Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

— Examen pour avis, ouvert à la presse, du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse, relatif à la coopération bilatérale en matière d’instruction militaire (n°3245) (Rapporteure pour avis : Mme Carole Bureau-Bonnard).


Mercredi
31 mars 2021

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 44

session ordinaire de 2020-2021

 

Présidence de
Mme Françoise Dumas, présidente


 


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La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

 

Mme la présidente Françoise Dumas. Je tiens tout d’abord à rendre hommage, au nom de la représentation nationale, au matelot Jeff Rotaru, de la compagnie de fusiliers marins Le Goffic, qui est décédé alors qu’il effectuait une patrouille en rade de Cherbourg. Toutes nos pensées vont vers sa famille, ses camarades et ses frères d’armes.

 

La Conférence des présidents a décidé hier d’inscrire à l’ordre du jour de la séance publique du 6 mai 2021, dans le cadre réservé au groupe La France insoumise, l’examen de la proposition de loi déposée par M. Bastien Lachaud pour une meilleure reconnaissance et un meilleur accompagnement des blessés psychiques de guerre. Cette proposition de loi ayant été renvoyée à notre commission, nous l’examinerons la semaine précédant l’interruption des travaux parlementaires. Je vous propose, logiquement, de nommer comme rapporteur M. Bastien Lachaud. S’il n’y a pas d’opposition, il en est ainsi décidé.

 

Notre ordre du jour appelle l’examen, pour avis, du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse, relatif à la coopération bilatérale en matière d’instruction militaire. La Suisse est à l’honneur ces derniers jours, puisque la ministre des armées, Mme Florence Parly, s’y est rendue le 22 mars. Elle a fait le point sur la coopération franco-suisse en matière de sécurité et de défense et précisé les contours de l’offre française dans la perspective des deux contrats majeurs que devrait prochainement signer la Suisse. Dans le cadre de son projet « Air 2030 », celle-ci prévoit l’acquisition de nouveaux avions de combat et d’un nouveau système de défense sol-air de longue portée. Dassault, avec le Rafale, et Eurosam, avec le Système aérien moyenne portée/terrestre (SAMP/T), ont soumis des offres. La ministre a insisté sur le fait que la Suisse serait, dans le cadre de cette offre, propriétaire de l’ensemble des données liées à l’utilisation de ces équipements.

 

Vous allez sans doute y revenir, Madame la rapporteure pour avis, mais vous allez surtout, au-delà de cet appel d’offres, nous exposer les bases structurelles de notre coopération avec la Suisse.

 

Mme Carole Bureau-Bonnard, rapporteure pour avis. Madame la présidente, chers collègues, nous procédons ce matin à l’examen, pour avis, du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord signé le 23 novembre 2018 à Paris entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse, relatif à la coopération bilatérale en matière d’instruction militaire.

 

Cet accord, composé d’une vingtaine d’articles, est l’héritier d’un partenariat opérationnel conclu de longue date, et qui n’a cessé d’être étayé au fil des ans. Il conforte notre relation bilatérale dans le domaine de la défense, en l’ouvrant à de nouveaux domaines de coopération comme le cyber ou le spatial militaire. Avec cet accord, la France et la Suisse s’engagent mutuellement à un niveau inédit, d’autant que notre rapprochement pourrait également s’accroître dans le domaine capacitaire.

 

Avant toute chose, il me semble important de souligner la qualité de la relation que nous entretenons avec nos partenaires suisses : elle a été mise en lumière par tous les intervenants que j’ai pu auditionner.

En renouvelant le cadre de coopération actuel, qui repose sur des accords signés en 1997 et 2003, la France et la Suisse se donnent les moyens de se préparer ensemble à affronter les nouveaux enjeux de conflictualité. Cette nécessité, ressentie de part et d’autre des Alpes, explique la grande sérénité dans laquelle ont pu être menées ces négociations. Au cours des auditions, le mot « confiance » a été prononcé à maintes reprises par mes interlocuteurs.

