vaccinale nous a enseigné la nécessité d’être vigilants et à l’écoute de tous ceux qui n’ont pas pu prendre de rendez-vous en ligne, soit faute d’un accès à internet soit faute d’être suffisamment familiarisé avec ce type d’outil. Aussi, à ce stade, nous avons identifié un certain nombre de besoins spécifiques et je pense que nous devons rester particulièrement attentifs au fait que toutes les personnes en situation de vulnérabilité, issues de milieux défavorisés, âgées ou en situation de handicap soient bien prises en compte dans le développement du numérique en santé. Ce sont en effet elles qui ont un important besoin d’accès aux soins. Aussi, comment intégrez-vous la problématique de la fracture numérique dans vos travaux et projets afin de développer une transformation numérique plus inclusive dans le domaine de la santé ?

M. Stéphane Viry. Je vous remercie pour les éléments d’observation et de réflexion qui ont été apportés.

Concernant la DNS, j’ai pris note des cinq grandes orientations et des trente actions mises en œuvre pour rattraper le retard que la France avait pu prendre. J’ai aussi relevé les objectifs à moyen et long terme. J’ai aussi retenu les informations apportées par la CNAM relatives aux mesures dérogatoires destinées à répondre à la crise covid, notamment la téléconsultation et les outils numériques mis en œuvre. Enfin, j’ai aussi apporté une grande attention aux propos tenus par les entreprises de la télémédecine, qui selon moi, amènent à la réflexion.

Pour notre part, nous considérons que la technologie et le numérique sont l’avenir de la santé. Aussi, il est probable que nous devions nous efforcer d’être aussi performants que possible sur la question. Le numérique peut augmenter l’offre de soin et la qualité de la réponse médicale pour les patients, et, me semble-t-il, elle peut même l’humaniser. Le sujet est de trouver la bonne combinaison entre les règles de la santé et celles du numérique.

Je pense que le système a besoin de régulation. Nous sommes effectivement dans des pratiques de rupture de technologie et de pratiques médicales. Aussi, comment concevez-vous l’évolution législative et réglementaire sur cette question, avec un fort esprit de responsabilisation par rapport aux enjeux qui peuvent exister dans tous ces espaces de santé numérique ?

Une autre question porte sur les opérateurs qui seront présents sur ce segment ou ce marché. Je pense notamment au sujet de la prise de rendez-vous sur les plateformes, qui peut constituer une nouvelle culture. Personnellement, je souhaite que les patients restent libres de choisir leurs professionnels de santé et l’outil qu’ils souhaitent utiliser. Aussi, existe-t-il des démarches pour ordonnancer tout cela, pour aller vers la structuration d’une filière qui permettrait d’avoir une vraie politique publique qualitative, concurrentielle, et assortie d’objectifs très précis ?

M. Cyrille Isaac-Sibille. Parmi les sujets évoqués lors de cette table ronde tout à fait passionnante, j’aimerai revenir sur le numérique, la pandémie à laquelle nous sommes confrontés, et plus précisément sur les données de santé et l’ensemble des outils et des systèmes d’information permettant de suivre la situation sanitaire. Au travers des différentes auditions, nous constatons que Santé publique France ne dispose pas forcément des outils pour le faire.

Nous avons déjà observé que nous n’avions pas forcément les outils pour les tests. Au départ, avant la mise en place du SI-DEP, nous nous sommes appuyés sur l’AP-HP. Il me semble intéressant de connaître les liens avec la CNAM, notamment vis-à-vis du système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie, tant pour les tests que pour le système d’information.

Concernant les malades et leur suivi, que devient la plateforme Covidom, portée par l’AP‑HP ? Permettait-elle de généraliser le suivi des patients sur le territoire national ?

Enfin, concernant les vaccins, nous disposons désormais de Vaccin Covid, qui date du 4 janvier. Il s’avère intéressant par rapport à la traçabilité et à la pharmacovigilance, mais il s’agit d’un système indépendant, élaboré sur la base d’un outil extérieur. Aussi, n’avions-nous pas les capacités de le concevoir en interne ?

Par ailleurs, nous savons que des analyses des eaux usées sont également menées. Aussi, comment tous ces systèmes d’information sont-ils centralisés ? Nous savons que certains fonctionnent très bien, et la grande chance de notre pays est d’avoir un système centralisé. Aussi, dans la mesure où nous constatons certains retards, pourquoi ne nous sommes-nous pas davantage appuyés sur des systèmes existants, comme le DMP ? Il y a deux ans, j’avais interrogé le directeur général de la CNAM, qui affirmait que le carnet de vaccination électronique était prêt et aurait ainsi dû être dans le DMP. Désormais, nous faisons face à une pandémie et nous organisons une campagne de vaccination massive. Aussi, comment expliquer que le carnet de vaccination électronique et le DMP ne soient pas prêts ? J’ai déjà posé cette question à M. Salomon et à Mme Julienne, qui y ont répondu en affirmant que la décision a été collégiale. Pourquoi ne nous sommes-nous pas appuyés sur le DMP ? Pourquoi avons-nous conçu un nouveau système d’information externe, Vaccin Covid ? Cette question est d’autant plus justifiée que nous constatons maintenant que le sujet qui est désormais à traiter est celui du passeport vaccinal et que le DMP aurait pu constituer un outil intéressant pour ce passeport. Aussi, pourquoi ne nous sommes-nous pas appuyés sur le DMP et pourquoi créons-nous à chaque fois de nouveaux systèmes d’information alors que nous devrions disposer de ces outils en interne ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Tout d’abord, je tiens à signaler les progrès réalisés progressivement sur le contact tracing. En effet, en tant que professionnelle de santé, j’ai pu mesurer leur réalité et il me semble important de souligner que cela fonctionne de manière assez satisfaisante.

Concernant le parcours de soins et la télémédecine, il a été déclaré que la télémédecine contribuait au respect du parcours de soins, car la téléconsultation était davantage orientée vers le médecin de ville. Nous devons nous en féliciter, mais il faut également admettre que ce n’est pas uniquement le cas. En effet, cela a fonctionné pendant la crise, car les patients se sont naturellement orientés vers leur médecin traitant, mais la question est de savoir si nous disposons de statistiques sur les individus ne disposant pas de médecin traitant et la manière dont ils s’intègrent réellement dans un parcours de soin. Cela me semble en effet constituer l’un des enjeux des semaines et les mois à venir sur le développement de la téléconsultation.

