Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

Audition, à huis clos, du général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre, sur le projet de loi de finances pour 2021.

 


Jeudi
15 octobre 2020

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 13

session ordinaire de 2020-2021

 

Présidence de
Mme Françoise Dumas, présidente


 


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La séance est ouverte à onze heures trente.

 

Mme la présidente Françoise Dumas. Mes chers collègues, nous poursuivons notre cycle d’auditions budgétaires pour évoquer les ressources allouées à l’armée de Terre dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2021. Nous entendons ce matin le général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT).

 

Général, cette année encore, la loi de programmation militaire (LPM) est pleinement respectée et vos ressources s’accroissent, en particulier au profit de l’effort de régénération des matériels. Vous évoquerez certainement les livraisons d’équipements dont l’armée de Terre a bénéficié cette année et qui ont fait l’objet d’une démonstration éclatante lors de la présentation des capacités de l’armée de Terre (PCAT) à Satory, le 8 octobre dernier. Je regrette de ne pas avoir pu m’y rendre et j’invite tous les collègues à retrouver cet événement sur les réseaux sociaux. L’exercice, très bien scénarisé, offrait une immersion particulièrement réaliste dans les opérations des forces terrestres, passées et à venir. Je me félicite qu’en dépit de la crise sanitaire, les industriels, et notamment Nexter, se soient mobilisés pour que les livraisons puissent se dérouler comme prévu. Général, nous attendons également vos appréciations sur le déroulé des contrats de maintenance aéronautique externalisée qui ont considérablement amélioré la disponibilité technique des hélicoptères et représentent un investissement important.

 

Cela étant dit, aucune opération ne peut se dérouler sans hommes et femmes. Bien que la force opérationnelle terrestre (FOT) ait atteint son niveau cible de 77 000 soldats, l’armée de Terre continue à recruter et à former plus de 15 000 recrues par an. En 2021, pour compenser le retard pris du fait de la crise sanitaire, votre objectif sera porté à 16 000 personnes. Nous aimerions également connaître les mesures mises en œuvre directement par l’armée de Terre pour fidéliser son personnel et garder ses compétences clés, en plus des grandes réformes poursuivies par le ministère des Armées dans son ensemble. Je pense notamment à la nouvelle politique de rémunération des militaires ou à la prime de lien au service (PLS).

 

Le rythme des opérations reste intense ; vous nous en direz un mot. Mais je vous sais surtout préoccupé par votre niveau de préparation opérationnelle qui semble en deçà des attentes que vous avez formulées dans la vision stratégique dont vous nous avez offert la primeur, en mai dernier. Une armée de Terre « durcie » doit s’entraîner, or vous semblez rencontrer des difficultés à atteindre vos objectifs, alors même que les ressources qui vous sont allouées pour ce faire augmentent. J’espère que vous parviendrez à nous l’expliquer et à nous indiquer comment sortir par le haut de cette situation pour le moins paradoxale.

 

Général, je vous laisse la parole.

 

Général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de Terre. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, c’est toujours un honneur d’être invité par votre commission et c’est un grand plaisir de me retrouver parmi vous pour vous faire, dans le cadre du PLF pour 2021, un point de situation sur l’armée de Terre et répondre à vos questions.

 

Lors de ma dernière audition, je vous ai présenté ma vision stratégique de l’armée de Terre. Je vous ai alors expliqué que le point de départ de nos travaux était le constat d’un monde très instable, où la frontière entre la paix et la guerre semble se réduire ; elle devient, en tout cas, de plus en plus difficile à percevoir. Malheureusement, les crises que nous avons pu observer cet été me confortent dans cette analyse d’un environnement marqué par les nombreuses sources de déstabilisation sécuritaire aux portes même de l’Europe. Les affrontements entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, à quatre heures de vol de Paris, illustrent un emploi désinhibé de la force, l’engagement de moyens lourds et modernes, l’implication probable de puissances étrangères et le risque d’escalade.

 

Dans cet environnement instable et très volatile, l’armée de Terre est entièrement immergée. Ce sont les opérations en bande sahélo-saharienne (BSS) qui se sont poursuivies tout l’été, avec des résultats significatifs contre les groupes armés terroristes (GAT), mais aussi avec des soldats tués et blessés dans nos rangs et parmi nos alliés du G5 Sahel. Je leur rends ici hommage. Au Liban, un bataillon du génie renforcé a été engagé en quelques jours et sans préavis, pour aider au déblaiement du port de Beyrouth. Enfin, nos unités ont été déployées dans le Gard et les Alpes-Maritimes pour porter assistance aux populations.

 

Ce rythme opérationnel, très exigeant, apporte une expérience indéniable à l’armée de Terre, qui est engagée comme aucune autre armée de Terre en Europe. Heureusement, nous bénéficions d’un soutien national et politique extrêmement fort – soutien dont la loi de programmation militaire est la parfaite illustration. C’est à porter à votre crédit et je vous en remercie sincèrement.

 

Nos régiments bénéficient des effets de la LPM tous les jours, de manière très concrète, et cet effort doit se poursuivre.

 

Quand j’explique que nous avons la chance de bénéficier du triptyque « soutien national, moyens financiers et missions opérationnelles », certains peuvent penser que, finalement, tout va bien dans l’armée de Terre. Oui, beaucoup de choses vont bien. Elle bénéficie d’une forte dynamique de réparation et de modernisation, nos soldats ont le sourire et le moral. Je pense que vous le constatez également quand vous les rencontrez, que ce soit dans les garnisons, lors de la présentation des capacités de l’armée de Terre ou sur les théâtres d’opérations.

 

Toutefois, au vu de notre environnement, je ne peux pas me laisser aller à l’autosatisfaction. La réalité, c’est que durant ces dernières décennies, nous avons eu l’opportunité de maîtriser l’intensité de nos opérations. Nous avons calibré nos engagements militaires sur les ressources que nous voulions bien y engager. Depuis plus de dix ans, nos combats sont à la fois plus exigeants et très durs et, militairement parlant, nous obtenons de très bons résultats.

 

Mais nous agissons sur un segment réduit des conflits : la stabilisation, avec l’opération Daman au Liban, la prévention, avec la mission Lynx, et nous menons un combat asymétrique contre un terrorisme militarisé avec l’opération Barkhane au Mali et l’opération Chammal contre l’État islamique. Il convient donc d’être réalistes : nous ne sommes pas, aujourd’hui, confrontés à des engagements majeurs sur des théâtres de guerre nécessitant le déploiement et le soutien d’un dispositif terrestre massif et des ressources humaines et matérielles importantes.