 

Le présent accord garantit à la fois le maintien des stipulations contenues dans les textes de 1997 et 2003 et la préparation d’un avenir qui dessine de nouvelles opportunités de programmes communs. Il doit permettre de renforcer la coopération entre les forces armées des deux parties en donnant un cadre juridique fiable, exhaustif et modernisé aux activités menées, qui sont nombreuses et toujours de qualité.

 

Les missions communes de police de l’air sont très clairement notre forme de coopération la plus aboutie : outre un échange quotidien d’informations entre nos centres de contrôle respectifs, nos deux pays mènent régulièrement des opérations conjointes. Cette coopération poussée nécessite bien évidemment des entraînements communs, à l’image de la campagne « Épervier », que nous menons en Suisse comme en France. Un accord de 2015 a par ailleurs abouti à la définition d’une zone aérienne transfrontalière commune, que les armées de l’air de nos deux pays peuvent utiliser, notamment dans le cadre d’entraînements au combat aérien.

 

Notre coopération est également forte dans la formation des pilotes, de chasse comme de transport. Les programmes en cours de modernisation de la politique de formation des pilotes de chasse – les bien connus Fomedec et Mentor – ont notamment amené l’armée de l’air à se porter acquéreuse de dix-sept avions Pilatus PC-21, des avions suisses. Nos premiers instructeurs sont partis se former en Suisse et la base aérienne de Cognac accueille, pendant trois ans, un instructeur l’armée de l’air suisse, tout au long de la phase de montée en puissance de nos propres formateurs.

 

Dans le domaine aérien, notre coopération concerne également l’entraînement de tireurs d’élite suisses depuis un hélicoptère, à partir de la base aérienne de Solenzara, en Corse, ou l’organisation de nombreux stages et visites pour les militaires des deux parties, destinés à partager des savoir-faire spécifiques aux deux armées.

 

Notre coopération est dynamique, comme en témoigne la visite effectuée par la ministre des armées, Mme Florence Parly, à Berne, la semaine dernière, pour rencontrer son homologue suisse, Mme Viola Amherd. Il s’agit de la huitième visite ministérielle depuis 2017, ce qui souligne l’extraordinaire vivacité du lien qui nous unit à nos partenaires helvètes.

 

L’approfondissement de notre relation se construit donc, vous l’aurez compris, sur des bases déjà solides et sans cesse renouvelées. Ce pas en avant était néanmoins rendu indispensable, d’une part par la complexité d’amender intégralement un corpus d’accords hétéroclites et, d’autre part, par la concordance toujours plus prononcée entre les grands enjeux de sécurité et de défense identifiés comme prioritaires par nos deux armées.

 

Ce nouvel accord intervient en effet au moment où la Suisse a engagé la redéfinition de ses priorités stratégiques. Un nouveau Livre blanc est ainsi prévu pour la fin de l’année 2021, qui devrait refléter des préoccupations croissantes en lien avec la sécurité collective du continent européen. Dans ce contexte, la France est perçue comme un allié fiable. Nous avons nous-mêmes procédé à l’actualisation de la Revue stratégique. La Suisse fait d’ailleurs partie des rares pays consultés à l’occasion de la rédaction de cette Actualisation 2021, ce qui constitue un autre signe de la robustesse de notre coopération.

 

Dans ce contexte, la négociation de l’accord que nous étudions aujourd’hui s’est parfaitement déroulée, en confiance et rapidement. Certaines particularités doivent être notées, puisque le texte final prend évidemment en compte les spécificités de nos partenaires suisses.

 

La Confédération n’appartient ni à l’Union européenne, ni à l’OTAN, et chacun connaît sa neutralité. La France respecte ce statut, auquel les Suisses sont très attachés, comme me l’a assuré le général Halter, l’attaché de défense de l’ambassade suisse à Paris. C’est pourquoi le champ de l’accord a été concentré sur les activités d’instruction et de formation, ainsi que sur les exercices et entraînements. En revanche, l’accord ne traite ni de la planification, ni de la préparation, ni de l’exécution d’opérations de combat militaire.