Je rejoins M. Viry sur la nécessité à exercer une vigilance sur la liberté de choix et sur la régulation. En tant que législateurs, nous sommes garants de ces éléments face au développement de ces téléconsultations.

De plus, j’ai une interrogation sur le médico‑social. Nous avons énormément abordé le numérique en santé par le biais de la santé, mais nous avons constaté que le développement du numérique constituait un réel enjeu dans le secteur du médico‑social dans la lutte contre l’isolement. Aussi, ce développement dans le médico‑social est mentionné dans la feuille de route, mais il n’est pas réellement présent et il n’a pas non plus eu d’impact réel pendant la crise. Aussi, quels axes devront être assez rapidement développés pour que, dans le maintien à domicile, dans les EHPAD, dans les établissements médico‑sociaux, ce numérique en santé devienne une réalité et occupe une vraie place ?

Mme Valérie Six. Depuis plusieurs années, notre système de santé connaît des mutations, avec notamment l’émergence de projets numériques innovants ayant pour objectif de mieux soigner.

L’épidémie de covid‑19 a sans nul doute provoqué un regain d’intérêt pour des solutions de télémédecine apparues comme un outil indispensable dans un contexte de contagiosité, de confinement et même d’isolement. Le succès récent de ce mode de consultation s’explique également par la mobilisation massive et rapide des moyens adéquats pour répondre aux besoins plus urgents. Néanmoins, des freins restent encore à lever. Je pense notamment à l’enjeu du déploiement du très haut débit dans des zones blanches qui coïncident souvent à des zones sous dotées en offres de soin. Cette semaine, la fracture numérique s’est également illustrée en Seine-Saint-Denis, à La Courneuve, où les centres de vaccination ont vu affluer des patients de départements voisins, plus connectés ou plus au fait des possibilités de réserver des créneaux en ligne. Aussi, il apparaît essentiel de tenir compte des inégalités sociales et territoriales afin de ne pas les aggraver. Quelle est donc votre approche sur ce sujet ?

D’autre part, lors de l’examen du rapport de M. Isaac-Sibille sur le DMP et les données de santé, nous notions que seuls 9,3 millions de ces carnets de santé numériques ont été ouverts alors que l’objectif d’équipement est fixé à 40 millions en 2022, date à laquelle l’ouverture sera automatique, sauf opposition du patient. Face à cette échéance qui se rapproche, dans quelles mesures la CNAM envisage-t-elle un renforcement des moyens humains et financiers sur le sujet afin de donner au DMP les moyens de ces ambitions ? Cet outil doit en effet être au centre du virage numérique de notre système de santé.

M. Pierre Dharréville. Les informations apportées sur ces nouveaux outils et les nouvelles approches qu’ils induisent soulèvent de nombreux questionnements tant pratiques qu’éthiques.

Il a été évoqué des partenariats public-privé innovants, une concurrence déloyale public-privé – ce qui me heurte un petit peu – et des approches distinctes entre la sécurité sociale et la DNS sur le rapport aux différents acteurs. Aussi, je m’interroge sur nos capacités propres à déployer ces outils, à développer des solutions du numérique en santé.

Je souhaiterais aussi questionner les entreprises de télémédecine sur leurs résultats financiers 2020, sur la répartition de la valeur au sein de leurs entreprises.

Il a également été soulevé la question de savoir où commence l’action publique et où s’applique la concurrence. Je serai donc intéressé pour connaître votre point de vue de la DNS et de la sécurité sociale sur le sujet. Évidemment, je comprends la préoccupation d’éviter les logiques commerciales susceptibles de s’insinuer dans les démarches de santé.

Sans rapport avec la crise sanitaire, concernant les maladies professionnelles, je souhaiterais connaître l’état des réflexions engagées. Nous disposons de données qui me semblent sous‑utilisées pour lutter contre ce fléau. Des idées émergent sur l’élaboration de cadastres de postes de travail produisant des maladies professionnelles, des maladies reconnues, celles faisant en vain parfois l’objet de démarches en reconnaissance. Cela permettrait peut-être une lutte plus efficace.

Enfin, concernant la démocratisation de la téléconsultation, disposez-vous de données sociales sur le recours à cette pratique ? Cela permettrait de s’assurer de la pertinence de l’emploi du terme de démocratisation.

M. Julien Borowczyk. Je voulais d’abord remercier les intéressés pour le travail qui a été réalisés durant cette crise.

Bien que redondante, car j’en ai discuté à de nombreuses reprises avec la DNS, ma question porte sur l’interopérabilité des systèmes, plus que jamais prégnante dans le sujet. Nous observons en effet de façon récurrente que de nombreuses plateformes ont été mises en place, SI-DEP et Vaccin Covid notamment, et nous constatons qu’elles ne sont pas unies dans leur accessibilité. Je le constate d’ailleurs au quotidien dans ma pratique de médecin généraliste, entre le logiciel métier et la plateforme amelipro par exemple. L’éternel souci concerne en effet la qualité de la donnée collectée, le fameux shit in, shit out. Aussi, je souhaiterais savoir comment nous pourrions faire progresser le sujet pour obtenir une concordance de ces plateformes.

Enfin, concernant la télémédecine, nous avons constaté qu’un certain nombre de consultations avaient été réalisées soit par les médecins traitants soit par des plateformes identifiées. Cela nécessite donc deux outils, l’un pour les médecins et l’autre proposé par les plateformes, qu’il est nécessaire de distinguer. Il est vrai que nous avons une pathologie coronavirus accessible au suivi de télémédecine par le biais du téléphone ou de la vidéo. Toutefois, cela peut être plus compliqué pour d’autres patients. J’entends certes l’argument concernant les territoires sans médecins traitants, mais pouvez-vous nous dire comment les entreprises de télémédecine s’impliquent dans le fameux parcours de soins. En effet, cet élément constitue la priorité, avec le suivi du patient et l’implication dans la télé‑expertise dans les EHPAD, dans les hôpitaux, dans les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).