Or, de nombreux signaux indiquent que nous entrons dans un nouveau cycle de conflictualité, où nous devons prendre en compte des menaces plus dures : menaces aériennes, tirs d’artillerie, frappes de précision dans la profondeur, brouillages, cyberattaques et guerre informationnelle de grande ampleur.

 

Aujourd’hui, sur nos théâtres d’opérations, nous pouvons évacuer nos blessés sans nous soucier de la question de la supériorité aérienne ; elle nous est acquise. Nous pouvons aussi communiquer entre nous sans grande crainte d’être écoutés, brouillés ou leurrés. Nos installations à l’arrière ne sont globalement pas menacées. Mais, face à des adversaires de plus en plus puissants, nous devons nous préparer à l’inconfort opérationnel. C’est d’ailleurs la mission que l’Exécutif a fixée aux armées avec le Livre blanc de 2013 et la revue stratégique de 2017.

 

Face à l’augmentation quantitative et qualitative du niveau de menace que nous observons dans le monde, il convient à la fois d’être capables d’imposer sa volonté, mais aussi et d’abord d’être le plus dissuasif possible. Pour ce faire, nous devons poursuivre notre modernisation en profondeur, tant dans nos capacités que dans notre doctrine, pour surclasser nos adversaires.

 

Une armée de Terre dissuasive, c’est une armée qui doit changer d’échelle. Changement d’échelle dans le volume des forces que nous devons être capables de déployer lors de nos entraînements, nos exercices et nos opérations ; changement d’échelle dans le niveau des unités qui sont engagées ; changement d’échelle dans les menaces à prendre en compte ; et donc, changement d’échelle dans nos entraînements. Ce changement d’échelle dans nos entraînements est l’effort que je dois accomplir dans les mois et les années à venir. Modernisation et changement d’échelle dans nos entraînements, c’est ce que permet la LPM ; elle doit être respectée.

 

J’évoquerai trois points : la modernisation de l’armée de Terre au travers de l’exécution de la LPM ; la nécessité de changer d’échelle dans nos entraînements ; les conditions de réalisation de cet entraînement.

 

D’abord, la modernisation de l’armée de Terre. Une armée de Terre « durcie » implique tout d’abord de poursuivre notre transformation capacitaire. Le programme le plus emblématique est le programme Scorpion. Nous avons reçu, en 2019, 92 véhicules blindés Griffon ; 128 sont prévus pour 2020 et 119 pour 2021. Je rappelle que la cible est de 1 872 Griffon d’ici à 2033.

 

Aujourd’hui, quatre régiments ont ainsi réceptionné une dotation initiale, comprise entre 19 et 26 Griffon, et sont actuellement en phase d’appropriation. Pour mémoire, un régiment totalement « Scorpionnisé », ce sont quatre compagnies de combat, avec 20 Griffon chacune et un certain nombre de Griffon d’environnement. Nous sommes donc bien au début de la « Scorpionnisation » et de la modernisation de l’armée de Terre.

 

À la date du 30 septembre 2020, nous avons perçu un total de 143 Griffon – 92 au titre de l’année 2019, et 51 sur les 128 planifiés au titre de l’année 2020. Je sais que la DGA, Nexter, Arquus et Thales font le maximum pour respecter les délais de livraison. Le non-respect des livraisons n’a rien d’anodin : quand il manque 20 Griffon, c’est une compagnie qui n’est pas « Scorpionnisée » dans les délais.

Par ailleurs, quatre véhicules blindés légers Jaguar devaient être livrés en 2020, et 16 en 2021. Je comprends que les livraisons de 2020 ne pourront pas être effectuées, étant donné les circonstances, mais cela reste regrettable. La cible finale est de 300 Jaguar. Ce véhicule blindé doit équiper, d’ici à dix ans, les régiments de cavalerie ; il offre une capacité très supérieure d’observation, d’agression et de mobilité par rapport à l’actuel AMX‑10RC.

 

La livraison des Griffon et des Jaguar n’est que la partie la plus visible de Scorpion. Ce programme repose surtout sur l’info-valorisation, grâce au Système d’information du combat Scorpion (SICS), logiciel unique au sein du groupement tactique interarmes (GTIA) qui sera couplé au nouveau poste radio Communications numériques tactiques et de théâtre (CONTACT) qui doit être installé dans tous nos véhicules. Les véhicules de la gamme Scorpion sont nativement équipés de ce système, mais nous en équipons aussi les véhicules de l’ancienne génération, notamment les véhicules de l’avant blindés (VAB), les véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI) ou le char Leclerc, en attendant leur phase de modernisation. Ces nouveaux équipements permettront à l’armée de Terre de travailler de manière info-valorisée.

 

La modernisation ne se limite pas aux grands programmes, puisque l’armée de Terre renouvelle également les équipements du combattant. La performance comme la protection du soldat reposent en grande partie sur les équipements individuels. En 2021, la livraison des gilets pare-balles se poursuivra. Ils sont désormais attribués à titre individuel ; 5 300 structures modulaires balistiques (SMB) seront livrées en régiments. Posséder son propre gilet SMB est très apprécié de nos soldats.

 

Nos hommes commencent également à être dotés, par exemple, de nouvelles jumelles de vision nocturne O-NYX, ce qui augmente très sensiblement, au niveau individuel, notre capacité à conduire des opérations même dans des conditions de nuit les plus défavorables ; il s’agit d’un facteur de supériorité important.

 

Le segment « drones » monte également en puissance, avec une première étape autour du Système de mini-drones de reconnaissance (SMDR). En 2021, quarante-cinq SMDR devraient nous être livrés. L’engagement de ce système en opérations extérieures (OPEX) est prévu au plus tôt ; il s’agit de remplacer le Drone de renseignement au contact (DRAC) qui ne peut plus être utilisé dans des conditions satisfaisantes. Il s’agit là aussi d’un réel changement d’échelle, puisque, en termes de portée, nous passons, avec le SMDR, de dix à trente kilomètres et d’une heure à deux heures et demie en termes d’autonomie.

 

S’agissant de la livraison des équipements, vous pouvez aisément mesurer la satisfaction de nos soldats quand vous visitez nos unités. Bien entendu, il y a toujours des impatients, notamment parce que chaque soldat souhaite profiter rapidement des nouveaux matériels. Nous souhaiterions que les équipements arrivent plus vite, en plus grand nombre, mais tout cela est assez normal, d’autant que nos soldats n’ont pas toujours assez de recul pour apprécier ces évolutions. Ils ne se rendent pas compte à quel point la silhouette du soldat français a évolué depuis 2010. Mais leur impatience prouve que nos soldats aiment leur métier et souhaitent l’exercer dans les meilleures conditions possibles.

 

J’évoquerai à présent les entraînements.