 

Les stipulations relatives au statut des personnels impliqués dans la coopération et au financement de cette dernière représentent naturellement une part significative de l’accord final. D’autres dispositions prévoient également les règles s’appliquant aux informations classifiées échangées dans le cadre de l’accord, ainsi que l’organisation de rencontres bilatérales régulières afin d’assurer un suivi de la coopération et la rédaction d’un plan annuel en ce sens.

 

Cet accord devrait également permettre de pérenniser les actions menées aux côtés de la Suisse, sur plusieurs points.

 

Premièrement, sur les enjeux cyber. Nous pouvons nous féliciter du dynamisme et de l’engagement des deux parties pour avancer ensemble dans ce domaine hautement stratégique. Le rapprochement de nos armées en la matière s’est accéléré en 2016 et il doit encore être renforcé par la conduite prochaine d’un exercice commun, appelé Locked Shields. Il devait avoir lieu en 2020 mais a dû être reporté à cause de la crise sanitaire.

 

Deuxièmement, en matière de formation et d’entraînement de nos pilotes de chasse. J’ai déjà parlé de notre coopération dans le cadre de la modernisation de la formation de nos pilotes de chasse. De la même manière, il est clair que si les Suisses venaient à acquérir des Rafale – je reviendrai sur cette possibilité –, ils bénéficieraient du retour d’expérience français.

 

Troisièmement, dans le domaine spatial, avec l’accès à la composante spatiale optique (CSO). C’est une étape fondamentale pour renforcer nos capacités mutuelles de renseignement, alors que la Suisse est encore obligée de solliciter le secteur privé pour s’approvisionner en images satellites.

 

Quatrièmement, en matière de défense nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC). Dans ce domaine, des échanges se sont récemment concrétisés. À la suite d’une visite de la ministre Florence Parly, en septembre 2018, un arrangement technique a en effet été signé l’an dernier entre la Direction générale de l’armement (DGA) et le laboratoire de Spiez, situé dans le canton de Berne. Le service de santé des armées s’est également rapproché de ce laboratoire, ce qui nous permet d’envisager une relation renforcée dans ce domaine, dont l’importance est toujours croissante.

 

Ce nouvel accord promet également d’avancer sur la voie de nouveaux contrats d’armement. Comme vous le savez, les Suisses ont accepté, par votation, le principe du renouvellement de leur flotte d’avions de chasse en septembre 2020. Ce contrat devrait porter sur une quarantaine d’avions, pour un total avoisinant les 6 milliards de francs suisses, soit plus de 5,4 milliards d’euros. La France, par l’intermédiaire de Dassault Aviation, s’est naturellement portée candidate à l’appel d’offres en cours.

 

L’objectif est double : il s’agit naturellement de remporter ce contrat d’envergure, ce qui fournirait à la France l’argument d’une « caution suisse » lors de la négociation de futurs contrats avec d’autres partenaires, mais aussi de poursuivre la dynamique engagée l’an passé avec la vente de Rafale à la Grèce.

 

Le remplacement par la Suisse de sa flotte vieillissante intervient d’ailleurs dans un contexte d’augmentation générale des crédits budgétaires alloués à la défense. Ces derniers doivent augmenter de près de 6 % pour la période 2021-2025, une hausse importante consacrée en partie au renouvellement complet de la protection de l’espace aérien du pays. C’est l’objet du programme « Air 2030 », qui repose sur trois piliers, sur lesquels la France est déjà positionnée : une dimension dite « C2Air », qui prévoit le remplacement du système de surveillance et de conduite des opérations aériennes de l’armée de l’air helvète – ce contrat a d’ores et déjà été remporté par Thales ; le projet Bodluv, qui prévoit l’acquisition d’un nouveau système de défense sol-air de longue portée – sur ce segment, le modèle SAMP/T du français Eurosam est en compétition avec l’américain Raytheon ; l’achat, enfin, du prochain avion de combat, qui voit s’affronter le Rafale, le F-35A de Lockheed Martin, le F/A 18 Super Hornet de Boeing et l’Eurofighter Typhoon d’Airbus – le choix sera annoncé à l’été 2021.