M. Bernard Perrut. La France est encore loin de la médecine 4 P : prédictive, préventive, personnalisée et participative.

De nombreux outils numériques permettent d’avoir une vision de ce que pourrait être la santé de demain, avec des patients acteurs de leur santé, avec des objets connectés, avec des professionnels de santé accompagnés par des logiciels dans le diagnostic ou dans le traitement, avec un système de santé plus collaboratif et agile. Certes, la France a une stratégie qui se veut ambitieuse, mais aujourd’hui, comment aller plus loin et plus vite ?

Bien sûr, vous avez évoqué la télémédecine et le fait que cette pratique se soit accentuée pendant la période de covid. Toutefois, nous observons bien la persistance de freins : certains médecins interrogés déclarent en effet qu’ils ne recourront jamais à cette pratique, notamment en raison du risque de déshumanisation et du fait que la culture numérique n’est pas encore généralisée. En effet, 90 % des étudiants en médecine ne sont pas formés à la télémédecine. Aussi, dans ce contexte, comment contribuer et inciter à l’usage de la télémédecine ? Comment former les professionnels de santé ?

Notre société produit chaque jour d’énormes quantités de données de santé appelées big data. Aussi, l’utilisation responsable des données de santé constitue un préalable pour garantir la confiance des utilisateurs en ces solutions numériques. Comment contrer les barrières au partage et à l’utilisation des données de santé quand on sait que les logiciels médicaux ne sont que rarement interopérables et que les standards de recueil des données ne sont pas toujours identiques ? Comment améliorer leur recueil et les fiabiliser ?

Étant élu de la ville de Villefranche-sur-Saône, je suis touché par la situation évoquée depuis hier dans les journaux en raison d’une importante cyberattaque ayant visé l’hôpital. En quelques jours, il s’agit du quatrième hôpital qui a vu disparaître toutes ses données, demande de rançon à la clef. Aussi, en tant que centre opérationnel pour les données numériques de santé, pouvez-vous nous assurer qu’à terme, le système sera fiable, protégé et assurera le fonctionnement de notre organisation de santé ?

M. Thierry Michels. Au-delà de l’utilisation du numérique durant la crise sanitaire, qui a été très largement évoquée, je voudrais approfondir la question de l’innovation et le lien plus global entre le numérique et l’innovation en santé, et de la meilleure manière de renforcer ce lien.

J’ai eu l’occasion de rencontrer à plusieurs reprises le Pr Carole Mathelin, chef du service de sénologie au sein des hôpitaux universitaires de Strasbourg. Elle travaille en étroit partenariat avec une association de prévention du cancer du sein et une société spécialisée dans l’exploitation des données. Ensemble, ils portent des projets, comme le projet Senometry, qui vise à une meilleure compréhension et prévention des cancers du sein grâce à l’exploitation massive des données de dépistage et de traitements, ou le projet Lymphometry dans le cadre duquel un manchon intelligent en fibres conductrices permet à la patiente de mesurer elle‑même et régulièrement le diamètre de son bras pour détecter rapidement l’apparition d’un lymphœdème.

Je m’interroge sur le soutien dont les projets émergeant dans les territoires peuvent bénéficier, tant au niveau national – par l’intermédiaire de l’État, mais aussi du parapublic – qu’au niveau européen ou régional. De nombreux acteurs interviennent en soutien à l’innovation numérique en santé, comme la table ronde d’aujourd’hui en témoigne. Cela ne facilite pas la lisibilité des procédures engagées, la création de valeur et notre capacité actuelle ou future à innover comme à trouver des solutions en circuits courts et souverains face à de nouveaux virus.

Aussi, comment les rôles entre les différents acteurs se répartissent‑ils ? Comment pouvons‑nous faciliter l’accès au soutien, notamment financier, et ainsi soutenir les innovations médicales numériques selon les tailles des structures ? Y a-t-il un suivi centralisé de répartition des aides et de leur coordination ? Y a-t-il un suivi de la part de l’assurance maladie de tous ces éléments, en amont comme en aval, en matière d’évaluation ? Certains de nos voisins, comme la Suisse, sont innovants et leurs processus apparaissent comme plus simples et efficaces. Quels éléments comparatifs par rapport aux bonnes pratiques d’autres pays pouvez-vous nous fournir ?

M. Alain Ramadier. La pandémie de coronavirus a accéléré le recours à la pratique à distance de la téléconsultation. Elle a en effet été multipliée par trois pour les patients et par cinq pour les médecins. Nous sommes ainsi passés de 400 000 téléconsultations annuelles à près d’un million par semaine au plus fort de la crise en mars et avril 2020. Ces éléments nous ont été fournis par un baromètre Odoxa.

Si nous pouvons nous féliciter d’avoir trouvé des solutions pour répondre aux conséquences de la crise sanitaire que nous subissons, ces nouvelles techniques posent néanmoins de réelles interrogations. En effet, si les téléconsultations disposent de nombreux avantages, je m’interroge tout de même sur ses conséquences : d’une part, la consultation supprime le lien entre patient et médecin ; d’autre part, elle empêche l’aspect humain, essentiel pour le malade. À l’heure où les français souffrent de pathologies psychiques et psychologiques, je pense qu’il est essentiel de ne pas omettre cette question.

En revanche, pour certains territoires, la téléconsultation s’avère être une solution pragmatique et concrète à la désertification médicale. Je souhaiterais connaître vos propositions sur cette problématique.

Mme Marie TamarelleVerhaeghe. Je souhaite tout d’abord vous faire part de mon espérance quant aux travaux de Mme Létourneau, qui constituent pour moi une véritable perspective en matière d’e-santé puisqu’effectivement, avant de bâtir la maison, il convient de s’assurer de la solidité des fondements. Or, dans ce domaine, il me semble que nous disposons encore d’une marge de progrès.

Je sollicite le point de vue de Mme Létourneau et de ses équipes par rapport à l’e-santé et aux perspectives des start-up, et notamment de l’innovation. Cette méthodologie et ses fondements devaient permettre aux start-up de trouver une plus grande visibilité sur les services qu’elles sont en capacité de proposer. Si je me fie aux retours du terrain, les innovations sont restées principalement institutionnelles, peu de start-up y ont été associées et les projets mis en lumière ont surtout été ceux portés par des centres hospitaliers universitaires influents ou de grosses structures. Entre la volonté de l’application sur le terrain et l’articulation avec les instances, où en sommes-nous ? Comment pouvons-nous progresser ?

