Compte rendu

Commission
des affaires sociales

   Audition de Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, sur les conditions de mise en œuvre du déconfinement              2

   

   

 

 

 

 


Vendredi
7 mai 2021

Séance de 16 heures

Compte rendu n° 81

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
Mme Fadila Khattabi,
Présidente
 


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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Vendredi 7 mai 2021

La séance est ouverte à seize heures cinq.

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La commission entend Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, sur les conditions de mise en œuvre du déconfinement.

 

 

Mme la présidente Fadila Khattabi. Madame la ministre, je vous remercie d’avoir répondu à l’invitation de la commission malgré un agenda chargé. Cette audition s’inscrit dans le processus de sortie du confinement sur lequel le Gouvernement travaille actuellement et auquel il est normal que le Parlement soit pleinement associé. Dans ce cadre, plusieurs autres commissions ont entendu les ministres pour évoquer les problématiques et les enjeux liés au déconfinement au titre de l’éducation, de la culture, du sport ou du tourisme, par exemple.

À notre tour de faire le point avec vous. Je profite de l’occasion qui m’est offerte pour saluer le travail ô combien difficile mené par votre ministère tout au long de cette crise sanitaire et des différentes périodes de confinement qui se sont succédé. Au cours de ces périodes, il a été nécessaire de soutenir le monde économique et nos entreprises, mais aussi et surtout de protéger l’ensemble des salariés.

Le déconfinement annonce un nouveau temps, celui du retour progressif à une vie normale. Dans cette perspective, des questions majeures se posent à nous : quelle place pour la santé au travail, notamment la vaccination des salariés ? Quid de la poursuite du télétravail, de la continuité de la formation des apprentis, des conditions d’examen dans les centres de formation des apprentis (CFA) ? Nous nous interrogeons également sur les aides massives instaurées, sur les modalités de sortie de ces dispositifs. J’ai rencontré encore ce matin des chefs d’entreprise dont les interrogations restent nombreuses. C’est dire, madame la ministre, que la situation actuelle soulève beaucoup interrogations, beaucoup d’attente, mais aussi beaucoup d’espoir. Aussi sommes‑nous très heureux de vous entendre.

Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion. Merci d’avoir organisé cette audition dans un créneau horaire un peu inhabituel.

Le Président de la République l’a annoncé la semaine dernière, l’évolution de la situation sanitaire nous permet d’apercevoir le bout du tunnel. Une première étape importante, fixée le 19 mai, verra l’ouverture des commerces et tout ce qui fait notre art de vivre : les terrasses, les musées, les salles de cinéma et de théâtre. Une seconde étape, importante pour les salariés, commencera le 9 juin avec l’assouplissement des règles sur le télétravail, la réouverture, conditionnées à des jauges, des cafés, des restaurants et des salles de sport. Il faudra alors vivre avec le virus, tout en maintenant collectivement notre vigilance.

Le Gouvernement a souhaité échanger avec les organisations professionnelles et syndicales, les élus locaux et, bien sûr, les parlementaires sur les modalités de la sortie de crise. En tant que ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, ma mission consiste à accompagner cette levée progressive des restrictions sanitaires en poursuivant la mobilisation des entreprises dans notre stratégie de lutte contre la covid-19, en ajustant les dispositifs d’aide pour encourager et faciliter la reprise d’activité tout en continuant à préserver les emplois et en apportant aux entreprises et aux salariés les compétences nécessaires pour tirer pleinement parti de la reprise.

En termes de préservation de la santé des salariés et des Français en général, nous continuerons à recourir au télétravail et à déployer la vaccination en entreprise, en adaptant le protocole national à la sortie de crise. Il n’est pas question de relâcher nos efforts sur le télétravail, car il s’agit d’un levier essentiel de la lutte contre le virus. Votre commission a eu l’occasion d’auditionner les partenaires sociaux sur ce thème ces dernières semaines. Le recours au télétravail devra s’adapter, d’une part, en lien avec la levée progressive des restrictions sanitaires, d’autre part, pour prendre en compte les souhaits des salariés de revenir sur leur lieu de travail et de retrouver leurs collègues.

L’accord national interprofessionnel du 26 novembre dernier est un guide précieux dont les branches et les entreprises pourront se saisir pour poser les bases d’un télétravail post-covid.

Comme l’a indiqué le Président de la République, le recours au télétravail sera assoupli à partir du 9 juin. Les partenaires sociaux, avec les directions et les représentants des salariés de chaque entreprise, pourront alors définir dans le dialogue social, au sein de l’entreprise, un nombre minimum de jours de télétravail.

Dans le même temps, je souhaite que les entreprises prennent toute leur place dans notre stratégie vaccinale, comme elles le font chaque année pour la vaccination contre la grippe. C’est dans cet esprit que, dès le mois de mars, j’ai souhaité que les services de santé au travail se mobilisent pour vacciner les salariés qui répondaient aux cibles de vaccination définies au niveau national, l’objectif étant de faire baisser la pression sur nos services hospitaliers.

La contribution de la médecine du travail monte en puissance progressivement, au fur et à mesure de la mise à disposition de doses supplémentaires et de l’élargissement des catégories de salariés éligibles à la vaccination. À ce jour, les entreprises peuvent vacciner les salariés de plus de 55 ans et tous ceux de plus de 18 ans atteints de comorbidités. Dès lundi, la vaccination sera ouverte à toutes les personnes de plus de 50 ans. Au total, plus de 2 600 médecins du travail, médecins collaborateurs dans les services de santé au travail ou infirmières en santé au travail ont réalisé 520 000 injections, tous lieux confondus, dont plus de 60 000 en services de santé au travail.

Comme je l’ai annoncé mercredi dernier, nous avons décidé de donner un coup d’accélérateur à cette vaccination en entreprise, d’une part, avec le fléchage de 100 000 doses supplémentaires d’AstraZeneca qui seront mises à disposition des services de santé au travail pour vacciner leurs salariés de plus de 55 ans ; d’autre part, dès le 15 mai, par le lancement d’une expérimentation auprès de plusieurs services de santé au travail pour permettre de vacciner les salariés avec les vaccins à ARN messager – Pfizer ou Moderna –, ce qui suppose que les services de santé au travail se dotent des équipements aptes à assurer la conservation de ces vaccins dans de bonnes conditions. L’objectif vise à permettre un approvisionnement pérenne et massif des services de santé au travail à partir de la mi-juin lorsque la vaccination sera ouverte à l’ensemble de la population.

Je rappelle que, depuis le 24 avril, nous avons ouvert des créneaux réservés aux 400 000 professionnels de plus de 55 ans dont l’activité les conduit à être davantage en contact avec le virus. Il s’agit de nos travailleurs de la deuxième ligne : les caissières, les éboueurs ou encore les chauffeurs livreurs qui peuvent avoir un accès facilité à la vaccination. Avec Olivier Véran, nous sommes allés à leur rencontre dans un centre de vaccination. J’ai pu constater combien cet accès facilité à la vaccination est apprécié. Je vous invite, chacun dans votre circonscription, à relayer cette possibilité auprès des employeurs et à sensibiliser les publics prioritaires afin qu’ils se fassent vacciner sans plus attendre.

En parallèle, le protocole national en entreprise sera mis à jour pour s’adapter à la reprise de l’activité. Nous allons maintenir un certain nombre de règles, telles que le respect des mesures barrières : le port du masque et la distance d’un mètre entre les personnes. Nous allons faire évoluer d’autres règles, au-delà du télétravail, pour mieux accompagner la reprise et pour que le retour sur site des salariés se déroule dans les meilleures conditions. Il conviendra notamment assouplir les règles qui s’appliquent à la restauration collective, à l’heure actuelle extrêmement strictes, puisque les salariés doivent déjeuner seuls à leur table, à deux mètres de leurs collègues. Nous ferons donc évoluer ces règles en cohérence avec celles applicables à la restauration.

