Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

Audition, à huis clos, du général Oumarou Namata Gazama, commandant de la force conjointe du G5 Sahel.

 


Mercedi
2 décembre 2020

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 24

session ordinaire de 2020-2021

 

Présidence de
Mme Françoise Dumas, présidente


 


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La séance est ouverte à dix-sept heures cinq.

 

Mme la présidente Françoise Dumas. Général, c’est un privilège pour notre commission de vous rencontrer à l’occasion de votre venue à Paris, même si les conditions sanitaires nous contraignent à adopter l’outil de la visioconférence. Je me suis rendue récemment au Sahel, dans le cadre de la mission d’information sur l’opération Barkhane, que je préside, accompagnée de nos deux co-rapporteures, Sereine Mauborgne et Nathalie Serre, ainsi que de Jean-Jacques Ferrara. Nous avons pu rencontrer vos hommes au poste de commandement conjoint de Niamey et mesurer la réalité du caractère conjoint de la force que vous commandez. Sachez que nous avons été très impressionnés : nous sommes loin d’avoir atteint en Europe un tel niveau d’intégration.

 

Soyez assuré que nous sommes tous attentifs à l’évolution de la situation au Sahel comme à la montée en puissance de la force conjointe du G5 Sahel. Vous savez que nous avons même inventé un mot spécifique dans la langue française, puisque nous parlons désormais de la nécessaire « sahélisation » des opérations.

 

Créée en 2017, la Force conjointe est désormais opérationnelle. Elle connaît des succès tactiques conséquents dans sa lutte contre les groupes terroristes, comme en témoignent les opérations SAMA 1 et SAMA 2. La mise en place d’un commandement conjoint a permis de renforcer la coordination entre la force conjointe et ses partenaires, même si d’importants défis se dressent encore face à vous et que des difficultés subsistent, notamment concernant la disponibilité de certains équipements. C’est pour évoquer ces succès et vos besoins que nous vous recevons aujourd’hui.

 

Général Oumarou Namata Gazama. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi, avant tout propos, de vous remercier de l’occasion qui m’est offerte de vous édifier sur la situation de la Force conjointe, créée en février 2017, il y a de cela bientôt quatre ans, en vue d’aider à relever les défis sécuritaires qui assaillent la Bande sahélo-saharienne (BSS). C’est aussi le lieu de rendre un vibrant hommage à vos compatriotes qui y sont tombés.

 

Il vous souviendra que c’est avec une lecture régionale de la menace et le besoin impératif de synergie et de mutualisation face à la dégradation du contexte sécuritaire, que les pays de l’espace G5 Sahel avaient décidé de la création de cette Force, pour tenter de combler le gap sécuritaire transfrontalier et accompagner la réalisation des objectifs de l’institution autour de son crédo « Sécurité et Développement ».

 

Durant sa première année d’existence, la Force conjointe s’est essentiellement employée à la génération de forces, au déploiement des unités et à un début d’appropriation du terrain. La deuxième année, tout en mettant en œuvre un certain nombre d’opérations, a été surtout axée sur l’opérationnalisation capacitaire, qui passait par le soutien international en accompagnement des efforts individuels et collectifs des États membres du G5 Sahel, qui consacrent entre 15 et 30 % de leur budget à la défense. Pour le troisième mandat de la Force, nous nous sommes inscrits dans la dynamique de relancer, avec le plus de pragmatisme possible, sa montée en puissance et amorcer de façon plus pratique sa maturation opérationnelle.

Le 1er novembre 2020, la Force conjointe a entamé son quatrième mandat annuel avec la relève effective de l’ensemble des personnels de ses quatre postes de commandement multinationaux.

 

Depuis le sommet extraordinaire des chefs d’État du G5 Sahel, le 15 décembre 2019, à Niamey, marqué par la réappropriation clairement affirmée de la direction des questions militaro-sécuritaires par ce haut niveau politique du G5 Sahel, la Force conjointe a pu enregistrer des avancées fort significatives.

 

C’est ainsi que dans le but général de mettre en œuvre de façon effective et visible l’action de la Force conjointe, depuis notre prise de fonction, nous nous sommes évertués à orienter toutes nos actions vers plus de réalisme et de pragmatisme pour dépasser ou, dans certains cas, composer avec les difficultés persistantes qui minaient son essor.

