Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

Audition, ouverte à la presse, conjointe avec la commission des affaires européennes, de M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargé des Affaires européennes, sur le Brexit.


Mardi
16 février 2021

Séance de 18 heures 15

Compte rendu n° 34

session ordinaire de 2020-2021

 

Présidence de
Mme Françoise Dumas, présidente et de Mme Sabine Thillaye, présidente de la commission des affaires européennes


 


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La séance est ouverte à dix-huit heures vingt.

 

Mme la présidente Sabine Thillaye. Nous organisons aujourd’hui une nouvelle réunion conjointe entre la commission des affaires européennes et celle de la défense nationale, afin d’entendre Clément Beaune, secrétaire d’État chargé des affaires européennes sur l’accord relatif à la relation future entre l’Union européenne et le Royaume-Uni.

Je remercie le secrétaire d’État d’avoir accepté notre invitation et me réjouis de poursuivre notre travail commun avec la commission de la défense. La commission des affaires européennes a organisé en ce début d’année un cycle de travail sur le Brexit. Nous avons notamment entendu l’ambassadeur britannique ainsi que Michel Barnier, et nous avons organisé la semaine dernière une table ronde avec des experts. Nous pourrons discuter plus spécifiquement des aspects relatifs à la politique de sécurité et de défense commune – je laisserai Mme la présidente Françoise Dumas développer ces points.

Cet accord est crucial pour notre avenir, puisqu’il permet d’éviter une rupture brutale avec nos amis britanniques. Il est remarquable par la diversité des sujets qu’il couvre, allant du climat à la coopération sanitaire, en passant par la sécurité intérieure, la pêche ou encore l’espace.

Toutefois, Monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais vous interroger sur les manques de cet accord. Le Royaume-Uni et l’Union européenne continueront-ils à négocier sur les sujets qui restent en suspens, notamment les questions d’asile et d’immigration ? S’agissant de la protection des données personnelles, l’Union européenne et le Royaume-Uni ont conclu un accord spécifique relatif à la sécurité intérieure et à la coopération judiciaire. Mais les députés européens de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures ont regretté la faible ambition de l’accord sur ce point et déploré que peu de garanties soient accordées quant au respect des normes contenues dans le règlement général sur la protection des données (RGPD). Quelles sont les garanties que le Royaume-Uni offre en la matière ?

Enfin, en tant que secrétaire général pour la coopération franco-allemande, pourriez-vous nous dire quelques mots à ce sujet ?

 

Mme la présidente Françoise Dumas. Monsieur le secrétaire d’État, je suis moi aussi ravie de vous accueillir pour cette audition conjointe. C’est la première fois que la commission de la défense a le plaisir de dialoguer avec vous, et plus précisément de vous entendre sur les conséquences de la sortie britannique de l’Union européenne en matière de défense.

Dans les années cinquante, l’Europe a incarné un rêve de paix, d’unification interne et non une ambition de puissance, alors l’apanage des nationalismes belliqueux du XXe siècle. Elle a même repoussé explicitement – la France y a pris sa part – l’idée d’une communauté européenne de défense.

Aujourd’hui, il n’en est plus ainsi. Comme le soulignait Pascal Lamy, président du Forum de Paris sur la paix, le refus européen de la logique de puissance semble une négligence surannée quand nous le mesurons à l’aune de l’affrontement sino-américain et de la brutalisation plus intense de notre monde. Nous devons changer de paradigme, car l’Europe est désormais condamnée à la puissance.

Depuis 2017, sous l’impulsion du Président de la République, dont vous étiez le conseiller spécial Europe, les Européens ont commencé à faire converger les analyses de leur environnement géopolitique. Ils devraient se doter, à l’horizon du premier semestre 2022, sous la présidence française de l’Union européenne, d’une boussole stratégique, afin de faire le point sur les enjeux de la sécurité européenne et de ses liens avec une souveraineté beaucoup plus affirmée.

Bien évidemment, la coopération franco-allemande est traditionnellement considérée comme le moteur d’une Europe plus solidaire et souveraine, comme en témoigne le Traité sur la coopération et l’intégration franco-allemandes, conclu à Aix-la-Chapelle en janvier 2019. Cependant, notre lien avec les Britanniques en matière de défense a toujours été très étroit, comme en témoignent les accords de Lancaster House, dont nous avons fêté le dixième anniversaire, et au bilan desquels nos collègues Jacques Marilossian et Charles de la Verpillière ont consacré un brillant rapport en novembre. Ces accords sont la concrétisation d’une coopération unique en son genre entre les deux puissances militaires européennes, dans les domaines cruciaux du capacitaire et de la dissuasion nucléaire.

Les interrogations suscitées par le Brexit en matière de défense sont nombreuses. La France et le Royaume-Uni représentaient à eux seuls 60 % des dépenses européennes de défense et 80 % des dépenses de recherche et développement qui y sont consacrées. Ces deux pays possèdent tous deux la capacité et la volonté de mener des opérations militaires, y compris de combat, là où leurs intérêts l’exigent, là où la présence de l’Europe est attendue, souhaitée et soutenue. Enfin, leurs bases industrielles et technologiques de défense (BITD) comptent parmi les premières au monde.

Au niveau opérationnel, les états-majors s’interrogent sur le risque de dilution de la relation franco-britannique, compte tenu de la démarche de diversification des partenariats impliquée par la politique dite du Global Britain. Dans le domaine industriel, les inquiétudes portent davantage sur les modalités de la participation du Royaume-Uni au projet capacitaire européen, souhaité dans certains cas et redouté dans d’autres. D’aucuns craignent enfin que le Royaume-Uni ne se focalise sur ses nouvelles priorités, la réponse aux menaces « sous le seuil de la guerre », qu’il considère comme émergentes – les Sunrise capabilities – au détriment des menaces du haut du spectre.

À plus long terme, certains se demandent si les accords de Lancaster House ne pourraient pas devenir une coquille vide capacitaire, au cas où le Royaume-Uni deviendrait un État tiers comme un autre ; ils s’interrogent sur la capacité de l’Allemagne à remplacer le Royaume-Uni comme un partenaire réellement engagé dans l’Europe de la défense, prêt à combattre à nos côtés.

Monsieur le secrétaire d’État, nous souhaitons connaître votre analyse des conséquences du Brexit, tant sur les relations franco-britanniques en matière de défense que sur le projet d’Europe de la défense, ainsi que sur les liens de l’Europe avec les États-Unis.

Avant de vous laisser la parole, je voudrais aborder un dernier point d’actualité, eu égard aux récentes conclusions de l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne sur l’application aux militaires de la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail. Il ne s’agit pas de l’enjeu principal de notre débat de ce soir, mais cette question est cruciale pour nos armées. Je saisis donc l’opportunité que constitue cette audition pour vous interroger sur l’applicabilité de cette directive et la position du Gouvernement français.

 

M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargées des affaires européennes. Mesdames les présidentes, Monsieur le président Bourlanges, Mesdames et Messieurs les députés, je suis très honoré d’être reçu dans ce format d’audition, qui pour moi est une première.

Je vais revenir brièvement sur la négociation du Brexit et l’accord conclu à la fin de l’année dernière, et évoquer un certain nombre de sujets complémentaires qui n’ont pas trouvé leur place dans cet accord, pour des raisons sur lesquelles je reviendrai. J’aborderai évidemment les questions de défense et de sécurité, et des questions connexes, comme celle de la protection des données.

Je commence par l’esprit dans lequel nous avons mené les négociations avec le Royaume-Uni. Elles ont constitué un défi sans précédent pour l’Union européenne. Il était inédit qu’un pays décide de sortir de la famille européenne, et, à l’été 2016, les prédictions allaient vers le délitement de l’Union européenne plutôt que vers sa consolidation ; or l’Union européenne a démontré sa solidité dans la négociation face au Royaume-Uni, vu non pas comme un adversaire, mais comme un partenaire qui devenait progressivement un pays tiers.

Nous avons défini des objectifs extrêmement clairs et des lignes directrices communes. Nous avons identifié ce qui faisait le cœur de nos intérêts européens et de la construction européenne, en premier lieu la préservation du marché unique. Sous l’égide de Michel Barnier, auquel je veux rendre hommage, les Européens ont montré, tout au long de cette négociation, une unité impressionnante.

Nous avons séquencé la négociation en deux phases. Une première phase a permis de mener à terme l’accord de retrait, conclu à la fin de l’année 2019. Cet accord a préservé trois intérêts fondamentaux communs de l’Union européenne en général, et de la France en particulier : nos intérêts financiers, en assurant le règlement financier, dans la durée, de ce que le Royaume-Uni devait à l’Union européenne, au titre de son appartenance pendant plus de quarante années à l’Union ; les droits des citoyens, garantissant aux 3 millions de citoyens européens résidant au Royaume-Uni, dont 300 000 Français, la continuité de leurs droits ; la frontière de l’Irlande, qui concerne toute l’Union européenne et assure l’intégrité de notre marché unique, et, plus largement la paix et la stabilité au cœur de l’Europe.

Cette phase de négociation a été compliquée, mais ce n’était que l’apéritif ! Ensuite, en quelques mois seulement – nous devons mesurer l’ampleur de la tâche réalisée – nous avons négocié un accord essentiellement économique et commercial avec le Royaume-Uni, conclu le 24 décembre et signé le 30 décembre. Son ambition est extrêmement importante, et il est positif à trois égards.

Premièrement, il préserve non seulement les intérêts fondamentaux de la France et des vingt-sept États membres de l’Union européenne dans les secteurs économiques centraux et sensibles comme celui de la pêche, mais plus largement des conditions de concurrence équitables pour nos entreprises et pour nos emplois. Alors que nous menions ces débats nécessaires et légitimes sur la politique commerciale de l’Union européenne avec un pays qui est de loin son premier partenaire commercial, au regard de tous les accords économiques et commerciaux que nous avons signés jusqu’à présent, nous avons pour la première fois introduit le respect de l’accord de Paris comme clause essentielle. Nous avons intégré des mécanismes de respect de conditions sanitaires, alimentaires et sociales, et d’un certain nombre de standards. Il faudra les faire appliquer avec vigilance. Leur respect est la condition pour l’accès complet à notre marché sans droits de douane. Ainsi, le respect des intérêts fondamentaux de l’Union européenne constitue le pilier central de l’accord, et c’est la raison pour laquelle la France y a apporté son soutien.

Deuxièmement, nous avons préservé l’unité européenne au cours de cette négociation, ce qui était loin d’être évident. Le symbole est important et beaucoup de sujets nous attendent : la question de la défense européenne, ensemble, à vingt-sept, la régulation du monde numérique, notre ambition climatique, la réforme des politiques commerciale ou migratoire et d’autres défis encore. Si nous avions brisé l’unité des vingt-sept, nous ne serions pas en mesure, aujourd’hui, de faire avancer, à quelques mois de la présidence française de l’Union européenne, ces priorités communes. Et je ne parle pas de la réponse à la crise sanitaire et économique !

Troisièmement – et ce point renvoie aux incomplétudes de cet accord – nous avons préservé, condition même de cet accord, un cadre de coopération positif et vaste avec le Royaume-Uni. Cet accord a essentiellement une dimension économique et commerciale, mais pas seulement. En matière de coopération judiciaire, de coopération policière, de cyber coopération ou de cyberespace, il inclut un certain nombre d’éléments importants pour notre sécurité.

