Compte rendu

Commission
des affaires sociales

 Auditions, en visioconférence, sur l’allocation des travailleurs indépendants dans le contexte de la crise de la covid-19 (M. Dominique Da Silva, rapporteur) :

 

 


Mercredi
3 mars 2021

Séance de 15 heures
et 17 heures

Compte rendu n° 54

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
Mme Fadila Khattabi,
Présidente,
puis de
Mme Carole Grandjean
 


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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 3 mars 2021

La séance est ouverte à quinze heures.

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La commission procède à des auditions, en visioconférence, sur l’allocation des travailleurs indépendants dans le contexte de la crise de la covid-19 (M. Dominique Da Silva, rapporteur).

Elle entend dans un premier temps :

– Pôle emploi : Mme Misoo Yoon, directrice générale adjointe en charge de l’offre de services, Mme Élisabeth Gueguen, directrice de la réglementation et de l’indemnisation, et Mme Lucie Lourdelle, chargée de mission ;

– l’Unédic : M. Rémy Mazzocchi, directeur général adjoint, Mme Céline Jaeggy, directrice des affaires juridiques et institutionnelles, et Mme Lara Muller, directrice des études et analyses.

Mme la présidente Fadila Khattabi. La commission des affaires sociales poursuit ses travaux de suivi de la crise sanitaire, dans toutes ses dimensions, ce qui recouvre tout ce qui a trait à la surveillance de l’épidémie, à la vaccination ou, comme nous le verrons demain, à la santé psychique de la population, mais comprend aussi le champ social et de l’emploi. Nous avons ainsi auditionné Mme Élisabeth Borne, ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, et Mme Marine Jeantet, déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté. Nous organiserons également bientôt des auditions sur le télétravail, un sujet qui a pris de l’ampleur avec la crise sanitaire.

Dès décembre, la commission a souhaité se saisir de la question de l’allocation aux travailleurs indépendants (ATI) dans le contexte de la crise sanitaire et a décidé de procéder à des auditions, dont la préparation a été confiée à un rapporteur, M. Dominique Da Silva.

Les auditions se dérouleront en deux temps. Cet après-midi, nous nous concentrerons sur les difficultés de mise en œuvre de cette allocation. Le mercredi 17 mars, nous entendrons des représentants des travailleurs indépendants. Nous conclurons nos travaux avec l’audition du ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises, M. Alain Griset.

M. Dominique Da Silva, rapporteur. Je tiens à remercier la présidente de la commission et mon groupe de m’avoir permis d’organiser et de lancer ce cycle d’auditions sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur, l’allocation des travailleurs indépendants et, au-delà de l’ATI, d’amorcer ensemble une réflexion plus globale sur le bon niveau de protection du risque chômage des indépendants.

Les travailleurs indépendants sont environ 3,2 millions de personnes exerçant une activité non salariée en France, soit un tiers de plus qu’en 2008. Cette croissance est dopée par le succès du statut de micro-entrepreneur, créé en 2009 sous le terme d’auto-entrepreneur. Il concerne désormais un travailleur français sur dix.

Le travail indépendant est marqué par de fortes disparités de revenu, mais aussi de risque face au chômage, et il recouvre une multitude de situations. Si le revenu moyen pour un salarié classique est de 3 500 euros par mois, il chute à 470 euros pour un micro‑entrepreneur. Seuls 29 % des travailleurs indépendants sont pluriactifs. Une très large majorité d’entre eux ne possède donc qu’une seule activité.

La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel du 5 septembre 2018 a créé l’ATI, avec l’ambition portée par le candidat Emmanuel Macron, avant d’être président de la République, de sécuriser davantage les travailleurs indépendants amenés à cesser leur activité. Depuis le 1er novembre 2019, les non-salariés peuvent bénéficier de l’ATI, pour un montant forfaitaire de 800 euros par mois, pendant six mois, avec, entre autres conditions, de ne pas percevoir de ressources personnelles supérieures au RSA. Il ne s’agit donc pas d’une aubaine pour des chefs d’entreprise mal intentionnés.

L’ATI est d’autant plus nécessaire que de nombreux indépendants exercent dans des secteurs qui ont été durement impactés par la crise que nous traversons, notamment le commerce, en dehors de l’alimentaire, le transport de personnes ou encore les arts et les spectacles. Ce sont donc de nombreux entrepreneurs qui peuvent, demain ou dans les prochains mois, se retrouver sans activité ni ressources.

Après plus d’un an de mise en œuvre, le bilan de l’ATI est étonnamment maigre. Fin 2020, seulement 800 demandes avaient abouti à une indemnisation, alors que près de 30 000 allocataires étaient attendus selon l’étude d’impact annexée au projet de loi. Notre travail de parlementaire consiste à comprendre comment un tel décalage a pu se produire et quelles sont les raisons des difficultés de mise en œuvre de cette allocation.

Nous aimerions avoir le point de vue de vos institutions respectives. Nous vous avons adressé un questionnaire qui résume nos interrogations à propos de l’ATI sur trois périodes avec, d’abord, un retour sur la phase amont de sa mise en œuvre, le bilan actuel, réactualisé avec vos derniers chiffres, et enfin, les perspectives d’amélioration et de réflexion sur le dispositif. Votre éclairage va nourrir notre réflexion sur la protection des indépendants face au chômage et pourrait nous amener vers d’autres travaux parlementaires.

Mme Misoo Yoon, directrice générale adjointe en charge de l’offre de services de Pôle emploi. En tant qu’opérateur, Pôle emploi s’est vu confier la mise en œuvre opérationnelle de l’allocation des travailleurs indépendants. Au sein de Pôle emploi, un établissement, Pôle emploi services, centralise l’instruction et le traitement des demandes, pour en faciliter au maximum le traitement administratif.

Très opérationnellement, nous avons, me semble-t-il, mis en œuvre tout ce qui était possible pour faciliter l’identification et le recours des bénéficiaires potentiels. Ils n’ont notamment pas de démarche à accomplir lorsqu’ils s’inscrivent à Pôle emploi parce que nous faisons en sorte de les détecter dans le cadre du questionnaire d’inscription en ligne. Nous leur envoyons la demande d’allocation lorsque nous faisons l’examen de leurs droits, le cas échéant. Nous opérons ainsi une détection à l’inscription. Lorsque les demandeurs d’emploi sont déjà inscrits, en cours d’accompagnement à Pôle emploi, et ne se trouvent donc pas en situation de remplir le questionnaire d’inscription, ils peuvent effectuer une demande d’allocation auprès de Pôle emploi dans les douze mois qui suivent la cessation de leur activité.

Quand nous détectons quelqu’un qui s’inscrit, nous examinons d’abord si cette personne est potentiellement éligible à l’Allocation de Retour à l’Emploi (ARE) et si celle-ci peut être supérieure en montant et en durée. Nous n’envoyons pas de questionnaire lorsque la personne peut bénéficier de l’ARE, qui est plus avantageuse. De la même manière, lorsque nous recevons une demande d’une personne déjà inscrite à Pôle emploi, nous examinons si elle peut bénéficier de l’ARE avant de lui répondre. Une fois cette vérification réalisée, un questionnaire est adressé. Il a été retravaillé afin de gommer les incompréhensions. En effet, nous avons constaté que dans certaines situations, des questions pouvaient être peu compréhensibles. Cette révision nous a d’ailleurs aussi permis de diminuer les demandes de pièces complémentaires.

Nous essayons donc d’épargner au maximum aux demandeurs d’emploi les démarches à réaliser. Nous avons également communiqué sur www.pole-emploi.fr, sur un site dédié, intitulé chomage-independant.fr, pour disposer de toutes les informations sur l’allocation et vérifier que l’on remplit les conditions d’accès. Pourtant, à date, comme vous l’indiquiez, 911 personnes ont bénéficié d’une ouverture de droits acquis, en tenant compte des deux premiers mois de 2021. Nous n’avons pas beaucoup progressé en 2021. La majorité des 1 285 dossiers que nous avons reçus ont fait l’objet d’un rejet. Pour 38 % d’entre eux, lorsque nous avons examiné les droits à l’assurance chômage, celle-ci s’avérait plus avantageuse ; nous avons donc ouvert ces droits et non ceux à l’ATI. Pour le reste des situations, on observe que, dans 74 % des cas, la condition du revenu annuel minimal d’activité, qui doit être au moins égal à 10 000 euros, n’était pas respectée ; le revenu des demandeurs est inférieur.

Je pense donc pouvoir dire que le décalage entre les projections de l’étude d’impact, qui prévoyait 30 000 bénéficiaires, ne relève pas d’un problème de mise en œuvre de l’allocation, mais d’une problématique de calibrage de cette allocation, qui peut exclure de potentiels bénéficiaires.

M. Rémy Mazzocchi, directeur général adjoint de l’Unédic. Je vous prie d’excuser l’absence de notre directeur général. Je représente aujourd’hui l’Unédic, accompagné de Mme Céline Jaeggy, directrice des affaires juridiques et institutionnelles, ainsi que de Mme Lara Muller, directrice des études et des analyses.

S’agissant des trois parties du questionnaire qui nous a été adressé, portant sur la genèse de cette allocation, le bilan à date et les perspectives d’évolution au regard de la faible mobilisation du dispositif, je souhaitais commencer par rappeler les deux rôles de l’Unédic. Le premier consiste à accompagner les négociations sur l’évolution réglementaire dans le champ de l’assurance chômage. Cette mission est normalement tenue par les partenaires sociaux, mais depuis 2019, elle est fixée par le Gouvernement. Nous assumons aussi le rôle de gestionnaire de l’indemnisation et de l’allocation des travailleurs indépendants, à savoir s’assurer que les règles sont mises en œuvre correctement, sans difficulté opérationnelle, juridique ou financière à la mise en place des différents dispositifs.

En ce qui concerne la genèse de l’ATI, cette allocation est définie par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Elle est réglementée par décret, et non par l’assurance chômage. Le détail de son montant et de sa durée ne relève donc pas du régime d’assurance chômage, que celui-ci soit piloté par les partenaires sociaux ou par l’État, comme c’est le cas aujourd’hui. L’Unédic n’est donc pas légitime pour prendre des décisions dans le champ de cette allocation.

Le régime d’assurance chômage a par contre deux missions bien spécifiques, qui sont définies dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel : la coordination entre l’Allocation de Retour à l’Emploi et cette allocation, d’une part, la fixation des règles de cumul d’une activité et d’un revenu salarial ou non salarial avec cette allocation, d’autre part.

Ainsi, cette allocation, même si elle entre dans le champ de l’assurance chômage, n’y est pas tout à fait. Elle possède un statut quelque peu hybride qui n’en fait pas une allocation relevant d’un régime assurantiel ni une allocation totalement de solidarité, puisqu’elle est conditionnée par un ensemble de critères, notamment des critères d’éligibilité et de niveau de revenu qui s’apparentent à ceux du régime assurantiel. Même si la lettre de cadrage montre une volonté présidentielle d’universaliser le droit à l’assurance chômage, on constate qu’aujourd’hui, cette allocation n’est pas de nature assurantielle.

De plus, une mission a été menée par l’Inspection générale des finances (IGF) et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Ces deux inspections ont beaucoup contribué à configurer le besoin des travailleurs indépendants, en 2017 et 2018. Même l’analyse d’impact qui était jointe au dossier définissant ce dispositif résulte en grande partie des conclusions de leur rapport.