 

Je rappellerai tout d’abord ce qu’est un entraînement. Je vous invite à regarder la planche « Entraînements drill » qui vous a été fournie. Vous y verrez les savoir-faire et les compétences qu’un soldat doit maîtriser dans le domaine tactique pour exercer son métier. Un chef, lui, doit non seulement maîtriser les savoir-faire de ses subordonnés, mais également acquérir de nouvelles compétences. Sur le champ de bataille, où l’armée de Terre combat de manière très décentralisée, mais coordonnée et combinée, chaque soldat détient une partie de l’issue du combat. Il détient aussi entre ses mains, dans sa maîtrise des savoir-faire tactiques, sa capacité à survivre.

 

La LPM reconnaît l’importance de l’entraînement : c’est la raison pour laquelle, pour la première fois, elle a fixé des normes d’entraînement pour l’armée de Terre. Un entraînement se décompose en plusieurs volets.

 

C’est d’abord une question de quantité. Il faut consacrer du temps pour acquérir et maîtriser les savoir-faire ; c’est ce que nous appelons le drill. Il nous permet, sous le feu de l’ennemi, ou simplement quand il fait froid et que nous sommes fatigués, d’exécuter presque de manière réflexe les gestes qui permettent de gagner.

 

C’est, ensuite, une question de qualité, au travers du réalisme de nos mises en situation. S’entraîner en salle avec un simulateur ou sur le terrain dans le froid ne prépare pas une unité ou un soldat dans les mêmes conditions. Chaque méthode a ses avantages et ses inconvénients et nous combinons les deux.

 

Enfin, l’entraînement se joue à deux niveaux, individuel et collectif. Je viens de vous parler du niveau individuel ; il doit être maîtrisé avant de passer à l’entraînement collectif. Celui-ci est le niveau d’entraînement indispensable pour être engagé au combat et produire un effet sur l’ennemi, pour imposer sa volonté et tirer la pleine mesure des matériels dont nous sommes dotés. C’est la raison pour laquelle l’armée de Terre est organisée en groupes de combat, en sections ou en pelotons, en compagnies ou en escadrons, en régiments, en brigades et en divisions. C’est vrai lorsque nous sommes engagés en opération dans la BSS, même contre un ennemi asymétrique. Mais c’est encore plus vrai dans des opérations de haute intensité.

 

J’ai tenté de représenter au moins une partie des fonctions opérationnelles qui doivent coordonner et combiner leurs actions pour combattre un ennemi asymétrique dans un conflit de haute intensité. Au centre, la carte représente une manœuvre de niveau division, avec des brigades de différentes nationalités. Autour apparaissent une partie des fonctions à mettre en œuvre, à réaliser ensemble, à partir des plus bas échelons, pour pouvoir conduire cette manœuvre. L’armée de Terre combat de manière décentralisée, mais nécessairement combinée. La victoire est pour celui qui manœuvre plus vite et mieux que l’autre. C’est complexe et cela demande beaucoup d’efforts d’entraînement.

 

C’est également la raison pour laquelle l’armée de Terre, face à de nouvelles menaces, doit changer d’échelle dans ses entraînements. Nous devons reprendre le chemin des grands exercices permettant de déployer et de faire jouer l’ensemble des moyens sur le terrain. Changer d’échelle, c’est être capables, à intervalle régulier, d’entraîner la division et ses brigades avec leurs hommes et leurs engins, qui manœuvrent réellement. C’est le seul moyen de s’entraîner et d’approcher la friction du combat.

Ces exercices concourent à deux objectifs. D’abord, à disposer d’unités entraînées, capables de s’engager et de vaincre un ennemi menaçant nos intérêts, quel que soit le niveau de rapport de forces qu’il a choisi. Ensuite, à afficher une posture dissuasive, à même de faire renoncer nos compétiteurs avant qu’ils ne deviennent nos ennemis. Une meilleure intégration de la guerre informationnelle constitue par ailleurs une évidence avec la maîtrise de la communication stratégique.

 

Vous l’aurez compris, changer d’échelle dans nos entraînements, c’est le défi qui est aujourd’hui posé à l’armée de Terre. C’est l’objectif fixé dans la LPM et qui est décliné dans la vision stratégique.

 

Je terminerai cette présentation en vous exposant les conditions nécessaires pour réussir notre changement d’échelle dans l’entraînement. Quatre conditions sont regroupées sur la dernière planche de la présentation.

 

Premièrement, disposer de soldats recrutés, formés, équipés et disponibles. Recruter de jeunes Français prêts à s’engager pour leur pays est le premier défi de l’armée de Terre. Nous y arrivons aujourd’hui, ce qui n’est pas toujours le cas chez nos voisins. Une fois le soldat recruté, nous devons le former, l’équiper et l’entraîner au niveau individuel. Il convient aussi de le fidéliser, car il s’agit d’un processus qui demande du temps, de l’énergie et des moyens.

 

Deuxièmement, disposer de munitions. Si nous n’avons pas de souci majeur en ce qui concerne les munitions de petit calibre pour l’entraînement, nous manquons de munitions de gros calibre et de nouvelle génération pour conduire un entraînement de haute intensité. Cela s’explique, non seulement par une technologie croissante, et souvent coûteuse, mais également parce que la mise en place de nouvelles munitions ne les rend pas disponibles pour l’entraînement – il convient, avant, de constituer et de gérer les stocks.

 

Troisièmement, disposer d’infrastructures opérationnelles adaptées et performantes. Pour nous entraîner, nous modernisons nos camps nationaux, tels que le Centre d’entraînement aux actions en zone urbaine (CENZUB) et le Centre d’entraînement au combat (CENTAC), afin de renforcer le réalisme des combats. Le système de simulation du programme Centre d’entraînement représentatif des espaces de bataille et de restitution des engagements (CERBERE) est en cours de déploiement, aujourd’hui au CENZUB, demain au CENTAC.

 

Quatrièmement, garantir le potentiel d’entraînement de nos engins. Impossible de s’entraîner au bon niveau si les matériels majeurs ne sont pas opérationnels, c’est-à-dire disponibles et avec suffisamment de potentiel. C’est donc tout le rôle du maintien en condition opérationnelle qui est un préalable à l’entraînement. Je note d’ailleurs avec intérêt que Mme Sereine Mauborgne étudie cette question ; je l’en remercie. Les résultats de ses travaux nous seront extrêmement précieux.

 

Pour l’entraînement, la trajectoire croissante des ressources de l’armée de Terre en LPM avait notamment pour objectif de rehausser le niveau de préparation opérationnelle. C’est la raison pour laquelle la LPM avait fixé des normes. Il est par exemple prévu qu’en fin de LPM, nos équipages Leclerc fassent un minimum de 115 heures d’entraînement par an sur leur char. Aujourd’hui, nous sommes encore assez loin de cet objectif.