Depuis le deuxième confinement, nous avons suspendu des moments de convivialité, ce qui retire de la qualité de vie au travail. Nous autoriserons à nouveau ces moments de convivialité qui sont essentiels pour recréer rapidement des collectifs de travail.

En complément, des protocoles sectoriels seront mis à jour pour répondre aux caractéristiques particulières de certains établissements recevant du public. Je pense notamment au secteur des hôtels et cafés-restaurants, où des protocoles s’appliquent pour accueillir le public ; il conviendra également de se préoccuper de la protection des salariés dans le cadre de ces protocoles.

Par ailleurs, l’enjeu vise à sortir graduellement des aides d’urgence massives tout en maintenant un accompagnement de plus long terme pour les entreprises qui en ont besoin. Notre stratégie n’est pas de réduire les aides trop rapidement, et ce afin d’accompagner l’heureux démarrage sans créer de fragilités économiques. Je ne détaillerai pas devant vous les aides qui relèvent du ministère de l’économie, mais j’insiste sur le fait que nous travaillons main dans la main pour articuler les dispositifs de prêts garantis par l’État, mais surtout de fonds de solidarité et d’aide au paiement des charges sociales avec les dispositifs qui relèvent du ministère du travail, donc l’activité partielle.

Ce dispositif doit permettre de continuer à protéger les emplois et les entreprises dans cette phase de reprise. Au mois d’avril, plus de 3 millions de salariés bénéficiaient de l’activité partielle. Il s’agit de parcourir avec succès le dernier kilomètre de l’accompagnement permettant de protéger les entreprises et les emplois. Dans notre réponse à la crise, ce dispositif a été central. Ce sont près de 30 milliards d’euros qui ont été mobilisés au cours de l’année 2020 et plus de 10 milliards qui le seront cette année.

Avec Bruno Le Maire et Alain Griset, nous avons échangé avec les organisations syndicales et patronales le 22 avril dernier sur les trajectoires d’évolution des taux de prise en charge de l’activité partielle. Depuis le début de la semaine, nous avons échangé avec les secteurs professionnels principalement concernés par les réouvertures. Comme le Président de la République l’a annoncé la semaine dernière, les secteurs protégés, c’est-à-dire les hôtels et cafés-restaurants mais aussi les professionnels de l’événementiel, continueront à bénéficier jusqu’à la fin juin d’une prise en charge à 100 % de l’activité partielle. Dans le même temps, la prise en charge de la rémunération du salarié sera maintenue au niveau actuel, soit 84 % de la rémunération nette.

À partir du 1er juillet, nous commencerons à réduire la prise en charge de l’activité partielle de ces secteurs, l’idée étant d’avoir un reste à charge de 15 %, tout en maintenant la prise en charge de la rémunération à hauteur de 84 %. Nous envisageons un nouveau palier au mois d’août sur le reste à charge pour l’entreprise, tout en maintenant la rémunération des salariés. L’objectif est de rejoindre les règles de l’activité partielle de droit commun à partir du mois de septembre.

Pour les autres secteurs, nous envisageons un premier palier de 25 % de reste à charge au mois de juin – il se situe actuellement à 15 % – avant de passer à 40 % en juillet.

Je veux insister sur la philosophie de l’accompagnement dans la période de reprise. Il s’agit de tenir compte de la situation de certaines entreprises qui auront plus de difficultés à redémarrer. Nous avons imaginé une disposition pour accompagner les entreprises dont le chiffre d’affaires restera fortement réduit au cours de la période, notamment celles qui enregistrent une perte de chiffre d’affaires de plus 80 %. Elles continueront à bénéficier d’une prise en charge à hauteur de 100 % de l’activité partielle. Cette mesure pourrait concerner des hôtels qui accueillent une clientèle internationale ou les organisateurs de salons professionnels qui nous ont alertés sur le fait que leur activité ne reprendra pas pendant les mois de juillet et août, qui sont traditionnellement des mois creux.

J’insiste également sur le fait que les salariés dont la rémunération est proche du salaire minimum de croissance (SMIC), quel que soit leur secteur d’activité, bénéficieront du maintien intégral de leur salaire, l’employeur bénéficiant dans le même temps d’un reste à charge nul. Ces règles continueront à s’appliquer et permettront de protéger au mieux les emplois, que l’on soit en activité partielle ou en activité partielle de longue durée.

Ces évolutions des modalités de prise en charge de l’activité partielle doivent inciter les entreprises qui en ont besoin à se saisir de l’activité partielle de longue durée qui permet à une entreprise de protéger durablement ses emplois tout en renforçant les compétences des salariés.

À ce jour, plus de cinquante branches ont signé des accords d’activité partielle de longue durée, ce qui représente environ cinq millions de salariés. Ces accords de branche ont pu être déclinés en documents unilatéraux ; des accords d’entreprise ont été également signés. Au global, ce sont près de 800 000 salariés qui sont protégés par l’activité partielle de longue durée, ce qui maintient, sur une durée pouvant aller jusqu’à 24 mois, une indemnité à hauteur de 84 % du salaire net pour le salarié et un reste à charge pour l’employeur de 15 %. Un tel dispositif est très utilisé dans l’aéronautique, qui attend une remontée en charge progressive de son secteur. Il peut également concerner le secteur des services aux entreprises, où des remontées progressives de l’activité pourront intervenir.

Nous mettons à disposition des entreprises des outils innovants destinés à accompagner la formation de leurs salariés, à soutenir leur rebond et à anticiper les mutations. La reprise de l’activité ne peut pas se faire sans une main-d’œuvre qualifiée disponible dès la réouverture. Par ailleurs, la crise que nous traversons accélère les mutations de l’économie et donc nous devons, plus que jamais, aider les entreprises à accompagner une évolution des compétences. C’est la raison pour laquelle nous mobilisons un milliard d’euros sur les années 2020-2021 dans le cadre du Fonds national de l’emploi-formation (FNE-formation), un milliard d’euros pour la formation des salariés des entreprises en activité partielle ou en activité partielle de longue durée ou encore de celles qui font face à des mutations.

Afin de s’assurer de la qualité de ces formations et surtout de la capacité des petites et moyennes entreprises à se saisir de ces formations, j’ai signé des conventions avec chacun des onze opérateurs de compétences pour qu’ils disposent d’une offre clé en main pour les entreprises, ce qui mobilise près de 400 millions d’euros pour la formation des salariés des entreprises impactées par la crise.

Dans ce cadre, nous avons également prévu des formations de réentraînement des salariés des secteurs qui sont fermés depuis plusieurs mois et qui commencent à se déployer afin que les salariés qui n’ont pas travaillé depuis plusieurs mois réapprennent les gestes métier. Je pense, par exemple, aux cuisiniers ou aux serveurs qui bénéficieront de ces formations de réentraînement. Par ailleurs, nous avons demandé à Pôle emploi de se rapprocher de certains secteurs, notamment les hôtels et cafés-restaurants, dont on sait qu’ils ont perdu de l’ordre de 100 000 salariés tout au long de la crise, pour mettre en place des dispositifs de préparation opérationnelle à l’emploi afin de remobiliser ces demandeurs d’emploi.

Enfin, nous souhaitons accompagner l’outil de transition collective en faveur de la reconversion des salariés d’entreprise qui connaissent une baisse d’activité, dont certains emplois sont susceptibles d’être menacés, vers des secteurs qui recrutent dans le bassin d’emploi grâce à l’outil « transition collective », bâti avec les partenaires sociaux et en faveur duquel nous mobilisons 500 millions d’euros sur deux ans, en prenant en charge tout ou partie de la rémunération et de la formation des salariés. Il est important que vous relayiez ces dispositifs dans vos circonscriptions, car ils sont essentiels dans le cadre d’une crise qui frappe de façon très hétérogène les différents secteurs d’activité.