Enfin, dans une lettre, le collectif Convergence Infirmière s’insurge sur la stratégie des plateformes retenues. Alors que dans certains départements, l’union régionale des professionnels de santé, c’est-à-dire une instance élue par des professionnels, porte la plateforme, dans d’autres, il s’agit de la Fédération nationale des infirmiers et le Collectif considère que ce dernier est en position de conflit d’intérêts et ne représente pas tous les salariés.

M. Thibault Bazin. Mesdames et messieurs, je voudrais vous interroger sur le développement de la télémédecine, constaté à deux vitesses dans notre pays. Il y a comme un lien avec l’organisation territoriale de la santé. Il est vrai que la création et le financement des CPTS dépendent notamment des ARS. Nous observons que ces CPTS se mettent plus rapidement et plus facilement en place dans des métropoles, plus difficilement et plus lentement dans des territoires périphériques. Pourtant, les ARS sont en charge de coordonner les solutions de télémédecine existantes dans le but d’optimiser l’accès au soin des habitants de la région. En quoi l’action ou l’inaction des ARS dans certains territoires, pourtant désireux de montrer des contrats locaux de santé avec des professionnels de santé volontaires pour monter des CPTS, pourrait-elle être améliorée sans être prescriptive de ses propres solutions, mais bel et bien en s’adaptant au mieux à la spécificité de chaque territoire et de ses professionnels ?

Mme Stéphanie Rist. Je vous remercie pour cette présentation et pour le fait de nous montrer le changement majeur de politique en matière de numérique en santé, lancée avec Ma santé 2022, politique dont on observe enfin l’efficacité.

Cependant la crise a mis en lumière une nécessité urgente, majeure, de rendre effective l’interopérabilité des logiciels, notamment hospitaliers. Nous avons d’ailleurs amandé le dernier PLFSS dans ce sens. Aussi pourriez-vous me dire ce qui a évolué sur le sujet ? Comment concrètement rassurer les professionnels de mon territoire qui ne voient pas encore cette interopérabilité ?

Mme Isabelle Valentin. Ma première question concerne la défiance par rapport à l’application TousAntiCovid. Comment expliquez-vous cette faible mobilisation en France ?

La seconde question porte sur l’équité. Je considère que la transformation numérique peut être un levier performant pour tous les acteurs de notre système de santé. Nous sommes tous conscients que le prochain défi à relever pour notre système de santé sera territorial : l’égalité d’accès aux soins pour tous, y compris pour les plus âgés, pour les publics fragiles, pour les zones sous-dotées, et pour toutes ces personnes pour qui Doctolib est resté assez compliqué concernant les inscriptions pour les vaccins. Nous savons tous que les territoires sont inégaux. Aussi, comment pensez-vous traiter équitablement, sur l’ensemble des populations et des territoires, cet accès au numérique et cette transformation ?

M. Didier Martin. Je souhaite aborder le sujet de la prévention. La crise de la covid a permis des progrès très rapides et très impressionnants en télémédecine. Aussi, en matière de prévention individuelle, comment faire que demain, toutes ces avancées servent à une vraie politique de prévention caractérisée par une prévention individuelle, une information ciblée, des informations et une démarche traçable ? De plus, pour la CNAM, quelle sera la rémunération des actes de prévention ? Nous l’observons en ce moment dans la médecine du travail, avec l’introduction des masseurs-kinésithérapeutes qui demandent la rémunération des actes de prévention pour les maladies musculo-squelettiques. Demain, la prévention bénéficiera-t-elle de ces progrès énormes et particulièrement rapides qui ont été développés, en particulier au cours de la crise de la covid ? C’est une question de santé publique.

M. Belkhir Belhaddad. Je souhaite soulever une question qui a pris une dimension supplémentaire à la lumière de la crise sanitaire : il s’agit de l’accompagnement de nos aînés dans leurs démarches numériques. Cela a d’ailleurs été évoqué tout à l’heure. Ma question porte évidemment sur la téléconsultation, mais idéalement aussi sur la prise de rendez-vous en ligne dans le cadre de la campagne vaccinale. Bien entendu, cette situation n’est pas identique pour toutes les personnes âgées. Certaines peuvent être aidées par leur famille, et d’autres maîtrisent très bien les outils, mais la démocratisation de l’accès à la santé est un enjeu majeur pour permettre le désengorgement médical et apporter une réponse à des situations locales de désertification médicale. Pour cela, aucun public ne doit être exclu. Aussi, je voulais vous soumettre l’idée d’engager une démarche de qualification du personnel intervenant à domicile afin qu’il puisse assister les personnes auxquelles ils apportent déjà une aide, qu’elle soit ménagère, sociale ou de soin.

Mme Josiane Corneloup. Le numérique constitue un atout majeur, au regard des problématiques de santé qui sont les nôtres. Aussi, j’aimerais revenir sur les propos d’un de mes collègues qui évoquait les difficultés rencontrées par une fraction de la population qui ne dispose pas d’outils ou pas d’un accès à internet, ou encore, qui ne maîtrise pas l’utilisation de ces outils. Je pense particulièrement au milieu rural ou aux populations précaires. Ceci est source d’énormes inégalités par rapport à l’accès aux soins. Nous le constatons chaque jour puisque dans nos permanences, au regard des difficultés rencontrées par ces mêmes personnes, notamment des personnes âgées pour la prise de rendez-vous en ligne pour la vaccination contre la covid.