Ce dernier notait que les besoins des travailleurs indépendants sont complexes, car ils relèvent d’une hétérogénéité de statuts et de typologies de travailleurs qui sont plus ou moins indépendants. Cette classification va du dentiste indépendant au micro-entrepreneur, en passant par les travailleurs des plateformes, dont nous pouvons imaginer qu’ils sont indépendants, mais financièrement dépendants d’un ou plusieurs donneurs d’ordres. Ainsi, la situation et les besoins de ces populations ne sont pas fortement homogènes.

Il existe également une forte inégalité de revenus. Or, si nous en faisons une allocation qui relève d’un régime assurantiel, cela implique à la fois une logique contributive et une logique de revenu de remplacement, c’est-à-dire que le revenu couvert par le régime assurantiel doit être proportionnel au revenu précédemment perdu. L’allocation mise en place ne reprend pas du tout ces principes puisqu’elle est de 800 euros, quels qu’aient été les revenus des travailleurs indépendants, avec une condition restrictive à l’entrée puisqu’il faut présenter un chiffre d’affaires annuel supérieur à 10 000 euros pour en bénéficier.

Un dispositif a été mis en place, presque de manière expérimentale, pour reprendre les conclusions du rapport des inspections. Il était très prudent, car les besoins n’étaient pas clairement exprimés pour l’ensemble de la population concernée et que nous, au sein de l’Unédic, avions très peu de recul. Il s’agit d’une population que nous ne connaissons pas, car nous gérons le régime assurantiel des travailleurs salariés. Une logique de prudence a guidé l’instauration de critères à l’entrée.

Si j’en viens au bilan du dispositif final, celui-ci n’est pas une assurance. Il ne dispose pas de financement dédié. Même s’il est financé par le régime d’assurance chômage, il n’existe pas de système contributif spécifiquement ciblé sur ces travailleurs indépendants. Cette allocation repose sur l’impôt puisqu’en 2019, une partie du financement du régime d’assurance chômage a basculé sur un mode de financement par la contribution sociale généralisée (CSG) portant sur les revenus d’activité. Le régime est financé par le régime d’assurance chômage, donc sur la base du versement des revenus salariés et des revenus d’activité, mais il possède certaines caractéristiques de l’assurance, notamment sur les critères. Il faut répondre à un certain nombre de critères qui ont déjà été évoqués : avoir une ancienneté minimale dans l’activité, un revenu minimal annuel de 10 000 euros et bénéficier de ressources personnelles inférieures à l’équivalent du RSA. À ce titre, il s’agit donc davantage d’une allocation que d’un revenu de remplacement. Enfin, il existe une notion de chômage involontaire, qui résulte elle aussi du régime assurantiel. Elle est fixée par le fait de faire face à un redressement ou une liquidation judiciaire de son entreprise.

Dans l’analyse d’impact qui avait été produite, le dispositif devait concerner 30 000 indépendants, pour un impact sur les dépenses estimé à 140 millions d’euros. Aujourd’hui, nous disposons des mêmes chiffres que Pôle emploi, à savoir 900 bénéficiaires en 2020, pour environ 3 millions d’euros de dépenses.

Comment l’expliquer ? Je rejoins parfaitement les constats de Pôle emploi, nous n’avons pas identifié de freins ou de difficultés opérationnels à l’entrée du dispositif. Les critères sont relativement contraignants et impactés par la crise. Pour prendre un exemple, du fait des mesures de soutien et des délais administratifs, le nombre de liquidations judiciaires a baissé de 34 % entre 2019 et 2020. La crise a un effet retardant. Les prévisions financières de l’assurance chômage expliquent qu’en 2020, une grande partie du déficit du régime est liée aux mesures de soutien, mais en 2021 et 2022, nous devrions constater des effets en termes de destruction d’emplois ou de défaillances d’entreprises beaucoup plus marqués qu’aujourd’hui au regard de l’ensemble des mesures de soutien déployées, au premier rang desquelles figure l’activité partielle. Il existe donc des critères très contraignants à l’entrée, amplifiés par l’effet de la crise.

Je voulais aussi insister sur des dispositifs ou des aides qui viennent en complément de cette allocation, qui couvrent d’autres risques des travailleurs indépendants. Nous pouvons nous interroger sur le filet de sécurité à apporter à des travailleurs indépendants. Il me semble que le moment du cycle de vie d’une entreprise joue beaucoup sur ce point. À la création de l’entreprise, les risques sont maximaux pour l’entrepreneur, puisque l’entreprise se lance, qu’il fait face à son développement et qu’il a aussi besoin de sécuriser l’entrée en activité. Un dispositif de l’assurance chômage permet aux salariés en transition professionnelle de continuer à bénéficier d’une protection contre le chômage quand ils souhaitent créer ou reprendre une entreprise. En 2019, 90 000 allocataires ont touché l’Allocation de Retour à l’Emploi pendant qu’ils percevaient ou non un revenu d’activité non salariée entrepreneuriale. Ce chiffre a énormément augmenté ces derniers temps ; le nombre d’allocations est en hausse croissante depuis 2015.

Pour le régime d’assurance chômage, ces dépenses représentent 1,45 milliard d’euros au bénéfice des entrepreneurs, qui se sécurisent par une forme de capital ou de revenu qu’ils ne peuvent se verser pendant qu’ils créent leur entreprise, sur la base de l’allocation chômage qu’ils ont perçue. Ces dépenses ont doublé par rapport à 2015. Elles représentaient alors 720 millions d’euros, consacrés à l’utilisation de l’allocation chômage à des fins de création ou de développement de son entreprise.

Un autre exemple est peut-être méconnu, mais je souhaite insister dessus : quand on démissionne pour créer une entreprise, si celle-ci cesse son activité dans les trois ans, on peut revenir à ses droits anciens et demander le versement de ses allocations chômage. Je vous en parle pour deux raisons. La première est qu’en 2020, cette situation concerne plus de 350 personnes, ce qui est faible, mais correspond à un tiers des 900 bénéficiaires de l’ATI. La seconde raison est que, lorsque nous avons analysé les chiffres, nous avons constaté que la proportion de ces allocataires avait tendance à augmenter lors des crises. En 2009 et 2020, ce filet de sécurité apporté par l’assurance chômage est bien mobilisé. Cela peut expliquer que les bénéficiaires se tournent vers ces dispositifs avant de demander l’ATI, car les conditions d’indemnisation sont un peu plus favorables. Pour rappel, l’assurance chômage correspond à environ 900 euros, mais sur une durée moyenne de dix mois, rapportés aux 800 euros pendant six mois de l’ATI. La moyenne de la couverture assurantielle des régimes des salariés est légèrement plus favorable que cette allocation pour les travailleurs indépendants.

Enfin sur les perspectives d’amélioration, l’Unédic n’est pas politique et travaille pour les gouvernances ; nous n’avons pas à porter des propositions d’évolution réglementaires. Néanmoins, la question que nous semble poser la situation des travailleurs indépendants à ce stade des réflexions est celle de la finalité, du besoin que l’on souhaite couvrir.

Il me semble que nous sommes à la frontière entre deux besoins relativement différents. Souhaite-t-on étendre le régime assurantiel aux travailleurs indépendants, c’est‑à‑dire conserver un système de revenu de remplacement, dans une logique contributive, en cherchant à conserver une logique proportionnelle au revenu perdu ? Ou sommes-nous davantage dans un encouragement à la transition professionnelle à l’entrepreneuriat, au rebond ? Doit-on prévoir une allocation qui aide au rebond des travailleurs indépendants, notamment au regard de leurs différentes spécificités, au niveau sectoriel, des statuts ou des territoires ? On voit que la crise va marquer de manière différenciée les populations de travailleurs indépendants. Faut-il penser une protection qui aide à rebondir et qui favorise les transitions professionnelles ? L’allocation telle qu’elle est définie, telle qu’elle existe dans la loi, et les critères d’octroi ne nous semblent pas répondre de manière claire à cette question. Nous souhaitions la soumettre à la réflexion de cette commission.

M. le rapporteur. Je pense pour ma part que cette allocation avait un sens pour permettre à l’indépendant de rebondir. Nous ne sommes pas dans une indemnisation par rapport à un revenu passé. Il s’agit bien d’une allocation qui permet à la personne de retrouver un emploi, une formation, du temps pour rebondir. Il me semble qu’il s’agit du sens de l’ATI.

Je pense que nous sommes allés trop loin sur les critères, par méconnaissance de ce que sont la plupart des indépendants. Le revenu moyen d’un auto-entrepreneur est de 470 euros par mois. Vous imaginez que leur demander 10 000 euros par an de revenus est compliqué. Il est évident que beaucoup d’entre eux ne sont pas concernés.

Par ailleurs, cinq conditions cumulatives sont requises, ce qui est beaucoup. On demande deux années d’exercice pour une même activité, alors qu’en l’espace de deux ans, beaucoup d’indépendants ont une multitude d’activités différentes. Certaines personnes n’ont plus d’activité, mais qui ne sont pas encore en dépôt de bilan, alors qu’il faut être en faillite pour bénéficier de l’ATI, sans compter d’autres règles de non-cumul.

Quels étaient les critères qui ont permis de réaliser cette étude d’impact ? Ce chiffre de 30 000 personnes n’a pas été établi au hasard, il y a forcément eu des critères. Le décret n’en a vraisemblablement pas tenu compte. Le domaine règlementaire ne relève pas des parlementaires, mais à mon sens, il y a vraiment une interrogation sur ces critères. J’aimerais que Pôle emploi précise de façon plus détaillée quels sont les critères de refus. J’ai retenu que les revenus représentaient 74 %, ce qui est considérable. On voit que le dispositif ne répond pas à la majorité des indépendants, qui ont de faibles revenus.

Pour nombre de ces bénéficiaires, les six mois d’allocation sont déjà largement passés. Que sont-ils devenus ? Quel est le bilan ? Ont-ils retrouvé un emploi ? Avez-vous des données qui pourraient nous éclairer, afin de savoir si cette allocation répond à sa vocation ?

Mme Catherine Fabre. La faible montée en puissance de ce dispositif pose de nombreuses questions. Est-ce que ce faible nombre de bénéficiaires de l’allocation peut s’expliquer pour partie par le fait que certains qui y auraient droit ne la demandent pas ? Cette allocation est-elle connue des entrepreneurs ? Comment cette information est-elle parvenue jusqu’à eux ? Je sais que de nombreuses associations accompagnent les entrepreneurs en faillite, qui ont souvent des difficultés annexes, par exemple liées à la dépression. Ces associations pourraient orienter les entrepreneurs vers Pôle emploi pour demander cette allocation. Y a-t-il un sujet de recours ?

Ma deuxième question porte sur la comparaison avec d’autres pays européens, notamment la Suède ou la Finlande, qui disposent d’allocations de ce type, mais qui sont beaucoup plus largement ouvertes. Pourrions-nous nous inspirer de ces systèmes pour ouvrir plus largement notre allocation et comment ?

Dans le même ordre d’idée, voilà quelques années, nous avons prévu un socle social européen, qui offre aux indépendants l’accès à un filet de sécurité, au même titre que les salariés. Ce qui constitue ce socle peut-il nous orienter vers une solution différente pour élargir l’accès à ces allocations pour les indépendants ?

Mme Isabelle Valentin. La crise de la Covid a mis en évidence le statut très fragile des travailleurs indépendants. Les commerçants, les artisans, les professions libérales sont bien moins protégés. Les travailleurs non salariés ne bénéficient pas toujours des mêmes aides gouvernementales que les autres acteurs économiques, puisque le dispositif d’activité partielle de longue durée mis en place pendant la crise n’est pas ouvert aux travailleurs non salariés. Quant à l’assurance chômage à laquelle ils peuvent prétendre depuis 2019, elle est soumise à plusieurs conditions. Elle est plafonnée à 800 euros et pendant une période de 6 mois.