Nous étions censés nous diriger vers 93 % des normes LPM réalisées en 2025 ; actuellement, nous sommes entre 55 et 60 % et je n’entrevois pas d’amélioration à court terme. Dans le domaine de l’aéromobilité, nous n’avons pas pu aller au-delà du seuil des 140 heures, qui est le seuil minimal requis.

 

Vous le comprenez, j’en suis certain, c’est pour moi une préoccupation forte. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de l’actualisation, mon effort principal sera d’assurer que la modernisation de nos capacités et celle de nos entraînements progressent de concert et en cohérence.

 

Je finirai cet exposé en citant la LPM : « L’atteinte d’un modèle d’armée à la hauteur de nos ambitions et soutenable dans la durée est un enjeu majeur de la loi de programmation militaire qui repose sur la consolidation de l’activité, gage d’efficacité des forces en opérations. ». Vous l’avez compris, ma responsabilité est d’utiliser au mieux les moyens qui me sont donnés pour disposer d’une armée de Terre qui soit capable de remplir les missions que le CEMA lui fixe. Dans ce cadre, l’entraînement des soldats de l’armée de Terre est une priorité.

 

Et il est aujourd’hui indispensable de changer d’échelle. D’une part, parce que nous n’avons pas le droit d’envoyer nos soldats au combat s’ils ne sont pas préparés le mieux possible. D’autre part, parce qu’un entraînement de haut niveau et de qualité est un facteur puissant de fidélisation. Notre capacité à faire face doit être à la hauteur des investissements financiers consentis en LPM par les Français.

 

Mme la présidente Françoise Dumas. Je vous remercie, général. Je vais sans tarder donner la parole orateurs des groupes. Mme Sereine Mauborgne, rapporteure pour avis du budget de l’armée de Terre, ne semblant pas connectée, je lui donnerai la parole après.

 

Mme Marianne Dubois. Général, nous connaissons tous le service militaire volontaire (SMV), grâce auquel nos militaires accompagnent et remettent à niveau des jeunes très éloignés de notre société, avec un taux de 72 % de réussite. Il me semble que c’est ce qui a inspiré notre garde des Sceaux, la semaine dernière, lorsqu’il s’est dit favorable à l’encadrement militaire de certains mineurs ou jeunes majeurs délinquants. Que pouvez-vous nous dire sur ce sujet ?

 

M. Jean-Charles Larsonneur. Je vous remercie pour votre exposé, général, ainsi que pour votre présentation des capacités de l’armée de Terre de la semaine dernière, à laquelle j’ai eu la chance d’assister. Vous êtes intervenu devant un char Leclerc : je souhaite que sa modernisation se déroule dans de bonnes conditions, non seulement dans le sens d’une « Scorpionnisation », mais aussi d’une remise à niveau de ses moteurs et de ses viseurs, qui sont des éléments indispensables.

 

Je souhaite vous interroger sur les crédits du titre 2, relatif au recrutement dans les forces, qui a été largement interrompu par la crise sanitaire. Des mesures législatives ont été adoptées au mois de mai pour résoudre le problème. Nous avions alors estimé que le ralentissement des flux de recrutement allait se traduire par un déficit de 4 000 militaires, dont 3 800 pour l’armée de Terre, de mars à juin. Ces mesures ont-elles produit leur effet ? Avons-nous rattrapé ce retard de recrutement ?

 

En outre, l’attrition demeure un sujet de préoccupation majeur, notamment chez les sous-officiers, les soldats du rang et pour les compétences rares. Les réformes pour raisons médicales m’inquiètent également. Mon collègue Thomas Gassilloud, qui n’a pu être présent aujourd’hui, estime que l’équivalent d’un régiment entier a été réformé en 2019 pour ces motifs.

 

Devons-nous nous attendre, cette année encore, à une sous-consommation des crédits du titre 2 ? Les mesures de fidélisation du ministère ont-elles produit leurs effets ? Qu’en est-il de la sélectivité pour les militaires du rang et des sous-officiers ?

 

M. Alexis Corbière. Général, je souhaiterais vous interroger sur la crise difficile que traversent les armées du fait de la pandémie. S’agissant du recrutement, des mesures ont été adoptées cet été en vue de prolonger l’engagement des sous-officiers expérimentés. Disposez-vous d’un premier bilan de leurs effets ? Elles devaient permettre à des militaires qui auraient dû être radiés entre le 24 mars 2020 et le 10 janvier 2021 de prolonger leur engagement pour une année supplémentaire, dans l’attente de recrutements.

 

M. André Chassaigne. Général, vous avez rappelé qu’il est impératif de doter les armées de moyens pour qu’elles exercent leurs missions de manière durable et soutenable et pour que chaque militaire dispose des moyens nécessaires à sa préparation opérationnelle. Il s’agit de garantir à chaque militaire une dotation en équipement individuel. J’ai rendu, avec mon collègue Jean-Pierre Cubertafon un rapport sur les petits équipements, dans lequel nous faisons certains constats pouvant compliquer cet objectif. Par exemple, les unités qui partent chacune leur tour en OPEX ne sont dotées que progressivement, de façon uniforme, de matériels renouvelés ; de sorte que la préparation pour le départ en OPEX peut s’avérer très compliquée.

 

Je citerai quelques exemples des matériels concernés : des systèmes de visée, qui peuvent allier optique et électronique – on parle de systèmes optroniques ; des jumelles de vision – dont certaines datent de la Seconde Guerre mondiale ; des moyens de communication pour les soldats sur le terrain ; le programme d’équipement de guidage laser, dont l’armée de Terre ne possède que 20 exemplaires, alors que 120 équipes sont formées à son utilisation ; des radars tactiques, dont une vingtaine seront hors service dans les prochaines années, alors que seuls cinq nouveaux radars seront livrés d’ici à 2025 ; ou encore les systèmes d’information, avec un risque de rupture de numérisation.

 

Comment parvenez-vous à gérer ces difficultés au jour le jour, à pallier ces carences ?

 

Mme Josy Poueyto. Ma question, à laquelle j’associe mon collègue Jean-Pierre Cubertafon, porte sur la réserve opérationnelle de l’armée de Terre. Lors de la présentation de votre vision stratégique, vous nous aviez annoncé de grandes ambitions pour la réserve opérationnelle, visant à la rapprocher toujours plus des forces d’active, en vue de renforcer la masse dont nos armées ont besoin. Le groupe Mouvement Démocrate et Démocrates apparentés s’en félicite d’autant plus qu’il avait défendu cet objectif dans le rapport annexé à la LPM : nous voyons ici sa traduction. Pouvez-vous nous expliquer comment vous comptez atteindre cet objectif ambitieux pour les réserves ?