Toutefois, des points d’interrogations ou des manques subsistent. Nous devrons construire des solutions avec le Royaume-Uni. Comme transition entre le contenu de l’accord et ce qu’il reste encore à bâtir avec nos partenaires britanniques, j’ajouterai que l’accord autorise la participation britannique à un certain nombre de programmes, sous réserve d’une contribution financière. Il s’agit de programmes clefs auxquels d’autres pays tiers participent : Horizon Europe, en matière de recherche et de développement ; Copernicus, en matière spatiale et d’observation de la terre, programme qui a une dimension essentielle, aussi bien civile que de sécurité ; enfin, un certain nombre d’autres programmes auxquels le Royaume-Uni, de lui-même n’a pas souhaité coopérer, ce que je regrette – je pense en particulier à Erasmus.

Nous avons veillé à maintenir le champ de coopération le plus large possible en défendant nos intérêts le mieux possible, tout en préservant un canal de coopération que nous pourrons amplifier à l’avenir.

La période de ratification puis de mise en œuvre est en cours, puisque cet accord fait l’objet d’une application provisoire depuis le 1er janvier, pour éviter, même temporairement, les effets d’un no deal. Sans doute faudra-t-il prolonger de quelques semaines la période de transition, dont le terme était fixé à la fin du mois de février, pour permettre à l’Union européenne d’établir les versions authentifiées de cet accord dans l’ensemble des langues européennes. Au-delà du symbole, et au regard de la complexité, de la précision et de la longueur de cet accord, ce n’est ni secondaire ni une mince affaire que d’en vérifier intégralement les termes dans notre langue. Nous devons aussi mettre à profit ce délai pour renforcer les propres mesures autonomes de l’Union européenne, qui ne seront pas finalisées d’ici la fin du mois de mars ou la fin du mois d’avril, échéance probable du nouveau délai, pour préparer par exemple nos capacités de réplique ou de rétorsion si les règles d’accès à notre marché n’étaient pas respectées. Voilà qui fait partie des éléments de mise en œuvre et de vigilance que j’évoquais.

Cet accord contient un certain nombre de manques ou d’incomplétudes, que nous devons progressivement combler, toujours dans le respect de nos intérêts et de la meilleure coopération possible.

Madame la présidente Thillaye, pour répondre à l’un des points que vous avez soulevés, j’évoquerai deux éléments clefs à la frontière de la sphère économique et de celle de la sécurité.

Le premier élément est plus économique ; il concerne les services financiers. Dans ce domaine, aucune coopération avec le Royaume-Uni n’a été prévue dans cet accord, pour une raison simple, très stratégique, de défense des intérêts de l’Union européenne : dans notre droit, les décisions sur l’accès à notre marché européen en matière de services financiers sont unilatérales – nous avons constamment défendu cette position au cours des quatre ans de négociation. Nous sommes en train de discuter avec le Royaume-Uni des fameuses décisions d’équivalence : c’est l’Union européenne qui examine, pour une durée que la Commission européenne nous proposera de fixer, durée déterminée et donc révocable, un accès total ou partiel, jamais inconditionnel ni irrévocable, à notre marché des services financiers. L’Union européenne a donc cet outil entre les mains. Les décisions sont prises en fonction des critères de régulation que les Britanniques imposent à leurs propres services financiers. Autrement dit, en cas de dumping réglementaire dans ce domaine, nous pourrions retirer ou restreindre l’accès à notre marché des services financiers. Notre négociateur a su préserver cet intérêt fondamental tout au long de la négociation.

Le deuxième élément concerne les données, notamment personnelles. De même, les décisions sont des décisions d’équivalence. Cette exigence extrêmement stricte nous est imposée par la Cour de justice de l’Union européenne, en application des traités. Nous l’avons vu avec les États-Unis : lors de la signature des accords de transfert automatique des données, à deux reprises, la Cour de justice a jugé que les exigences américaines sur le degré de protection des données n’étaient pas suffisantes pour autoriser une équivalence et un transfert automatique. Nous réaliserons dans les prochaines semaines la même analyse, ad hoc, avec le Royaume-Uni, pour délivrer une équivalence ou non. Notre intérêt serait d’accorder une équivalence, mais à condition que les engagements de la part des Britanniques soient sérieux. Nous devons maintenir le niveau de protection des données, notamment du RGPD, qui ne lie plus directement les Britanniques, au cas où ils souhaiteraient diminuer leurs standards en matière de protection des données. Ce n’est ni ce qu’ils nous ont indiqué, ni ce que nous souhaitons, mais des vérifications sont nécessaires. Dans tous les cas, la décision est révocable, ce qui exige de réévaluer régulièrement le niveau de protection entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, non seulement des données personnelles, mais aussi, plus largement, de toute une série de données, notamment dans le domaine de la sécurité.

Le champ qui intéresse tout particulièrement votre commission de la défense est celui de la politique étrangère, de la défense et de la sécurité. Sur ce point, le Royaume-Uni a considéré qu’il n’était pas urgent ou nécessaire d’inclure le volet de politique extérieure et de défense dans l’accord d’ensemble. Nous le regrettons, alors que notre négociateur l’avait proposé à plusieurs reprises.

Notre histoire et nos discussions avec le Royaume-Uni ne s’arrêtent pas là pour autant. Mme la présidente Dumas a rappelé que des coopérations bilatérales avec le Royaume-Uni demeurent. Nous avons célébré il y a quelques semaines les dix ans du traité de Lancaster House. Des avancées supplémentaires avaient été réalisées lors du sommet de Sandhurst en 2018. Il serait vraisemblablement opportun de tenir prochainement un sommet bilatéral avec le Royaume-Uni, notamment sur ces questions de défense, car il n’est de l’intérêt ni de la France ni du Royaume-Uni ni de l’Union européenne que cette coopération bilatérale et que nos coopérations concrètes en matière d’industrie de défense, d’interventions extérieures et de services de renseignement s’affaiblissent dans les mois qui viennent.

Existent aussi un certain nombre de coopérations européennes, au sens le plus souple et le plus large du terme, qui incluent le Royaume-Uni, à l’initiative de la France d’ailleurs. Je pense à l’initiative européenne d’intervention, que le Président de la République a lancée lors de son discours de la Sorbonne. Ce format souple de coordination de nos forces armées, de planification et d’analyse des menaces fonctionne bien. Il s’élargit progressivement, tout en préservant un format le plus informel et agile possible. Il s’agit d’un cadre de coopération européen que nous préservons avec le Royaume-Uni.

Nous aurons certainement à inventer – nous ne sommes qu’au début de cette réflexion – un cadre de coopération de défense, de sécurité et de politique étrangère avec le Royaume-Uni, qui reste évidemment notre voisin et notre allié. Voilà qui pourrait prendre des formes que nous avions déjà évoquées. En disant cela, je ne fais qu’ouvrir des pistes de réflexion avant notre échange. Le Président de la République avait évoqué en mars 2019, pour lancer cette discussion avec le Royaume-Uni et montrer que notre souhait n’était certainement pas de casser cette relation de coopération, un conseil de sécurité européen, enceinte de coordination entre les positions européennes et les positions britanniques. Peu importe le nom de cette enceinte ; par ailleurs, ses missions devraient être précisées. Dans tous les cas, il y va de notre intérêt en matière de sanctions, de définition des grandes orientations de politique étrangère et de formats ad hoc – comme celui de l’European 3, ou E3, entre l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni - qui, ont vocation à se poursuivre.

Mesdames les présidentes, vous m’avez interrogé sur quelques sujets d’actualité importants pour la coopération franco-britannique. Sur les questions d’asile et d’immigration, qui nous éloignent un tout petit peu de notre sujet, mais touchent aussi à notre sécurité de très près, nous n’avons pas établi un cadre de coopération entre l’Union européenne et le Royaume-Uni dans cet accord. Un certain nombre de coopérations bilatérales existent cependant, sur les mineurs isolés, la gestion de notre frontière et la lutte contre l’immigration illégale dans la Manche, cette dernière ayant été encore renforcée par les ministres de l’intérieur français et britannique à la fin de l’année dernière.

Nous menons une réflexion pour remplacer les accords de Dublin, qui prévoient la possibilité de réaliser des transferts. Nous pouvons imaginer un accord bilatéral avec le Royaume-Uni, compatible avec nos obligations européennes, ou un cadre directement européen, qui transposerait de manière ad hoc les règles de Dublin en matière de transferts entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Mon sentiment personnel, à ce stade, est qu’un cadre bilatéral serait plus facile à mettre en œuvre à court terme.

J’en viens, Madame la présidente Dumas, à la directive sur le temps de travail, sujet qui n’est pas lié au Brexit, mais qui est éminemment important pour l’activité opérationnelle de nos forces armées, notre sécurité et notre souveraineté, qu’elle soit française ou européenne – sur ce point, je n’ai personne à convaincre dans cette enceinte. Nous devons toutefois expliquer régulièrement à nos partenaires que nos opérations extérieures, au Sahel et ailleurs, sont au service de la sécurité européenne ; comme Florence Parly l’a souligné, la prise de conscience est de plus en plus importante au niveau européen, et aujourd’hui, nous ne sommes plus seuls au Sahel. C’est parce que notre engagement militaire sert la sécurité et la souveraineté de l’Europe que nous sommes à la fois préoccupés et combatifs sur la question du temps de travail.

Les conclusions de l’avocat général ne constituent qu’une indication sur la décision qui sera rendue d’ici l’été par la Cour de justice – en pratique, cette dernière les suit souvent mais elle reste libre. Pour être très transparent, j’essaie de voir le verre à moitié plein et le verre à moitié vide. Avec Jean-Yves Le Drian et Florence Parly, nous sommes en train d’analyser plus avant les conclusions. Nous notons que les contraintes spécifiques de l’engagement opérationnel, spécifiquement mentionné, des armées françaises, sont reconnues, ce qui est important. Partant, nous examinons la souplesse permise par l’avocat général dans l’application de la directive. Il n’en reste pas moins que, dans les conclusions, le principe d’application de la directive sur le temps de travail est toujours reconnu comme nécessaire. Seul l’effet utile compte. Si l’effet opérationnel pour nos armées reste le même, ce sera une bonne nouvelle. Mais nous avons encore une inquiétude sur la future décision de justice, sur le suivi éventuel des conclusions de l’avocat général et sur les options et les ouvertures permises. Nous vous tiendrons au courant, de manière transparente, de notre analyse juridique et de nos démarches.

Nous sommes mobilisés, avec plusieurs partenaires européens, qui, sans montrer le même engagement, partagent cette préoccupation de sécurité. Dans tous les cas, il est hors de question que l’engagement opérationnel de nos armées soit remis en cause. Florence Parly demeure très vigilante sur ce point. Tout en étant de parfaits européens sur le plan juridique, au regard de notre engagement et de notre ambition, nous devons garantir la capacité d’intervention de nos forces armées au service de l’Europe.

 

Mme la présidente Sabine Thillaye. Je vous remercie pour ces propos liminaires. Il s’agit avant tout de recréer une base de confiance avec le Royaume-Uni. Comme le dit Michel Barnier, il n’est pas évident de diverger après avoir convergé. La ligne de crête est étroite.