Les impacts d’une faillite sur la vie personnelle des indépendants sont importants. La frontière entre vie personnelle et professionnelle est fine. La disparition d’une entreprise familiale conduit bien souvent à mettre en cause tout le patrimoine financier personnel. Cette règle est injuste puisqu’ils n’ont alors commis aucune faute de gestion ni d’erreur d’appréciation. Ils sont simplement victimes de décisions administratives justifiées par la crise sanitaire.

Estimez-vous utile de faire bénéficier les dirigeants d’entreprise dont l’activité est à l’arrêt d’une indemnité partielle pour couvrir la perte de rémunération ? J’aimerais aussi connaître votre avis sur la possibilité de suspendre la caution personnelle en cas de défaillance.

M. Philippe Vigier. Je voudrais aborder particulièrement la situation de celles et ceux qui travaillent dans le domaine de l’événementiel et de la culture, qui ont subi de plein fouet la Covid, comme d’autres, mais de façon encore plus marquée, avec pratiquement une année sans activité. Il s’agit souvent de petites entreprises, de micro-entreprises, d’entreprises comptant très peu de salariés, marquées par une immense fragilité puisque les marchés se sont tout de suite refermés et les perspectives sont assez sombres, car on n’annonce pas de réouverture importante avant l’automne prochain. J’aimerais connaître précisément votre vision des choses, où nous en sommes, ainsi que les conséquences. Il appartient au législateur de réfléchir et préparer la suite. Je constate d’ailleurs dans les questions de mes prédécesseurs que certains ne sont pas couverts, notamment les dirigeants de ces micros-entreprises et petites entreprises, et plus largement les travailleurs non salariés. J’aimerais que vous nous donniez quelques conseils pour l’avenir, parce que dans le cadre de la réforme, même si le paritarisme est le cœur de toute évolution du régime d’assurance chômage, la vision du Parlement me semble essentielle.

Mme Valérie Six. Les indépendants sont plus de 3 millions en France et maillent notre territoire. Ils sont le socle de notre tissu économique et ont besoin de toute notre reconnaissance dans ce contexte de crise sanitaire. Sur le terrain, nous constatons les lourdeurs administratives que les indépendants rencontrent, notamment dans l’accessibilité de l’allocation des travailleurs indépendants. Comment encore simplifier les démarches ? D’ailleurs, ces démarches administratives et l’ensemble des prestations auxquelles nos citoyens peuvent prétendre leur paraissent souvent opaques. Volontairement ou involontairement, ils n’y recourent pas.

Ainsi, pouvez-vous nous transmettre le nombre d’indépendants qui ne formulent pas de demande pour percevoir les aides auxquelles ils sont pourtant éligibles ? Selon les données que vous nous avez présentées, 30 000 bénéficiaires seraient susceptibles de toucher l’allocation, alors que 900 bénéficiaires l’ont reçue. Parmi eux, 300 bénéficiaires ont préféré l’allocation chômage, plus intéressante pour eux puisqu’ils étaient anciennement salariés.

Je remercie le rapporteur de prendre ce sujet en main, car il est nécessaire de travailler sur le non-recours, avec un grand nombre de bénéficiaires qui ne peuvent pas ou qui n’arrivent pas à obtenir l’allocation. Nous constatons aussi que cette allocation ne correspond certainement pas aux besoins de ces indépendants.

Enfin, en ce qui concerne l’activité, nous savons que la crise sanitaire va engendrer de nombreuses difficultés pour ces indépendants, avec les conséquences psychologiques résultant d’une activité qui ne sera pas pérenne. Pouvons-nous envisager d’accompagner ces personnes pour qu’elles bénéficient d’un suivi psychologique, comme d’autres catégories d’entrepreneurs, afin de surmonter ce traumatisme ?

M. Bernard Perrut. J’ai été attentif aux propos que vous avez tenus sur cette allocation pour les travailleurs indépendants, qui a été mise en œuvre le 1er novembre 2019 et sur laquelle nous avons un certain nombre d’interrogations, parce qu’elle est peu sollicitée, que les critères sont exigeants et qu’elle ne bénéficie donc pas à beaucoup de personnes. En fin d’année, seules 2 500 demandes d’ATI avaient été enregistrées par Pôle emploi et moins de 1 000 demandes avaient abouti à une indemnisation. On constate donc le mauvais fonctionnement de cette mesure.

Je voudrais revenir sur un discours d’Alain Griset, ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises, qui, fin 2020, déclarait vouloir tenter d’améliorer l’accès à l’allocation chômage des travailleurs indépendants et faire des propositions à Bruno Le Maire, au Premier ministre et au Président de la République, en s’exprimant en ces termes : « Pour l’instant, le critère générateur, c’est le dépôt de bilan. Est-ce qu’on peut en avoir un autre ? Je suis prêt à regarder cela, mais cela est difficile. » Il nous disait encore que « en dehors de la pandémie, dans une économie normale, à quel moment l’indépendant touche-t-il le chômage, qui choisit et sur quels critères ? Est-ce parce qu’il y a un secteur ou un territoire en difficulté ? Quel taux de cotisation chômage les entrepreneurs sont-ils prêts à payer ? » Reste à savoir quelles sont les réponses qui peuvent être apportées à ces différents sujets.

Devant la difficulté de bénéficier de ce dispositif, les indépendants souhaiteraient des évolutions. Cette allocation, jugée insuffisante pour répondre au contexte de la crise économique mériterait d’être revue. Ne faut-il pas revoir ce dispositif, au moins jusqu’au 30 juin 2022, comme le demandent certaines organisations ? Ne faut-il pas abaisser les conditions d’ancienneté de deux ans à un an d’exercice ? Ne faut-il pas porter le montant de l’indemnisation à 1 000 euros mensuels minimum, et ce sur une période de six mois ? Bien sûr, ces mesures exceptionnelles n’auraient pas forcément vocation à être pérennisées dans le temps, mais on voit bien que les conséquences de la crise économique brutale que nous connaissons sont tragiques. De nombreux dirigeants d’entreprise n’avaient pas anticipé une éventuelle liquidation. L’allocation, conçue en 2019, doit être repensée, à mon sens, en dispositif d’urgence, pour aider rapidement celles et ceux qui ont tout perdu pendant la crise. Nous devons être à leurs côtés.

M. Rémy Mazzocchi. Je n’ai pas de réponse sur ce qui a présidé au choix des critères qui sont définis aujourd’hui dans la loi, car l’Unédic n’a pas été associée à cette étude. Je ne saurais expliquer quelles ont été les méthodes de chiffrage ayant permis de dimensionner le dispositif pour anticiper 140 millions d’euros de dépenses et 30 000 bénéficiaires concernés. À titre d’exemple, nous avons utilisé cette analyse d’impact pour celle qui est introduite dans la trajectoire financière de l’assurance chômage, faute d’étude qui aurait été menée sur ce champ. Sur les critères, je ne sais donc pas vous répondre.

Néanmoins, je fais le lien avec l’une des dernières questions sur la manière de simplifier les démarches et de mesurer le non-recours aux droits actuels, et sur ce qu’il faudrait faire pour aider les entrepreneurs qui seront dans une situation de sortie de crise difficile, en raison de la suppression des mesures d’urgence ou des mutations économiques qui résulteront de la crise sanitaire. D’une façon mécanique, plus nous allons baisser et alléger les critères définis, en termes de conditions de ressources ou de prise en compte de niveaux de revenus, plus les entrepreneurs seront nombreux à être concernés.

En tant que gestionnaire du régime d’assurance chômage, les dépenses qui résulteraient de ces modifications, qui ne relèvent pas de l’assurance chômage puisqu’il revient au Gouvernement de prendre par décret ces mesures, sont financées par le régime d’assurance chômage, c’est-à-dire par les contributions des salariés en activité ou la CSG pour une petite partie des revenus d’activité. Aujourd’hui, plus de 80 % des recettes sont financées par des contributions prélevées sur les salaires des salariés pour lesquels le régime assurantiel s’applique.

Le Parlement joue un rôle très important car il émet un avis sur la trajectoire financière du régime d’assurance chômage. En 2020, celui-ci a enregistré un déficit de 17,5 milliards d’euros ; 10 milliards d’euros de déficit sont également attendus en 2021 à cause de l’effet ciseau, avec la baisse de l’activité partielle, que nous finançons aussi pour un tiers, également sans financement dédié.

En tant que gestionnaire, je souligne donc auprès des parlementaires que si l’on cherche à augmenter la protection des travailleurs indépendants sur un régime qui n’est pas assurantiel, la question du financement devra également se poser parce qu’actuellement, ce sont bien des financements du régime d’assurance chômage qui sont utilisés pour financer cette allocation.

Je n’interviens pas sur le fond qui, à mon avis, est partagé. Je ne fais pas de politique et je sais bien que la situation économique dans certains secteurs et pour certains entrepreneurs sera très difficile dans les mois et années qui viennent, d’où la logique de sécuriser la relance, la transition professionnelle, le rebond, notamment pour faire face aux traumatismes qui ont été évoqués. Je laisserai plutôt Pôle emploi répondre sur l’accompagnement puisqu’il est en première ligne sur le service rendu aux demandeurs d’emploi.

Le non-recours fait partie des sujets que l’assurance chômage souhaite examiner en 2020. Une étude doit être lancée. Nous n’avons pas d’analyse approfondie sur le non-recours aux droits à l’assurance chômage et à l’allocation des travailleurs indépendants. Ce sujet est bien identifié et mérite d’être analysé. Malheureusement, la crise n’a pas facilité ces travaux, notamment pour comprendre ce qui relève de la complexité, de l’absence de communication autour des dispositifs ou de la présence d’autres dispositifs qui seraient plus favorables ou activés en priorité avant de recourir à ces droits.

Mme Lara Muller, directrice des études et analyses de l’Unédic. Le champ naturel de l’assurance chômage n’inclut pas les indépendants. Néanmoins, nous nous étions penchés sur le sujet en 2017 et 2018 pour le documenter auprès des partenaires sociaux. Nous nous étions prêtés à un exercice de comparaison européenne. Les conclusions sont relativement proches de celles du rapport de l’IGAS et de l’IGF mentionné précédemment, qui comprend aussi un chapitre de comparaison européenne.

Nous avons regardé si une affiliation était requise, si elle était obligatoire ou facultative, et quelles étaient les conditions d’attribution et les populations ciblées. Nous pouvons dire que les systèmes d’assurance chômage qui existent à l’étranger sont le plus souvent facultatifs, sans adhésion obligatoire pour les indépendants. Comme chaque fois que nous nous effectuons des comparaisons internationales, nous relevons une grande diversité de cas, chacun méritant ensuite d’être remis en perspective par rapport à la réglementation, au dispositif global d’aide sociale existant, ce qui n’est pas toujours facile. Dans certains cas, ils fonctionnent de façon similaire à ce qui existe pour les salariés, dans d’autres, ils sont un peu plus éloignés. La plupart du temps, quand ils existent, ces dispositifs sont financés par des cotisations, ce qui n’est pas le cas dans le dispositif actuel. Ils sont quand même calqués sur les régimes d’assurance chômage, avec une durée d’exercice d’activité minimale requise, qui peut varier d’un à cinq ans selon les pays.