Les aides massives que nous avons mobilisées jusqu’à présent ont d’ores et déjà produit des effets. Je rappelle que la hausse du chômage sur un an a été contenue à 8 %, alors qu’il avait bondi de 25 % lors de la crise de 2008-2009. Nous constatons que les promesses d’embauche repartent à la hausse, ce qui est un signe tangible de la reprise.

Grâce aux progrès de la vaccination, il nous est possible d’envisager une sortie progressive des dispositifs d’aide, tout en étant très attentifs à ne pas brusquer les choses et à accompagner au mieux les entreprises et les salariés dans cette période de reprise d’activité.

Mme Carole Grandjean. La crise, inédite, a contraint chacun de nous à des ajustements nombreux et exigeants visant à protéger la santé de chacun, puis à soutenir les plus fragilisés par la crise, à maintenir les compétences dans les entreprises, à permettre l’insertion professionnelle des jeunes et à poursuivre au maximum l’activité des entreprises.

Vous avez porté des mesures majeures pour répondre de manière ajustée aux différents publics par des aides exceptionnelles aux entreprises, aux associations, aux travailleurs indépendants, aux autoentrepreneurs et aux particuliers employeurs via des fonds de solidarité, des prêts garantis par l’État et des assurances pour les entreprises exportatrices. Vous avez évoqué le soutien apporté à l’activité partielle. Vous avez aussi décidé l’exonération totale au titre de 2021 et 2022 du forfait social en faveur des petites entreprises.

Vous avez soutenu les emplois et les travailleurs par de multiples aides. Le groupe La République en marche souligne l’effet significatif de ces mesures sur l’emploi. Si le chômage a malheureusement augmenté de 8 % en 2020, notons qu’il avait progressé de 25 % en 2008-2009.

Vous avez tenu à soutenir massivement les jeunes. Nous saluons ces mesures qui ont fait preuve de leur efficacité, notamment l’aide à l’embauche des jeunes de moins de 26 ans, les aides aux employeurs qui recrutent en apprentissage, le renforcement des différents dispositifs d’inclusion dans l’emploi, notamment les contrats uniques d’insertion et les parcours emploi compétences, ainsi que la revalorisation des rémunérations des stagiaires en formation professionnelle. Notre mobilisation est collective, et c’est évidemment tous ensemble que nous soutenons cette jeunesse.

Ma collègue Charlotte Parmentier-Lecoq et moi-même avons récemment porté une proposition de loi sur la santé au travail. Elle a été adoptée à l’Assemblée nationale et sera bientôt débattue au Sénat. Elle porte sur les enjeux de décloisonnement entre santé publique et santé au travail et sur une meilleure coopération entre les acteurs. Vous avez vous-même largement souligné, comme nous le faisons nous-mêmes, l’engagement des services de prévention de la santé au travail.

Pourriez-vous nous indiquer le calendrier de concertation avec les partenaires sociaux sur le déconfinement ? Quelles sont les modalités sur lesquelles vous travaillez et quel est leur calendrier ? Quels sont les actions engagées en faveur des jeunes et les effets que vous avez d’ores et déjà obtenus ? Enfin, comment travaillez-vous au déconfinement des salariés et comment pensez-vous impliquer les services de prévention en santé au travail dans le cadre de cette démarche ?

Nous vous remercions vivement pour votre action et pour les réponses que vous pourrez nous apporter.

Mme Gisèle Biémouret. La recherche semble établir de manière de plus en plus prégnante l’importance des contaminations par aérosols. Pensez-vous que la distanciation de deux mètres entre les salariés et le port du masque soient suffisants ? Je rappelle que nous enregistrons tous les jours des décès – 219 hier – et plus de 21 000 nouveaux cas. La situation reste extrêmement fragile.

Avec la reprise du travail et moins de télétravail, qu’est-il prévu pour les transports collectifs, dans les métros, les trains et les bus ?

Quels seront les salariés qui participeront aux négociations relatives au déconfinement, car tous ne sont pas protégés de la même manière ? Certains, dans leur profession, connaissent des difficultés et des contraintes plus élevées que d’autres. Enfin, qu’en sera-t-il du droit de retrait des salariés ? Je vous remercie par avance de vos réponses.

M. Paul Christophe. Ma première question porte sur le calendrier des étapes successives de l’assouplissement du télétravail. En effet, si les terrasses et les lieux culturels seront rouverts le 19 mai, il apparaît difficile de maintenir, en parallèle, un seuil de télétravail à 100 % ou même un aménagement d’un jour par semaine à compter de cette date.

Envisagez-vous une approche territorialisée dans la mise en œuvre du déconfinement au sein des entreprises pour le cas où les données viendraient à se dégrader en quelque endroit du territoire ? Nous avons vécu ces confinements territorialisés en lien avec l’évolution sanitaire. Le déconfinement pourrait-il être assujetti à ces mêmes règles ?

Les modalités financières du chômage partiel ont été prorogées, permettant à des millions de salariés de conserver leur poste, malgré des secteurs d’activité toujours confrontés aux fermetures, en particulier ceux de l’hôtellerie et de la restauration. Cependant, selon quelles modalités pourrait s’opérer la transition via une disparition progressive du dispositif de soutien à l’économie et des droits au chômage partiel tout en évitant une hausse conséquente des licenciements ?

Force est de constater que le mécanisme de l’activité partielle de longue durée qui a été présenté comme un bouclier anti-licenciements peine à émerger face au succès du dispositif de l’activité partielle de droit commun dit « du chômage partiel » – vous l’avez rappelé.

L’activité partielle de longue durée présente l’avantage de nécessiter un accord collectif, et donc une négociation, et d’engager l’employeur en termes d’emploi ou de formation, le tout en échange d’une prise en charge partielle des rémunérations par l’État et l’Unédic (Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce). Certes, l’accord est taillé pour les entreprises saines qui font face à un trou d’air de plusieurs mois, voire davantage. Mais, actuellement, les entreprises ne sont pas incitées particulièrement à privilégier l’activité partielle de longue durée, ce qui nuit au succès de son développement, alors que ce dispositif présente l’intérêt pour les entreprises d’adapter de manière durable leur activité aux effets de la crise sanitaire.

Il semblerait que la complexité du dispositif et le formalisme administratif représentent des freins importants. Quelle est donc votre lecture de ce mécanisme ? Comment pensez-vous inciter les acteurs à l’utiliser et à rendre plus souples ces mesures de soutien aux entreprises dans le contexte du déconfinement ?

Mme Valérie Six. Le 19 mai prochain, les commerces, les terrasses, les musées, les salles de cinéma et les théâtres rouvriront ; mi-juin, ce sera le tour des restaurants, des bars, des hôtels, de tous les lieux de tourisme qui pourront reprendre. Vous le savez, le secteur de l’événementiel nourrit bien des attentes. Cela fait des mois que les gérants de ces secteurs d’activité attendent ce moment.

C’est aussi un soulagement pour le personnel qui est en chômage partiel. C’est difficile psychologiquement de ne pas travailler des mois durant. D’ailleurs, certains ont été contraints ou ont saisi l’opportunité de se reconvertir professionnellement.

Je tiens à saluer les aides attribuées aux entreprises concernées par les fermetures administratives dues à la crise de la covid, mais nous savons aussi que celles-ci seront dégressives et adaptées selon les reprises d’activité.

Nous devons désormais penser à la suite. Il me semble, dans ce contexte, que le recours au prêt de main-d’œuvre est une solution intéressante à promouvoir à long terme. Ce dispositif me semble particulièrement adapté à la situation économique actuelle dès lors qu’une entreprise connaît une baisse temporaire de son activité. Celle-ci peut prêter un ou plusieurs de ses salariés à une entreprise en manque de main-d’œuvre. Cela permet de préserver l’emploi et la rémunération du salarié ainsi que de s’adapter aux variations de l’activité en évitant le licenciement.