 

M. Stéphane Trompille. Je vous remercie, Monsieur le secrétaire d’État, pour cet exposé très précis. L’espace n’est pas qu’un lieu de confrontation, c’est aussi un lieu de coopération. Vous avez brièvement évoqué le programme Copernicus. Le fonds de défense européen, opérationnel depuis le 1er janvier, s’élève à 7 milliards d’euros pour la période 2021-2027, et d’autres coopérations existent dans le domaine de la surveillance spatiale et pour des projets d’armement communs. Un partenariat en matière militaire, entre Allemagne, l’Italie et la France, est assuré par deux accords. Il existe également des partenariats entre l’Allemagne et la France pour l’observation radar, avec le futur successeur du radar Graves, et l’observation optique par satellite. Toutefois, l’Allemagne a développé une filière optique concurrente de la composante spatiale optique (CSO). Il s’agit d’un coup de canif dans les accords, marque d’une rivalité stratégique, technologique et industrielle qui perdure entre la France et l’Allemagne.

Concernant le domaine spatial et la problématique du Brexit, Galileo pose un problème. Les Britanniques veulent disposer d’un moyen de contrôle sur le signal sécurisé, appelé « service public réglementé », ou PRS, pour se prémunir de tout défaut d’accès, ce qui reste inacceptable pour les autres pays européens. Qu’en est-il aujourd’hui des négociations ?

J’en viens à la préférence européenne. En 2014, cinq lancements d’Ariane étaient prévus. Cependant, l’Allemagne a préféré mettre en concurrence Ariane 6 avec le Falcon de SpaceX, pour le lancement du satellite Georg. Il est possible, comme sur le modèle américain, de mettre en place un Buy European Act, et réserver ainsi les lancements institutionnels européens à des lanceurs exclusivement européens. Cela constituerait un début de réflexion en faveur de la viabilité d’Ariane 6. Seuls cinq ou six lancements sont prévus par an, et seulement quatre lancements ont eu lieu pour l’Europe, ce qui représente 3,8 % des lancements mondiaux.

 

M. Pierre-Henri Dumont. Sur un sujet aussi important que le Brexit, les parlementaires doivent exercer leur mission de contrôle. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie d’être revenu vous exprimer devant les membres des commissions des affaires européennes et de la défense.

Ma première question concerne la nature même de l’accord. Il a été décidé qu’il s’agirait d’un accord non mixte. Comment en est-on arrivé à cette conclusion ? Négocier le plus grand accord de libre-échange entre les pays membres de l’Union européenne et un pays tiers, qui plus est situé à 32 kilomètres de la porte d’entrée de l’Union, aurait mérité une réflexion sur le type d’accord, et, pour une meilleure intelligibilité, un vote des parlements nationaux.

Ensuite, je voudrais exprimer la grande déception du groupe Les Républicains face à la sortie du programme Erasmus. Ce pas en arrière est malheureusement gigantesque pour de très nombreux étudiants ! Des modalités nouvelles seront-elles mises en place à destination des universités d’autres pays européens, comme la République d’Irlande, pour augmenter le nombre d’étudiants accueillis ? Peut-on imaginer un système d’accompagnement des étudiants français qui désireraient étudier pour une année ou quelques mois au Royaume-Uni ?

J’appelle votre attention sur quelques points de vigilance. Les Britanniques n’ont pas hésité à utiliser la pêche comme levier de pression au cours des négociations, mais aussi après leur issue : les licences de pêche ont été accordées très tardivement aux marins-pêcheurs français. La clause de revoyure nous fait craindre qu’ils ne connaissent une nouvelle situation dramatique et incertaine dans cinq ans et demi, alors qu’ils doivent investir, rémunérer leurs équipages et rembourser leurs emprunts. Quelles sont nos marges de négociation, étant donné que nous avons contraint les Britanniques à nous autoriser la pêche dans leurs eaux, et que le réchauffement climatique conduit les bancs de poisson plus au nord ?

Ma vigilance porte aussi sur le level playing field, qui exige un bon équilibre des normes et des pratiques commerciales, industrielles, environnementales et sociales entre les pays. Comment contraindre les Britanniques à respecter ce cadre normatif généralisé, alors qu’ils ont décidé de sortir de l’Union pour pouvoir diverger – et qu’ils ont déjà annoncé leur volonté de le faire ?

Concernant les questions migratoires, la sortie de l’Union européenne signifie également la sortie du mécanisme de Dublin III. Les passeurs laisseront entendre aux migrants qu’ils peuvent se rendre au Royaume-Uni sans risque de se voir renvoyés dans le premier pays où leurs empreintes ont été relevées et où ils ont demandé l’asile : cela risque de créer un goulot d’étranglement encore plus important à Calais. De plus, Chris Philp, sous-secrétaire d’État parlementaire au ministère de l’immigration britannique, souhaite revenir sur l’amendement Dubs, qui limite les possibilités de regroupement familial pour les mineurs isolés. Vous dites que l’accord n’aborde pas cette question migratoire, mais un accord annexe permet de régler cette question. Où en sommes-nous ?

Enfin, pour célébrer les 500 ans du Camp du Drap d’Or, organisez le prochain sommet bilatéral à Calais !

 

M. Philippe Michel-Kleisbauer. Chaque année, les Britanniques et les Français participent à l’exercice Lynx, en mer Baltique. Nous mettons à disposition d’un commandement anglais un escadron de 400 hommes, pour nous aguerrir face à une menace potentielle sur les pays de la Baltique, à la suite de la révolution du Maïdan, de l’annexion par la Russie de la Crimée et de la guerre déclenchée par des séparatistes dans le Donbass.

Nos experts ont rendu leurs conclusions, il y a un mois et demi, au secrétaire général de l’OTAN ; leurs travaux avaient été entrepris sur la demande insistante du Président de la République française pour revisiter les processus politiques de l’OTAN. Nous en sommes aux balbutiements d’une Europe de la défense et d’une initiative européenne de défense, bienvenue, mais qui ne sera efficiente que dans un certain temps. Ne pensez-vous pas que l’axe de coopération de défense Royaume-Uni-France reste indispensable à la défense de l’Europe ?

 

M. Jean-Charles Larsonneur. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie pour votre exposé d’une clarté remarquable. Je souhaite revenir sur les effets directs du Brexit sur l’industrie de défense et la BITD. Je pense notamment à la sortie du Royaume-Uni de la directive de 2009 sur les transferts intracommunautaires et à des sujets douaniers qui peuvent concerner des industriels binationaux. Vous avez évoqué des manques dans l’accord du 30 décembre, les Britanniques ayant souhaité ne pas aller plus avant sur les questions de politique étrangère, de défense et sécurité. Premièrement, quelles sont les attentes de la France et de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) pour l’accord à venir ? Disposez-vous d’une feuille de route et quelles sont vos priorités ? Les remédiations doivent-elles avoir lieu dans un cadre communautaire ? Deuxièmement, que doit-on traiter dans un cadre bilatéral ?

Le message général revient à dire que, pour les grands programmes d’armement, nous continuons comme avant, dans un cadre bilatéral. Nous avons cependant constaté des impacts négatifs des négociations du Brexit sur les accords de Lancaster House, que l’on peut qualifier de décevants. En vue de la PFUE, la France sera-t-elle à initiative d’un accord communautaire, ou penche-t-elle plutôt pour un accord bilatéral ?

 

M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Monsieur Trompille, concernant les questions spatiales et de défense, vous avez rappelé que les nouveaux accords européens et le budget 2021-2027 incluent quelques avancées politiques et budgétaires importantes, même si nous aurions souhaité collectivement aller plus loin. Ils permettent de financer un fonds européen de défense de 7 milliards d’euros. S’y ajoute, en matière spatiale, et donc militaire à certains égards, un financement de plus de 13 milliards d’euros sur cette même période de sept ans. Clairement, ce n’est pas parfait pour couvrir toutes nos ambitions, mais il s’agit d’une première étape très importante, d’un renforcement en matière spatiale et d’une création en matière de défense qui sont particulièrement bienvenus. Nous pourrons ainsi faire avancer un certain nombre de projets européens, notamment sur l’avion du futur et le char du futur, que nous développerons dans un cadre franco-allemand, avec également quelques partenaires de l’Union européenne.

Concernant Galileo, vous avez rappelé un point de vigilance très important. Notre position n’a pas changé. Nous avons toujours dit aux Britanniques, avant même la conclusion de l’accord, que nous étions prêts à les associer au programme Galileo, y compris au signal sécurisé, mais qu’ils ne pouvaient participer à la maîtrise d’un certain nombre d’infrastructures et de la dimension militaire du programme. Ils ne peuvent pas produire de signal ni accéder à la dernière brique, qui est la plus sécurisée. Pour tout le reste, nous étions prêts à discuter avec les Britanniques – nous le serions encore –, mais ils ont fait le choix d’un programme ad hoc. Voilà qui doit être clarifié, mais telle est l’annonce qu’ils ont faite il y a quelques mois. Nous pourrons reprendre cette discussion, sur les mêmes bases et avec les mêmes lignes rouges, mais, pour l’instant, tel n’est pas le souhait de la partie britannique.

La question spatiale, plus généralement, est très importante. Il ne s’agit pas d’un sujet franco-britannique, mais essentiellement franco-allemand. Vous avez raison, des difficultés sont apparues sur la question spatiale, ces derniers mois et ces dernières années, dans notre relation franco-allemande. Jusqu’à la fin de l’année 2019, nous ne partagions pas l’idée selon laquelle une sorte de préférence européenne systématique pour les lanceurs était nécessaire. Les torts sont sans doute partagés entre la puissance publique et les industriels, entre la France, l’Allemagne et d’autres partenaires – il ne s’agit pas de se défausser sur qui que ce soit. Cependant, force est de constater, alors même que cette filière constitue un atout stratégique majeur et un domaine européen d’excellence industrielle, militaire et stratégique, que nous avons fragilisé la filière des lanceurs européens par défaut de coopération. Certains acteurs allemands, comme l’entreprise OHB System, se sont insérés sur le marché – c’est leur droit – dans l’idée de créer progressivement une potentielle filière de lanceurs concurrente de la filière Ariane. Cette dernière n’est d’ailleurs pas spécifiquement française, mais européenne, notamment franco-allemande. Des tensions se sont aussi manifestées avec l’Italie.

Nous avons créé des divisions européennes sur la filière des lanceurs, mais nous ne pouvons évidemment pas nous permettre ce luxe, face à la montée en puissance de nouveaux acteurs du New Space, américains et privés. Ces acteurs présentent une dimension tout à fait stratégique, et certains acteurs publics européens recourent à ces acteurs privés américains, notamment nos partenaires allemands, pour des lancements de satellites à vocation souveraine. Ce temps-là, récent, qui ne fut pas un moment glorieux de la coopération spatiale européenne, me semble être derrière nous – je ne suis ni naïf ni excessivement optimiste en disant cela. La chancelière Merkel et le Président de la République ont acté au sommet franco-allemand de Toulouse, à la fin de l’année 2019, de manière explicite, que nous devions défendre une préférence européenne en matière de lanceurs. Bruno Le Maire et son homologue allemand Peter Altmaier ont relancé, il y a quelques semaines à peine, une coopération industrielle publique, pour éviter tout effet de concurrence malvenue, pour donner corps à la préférence européenne et renforcer notre avantage sur des domaines stratégiques comme la filière des lanceurs, des petits lanceurs et des lanceurs réutilisables, dans lesquels l’Europe avait sans doute sous-investi ces dernières années. Pilotée par Bruno Le Maire, Frédérique Vidal et Florence Parly, cette démarche est absolument stratégique pour la nécessaire consolidation européenne. Nous pourrons envisager des coopérations avec le Royaume-Uni à l’avenir, mais l’enjeu, aujourd’hui, n’est pas là ; il est dans le rétablissement d’une bonne coopération franco-allemande, et, dans un second temps, franco-germano-italienne.