Un montant de revenu peut aussi être exigé pour l’attribution de l’allocation. Par exemple, selon les travaux que nous avions menés en 2017-2018, en Finlande, une activité d’au moins quinze mois au cours des quatre dernières années était requise, ainsi qu’un revenu mensuel au moins égal à 1 035 euros. Ce qui différencie les dispositifs selon les pays, c’est la manière dont ils ont défini la condition de cessation involontaire d’activité. Tous ne le font pas. En Suède et en Finlande, les critères d’accès à ce type d’allocation sont moins restrictifs. Les montants d’indemnisation sont également variables. En Finlande, ils dépendent de l’adhésion ou non de la personne au régime obligatoire ou à un régime volontaire en plus. Dans le cadre du régime obligatoire, le montant forfaitaire est de 39 euros par jour, ce qui correspond à un peu plus de 1 000 euros par mois. Dans le cadre d’un régime volontaire, le montant est proportionnel aux anciens revenus. Les durées varient également. Elles peuvent aller d’un an, un an et demi à deux ans.

Pour achever la comparaison, il nous manque les effectifs concernés et les dépenses engendrées, qui seraient à mettre en relation avec le nombre de chômeurs et les dépenses sociales du pays.

Mme Misoo Yoon. Je vais m’exprimer dans le même sens que M. Rémy Mazzocchi concernant la définition des critères. Je ne pourrai pas davantage vous éclairer. Même si nous avons reçu la mission qui avait calibré le dispositif et proposé des critères, nous n’en avons pas été à l’origine. Nous avons fourni quelques données, mais nous n’avons pas participé au calibrage du dispositif. Je pense que ces questions pourraient s’adresser plus utilement au ministère du Travail. Néanmoins, je vais apporter quelques éléments complémentaires sur les données elles-mêmes.

Certes, le dispositif pourrait être davantage connu. Néanmoins, nous avons mis tout en place pour repérer automatiquement les personnes lorsqu’elles s’inscrivent à Pôle emploi, à travers le questionnaire d’inscription. Sur cette base, de nous-mêmes, nous avons envoyé 6 000 courriers invitant à remplir les éléments pour bénéficier d’une ATI. Sur ces 6 000 courriers, nous avons reçu 3 200 réponses. Tout le monde ne répond donc pas et ne remplit pas la demande d’allocation. Il est possible que ces personnes identifient immédiatement qu’elles ne sont pas éligibles, mais nous n’avons pas d’éléments pour indiquer les raisons précises pour lesquelles elles n’ont pas renvoyé de courrier.

Parmi ceux qui les renvoient, nous avons enregistré des rejets, soit les 1 300 rejets que j’évoquais précédemment. 38 % sont liés au fait qu’une allocation chômage peut être servie et de façon plus avantageuse. 74 % des rejets qui ne sont pas liés à l’allocation chômage le sont au niveau des ressources personnelles. Ensuite, 10 % sont liés au fait que le motif de cessation d’activité n’est pas éligible, par exemple parce qu’il ne s’agit pas d’une liquidation judiciaire ou d’un redressement. 9 % des demandes sont rejetées parce que les ressources personnelles sont supérieures au plafond, alors qu’elles doivent être inférieures au niveau du RSA.

Il est donc possible de s’interroger sur le niveau de revenu qui est exigé. On peut aussi se questionner sur les motifs de cessation d’activité, qui avaient vocation à être assimilées à des pertes involontaires d’activité. La cessation d’activité doit être liée à une liquidation judiciaire ou à un redressement avec changement de dirigeant. Il est possible que ces procédures soient considérées comme lourdes et chères pour des personnes qui bénéficient potentiellement d’un revenu proche de 10 000 euros en moyenne sur les deux dernières années. Au regard de la durée de la procédure et de son coût éventuel, elles peuvent estimer qu’une allocation de 800 euros sur six mois n’est peut-être pas la meilleure réponse. Nous pouvons donc considérer que ces deux critères sont restrictifs.

Il est aussi possible que le délai d’obtention de certaines pièces soit dissuasif. Le certificat de non-recours de la décision judiciaire, qui est obligatoire, est considéré comme compliqué à obtenir et demandant du temps. Il peut s’agir de l’une des raisons pour lesquelles certains s’abstiennent et ne recourent pas à cette possibilité.

Enfin, on ne peut pas exclure que, dans certains cas, ce dispositif soit méconnu et que lors de l’inscription, nous n’ayons pas repéré la personne parce qu’elle n’a pas rempli les éléments nous permettant de la détecter. Il est aussi possible qu’elle soit déjà inscrite à Pôle emploi et ne fasse pas de demande.

Nous ne sommes donc pas en capacité de quantifier le nombre de personnes qui auraient pu percevoir cette allocation, mais qui n’en ont pas bénéficié. Au regard des conditions et de l’examen qui est fait entre le montant possible et l’allocation elle-même, il nous est difficile d’estimer la perte. Nous serions en difficulté pour vous répondre sur ces éléments.

Il pourrait toutefois être envisagé de communiquer davantage. Ce dispositif n’a pas fait l’objet d’une communication massive, comme il y a pu en avoir au niveau gouvernemental sur les mesures pour les démissionnaires, qui sont largement connues. D’ailleurs, en termes de fréquentation, nous avons très peu de visites sur le site chomage-independant.fr, qui reste assez confidentiel parce que la communication n’a pas été très forte. Nous avons enregistré environ 6 000 visites sur le site.

Sur le volet de l’accompagnement, lorsqu’une personne s’inscrit à Pôle emploi, quel que soit le motif, il est procédé à un diagnostic de sa situation et de ses besoins. Le dispositif d’accompagnement considéré comme le plus approprié lui est proposé. Nous disposons d’une palette d’accompagnement allant du moins intensif au plus intensif, ce qui permet de répondre à la diversité des besoins.

Quand une personne a vécu une expérience extrêmement difficile et nous en fait part, nous avons dans chaque agence Pôle emploi des psychologues du travail qui peuvent être mobilisés pour accompagner les personnes pour lesquelles le deuil de l’activité passée et la période s’avèrent particulièrement difficiles. Nous parlons bien de psychologues du travail. L’objectif est de pouvoir rebondir et d’arriver ensuite à se projeter dans une nouvelle activité professionnelle, de travailler sur une orientation et de capitaliser sur son expérience passée. Des psychologues du travail sont disponibles et exercent dans les agences Pôle emploi. Ils peuvent être mobilisés par les conseillers qui détectent une difficulté particulière qu’il faut surmonter et qu’il faut accompagner. Ces services renforcés permettent de répondre aux problématiques plus particulières.

J’entendais également des interrogations sur les personnes qui ont été particulièrement frappées par la crise que nous connaissons, notamment celles qui sont issues du secteur de l’événementiel. Les indépendants qui étaient dans ce secteur peuvent, le cas échéant, bénéficier de l’ATI. Les salariés issus de ces secteurs qui ont eu des difficultés particulières ont pu bénéficier eux aussi des différentes aides d’urgence à destination des demandeurs d’emploi. Je citerai évidemment les prolongations de droits qui se sont mises en place pendant le premier confinement, mais également depuis octobre et jusqu’à fin mars. Les personnes qui avaient travaillé en 2019 plus de 70 % de l’année et qui avaient eu plusieurs périodes en contrat à durée déterminée ont bénéficié d’une allocation pouvant aller jusqu’à 900 euros depuis novembre dernier. Des mesures ont donc été mises en place pour accompagner spécifiquement ceux qui ont été frappés de plein fouet par la crise que nous connaissons et qui ont du mal à retrouver un emploi.

En revanche, sur les mesures sur lesquelles vous sollicitez notre appréciation et concernant les personnes en activité, à ce stade, je ne pourrai pas vous renseigner davantage, Pôle emploi s’occupant principalement des personnes qui ont cessé leur activité.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq. Je voulais saluer le travail de l’Unédic et de Pôle emploi auprès des travailleurs indépendants. On voit bien qu’il ne s’agit pas de votre champ habituel, mais on constate un réel effort pour rendre les choses opérationnelles, ainsi qu’un effort de communication vers les travailleurs indépendants au sujet de cette allocation.

J’ai le sentiment que la question des critères d’attribution doit être examinée, mais également que la problématique se situe en amont. Quand vous expliquez que vous avez adressé des courriers à des personnes cibles et qu’il y a très peu de retours, on peut se poser la question de savoir si, pour un travailleur indépendant, il est naturel de recevoir un courrier de Pôle emploi et d’y prêter véritablement attention.

À votre connaissance, les chambres consulaires, qui sont des partenaires auprès desquels ils ont plus l’habitude de trouver des informations, ou les réseaux patronaux sont-ils un relais ? Existe-t-il une articulation entre vos actions pour encourager le recours et les leurs ? Savez-vous ce qu’ils font ?

Mme Misoo Yoon. Nous avons nous-mêmes communiqué dans nos lettres et dans nos diverses newsletters. Nous n’avons pas noué de lien avec les chambres consulaires. En revanche, je pourrai relayer la remarque auprès du ministère du Travail pour vérifier les mesures de communication mises en place pour relayer cette information concernant les travailleurs indépendants.

Je précise que les courriers ont été envoyés aux personnes qui s’inscrivaient à Pôle emploi et qui s’attendaient donc à recevoir un courrier de notre part.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq. Parlez-vous spécifiquement des travailleurs indépendants ?

Mme Misoo Yoon. Il s’agit des personnes qui, lors de leur inscription, ont mentionné que leur motif d’inscription était lié à une cessation d’activité de leur travail indépendant. Elles sont repérées, ce qui nous permet de leur envoyer directement un courrier leur précisant qu’elles sont peut-être éligibles à l’ATI et que pour que nous examinions leur situation, elles doivent nous retourner un questionnaire. C’est à ce niveau que nous avons une véritable perte.

M. le rapporteur. Il me semble important de se demander qui nous voulons aider. Les indépendants sont une cible très importante. Certains ont les moyens de s’assurer et ils peuvent le faire. Je pense que nous parlons ici des indépendants qui n’entrent pas dans le cadre des cinq conditions cumulatives. Ces conditions sont nombreuses et je pense que cela explique le faible taux de réponse à vos courriers. Ils savent très rapidement s’ils peuvent ou non avoir droit à l’ATI.

Sur le financement, je suis d’accord avec le directeur de l’Unédic. L’allocation de solidarité spécifique est financée par l’État parce qu’elle ne rentre pas, à juste titre, dans le cadre du régime des salariés. Il faut réfléchir à ce que l’ATI soit financée de la même manière.

Je regrette de ne pas obtenir de réponse sur le bilan à l’issue de ces six mois. Il est très important de savoir s’il s’agit d’une bonne durée et quels sont les résultats. J’aimerais aussi savoir quelles sont pour vous, Pôle emploi, les adaptations nécessaires. J’ai bien compris que ce n’était pas du ressort de l’Unédic, mais j’aimerais avoir votre avis sur les défaillances et sur ce qui peut être amélioré.

Mme Misoo Yoon. Parmi les sortants de l’allocation, nous constatons que 37 % ne sont plus inscrits sur nos listes dans le mois qui suit leur sortie d’allocation. Ne plus être inscrit peut être lié à plusieurs motifs. Le plus courant est celui d’un retour à l’emploi, mais nous n’avons pas uniquement ce type de situation. Nous devrions affiner l’analyse pour vous dire exactement quel est le taux de retour à l’emploi salarié. De même, environ un sortant de l’allocation sur deux n’est plus sur les listes trois mois après la sortie d’allocation. Ce sont les données dont nous disposons, sur une population assez réduite.