La téléconsultation est la télé‑expertise sont des atouts et des outils majeurs. Des expérimentations ont été autorisées par les ARS pour développer la télémédecine, mais aussi la téléconsultation au sein des officines. J’en parle d’autant plus aisément que ceci est le cas dans ma circonscription. Les retours sont extrêmement positifs, ce qui s’explique aisément par le fait que les patients connaissent très bien leurs pharmaciens et ont l’habitude de fréquenter régulièrement leurs officines pour les médicaments. Il n’y a donc pas de crainte, pas de défiance vis-à-vis des actes de télémédecine, de téléconsultation ou de télé‑expertise. Ces nouvelles pratiques semblent tout à fait pertinentes pour pallier l’inégalité d’accès aux soins, en particulier dans les territoires ruraux, du fait de nombreux déserts médicaux, tant concernant les médecins généralistes que les médecins spécialistes. Ces pratiques peuvent aussi constituer une solution par rapport aux problématiques de transport, puisque l’accès au premier dermatologue peut nécessiter de parcourir plus de 100 kilomètres. Ceci présente également l’avantage de disposer d’un cadre, d’une régulation, d’une traçabilité de ces actes et de leur intégration dans le nouveau parcours de soin. Comme cela l’a déjà été évoqué, je pense que nous avons l’obligation de définir un véritable aménagement du territoire en matière de télémédecine. La France compte 22 000 officines : aussi, pourquoi le développement de ce modèle n’est-il pas vivement encouragé ?

M. Marc Delatte. Le numérique en santé, l’essayer c’est l’adopter, et la communauté des soignants ne s’y est pas trompée puisqu’ils n’ont pas attendu la crise sanitaire pour s’emparer de ces outils. Je l’observe chez l’ensemble de mes confrères généralistes : nous avons augmenté notre temps médical, mieux géré les rendez-vous, amélioré l’interface de l’hôpital dans une démarche ambulatoire pour un système de santé repensé, et tout cela, dans le strict respect éthique de la garantie humaine, qui est un point important. Aussi, faisons confiance à ceux qui savent faire et remercions les plateformes.

Les champs d’application sont très larges : prévention, soin, enseignement, recherche ou encore gouvernance. Aussi, cela appelle de nombreuses questions, d’abord en lien avec le volet numérique du Ségur de la santé, avec 600 millions d’euros dédiés au secteur médico‑social – je rejoins d’ailleurs ma collègue Agnès Firmin Le Bodo sur le sujet. Aussi, quelles sont les priorités pour lesquelles le numérique est un facteur d’efficience de notre système de santé ?

Les soignants doivent répondre à l’urgence de la situation face au front de la pandémie, tout en assurant l’ensemble de leurs missions. Aussi, comment le numérique en santé constitue-t-il un outil précieux pour assurer les missions de prévention primaire, secondaire, et le suivi des patients – parfois perdus de vue – afin de limiter les pertes de chance, ou les retards de prise en charge, notamment en oncologie et dans le suivi des maladies chroniques ?

Enfin, la pandémie a mis en lumière des enjeux de souveraineté pour la France et l’Europe dans le domaine de la santé. Aussi, à l’heure du partage mondialisé d’informations au sein de la communauté scientifique internationale, quelles interactions et quels échanges de bonnes pratiques en e-santé permettent de conforter ce modèle de santé européen armé face à la crise sanitaire ?

Mme Marie-Laure Saillard, vice-présidente en charge des affaires publiques de Les Entreprise de la Télémédecine (LET). Indépendamment des courants politiques et des préoccupations dans les circonscriptions comme au niveau national, je constate que quelques sujets reviennent et apparaissent importants.

Le premier est celui de l’inégalité dans les territoires et face aux usages du numérique. Il s’agit effectivement d’un sujet extrêmement important puisque les chiffres présentés par la CNAM montrent que la téléconsultation financée en intégralité par la sécurité sociale est aujourd’hui une téléconsultation assurée par un médecin traitant pour son patient. Aussi les près de 20 millions téléconsultations enregistrées en 2020 ont permis d’apporter un accès au soin aux patients qui ne sont pas dans une situation de désert médical. Aussi, je comprends les interrogations et les impatiences par rapport à ces inégalités sur le territoire.

Nous représentons quarante entreprises et il existe d’autres modèles qui ne sont pas financés par la sécurité sociale et qui permettent également d’apporter des accès aux soins dans les territoires sous-denses. Ainsi, en examinant les modèles économiques sur lesquels nous apportons un renfort des professionnels de santé du territoire, nous constatons que les usages sur ces téléconsultations non programmées et prises en charge par ces plateformes permettent de réduire la fracture sociale et celle de l’accès aux soins puisque 30 % des téléconsultations prises en charge soit par des complémentaires santé soit par des entreprises ont permis de renforcer l’accès aux soins dans les territoires.

Pour accompagner cet accès aux soins, avec les pouvoirs publics, nous contribuons aux actions relevant de l’évangélisation sur le recours au numérique et sur d’autres travaux menés conjointement.

De plus, la téléconsultation n’est pas uniquement constituée par un patient et son médecin reliés par un écran. Il peut également s’agir de modèles de téléconsultations assistées et de nombreux cas sont en cours de développement sur les territoires, en fonction de l’offre territoriale. Il peut s’agir de l’assistance d’une infirmière à domicile ou d’un patient en officine. Cela permet donc aussi à faciliter l’accès au soin dans les territoires.

Les entreprises du LET ont énormément d’interventions, de projets et d’interactions avec les CPTS, avec les communautés de médecins sur les territoires, et elles contribuent à l’ensemble de ces schémas. Les difficultés qu’elles rencontrent sont que dans ces territoires, parfois les relations se passent bien mais parfois les ARS imposent leur schéma. Cela a d’ailleurs aussi été évoqué par l’un des députés. Cette situation explique notre difficulté à interagir en raison de ces ARS qui ne jouent pas toujours le jeu de la collaboration en dépit de l’intérêt des populations, mais aussi du fait que la télémédecine constitue une intruse en dehors du parcours de soins, ne jouit pas d’une existence réglementaire parfaitement définie et que le cadre réglementaire évolue sans cesse, et qu’il est donc extrêmement compliqué de s’intégrer dans un modèle économique.

Au sein du LET, nous savons parfaitement que l’inégalité d’accès aux soins ne fera qu’empirer, les tendances de la démographie médicale étant particulièrement négatives sur les dix prochaines années.