Monsieur Dumont, vous avez posé plusieurs questions importantes touchant au contenu de l’accord ou à sa méthode. Sur la non-mixité qui a été choisie, nous aurions pu trancher d’un côté ou de l’autre sur le plan juridique, et sans doute pour la mixité sur le plan politique. J’entends votre argument, fondé, sur le fait que l’ampleur de l’accord aurait justifié un débat parlementaire devant votre assemblée, et plus largement devant l’ensemble des parlements nationaux. Nous aurions sans doute pris plus de temps. En Europe, le débat est permanent entre l’exigence démocratique et la nécessaire urgence. Nous aurions sans doute pris plus de temps. Le caractère tardif de la conclusion politique de l’accord à la fin du mois de décembre nous a fait basculer de facto vers la non-mixité.

Nous avions tenu une séance spécifique de questions d’actualité sur les questions européennes, et nous sommes convenus avec les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat que le Gouvernement, moi-même et l’ensemble de mes collègues – un grand nombre d’auditions thématiques ont eu lieu, même si elles ne remplacent pas totalement un vote sur le texte – étions à votre disposition, encore dans les prochaines semaines, d’ici à la finalisation juridique et politique de l’accord. Ainsi nous pouvons avoir ce débat démocratique et transpartisan sur le contenu de l’accord, l’expliquer et défendre non pas la réouverture des négociations, mais nos exigences dans sa mise en œuvre, en termes de concurrence équitable sur la pêche ou sur d’autres sujets. L’accord propose des garanties, mais nous devons encore en assurer à la fois le respect et l’avenir. Enfin, je souligne un élément démocratique essentiel : le Parlement européen devra voter en faveur de l’accord dans les prochaines semaines, condition sine qua non de sa ratification.

La question des étudiants Erasmus est importante, parce que le Royaume-Uni était le troisième pays d’accueil des étudiants dans le cadre du programme. C’était une richesse pour nos étudiants et une destination favorite des étudiants français. Le Royaume-Uni était le premier ou le deuxième pays de destination des étudiants Erasmus français, avec l’Espagne. J’ai exprimé un regret devant une telle perte, qui est un pur choix britannique, un choix politique que je déplore. C’est aussi une perte de richesse académique et humaine pour le Royaume-Uni.

Les étudiants français engagés dans un cursus d’études au Royaume-Uni peuvent le poursuivre avec les mêmes droits et avec les mêmes frais de scolarité, qu’ils soient engagés dans une licence, donc pour trois ans, ou un master, pour deux ans. Ainsi, ils ne subiront pas l’augmentation des frais de scolarité qui s’imposera en revanche à tous ceux qui commencent un cursus ou en changent après le Brexit. Sur Erasmus même et la mobilité étudiante, nous trouverons des compensations. Le problème est plus important pour le Royaume-Uni que pour nous-mêmes. Coïncidence bienvenue, nous sommes au début de la nouvelle période budgétaire. Dans le budget 2021-2027, nous doublons les crédits en euros courants affectés au programme Erasmus, qui concerne non seulement les vingt-six autres États membres de l’Union européenne, mais aussi d’autres pays qui se sont associés au programme Erasmus sans être membres de l’Union, via les programmes Erasmus + et Erasmus Mundus. Beaucoup plus de mobilité étudiante et de bourses Erasmus seront offertes aux étudiants français et européens dans les années à venir. Nous montons en puissance – j’en parlais encore hier avec la ministre Frédérique Vidal – pour que, après une période forcément difficile liée à la crise sanitaire, nous développions les mobilités étudiantes à partir de la rentrée 2021.

Erasmus ne doit pas être un exercice purement anglophone. Cependant, puisqu’il existe un appétit légitime de perfectionnement ou d’apprentissage de l’anglais à travers ce programme, nous pourrions favoriser des mobilités vers l’Irlande, ou d’autres pays qui offrent une formation anglophone. Ainsi, après le Brexit, nous pourrons offrir plus de mobilité étudiante, en anglais ou dans d’autres langues, à nos étudiants français.

Sur la question de la pêche, la garantie obtenue pour cinq ans et demi représente effectivement un équilibre un peu étrange, mais qui correspond essentiellement à six campagnes de pêche, puisque cette période nous amène à l’été 2026. Nous devons dès à présent préparer la suite – je m’y suis engagé en venant dans les Hauts-de-France le 1er janvier. Cette suite n’est ni blanche ni noire. Il est possible que les Britanniques reprennent la maîtrise annuelle de l’accès à leurs eaux ; toutefois, Michel Barnier a posé une condition, sous notre impulsion, ou plutôt avec notre plein soutien, jusqu’au bout de la négociation : en retour, nous disposons de leviers, notamment l’accès à nos propres eaux. Si les Britanniques nous ferment l’accès à leurs eaux, nous fermerons le nôtre. Surtout, nous aurions le droit d’appliquer des droits de douane sur les produits de la mer ou autres. Par ailleurs, un certain nombre d’accords voient leur durée calibrée sur les dispositions relatives à la pêche : je pense à l’énergie, qui est un levier puissant face au Royaume-Uni. Ainsi, nous aurons une négociation à mener le plus tôt possible, sans attendre le début de l’année 2026, pour mettre en balance ce que nous pouvons appliquer aux Britanniques et l’accès que nous souhaitons conserver à leurs eaux. Il ne me semble pas que nous soyons en mauvaise posture pour cette négociation. Cependant, comme nous nous sommes battus ensemble pour garantir, pour les six prochaines campagnes de pêche, les intérêts de nos pêcheurs, nous devrons le faire à nouveau pour l’après 2026.

Sur le fameux level playing field, ou les conditions de concurrence équitable, nous devons être extrêmement vigilants quant à l’application des mesures et le complément de l’accord. Voilà qui dépend beaucoup des mesures que nous prenons, nous, dans l’Union européenne. La boîte à outils est assez complète. Mon équipe avait préparé un résumé détaillé de ce que contient le mécanisme de level playing field, que nous pourrons vous transmettre. Au cas où une mesure de divergence serait prise par le Royaume-Uni, nous pourrions saisir un comité et appliquer des mesures de rétorsion, dont les délais sont encadrés. Il n’existe pas d’effet suspensif à un recours devant ce comité, ce qui signifie que la partie lésée par une mesure de divergence peut réagir sans tarder. Certes, cela a lieu après une procédure de type juridictionnel, mais, à court terme, nous pouvons réagir, ce qui est très important. Nous avons défendu ce dispositif jusqu’au bout.

Cela vaut aussi pour les aides d’État ; même si nous devons rester vigilants dans l’application qu’ils feront de l’engagement pris, les Britanniques devront contrôler les aides d’État avec les mêmes définitions que les nôtres, dans les mêmes secteurs, pour qu’aucun avantage concurrentiel ne bénéficie au Royaume-Uni.

Le risque zéro n’existe pas, et tout dépend du mécanisme que nous développerons au sein de l’Union européenne et de la manière dont nous surveillerons le comportement du Royaume-Uni. Cependant, clef et condition de l’acceptation de l’accord, nous disposons des moyens de réagir face à une stratégie potentielle de dumping ciblé du Royaume-Uni dans tel ou tel domaine. Je note toutefois que, quand le gouvernement britannique a fait quelques annonces tonitruantes en matière sociale, par exemple sur le temps de travail, elles n’ont pas rencontré spontanément un soutien unanime ou évident au Parlement ou dans l’opinion britannique. Nous devrons toujours faire la part des choses entre les annonces et la réalité, tout en restant vigilants.

La question de l’asile doit aussi être traitée. Deux voies sont possibles : un accord européen avec le Royaume-Uni, pour appliquer des règles équivalentes à celles de Dublin, règles qui ont montré leur utilité, ou un accord bilatéral qui reproduise ces règles, ce qu’autorise le droit de l’Union européenne. Nous devons creuser les deux options et accélérer les travaux. La voie bilatérale me semble plus rapide et plus efficace, parce qu’elle serait le prolongement du traité de Sandhurst conclu, à propos des mineurs isolés, il y a un peu plus de deux ans avec le Royaume-Uni. Ce sujet est éminemment important. La coopération bilatérale, à l’instar de l’accord Darmanin-Patel de ces dernières semaines, est la voie que nous devons explorer en priorité avec les élus et les collectivités de la région.

 

La mission Lynx et notre coopération dans la région de la Baltique ne sont pas affectées par le Brexit. Plus largement, nos actions dans la région, dans le cadre de l’OTAN, avec la présence avancée renforcée, correspondent à des engagements hors cadre de l’Union européenne que nous maintenons. Ce cadre de coopération avec les Britanniques est étroit, et nous souhaitons évidemment le préserver. Il constitue un élément de sécurité européenne, sans pour autant relever de l’Union. Nos troupes, en 2020, ont été engagées en Lituanie. Le Président de la République, Jean-Yves Le Drian, Florence Parly et moi-même avons eu l’occasion de leur rendre visite à la fin du mois de septembre. Elles changent chaque année de théâtre d’intervention et se redéployeront en Estonie à partir de mars 2021, en lien, selon les cas, avec les Allemands ou avec les Britanniques comme nation-cadre. Nous préservons cet engagement et ce lieu de coopération avec le Royaume-Uni ; ils sont absolument essentiels à notre sécurité commune. Le Brexit ne les affecte en rien.

Concernant les transports et transferts d’armements, et plus largement le cadre dans lequel nous situons notre coopération de défense, les deux voies sont pertinentes. Nous devons consolider notre relation bilatérale, comme en matière d’industrie de défense, grâce à des champions tels que MBDA, comme pour des coopérations que nous avons inscrites dans le prolongement des accords de Lancaster House. Au Sahel, le soutien opérationnel des Britanniques est essentiel ; il a fait l’objet d’un accord bilatéral conclu avec Theresa May. Ces engagements se prolongent et constituent un appui absolument vital.

En complément de cette coopération bilatérale, nous aurons besoin d’un cadre euro-britannique qui n’existe pas et que nous devons construire, pour produire un certain nombre de textes législatifs européens sur des questions de transfert ou de transport par exemple, et plus largement pour coordonner nos positions, dans une optique de sécurité de la défense. Quand nous prenons, en réponse à une crise internationale, des sanctions, il est nécessaire de coordonner autant que possible les mesures que nous prenons avec les Britanniques.

Nous devons nous guider selon deux boussoles. La première est l’autonomie de décision de l’Union européenne, que nous avons défendue tout au long de la négociation – cela n’est pas faire insulte aux Britanniques, mais est indispensable. Le Royaume-Uni, aussi proche soit-il, tout allié qu’il soit de la France et de l’Union européenne, n’est plus un pays membre de l’Union. Par voie de conséquence, nous décidons de nos éventuelles sanctions, nous décidons de nos positions de politique étrangère, nous décidons d’un accord migratoire, commercial ou autre avec tel ou tel partenaire. À côté de cette exigence d’autonomie, la seconde boussole est la coopération la plus systématique et encadrée possible. Tel était l’esprit de cette proposition qui visait à ouvrir le débat sur un conseil de sécurité européen. Au-delà de l’initiative européenne d’intervention, il faut un format de coordination à vingt-sept, plus le Royaume-Uni.