 

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, la coopération avec la Confédération suisse est un succès. Au moment où les Européens cherchent à concevoir la nouvelle architecture de sécurité de notre continent, il est important de rappeler que nous ne pourrons pas avancer sans un dialogue ouvert et constructif avec nos amis suisses. Pour toutes ces raisons, il me paraît essentiel que notre commission accompagne l’adoption de ce projet de loi. Le Conseil des États et le Conseil national, les deux chambres du Parlement suisse, ont d’ores et déjà ratifié cet accord : à nous de faire de même. Je vous invite donc, mes chers collègues, à émettre un avis favorable à l’adoption de cet accord avec nos partenaires suisses.

 

Mme Françoise Ballet-Blu. Votre exposé, Madame la rapporteure pour avis, m’a fait replonger avec beaucoup de bonheur dans mon pays d’origine. En tant que citoyenne franco-suisse, je ne peux que me réjouir des relations de confiance qui unissent nos deux pays et de la perspective de cet accord.

 

Dans l’histoire de la réflexion militaire et stratégique de la France, la question de la neutralité suisse a toujours suscité l’intérêt. La France de la IVe République avait bien compris les ressorts de la politique suisse de neutralité et les avait acceptés avec intelligence, malgré le contexte de la Guerre froide. On se souvient que certains responsables français étaient même prêts à s’appuyer sur l’exemple et la pratique de cette neutralité pour défendre un concept de sécurité en Europe permettant de relativiser l’importance du rideau de fer. Par ailleurs, la France accordait de l’importance à l’efficacité de la défense suisse et ne se refusa pas à certains contacts discrets avec les autorités militaires fédérales afin d’étudier les modalités d’une éventuelle collaboration en cas de guerre.

 

Il ne fait pas de doute que l’accord qui nous est présenté est un écho de ces anciennes réflexions. Cette coopération comprend des programmes d’instruction dans des domaines élargis, tels que la logistique, l’armement, la cyberdéfense, la médecine militaire, le droit humanitaire, ou encore la protection nucléaire, radiologique, biologique et chimique. Elle concerne aussi la gestion du personnel. À ce propos, entre le plan famille et le plan mixité, le gouvernement français a montré sa volonté d’aller de l’avant et l’armée française est désormais l’une des plus féminisées du monde. Pouvez-vous nous dire, Madame la rapporteure pour avis, ce qu’il en est des politiques visant à favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes chez notre nouveau partenaire suisse ?

 

M. Jean-Pierre Cubertafon. Dans son rapport sur le projet de loi qui nous occupe, notre collègue sénateur Édouard Courtial souligne l’expertise notoire de l’armée suisse en matière de cyberdéfense, mais aussi dans le domaine de la lutte contre les menaces nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques. Il semble que l’État fédéral suisse soit en mesure de fournir à l’armée française des moyens supplémentaires dans ces deux domaines cruciaux, dont l’importance ne cesse de croître, du fait de la menace terroriste. Toutefois, dans la mesure où la Suisse ne prend part qu’à des opérations humanitaires et de maintien de la paix, que peut-on véritablement attendre de son armée ? Quels sont les moyens matériels et humains investis par la Suisse dans le cadre de cette coopération bilatérale ?

 

M. Charles de la Verpillière. Le groupe Les Républicains est évidemment favorable à la ratification de cet accord. Il suffit de regarder une carte pour comprendre que la coopération militaire avec la Suisse est une nécessité pour la France. En tant que député du département de l’Ain, je suis particulièrement bien placé pour en parler.