 

Alors, malgré une situation sécuritaire très préoccupante, notamment à la fin de l’année 2019, la Force conjointe a pu engager des efforts relativement fructueux dans le domaine des opérations militaires et des relations avec les partenaires, même si, par ailleurs, d’importants défis restent encore à relever.

 

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés,

 

Comme vous le savez, l’éradication du terrorisme est une lutte de longue haleine qui a mis à rude épreuve les meilleures armées du monde, partout où une intervention a été nécessaire.

 

Dans la Bande sahélo-saharienne, il faut dire qu’au cours de la période allant du mois d’août 2019 au mois de janvier 2020, la situation sécuritaire était restée assez préoccupante dans la zone de sécurité et d’intérêt de la force conjointe, au regard du grand nombre et très souvent de la violence des incidents relevés. Les Groupes armés terroristes (GAT) et autres Groupes de criminalité organisée (GCO) ont multiplié les actions contre les forces de défense et de sécurité (FDS), les populations civiles et les symboles de l’État, particulièrement au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Les attaques complexes de positions des forces de défense et de sécurité par des effectifs ennemis de plus en plus importants ont permis de confirmer l’existence de véritables connexions opérationnelles et logistiques entre les groupes armés terroristes. Leurs interactions variaient au gré de leurs intérêts et se caractérisaient aussi par le nomadisme des combattants d’une organisation à une autre, souvent même à partir de certains Groupes armés signataires (GAS).

 

Parallèlement, il avait été relevé l’exacerbation par endroits des conflits à caractère intercommunautaires et interethniques, le plus souvent instrumentalisés par les divers groupes armés.

 

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés,

 

Avant d’en venir aux opérations menées par la Force conjointe, je voudrais d’abord, si vous le voulez bien, partager avec vous la substance des orientations que j’avais fixées dès ma prise de fonctions, en août 2019, et les grandes lignes de mon agenda opérationnel.

Les orientations ont été déclinées dans un document dénommé « Vision du COMANFOR », dont six grands axes forment l’ossature :

 

  1. Poursuivre la recherche de l’effectivité des pleines capacités opérationnelles des unités sous contrôle opérationnel (OPCON) de la Force conjointe ;
  2. Systématiser les opérations coordonnées, voire conjointes, avec les forces concourantes nationales et avec les partenaires.
  3. Rechercher la mise en place effective de tous les démembrements de la composante police (prévôté et unités d’investigation spécialisées) ;
  4. Exercer une communication accrue pour une meilleure visibilité et partant, l’acceptation même de la force et s’assurer que la protection des populations reste une préoccupation importante de l’ensemble des composantes de la force ;
  5. Œuvrer à l’élaboration des modalités pratiques permettant l’acheminement du soutien additionnel jusqu’aux troupes engagées dans les opérations ;
  6. Œuvrer à la mise en place d’un dispositif de ciblage.

 

Après avoir fixé ces orientations comme lignes permanentes de conduite de nos actions, il s’agissait pour nous, de planifier et mettre en œuvre des opérations conformément à notre mandat, à travers des directives de planification, suivant un plan de campagne qui devrait courir d’août 2019 à août 2021. L’un des objectifs principaux de ce plan vise à mettre en harmonie les futures opérations de la Force conjointe avec les différents efforts des Armées nationales et des Forces partenaires que sont Barkhane et la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Ce plan de campagne vise aussi clairement à faire évoluer la posture et le format de la Force pour lui faire gagner en pragmatisme et en efficacité, afin de mieux faire face à la situation sécuritaire en constante dégradation, surtout dans le centre de l’espace du G5 Sahel.

 

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés,

 

Pour ce qui des opérations, la Force conjointe, depuis sa création en 2017, tout en continuant à se constituer, a su mettre en œuvre un certain nombre d’opérations pour marquer sa présence dans le champ d’action de la lutte contre le terrorisme et de la criminalité organisée et afficher sa détermination à poursuivre sa mission.

 

C’est ainsi que, de ses débuts à ce jour, la force conjointe a déjà mené vingt-quatre opérations, dont neuf opérations majeures depuis octobre 2019 : quatre dans le fuseau est (AMANE 2, OBANNA 2, 3 et 4), une dans le fuseau ouest (DAREA) et quatre dans le fuseau centre (PAGNALI 2, SAMPARGA 3, PAGNALI 3 et SAMA 1). Cela donne une idée du chemin parcouru en termes d’activité opérationnelle.