Autonomie des vingt-sept et concertation avec le Royaume-Uni, voilà les deux boussoles pour aligner au mieux nos positions internationales. Nous sommes deux alliés, deux démocraties libérales, deux membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, deux puissances nucléaires qui avons besoin de travailler ensemble à la sécurité européenne. Cela ne fait aucun doute, malgré les péripéties et les tensions qui ne manqueront pas de se manifester dans le sillage du Brexit. Cela est inévitable, même si tel n’est pas notre souhait. Dans tous les cas, ces tensions ne doivent pas affecter cette coopération sécuritaire essentielle.

 

M. Thierry Michels. Cela fait un an que les eurodéputés et fonctionnaires européens ont déserté le siège du Parlement européen à Strasbourg. Je vous sais pleinement mobilisé sur cette problématique, que ce soit à court terme pour le retour des eurodéputés ou à moyen et long termes pour le renforcement des activités du Parlement européen à Strasbourg.

Le contrat triennal qui fédère les actions des collectivités locales et de l’État est toujours en cours de négociation. Que pouvez-vous nous dire de sa finalisation et de la date à laquelle il pourrait être officiellement signé ?

Par ailleurs, ce dimanche 14 février, l’Allemagne a décidé unilatéralement de fermer, en raison de la pandémie du covid-19, certaines de ses frontières avec la République tchèque et la région du Tyrol en Autriche. Elle a laissé entendre qu’elle pourrait faire de même avec la France dans les prochains jours. La fermeture des frontières entre la France et l’Allemagne a constitué un réel traumatisme lors de la première vague, sans compter les innombrables difficultés rencontrées par les habitants des régions frontalières. Que pouvez-vous nous dire concernant l’état d’avancement des discussions engagées avec le gouvernement allemand, et, au niveau européen, de la concertation nécessaire sur l’ouverture et la fermeture des frontières ?

Toutes ces difficultés mettent en évidence l’ardente obligation d’une meilleure coordination au niveau européen, en particulier en matière de santé. Après l’action très positive d’acquisition des vaccins contre le coronavirus par l’Union européenne, nous pouvons saluer l’ambition de la Commission européenne de créer une Europe de la santé dotée d’un budget de 5 milliards d’euros sur sept ans. Ces premiers jalons d’une Europe de la santé étant posés, comment, Monsieur le secrétaire d’État, s’assurer de leur pérennité ? Quelle est la stratégie de la France pour promouvoir et renforcer la coopération sanitaire entre les vingt-sept États membres ?

 

Mme Aude Bono-Vandorme. Un très récent rapport du think tank Policy Exchange exhorte le Royaume-Uni à faire son virage post-Brexit vers la zone indopacifique, en consacrant davantage de ressources militaires, financières et diplomatiques à la menace croissante de la Chine. Parallèlement, nous pouvons raisonnablement envisager que le nouveau président américain relancera la stratégie du pivot vers l’Asie, développé par l’administration Obama, quitte à délaisser quelque peu l’alliance atlantique. Depuis le Brexit, la France, via ses territoires ultramarins dans le Pacifique, porte seule le drapeau de l’Union européenne, mais, par son déploiement militaire, elle peut devenir une pièce majeure non seulement pour l’Europe, mais aussi pour les États-Unis, dans le cadre de sa stratégie vers l’Asie. Si cette ligne moins eurocentrique de Londres et Washington se concrétise, comment voyez-vous l’avenir de leurs relations avec l’Union européenne en matière de politique étrangère, de sécurité et de défense ?

 

Mme Florence Morlighem. Les entreprises du Nord rencontrent de grandes difficultés pour exporter au Royaume-Uni, à cause du Brexit. Les dirigeants d’entreprise que j’ai rencontrés m’ont fait part de retards, de surcoûts liés au rétablissement des formalités douanières et de bugs informatiques chez les autorités britanniques. Certains chefs d’entreprise de mon département sont ainsi décontenancés devant les obstacles qui s’accumulent dans les échanges commerciaux avec les Britanniques. Le système est certes en train de se roder, mais j’ai souhaité vous faire part de ces difficultés qui illustrent une nouvelle fois l’inanité du Brexit !

 

Mme Nicole Le Peih. Le Brexit est un accord perdant-perdant ; c’est un affaiblissement. Pour la première fois, nous signons un accord de divergence, pour aller moins loin que nous étions hier. S’ajoute le risque évident pour l’Union européenne du dumping. Que ce soit sur les standards sociaux ou environnementaux, l’accord prévoit un principe de non-régression par rapport aux standards applicables à la fin de l’année 2020. En cas de distorsion de concurrence, que ce soit pour des aides de l’État ou pour des assouplissements de réglementation – par exemple la non-utilisation des substances chimiques –, nous pourrions répondre en imposant une taxation sur les produits échangés. Voilà un point d’accord équilibré, si nous sommes stricts dans son application. Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous préciser les moyens dont nous nous sommes dotés pour assurer le respect de l’accord ? En cas de distorsion de concurrence, qui signale et qui sanctionne ?

 

M. Didier Quentin. J’aurai trois questions rapides à vous poser. Quelles sont, à terme, les clauses de revoyure, par exemple sur la question des quotas, des antériorités des droits de pêche ou encore sur les tensions commerciales à venir, qui peuvent poser le plus de difficultés dans l’accord de sortie ?

Londres n’a pas voulu inclure dans cet accord les questions de sécurité et de défense, même si le Royaume-Uni entend contribuer à l’initiative européenne d’intervention et s’il participe, certes modestement, à nos opérations au Sahel, avec un détachement de trois hélicoptères lourds – d’ailleurs partagés avec la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Quelles sont les initiatives en cours pour une meilleure coopération dans les domaines de la sécurité intérieure et de la défense, y compris sur le segment industriel, qui est un peu le parent pauvre des accords de Lancaster House ?

Enfin, à la suite de l’accord sur le Brexit, le french bashing est revenu en force, semble-t-il, dans l’opinion britannique, notamment par ce que j’appellerais un effet miroir de la position jugée intransigeante du Président Macron, bien que le Royaume-Uni demeure un partenaire commercial de premier plan. Quelles initiatives entendez-vous prendre pour améliorer l’image de notre pays auprès de l’opinion publique britannique et de ses tabloïds ?

 

Mme Natalia Pouzyreff. Permettez-moi de revenir rapidement sur le cadre dans lequel pourrait s’inscrire la coopération future en matière de défense. Si l’accès du Royaume-Uni à la coopération structurée permanente peut se faire au titre de la participation en tant que pays tiers, le Royaume-Uni pourrait aussi vouloir privilégier des coopérations bilatérales, au cas par cas, préférer coopérer avec les États-Unis, voire se poser en compétiteur sur un certain nombre de programmes – bref, faire du pick and choose. Dans ce contexte, n’aurions-nous pas intérêt, nous, Européens, à prendre les devants et à essayer de les engager dans des accords assez structurants, voire contraignants, en matière de sécurité et de défense, et selon quelle temporalité ? Dans la mesure où la France reste un interlocuteur privilégié du Royaume-Uni sur les sujets de défense, tant au niveau opérationnel qu’au titre des accords de Lancaster House, aurait-elle un rôle spécifique d’intermédiaire à jouer auprès des autres partenaires européens ?

 

M. Philippe Meyer. En écho aux propos de mon collègue bas-rhinois Thierry Michels, nous attendons avec beaucoup d’impatience le retour des députés européens à Strasbourg. Vous disiez que les accords de décembre n’abordaient pas la politique extérieure et de défense. Ils ont été conclus un peu dans l’urgence, et sont essentiellement économiques et commerciaux. Concernant les accords bilatéraux de défense entre la France et le Royaume-Uni, existe-t-il un calendrier précis pour revoir ou confirmer nos accords post-Brexit ? Cet éloignement britannique peut-il entraîner des changements significatifs dans les relations entre les deux puissances nucléaires, qui sont aussi les seuls pays européens membres du Conseil de sécurité ? Cela ne semble pas souhaitable, mais, avec les Britanniques, il ne faut rien écarter. Quel est votre sentiment sur ce point ?

 

M. Jean-Pierre Pont. Ces accords ont été difficiles à obtenir. La pêche a été la clé de voûte : pas d’accord commercial sans accord sur la pêche. Le statut actuel, qui court jusqu’à juillet 2026, implique une perte de 25 % des quotas sur certaines espèces, ce qui était acceptable. Cependant, après 2026, renégocier de nouveaux accords tous les ans ne donne pas beaucoup de visibilité aux marins-pêcheurs, qui investissent beaucoup d’argent dans leurs bateaux. Vous avez répondu en partie sur ce point.

Concernant l’accessibilité aux eaux britanniques, j’ai toujours dit que la question portait moins sur l’accessibilité aux eaux territoriales que sur les conditions dans lesquelles l’accès se fait. Un problème apparaît pour les zones situées dans les 6-12 milles marins : seuls 15 des 110 bateaux des Hauts-de-France ont reçu une licence, quarante-cinq jours après le Brexit ! Les marins-pêcheurs sont en extrême difficulté : ils ne demandent qu’à pêcher, mais ils ne peuvent pas. Ils ne veulent pas se retrouver comme les bourgeois de Calais, la corde au cou ! Je ne pense pas qu’ils feront comme Napoléon à Caen et à Boulogne. Ils demandent simplement de pouvoir retravailler. Ils vous adressent un appel au secours !

 

M. Jacques Marilossian. Dans notre rapport sur le bilan des accords de Lancaster House du 2 novembre 2010, Charles de la Verpillière et moi-même constations que la France et le Royaume-Uni avaient des cultures stratégiques très proches. Un rapprochement des intérêts et des visions des deux pays dans le domaine de la défense est évident et nécessaire. Le Brexit, lui, a marqué une césure : il oblige à repenser nos relations de défense par rapport à la construction d’une autonomie stratégique européenne, face à la tentation otanienne de bien des États européens – Royaume-Uni en tête.

L’accord du 24 décembre ne comporte pas de clause concernant la défense. Parallèlement, la Commission européenne a approuvé, le 28 octobre, l’élargissement des projets de la coopération structurée permanente (CSP) aux industries des États tiers, dont, bien sûr, celle du Royaume-Uni. Que devons-nous faire, alors que les Britanniques gardent un pied dans les projets de défense de la CSP ? Devons-nous établir de nouveaux accords bilatéraux, à l’image de la déclaration de Saint-Malo en 1998, ou mobiliser nos moyens capacitaires européens ? Rappelons que le premier ministre Boris Johnson vient d’annoncer que le budget britannique de la défense allait repartir à la hausse de manière significative, avec plus de 18 milliards d’euros en quatre ans. Permettez à l’ancien rapporteur du budget de la marine que je suis de souligner la commande de treize nouvelles frégates, dans le but de faire de la Royal Navy la première marine en Europe !

S’agissant des relations de défense entre nos deux pays, dans le cadre d’une véritable défense européenne, quelle est la feuille de route de la France ? Comment entendez-vous travailler avec Florence Parly sur ce thème ?

 

Mme Liliana Tanguy. La période transitoire de cinq ans et demi permet à nos pêcheurs européens d’accéder aux eaux britanniques ; progressivement, les captures devront baisser, pour atteindre 25 % de prises en moins. Ces quotas feront alors l’objet de négociations annuelles, qui seront vraisemblablement difficiles. Certains de mes collègues ont déjà évoqué la question de la redistribution des quotas. Quelle est la stratégie que la France souhaite adopter pour anticiper ces négociations ?

Les pêcheurs français s’interrogent sur l’opportunité des investissements que nous allons engager, grâce au plan de relance et dans l’optique de la transition écologique, étant donné qu’ils n’ont aucune visibilité au-delà des cinq ans. Comment la France et l’Union européenne peuvent-elles œuvrer pour préserver l’ensemble de la filière de la pêche ?