 

Cet accord s’inscrit dans un contexte stratégique qui se durcit, avec des dangers qui s’amplifient. Il s’agit incontestablement d’un bon accord, et d’une nécessité. Il faut amplifier la coopération militaire avec la Suisse, tout en respectant sa neutralité, à laquelle nos amis suisses sont extrêmement attachés. C’est ce que nous avons fait avec cet accord, qui va aussi loin que possible : nous voterons donc en faveur de sa ratification.

 

M. Joachim Son-Forget. En tant que député des Français de Suisse et du Liechtenstein, je me réjouis de cet accord, qui pérennise la collaboration entre nos deux armées. Je tiens d’ailleurs à rappeler que cette collaboration existe aussi au niveau de la société civile. Loin de l’image d’Épinal de Français qui s’installeraient en Suisse pour fuir le fisc, les Français de Suisse constituent une population de plus en plus jeune et experte, qui travaille bien souvent dans le tertiaire de haut niveau ou la haute technologie. Cette coopération, qui se traduit dans tous les domaines, se développe depuis plusieurs décennies, bien loin des images un peu pittoresques que l’on peut avoir de la Suisse.

 

Dans le domaine militaire, il existe déjà de nombreuses collaborations entre nos deux pays. Sans remonter jusqu’aux mercenaires suisses qui partaient se battre pour la France, on peut évoquer quelques faits saillants, survenus au cours des dernières décennies : la doctrine de tir française, par exemple, a largement appris de l’expertise suisse dans les années 1980. Nos meilleurs éléments collaborent régulièrement avec l’armée suisse et les mouvements en sens inverse sont également très nombreux. Cette collaboration répond aussi à une exigence géographique, puisqu’un Rafale qui décolle en Suisse se retrouve très rapidement dans le ciel français. Même si, à la différence de la France, l’armée suisse n’est pas engagée dans des opérations extérieures, les bases d’une coopération entre nos deux pays existent bel et bien. Cet accord va pérenniser cette coopération, au-delà du contrat relatif à l’achat de Rafale : si ce dernier est important, il n’est que le prolongement de nombreuses coopérations dans des domaines très variés.

 

Mme Patricia Mirallès. La Suisse a su s’appuyer sur une expertise militaire ancienne pour garantir son indépendance et sa sécurité et il convient que la France noue avec sa voisine helvète des liens forts et durables en la matière. Vous soulignez à juste titre l’importance des relations de coopération franco-suisse pour l’entraînement et la formation des pilotes, avec la perspective de la centralisation à Cognac du pôle de formation des pilotes. Vous indiquez également que nos forces auraient besoin de huit appareils PC-21. Dans quelle mesure ce traité peut-il, selon vous, faciliter l’approvisionnement de nos forces en appareils de ce type ?

 

M. Jacques Marilossian. Madame la rapporteure pour avis, l’accord bilatéral entre la France et la Confédération helvétique ne soulève pas de ma part de questions puisqu’il correspond aux traditions politiques et militaires des deux pays. Cet accord concerne l’ensemble des points relatifs à l’instruction militaire, hormis la préparation et la planification d’opérations militaires. Il pourra être complété ultérieurement par des textes d’application spécifiques. Il prévoit déjà une coopération dans le domaine de la protection nucléaire, radiologique, biologique et chimique. J’aimerais toutefois savoir s’il pourrait également comprendre une dimension sanitaire et un volet pandémique ? Si tel est le cas, quand cela pourrait-il être ajouté ?

 

M. Thomas Gassilloud. Le groupe Agir ensemble est évidemment favorable à la ratification de cet accord, qui lui semble bon et nécessaire. Sans tirer de conclusions hâtives, je note que c’est paradoxalement avec nos partenaires extérieurs à l’Union européenne que nous avons souvent les relations les plus simples en matière de défense : je pense au Royaume-Uni et à la Suisse.