 

De manière plus générale, pouvez-vous nous rappeler votre objectif de recrutement pour cette année, ainsi que les moyens pour l’atteindre ?

Je souhaitais également vous interpeller sur le budget de la réserve opérationnelle en fin de gestion. Plusieurs rapports pointent le fait que celle-ci n’utilise en général pas l’ensemble de son budget, du fait même du processus de gestion. Est-ce toujours le cas ?

 

Enfin, il nous a été rapporté que certaines unités étaient de plus en plus ralenties ou empêchées de renouveler en cours d’année les engagements à servir dans la réserve (ESR) au-delà de trente jours, sans pour autant pouvoir mobiliser des personnels à moins de trente jours, faute de volontariat. Pensez-vous qu’une gestion plus souple de ces contrats est envisageable ?

 

Mme Sereine Mauborgne, rapporteure pour avis du budget de l’armée de Terre. Général, vous avez rappelé le haut niveau d’engagement de l’armée de Terre, son rythme opérationnel et les opérations exceptionnelles qui se succèdent, l’une chassant l’autre, comme Résilience ou Amitié au Liban.

 

Quelle est votre vision de la préparation opérationnelle dans ce contexte, et compte tenu du risque d’un conflit de haute intensité tel que vous l’avez décrit dans votre vision stratégique ? L’opération Sentinelle est-elle soutenable d’ici la fin de la LPM 2019-2025, alors que votre objectif doit être de passer de 56 à 95 % de réalisation des normes d’entraînement fixées par la LPM, comme l’a confirmé le chef d’état-major de l’armée (CEMA) lors de l’audition précédente ?

 

Général Thierry Burkhard. S’agissant de l’opération Sentinelle, vous le savez, Madame Mauborgne, les opérations ne se programment pas. Et la priorité, c’est les opérations. Lorsque l’opération Amitié se déclenche, nous ne nous disons pas qu’elle va perturber les entraînements et que nous ne pouvons pas l’accepter. Quand il faut porter secours aux populations, nous le faisons. Quand il faut conduire l’opération Résilience, nous le faisons. C’est tout à fait normal. L’opération Sentinelle, qui vise à protéger les Français, est indispensable, et l’armée de Terre est fière de s’y engager.

 

Cela étant, nous devons être capables de maîtriser notre engagement opérationnel, de faire « respirer » nos opérations. L’opération Amitié est un bon exemple : nous avons réagi très vite, nous avons produit des effets très vite et nous nous sommes désengagés dès que d’autres ont été capables de prendre le relais. C’est ce que nous faisons également lorsque nous portons assistance aux populations dans l’urgence ; dans le Gard comme dans les Alpes-Maritimes, nous commençons à nous désengager, maintenant que des moyens civils de l’État prennent le relais.

 

S’agissant de l’opération Sentinelle, même s’il ne m’appartient pas d’évaluer la menace terroriste, il me semble qu’elle a considérablement évolué. Nous ne sommes plus aujourd’hui face à la menace d’un terrorisme avec des armes de guerre face à laquelle, à l’époque, les forces de sécurité intérieure pouvaient être relativement démunies. Par ailleurs, elles ont bénéficié, elles aussi, d’un effort important sur le plan des ressources humaines et sur le plan financier. Elles ont gagné en performance et sont désormais capables de prévenir les attaques terroristes, plutôt que de les subir et d’y réagir.

 

Nous devons effectivement nous poser la question de l’évolution de l’opération Sentinelle. Nous pourrions diminuer l’empreinte de l’engagement, à savoir le nombre de soldats mobilisés en permanence et, en contrepartie, augmenter la réactivité des forces terrestres pour qu’elles soient en mesure de s’engager partout sur le territoire national en cas d’événement. Cette réactivité est déjà en train de se mettre en place dans l’armée de Terre, où des sections de chaque unité sont placées en alerte pour une durée pouvant aller de six à soixante-douze heures, selon leur localisation. Elles sont en mesure de réagir en cas d’attaque terroriste pour appuyer les forces de sécurité intérieure, sur réquisition, mais également en cas d’urgence météorologique, comme dans le Gard et les Alpes-Maritimes. L’opération Sentinelle pourrait effectivement gagner en réactivité et en capacité : je suis d’accord avec vous sur ce point, Madame la députée. Il serait peut-être temps de la faire évoluer, en diminuant son empreinte et en augmentant sa réactivité.

 

Madame Dubois, le SMV permet effectivement à 72 % des jeunes qu’il accueille de se réinsérer. Une telle réussite illustre bien l’engagement et l’implication de l’armée de Terre au profit de notre jeunesse. L’armée de Terre est bien consciente de son rôle en ce domaine. J’ai entendu, comme vous, les déclarations du garde des Sceaux qui imagine que l’armée pourra, demain, encadrer des jeunes délinquants. Ne confondons pas tout : nos soldats ne sont pas des délinquants. Il s’agit de jeunes Français et Françaises qui ont choisi de s’engager pour défendre leur pays, ce qui n’est pas la voie de la facilité. Le lien qui lie tous les membres de l’armée de Terre est le code d’honneur du soldat, qui vous a d’ailleurs été transmis. Ce n’est pas parce que les armées donnent l’image d’un groupe qui fonctionne bien, avec une vraie cohésion et une relation très forte de l’ensemble de ses membres, que nous pouvons transposer son fonctionnement aux jeunes délinquants. Je le répète, seuls des volontaires s’engagent dans les armées.

 

Madame Poueyto, vous m’avez interrogé sur la réserve opérationnelle et sur ce que prévoit, à son sujet, la vision stratégique. Premièrement, il convient de simplifier son fonctionnement d’un point de vue administratif. Deuxièmement, il faut réfléchir à la façon dont elle pourrait être impliquée dans une armée de Terre qui s’engagerait en opération de haute intensité. Il faut une étude sur cette question, car je n’ai pas la réponse. Je vois au moins trois hypothèses : soit la réserve ne change pas et continue à être utilisée en appui de la sécurisation ; soit elle assume des missions de protection et de défense face à un ennemi extérieur qui menacerait nos sites, ce qui nécessiterait un niveau de préparation supérieur ; soit, enfin, on considère qu’il faut des unités de réserve capables de s’engager en haute intensité, en renforcement direct des unités d’active. Dans un tel cas, des batteries d’artillerie pourront-elles être armées par des réservistes ? Des escadrons de transport pourront-ils être armés par des réservistes ? Des escadrons de reconnaissance et d’investigation pourront-ils être armés par des réservistes ? Mais s’il est décidé d’armer des batteries d’artillerie avec des réservistes, par exemple, il conviendra de les équiper en canons et en obus, de les former et de les entraîner ; tout cela aura un coût. Et des propositions devront être formulées pour la prochaine LPM sur laquelle vous devrez alors vous prononcer.