Le départ des Britanniques n’est pas sans conséquence, puisque ce partenaire dispose d’un appareil de défense important et est membre du Conseil de sécurité. Cependant, le Brexit a eu pour effet de faciliter l’accord scellé entre partenaires européens sur la mise en place d’un fonds européen de la défense pour la période 2021-2027. Cet accord n’avait pas pu voir le jour auparavant, puisque les Britanniques s’y opposaient systématiquement. Dans quelle mesure l’Union européenne peut-elle tirer profit de cette volonté commune de renforcer la défense européenne, pour pallier les difficultés que représente le retrait britannique ?

 

M. Xavier Paluszkiewicz. Ma qualité de commissaire aux finances et d’ancien frontalier français travaillant au sein d’une banque française au Luxembourg justifie que ma question porte sur l’avenir des quatre libertés du marché européen entre le Royaume-Uni et l’Union, notamment de la liberté de circulation des capitaux.

Londres demeure l’une des deux places les plus attractives en termes de financement sur les marchés. L’Union européenne me semble quelque peu à la traîne au sujet du développement de ces marchés financiers, de ses infrastructures de capital-risque et des mécanismes de financement extra-bancaires. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette situation nuit au développement d’entreprises nouvelles, lesquelles n’ont accès qu’au financement bancaire, et ampute in fine l’Union de son potentiel de croissance.

Je vous interpelle donc sur le rétablissement du passeport financier à l’entrée de l’Union. Ne risque-t-il pas de fragiliser davantage l’accès au financement pour nos jeunes entreprises ? Ne nous faudrait-il pas accélérer la mise en œuvre de l’union du marché des capitaux, afin de bénéficier de notre propre infrastructure de marché, et ainsi être en mesure de financer nos entreprises de manière plus efficiente ?

 

Mme Monica Michel. La politique étrangère et la coopération en matière de défense ont pour l’instant été exclues des négociations sur la relation post-Brexit. Cela a permis de conclure l’accord du 24 décembre de commerce et de coopération. Cependant, la conclusion d’un accord en matière de sécurité et de défense reste nécessaire, sachant que les Britanniques contribuent au quart du financement du budget européen de défense.

Dans ces conditions, comment la France envisage-t-elle la relation future en matière de défense avec nos amis britanniques ? La presse fait état d’un possible statut particulier des Britanniques dans ce domaine. Cette option semble néanmoins difficile à défendre politiquement pour le Royaume-Uni, qui devrait alors continuer à participer au financement du fonds européen de défense. Que ferions-nous, dans l’hypothèse où le Royaume-Uni ne serait pas en mesure de remplir ces conditions ?

 

M. Patrice Anato. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez répondu en partie à mes interrogations. La première portait sur Erasmus +. Comment la France entend-elle négocier les accords bilatéraux avec les universités britanniques ?

La seconde question concerne les exportations britanniques en France. Le gouvernement britannique promeut une stratégie de dumping et est en faveur du développement des organismes génétiquement modifiés (OGM) et de l’autorisation de pesticides et de néonicotinoïdes en Grande-Bretagne ; or ces produits sont interdits en Europe, notamment en France. Comment la France contrôlera-t-elle les importations britanniques ?

 

Mme Marguerite Deprez-Audebert. La menace terroriste plane toujours sur nos territoires. L’accord conclu entre Bruxelles et Londres prévoit un cadre de coopération en matière de sécurité intérieure, qui permet aux autorités britanniques et européennes telles qu’Europol et Eurojust de continuer à partager des informations. Cette coopération se fait désormais dans un cadre intégré et moins institutionnalisé. Quelles sont les conséquences concrètes qu’aura le Brexit sur la coopération européenne en matière de lutte antiterroriste, tant sur le plan extérieur que sur le plan intérieur ? Le retrait britannique de la coopération européenne en matière de sécurité portera-t-il atteinte aux efforts européens en matière de lutte antiterroriste ?

 

M. Jean-Louis Bourlanges. Nous avons assisté, ces derniers jours, à l’effondrement des volumes de transactions financières gérées par la place de Londres. Est-ce une saute de caractère conjoncturel, ou l’amorce d’un tassement assez structurel des activités de la place de Londres ?

Il semble qu’il y ait de l’eau dans le gaz dans les relations franco-allemandes sur la coopération militaire, notamment sur la construction de l’avion du futur. Cela ne fonctionne pas ! Comment débloquer ce dossier ? Le programme du char franco-allemand avance bien, parce que nous avons consenti à un leadership allemand ; mais celui de l’avion du futur est freiné, parce que les Allemands sont moins disposés à nous consentir ce leadership.

 

M. Clément Beaune, secrétaire d’État. La question de Strasbourg me tient particulièrement à cœur. Je regrette, comme vous, que le retour à Strasbourg n’ait toujours pas lieu. Nous continuons à nous battre pour qu’il advienne le plus vite possible. Il ne s’agit pas d’un voyage du Parlement européen, mais de la tenue de ses sessions, à son siège, prévue par les traités, qui n’auront malheureusement pas lieu en février et en mars. Je reparlerai dans les prochains jours au Président Sassoli, en espérant que la situation sanitaire autorisera, au printemps, la transhumance des personnels du Parlement européen entre Bruxelles et Strasbourg. Je peux comprendre que les déplacements soient compliqués. Nous-mêmes cherchons à les restreindre. J’espère que cette contrainte ne sera plus valable prochainement, et je continue à me battre à vos côtés, avec vous, pour le retour nécessaire et rapide du Parlement européen à son siège.

Le Président de la République, en accord avec le Président du Parlement européen, a souhaité organiser un hommage au président Valéry Giscard d’Estaing, à Strasbourg, au Parlement européen, dans les prochaines semaines. Nous l’avons reporté, compte tenu de la situation sanitaire. Cet hommage devrait néanmoins se tenir à la fin du mois d’avril. Si le Parlement européen accueille cet événement commémoratif important, il peut aussi accueillir une session parlementaire bien organisée.

 

J’en viens au contrat triennal. Nous n’avons pas une approche seulement déclaratoire pour faire de Strasbourg la capitale européenne et conforter son statut. Nous mettons des moyens sur la table, État comme collectivités, pour renforcer l’accessibilité et le rayonnement culturel et démocratique de cette ville. Strasbourg n’est pas seulement le siège du Parlement européen, mais aussi la ville de France, après Paris, qui accueille le plus d’organisations européennes et internationales, dont le Conseil de l’Europe. Le contrat triennal, c’est tout cela ! Comme je m’y suis engagé, je tiendrai, dans les prochains jours, une visioconférence mensuelle, avec les élus de toutes les sensibilités et les députés européens concernés, sur la ville de Strasbourg comme capitale européenne. Nous rendrons compte de l’avancement du contrat triennal, qui est presque prêt. Nous pourrons le conclure rapidement, et le Président de la République pourra, lors d’un prochain déplacement, confirmer l’engagement de l’État et la valeur essentielle de ce contrat. Il s’agit d’une question de jours avant que nous ne disposions d’une maquette financière, politique et stratégique de soutien à ce statut de Strasbourg auquel nous tenons tous.

Sur la question des frontières européennes, notamment franco-allemandes, je me suis entretenu, encore aujourd’hui, avec un grand nombre de collègues allemands des gouvernements des trois Länder frontaliers, et avec mon homologue du gouvernement fédéral. Le ministre de la santé s’est entretenu avec son homologue allemand, et nos contacts restent nourris, puisque des décisions allemandes sont rapidement attendues. Nous ne souhaitons évidemment pas que les mesures appliquées depuis dimanche, non sans difficulté – l’Allemagne le reconnaît désormais elle-même –, avec ses voisins tchèque et autrichien, s’appliquent à nos frontières. J’y suis tout à fait défavorable. Il ne s’agit pas de le déclarer, mais de discuter avec nos partenaires allemands. La concertation est bonne, et personne n’a envie de revivre la situation malheureuse du printemps dernier. Nos frontaliers ont besoin de cet accès, tout simplement pour vivre, faire leurs courses et travailler. Des restrictions sont malheureusement nécessaires, mais nous cherchons à éviter toute fermeture et empêchement dans la vie quotidienne. Nous menons des concertations très activement avec nos partenaires allemands. Je vous en dirai plus rapidement – il s’agit d’une question d’heures – mais je crois que nous éviterons les mesures les plus excessives ou les plus radicales.

 

Nous avons créé pour la première fois, dans le budget européen 2021-2027, un programme consacré à la santé, de 5 milliards d’euros. J’espère que nous irons plus loin dans le prochain budget, mais c’est un démarrage important, qui permettra l’acquisition d’équipements communs formant une sorte de réserve sanitaire européenne, et qui complètera le financement de l’acquisition des vaccins dans les prochains mois.

Cette Europe de la santé ne doit pas se limiter à un slogan un peu abstrait. Elle doit avoir deux priorités. La première est de renforcer sur le territoire européen nos capacités industrielles de production de vaccins à court terme, et de principes actifs, de médicaments ou d’équipements médicaux essentiels dans les prochaines années. Une mission a été confiée au commissaire français Thierry Breton pour renforcer nos capacités industrielles. L’objectif fixé par la Présidente de la Commission est notre autonomie en matière de recherche et de production vaccinale dans un délai de dix-huit à vingt-quatre mois. C’est à la fois tard au regard de la situation actuelle, mais nous produisons d’ores et déjà en Europe. Cette idée d’autonomie est très importante, pour répondre à d’autres situations sanitaires difficiles, à des campagnes de rappels vaccinaux ou à des adaptations de nos vaccins. Cette consolidation de la capacité industrielle est le cœur de l’Europe de la santé.

La seconde priorité est de renforcer les réserves sanitaires d’urgence, en matière de respirateurs, de gants, de kits de tests, de toute une série d’équipements dont nous avons découvert la nécessité absolue au niveau européen.

Concernant le rapport à la Chine et la dimension indopacifique, vous avez raison de dire, Madame Bono-Vandorme, que la France a beaucoup défendu cette position, de manière un peu isolée au départ. Nous avons néanmoins convaincu l’Allemagne de soutenir cette position, d’abord dans son discours politique, ce qu’a fait il y a quelques mois la ministre de la défense Mme Kramp-Karrenbauer, mais aussi, maintenant, grâce à des projets communs franco-allemands en matière de sécurité dans la zone ; j’espère que ces projets seront de plus en plus européens.

Avant la Présidence française de l’Union européenne, nous devons disposer des premiers éléments d’une stratégie européenne commune sur l’indopacifique, soutenue par le Conseil européen. Un jalon important sur ce chemin sera le sommet entre l’Union européenne et l’Inde, qui se tiendra au début du mois de mai sous la présidence portugaise, à Porto. Nous devons encore construire ce chemin, mais la dimension indopacifique comme priorité stratégique est maintenant mieux comprise au niveau européen.

La relation des États-Unis avec cette région, et avec la Chine, constitue non pas une préoccupation, mais un point de vigilance, avec l’installation de la nouvelle administration américaine. Désormais, l’agenda transatlantique doit rendre cette question prioritaire. En effet, notamment sur le plan commercial, nous n’avons pas su construire, avec la précédente administration américaine, principalement par refus de sa part, une stratégie euroatlantique en matière commerciale, en matière de technologies clés comme la 5G, face à la Chine, ou par exemple pour mener ensemble une réforme de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui doit aussi être l’une des priorités de l’agenda transatlantique dans les prochains mois, face à la Chine.