 

Si nous partageons avec les Anglais une culture stratégique commune, beaucoup de choses nous distinguent des Suisses : la neutralité helvétique, d’abord, qui s’oppose à notre culture plus expéditionnaire ; le caractère professionnalisé de nos armées, par opposition avec l’armée de conscription des Suisses, qui ne s’appuie que sur 3 000 soldats professionnels. En dépit de ces différences, il est possible de nous rassembler et de coopérer, notamment sur la question de la défense opérationnelle du territoire.

 

J’aimerais revenir sur la doctrine de l’armée suisse, au moment où de nombreuses puissances occidentales s’interrogent sur la leur, à l’image des Anglais, qui ont adopté une nouvelle stratégie. Il me semble que, dans ce contexte, certains choix suisses mériteraient d’être étudiés : le modèle du citoyen combattant, par exemple, ou celui du maintien d’une filière de production d’armement de petit calibre. Au moment du retour des débats sur la haute intensité et de la nécessaire résilience de la nation, j’aimerais connaître le regard que vous portez sur les grands choix doctrinaux de la Suisse, et surtout sur la manière dont nous pourrions progresser ensemble dans notre compréhension mutuelle.

 

Mme Carole Bureau-Bonnard, rapporteure pour avis. L’armée française est l’une des plus féminisées au monde, ce dont nous pouvons nous réjouir. L’organisation de l’armée suisse est très différente de la nôtre : elle repose sur un système de conscription, les jeunes hommes de 18 à 35 ans ayant l’obligation de s’engager dans la milice et de suivre chaque année une formation de trois semaines pour rester opérationnels. Ils sont encadrés par une armée de 3 000 professionnels. Si les femmes peuvent s’engager dans la milice, celle-ci est composée presque exclusivement d’hommes ; quant à l’armée professionnelle, elle ne compte que 1 % de femmes. La Suisse souhaite toutefois progresser dans la féminisation de son armée, se fixant un objectif de 10 % de femmes en 2030.

 

Lors de la pandémie, la Suisse est parvenue à mobiliser 7 000 militaires de la milice en 70 heures, et 35 000 en 10 jours. Chaque citoyen étant tenu de conserver son équipement à domicile, il n’a donc pas besoin de se rendre quelque part pour le récupérer : il vient avec son matériel dès qu’il est appelé.

 

Notre coopération dans les domaines cyber et NRBC porte essentiellement sur la formation et l’entraînement. Elle s’est intensifiée depuis 2016 et a été renforcée par le récent déplacement de la ministre en Suisse. Les échanges d’expériences entre les deux pays sont nombreux : des arrangements techniques existent entre la DGA et le laboratoire de Spiez depuis quelques années ; j’ai déjà évoqué l’exercice commun, Locked Shields, qui sera mené au printemps dans le domaine cyber ; l’homologue suisse du commandant de la cyberdéfense (COMCYBER) a par ailleurs dispensé un cours à Saint-Cyr au début de ce mois.

 

La modernisation de la formation de nos pilotes de chasse dans le cadre du programme Mentor nécessite effectivement l’acquisition de PC-21 supplémentaires. Je ne sais si cela est prévu ; nous aurons l’occasion d’aborder cette question avec la ministre Florence Parly lorsque nous l’auditionnerons, le 13 avril prochain. Un instructeur suisse intervient en France, tandis que des instructeurs français sont partis en Suisse pour se former.

 

Le rapprochement stratégique avec la Suisse, pays frontalier, est d’une importance capitale pour nous ; j’ai d’ailleurs rappelé que les autorités suisses avaient été consultées lors de l’Actualisation 2021. Bien que ne faisant pas partie de l’Union européenne, la Suisse se montre de plus en plus attentive à la sécurité collective, en dépit de sa neutralité. Deux points retiennent particulièrement son attention : le terrorisme et la stabilité du continent, avec en filigrane la question migratoire. Un grand nombre de migrants viennent en effet du Kosovo, et 10 % des Kosovars résident en Suisse. Celle-ci s’est engagée dans les Balkans au sein de la KFOR et au Sahel au sein de la MINUSMA.