D’autres questions ont concerné les freins et la nécessité de rassurer. A cet égard, je souhaite saluer la DNS et tous les travaux menés de manière collaborative, sur lesquels entreprises de télémédecine ont investi, sans avoir pour l’heure de retour sur investissement, pour garantir cette interopérabilité. Je laisserai à la DNS le soin de préciser l’horizon auquel cette interopérabilité sera fonctionnelle, mais sachez que tous les opérateurs de télémédecine s’attellent à la réalisation de leur feuille de route, de leur roadmap produit pour favoriser ces interactions entre la prise de rendez-vous, le dossier patient et la communauté médicale.

M. Emmanuel Gomez, directeur délégué à la gestion et à l’organisation des soins de la CNAM. Sur le sujet des déserts médicaux et de l’accès aux soins, pour les pharmaciens et les infirmiers, nous avons acté la possibilité d’assurer une assistance à la téléconsultation. Le patient pourra ainsi se rendre dans une officine ou solliciter son infirmier lorsqu’il se rend à son domicile et se faire assister dans l’usage des outils numériques. Cette démarche contribue ainsi à réduire la fracture numérique et peut parfaitement découler sur des consultations à distance auprès d’un médecin. Cette possibilité est désormais ouverte et est prise en charge par l’assurance maladie.

Les actes de prévention en téléconsultation sont possibles par un médecin et ils font actuellement l’objet de discussions avec les professions de santé et la HAS.

Mme Annika Dinis, directrice de la direction opérationnelle du numérique et de l’innovation de la CNAM. Deux questions ont porté sur le DMP.

Concernant son déploiement, nous sommes en passe d’atteindre 10 millions de DMP créés. Néanmoins, dans le cadre de la feuille de route du numérique en santé, l’espace numérique de santé deviendra l’outil citoyen qui comprendra notamment l’accès au DMP. D’autres services supplémentaires y seront proposés comme l’agenda, la messagerie sécurisée avec les professionnels de santé et le catalogue de services permettant la connexion avec des services offerts par l’écosystème. Les moyens qui permettront au DMP de progresser sont prévus par la feuille de route, notamment au sein de l’espace numérique de santé. Cela comporte la création de l’espace numérique de santé qui embarque avec elle la création du DMP pour la totalité de la population, sauf opposition des personnes. Aussi, dans le cadre des travaux que nous menons actuellement sur l’espace numérique de santé, nous préparons la sollicitation de tous les usagers afin qu’ils puissent opposer et que nous puissions créer leur espace numérique de santé.

Le carnet de vaccination dans le DMP existe déjà. Aussi, un patient qui dispose d’un DMP peut déjà saisir sa vaccination contre la covid ainsi que contre les autres maladies. La différence avec Vaccin Covid est que le périmètre et la finalité de ce dernier sont particulièrement liés à la traçabilité et au besoin d’utiliser les données. Or, ceci n’est pas possible aujourd’hui avec les données du DMP puisqu’elles ne sont pas accessibles en dehors des professionnels de santé et de l’usager lui-même.

Aussi, pour utiliser le DMP, y compris dans le cadre du covid, dans le courant de l’année 2021, nous avons prévu d’alimenter des DMP existants avec les vaccins figurant dans Vaccin Covid. Ensuite, en matière de flux, nous lierons les deux systèmes pour que le DMP puisse être le carnet de vaccination global.

Dr Dominique Martin, médecin-conseil national de la CNAM. En complément, je souhaite rappeler que l’épidémie a percuté le processus de développement du DMP qui aujourd’hui ne couvre pas la totalité de la population et ne propose pas les fonctionnalités nécessaires. Il était donc nécessaire de mettre rapidement en place un système d’information unique et national couvrant la totalité de la population et qui présente toutes les fonctionnalités rappelées plus tôt, et dont le DMP ne dispose pas. Ce système a donc été créé en quelques semaines, en raison de la crise, il permet de remplir parfaitement toutes les fonctionnalités utiles, il fonctionne parfaitement et il n’a pas connu de difficulté technique importante.

Évidemment, à terme, nous évoluerons vers un système vraisemblablement différent, avec un carnet de vaccination dans le DMP, dans le cadre du processus de la feuille de route. En attendant, il était indispensable de trouver une solution en urgence, qui soit solide, sécurisée et complète dans ses fonctionnalités.

Mme Giovanna Marsico, déléguée au Service public d’information en santé. Concernant la fracture numérique, il est important de préciser que les trois volets de fracture numérique – l’infrastructure, l’équipement des personnes et les compétences numériques – composent le cadre du socle éthique qui alimente tous les chantiers de la feuille de route.

Au sein du Conseil du numérique en santé, nous avons créé un groupe de travail permanent. Il associe tous les représentants des parties prenantes et nous avons commencé à travailler sur trois actions : le diagnostic des capacités numériques des individus ; l’élaboration de formations adaptées pour faire monter en compétences les capacités des personnes concernées, mais aussi des professionnels ; la création d’un outil cartographique permettant de diagnostiquer la couverture sur le territoire, superposée à l’offre de soin.

Ce dernier est un outil dynamique permettant d’une part d’identifier le taux de couverture numérique à partir des données de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, et d’autre part de les croiser avec l’indicateur d’accessibilité potentielle localisée pour déterminer pour chaque département le niveau de couverture du numérique et l’accès au soin. Ainsi, les communes se voient attribuer un score compris entre 1 et 10, 1 pour les plus démunies et 10 pour les mieux dotées. Ceci permet ainsi aux ARS et aux collectivités locales de pouvoir identifier les situations problématiques et d’œuvrer à la mise en place d’actions adéquates.

Concernant le sujet plus spécifique des actions covid, en complément de la prise de rendez-vous sur le site sante.fr en lien avec les partenaires privés, il existe un numéro vert national, des numéros régionaux, des listes d’attente, mais aussi des actions menées conjointement par l’ARS, les CPAM et les collectivités de type bus itinérant, comme dans l’Allier, afin que la vaccination vienne aux personnes qui ne sont pas en situation de mobilité.