 

L’opération SAMA 2, au centre, a démarré le 1er août pour une période de six mois, c’est-à-dire jusqu’à la fin janvier 2021. Elle a pris la suite de l’opération SAMA 1, engagée en mars 2020.

 

En résumé, sur l’ensemble des trois Fuseaux, les opérations de ces dix derniers mois, ont globalement permis :

 

 

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés,

 

Concernant l’état actuel de la Force conjointe du G5 Sahel, globalement, pour ce qui est des matériels, pour une grande partie des bataillons, le niveau capacitaire reste encore assez moyen. Pour certains bataillons, les effectifs restent encore en dessous des standards requis. En outre, dans le domaine logistique et pour ce qui est de certaines capacités comme le renseignement, la Force reste largement tributaire de certains partenaires présents sur le théâtre.

 

Il faut aussi noter la situation des Unités d’nvestigation spécialisée (UIS) de la composante police qui peinent encore à se déployer, faute d’équipements. Toutefois, les détachements prévôtaux sont en grande partie opérationnels.

 

Pour ce qui est du partenariat international soutenant la Force conjointe, à côté des efforts nationaux de nos cinq États, il s’applique sur un certain nombre de domaines.

 

Dans le domaine de la formation, les principaux partenaires de la Force conjointe sont l’EUTM Mali, l’EUCAP Sahel et le Haut-Commissariat des Nations unies aux Droits de l’Homme de la MINUSMA.

 

Le soutien à la mise en œuvre du cadre de conformité droits de l’homme s’appuie sur des fonds de l’Union européenne, dont le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, à travers son bureau près la MINUSMA, a la responsabilité.

 

Le soutien logistique opérationnel qui lui s’appuie sur un mécanisme qu’il a été convenu d’appeler « soutien additionnel » basé sur des fonds de l’Union européenne dont la MINUSMA a la responsabilité. La question avance, certes lentement, mais elle avance quand même, grâce à des actions d’amélioration en cours suite aux nouvelles injonctions figurant dans la résolution 2531 du 29 juin 2020 du Conseil de sécurité des Nations unies.

 

L’appui en équipements, services et infrastructures au profit de la force conjointe suit principalement deux axes : un appui en bilatéral directement traité avec les structures nationales des cinq pays du G5S et un appui direct à la Force.

 

Un soutien purement opérationnel est fourni autant que possible par la Force Barkhane, en termes d’appuis aériens (survols ISR, appui feu au contact, transport) et de fourniture de rations de combat. Barkhane a aussi déjà soutenu certaines unités en termes d’accompagnement tactique de réassurance.

 

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés,

 

Malgré les difficultés, un certain nombre d’avancées majeures bien notables ont été capitalisées depuis un certain temps. Il s’agit d’abord de l’évolution de la posture et du format.

 

Faisant partie des objectifs substantiels de notre plan de campagne, ce besoin d’évolution qui avait été soulevé dès les premiers temps du mandat 3 s’imposait pour débrider la Force Conjointe et lui permettre de mieux faire face à l’évolution de la situation sécuritaire. Il fallait se donner la possibilité de dépasser les actions et positionnements purement frontaliers qui finalement constituaient des carcans ne donnant pas la souplesse nécessaire pour s’adapter au contexte sécuritaire qui avait largement muté.

 

Autre avancée majeure, c’est l’effectivité de l’harmonisation des actions et la coordination entre les différents acteurs. En effet, dans la droite ligne du deuxième axe de la vision du COMANFOR, tendant à la systématisation des opérations coordonnées ou conjointes avec les Forces concourantes nationales et les Forces partenaires et qui est l’un des cadrages fondamentaux du plan de campagne de la Force conjointe, l’harmonisation et la coordination se sont vues propulsées au rang de directives politiques.

 

Car, à la suite du sommet extraordinaire de Niamey, le sommet du 13 janvier à Pau est venu confirmer certaines orientations et engagements dans le sens du besoin de coordination au sein d’un Mécanisme de Commandement Conjoint (MCC) des futures opérations au Sahel. Le MCC serait ainsi la base indiquée de départ d’une coalition plus large envisagée pour le Sahel.