Je salue les assouplissements prévus dans ce domaine par le projet de loi relatif à la sortie de crise sanitaire jusqu’au 31 octobre 2021, ainsi que les modèles simplifiés d’avenants aux contrats de travail en vue du prêt de main-d’œuvre mis en ligne sur le site du ministère du travail. Cependant, madame la ministre, êtes-vous favorable à inciter les entreprises à avoir recours au prêt de main-d'œuvre de manière pérenne ?

M. Bernard Perrut. Madame la ministre, je ne doute pas de votre détermination en cette période difficile. Je voudrais évoquer la situation des jeunes. Avant la crise de la covid-19, un jeune sur cinq se trouvait déjà sous le seuil de pauvreté dans notre pays et l’on sait que les étudiants doivent travailler pour financer leurs études et assumer les frais associés.

Depuis le début de cette pandémie, on constate qu’un jeune sur six a perdu son emploi, son petit boulot. Pour faire face aux conséquences de la crise et accompagner les 750 000 jeunes arrivés sur le marché du travail, vous avez, madame la ministre, déclenché le plan « 1 jeune 1 solution » ; vous en avez même triplé les moyens financiers. Toutefois, les aides proposées sont réservées aux entreprises, excluant à ce jour les collectivités territoriales.

Envisagez-vous d’élargir ce dispositif aux collectivités qui représentent un secteur de recrutement non négligeable ? Eu égard aux difficultés d’insertion professionnelle de nos jeunes, cela pourrait leur permettre d’être immédiatement employables et ainsi obtenir une qualification et un statut social, voire, plus tard, de trouver un poste ou en tout cas d’être accompagnés au sein d’une collectivité.

Ma seconde question concerne les entreprises. Le fonds de solidarité s’est élargi depuis mars 2020 pour couvrir un nombre croissant d’activités affectées par la crise. Certaines entreprises peinent à faire reconnaître qu’elles dépendent de secteurs fermés.

J’ai eu l’occasion d’intervenir à l’Assemblée lundi dernier devant M. Alain Griset à propos des entreprises de fabrication de vêtements. Le système est assez mal fait, il prend uniquement en compte l’activité principale du siège. Or, j’ai constaté dans ma circonscription qu’une entreprise multi-activités avait plusieurs sites en France, notamment des magasins de détail, et un siège social où sont conçus et fabriqués des vêtements français. Cet industriel, uniquement fabricant de vêtements aux yeux de l’administration, n’est pas aidé, alors que s’il s’était organisé en créant plusieurs sociétés, il aurait touché 10 000 euros par mois pour chacun de ses établissements. Ses salariés sont, certes, au chômage partiel, mais ses frais fixes ne sont pas pris en charge car son activité ne figure pas sur la liste S1 bis des secteurs touchés par ricochet par des fermetures administratives. Je sais que M. Alain Griset étudie ce sujet des fabricants de vêtements français avec grande d’attention, mais je me permets, madame la ministre, de l’évoquer devant vous.

Mme la ministre. Dans la mesure où je ne les ai pas évoqués dans mon propos introductif, je dirai un mot des jeunes et, de façon plus générale, de la volonté, en cette période de crise, de protéger les plus vulnérables. En effet, j’ai longuement parlé de l’activité partielle qui permet de protéger les salariés en entreprise ; nous avons également voulu porter une attention particulièrement à la situation des jeunes en lançant le plan « 1 jeune 1 solution », présenté en juillet dernier et qui mobilise à ce jour 9 milliards d’euros.

Il était essentiel de s’assurer que les jeunes, qui sont toujours les premières victimes en période de crise économique, soient protégés. C’est tout le sens des dispositifs qui ont été programmés et qui sont inédits par leur ampleur mais aussi par la diversité des solutions apportées, tant il est vrai que les jeunes ne sont pas tous confrontés à la même situation ; chaque jeune est un cas particulier et c’est dans cet esprit que nous avons voulu apporter une diversité de réponses.

Citons à cet égard les aides à l’embauche des jeunes qui ont été instaurées au mois d’août dernier et qui ont été prolongées jusqu’à la fin mai. Les aides à l’apprentissage représentent 5 000 euros ou 8 000 euros, en fonction des conditions d’âge et d’effectifs, pour les entreprises qui recrutent un apprenti. S’ajoutent 100 000 formations qualifiantes supplémentaires pour préparer les jeunes aux métiers de demain dans le domaine de la transition écologique, du numérique, des métiers du soin, et les parcours d’accompagnement vers l’emploi pour les jeunes qui sont les plus éloignés de l’emploi.

Je pense que l’on peut dire que ce plan porte ses fruits, même s’il faut, bien entendu, rester très mobilisés. Un million et demi de jeunes de moins de 26 ans ont été embauchés en contrat à durée déterminée (CDD) de plus de trois mois ou en contrat à durée indéterminée (CDI) entre le mois d’août et la fin mars, soit quasiment autant que sur la période équivalente avant la crise. Comme vous le savez, plus de 500 000 contrats d’apprentissage ont été signés au cours de l’année 2020. Depuis le début de l’année, 25 000 jeunes sont entrés dans un parcours d’accompagnement vers l’emploi, notre objectif étant d’accompagner 1 million de jeunes au cours de l’année 2021.

À la demande du Président de la République, nous travaillons à un élargissement du dispositif de Garantie jeunes universelle qui a fait ses preuves. Il est, en effet, très efficace pour amener vers l’emploi les jeunes qui en sont le plus éloignés. Il garantit à chaque jeune un accompagnement personnalisé et, s’il en a besoin, une allocation jusqu’à 500 euros. Il est essentiel, dans la période actuelle, de s’assurer qu’aucun jeune ne reste sur le bord de la route.

Ce plan ne peut réussir, bien entendu, que si les entreprises et, d’une façon générale, les employeurs sont mobilisés. Ils ont été au rendez-vous. Par exemple, la plateforme 1jeune1solution.gouv.fr propose 200 000 offres d’emploi ou de stages. Il n’en reste pas moins, Monsieur Perrut, que les collectivités ont évidemment toute leur place dans le dispositif puisqu’elles bénéficient d’une aide si elles recrutent des apprentis. Peut-être est-elle moins connue que les aides aux entreprises, mais il s’agit d’une aide de 3 000 euros qui, elle aussi, sera prolongée jusqu’à la fin de l’année.

J’ai eu l’occasion d’échanger avec les employeurs territoriaux. Dans une période où les collectivités étaient soumises aux difficultés de la crise, cette mesure a permis de maintenir les recrutements d’apprentis au cours de l’année 2020. Nous souhaitons aller plus loin et la prolongation de cette aide à l’apprentissage devrait nous le permettre.

Au surplus, des dispositifs spécifiquement adaptés permettent aux collectivités d’embaucher des jeunes qui connaissent des difficultés d’accès à l’emploi ; il s’agit notamment des contrats aidés, des parcours emploi compétences. Nous en mobilisons 150 000 cette année. J’invite donc les collectivités à se saisir de cet outil qui prévoit également une formation et un accompagnement du jeune. Nous pouvons relever que le dispositif d’emploi aidé a évolué depuis le début du quinquennat pour aboutir à un taux d’insertion dans l’emploi de près de 60 % des jeunes qui entrent dans les parcours emploi compétences.

Je mentionnerai également les jeunes du service civique. Nous en comptons 100 000 supplémentaires dans le cadre du plan « 1 jeune 1 solution ». Notre objectif est de faire en sorte que tout le monde se mobilise pour apporter des réponses à nos jeunes.

D’une façon générale, sur le calendrier des réouvertures et la concertation sur l’évolution des aides, le Président de la République a voulu donner de la visibilité à tous les Français en annonçant des réouvertures progressives, de début mai jusqu’à la fin juin. Cette visibilité est appréciable pour les secteurs concernés par les fermetures, pour les professionnels comme pour les salariés, afin qu’ils se préparent à cette reprise progressive, notamment pour mettre en œuvre les formations de réentraînement ou de remobilisation que j’ai mentionnées.