Concernant les simplifications supplémentaires possibles parmi les critères, je ne reviens pas sur les conditions de revenu et la lourdeur des redressements et liquidations. Je vous signale simplement les conclusions du rapport de M. Jean-Yves Frouin sur les plateformes embauchant des travailleurs indépendants. L’une des propositions est de pouvoir considérer comme une cessation involontaire d’activité la déconnexion de ces plateformes. Nous pensons ainsi à toutes les plateformes de transport de personnes ou de livraison de repas. Certaines personnes font l’objet de déconnexion par les gestionnaires. Le rapport Frouin évoque la possibilité d’élargissement des conditions d’entrée dans l’ATI à cette déconnexion. Nous n’avons cependant pas d’étude d’impact pour identifier le nombre de personnes qui pourraient être concernées in fine. Il s’agit d’une proposition qui pourrait s’ajouter aux éléments investigués sur l’assouplissement des critères d’attribution de l’allocation.

M. Rémy Mazzocchi. Pour revenir sur le propos introductif concernant la finalité du dispositif et du rebond, il nous semble que le projet professionnel, l’accompagnement de la transition professionnelle de l’indépendant du secteur dans les mois et années qui viennent constituent une question à articuler et à coordonner avec l’allocation. La crise touche des secteurs plus que d’autres, notamment le secteur du tourisme et celui de la restauration. Il est très difficile de savoir comment vont réagir ces activités et ces entrepreneurs dans les territoires. Articuler l’allocation avec l’accompagnement d’un projet professionnel, qu’il soit de transition, de relance ou de réinvestissement, pour sécuriser la trajectoire de l’entrepreneur, nous paraît nécessaire à analyser. Cette démarche a été entreprise avec les démissionnaires. La logique de transition, de reconversion et d’accompagnement des projets professionnels, y compris ceux des entrepreneurs, nous semble une voie à explorer dans cette phase de conditionnement au revenu qui permet de rebondir.

 

Puis la commission entend :

 le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce : Mme Sophie Jonval, présidente, et M. Victor Geneste, membre du bureau ;

 le Conseil supérieur de l’Ordre des experts comptables : M. Lionel Canesi, président ;

 l’Association GSC (garantie sociale du chef d’entreprise) : M. Anthony Streicher, président.

 

Mme la présidente Carole Grandjean. Je me dois de vous transmettre les excuses de la présidente, Mme Fadila Khattabi, qui ne peut être présente à cette réunion.

Nous reprenons nos auditions sur l’allocation aux travailleurs indépendants (ATI) dans le contexte de la crise sanitaire. La commission a souhaité se saisir de cette question et procéder à des auditions dont la préparation a été confiée à un rapporteur, M. Dominique Da Silva.

Ces auditions se déroulent en deux temps. Cet après-midi, nous avons déjà concentré nos travaux sur les difficultés de mise en œuvre de cette allocation. À ce titre, nous venons d’entendre Pôle emploi et l’Unédic. Mercredi 17 mars, nous échangerons avec des représentants des travailleurs indépendants. Nous conclurons nos travaux par l’audition du ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises, M. Alain Griset.

M. le rapporteur. Nous avons auditionné juste avant vous les deux principales institutions qui concourent à l’ATI, Pôle emploi et l’Unédic. Au nom de vos organisations, vous êtes tous des acteurs essentiels dans l’accompagnement de plus de 3 millions de travailleurs indépendants en France. Il est donc indispensable de prendre connaissance de votre expertise sur le risque chômage de ces non-salariés. Chacun sur votre périmètre de compétence, vous apportez une aide précieuse à ces travailleurs indépendants, ce qui leur permet de créer et de maintenir leur activité le plus longtemps possible. Néanmoins, malgré votre aide, certains d’entre eux n’ont pas d’autre choix que de cesser leur activité, jusqu’à passer par la voie judiciaire d’entreprise.

Jusqu’en 2019, avant la mise en œuvre de l’ATI, aucune allocation chômage n’était accordée aux indépendants par le service public pour leur assurer une transition professionnelle et un rebond vers un nouvel emploi. Après seize mois de mise en œuvre de l’ATI, Pôle emploi vient de nous confier que seulement 911 demandes à ce jour avaient abouti à une indemnisation, contre près de 30 000 allocataires attendus selon l’étude d’impact annexée au projet de loi. Il est nécessaire d’étudier avec vous les raisons de ce décalage, de comprendre les problématiques et les freins qui pourraient être levés pour une indemnisation plus efficiente.

Avec votre audition, nous aimerions connaître le point de vue de ceux qui conseillent et accompagnent les travailleurs indépendants avant la perte de leur activité. Pour cela, nous vous avons adressé un questionnaire qui résume nos interrogations à propos de l’ATI. Pour ma part, j’insisterai sur la cible des indépendants que l’on doit indemniser à travers l’analyse des cinq conditions d’accès cumulatives et nécessaires pour bénéficier de l’ATI.

Voici donc les principaux points sur lesquels mes collègues et moi-même aimerions vous entendre dans le cadre votre audition. Vos réponses doivent nous permettre de mieux évaluer les critères et la pertinence de ces dispositions.

Mme Sophie Jonval, présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. Je représente la profession des greffiers des tribunaux de commerce, officiers publics et ministériels en charge de la tenue de la juridiction commerciale, de l’assistance des juges, avec un certain nombre de missions judiciaires, mais également extrajudiciaires de teneur de registres de publicité légale, dont le plus connu est le registre du commerce et des sociétés. Ces deux types de mission nous placent au contact quotidien du chef d’entreprise, qu’il soit créateur d’entreprise ou entrepreneur en difficulté.

Ce contact quotidien s’opère à travers les 141 juridictions dans lesquelles nous exerçons nos fonctions. La profession compte 235 professionnels. 2 000 collaborateurs nous assistent dans nos missions au quotidien, que nous exerçons en métropole et dans les départements et régions d’outre-mer depuis juillet 2019.

Nous n’avons évidemment pas de mission de conseil, que nous laissons aux experts‑comptables et aux avocats. Pour autant, nous recevons les préoccupations des chefs d’entreprise, notamment ceux qui rencontrent des difficultés et qui pourraient être amenés à solliciter l’aide qui nous occupe aujourd’hui.

Je suis assistée de M. Victor Geneste, qui représente avec moi la profession. Il est greffier au tribunal de commerce du Mans et membre du bureau du Conseil national.

M. Lionel Canesi, président du Conseil supérieur de l’Ordre des experts comptables. Je représente les 21 000 experts comptables, 130 000 salariés, 3 millions d’entreprises accompagnées et conseillées au quotidien. Pour résumer notre fonction, nous sommes des chefs d’entreprise au service des chefs d’entreprise. Notre mission a été encore plus mise en lumière depuis le début de la crise avec l’accompagnement de toutes ces entreprises, pour décrypter les différents textes, accompagner les très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME) pour passer la crise. En ce moment, ce qui nous occupe, c’est préparer la reprise et faire en sorte que la relance de notre pays se passe le mieux possible.

M. Anthony Streicher, président de l’association Garantie sociale du chef d’entreprise (GSC). Cette audition est un moment charnière pour nous. Je suis un chef d’entreprise depuis un peu plus de onze ans maintenant. Je suis également président bénévole de l’association GSC, qui a été créée voilà quarante ans par des chefs d’entreprise pour construire une solution assurantielle, volontaire, libre, sur mesure pour les dirigeants d’entreprise. Cette solution porte le même nom que l’association, la Garantie sociale du chef d’entreprise.

En créant l’ATI, c’est la mission même de l’association GSC, pour laquelle elle œuvre depuis quarante ans, que vous avez gravée dans le marbre. Aujourd’hui, le chef d’entreprise a le droit d’être protégé. C’est vital. Mais comment se satisfaire d’un dispositif qui ne touche que 1 000 chefs d’entreprise sur les 33 000 éligibles, les hommes et les femmes qui sont passés par la liquidation judiciaire en 2020 ? Nous ne sommes pas sur un ciblage, mais bien sur des chiffres. Nous en tiendrons beaucoup à votre disposition si vous le souhaitez.

Mesdames et messieurs les députés, ne permettez pas qu’aux terribles conséquences d’une faillite d’entreprise on ajoute la détresse sociale, la misère et le désespoir des chefs d’entreprise. Pour comprendre cette situation tragique que nous vivons, que nous allons vivre dans les prochains mois, nous avons besoin d’une prise de position politique.

Je vais vous parler d’un exemple parmi tant d’autres. Il s’appelle Roger, il a 58 ans. C’est un dirigeant niçois d’une entreprise spécialisée dans la conception de stands pour les foires et les salons. Il a vu son activité stoppée brutalement, en mars 2020. « Si on est liquidé, j’aurai tout perdu », disait-il. Au-delà de ce qui peut arriver à son entreprise, il n’a plus les moyens de payer son loyer depuis plusieurs mois. Sa compagne est partie, usée par les insomnies, les relances d’huissier. Les heures, on ne les compte pas quand on est chef d’entreprise. Les congés, on ne les prend pas. Tous les sacrifices des dirigeants et des dirigeantes partent en fumée. On ferme le rideau, et ensuite ? Après ? Rien. Il ne se passe rien. Roger ne touchera probablement rien en sortant du tribunal de commerce. Pourquoi ? Pour la simple et bonne raison que plus de 99 % de chefs d’entreprise n’avaient droit à rien avant la mise en place de l’ATI, mais aussi parce que seulement 1 % des hommes et femmes chefs d’entreprise ont anticipé une éventuelle situation catastrophique et ont mis en place un filet de sécurité. Six fois sur dix, un homme ou une femme chef d’entreprise qui sort du tribunal de commerce ne savait pas, n’avait jamais été au courant que des solutions étaient possibles en cas de défaillance d’entreprise. Nous arrivons donc à un constat dramatique.

Depuis la mise en place de l’ATI, aucune information claire n’a été diffusée de façon massive auprès des premiers concernés. Roger est parti du tribunal de commerce sans indication, sans aiguillage, sans espoir. Pas de GSC, pas d’anticipation, pas d’ATI, tout ça parce qu’il n’a pas été informé.

Aujourd’hui, des cas comme celui de Roger, je pourrais vous en citer des centaines puisque l’association GSC, depuis quarante ans, a justement été créée pour accompagner et mettre en place une solution assurantielle.

Dans beaucoup d’associations comme celle que je préside, on évoque souvent les « quatre D » : la défaillance de l’entreprise, ensuite la dépression, puis le divorce et parfois, si ce n’est pas la détresse sociale, le décès. Oui, la mort est considérée pour certains comme la seule solution qui reste en étant un moindre mal, d’où des associations comme Aide psychologique pour les entrepreneurs en souffrance aiguë (APESA).

Disons une fois pour toutes la vérité : une fois que le chef d’entreprise a baissé le rideau, plus personne ne s’intéresse à lui. On ne sait pas qui était derrière. Qui se souvient de Sophie, la fleuriste du quartier, de Mathilde, avec son magasin de vêtements dans le centre‑ville, ou de Stéphane, l’imprimeur dans la zone d’activité de la commune ? Depuis des années, les gouvernements successifs, les pouvoirs publics ont failli dans leur devoir d’information auprès des chefs d’entreprise en les laissant mourir dans l’indifférence la plus totale, dans le silence et la noirceur.