 

A ce jour, le niveau de coordination, d’harmonisation et d’actions conjointes entre la Force conjointe, la Force Barkhane et les Armées nationales du G5 Sahel a atteint un niveau inespéré et est effectif jusqu’au plus bas échelon tactique. Les résultats concrets qui continuent d’être capitalisés par ces actions conjointes confirment la pertinence de nos interactions.

 

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés,

 

Au registre des défis importants face à nous, il faut d’abord noter que du point de vue fonctionnel, il est permis dans l’absolu d’affirmer que le niveau atteint paraît satisfaisant, si l’on ne tient pas compte des disparités d’un endroit à l’autre. Cependant, du point de vue capacitaire, à ce jour, beaucoup reste à faire. Ainsi, en termes de capacités, deux aspects méritent une attention particulière. Et la question du financement pérenne reste aussi un défi qu’il faut ici rappeler.

 

Ainsi, premièrement, la force ne dispose pas de capacité aérienne propre, alors même que le combat antiterroriste actuel ne peut se faire efficacement sans cette rallonge capacitaire. À ce titre, des alternatives devront être recherchées pour l’atteinte des résultats tant attendus. C’est pourquoi une proposition sous forme de requête d’un mécanisme d’accompagnement des vecteurs aériens des armées des pays membres pour leur mise à disposition de la Force conjointe a été évoquée. Dans ce cadre et en attendant l’atteinte d’une certaine autonomisation, les besoins opérationnels incompressibles nous imposent actuellement et en complément des fastidieux efforts nationaux, de poursuivre la collaboration avec les partenaires directement opérationnels comme Barkhane et, indirectement en soutien comme AFRICOM.

 

En second lieu, il s’agit du système de renseignement, l’autre grande faiblesse de la Force conjointe. L’acquisition de capteurs et de moyens de surveillance de type radars terrestres est à envisager sur les mêmes fonds qui ont formellement été annoncés. Fort heureusement, dans le cadre du MCC, la mise en place d’une cellule de fusion du renseignement IFC (Intelligence Fusion Cell), à l’intérieur de la base avancée projetée de Barkhane, a permis pour l’heure de faire face aux besoins de l’opération SAMA.

 

Enfin, s’agissant du soutien, la Force conjointe reçoit de nombreuses aides, même si leurs mises en place effectives sont souvent fastidieuses. Mais il est bon de rappeler que les États du G5 Sahel consentent en interne d’importants sacrifices. Ainsi, au moment où des avancées certaines sont capitalisées, où la Force conjointe gagne sans cesse en crédibilité, où les attentes sont de plus en plus fortes et où la situation globale milite pour un plus grand soutien, il est opportun de rappeler la nécessité de pérenniser le système de financement de la force conjointe, directement sous la responsabilité du COMANFOR, afin de mieux maîtriser la planification et la conduite des opérations.

 

Madame la présidente de la commission défense, Mesdames et Messieurs les députés,

 

Pour nous résumer, nous pouvons dire que des avancées fort significatives ont été enregistrées. Mais la situation opérationnelle de la zone de responsabilité reste encore volatile. Il est indispensable de prolonger la dynamique de coordination et de mutualisation des capacités. Les très bons résultats capitalisés ces derniers temps imposent à tous, tant à la force conjointe qu’aux autres forces engagées dans la zone, de tout mettre en œuvre pour exploiter notre relatif avantage sur l’ennemi en consolidant les acquis et en faisant obstacle à ses tentatives de rétablissement dans d’autres secteurs. Les engagements opérationnels envisagés, qu’il faut impérativement continuer à soutenir, seront décisifs pour la poursuite du redressement de la situation sécuritaire dans notre espace commun. Il s’agira aussi de maintenir, voire de redoubler les efforts de mobilisation des moyens matériels et financiers, tant en interne qu’à l’international.

 

Mme Monica Michel. Général, au nom du groupe La République en marche, permettez-moi de vous dire combien nous sommes heureux que cette audition ait pu être organisée. Ces moments d’échange avec les commandants des forces alliées agissant au Sahel revêtent un caractère essentiel. Je veux également remercier notre présidente de nous en offrir la possibilité.