Madame Biémouret, nous menons des concertations avec les organisations syndicales interprofessionnelles ; ce matin encore, j’ai échangé avec les organisations syndicales des secteurs particulièrement concernés par les réouvertures – les commerces, les hôtels et cafés-restaurants, les salles de sport, l’événementiel – afin qu’ils soient impliqués dans les discussions sur les réouvertures, à la fois sur le volet lié au protocole sanitaire destiné à protéger les clients mais aussi les salariés, et afin qu’ils soient sollicités sur l’évolution des dispositifs d’accompagnement de ces réouvertures, et donc sur l’évolution de nos dispositifs conjoints avec le ministère de l’économie : le fonds de solidarité, l’aide au paiement des charges sociales et les dispositifs d’activité partielle.

En écho à la question de M. Paul Christophe, je dirai que nous travaillons main dans la main avec Bruno Lemaire afin d’organiser pendant une période suffisamment longue des dispositifs protecteurs, dont l’activité partielle. Cela dit, avec la reprise de l’activité économique, la mobilisation de l’activité partielle devrait baisser au fur et à mesure que les salariés reviendront au travail. Aussi sera-t-il nécessaire qu’ils soient accompagnés par le fonds de solidarité dont il est également prévu une évolution progressive au cours des mois de juin, juillet et août. S’ajoute l’aide au paiement des charges sociales des professionnels, qui est une façon de soutenir le retour au travail des salariés. Nous disposons ainsi d’un ensemble de dispositifs protecteurs au moment où les différentes activités qui ont fermé ces derniers mois vont redémarrer. C’est ce qui est ressorti de nos concertations avec les professionnels.

S’agissant du télétravail, nous avons eu des échanges avec les organisations patronales et syndicales sur l’opportunité d’un premier jalon le 19 mai. Tout le monde a été très prudent quant à un retour au travail des salariés. Nous avions échangé sur l’idée de passer à cinq jours de télétravail, qui est aujourd’hui la norme, à une norme de quatre jours de télétravail et un jour en présentiel. Pour finir, nous avons profité des souplesses offertes par le protocole national en entreprise. Par ailleurs, dans la mesure où les salariés et les employeurs qui souhaitaient ce sas d’un jour par semaine en présentiel ne se sont pas particulièrement mobilisés, nous avons préféré nous caler sur le second jalon, au 9 juin, date à laquelle nous redonnerons la main en organisant des discussions au sein des entreprises pour déterminer un nombre minimal de jours de télétravail adapté à la situation de chaque entreprise.

En ce qui concerne la territorialisation des règles, vous aurez compris que les jalons définis par le Président de la République pourront être précisés dans leurs modalités de mise en œuvre par le Premier ministre la semaine prochaine et que cela s’accompagnera de la possibilité de décaler les calendriers de réouverture dans les départements qui dépassaient les 400 cas par jour. Depuis cette semaine, plus aucun département ne connaît une telle situation et nous espérons que le nombre de cas baissera au cours des prochaines semaines. Mais ce sont bien ces indicateurs – le nombre de cas par jour et la pression sur les services de réanimation – qui pourraient nous amener à différencier les modalités de réouverture selon les départements. En tout cas, jusqu’à ces derniers jours, nous enregistrons plutôt une accélération de la baisse de l’incidence et du nombre de patients en réanimation. Nous espérons que le mouvement se poursuivra.

Mme Biémouret a interrogé sur les règles sanitaires en entreprise et la bonne prise en compte des risques liés au virus. Dès que nous recevons de nouvelles informations des autorités sanitaires, systématiquement, nous consultons le Haut Conseil de la santé publique pour adapter, le cas échéant, les protocoles qui s’appliquent en entreprise.

Au mois d’août dernier, nous avons été informés d’une alerte sur la transmission par aérosol, qui nous avait conduits à imposer, dès le mois de septembre, le port du masque dans tous les espaces de travail clos et partagés et la nécessité pour les salariés de se tenir à un mètre de leurs collègues lorsque le port du masque n’était pas possible dans certaines situations.

Compte tenu des informations que nous avons reçues depuis sur la contagiosité des différents variants, cette règle de protocole sanitaire a été adaptée et a été portée à deux mètres. Autrement dit, si des salariés ne peuvent pas porter le masque, ils doivent respecter une distance de deux mètres. Telles sont les règles qui sont inscrites dans le protocole. Bien entendu, nous suivons très attentivement les éventuels clusters en entreprise. La situation est largement maîtrisée. Nous n’enregistrons que très peu de cas de contaminations en entreprise. Cela ne nous empêche pas de promouvoir le télétravail, car nous savons que le risque de relâchement existe, notamment à la pause déjeuner ou à des moments de convivialité, même s’ils ne sont pas autorisés actuellement. Tant que le taux d’incidence n’a pas fortement baissé dans notre pays, le télétravail reste donc la meilleure protection pour les salariés.

Je voudrais dire à Mme Valérie Six que nous sommes très attentifs à la situation de l’événementiel. Nous avons défini une combinaison entre les aides du ministère de l’économie et celles du ministère du travail. Nous serons amenés à faire un point d’étape au cours de l’été pour apprécier la façon dont l’activité reprend, notamment dans le secteur de l’événementiel, pour évaluer avec leurs représentants les perspectives d’activité à partir de la rentrée. C’est le sens de l’évolution des aides que nous mettons en place avec Bruno Lemaire. Les dispositifs sont d’une portée générale, même si nous avons spécifié des secteurs protégés, des secteurs relevant des activités figurant sur la liste S1 bis.

Au cours des prochains mois, nous serons très attentifs aux cas particuliers des entreprises qui connaîtraient plus de difficultés au moment de la reprise ; peut-être devrons‑nous imaginer des aides plus ciblées en faveur de certaines activités ou certains territoires. C’est tout le sens du rapport de Jean-Noël Barrot destiné à s’assurer qu’aucun territoire ne reste fragilisé par la crise.

Nous proposons de proroger le prêt de main-d’œuvre jusqu’au 31 octobre 2021. D’ici à l’été, nous tirerons le bilan de la mobilisation de cette disposition de prêt afin de déterminer la suite qui lui sera donnée. Je crois beaucoup à des ajustements au sein d’un même bassin d’emploi entre les entreprises qui connaissent des difficultés et celles qui ont des besoins de recrutement. J’ai mentionné le dispositif « Transition collective », moyennant des formations qui peuvent être un peu longues. Je pense, par exemple, au dispositif en place dans l’entreprise Derichebourg dont les emplois des agents de nettoyage sont menacés. Ils ont la possibilité d’être formés pendant quatorze mois pour être recrutés comme aides-soignants dans le groupe Korian, même si, sans doute, le dispositif est un peu lourd.

Le prêt de main-d’œuvre permet aussi des ajustements plus ponctuels et offre une formule intéressante. Nous tirerons donc le bilan de ce prêt de main-d’œuvre qui, d’une façon générale, nous conduit à promouvoir la mise en place de plateformes territoriales, où les entreprises ont l’opportunité d’échanger selon leurs besoins de recrutement et de reclassement de salariés. Nous aurons l’occasion de lancer un nouvel appel à manifestation d’intérêt pour soutenir le déploiement de ce type de plateforme de reconversion professionnelle, qui me semble essentielle.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Vous avez répondu à ma question sur le prêt de main-d’œuvre ou prêt de salariés, un dispositif de poids et assez méconnu.

Vous envisagez un bilan au 31 octobre, mais comment pourrait-on développer ce dispositif au moment où certaines aides et certains accompagnements, notamment la prise en charge du chômage partiel, auront peut-être un impact sur certaines entreprises ? Comment porter à connaissance ce dispositif trop méconnu, y compris auprès des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRRECTE) qui n’en font pas toujours la promotion ?