Depuis des années, les acteurs qui entourent les dirigeants ont également failli dans leur devoir de conseil. Quelques exemples pour illustrer et qui répondent aux questions que vous posez très justement. Quand vous optez à Pôle emploi pour le statut de créateur d’entreprise, on ne vous informe pas des risques et des solutions que vous pouvez mettre en place. Quand vous enregistrez votre société au greffe, on ne vous informe pas des risques et des solutions disponibles. Quand vous êtes avec votre expert‑comptable ou votre avocat, vous n’avez pas d’information sur les risques et les solutions qui s’offrent à vous. Quand vous effectuez un prêt bancaire pour votre entreprise, vous ne recevez pas d’information sur les risques sociaux. En revanche, vous recevez tous les ans un courrier de votre banque qui vous rappelle, quand vous êtes caution personnelle, la somme qu’elle va pouvoir saisir, au cas où, sur vos comptes personnels. Vous liquidez votre entreprise auprès du tribunal de commerce, vous n’avez pas le fléchage vers l’ATI.

En 2016, le candidat Emmanuel Macron promettait le chômage pour tous. Le 1er novembre 2019, le Gouvernement a mis en place l’ATI : 800 euros pendant six mois, avec des critères d’exclusion pour de nombreux indépendants. Un an après, vous l’avez déjà tous partagé, et c’est la genèse de ces tables rondes, on se demande comment il est possible que moins de 1 000 hommes et femmes chefs d’entreprise aient activé cette allocation.

La crise du covid nous oblige à trouver un système d’urgence pour répondre aux conséquences dramatiques de cette situation. Oui, l’État a su se montrer à la hauteur, avec des mesures de soutien qui ont démontré leur efficacité pour les entreprises, pas pour les chefs d’entreprise. Les fonds de solidarité servent à aider les entreprises, pas les hommes et femmes chefs d’entreprise. Il faut le dire et le savoir, dans les années 2021-2022, nous ne pourrons pas sauver toutes les entreprises. En revanche, nous avons le devoir de sauver tous les entrepreneurs.

La semaine prochaine, l’association GSC que je préside publiera, avec la société Altares, les chiffres de la perte d’emploi involontaire des dirigeants en 2020. Je peux déjà vous annoncer que les plus touchés par la perte d’emploi sont des dirigeants de PME de plus de cinquante salariés, tous seniors c’est-à-dire de plus de 50 ans, des chefs d’entreprise expérimentés, fauchés par la crise sanitaire. Ces capitaines ont tout perdu et se retrouvent sans revenu, du jour au lendemain, avec des charges familiales lourdes. La question que je vous pose et que nous nous posons tous est la suivante : comment pouvons-nous laisser faire ceci et comment peuvent-ils remplir leur frigo, payer leur loyer, assurer les études de leurs enfants ?

À l’heure où l’on recherche les bases d’un plan de relance et de résilience, de qui attend-on une résilience ? Des hommes et des femmes chefs d’entreprise qui créent de la valeur, qui vont être capables de redémarrer et d’activer la croissance de demain.

Chaque dirigeant a une obligation légale d’informer. Les tribunaux de commerce, les chambres de commerce et d’industrie, les chambres de métiers et de l’artisanat, les greffes, les avocats, l’Ordre des experts‑comptables, tout l’écosystème qui se trouve autour du chef d’entreprise a un devoir d’information sur les risques entrepreneuriaux. Je suis moi-même chef d’entreprise. C’est fantastique et j’adore cela, mais à un moment donné, pour prendre de bonnes décisions, je dois disposer de l’information. Le principal drame est que l’on n’informe pas les chefs d’entreprise de ce qu’ils ont à leur disposition et de ce qu’ils peuvent mettre en place.

Pour répondre à vos questions, en phase amont de la mise en place de l’ATI, l’association a créé d’elle-même une solution. D’autres associations se sont retrouvées autour de nous. L’ATI repose sur un bon constat, mais elle n’est pas la bonne réponse. Le besoin, nous l’avons identifié depuis quarante ans.

L’ATI n’était pas une demande des chefs d’entreprise, des indépendants et des organisations patronales. Nous avons indiqué que des solutions existaient et qu’il fallait nous laisser faire. Nous préconisions d’avancer et de communiquer davantage, mais de ne pas créer un prisme qui serait, par définition, biaisé. Nous en voyons le résultat : l’ATI a manqué sa cible. Le chef d’entreprise attend d’être informé en temps et en heure de ce qu’il risque pour faire ses choix. Ce chef d’entreprise n’est pas un indépendant dans le sens défini dans la requête de la consultation sur l’ATI.

Nous avons été consultés au sujet des critères d’éligibilité. À ce moment-là, nous avons déjà alerté que les cibles et les critères manquaient la cible. Aujourd’hui, en France, nous avons 1,2 million de chefs d’entreprise. En retirant les micro-entreprises et auto‑entrepreneurs, selon les données de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), plus de 800 000 chefs d’entreprise touchent en moyenne 40 000 euros par an. Nous ne répondons pas aux mêmes attentes. Il devient donc essentiel de réorienter l’ATI par rapport à ce qu’elle doit être et surtout de mettre en avant la communication avec une action cohérente sur ce point.

Les conditions actuelles de l’ATI ne sont clairement pas adaptées. L’ATI doit être vue comme un investissement pour l’avenir. Nous demandons un ciblage plus précis, qui n’a pas besoin d’être élargi. Consultez-nous, faites appel à nous sur les données dont nous disposons pour répondre aux besoins qu’ont réellement les chefs d’entreprise.

En 2020, chaque jour, 90 hommes et femmes chefs d’entreprise sont passés par la liquidation judiciaire. En 2019, qui était une bonne année économique, ce chiffre était de 140 chefs d’entreprise. Il faut s’attendre sur les années prochaines à ce que 150, 200, 300 hommes et femmes chefs d’entreprise connaissent cette situation.

Actuellement, dans son fonctionnement, l’ATI ne cible que les entreprises qui sont passées par le tribunal de commerce. Or, vous n’avez pas l’obligation de passer par le tribunal de commerce pour arrêter l’activité d’une entreprise, qui peut prendre la forme d’une fermeture sous contrainte économique. Ce sont des situations que nous savons maîtriser. Une entreprise qui sait qu’elle ne peut pas y arriver, paie ses dettes pour « finir propre » et n’a pas l’obligation de passer par le tribunal de commerce. Ainsi, une partie des entreprises sont totalement hors périmètre. Des hommes et des femmes chefs d’entreprise sont oubliés. Il existe un manque crucial d’informations sur l’ATI et les dispositifs qui peuvent être mis en place en parallèle.

Nous avons à votre disposition énormément de chiffres. J’ai une attente énorme sur votre travail, car un projet de loi pourrait changer les choses et accompagner celles et ceux qui seront en première ligne pour reconstruire la France.

Je vais terminer par un exemple positif, car j’ai été noir dans mes conclusions. J’échangeais dernièrement avec Laure, une chef d’entreprise qui a perdu son activité, mais qui avait pris une GSC. Deux ans plus tard, elle a eu le temps de se reconstruire parce qu’elle avait pris une GSC. Elle avait choisi son montant d’allocation, sa durée. Qu’a-t-elle fait ? Elle a racheté une entreprise. Elle gère maintenant une belle PME en Anjou. Elle est fière d’avoir repris cette entreprise, d’avoir recréé de l’emploi. C’est une fierté pour elle et pour moi.

Vous serez peut-être surpris, mais nous ne sommes pas là pour solliciter quelque financement que ce soit, mais pour vous demander de mieux organiser l’information afin de permettre aux hommes et femmes chefs d’entreprise, qui représentent la création de valeur de demain, de choisir en toute connaissance de cause, sans alourdir aucune charge, quelle qu’elle soit, pour l’État.

M. le rapporteur. Sachez que parmi les députés, il y a aussi des chefs d’entreprise, qui ont été indépendants, comme moi. Nous connaissons évidemment la situation, mais l’information ne peut pas être du ressort des services publics et de l’État. Je pense que vous pouvez aussi informer. Pour avoir été dans cette situation, quand on démarre une activité, volontairement, on ne s’assure pas, car on a besoin de ses économies pour lancer l’entreprise. Tout ce qu’on peut ne pas payer, on ne le paye pas. C’est aussi un retour d’expérience qu’il est important d’entendre. Une fois que l’on a réussi et que l’on commence à avoir des revenus, on peut alors consciemment s’assurer.

Il me semble important de revenir sur les critères. Je crois qu’ils sont trop durs, trop restrictifs et qu’ils ne répondent pas à la majorité des situations. Le passage par la liquidation exclut beaucoup trop d’entreprises. On sait très bien que quand on n’a plus les moyens de tenir son activité, on peut arrêter avant même d’être en cessation de paiement.

Vous avez répondu partiellement au questionnaire. Il me semble effectivement important de revenir sur la bonne cible. L’allocation, qui vient du service public, ne peut pas être une assurance. L’ATI doit offrir la possibilité d’un rebond, mais ne doit pas venir en remplacement du revenu de référence d’un chef d’entreprise. Pour cela, il convient de se tourner vers GSC ou d’autres. L’information doit provenir des experts‑comptables, du greffe et d’autres structures. Il ne revient pas forcément aux politiques d’assumer cette communication.

Il me semble essentiel de définir le rebond attendu. J’aimerais également vous entendre sur la finalité et la durée de l’aide, pour revoir les critères, sur la partie qui incombe au service public et non pour s’assurer de la pérennité d’une activité. Vous l’avez justement dit, pour éviter le drame qui peut toucher un chef d’entreprise, il faut certainement un autre dispositif que l’ATI.

M. Anthony Streicher, président de l’association GSC. Pour casser un mythe, un entrepreneur individuel qui a un revenu de 20 000 euros par an paie 50 euros par mois d’assurance, pour toucher 1 000 euros pendant un an. La question n’est pas tellement le montant de l’assurance. La donnée Insee est de 40 000 euros de revenu médian pour un chef d’entreprise. Nous sommes loin du critère de moins de 10 000 euros.

Sur la question du rebond et de la durée, la demande des chefs d’entreprise est celle d’un délai d’un an pour rebondir, recréer. Vous avez fortement raison, il ne faut pas se tromper. La revendication des organisations patronales et de nous-mêmes sur ce point est que l’ATI ne soit pas une assurance chômage pour les chefs d’entreprise. Ce sont deux choses différentes.

Pour privilégier le rebond, l’État et l’ensemble de l’écosystème ont une coresponsabilité dans le devoir d’information. Elle ne coûte rien et peut même rapporter au Gouvernement avec des taxes d’assurance qui, à moyen terme, pourraient financer l’ATI, si un plus grand nombre de chefs d’entreprise y souscrivaient.

La cible de l’ATI est partie d’un principe biaisé, celui de prévoir des garde-fous pour éviter à tout prix les effets d’aubaine. En outre, nous avons constaté lors des échanges que l’indépendant, pour ceux qui ont décidé de ces critères, était une entreprise seule, selon l’image d’Épinal d’une typologie de chef d’entreprise qui ne correspond pas à la réalité économique actuelle. Les premiers critères sont d’autant plus complexes que si un n’est pas atteint, vous n’avez pas droit à l’allocation. Il y a eu une volonté de trop délimiter et d’éliminer.

Par ailleurs, le chef d’entreprise a tellement entendu pendant cinq ou dix ans qu’il n’avait droit à rien, qu’il n’avait pas droit à Pôle emploi, qu’il devait se débrouiller seul, qu’il était un superman ou une superwoman, qu’aller constituer de lui-même un dossier auprès de Pôle emploi est un paradigme. Le nombre de dossiers reçus est l’exemple flagrant que certains, mécaniquement ou inconsciemment, ont pensé qu’ils n’avaient droit à rien et n’ont rien demandé.