 

Lors du sommet de Pau a été annoncée la révision du concept d’opération de la force conjointe afin qu’elle puisse agir au-delà de la zone des cinquante kilomètres de part et d’autre des frontières. Quel bilan tirez-vous de ce changement ?

 

Compte tenu de son financement incertain, la force conjointe parvient-elle à doter des hommes en équipements et à les entraîner correctement ? Les dotations sont-elles suffisantes pour tous les soldats de la force ?

 

Je me réjouis de la création du collège de défense du G5 Sahel soutenue par la France. Que permet cette nouvelle formation ? Le dispositif a-t-il vocation à être étoffé ou dupliqué ?

 

Mme Nathalie Serre. Général, c’est un réel plaisir pour moi de vous auditionner quelques semaines après avoir rencontré vos hommes à Niamey. J’associe à ma question Jean-Jacques Ferrara, qui vous prie de l’excuser.

 

Lors de notre déplacement, nous avons eu le sentiment que l’insuffisance du niveau d’équipement et de soutien restait un facteur limitant la montée en puissance de la force conjointe – vous-mêmes venez d’y faire allusion. Vous avez commencé à identifier les principales difficultés et évoqué les moyens d’y remédier en termes capacitaires et financiers. Au-delà de l’action de l’EUTM Mali, quel bilan pouvez-vous tirer de l’action de la MINUSMA ?

 

Nous avons eu le privilège d’échanger sur place avec le personnel de la cellule de fusion du renseignement, où les renseignements sont collectés, analysés, recroisés et fusionnés avant d’être diffusés en vue d’orienter les opérations conjointes conduites contre les groupes armés terroristes. Quelle est la nature de vos différents capteurs et comment est organisée la collecte du renseignement humain sur le terrain ? Estimez-vous le partage du renseignement suffisant ? Pouvez-vous nous préciser vos besoins pour améliorer vos capacités en la matière ?

 

Après les succès de SAMA 1 et de SAMA 2, la coordination entre la force conjointe et ses partenaires, au premier rang desquels Barkhane, est-elle encore améliorable ?

 

J’ai eu la chance de mesurer, tout comme mes collègues, les avancées réalisées au cours de l’année écoulée. Permettez-moi de vous féliciter et, à travers vous, vos hommes pour votre engagement dans la BSS.

 

M. Thomas Gassilloud. Jeudi dernier, j’ai rencontré en Mauritanie votre compatriote Maman Sambo Sidikou, secrétaire exécutif du G5 Sahel, et je salue l’implication forte du Niger dans cette organisation.

 

Sur le plan fonctionnel, la force conjointe a atteint son niveau de maturité, ce pourquoi nous vous devons beaucoup. Le collège de défense en est à sa troisième promotion. Confirmez-vous la grande qualité des officiers qui, au sortir de cette formation, rejoignent majoritairement la force conjointe ?

 

La question la plus importante est celle de l’effectivité de vos capacités opérationnelles. Au-delà de la maturité fonctionnelle, beaucoup reste à faire en matière capacitaire. Puisque la capacité opérationnelle repose sur la détermination des soldats, qu’en est-il de la bancarisation, qui permet de sincérité les effectifs, mais également de lutter contre l’évaporation des soldes ? J’espère que l’exemple de la force conjointe sera suivi par les armées locales.

Par ailleurs, la force conjointe reste tributaire des moyens extérieurs au Sahel pour les capacités aériennes et de renseignement. A-t-elle une ambition en matière aérienne ? Les Mauritaniens ont des propositions à faire en la matière. Êtes-vous en mesure de guider des tirs de la chasse française, puisque nous disposons sur place de Mirage 2000D ?

 

M. Jean-Christophe Lagarde. Vous avez dit que nous n’étions pas encore aux standards requis. Quel est le délai nécessaire pour y parvenir ?

 

Des combats entre filières djihadistes ont lieu régulièrement dans la bande sahélo-saharienne. Des affrontements ont-ils permis aux uns ou aux autres de prendre l’avantage ou peut-on encore profiter de leurs divisions ?

 

On a beaucoup lu en Europe qu’un certain nombre d’anciens combattants mercenaires djihadistes de Syrie étaient arrivés en Libye en passant par la Turquie. Sont-ils descendus vers le sud pour rejoindre la BSS ou restent-ils cantonnés dans le nord de la Libye ?