Dr Dominique Martin, médecin-conseil national de la CNAM. Effectivement, en complément, nous avons mis en place des dispositifs permettant d’aller vers les populations précaires. Aussi, je souhaiterais vous présenter une politique mise en place au début de la semaine, notamment en Seine-Saint-Denis. Elle a pour cible les populations âgées précaires vis-à-vis desquelles une démarche proactive a été mise en œuvre par l’assurance maladie, en lien avec l’ARS, mais aussi par les collectivités territoriales, le département comme les communes. Ainsi, à partie des données dont chacun dispose, la démarche a consisté à appeler les individus afin d’identifier ceux éligibles à la vaccination et de leur permettre cet accès en leur proposant la vaccination.

Cette démarche a commencé en début de semaine. L’un d’entre vous a évoqué le fait que des populations de départements limitrophes pour s’inscrire à la vaccination en Seine‑Saint‑Denis. La population de ce département constitue une cible prioritaire pour nous et l’idée est d’étendre cette démarche à d’autres départements, notamment en Île-de-France. Il s’agit donc d’une réponse apportée à l’un des points d’attention que vous avez soulevés. J’insiste sur le fait qu’il s’agit d’une réponse coordonnée de l’État, à travers l’ARS, de l’assurance maladie, à travers la CPAM, et des collectivités territoriales, notamment le département et les communes.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Vous affirmez que le carnet de vaccination existe dans le DMP, mais il n’est pas opérationnel. Actuellement, dans trois régions, il existe le site mesvaccins.net, qui pourrait être développé et généralisé rapidement. Aussi, pourquoi ne pas utiliser cet outil pour alimenter directement le DMP ? C’est faisable, l’outil est fonctionnel et il pourrait être intégré à tous les DMP et ainsi, nous pourrions faire en sorte que dès maintenant, tout individu alimente le carnet de vaccination électronique de son DMP grâce à ce système.

M. Bernard Perrut. Personnellement, je souhaiterais revenir sur le sujet de la cybersécurité, car l’actualité de ces derniers jours est source d’inquiétudes.

Depuis lundi, j’ai suivi les attaques qui ont visé trois établissements du centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône. Nous avons perdu l’accès à toutes les données, ce qui a occasionné l’annulation de toutes les opérations, l’arrêt du fonctionnement des urgences et des déprogrammations. Ce matin encore, la directrice devait travailler sur son ordinateur personnel, sans aucun accès aux données. Les médecins et le personnel sont condamnés à utiliser le papier et les crayons, comme vingt ans plus tôt.

La menace est forte et des rançons sont demandées. Ce risque inquiète fortement tant les patients que les médecins. Aussi, pouvez-vous nous donner un certain nombre de garanties sur la protection des données que nous serons de plus en plus amenées à collecter dans l’intérêt de notre santé ? Il s’agit d’une réelle préoccupation de nos concitoyens.

Dr Dominique Martin, médecin-conseil national de la CNAM. Comme nous l’avons déjà évoqué, nous avons créé un dispositif particulier pour faire face à l’urgence de la situation sanitaire. Nous sommes parfaitement d’accord qu’à terme, notre cible doit être un carnet de vaccination dans le DMP. Je le répète, le processus en cours a été percuté par la crise, et en urgence, il a donc fallu trouver une solution unique. Effectivement, des outils existent, mesvaccins.net en fait partie. Le DMP ne couvre pas la totalité de la population et ne dispose pas de toutes les fonctions. Nous devions donc créer un outil offrant toutes les fonctionnalités évoquées précédemment et permettant une couverture complète et identique à l’ensemble de la population. Ainsi, un élément important de la traçabilité est de pouvoir retrouver les caractéristiques de votre première injection dans le système d’information, où qu’elle ait eu lieu en France et où que vous soyez pour la seconde. C’est la preuve d’une traçabilité complète et pérenne pour toute la population et d’un système d’information général et universel.

Un tel système d’information était réellement indispensable pour piloter la campagne de vaccination, à travers par exemple les informations quotidiennement fournies servant notamment à allouer les doses dans les centres. Néanmoins, à terme, vous avez parfaitement monsieur le député, il sera nécessaire d’évoluer vers un système plus intégré et c’est bel et bien l’objectif fixé dans la feuille de route.

M. Dominique Pon, responsable stratégique à la transformation numérique de la santé. Avec Laura Létourneau, je pilote la DNS. Nous avons en effet porté la feuille de route, avec l’ensemble des acteurs qui vous répondent aujourd’hui. Aussi, plusieurs éléments essentiels me semblent devoir être précisés.

Je suis également directeur d’une clinique et ingénieur informatique. Depuis vingt ans, je suis donc plongé dans la réalité du numérique en santé. Or, dans cet univers, notre défaut collectif, est d’osciller entre fantasme et frustration. Cette névrose, qui apparaît lors des crises, est en fait causée par le fait qu’entre les phases de crise, nous sommes très peu ordonnés et disciplinés pour avancer humblement de manière collective. Le syndrome à la française est de manquer de lucidité, de dimension collective et d’humilité.

Pour la première fois, nous disposons d’une feuille de route présentant une vision ultra‑pragmatique progressant à une vitesse folle. Elle embarque les pouvoirs publics territoriaux et nationaux, elle avance à marche forcée. Aussi, ayons l’humilité et la lucidité de comprendre que cette feuille de route doit être déroulée étape par étape et collectivement, sans être dispersés.

Les principes généraux de cette feuille de route s’appuient sur un constat : celui qu’il n’y aura pas d’hommes ou de femmes providentiels, ni même un logiciel, capables de résoudre toutes les difficultés d’interopérabilité, de cybersécurité, de sécurité, de partage des données ou encore de carnet de vaccination. Cette panacée n’existe pas et la seule solution est d’avancer collectivement et de manière disciplinée, selon des règles posées par l’État.

Laura Létourneau vous a présenté ces règles et cette vision. Elles consistent à considérer que si nous voulons progresser sur le sujet de manière collective, alors que ce n’est absolument pas notre point fort, nous devons d’abord fixer un cadre de valeurs. Celui qui est proposé est parfaitement assumé. Il a longtemps été considéré comme romantique, mais de notre point de vue, il est simplement lucide et pragmatique. Nous voulons du numérique en santé qui soit souverain, éthique – sur la fracture numérique, sur les données de santé et sur la sécurité notamment – et citoyen. Ce numérique doit donc embarquer le citoyen et c’est la raison pour laquelle l’assurance maladie a mentionné le grand projet emblématique qui arrive – et c’est inédit en France, tous secteurs d’activités confondus – début janvier, pour l’ensemble des citoyens français dans une vraie plateforme à la main du citoyen.