 

D’un point de vue pratique, sachez par ailleurs que je ne suis pas capable de faire monter en gamme simultanément l’armée de Terre et la réserve.

 

S’agissant du fonctionnement de la réserve, en 2019-2020, nous avons atteint les objectifs de recrutement des réservistes pour l’armée de Terre, qui étaient fixés à 24 300. En termes de gouvernance, nous sommes passés d’une logique quantitative, où il s’agissait d’atteindre un objectif, à une gestion qualitative. Pour ce faire, nous devons notamment nous prémunir d’un vieillissement trop important de la réserve ; nous devons trouver un juste équilibre entre « vieillissement » et « conservation de l’expérience ». Nous sommes en train d’élaborer des directives pour 2021, où notre vision sera rappelée, le but étant que les régiments puissent agir avec une vraie subsidiarité ; des principes seront également exposés, s’agissant de l’emploi de la réserve.

 

Concernant le char Leclerc, Monsieur Larsonneur, je vous confirme que sa modernisation ne peut se limiter à la pose d’un poste radio CONTACT. Vous avez rappelé à juste titre que plusieurs pièces sont aujourd’hui frappées d’obsolescences durables. Certaines seront traitées dans le cadre de la rénovation - calculateur de conduite de tir, vétronique, boîtiers et pupitres - mais une opération d’investissement est nécessaire pour répondre aux obsolescences majeures qui concernent la turbomachine, l’optronique et certains composants du moteur.

 

Monsieur Corbière, le recrutement a été interrompu durant deux mois, ce qui nous a fait perdre environ 2 à 3 000 volontaires. Nos recruteurs ont certes continué de traiter les dossiers transmis par internet, mais tant que le ou la jeune volontaire ne s’est pas rendu au centre de recrutement (CIRFA), on ne peut pas mesurer et finaliser son engagement. Le Parlement a effectivement adopté des mesures pour faciliter le maintien de militaires en poste ou même le retour d’un certain nombre d’anciens militaires. Ces mesures nous ont permis de limiter notre déficit à 300 ou 400 hommes fin 2020. Nous avons également poursuivi nos efforts de fidélisation, car un homme qui reste n’est plus un homme à remplacer. Vous avez pu voir la campagne de recrutement qui a été lancée ; il semble qu’elle donne déjà de bons résultats.

 

S’agissant de la sous-consommation des crédits de titre 2 l’an dernier, seuls 20 millions n’ont pas été exécutés, sur une masse salariale de 4,6 milliards d’euros pour l’ensemble de l’armée de Terre. Je n’ai donc pas, il est vrai, consommé la totalité des crédits, mais c’est explicable : nous gérons 115 000 militaires, libres de dénoncer ou de prolonger leur contrat, et des jeunes peuvent décider de s’engager à tout moment. Il convient donc de rester mesurés. Tout consommer dans l’année à l’euro près – ce serait plus un coup anormal qu’une gestion exemplaire.

 

Je le redis : les mesures que vous avez prises cet été ont été très utiles et continuent de l’être, en permettant à certains militaires qui avaient décidé de partir ou étaient déjà partis, au vu de la situation économique, de pouvoir rester ou revenir dans les armées.

 

Concernant l’impératif de doter les armées de tous les moyens nécessaires à l’exercice de leurs missions, j’ai bien lu votre rapport relatif aux équipements individuels, Monsieur Chassaigne. Je ne conteste pas le fait que certains soldats ont pu vous dire que tel ou tel équipement leur manquait. Mais devons-nous voir le verre à moitié vide ou à moitié plein ? Si certains se plaignent de ne pas avoir reçu le HK, c’est que d’autres l’ont. Je peux comprendre qu’un soldat qui n’a pas conscience de l’évolution qu’a connu notre matériel au cours des vingt dernières années demande à recevoir un équipement moderne. Mais vous et moi devons être capables de prendre du recul, c’est-à-dire de reconnaître l’évolution qui a pu être réalisée grâce à la LPM et à l’accélération de la livraison des équipements.

 

En outre, nous ne pouvons pas espérer distribuer les HK à tous les soldats de l’armée de Terre en un an : ce n’est pas réaliste. L’industriel, de toute façon, n’aurait pas la capacité de le faire et il ne serait pas raisonnable qu’il monte une chaîne qui livrerait 100 000 HK en une année, pour ne plus en produire ensuite. Livrer 12 000 à 13 000 HK par an permet à l’armée de Terre d’intégrer ce nouveau matériel.

 

Je ne dis pas que c’est une situation facile à gérer pour l’armée de Terre. Certains soldats s’entraînent avec un matériel et partent ensuite en OPEX avec un autre. C’est une caractéristique forte de l’armée de Terre : une énergie importante pour permettre aux unités de s’entraîner avec des matériels neufs et plus anciens. D’autant que nous devons préparer l’ensemble de l’armée de Terre à un meilleur niveau. C’est la raison pour laquelle les objectifs en matière d’équipements doivent être maintenus et atteints. Il en va de même pour l’atteinte des normes d’entraînement.

 

M. Jean-Philippe Ardouin. Général, le budget de la défense, dans le PLF pour 2021, est en hausse de 1,7 milliard. Il est conforme à la trajectoire prévue par l’ambitieuse LPM 2019-2025. J’aimerais vous interroger sur la politique des drones menée par l’armée de Terre.

 

Nous le savons, la formation des pilotes de drones est longue et nécessairement coûteuse, car elle implique à la fois un apprentissage technique et l’apprentissage de la coordination avec les différents intervenants des armées. Sur le plan budgétaire, avez-vous chiffré ce que coûtera la formation des télé-pilotes de l’armée de Terre dans les prochaines années ? Prévoyez-vous une coordination entre l’armée de Terre et l’armée de l’air, s’agissant à la fois de l’enseignement et des lieux de formation ?

 

M. Jean-Marie Fiévet. J’associe Mme Patricia Mirallès à ma question.

 

Fin juillet, avec la présidente de la commission et plusieurs collègues, nous avons passé trois jours au sein de la légion étrangère, dans l’enceinte du 4e régiment étranger (4e RE) et de la 13e demi-brigade de la légion étrangère (13e DBLE). Je tiens ici à saluer la disponibilité des cadres et des légionnaires de ces unités.