Le problème ne vient donc pas uniquement des critères complexes, mais aussi d’un défaut d’information et d’une systématisation de l’information par rapport au risque entrepreneurial et aux précautions qui doivent être prises en amont.

M. le rapporteur. Vous évoquez qu’avoir une assurance chômage ne coûte pas cher. J’aimerais donc comprendre pourquoi les experts‑comptables ne proposent pas d’assurance aux chefs d’entreprise. Ils sont les mieux placés. De toute évidence, s’il est possible de s’assurer pour peu cher et bénéficier de fortes garanties, cette solution est bien meilleure que l’ATI.

M. Lionel Canesi, président du Conseil supérieur de l’Ordre des experts comptables. La principale question n’est pas une problématique d’information. Contrairement à ce que j’ai entendu, quand nous recevons des créateurs d’entreprise, quand nous accompagnons et conseillons nos clients, nous leur parlons de tous les dispositifs et de tous les risques. Un chef d’entreprise qui a un expert‑comptable sait forcément quels sont les risques en cas de problème. Nous avons également une action importante avec les tribunaux de commerce sur la prévention des difficultés des entreprises, sur la compréhension de tous les dispositifs qui existent.

La vraie question est de savoir pourquoi un chef d’entreprise ne s’assure pas sur le chômage. C’est aussi celle de l’ATI et de sa vocation. Un chef d’entreprise qui crée un projet ne pense pas que demain, il aura une défaillance, sinon, il ne ferait pas de projet. S’il a peur de prendre des risques, il est salarié, il n’est pas chef d’entreprise. Les dirigeants, les chefs d’entreprise ne souhaitent pas avoir une couverture chômage. S’ils le voulaient, les dispositifs facultatifs existent et ils y recourraient massivement. Or, ils ne le font pas et quand on leur en parle, ils n’en veulent pas.

L’ATI ne fonctionne pas parce que son champ est très restreint. Nous parlons de dirigeants salariés. Or, la plupart des dirigeants sont des non-salariés. Parmi les exclusions, on trouve les gérants majoritaires de société anonyme à responsabilité limitée, les associés uniques ou gérants uniques d’une entreprise unipersonnelle à responsabilité limités, l’associé gérant d’une société en nom collectif. Nous sommes vraiment sur le cœur du tissu économique, mais ils ne sont pas concernés.

Je pense que l’ATI a du sens. Compte tenu du contexte, on devrait permettre qu’un dirigeant qui dépose le bilan en raison du covid bénéficie d’une couverture, pour rebondir. Un fonds exceptionnel devrait aider au rebond de nos entrepreneurs, victimes d’une situation exceptionnelle, la crise du covid. Personne n’en est responsable. Elle met à mal beaucoup d’entreprises.

Je ne suis pas sûr que nous aurons une vague de dépôts de bilan comme certains oiseaux de mauvais augure l’annoncent. Je crois qu’il existe une faculté de résilience des dirigeants. Il y a aussi des aides massives de la part du Gouvernement. Même si quelques zones non couvertes subsistent, on ne peut pas dire que l’accompagnement de l’État n’est pas massif pour aider les TPE et PME.

L’ATI doit surtout aider ceux qui vont souffrir de cette crise, qui se trouvent dans des secteurs très touchés tels que l’événementiel, la culture, le tourisme. Il faut les aider à rebondir. La durée de versement l’ATI est actuellement de six mois ; il faudrait la porter à douze mois.

Nous n’avons pas vraiment de visibilité sur la sortie, malgré la campagne de vaccination. Nous ne connaissons pas l’avenir. Celui qui est capable de dire que nous allons sortir de la crise en 2021 ou 2022 possède une sacrée boule de cristal. Il faut accompagner les chefs d’entreprise. L’Ordre des experts‑comptables a justement émis une proposition en vue de la relance : disposer d’un fonds exceptionnel pour soutenir ces dirigeants qui déposent le bilan, qui partent en liquidation. Ils doivent aussi être protégés. Un dirigeant qui dépose le bilan à cause de la crise covid ne doit pas perdre sa maison. Il est capital qu’il puisse rebondir et qu’il soit protégé sur ce plan.

J’ai aussi l’habitude de dire que de toutes les aides, il y a un oublié, le dirigeant. Le chômeur a son chômage, le salarié son activité partielle. Le dirigeant a le fonds de solidarité, qui lui permet de payer ses charges, ses frais généraux et ses emprunts, mais il n’a rien pour vivre. Il faut peut-être imaginer un dispositif, surtout si la crise se prolonge, pour accompagner nos dirigeants, dont nous aurons besoin pour la relance.

Nous informons nos clients de tous les dispositifs existants. S’ils n’en prennent pas, c’est parce qu’ils ne sont pas intéressés.

Mme Sophie Jonval, présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. Si les mesures préventives en France sont très peu usitées, nous ne pouvons que le regretter puisque nous disposons d’un arsenal législatif et réglementaire très performant, au regard de ce qu’en pense la Commission européenne. Malheureusement, comme le rapport de la récente mission lancée par le garde des sceaux, nous constatons un important déficit d’information, en dépit de tous les moyens mis en œuvre.

Il existe toujours un problème d’information en amont des difficultés. L’idée pour éviter tout processus liquidatif est de les prévenir. Les TPE sont celles qui sollicitent le moins les mesures préventives, alors que toute entreprise est éligible à ces mesures. La marge de progression est importante. Il n’y a cependant pas de néant total d’information dans les juridictions commerciales. La profession que je représente dispose d’un certain nombre de vecteurs de communication, notamment à travers notre site internet et Infogreffe. Ce dernier relaie vers les aides publiques et offre au chef d’entreprise son indicateur de performance. Il peut ainsi tester la viabilité de son entreprise, ce qui lui permet de se tourner vers son expert‑comptable ou son avocat pour solliciter telle et telle mesure de nature à prévenir les difficultés.

Nous diffusons également des brochures, des informations. Dans nos greffes, au quotidien, nous donnons de l’information papier, nous diffusons des communications sur les réseaux sociaux, qui sont un vecteur très important aujourd’hui. Par conséquent, de l’information, il y en a, même si nous pouvons progresser.

Je rappelle aussi que dans les greffes des tribunaux de commerce, le président du tribunal, premier interlocuteur du débiteur qui s’adresse à nous, n’a pas de rôle de conseil, de même que les greffiers des tribunaux de commerce que nous sommes. Nous laissons cette mission aux experts‑comptables et aux avocats, qui le font très bien.

Le rapport remis au ministre de la justice voilà quelques jours préconise le renforcement de l’information, des progrès en matière de pédagogie. Nous allons combler ces lacunes. Néanmoins, ces points ne sont pas inexistants.

Monsieur Streicher, vous avez mentionné APESA, qui fait aussi partie de l’accompagnement psychologique. Vous évoquiez également les « quatre D ». Nous sommes confrontés à ce drame au quotidien, au contact des chefs d’entreprise. APESA a d’ailleurs été créée par un de mes confrères. Nous en sommes fiers parce qu’il réalise un travail remarquable pour prévenir le suicide des chefs d’entreprise. Nous, greffiers, suivons une formation qui fait de nous des sentinelles pour détecter les risques suicidaires des chefs d’entreprise qui s’adressent à nous.

La difficulté est qu’il y a aussi un aspect psychologique. Quand vous êtes dans une démarche de création d’entreprise, vous êtes dans une dynamique positive. L’être humain est ainsi fait qu’il se projette dans un avenir bénéfique pour lui, il n’a pas forcément le réflexe de prévoir ce qui se passera en cas de difficulté. Je vais faire un parallèle : quand vous vous mariez, vous n’aimez pas que l’on vous dise : « Si vous divorcez, voilà ce qui va se passer ». En France, le commerce est libre. Tout le monde peut entreprendre, mais n’a pas forcément le même niveau d’information, de compétence et de connaissance.

En ce qui concerne les conditions d’accès à l’ATI, je m’associe aux réserves du président Canesi. Les chefs d’entreprise que nous rencontrons tous les jours sont généralement des travailleurs non salariés (TNS), qui ne sont donc pas éligibles à l’ATI. Ce dispositif a le mérite d’exister puisque personne auparavant ne s’était penché sur cette difficulté, qui est récurrente. Nous savons qu’un chef d’entreprise qui pousse la porte du tribunal a dans l’idée qu’il n’a droit à rien. Aujourd’hui, nous avons remédié à cette absence d’aides. Pour autant, le système est perfectible. Peut-être faudrait-il en étendre le champ en termes d’éligibilité puisque les TNS n’y ont pas accès.

De même, il pourrait être opportun de transformer la justification d’un revenu de 10 000 euros en celle d’un chiffre d’affaires. Vous pouvez avoir généré un chiffre d’affaires et ne jamais avoir touché de revenu issu de votre activité. Ce point purement comptable pourrait élargir le champ.

Ma profession peut renforcer un fléchage vers l’ATI. Nous éditons une brochure à l’endroit des chefs d’entreprise en difficulté. Nous pourrions donc rendre l’ATI visible dans nos supports de communication.

M. Victor Geneste, membre du bureau du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. Je suis d’accord sur le fléchage. Les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales et un certain nombre de partenaires publics nous sollicitent fortement pour que nous donnions de l’information. Au Mans, je n’ai personnellement jamais été sollicité pour délivrer une communication sur l’ATI, on ne m’a jamais sensibilisé, alors que ce dispositif semble intéressant, au moins sur le papier.

La durée de six mois me paraît courte. Il s’agit par exemple de la durée d’une procédure de liquidation devant le tribunal de commerce. Un accompagnement d’un an me semblerait plus judicieux. Le fait de limiter cette aide à trois mois si la personne reprend un emploi salarié ou une activité d’entrepreneur peut avoir tendance à démotiver.

M. le rapporteur. Nous avons évoqué un sujet important : faut-il en arriver à la liquidation ou au redressement judiciaires ? La procédure de liquidation amiable est extrêmement lourde. Elle pourrait aussi faire l’objet d’un assouplissement et serait l’occasion de mieux informer puisque nous recherchons avant tout le rebond.

Nous ne pouvons pas garantir un revenu de référence à travers l’ATI, ce qui nécessiterait une cotisation. Peu de chefs d’entreprise souscrivent une assurance quand la situation est simple. Si je suis en situation de quasi-faillite, puis-je m’assurer et percevoir une allocation chômage à travers la GSC ? Bon nombre de chefs d’entreprise ne commencent à y réfléchir que lorsqu’ils font face à des difficultés et n’anticipent pas suffisamment. Si cette assurance est abordable, une meilleure communication serait judicieuse, même si les experts‑comptables disent déjà communiquer.

M. Anthony Streicher, président de l’association GSC. Les chiffres que je donne sont issus des baromètres et enquêtes que nous avons menés en partenariat avec l’Ifop. Ils datent de juin 2019. Les experts‑comptables, les commissaires aux comptes et tout l’écosystème sont essentiels dans l’accompagnement.

Je suis désolé, monsieur Canesi, je n’ai rien contre l’Ordre des experts‑comptables, mais nous devons aller de l’avant et c’est en disant les choses que l’on progresse. Selon ce sondage fondé sur les questions que nous avons posées à la sortie du tribunal de commerce à des chefs d’entreprise, certains en difficulté et d’autres non, six fois sur dix, ils déclarent n’avoir reçu aucune information sur les solutions disponibles. Ce sont des faits. Peut-être votre cabinet le dit‑il, mais vous avez un rôle primordial. Dans 74 % des cas, ces mêmes chefs d’entreprise estiment que le rôle des experts‑comptables est de les accompagner. Ils soulignent tous l’importance de l’Ordre des experts‑comptables et de leur parole.