 

Général Oumarou Namata Gazama. Le concept d’opérations (CONOPS) stratégique de la force conjointe a fait l’objet de plusieurs révisions. La dernière, intervenue lors du Comité Défense et Sécurité (CDS) de Ouagadougou organisé du 24 au 25 janvier 2020, a entériné l’élargissement de la zone de poursuite de cinquante à cent kilomètres de part et d’autre de nos frontières, soit une profondeur de 200 kilomètres, suffisante pour manœuvrer. Ce CONOPS révisé offre davantage de flexibilité. Mieux, il consacre la possibilité de disposer, à terme, de capacité expéditionnaire entre les mains du COMANFOR.

 

Les dotations varient d’un pays à l’autre et sont fonction des concepts d’emploi qui y prévalent. Quant au niveau du financement, j’ai dit en introduction que la force conjointe recevait un soutien suffisant. En revanche, nous insistons sur le besoin de pérennité du soutien de la force elle-même. L’appui en équipements, services et infrastructures au profit de la force conjointe suit principalement deux axes : appui en bilatéral directement traité avec les structures nationales des cinq pays du G5S ; appui direct à la force, comme celui d’une partie des fonds de l’Union Européenne sur laquelle nous avons le plus de visibilité.

 

Le personnel de la force conjointe est composé de bataillons et de PC multinationaux. Avant leur projection, les bataillons reçoivent une formation de pré-déploiement, négociée en interne par les pays concernés auprès de certains partenaires. Ce sont les PC multinationaux qui, pour l’heure, sont concernés par la formation dispensée par l’EUTM Mali. L’école de guerre du G5 Sahel, qui assure les formations de niveau opératif, avait, pour le mandat 3, assuré la formation de pré-déploiement. Toutefois, en raison de la pandémie, nous avons été contraints d’organiser cette formation à Bamako, du 12 au 28 octobre.

 

Comme je l’ai dit, l’équipement de la force conjointe suit un processus assez fastidieux. Des promesses ont été faites notamment de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de la Turquie et de la Chine. Ici, nous insistons surtout sur l’aide de l’Union européenne, sur laquelle nous avons une parfaite visibilité.

 

Notre partenariat avec la MINUSMA porte sur trois domaines essentiels : Il s’agit d’abord du projet du cadre de conformité ; Ensuite la gestion du soutien additionnel dont la MINUSMA a la responsabilité ; Et enfin, un partenariat de combat qui peine encore à se mettre en place. Sur les deux premiers volets, il faut le dire avec la solennité requise, la force conjointe s’est d’abord heurtée à une certaine difficulté de compréhension : entre ce que les juristes nous enseignaient et ce qu’ils faisaient, c’était le jour et la nuit. En lieu et place de communication préalable des allégations, ils s’étaient livrés sur des canaux à nos yeux inappropriés, ce qui avait entraîné un petit froid…

 

Le financement de l’appui additionnel est assuré par une enveloppe de 10 millions d’euros répartie en deux tranches dont la première a été consommée. Les difficultés rencontrées portaient sur les modalités de remise de ces ressources à nos bataillons. Pour vous donner un exemple, lorsque vous donnez un carton de rations de combat à Bamako, qu’il faut acheminer à Wour, à près de deux mille kilomètres de N’Djamena, ou à Madama, à 1 800 kilomètres de Niamey, les coûts de transport pour la force conjointe qui s’en charge… Nous avons dit à nos amis qu’il fallait revoir le mécanisme dès l’instant où ils détiennent la ressource nécessaire. Par respect pour le contribuable européen, j’ai demandé au comité d’état-major l’autorisation d’assumer ces dépenses sur le budget de fonctionnement de la force conjointe. En effet, il m’était arrivé à plusieurs reprises de payer un coût de transport supérieur à la valeur marchande de la ressource reçue.

 

Les capteurs de l’IFC (Intelligence Fusion Centre) sont la propriété de Barkhane. Nous ne disposons d’aucun capteur. Nos seules sources de renseignement sont humaines. C’est pourquoi nous avons classé le renseignement parmi nos faiblesses. Le partage du renseignement est assuré en parfaite fluidité. L’IFC mis en place dans le fuseau Centre associe les personnels de Barkhane et de la force conjointe, auquel nous avons ajouté un représentant de chacun des trois pays du centre. Il y a deux semaines, avec le COMANFOR Barkhane, nous avons convenu de prendre en compte, en complément du personnel du fuseau Centre, les éléments des armées nationales à insérer à l’IFC.