Les difficultés d’exportation pour les entreprises des Hauts-de-France sont réelles. Je ne veux pas entrer dans une polémique idiote, mais il me semble que les autorités britanniques ont mis du temps à se préparer et qu’elles ont présenté trop tardivement les modalités et les formalités pour que nos exportateurs continuent à accéder au marché britannique. S’ajoutent un certain nombre de difficultés spécifiques, par exemple dans le secteur de la pêche, où nous avons du mal, en particulier pour les fameuses bases avancées en Écosse, à obtenir les documents administratifs. Je n’y vois pas spécifiquement de la malveillance ; l’adaptation administrative prend du temps. Le Brexit impliquera aussi plus de formalités. L’idée n’est ni de les multiplier ni de les accumuler pour le plaisir. Nous faisons tout, grâce aux services de l’État, aux chambres de commerce, grâce à un travail avec les collectivités, avec les douanes en particulier, pour accompagner, expliquer et alléger le fardeau. Nous-mêmes, dans l’autre sens, nous nous sommes beaucoup préparés pour que le trafic soit le plus fluide possible. Cependant, ces perturbations continueront inévitablement.

J’en profite pour répondre directement à la question de Patrice Anato sur les exportations du Royaume-Uni vers la France. Nous avons facilité au maximum les procédures, parce qu’il y va de notre intérêt économique et de l’intérêt des régions concernées. Je veux rendre hommage, au nom du Gouvernement en général, et d’Olivier Dussopt en particulier, au travail extraordinaire réalisé par les services des douanes ces quatre dernières années. Nous avons recruté plus de 700 personnels. En y ajoutant les services vétérinaires et les services de la police aux frontières, 1 300 agents publics ont été spécifiquement recrutés pour le Brexit et déployés principalement dans les Hauts-de-France, mais aussi en Normandie et en Bretagne. Vous l’avez constaté, les procédures douanières et les systèmes d’information ont fonctionné. Dans l’autre sens, c’est parfois plus compliqué, ce que je regrette.

Nous assurons les contrôles et faisons respecter nos standards grâce au travail des douaniers, et des vétérinaires en particulier. Un certain nombre de doutes subsistent sur l’importation de produits alimentaires. Les contrôles sanitaires et phytosanitaires ont révélé des défaillances, ce qui montre l’utilité de ces contrôles, leur efficacité et la nécessité de leur renforcement. Nous avons montré une forme de tolérance nécessaire, dans les premières semaines, pour ne pas abîmer complètement le trafic et laisser les usagers s’habituer aux procédures et aux nouveaux contrôles. Désormais, nous serons intransigeants sur le respect des normes sanitaires et alimentaires, grâce aux contrôles qu’exercent les 300 vétérinaires supplémentaires que nous avons recrutés et déployés pour assurer une qualité de l’alimentation et des importations parfaitement conforme aux normes européennes.

J’en viens aux distorsions de concurrence. Le level playing field, ou conditions de concurrence équitables, est un mécanisme assez compliqué. Je me propose de vous en renvoyer un résumé qui explique les étapes en cas de divergence, les mesures de réplique, la saisine d’un comité et les sanctions, dans des délais précis. La non-régression dans le domaine environnemental, social et climatique constitue un socle intangible. Les Britanniques se sont engagés à ne pas revenir en arrière par rapport à des normes que nous avons fixées ensemble, les années précédentes, dans le cadre de l’Union européenne. Le respect de leurs engagements devra être vérifié ; leur non-respect peut être sanctionné.

Qui signale un problème ? Ce sont les États membres qui signalent un manquement à la Commission, qui peut ensuite enclencher une procédure. Pour recenser l’information, nous avons mis en place, au sein du ministère des finances, une plateforme de signalement des difficultés, en termes de formalités ou de manquements constatés. Il s’agissait d’une demande du Medef. Nous demandons à la Commission européenne de mettre en place une plateforme de cette nature au niveau européen, pour que les entreprises elles-mêmes puissent signaler tout type de difficultés très concrètes, un peu sur le modèle des procédures anti-dumping.

Concernant les clauses de revoyure, une clause assure la vérification de l’accord tous les quatre ans. Certaines dérogations existent, mais le cœur commercial et économique de l’accord est ainsi examiné régulièrement.

La question de notre feuille de route et des coopérations que nous avons initiées pour un partenariat structuré en matière de défense avec les Britanniques est centrale. Sur le plan européen, des pistes existent. J’ai évoqué le Conseil de sécurité européen et un certain nombre de domaines de coopération de défense au sens large, en matière de cybersécurité ou de transfert des données. Cependant, cette feuille de route stratégique manque toujours. Je souhaite que nous puissions l’établir le plus rapidement possible, pour définir les formats de coopération, le type de gouvernance et les grandes priorités communes en matière de défense de nos valeurs démocratiques, d’analyse des menaces extérieures, de relation avec les Américains, de rapport à nos grands voisins, russes, turcs et autres, qui sont, par la géographie et par l’histoire, nos voisins les plus proches.

Nous participons à des sommets Union européenne-Chine, Union européenne-Inde, Union européenne-Asean (Association des nations de l’Asie du Sud-Est). Nous devrons sans doute inventer un sommet Union européenne-Royaume-Uni, à une échéance qu’il faut encore déterminer, comme nous devrons sans doute réactiver des sommets Union européenne-États-Unis, que nous n’avons plus l’habitude de tenir. Nous devons inventer des formats et construire cette feuille de route.

Pendant quelques mois, ce travail sera compliqué. Il faut attendre que « la poussière retombe », après l’accord et cette négociation, que nous avons menée dans l’unité européenne et, malgré des tensions inévitables, dans un respect mutuel avec le Royaume-Uni. Cependant, des travaux de mise en œuvre sont encore nécessaires, comme nous le voyons sur la pêche ou sur les conditions de concurrence équitables.

La rhétorique est parfois difficile dans la relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. L’Union doit défendre ses intérêts et la valeur de son projet politique. Le Royaume-Uni a à cœur – je regrette le choix du Brexit, mais il s’agit d’un choix démocratique – de montrer que le Brexit fonctionne. Des moments politiques compliqués sont devant nous, il nous faut le reconnaître. Nous ne devons surtout pas lâcher ce qui existe, notamment la coopération de défense bilatérale. Nous ne devons surtout pas renoncer à préparer cette feuille de route et des formats de coopération nouveaux. Nous y réfléchirons, avec l’Assemblée nationale d’ailleurs, dans les prochaines semaines. Ce temps de reconstruction en matière de défense et de sécurité arrivera probablement au cours du second semestre 2021, et sans doute sous la Présidence française de l’Union européenne. Nous sommes bien placés pour mener ce chantier, parce que nous sommes à la fois les défenseurs ardents des intérêts de l’Union européenne, un partenaire bilatéral de sécurité de premier plan, sinon le premier, du Royaume-Uni, et le voisin le plus direct.

Vous souhaitez savoir à quels formats existants, en matière d’Europe de la défense, les Britanniques participeront. Ils participent à l’initiative européenne d’intervention, ce qui ne changera pas. Il s’agit d’une initiative souple et informelle de coordination politique, proposition faite par le Président Macron à l’été 2017, précisément en vue du Brexit. Le fonds européen de défense vient financer nos propres projets d’autonomie stratégique européenne. Il est exclu de financer les pays tiers, y compris le Royaume-Uni, aussi importante que soit notre relation de défense. Enfin, la coopération structurée permanente, qui est une coopération de projet, inclut la possibilité d’intégrer des pays tiers à bord de certains projets, avec des règles d’approbation par les pays de l’Union européenne au cas par cas. Certains projets ont d’ailleurs été initiés avec les Britanniques ; nous pouvons, si nous le souhaitons, continuer à travailler avec les Britanniques dans le cadre de ces projets, mais sans financement du fonds européen de défense.

Monsieur Pont, vous avez lancé un cri d’alarme, que j’entends. J’ai été en contact avec plusieurs acteurs de la région et des représentants du secteur de la pêche, ces derniers jours encore. La situation n’est pas satisfaisante. Je ne nierai pas l’évidence, et je mesure que six ou sept semaines après le Brexit, le problème de mise en œuvre est bien réel, même si cet accord protège fondamentalement l’intérêt de nos pêcheurs. Annick Girardin et moi-même, cet après-midi, juste après la séance de questions au Gouvernement, avons eu un échange avec le commissaire à la pêche, qui amplifie sa pression sur les autorités britanniques. La situation des Hauts-de France est sans doute aujourd’hui la plus difficile, parmi nos trois régions les plus directement concernées.

Pour la zone économique exclusive (ZEE), nous avons obtenu, dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, quasiment toutes les autorisations. Tant mieux. Cela ne suffit pas, mais voilà un acquis important. Nous avons obtenu de haute lutte – Annick Girardin s’y est beaucoup employée – les autorisations pour les îles anglo-normandes. Tous les bateaux qui demandaient l’accès l’ont obtenu, de manière provisoire, ce qui nécessite une consolidation future.

Le vrai problème concerne la bande des 6-12 milles et touche particulièrement les Hauts-de-France. Les derniers chiffres sont un peu plus encourageants, mais ne sont pas encore satisfaisants : sur 370 bateaux, 60 licences sont garanties. Cependant, nous devons aller plus loin. J’ai aussi échangé récemment avec le président Rapin, au Sénat. Je sais que, sur place, l’impatience se transforme en détresse. Nous avons besoin de ces licences dans les prochains jours. Je ne minimise pas le problème et sais quel est le combat à mener, sans polémique et en bonne intelligence. À une lenteur peut-être délibérée s’ajoute la complexité des procédures entre les autorités opérationnelles et le Gouvernement central de Londres. Il est en outre très difficile de reconstituer les antériorités. Ce travail est pénible et fastidieux, mais, une fois réalisé, il nous garantira une bonne stabilité pour cette fameuse période de cinq ans et demi. J’aimerais pouvoir vous donner de meilleures nouvelles ; nous maintenons la pression pour que cette petite centaine de bateaux obtiennent leur licence dans les prochains jours.

Je me permets un complément sur la pêche, en réponse à Mme Tanguy. Il existe bien un risque de négociation annuelle, mais ce n’est pas une fatalité et je ne me résigne pas à ce nous basculions dans un tel système. Nous nous battrons et nous devons préparer maintenant un cadre de négociations pour l’après 2026, qui, je l’espère, permettra de donner de la visibilité et de la stabilité sur les quotas et sur les accès. La baisse des quotas de 25 %, qui se fera progressivement sur cette période de cinq ans et demi, n’ira pas plus loin, quoi qu’il arrive. Cela est acté par les Britanniques. Restera évidemment la question centrale de l’accès, parce que des quotas sans accès ne servent pas à grand-chose.

J’en viens à la question de la place financière, de l’union des marchés de capitaux et de la concurrence entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Le passeport financier, c’est non ! Il ne reviendra pas « par la fenêtre ». L’appartenance à l’Union européenne l’exige. Le passeport financier n’existe plus, au sens d’un accès durable et systématique à notre marché. En revanche, il reste possible de donner un accès provisoire à certains segments et à certaines activités financières, voire à toutes. Cet accès dépend de l’analyse que nous faisons des mesures de réglementation financière du pays, que la Commission est en train d’examiner. Cette autorisation dépend donc d’une décision unilatérale et révocable de l’Union européenne à l’égard du Royaume-Uni.