Ma seconde question porte sur le nécessaire investissement des entreprises en matière de purificateurs d’air et de détecteurs de CO2, qui servent à protéger les salariés et évitent la création de clusters dans les entreprises.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Ma première question concerne l’évolution des protocoles en entreprise. Nous allons devoir nous habituer à vivre dans un contexte que nous souhaitons en amélioration large et rapide ; néanmoins, nous ne savons pas quand nous reviendrons à une situation exempte de toute pandémie. Dès lors, réfléchit-on à des protocoles de veille sanitaire durables ? Nos entreprises devront-elles suivre des fiches de vigilance accrue, surveiller des indicateurs, et comment allons-nous contrôler sectoriellement les entreprises ? Une veille sectorielle est-elle prévue ? Est-elle envisageable, et dans quelles conditions ?

Ma seconde question concerne l’apprentissage. Nous allons prochainement évaluer la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. L’un des objectifs que nous nous étions donné était de permettre à cette loi de prospérer au niveau bac et infra-bac et de répondre, au sein des entreprises, à des besoins qui peinaient à être satisfaits. Aujourd’hui, si nous pouvons saluer le soutien à l’apprentissage qui a permis de maintenir un niveau de contrats d’apprentissage élevé, on note une dérive au niveau des contrats d’apprentissage qui bénéficient à des formations de niveau élevé et à des métiers qui ne correspondent pas aux besoins des entreprises. Dès lors, dans ce contexte de reprise et de relance, comment réorienter les aides au bénéfice de la relance ?

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Je voudrais soumettre à votre réflexion et surtout avoir votre avis sur la situation que j’ai soumise à votre cabinet du cas d’un auto‑entrepreneur, qui soulève des interrogations au regard des arrêtés et des dispositions prises. Quelle souplesse afficher quand on se trouve devant l’attitude assez ubuesque suivante ? Un créateur d’entreprise a bénéficié de l'aide à la création ou à la reprise d'une entreprise (ACRE) depuis plus de deux ans. Il devait lancer son activité à la Toussaint 2020, mais face à la crise de la covid, son entreprise, un gros complexe situé à proximité d’un nouveau cinéma, n’a pu ouvrir.

Cette ouverture conditionne quinze emplois, ce qui, pour une petite ville comme Pont-Audemer de 10 000 habitants, n’est pas négligeable. Il a perçu l’ACRE jusqu’au 22 octobre 2020. Les prolongations d’aides et le chômage en particulier ont pris fin le 30 octobre 2020. Cet entrepreneur, qui s’était engagé et qui a donc des charges mensuelles à payer, ne peut pas bénéficier de la prolongation de l’ACRE en raison de la carence des 8 jours. Il traverse une situation extrêmement difficile puisque l’aide exceptionnelle à la solidarité de 17 euros par jour ne lui permet pas de faire face à l’ensemble des charges fixes qui s’imposent à lui, et malgré le fait qu’il possède cette entreprise, mais qui ne peut ouvrir. Il est dans une situation morale difficile, c’est un homme en danger et il va devoir abandonner son projet dans des conditions financières extrêmement mauvaises. Face à une carence de huit jours, que fait-on ? Pour l’heure, il n’y a pas de solution.

M. Thierry Michels. Mes interrogations portent sur les mesures de soutien aux actifs salariés pendant le confinement et le devenir de ces aides et des publics ainsi soutenus pendant le déconfinement, en lien avec la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté.

Le rapport d’avril 2021 du Comité d’évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté présente les différentes stratégies et évoque très explicitement les mesures massives prises, notamment le chômage partiel, l’utilité de cette politique ainsi que la nécessité de bien organiser la sortie de crise pour éviter un glissement vers la pauvreté des populations aidées.

Comment est évaluée quantitativement la contribution de cette politique de maintien dans l’emploi de 2020 et 2021 par rapport à la politique « traditionnelle » de prévention et de lutte contre la pauvreté ? Cet apport a-t-il suscité une réflexion sur la prise en charge d’une partie des sommes nécessaires par des fonds sociaux européens ou a-t-il modifié leur prise en considération par la Commission européenne ? Peut-être en a-t-il été question hier lors du Sommet social de Porto.

Enfin, quelles sont les évolutions de la politique menée par votre ministère dans la lutte contre la pauvreté ? Envisagez-vous la sortie à terme de ces mécanismes exceptionnels mis en œuvre pendant la crise ?

Mme Claire Pitollat. Ma première question porte sur les environnements de travail après la crise. Comment prendrons-nous en compte l’arrivée d’autres virus ? Le Centre scientifique des techniques du bâtiment (CSTB) a engagé des travaux sur ce thème. Pourriez‑vous en livrer quelques éléments ?

La crise pose la question de nouvelles habitudes. Le télétravail s’est largement développé, et c’est tant mieux. Après la crise, nous allons revenir à un usage plus modéré et plus acceptable de cette formule du point de vue des relations sociales. Les salariés reviendront sur leur lieu de travail quelques jours par semaine, ce qui sera très apprécié des Français, mais cela pose la question des espaces qui seront redéfinis entre des temps de télétravail à domicile, en coworking, dans des tiers-lieux, engendrant un impact sur le foncier, les modes de déplacement ainsi que sur le numérique et notre souveraineté numérique. En effet, comment avoir un accès numérique et se protéger des attaques numériques ? Cela soulève la question de l’environnement de travail et de son impact sur la santé. Une fois encore, je me réfère aux travaux du CSTB qui portent sur une vision plus globale de l’environnement de travail, laquelle prend en compte le bruit, l’air, etc. Ma collègue Agnès Firmin Le Bodo a cité les purificateurs d’air, mais il suffit ne serait-ce que d’aérer et de ventiler. À l’occasion de l’examen du projet de loi Climat et résilience, j’ai pu intégrer au diagnostic de performance énergétique l’évaluation de la capacité d’un logement à renouveler son air, qu’il faut appliquer aux environnements de travail. Avoir des espaces ergonomiques participe également d’une amélioration. À cet égard, des agences et le CSTB proposent des labels. Prendrez-vous en compte ces travaux à l’avenir, que nous espérons proche ?

Ma seconde interrogation porte sur la vaccination. Envisagez-vous de donner la priorité à certaines catégories de salariés ? Vous avez cité les agents de nettoyage qui n’ont jamais pu s’arrêter pendant la crise et qui travaillent dans des environnements susceptibles de les exposer. Envisagez-vous de faire de ces publics une priorité ? Je pense également aux salariés de la grande distribution.

Sur mon territoire, le port de Marseille brasse de nombreux acteurs qui travaillent à l’exportation. Pensez-vous faire une priorité de ces collaborateurs à l’exportation qui pourraient rapidement retrouver leur compétitivité et vendre la « marque France » à l’international ?

Mme Catherine Fabre. Moi aussi, j’ai une priorité : faire vacciner les commerçants. En effet, ils sont fermés depuis très longtemps. S’annonce une période de vente qu’ils ne peuvent pas se permettre de manquer. Il me semble donc utile que leurs salariés soient vaccinés pour éviter tout risque de fermeture parce que l’un d’eux serait contaminé.

Ma première interrogation porte sur le dispositif « Transition collective » que vous avez largement évoqué. Il me semble très pertinent que ce dispositif réoriente des personnes vers des secteurs plus prometteurs lorsque le leur est en déclin. Comment relayer au mieux ce dispositif auprès des acteurs susceptibles de le mettre en place ? Peut-être serait-il utile de faire un premier point d’étape sur ce dispositif. Quels sont les secteurs et les acteurs qui s’en sont emparés ? Que pouvons-nous mettre en avant dans nos territoires pour le valoriser ? Quels sont les secteurs cibles qui ne s’en seraient pas encore emparés et que nous pourrions sensibiliser plus particulièrement ?