 

S’agissant de l’arrangement technique avec la MINUSMA, il convient de préciser qu’une réunion présidée par son excellence Mahamat Saleh Annadif, le 29 septembre, à Nouakchott et deux autres à Bamako, en bilatéral avec la MINUSMA, ont permis au dossier de progresser. Comme je vous l’ai dit, cela avance lentement, mais sûrement. Pour les 5 millions d’euros restants, les réunions techniques ont permis de trouver un mécanisme permettant aux deux parties (la force conjointe et la MINUSMA) de s’accorder sur les types de rations, les produits pétroliers, la fréquence et des lieux d’acheminement des ressources ; autant de sujets qui nous posaient d’énormes difficultés.

 

Nous entretenons des relations satisfaisantes avec tous nos partenaires. Avant le sommet de Pau, conformément à ce que j’ai indiqué, nous travaillions avec Barkhane. Pau est venu confirmer ce qui se faisait jusqu’alors sous forme de directives politiques. Barkhane est un allié indispensable de la force conjointe. Au-delà du partenariat de combat, nous agissons jusqu’au niveau tactique : vous trouverez sur le terrain des groupes mixtes d’une dizaine de soldats, français et sahéliens.

 

Au niveau du poste de commandement interarmées du théâtre (PCIAT), nous avons des officiers issus du collège de défense. C’est dire si nous apprécions à sa juste valeur la qualité de la formation. Bien que de création récente, cette école vient de décerner son premier master à ses stagiaires, ce qui montre l’efficacité de la formation dont les lauréats officiers représentent une incontestable valeur ajoutée pour nos armées.

Le terme de bancarisation concerne l’armée malienne dans le cadre des mesures d’accompagnement décidées par l’UE. Dans les autres armées, elle est entrée dans les faits depuis longtemps : au Niger, plus de 80 % des soldats ont un compte bancaire.

 

La composante aérienne a malheureusement été omise lors de la conception de la force conjointe. Les experts s’attachent à combler cette lacune. Nous avions appris que l’état-major de l’armée de l’air français initie un projet de partenariat militaire opérationnel (PMO) air. Au niveau du G5 Sahel, lors du comité défense et sécurité du 15 octobre dernier, présidé par l’état-major mauritanien, son chef d’état-major de l’armée de l’air s’est engagé, au nom de ses pairs, à relancer le processus de mutualisation des vecteurs aériens – la première réunion des chefs d’état-major de l’armée de l’air avait eu lieu en février 2018.

 

Quant aux tirs de Mirage, je peux vous assurer que toutes nos emprises disposent de personnels formés au guidage aérien tactique avancé (GATA) ; leur formation est assurée exclusivement par Barkhane par souci d’uniformité et pour nous prémunir d’erreurs de communication.

 

Il est difficile en l’état de parler d’uniformisation ou de standardisation du matériel car, je le répète, le concept d’emploi varie selon les armées. Le soutien dont dispose la force conjointe dans le domaine des capacités critiques provient de l’Union européenne. Il s’agit de quarante-six véhicules blindés de type Bastion, soit six à sept au maximum par bataillon, dont seulement quatre pour le transport de troupes, ce qui donne techniquement une capacité de transport d’un peloton par bataillon. C’est important mais cela doit être complété pour atteindre le niveau de l’unité élémentaire de combat.

 

L’avantage lié aux affrontements entre groupes armés terroristes n’est que de circonstance. Au gré des actions ponctuelles, nous apprenons que tantôt c’est l’État islamique dans le grand Sahara (EIGS) qui a pris le dessus, tantôt le Rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans (RVIM). Les deux groupes armés n’obéissent pas à la même philosophie ; il est normal que, lorsqu’ils se rencontrent sur le terrain, le plus fort cherche à chasser l’autre, ce qui provoque ces combats meurtriers.