 

Mon général, nos légionnaires s’engagent et se battent sous les couleurs de la France, avec les armes de la France, pour protéger notre territoire et nos concitoyens. Ils sont prêts à donner leur vie pour leur nouvelle patrie, la légion – leur devise est Legio Patria Nostra. La légion, c’est la France. Or, de nos échanges avec des légionnaires de tout grade, il ressort qu’ils sont engagés sous contrat étranger. Cela veut dire qu’à la fin de leur engagement, au moment de leur retour à la vie civile, ils ne perçoivent pas les mêmes primes que les militaires sous contrat français. À campagnes ou durées de missions égales, les montants des primes ne sont pas identiques. Comment cette différence s’explique-t-elle, alors que leur dévouement envers la France est total ?

 

M. Jean-Louis Thiériot. Je vous remercie, Mon général, pour votre exposé clair et stimulant. Je vous poserai deux questions sur des programmes majeurs.

 

Le Main Ground Combat System (MGCS), le système de combat terrestre du futur, est un programme essentiel pour notre armée de Terre à long terme. Pourriez-vous nous faire un point précis de l’avancement de vos discussions avec nos partenaires, en particulier allemands, qui sont confrontés à des échéances électorales prochaines, sachant que c’est le Parlement qui vote chaque étape du programme ? Où en sommes-nous ?

Concernant les commandes franco-françaises de Griffon, quelle est la proportion des véhicules équipés d’un tourelleau télé-opéré ? En discutant avec les forces sur le terrain et avec des industriels, je me suis aperçu que près de 50 % des véhicules n’en étaient pas équipés, alors que c’est un outil essentiel. En Afghanistan, nous avons perdu des soldats, parce qu’ils se trouvaient dans des VAB qui n’en étaient pas munis.

 

M. Jean-Michel Jacques. Le général Lecointre nous rappelait que même une armée disposant de suffisamment d’hommes et d’équipements avait besoin de beaucoup s’entraîner. Vous l’avez également rappelé et nous le constatons lors de nos déplacements : le maintien en condition opérationnelle demande beaucoup de temps, les formations ont tendance à être de plus en plus longues et le temps d’entraînement est indispensable.

 

Vous avez évoqué le CENTAC et le CENZUB, qui garantissent des entraînements d’une grande efficacité. Comment envisagez-vous le volet formation/entraînement dans ces centres spécialisés ? Vont-ils évoluer ? Par ailleurs, ces temps de formation ne doivent-ils pas être revisités, au vu des nouveaux moyens d’apprentissage dont nous disposons ? Moi-même ancien instructeur et formateur de formateurs dans ma précédente carrière militaire, je connais ce travers qui consiste à toujours ajouter sa touche personnelle, de sorte que la durée des formations se trouve progressivement rallongée au préjudice des opérations.

 

M. Jean-Jacques Ferrara. Mon général, j’ai travaillé avec mon collègue Jean-Pierre Cubertafon sur les hélicoptères des armées et je souhaite vous interroger sur l’aviation légère de l’armée de Terre (ALAT).

 

Je ne reviendrai pas sur les hélicoptères de transport lourds (HTL) : j’ai bien compris que si vous possédiez le budget pour les acheter, les ressources humaines pour les armer et les infrastructures pour les accueillir, vous seriez ravi de disposer d’une capacité d’HTL, le besoin opérationnel étant avéré, comme le prouve l’emploi des CH47 britanniques et des Merlin danois au Sahel. Cette coopération apporte une réelle satisfaction, même si elle ne répond pas aux besoins de nos forces spéciales.

 

Mes questions porteront donc sur les hélicoptères d’attaque et les hélicoptères de manœuvre. Concernant le Guépard, craignez-vous que la crise ait un impact sur la satisfaction des spécifications demandées par l’armée de Terre ?

 

S’agissant des hélicoptères de manœuvre, nous avions relevé qu’en prenant en compte le nécessaire remplacement des sept Puma, dix-huit Caïman (NH90 TTH) manquaient à l’appel au sein de l’armée de Terre, dont nous appelions de nos vœux le remplacement dans un plan de relance. Quelles sont vos perspectives en la matière ?

 

Enfin, nous nous inquiétons toujours des retards pris sur les nouvelles roquettes à précision métrique pour le Tigre. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

 

Général Thierry Burkhard. Monsieur Ardouin, l’armée de Terre fait un fort usage des drones et nous disposerons, en 2023, d’environ 3 000 drones, toutes catégories. Le plus puissant est le Système de drone tactique (SDT) ; le plus petit est le nano-drone Black Hornet, utilisé par les groupes de combat.

 

La formation sur les SDT est longue et coûteuse, mais elle a été prise en compte et intégrée dans le budget – ainsi que le maintien en qualification. Mon souci, c’est le retard de livraison, qui m’oblige à maintenir en qualification les pilotes qui ont déjà suivi une formation, alors que le SDT n’arrive pas. Pour ce faire, nous utilisons des simulateurs. Mais j’ai un autre problème : je dois maintenir en qualification les soldats qui utilisaient le drone précédent, le Système de drone tactique intérimaire (SDTi), qui n’est plus en état de fonctionner. Nous sommes en contact étroit avec l’industriel, qui est bien conscient de ces difficultés, notre objectif commun étant de mettre en place un système de drone sûr et fiable. Le centre de formation forme à la fois les pilotes, les interprètes images et les opérateurs.

 

Par ailleurs, nous menons actuellement une réflexion sur une éventuelle mutualisation de la formation des pilotes de drones, même si l’armée de Terre et l’armée de l’Air et de l’Espace n’ont pas les mêmes attentes. Dans l’armée de l’Air et de l’Espace, tous les pilotes de drones sont des officiers, ce qui n’est pas le cas dans l’armée de Terre, où des sous-officiers sont formés au SDT. Nous devons donc, avant toute mutualisation, nous mettre d’accord sur les spécifications de la formation. Ensuite, nous devrons examiner la question des flux, l’armée de l’Air et de l’Espace ne disposant pas de flux extensibles à l’infini.

 

Monsieur Fievet, s’agissant des légionnaires, sachez que les propos que vous aviez tenus lors de votre visite au sein de la légion étrangère m’avaient bien été rapportés. J’ai donc entrepris des recherches, car je n’avais pas connaissance de ce sujet. Les légionnaires, vous l’avez dit, servent sous contrat. Ils ont un statut particulier, régi par le décret du 12 septembre 2008 relatif aux militaires servant à titre étranger. Tout légionnaire connaît le statut de la légion et ses dispositions. Contrairement à un militaire qui sert dans le reste de l’armée de Terre, un légionnaire ne peut pas devenir militaire de carrière.