Ma seconde question porte sur les secteurs qui ont été totalement à l’arrêt : restauration, culture, événementiel. Certains étudiants ont suivi des formations en apprentissage dans ce secteur. Comment se déroule la formation pratique ? Pourront-ils valider des diplômes en commençant à travailler, éventuellement à temps plein ? J’imagine qu’ils ont suivi des formations théoriques à temps plein et qu’ils pourront peut-être valider leur stage à temps plein. Comment envisage-t-on la situation ?

Pour favoriser le boom d’embauches attendu dans ces secteurs, pourrait-on envisager de mobiliser des professionnels retraités qui souhaiteraient retravailler afin d’accompagner des apprentis et ainsi augmenter les capacités d’accueil de l’apprentissage ? C’est une idée que je souhaitais vous soumettre.  

Mme la ministre. S’agissant du prêt de main-d’œuvre, nous souhaitons en dresser un bilan d’ici au 30 juin, sans attendre le 31 octobre. Mais vous pouvez prendre, si vous le souhaitez, l’initiative d’organiser une mission flash ; ce serait une bonne idée pour évaluer ce dispositif. Nous savons que des initiatives intéressantes ont été menées dans certains secteurs, par exemple, en Bretagne, dans le secteur de l’agroalimentaire. En tout cas, il est important que nous évaluions l’apport de ce dispositif pour envisager de le pérenniser s’il s’avérait répondre aux besoins des salariés et des entreprises.

Je suis bien consciente que les purificateurs d’air et les détecteurs de CO2 sont des dispositifs recommandés dans l’éducation nationale. Jusqu’à présent, nous ne les avons pas mis en avant dans notre protocole national. Nous allons interroger le Haut Conseil de la santé publique pour déterminer si ces équipements peuvent faire l’objet d’une recommandation. Compte tenu de la saison, peut-être sera-t-il plus aisé d’aérer. Les règles sont strictes et le protocole insiste sur la nécessité d’aérer régulièrement les locaux. Cela dit, nous étudierons plus précisément ce point particulier.

Au titre des questions de santé au travail et de la veille sectorielle, nous avons agi tout au long de la crise. Dès le début, nous avons demandé aux DIRRECTE de travailler avec les agences régionales de santé (ARS) pour identifier les secteurs susceptibles d’être plus exposés et dans lesquels les risques de clusters professionnels étaient plus grands. Au début de la crise, nous avons identifié les abattoirs et, de façon générale, les métiers en lien avec la chaîne du froid car les masques résistent moins bien aux conditions thermiques. Aussi, avons‑nous été amenés à durcir les protocoles sanitaires dans ces secteurs. Nous procéderons à un nouveau bilan, plus précis, que nous vous livrerons mais, à ce stade, les DIRRECTE et les ARS ne nous font pas remonter davantage d’alertes sectorielles qui se traduiraient par un nombre de cas plus fréquents ou de secteurs qui se singulariseraient.

Nous souhaitons que les 500 000 nouveaux apprentis de l’année 2020 ne soient pas un événement exceptionnel, nous souhaitons que ces chiffres deviennent la norme, que nous continuions à progresser et à développer l’apprentissage dans notre pays car nous constatons que le dispositif de l’apprentissage permet aux jeunes de se former au plus près des besoins des entreprises et aux entreprises d’embaucher des personnes disposant des compétences requises. Par ailleurs, les jeunes découvrent ainsi le monde de l’entreprise, ce qui se révèle très favorable à l’insertion dans l’emploi. Nous continuerons donc à soutenir l’apprentissage.

La progression de 40 % que nous avons enregistrée en 2020 a tenu au développement dans l’enseignement supérieur, mais le nombre de jeunes ayant un diplôme inférieur ou égal au bac a également progressé d’environ 10 %. Nous avons prévu de travailler avec les branches professionnelles qui connaissent davantage de difficultés de recrutement, comme le bâtiment et les travaux publics notamment, ainsi qu’avec le secteur artisanal qui continue de manquer de boulangers, de bouchers et de charcutiers. Aussi, dans les semaines qui viennent, porterons-nous l’accent sur les CFA de ces métiers afin qu’ils continuent de monter en puissance.

L’enjeu doit également viser l’image de ces métiers. Lorsque je me rends dans des centres d’apprentissage, bien souvent, les jeunes me disent qu’ils ont fait ce choix malgré l’avis de leurs parents ou les conseils de leurs enseignants, ce qui prouve que nous n’avons pas achevé notre révolution culturelle sur la façon d’envisager ces métiers et les possibilités d’émancipation et de création d’entreprise qui peuvent s’offrir à un jeune qui s’engage dans les métiers de l’artisanat et du bâtiment. Il nous revient collectivement de faire évoluer leur image pour faire tomber les réticences. Au début de l’année, nous avons participé à la galette des rois avec les apprentis boulangers. Ils racontaient tous qu’ils avaient dû se battre pour suivre cette filière. J’ai discuté avec un jeune, qui d’ailleurs n’était plus tout à fait si jeune, puisqu’il avait créé son entreprise et employait dix salariés. Ce sont là des expériences épanouissantes. Or, tel n’est pas encore le regard que l’on porte sur ces secteurs.

Au titre de la formation professionnelle, je porte l’exigence que nous défendons depuis le début du quinquennat et la loi de 2018 : il nous faut adapter nos mentalités à l’idée qu’au-delà de la formation initiale, il est possible de se former tout au long de la vie. Cela permet, par exemple, lorsque l’on est salarié d’une entreprise ou d’un secteur menacé, de ne pas avoir le sentiment que le ciel vous tombe sur la tête, sachant que l’on sera accompagné et que l’on pourra rebondir et travailler dans un autre secteur. Au surplus, les jeunes doivent savoir qu’il n’est pas indispensable de poursuivre au plus loin leurs études en formation initiale dans la mesure où il est possible de se former tout au long de sa vie, de compléter sa formation par la validation des acquis de l’expérience – c’est un sujet sur lequel nous travaillons pour le rendre plus fluide – ou par la formation professionnelle, y compris en mobilisant son compte personnel de formation.

Nous devons donc continuer à travailler sur l’évolution des mentalités sur la formation, les nouvelles chances tout au long de la vie et la valorisation des métiers manuels qui offrent de très belles vies professionnelles à ceux qui s’orientent dans ces secteurs.

Je retiens la situation évoquée par Mme Tamarelle-Verhaeghe, que nous allons étudier attentivement. Nous accompagnons les demandeurs d’emploi, y compris en atténuant les effets des restrictions sanitaires et les difficultés rencontrées au cours de la crise. Ainsi, par exemple, nous prolongeons les allocations des demandeurs d’emploi depuis le mois de novembre afin que les allocataires n’arrivent pas en fin de droits : 700 000 demandeurs d’emploi ont bénéficié de cette mesure et nous avons mobilisé un montant de 2,5 milliards d’euros pour protéger les demandeurs d’emploi au cours de cette période. Je suis convaincue qu’il faut apporter une réponse à la situation que vous décrivez, qui est anormale. En ce sens, nous étudierons les solutions possibles avec Pôle emploi.

En réponse à la question de M. Michels, à laquelle nous apporterons des éléments d’information complémentaires, je dirai que nous avons tous à l’esprit le risque de fragilisation de nos concitoyens les plus modestes. Nous avons enregistré une progression de 100 000 bénéficiaires du RSA. Nous aurions pu craindre que leur nombre n’explose. Certes, si nous ne pouvons nous satisfaire de cette hausse, pour le moins, nous avons pu contenir leur augmentation grâce à la prolongation des droits quand cela s’est avéré nécessaire. Quant aux demandeurs d’emploi, l’activité partielle a permis de protéger et de sauver des centaines de milliers d’emplois.