En contrepoint, nous devons renforcer l’union des marchés de capitaux. Le slogan a été beaucoup usité, mais nous avons peu progressé. Nous avons beaucoup progressé sur l’union bancaire, et pas assez sur les marchés de capitaux, parce que cela touche à beaucoup de règles de nature très différente, par exemple en matière de faillites d’entreprises ou en matière de constitutions de sociétés. L’unification du droit des sociétés et du droit des affaires est l’un des grands chantiers européens, qui pourrait être de même nature que la monnaie unique, mais qui est encore très peu avancé. Nous devons retrouver un élan franco-allemand sur ce sujet, car nous faisons face à nos propres difficultés d’harmonisation, notamment en matière de droit des faillites. Le Brexit constitue une opportunité pour relancer ce chantier. Sur le plan économique, financier et budgétaire, nous avons obtenu des avancées majeures, notamment sur le filet de sécurité et la garantie des dépôts. Le vrai chantier à venir, c’est l’union des marchés de capitaux.

Concernant la menace terroriste, des domaines de coopération policière et judiciaire demeurent aux termes de cet accord. Heureusement, cet accord n’est pas uniquement commercial et économique. Nous conservons un équivalent du mandat d’arrêt européen, si utile dans des cas d’extradition avec le Royaume-Uni. Dans les prochaines années, son effet sera maintenu. Notre coopération est aussi préservée dans le domaine des données passager, dites PNR, des échanges liés à l’ancien traité de Prüm, notamment en matière d’empreintes digitales. Nous devrons renforcer la coopération de nos services de renseignement, mais nous disposons déjà, à l’issue de cet accord, et à la différence du domaine de la défense et de la sécurité, d’un cadre robuste en matière de lutte contre le terrorisme et de coopération policière et judiciaire.

Je donnerai à la question de M. Bourlanges sur les places financières une réponse de normand. Le tassement assez spectaculaire que nous avons observé ces derniers jours sur la place de Londres constitue un signal important. Le mouvement retour pourrait avoir lieu. Les flux se sont orientés vers Amsterdam, mais aussi Paris et Francfort, parce qu’une incertitude demeure sur ces décisions d’équivalence, et que, quoi qu’il arrive – les investisseurs le savent – il n’y aura plus de passeport financier. À nous de consolider cette position, sans mauvaise pensée, mais en jouant en faveur de nos intérêts légitimes. Des mouvements industriels renforcent cette consolidation européenne, par exemple le rachat par Euronext de la Bourse de Milan. Avec Paris, Amsterdam ou Milan, nous pouvons construire des consolidations qui renforcent l’attractivité de nos places financières. Il nous appartient d’en faire un mouvement durable, dans notre cadre d’équivalences. Ce signal est donc positif ; il indique un avantage comparatif que nous devons consolider dans les années à venir. Je ne crois pas au déclin massif et soudain de la City, mais je crois au renforcement de nos places européennes. Il nous revient de ne pas en faire une compétition sauvage entre places européennes, mais un réseau mieux coordonné dans certains domaines, notamment dans la finance verte ou les technologies financières, la fintech, pour lesquelles beaucoup de places européennes sont extrêmement bien placées, et parfois mieux que Londres.

La coopération franco-allemande pourrait faire l’objet d’une audition spécifique. Je serais heureux de revenir dans cette enceinte pour m’exprimer plus longuement sur le sujet.

 

Mme la présidente Sabine Thillaye. Nous en serions ravies !

 

M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Cette coopération est difficile. Le partage de leadership a été réalisé en 2017 : le char pour l’Allemagne, l’avion pour la France. Cependant, le système de validation de tout contrat de plus de 25 millions d’euros, en Allemagne, se fait par un passage au Bundestag, avec parfois des réticences au sein de la coalition qui est au pouvoir, notamment au sein du SPD ; voilà qui complique les choses. Nous devons prendre un peu de recul sur les difficultés du moment : nous savions que la coopération engagée en 2017 sur le char et sur l’avion du futur avec l’Allemagne était un pari, qui serait forcément jalonné de difficultés. Cette coopération était inédite, elle ne correspondait pas aux habitudes de nos industriels, et nous savions que les modalités de décision et le rapport à la défense étaient très différents en France et en Allemagne.

Nous connaîtrons d’autres moments difficiles, mais je suis convaincu que nous les surmonterons. Alors que j’exerçais d’autres fonctions aux côtés du Président de la République, lors du sommet franco-allemand de Toulouse, il y avait déjà un blocage sur la répartition de certains contrats entre la France et l’Allemagne, sur le site de production, sur le leadership concret, pour l’avion en particulier. Ces blocages furent surmontés à l’époque. Ce projet, j’en suis sûr, verra le jour, et sera probablement élargi. Nous avions commencé à travailler avec l’Espagne, avec d’autres partenaires européens, sur une base ad hoc. Je crois beaucoup à cette coopération militaire franco-allemande, parce qu’elle est nécessaire. Elle fera date et précédent. Parce que des blocages reviendront, il sera difficile de faire aboutir ces deux premiers projets historiques.

Mais cela vaut la peine. Il s’agissait de la première décision franco-allemande du couple Macron-Merkel à l’été 2017, parce qu’ils savaient que le projet structurant post-Brexit pour assoir la crédibilité de l’Union européenne, c’était la défense. Si nous voulons donner des signes de crédibilité à la coopération européenne, c’est l’industrie de défense d’abord. Il s’agit d’un pari, que nous pouvons réussir – nous avons déjà surmonté à deux ou trois reprises des difficultés depuis 2017, nous surmonterons celles qui se posent aujourd’hui. Nous ferons aboutir ce projet d’une décennie avec l’Allemagne, et peut être quelques autres partenaires européens. Nous coopérerons encore avec les Britanniques dans des domaines de l’industrie militaire, mais nous avons besoin de l’industrie de défense de l’Union européenne.

 

Mme la présidente Sabine Thillaye. Merci beaucoup, monsieur le secrétaire d’État, d’avoir répondu si précisément à nos questions.

Beaucoup de projets doivent se concrétiser sous la Présidence française de l’Union européenne, comme la boussole stratégique, lancée sous la présidence allemande. Je m’interroge. Vous avez dit que nous avions besoin d’une articulation, d’un cadre européen concernant la défense, qui devrait cependant être complété par des coopérations bilatérales avec le Royaume-Uni. En parlant de boussole stratégique, nous sommes plus proches d’une culture stratégique avec le Royaume-Uni qu’avec l’Allemagne. Comme disait toujours l’ancien ambassadeur de l’Allemagne en France, M. Meyer-Landrut, quand on parle d’industrie de la défense, la France entend « sécurité et capacités d’intervention », l’Allemagne entend « industrie et retombées économiques », cela se vérifie avec l’avion du futur et le char du futur. N’aurions-nous pas déjà intérêt à associer, d’une manière ou d’une autre, le Royaume-Uni à cette fameuse boussole stratégique ?

 

M. Clément Beaune, secrétaire d’État. La feuille de route que nous évoquions doit associer le Royaume-Uni. Quant à la boussole stratégique, elle doit sans aucun doute rester un outil exclusif de l’Union européenne, ce qui ne veut pas dire que nous ne prenons pas en compte des partenariats, y compris des partenariats très rapprochés que nous avons inventés. Il est clair que la relation de défense que nous aurons à inventer avec le Royaume-Uni comme pays tiers constituera un lien que nous n’aurons avec aucun autre pays, même avec les États-Unis. Nous devons assurer l’autonomie de nos décisions et définir nous-mêmes nos intérêts. Tel est le but de cet exercice long de boussole stratégique, qui devrait aboutir sous la Présidence française. Ces débats, que nous ouvrons aujourd’hui sur un conseil de sécurité, sur des formats de coordination, sur nos mesures de sanctions, doivent faire l’objet de discussions à vingt-sept, tout d’abord franco-allemandes. Ensuite, sur le fondement de cette boussole stratégique, nous devrons définir un certain nombre de formats et de projets de coopération avec le Royaume-Uni.

 

Mme la présidente Sabine Thillaye. Monsieur le secrétaire d’État, je retiens votre suggestion d’organiser une réunion spécifique sur la coopération franco-allemande, peut-être avec nos trois commissions. Avant de nous quitter, je souhaiterais accueillir au sein de notre commission M. Philippe Benassaya et lui souhaiter la bienvenue.

 

Mme la présidente Françoise Dumas. Cette audition conjointe a été d’une très grande richesse. Nous avons étudié plus précisément la question du Brexit, mais nous constatons que, sur un certain nombre de sujets de sécurité et de défense, qui sont aussi liés à la vie quotidienne de nos concitoyens, rien n’est encore arrêté. Il nous faut poursuivre et renforcer ce travail européen à vingt-sept. Nous sommes encore très inquiets sur la manière dont la coopération franco-allemande se met ou ne se met pas en œuvre, du moins de manière pas aussi rapide que nous pourrions le souhaiter.

La coopération capacitaire franco-allemande ne va pas encore de soi. Cependant, pour nos amis britanniques, il sera nécessaire de poursuivre notre coopération bilatérale. D’une part, nous devons avancer sur une stratégie d’intervention commune au niveau européen : que voulons-nous défendre ? Que voulons-nous faire ensemble, au-delà des aspects capacitaires et industriels ? D’autre part, nous devons poursuivre cette relation bilatérale, ce que nous avons su faire pendant si longtemps avec nos amis britanniques.

Je vous propose de revenir dans cette enceinte, peut être au cours du deuxième semestre, spécifiquement sur les questions de défense. La Présidence française à venir nous préoccupe, mais nous engage aussi. Je pense aux grands projets industriels, à notre capacité à assurer notre propre défense et notre propre sécurité au niveau européen et au niveau national, et dans cette relation bilatérale essentielle avec nos amis britanniques. Nous pourrions aussi mener une audition commune avec la commission des affaires étrangères, car toutes les questions sont liées. Ainsi, notre présence au Sahel et l’implication de nos partenaires européens dans cette zone ne sont pas sans lien avec les grandes questions qui nous intéressent et la manière dont nous concevons notre sécurité.

 

M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Le rendez-vous est pris. Je répondrai avec joie à votre invitation.

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La séance est levée à vingt-heures trente.

 

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Françoise Ballet-Blu, M. Stéphane Baudu, M. Christophe Blanchet, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Carole Bureau-Bonnard, Mme Françoise Dumas, M. Jean-Marie Fiévet, M. Claude de Ganay, M. Fabien Gouttefarde, M. Benjamin Griveaux, Mme Anissa Khedher, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Gilles Le Gendre, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, M. Philippe Meyer, Mme Monica Michel, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Florence Morlighem, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Nathalie Serre, Mme Sabine Thillaye, Mme Laurence Trastour-Isnart, M. Stéphane Trompille, Mme Alexandra Valetta Ardisson, M. Pierre Venteau, M. Charles de la Verpillière

Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Olivier Becht, M. Sylvain Brial, M. Christophe Castaner, M. André Chassaigne, M. Alexis Corbière, M. Olivier Faure, M. Yannick Favennec-Bécot , M. Richard Ferrand, M. Stanislas Guerini, M. David Habib, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde

Assistaient également à la réunion. - M. Patrice Anato, M. Philippe Benassaya, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Yolaine de Courson, Mme Marguerite Deprez-Audebert, M. Pierre-Henri Dumont, Mme Valérie Gomez-Bassac, M. Christophe Jerretie, Mme Nicole Le Peih, M. Thierry Michels, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Jean-Pierre Pont, M. Didier Quentin, Mme Liliana Tanguy.