 

Pour ce qui concerne l’achat de Rafale par la Suisse, nous sommes en attente des résultats de l’appel d’offres. Même si ce point ne constitue pas la pierre angulaire de l’accord, nous serions naturellement ravis que le Rafale soit retenu par les autorités suisses : cela enverrait un signal fort dans le cadre de la construction de l’Europe de la défense.

 

S’agissant de l’action de la Suisse dans la crise sanitaire, l’article 3 de l’accord comprend une liste des domaines de coopération entre nos deux pays ; elle vise les services sanitaires. Il sera intéressant d’avoir le retour d’expérience de notre partenaire sur la gestion de la pandémie, notamment du point de vue de la logistique.

 

L’attaché de défense a souligné, au cours de son audition, à quel point son pays tenait à sa neutralité, rappelant que 95 % des Suisses y étaient attachés. D’une manière générale, les auditions ont mis en valeur le sens de l’intérêt commun et la confiance existant entre nos deux pays. D’ici quelques semaines, nous nous intéresserons surtout aux échanges économiques, avec l’éventuelle acquisition des Rafale ; c’est un point important pour nos entreprises et pour la place de la France au niveau mondial.

 

Le partenariat de défense aérienne, objet principal de la coopération franco-suisse, prend diverses formes : campagnes de tir dans le cadre de mesures actives de sûreté aérienne (MASA), qui permettent aux forces suisses de s’entraîner à des procédures de tir de haute précision air-air à partir d’hélicoptères ; campagnes de vol en montagne ; échanges d’officiers pilotes français et suisses ; exercices conjoints de défense aérienne « Épervier » ; combats aériens de longue distance dits BVR – Beyond Visual Range, hors de portée visuelle – ; ravitaillements en vol – une quarantaine par an –, les Suisses ne disposant pas d’une telle capacité ; échanges d’expertise entre les écoles d’instruction en haute montagne ; formations à la survie ; compétitions sportives telles que la course militaire internationale de ski connue sous le nom de « patrouille des glaciers », qui permet de créer de la cohésion ; association des forces aériennes suisses à l’exercice Volfa, entraînement annuel majeur de l’armée de l’air et de l’espace.

 

Ces quelques exemples illustrent l’importance des échanges établis avec la Suisse. L’accord dont l’approbation est soumise à votre avis est indispensable compte tenu de l’émergence de nouvelles menaces dans le cyber et le spatial, et de l’évolution de la menace terroriste. Le partenariat avec nos amis suisses est de qualité ; c’est pourquoi j’émets un avis favorable à l’approbation de cet accord.

 

La commission donne un avis favorable à l’adoption du projet de loi.

 

 

Mme Carole Bureau-Bonnard, rapporteure pour avis. Je vous remercie, chers collègues, pour nos amis suisses comme pour nos armées. Cet accord permettra de renforcer les échanges entre nos deux pays, tout en apportant les précisions juridiques et financières qui étaient nécessaires.

 

J’aimerais remercier les personnes que j’ai auditionnées, en particulier le général de brigade aérienne Jean-Luc Taquet, délégué aux relations extérieures de l’état-major de l’armée de l’air, le général de division Jean-Marc Halter, attaché de défense suisse à Paris et M. Olivier Landour, chef du service Europe, Amérique du Nord et action multilatérale à la direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des armées.

 

Mme la présidente Françoise Dumas. Je tiens, au nom de la commission, à saluer la qualité de votre travail, Madame la rapporteure.

 

Cet accord vient refonder et moderniser le cadre juridique bilatéral existant. Il constitue une base de travail importante qui nous permettra de progresser dans les différents secteurs stratégiques, notamment en termes de formation et d’entraînement. Même si nos relations en matière de défense sont circonscrites à un certain nombre de domaines en raison de la neutralité suisse, elles ne peuvent qu’être consolidées par le développement d’un langage commun. Tout ce qui relève de l’intérêt général, de la confiance et de l’amélioration des relations entre nos deux pays est à saluer.

 

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La séance est levée à dix heures vingt-cinq.