 

De la même façon, un soldat de l’armée de Terre qui ne souhaite pas devenir sous-officier de carrière et qui préfère renouveler son engagement ne bénéficiera pas des mêmes droits qu’un sous-officier de carrière ; il ne touchera pas les mêmes primes. Mais, en contrepartie, il a la liberté de partir quand il veut et de renouveler ou non son engagement au service de la France. La différence de statut que vous notez n’est donc pas propre aux légionnaires : c’est toute la différence qu’il y a entre un militaire sous contrat et un militaire de carrière. Cela étant, tout légionnaire peut acquérir la nationalité française et demander à servir dans l’armée de Terre, dans le régime général, et alors faire carrière.

 

Monsieur Thiériot, il est vrai que tous les Griffon ne sont pas équipés d’un tourelleau télé-opéré : les 1 872 Griffon du programme Scorpion sont commandés avec un taux d’équipement de 75 % jusqu’en 2025, puis de 50 % au-delà. Cela n’a pas de sens, vous avez raison, mais nous ne disposons pas pour l’instant du budget nécessaire à l’équipement de l’ensemble des Griffon. Les 1 872 Griffon seront livrés d’ici à 2033 : nous avons donc le temps d’y remédier.

 

Le MGCS est un programme majeur franco-allemand, qui a pour objectif de remplacer le Léopard 2 et le Leclerc à l’horizon 2035. Puisqu’il s’agit, à ce stade, d’un programme industriel, je ne suis pas le mieux placé pour vous en parler, mais l’armée de Terre a déjà commencé à travailler sur le cahier des charges et alimente la Direction générale de l’armement (DGA), qui est en contact avec son homologue allemand pour lancer les études et les recherches. Deux officiers de l’armée de Terre se trouvent à Coblence et participent à la montée en puissance du programme MGCS avec les Allemands, sous le contrôle de la DGA.

Monsieur Jacques, il est vrai que les formations sont de plus en plus longues : nous devons donc revoir les programmes, afin de les ajuster aux besoins. Par ailleurs, il est important que les chefs au contact redeviennent les premiers instructeurs : leur légitimité s’en trouvera renforcée. Bien entendu, les formations très spécialisées doivent être dispensées en école, car nous ne disposons pas des outils nécessaires dans les régiments. Les centres d’entraînement spécialisés ont une importance capitale, car la qualité de l’entraînement tient au réalisme des simulations : le CENZUB et le CENTAC sont remarquables de ce point de vue. Peu de centres en Europe atteignent ce niveau d’efficacité, de réalisme.

 

Ces centres disposent de logiciels de simulation – l’entraînement étant fondé sur une manœuvre réelle sur le terrain – avec une instrumentalisation des hommes, des matériels et des armes, permettant de déterminer précisément qui tire et qui est atteint. Par ailleurs, il est procédé à une analyse après action ; tout est enregistré, et un spécialiste débriefe et explique chaque séquence de combat. J’ajoute que le système CERBERE, un nouveau système de simulation, est en train d’être mis en place, d’abord au CENZUB, puis au CENTAC : c’est une évolution importante.

 

Comment devons-nous faire évoluer nos centres d’entraînement spécialisés ? À court terme, nous devons diversifier les exercices. Actuellement, nous entraînons les sous-groupements tactiques, à savoir les compagnies d’infanterie ou les escadrons de cavalerie renforcés par le génie ou l’artillerie. Nous devons diversifier les exercices en confrontant les soldats aux menaces que nous identifions sur les nouveaux théâtres d’opérations, telles que les cyberattaques, la guerre électronique, les drones ou le NBC.

 

À plus long terme, nous devons évoluer dans quatre directions : l’intensité de l’entraînement, le volume des forces entraînées, le réalisme des combats et la formation des chefs. C’est la raison pour laquelle nous préparons des séances d’entraînement de trois semaines – elles sont de deux semaines, aujourd’hui – en vue d’éprouver les soldats et les chefs dans la durée, dans des situations plus complexes, où ils ne bénéficient pas de la supériorité tactique et technique dans tous les domaines. Nous devons par ailleurs contrôler les états-majors des régiments. Actuellement, des états-majors se déploient mais uniquement pour coordonner la manœuvre, et ils ne sont pas contrôlés.

 

L’enjeu est de pouvoir entraîner au plus tôt les brigades, ce qui nécessitera de combiner ce que nous ferons dans les centres d’entraînement spécialisés, mais la manœuvre se déroulera à l’extérieur du camp et avec un maximum de réalisme – nous utiliserons le système CERBERE, qui aura pour autre objectif d’aguerrir un peu plus les chefs. Chefs qui ont toujours un rôle déterminant dans les combats de haute intensité.

 

Monsieur Ferrara, s’agissant de l’ALAT, l’hélicoptère interarmées léger (HIL) doit être soutenable, tant à l’entraînement qu’en opération. Cela veut dire que le coût et le taux horaire de soutien doivent être acceptables. Par ailleurs, le plan de relance ne prévoit pas de commande d’hélicoptères pour l’armée de Terre. Concernant les roquettes à précision métrique, le stock est assez tendu. Nous travaillons actuellement à un nouveau missile. Une évolution qui se fera en parallèle du passage du Tigre au Tigre Standard 3 ; un programme qui doit être conduit en coopération avec l’Allemagne – et peut-être avec l’Espagne dans un second temps.

 

Mme la présidente Françoise Dumas. Je vous remercie, Général, pour cette audition caractérisée, comme toujours, par votre franchise et votre esprit de conviction.

 

En tant qu’élue du Gard, je ne peux que saluer les deux régiments gardois qui ont énormément œuvré dans le Gard et les Alpes-Maritimes, qui ont immédiatement réagi, avec un engagement sans faille.

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La séance est levée à douze heures trente.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, Mme Françoise Ballet-Blu, M. Jean-Jacques Bridey, M. André Chassaigne, M. Alexis Corbière, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Jean-Marie Fiévet, M. Fabien Gouttefarde, M. Jean-Michel Jacques, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Christophe Lejeune, Mme Sereine Mauborgne, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Florence Morlighem, Mme Josy Poueyto, Mme Nathalie Serre, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Laurence Trastour-Isnart, M. Charles de la Verpillière

Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Xavier Batut, M. Olivier Becht, M. Bernard Bouley, M. Sylvain Brial, M. Olivier Faure, M. Yannick Favennec Becot, M. Richard Ferrand, Mme Séverine Gipson, M. Stanislas Guerini, Mme Marie Guévenoux, M. David Habib, M. Christian Jacob, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jacques Marilossian, M. Philippe Meyer, Mme Monica Michel, M. Aurélien Taché, Mme Alexandra Valetta Ardisson