Nous avons été particulièrement attentifs à la situation des jeunes. Nous continuons à chercher les jeunes les plus éloignés de l’emploi. Si certains se rendent spontanément à la mission locale, nous devons nous porter à la rencontre des autres, en nous appuyant sur l’ensemble des dispositifs que nous avons instaurés dans le cadre du plan d’investissement au titre des compétences, des appels à projet « 100 % inclusion », du repérage des invisibles. Nous devons aller chercher ces jeunes qui ne se présentent pas spontanément à la mission locale ou à Pôle emploi. Je pense également aux aides à l’accompagnement intensif, notamment le parcours emploi compétences (PEC) mis en place par Pôle emploi et au formidable travail réalisé par les missions locales.

Par ailleurs, la réflexion que nous menons sur la garantie jeunes universelle doit permettre d’offrir une « bannière » unique facilitant le recours aux différents dispositifs. Actuellement, la mission locale propose la garantie jeunes ou le parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie (PACEA) ; s’ajoute le réseau Information jeunesse. Le recours à ces aides passe par une myriade de dispositifs, et c’est un sujet que nous souhaitons traiter dans le cadre de la réflexion que nous menons sur la garantie jeunes universelle.

Dans le même temps, j’ai été très attentive à la situation des travailleurs précaires. J’ai évoqué la prolongation des droits des demandeurs d’emploi et la protection des salariés grâce à l’activité partielle. Nous avons également été amenés à mettre en place une aide exceptionnelle en faveur des travailleurs précaires qui, avant la crise, enchaînaient des CDD et des périodes de chômage ou accomplissaient des travaux saisonniers. Ces contrats courts ou ces travaux saisonniers ont parfois disparu en raison de la crise. Aussi avons-nous instauré une aide garantissant un revenu de 900 euros, qui a été fortement mobilisée depuis sa création au mois de novembre. C’est ainsi que près de 600 000 demandeurs d’emploi ont été soutenus grâce à cette aide. Elle était initialement prévue jusqu’à la fin mai, mais nous étudions actuellement l’éventualité de la prolonger pour accompagner la reprise de l’activité. Nous n’avons eu de cesse de compléter les dispositifs pour combler les « trous dans la raquette ». Savoir adapter nos dispositifs pour ne laisser personne de côté en cette période compliquée est un enjeu essentiel.

Madame Pittolat, les organisations syndicales et patronales ont soulevé la question des transformations durables liées à la crise, dont le télétravail fait partie. Évidemment, les personnes ne seront pas toute la semaine en télétravail. Je crois, en effet, que nous connaissons une forme d’overdose de cette formule après les mois que nous venons de vivre. Il n’en reste pas moins que cela fait partie de changements structurels qui auront des conséquences en chaîne, sur l’immobilier de bureaux et sur certaines activités. Comme je l’ai indiqué, nous accompagnons les salariés de Derichebourg car, en réduisant l’utilisation des bureaux, le télétravail a eu des conséquences sur les activités de services aux entreprises, mais cela pose aussi, par exemple, la question des modes de déplacement. En tant qu’ancienne ministre de l’écologie, je me réjouis de la réduction des émissions de gaz à effet de serre qui fait suite à la baisse des déplacements professionnels.

Il existe également des enjeux de souveraineté numérique, de cybersécurité qu’il convient de prendre en compte ainsi que des enjeux de santé au travail de divers ordres. Nous avons vu à quel point certains salariés étaient fragilisés. Près de 50 % des salariés à plein temps en télétravail nous disent souffrir d’isolement et être en difficulté psychologique. Au moment de la remobilisation des salariés, de leur retour au bureau, nous sensibiliserons les entreprises pour qu’elles envisagent un retour progressif au travail.

Au-delà, cela soulève beaucoup de questions, y compris au titre du code du travail, car les modes d’intervention et les contrôles de l’inspection du travail n’ont pas été conçus pour un monde où le lieu de vie privée se confond avec le lieu de travail. Il nous appartient, par conséquent, d’engager une réflexion à ce sujet. Les partenaires sociaux y sont très favorables. Les thèmes de concertation dont nous sommes convenus avec eux portent sur la sortie de crise, les réouvertures et les aides à mettre en place, une étape qui est déjà bien avancée. Parallèlement, nous nous attachons aux secteurs les plus fragilisés qui nécessiteront des aides plus ciblées. De façon générale, nous prendrons en compte les transformations liées à la crise et à la façon de les accompagner. Les nouvelles pratiques supposent de revoir le droit du travail et de la santé au travail.

Pour ce qui est de la vaccination, notre priorité consiste à accompagner la montée en puissance des services de santé au travail qui se sont rodés depuis le mois de mars et qui passeront à une nouvelle étape avec l’élargissement des cibles de vaccination qui soulèvent des défis logistiques d’importance. Je pense au vaccin Pfizer qui se conserve à très basse température et qui nécessite que les services de santé au travail s’équipent. C’est la raison pour laquelle nous avons instauré des services de santé au travail pilotes pour tester cette capacité à assurer la chaîne de conservation des vaccins.

Nous souhaitons mobiliser très largement les services de santé au travail. Avec Laurent Pietraszewski, nous nous sommes rendus dans celui de l’entreprise Safran. Il est frappant de voir à quel point les services de santé au travail peuvent accélérer la vaccination en raison de la relation de confiance qui existe entre les salariés et les médecins du travail qu’ils ont l’habitude de rencontrer. Au surplus, on constate une émulation entre collègues de travail, qui peuvent partager, même s’ils sont en télétravail, au cours des différents Zoom de la journée, leur expérience de la vaccination. Je compte grandement sur cette mobilisation des services de santé au travail.

L’accent est largement porté l’accent sur les entreprises qui emploient des travailleurs de la deuxième ligne, telles que Suez et Veolia, que l’on souhaite voir se saisir de cette possibilité d’accélérer la vaccination parallèlement à la possibilité que nous avons offerte à certains métiers de vacciner leurs salariés. Bien sûr, arrêter une liste de métiers bénéficiant d’un accès facilité à la vaccination est toujours discutable. Cela dit, nous nous sommes fondés sur les travailleurs de la deuxième ligne et nous travaillons depuis des mois avec les partenaires sociaux pour arrêter ces listes. Ainsi que cela a été indiqué par plusieurs d’entre vous, il importe que les salariés qui, tout au long de la crise, ont été présents physiquement au travail, alors que d’autres étaient en télétravail, bénéficient d’un accès facilité à la vaccination. Mais le plus rapidement possible, nous allons passer à la vaccination de la population générale. La meilleure chose est que tous les Français, les salariés en particulier, y accèdent au plus tôt.

S’agissant de la transition collective, peut-être referons-nous un point plus précis sur les différentes démarches menées au sein des territoires. Le secteur du soin s’est emparé du dispositif, car les difficultés et les besoins de recrutement sont tels, que s’offre à lui une opportunité d’accélérer les recrutements. Réciproquement, les secteurs qui ont besoin de trouver des débouchés à leurs salariés pourront s’en saisir. Même si la filière de l’automobile ne s’en est pas encore entièrement saisie jusqu’à présent, je pense qu’elle sera fortement concernée. Avec Bruno Lemaire, nous avons d’ailleurs eu l’occasion d’échanger largement avec cette filière ces dernières semaines, un travail qui me semble intéressant. Il est certain que la transition écologique soulève des défis considérables dans le secteur.

Cela dit, les informations qui remontent de nos plateformes territoriales de transition professionnelle font ressortir une variété de secteurs. Après avoir affiné nos analyses, nous aurons l’occasion de partager avec vous la mise en œuvre du dispositif de transition collective, auquel je crois beaucoup. Dans l’esprit de ce que nous avons évoqué à propos de l’apprentissage, de la formation tout au long de la vie, je pense que c’est un dispositif qui demeurera après la crise car il est nécessaire de jeter des passerelles entre les métiers, tout au long de la vie, pour des salariés dont les emplois seraient susceptibles d’être menacés.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Madame la ministre, votre semaine a été extrêmement chargée ; nous vous remercions d’autant plus de vous être prêtée à cet exercice comme de vos réponses très utiles.

 

La séance s’achève à dix-sept heures vingt-cinq.