L’autre élément qui a été posé est d’affirmer que désormais et sur plusieurs années, la vision que nous poursuivons est celle d’État plateforme, qui pourrait être représenté par la métaphore de la gouvernance d’une ville. Dans une ville, les pouvoirs publics élaborent les règles d’urbanisme, délivrent les permis de construire, mais ils supervisent également la construction des communs, les routes, les ponts, le tout-à-l’égout ou encore le réseau d’électricité. Ensuite, ils laissent l’écosystème – les start-up, les promoteurs et les individus – construire les infrastructures et bâtiments, conformément aux permis de construire et au code d’urbanisme. Ces acteurs ont donc l’obligation de s’appuyer sur des services socles proposés et imposés par les pouvoirs publics. Aussi, toute la feuille de route du numérique en santé est fondée sur cette logique. Pour la première fois depuis vingt ans, cette feuille de route anime la totalité de l’écosystème : tous les industriels ont signé la charte d’engagement, et les hôpitaux et professionnels de santé s’apprêtent à le faire. Tous s’entendent sur le fait qu’il revient à l’État de gérer les routes et ponts numériques, de donner les règles d’urbanisme et de délivrer les permis de construire. Cette vision est en train de s’installer et montre son efficacité. Nous sommes actuellement en train de la cranter et de l’implémenter progressivement chez tous les industriels. Cette logique constitue l’étape préalable à tout le reste de la démarche.

Vous avez évoqué l’interopérabilité. En tant qu’ingénieur informatique, je vous affirme qu’échanger des données de santé en parlant le même langage et de manière sécurisée est un sujet complexe. Or, pour y parvenir, il est déjà nécessaire que les fondations aient été posées, que nous ayons parlé du même identifiant national de santé, du même professionnel de santé dans un même répertoire et que nous disposions d’un serveur multiterminologique – que nous avons enfin – portant la référence des terminologies de santé désormais imposée aux industriels.

Pour élaborer cette vision, nous avons été suivis et soutenus par le Gouvernement, avec le Ségur du numérique. Nous avons ainsi disposé de 2 milliards d’euros pour accélérer cette mise en place et que nous puissions disposer de ces éléments sous dix‑huit à vingt‑quatre mois. Nous commençons ainsi à être en mesure de récolter les fruits de ce travail. Cela implique l’affectation de 600 millions d’euros au médico‑social et le soutien de France Relance pour stimuler l’innovation dans le cadre d’un marché autour de la santé et du numérique. Néanmoins, il est essentiel que nous continuions à travailler collectivement. Nous devons imposer cette feuille de route du numérique en santé dans le temps.

Évidemment, le sujet d’interopérabilité est source de frustration, mais pour l’instant, il est trop tôt pour s’y atteler, et nous devons d’abord construire les fondations. Aujourd’hui, il semble que nous soyons tous d’accord pour respecter les étapes et nous devons donc continuer dans cette logique.

Concernant la cybersécurité, je suis actuellement dans un établissement de santé qui me semble être plutôt en avance en la matière. J’ai ainsi payé des hackers pour mettre à l’épreuve le système d’information de mon hôpital et connaître le délai pendant lequel il pouvait résister à des attaques avant que les pirates ne puissent accéder aux dossiers patients. Le système informatique n’a pas résisté quarante‑huit heures. Cela signifie donc qu’aujourd’hui, la totalité des hôpitaux français est vulnérable face à des hackers déterminés. Sur ce sujet également, il n’existe pas de solution miracle. Pour se protéger de telles attaques, il faudra que les services socles de la maison soient imposés à tous les industriels. Tous les hôpitaux devront humblement réaliser le travail de terrain d’implémenter tous les services socles. En outre, il faudra également procéder à une véritable acculturation des professionnels de santé. Je vais être honnête avec vous, ma préoccupation principale n’est pas vraiment que l’on perde les données de santé, mais plutôt qu’un patient décède faute d’avoir pu y accéder et ainsi, d’avoir pu assurer la continuité des soins. Cela implique que nous devions mener des exercices de type pandémie ou plan blanc avec des exercices de simulation dans tous les hôpitaux français. Nous devons apprendre et nous préparer à assurer la continuité des soins si le réseau informatique n’est pas opérationnel.

Le sujet de la cybersécurité a été intégré à la feuille de route dès son élaboration. Il est en effet considéré comme l’un des axes clefs à travailler et regroupe de nombreuses actions : un système de veille référençant tous les incidents de sécurité ; un accompagnement spécialisé et personnalisé pour aider les établissements de santé à mettre en place la protection de leur système d’information sur le web.

Ce dernier point constitue le point important de fragilité des hôpitaux français. Aussi, l’avec l’ANS, un dispositif d’accompagnement est proposé.

Nous investissons des moyens sur le sujet en demandant aux établissements de santé d’implémenter des services socles portés par l’État, mais aussi en affectant des ressources financières dans la compétence et la formation. Toutefois, comme sur les autres sujets, nous ne devons pas retomber dans le syndrome français consistant à naviguer entre fantasme de croire que le problème sera résolu rapidement simplement en en parlant et la frustration de constater que nous n’y parvenons pas. Soyons humbles, mais déterminés et avançons aussi collectivement sur ce sujet. Pour une fois que nous disposons en France d’une feuille de route plébiscitée, respectons-la et suivons-la.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je vous remercie pour cette intervention fort passionnante et passionnée. Nous avons bien compris que nous devons désormais faire preuve d’humilité – vous avez raison – et d’un esprit collectif et collégial. Je suis certaine que les députés partagent votre point de vue, tant la pente est raide et qu’il reste encore beaucoup à faire.

Je vous remercie sincèrement pour vos différentes interventions et réponses riches d’enseignements. Je ne doute pas qu’elles nous auront éclairés.

 

 

 

 

La séance est levée à douze heures vingt.

 


Information relative à la commission

 

La commission a désigné Mme Annie Vidal, rapporteure sur la proposition de loi visant à sécuriser les droits à protection sociale des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs (n° 3807).