Nous ne sommes plus dans la génération d’il y a vingt ou trente ans, où le fait de faillir représentait une faute. Le chef d’entreprise est dans une aventure entrepreneuriale fantastique, mais dangereuse. En quoi le fait de le dire est-il un mal ? En quoi le fait de dire qu’une entreprise entre dans un milieu hostile et qu’il faut assurer le risque est-il un mal ? Pour un bon chef d’entreprise, évaluer et essayer d’anticiper le risque est bien souvent positif.

Un chef d’entreprise est comme un navigateur au long cours. Il a une idée, il construit un bateau, il monte dessus et part en pleine mer. Nous avons environ 3 millions de Kevin Escoffier qui partent en haute mer. Ils embarquent parfois des équipiers et font grandir leur bateau pour aller dans l’aventure. Or, Kevin Escoffier avait un radeau de survie, une balise de détresse et il a été secouru. Il n’avait pourtant pas prévu que son bateau se disloque. Il était là pour gagner.

Aujourd’hui, un chef d’entreprise peut choisir de ne pas s’assurer, mais selon nos enquêtes, l’information n’est pas donnée de façon systématique et régulière. Les chefs d’entreprise attendent pourtant beaucoup du rôle de conseil des experts‑comptables, des commissaires aux comptes, de l’ensemble de l’écosystème. Vous avez une parole et un rôle fantastique auprès des chefs d’entreprise, monsieur le président de l’Ordre des experts‑comptables, mais nous ne sommes pas encore au niveau. Il faudra forcer fortement sur la communication.

Par ailleurs, le produit assurantiel est accessible, mais il ne peut être souscrit quand la personne est déjà à la limite du dépôt de bilan. Il faut anticiper et s’inscrire en bonne santé. De nombreuses associations sont présentes pour aider un chef d’entreprise en difficulté. Nous orientons vers toutes les formations et actions ad hoc qui se déroulent avant la liquidation. Nous incitons les chefs d’entreprise à intervenir en amont, à solliciter le tribunal de commerce dès leurs premières difficultés afin de mettre en œuvre un plan de continuation et se sauver. Nous ne pouvons pas prendre la place des tribunaux de commerce ni proposer un service assurantiel quand l’entreprise est déjà en difficulté.

En 2020, les différents régimes assurantiels qui existent sur la protection du chef d’entreprise ont continué à accepter des dossiers. Le taux a été de 64 % d’acceptation. Nous ne rejetons pas les dossiers, mais la règle est d’être en bonne santé économique au démarrage.

M. Lionel Canesi, président du Conseil supérieur de l’Ordre des experts comptables. Quand quelqu’un dépose le bilan ou fait faillite, il s’agit d’un accident de vie, mais le dirigeant a du mal à comprendre pourquoi il se retrouve dans cette situation. C’est la faute des autres. Ce comportement est très humain. « Je n’ai pas été informé, je ne connais pas les dispositifs. » Je comprends ce sondage. Nous avons les mêmes discussions avec les juges des tribunaux de commerce, car le dirigeant a déposé le bilan, il ne savait pas qu’il pouvait lancer une procédure de sauvegarde ou bénéficier d’un mandat ad hoc ou d’une conciliation. Il est évident que son expert‑comptable lui en a parlé, mais l’aspect psychologique de se rendre au tribunal et de déposer le bilan fait qu’il pense s’en sortir, trouver du chiffre d’affaires. Nous ne sommes pas sur la bonne analyse.

L’association GSC existe depuis quarante ans. Pourquoi le système ne fonctionne-t-il pas depuis ? Ce n’est pas un problème d’information, il y en a. Vous êtes dans les congrès, les experts‑comptables en parlent, nous faisons régulièrement des réunions avec les associations sur ce sujet. Mais le chef d’entreprise n’en voit pas l’utilité. Il pense que le marché n’y est pas. La crise du covid met en lumière un besoin parce que certains chefs d’entreprise déposent le bilan pour des raisons extérieures à leur activité, la fermeture, la crise économique actuelle. Certaines entreprises meurent, d’autres se créent. Cette concurrence est normale. Je crois donc qu’il ne faut pas se tromper de débat.

L’ATI ne fonctionne pas parce qu’elle n’a pas la bonne cible. La question est donc de savoir ce que souhaite le législateur, qui il veut protéger. L’objectif est-il la solidarité nationale pour les dirigeants qui déposent le bilan à cause d’une contrainte extérieure qu’est le covid ? Dans ce cas, il faut aménager l’ATI sur douze mois, l’ouvrir aux travailleurs non salariés, qui représentent une grande partie du tissu économique, des TPE et PME qui génèrent de l’emploi non délocalisable, qui font la vie de nos quartiers et de nos centres‑villes. Elle doit aussi prévoir moins de contraintes, car compte tenu de celles-ci, on peut déjà se féliciter que 800 dossiers aient été acceptés. Faut-il protéger tous les dirigeants avec l’équivalent du chômage, comme pour les salariés ? Je doute qu’il s’agisse de leur volonté, sinon, ils prendraient l’assurance qui existe déjà depuis quarante ans. Dire qu’ils ne souscrivent pas parce qu’ils ne sont pas informés revient à se tromper de problème.

Vous devez donc cibler qui vous souhaitez aider. L’ATI a vraiment du sens pour protéger ceux qui sont victimes de cette crise qui n’est pas de leur fait. Un chef d’entreprise qui dépose le bilan parce qu’il a commis des erreurs peut le comprendre. Là, une crise exceptionnelle vient mettre à mal une partie de l’économie. La solidarité nationale doit jouer. Elle joue pour les chômeurs et pour les salariés, elle devrait aussi jouer pour les dirigeants.

M. le rapporteur. J’entends le critère de durée. Vous êtes unanimes pour dire qu’il faudrait que l’ATI dure au moins un an. J’entends aussi la question de la justification, en privilégiant le chiffre d’affaires au revenu puisqu’on peut générer du chiffre d’affaires et ne pas se rémunérer. C’est d’ailleurs le cas de nombreux créateurs d’entreprise, qui démarrent une activité. Ils vivent sur leurs économies. Ce critère exclut beaucoup de personnes.

La question de l’assurance soulève celle de la perte involontaire d’activité. Les chefs d’entreprise n’envisagent pas de déposer le bilan et ne voient donc pas pourquoi cotiser. En revanche, arrêter son activité avant une cessation de paiement aurait le mérite d’éviter des dettes. Sécuriser le rebond avant d’arriver à la cessation de paiement serait certainement bénéfique. J’aimerais vous entendre sur ce point.

Mme Sophie Jonval, présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. En France, la liberté d’entreprendre est un droit fondamental. Je ne pense pas que les chefs d’entreprise ne soient pas informés, mais quand ils créent leur entreprise, ils n’ont pas envie d’entendre des choses négatives. Ils ne pensent pas à s’assurer. Soit nous laissons le système tel qu’il est et chacun reste libre de s’assurer ou non. Soit nous faisons le choix politique et idéologique d’imposer à chaque chef d’entreprise qui crée sa structure de s’assurer. Nous aurons ainsi une assurance généralisée à tous les chefs d’entreprise, à l’image de ce qui se passe dans le monde des salariés. Il s’agit de choix profonds de société qu’il ne m’appartient pas de juger.

Il est certain qu’il faut renforcer l’information, mais nous ne pourrons pas éviter le cycle naturel de vie de l’entreprise. En France, la durée de vie moyenne d’une entreprise est de deux ans et demi. Nous sommes dans un monde concurrentiel, dans un environnement qui n’est pas statique. Nous ne pourrons pas gommer les défaillances d’entreprises, l’idée étant de les anticiper au maximum et d’éviter les processus liquidatifs. Depuis vingt-cinq ans, j’ai vu évoluer l’arsenal législatif et réglementaire dans un sens toujours plus favorable aux chefs d’entreprise. Le terme de « faillite » n’est plus employé depuis des années. Il faut dédiaboliser afin de ne pas effrayer les chefs d’entreprise. Les procédures ne servent pas uniquement à les mettre en difficulté, mais aussi à sauver l’entreprise et à assurer sa pérennité et les emplois qui peuvent y être attachés.

M. Lionel Canesi, président du Conseil supérieur de l’Ordre des experts comptables. L’assurance dispose d’un fonds catastrophes naturelles. Nous sommes dans ce cadre avec la crise du covid pour les entreprises. Faut-il le circonscrire aux seules liquidations judiciaires ? Je ne le pense pas, l’un des objectifs de notre pays étant d’assurer la relance économique. Ce fonds doit aussi être ouvert à ceux qui cessent l’activité.

La nature humaine fait que certains essaieront de détourner le système, ce que nous constatons avec l’activité partielle ou le fonds de solidarité. Certains s’amusent à utiliser le Siret d’autres entreprises. Nous devons donc prévoir des garde-fous ; sinon, les fonds ne seront pas fléchés correctement. La crise actuelle doit nous conduire à être solidaires de ceux qui en ont vraiment besoin. Il sera complexe de définir le périmètre de cette aide, qui doit faire en sorte d’éviter les effets d’aubaine.

M. Anthony Streicher, président de l’association GSC. Je suis désolé de mon côté viscéral. Je suis chef d’entreprise et j’ai parfois du mal à ne pas réagir.

Nous partageons tous le constat que l’ATI a raté sa cible. De plus, les garde-fous prévus sont dangereux, car ils excluent ceux qui ont réellement besoin de l’allocation. En revanche, je persiste : il faut systématiser l’information, la flécher, expliquer les risques et les solutions. Le chef d’entreprise doit la recevoir en amont, avant d’être en difficulté.

Dirigeant est un métier qui s’apprend. L’erreur fait partie de la vie entrepreneuriale. Il faut tirer les enseignements d’un échec pour rebondir et mieux réussir demain. Un entrepreneur est un équilibre entre 60 % de réussite et 40 % d’échec. La société a changé. Les hommes et les femmes cherchent à mieux comprendre et à anticiper les risques. Il est donc important que l’ATI soit temporairement mieux ciblée et accentuée pour aider ceux qui vont défaillir afin qu’ils rebondissent, l’ADN d’un chef d’entreprise étant de recréer autre chose.

L’ATI n’a pas vocation à être une assurance universelle pour les chefs d’entreprise. Elle n’atteint pas ceux qui arrêtent leur entreprise en amont pour ne pas créer de dettes. Nous travaillons avec les experts‑comptables pour prouver qu’il s’agit d’un réel arrêt pour contrainte économique et non de détourner ou de profiter de la loi.

Nous n’avons pas de demande de financement supplémentaire, mais les aides devraient être mieux organisées. Il faudrait notamment créer de réelles synergies, beaucoup plus automatiques, sur l’envoi des informations des tribunaux ou des experts‑comptables directement à Pôle emploi et à l’Unédic par exemple, pour que l’ATI soit plus efficace, sans avoir à construire un nouveau dossier. Comment se fait-il qu’à l’ère du digital, un chef d’entreprise doive encore monter un dossier papier ? Nous sommes à deux vitesses.

M. le rapporteur. Les réponses sont là. À nous de nous en servir pour faire évoluer l’ATI et mieux répondre à ceux qui en ont besoin.

 

 

 

La réunion s’achève à dix-huit heures dix.

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