 

Les renseignements obtenus au niveau international font effectivement état de mouvements de mercenaires syriens ou turcs en direction de la Libye. Celle-ci constituant un déversoir, il est possible qu’ils poursuivent leur migration. Pour le moment, dans notre zone de responsabilité, nous n’avons pas constaté de présence étrangère. Il est possible que des mouvements de ce genre se soient produits, mais ils n’ont pas encore atteint notre zone d’opération.

 

Mme Patricia Mirallès. La fidélisation des troupes est un élément auquel le ministère des armées français accorde une grande attention. Dans des pays soumis à un environnement sécuritaire aussi complexe que les pays sahéliens, alimenté par de profondes difficultés socio-économiques, cette question revêt une importance cruciale. Pourriez-vous nous dresser un portrait de la situation sociale des forces composant le G5 Sahel ? Comment s’assurer de la pérennité de l’engagement de ces personnels ?

 

Général Oumarou Namata Gazama. Dans l’espace géographique du G5 Sahel qui me concerne particulièrement, la fidélisation des troupes tient à plusieurs éléments, dont un critère tout à fait particulier, et que j’utilise pour juger de l’adhésion de mes hommes : la fierté d’appartenir à la force conjointe. De Wour au Tchad, à Madama au Niger, à Dori au Burkina, comme à Boulikessi au Mali, j’ai pu mesurer cette fierté. Ceux qui n’ont pas encore reçu leur écusson, acquis grâce à des fonds de l’UE, le réclament tous les jours.

 

Au-delà, les hommes sont fiers de la formation dont ils bénéficient. Les bataillons dédiés, c’est-à-dire ceux qui n’effectuent pas de relèves périodiques, bénéficient, grâce à l’accompagnement de nos partenaires, de cours de rafraîchissement qui font d’eux des hommes différents de leurs frères d’armes restés sous le commandement national.

 

Mme la présidente Françoise Dumas. Général, merci pour cet échange particulièrement constructif. Nous sommes convaincus que l’éradication du terrorisme est une œuvre de longue haleine, mais nous retenons la convergence d’appréciation des situations entre les partenaires de combat qui agissent au Sahel. La situation évolue positivement depuis un an et nous savons ce que nous vous devons depuis votre accession à la tête de la force conjointe du G5 Sahel. Nous tenons à vous en féliciter et à vous en remercier.

 

Il persiste, vous l’avez dit, des facteurs limitants. Je retiens les attentes capacitaires dans le domaine aérien et en matière de renseignement ; je n’oublie pas les limites en matière de soutien, notamment les leviers financiers qui sont dans vos mains – ou qui devraient l’être. Nous pensons aussi au soutien additionnel délivré par la MINUSMA.

 

Je retiens le succès de la coordination – ceux qui sont allés vous rencontrer ont pu le mesurer – et la bonne articulation entre Barkhane, la force conjointe et les échelons nationaux. Lorsqu’il y a convergence des volontés, il y a toujours un chemin. Nous pouvons le visualiser sous la forme de ces colonnes foraines, symboles de repénétration des territoires et de retour des services de l’État malien. C’est aussi un moyen de reconquérir un territoire sur un ennemi qui sème la terreur et de redonner confiance dans la force du G5 Sahel. Vous incarnez la remontée de la confiance des populations, car la guerre contre le terrorisme est aussi psychologique. Cela montre l’approfondissement de la sahélisation, mais aussi l’accentuation de l’internationalisation et l’européanisation de Barkhane. C’est toute une synergie qu’il nous faut poursuivre à vos côtés et en lien étroit avec vous.

 

Une nouvelle fois, je tiens à vous remercier d’avoir accepté cet échange éclairant. Croyez à toute notre reconnaissance et notre respect.

La séance est levée à dix-huit heures dix.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, Mme Françoise Ballet-Blu, M. Jean-Jacques Bridey, M. Alexis Corbière, Mme Françoise Dumas, M. Jean-Marie Fiévet, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, M. Grégory Labille, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jean-Charles Larsonneur, Mme Sereine Mauborgne, M. Philippe Meyer, Mme Monica Michel, Mme Patricia Mirallès, M. Jean-François Parigi, Mme Nathalie Serre, Mme Laurence Trastour-Isnart, Mme Alexandra Valetta Ardisson

Excusés. - M. Stanislas Guerini, M. David Habib, M. Jacques Marilossian