Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

— Examen, ouvert à la presse, des conclusions de la mission d’information sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des Armées (co-rapporteurs : M. Jean-Marie Fiévet et Mme Isabelle Santiago).


Mercredi
5 mai 2021

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 51

session ordinaire de 2020-2021

 

Présidence de
Mme Françoise Dumas, présidente


 


  1  

La séance est ouverte à neuf heures trente.

 

Mme François Dumas, Présidente. Madame la rapporteure, Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin en visioconférence pour entendre les conclusions de nos collègues Jean-Marie Fiévet et Isabelle Santiago sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des Armées.

 

C’est le 28 octobre dernier que nous leur avons confié cette mission d’information sur cette dimension peu connue, mais pourtant cruciale, de l’action du ministère des Armées. La création de cette mission d’information était nécessaire à plus d’un titre, et au regard notamment des récentes annonces faites par le ministère des Armées en matière de transition écologique, annonces accompagnées fort logiquement du lancement de la stratégie énergétique de défense par la ministre des Armées le 25 septembre dernier. La commission de la Défense a déjà eu à connaître de ce sujet, notamment, vous vous en souvenez certainement, à travers l’audition de Mme Geneviève Darrieussecq en mars dernier sur la politique environnementale du ministère des Armées. Cette mission d’information a une valeur toute particulière car c’est la première fois que l’Assemblée nationale se saisit de cette question ; et à cet égard, votre rapport a vocation à faire figure de pionnier et éclairera très utilement la représentation nationale et l’opinion publique.

 

Avant de vous laisser la parole, je tiens à vous remercier pour la grande qualité de votre travail et à vous féliciter pour votre investissement. Vous avez mené plus de 40 auditions de personnes issues d’horizons très variés, issues du ministère des Armées bien sûr, mais également de la base industrielle et technologique de défense, du secteur civil de l’énergie ou encore d’associations de protection de l’environnement. Vous avez également effectué plusieurs déplacements dans des unités des armées comme à la base pétrolière interarmées du service de l’énergie opérationnelle.

 

Nous le savons tous, les actions des armées sur les terrains militaires ont un impact environnemental. Mais ce que nous savons moins c’est que les armées mènent des actions concrètes pour la sauvegarde de la richesse faunistique et floristique de leurs camps, en partenariat avec des associations engagées dans la préservation de l’environnement. Nous aimerions donc avoir votre regard sur cette politique menée par le ministère des Armées en matière de préservation de l’environnement, et en particulier sur les actions que les armées mènent pour la préservation de la biodiversité sur les terrains militaires.

 

Par ailleurs, le ministère des Armées, premier consommateur d’énergie de l’État, dépend aujourd’hui quasi exclusivement des énergies fossiles. La stratégie énergétique de défense entend répondre à cette dépendance ainsi qu’aux enjeux de transition écologique, de sobriété et de résilience énergétiques comme de réduction des empreintes logistiques en opérations. Le recours à des sources d’énergie alternatives y a toute sa place. Or, ce recours aux biocarburants, aux carburants de synthèse ou encore à l’hydrogène, pose de nombreux défis aux armées. Nous aimerions donc vous entendre sur la façon de les surmonter et d’accompagner la transition énergétique du ministère des Armées, dans le domaine des infrastructures, de la mobilité et des systèmes d’armes.

 

En se saisissant de ces enjeux stratégiques complexes, le ministère des Armées entend développer un modèle utile à ses opérations. Ces sujets dépassant le seul cadre national, vous nous direz comment cette dynamique peut aussi servir de modèle aux transitions écologiques des armées européennes, pour rendre nos efforts communs cohérents avec nos alliances, nos partenariats et nos coopérations. En ce domaine encore, l’Europe, loin d’être une contrainte est aussi une opportunité.

 

Enfin, bien sûr, nous serons tout particulièrement attentifs aux préconisations que vous formulerez pour permettre au ministère des Armées d’aller plus loin en matière de transition écologique.

 

Sans plus tarder, Madame la rapporteure, Monsieur le rapporteur, je vous cède la parole.

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Madame la présidente, chers collègues, je suis très heureux de vous présenter les conclusions des travaux de notre mission d’information sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des Armées. À titre préliminaire, j’aimerais remercier ma collègue Isabelle Santiago pour tout le travail que nous avons mené depuis novembre dernier, date à laquelle nous avons commencé cette belle mission d’information qui nous tenait à cœur et qui présentait le grand avantage d’être la première mission d’information parlementaire consacrée à cette question.

 

Avant de vous restituer les conclusions de ceux-ci, j’aimerais d’abord apporter quelques précisions d’ordre méthodologique. La mission d’information sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des Armées se proposait d’évaluer la politique menée par ce ministère en matière environnementale, que ce soit dans le cadre de ses actions relatives à la préservation de la biodiversité, à sa politique de recyclage et de gestion des déchets, ou encore à ses actions en matière de transition énergétique, tant au niveau des infrastructures que des systèmes d’armes.

 

À cette fin, nous avons conduit plus de 40 auditions et entendu près de 90 personnes issues de secteurs très variés, que ce soit au sein des armées, directions et services du ministère des Armées, des industriels de la base industrielle et technologique de défense, des services de l’État autres que le ministère des Armées, et en particulier le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et, bien entendu, le ministère de la Transition écologique. Nous avons également auditionné des entreprises du secteur énergétique comme Total, des start-up du secteur des énergies renouvelables ou encore des associations qui travaillent ou non avec le ministère des Armées en matière de préservation de l’environnement. Nous avons délibérément choisi d’interroger un panel très large d’acteurs car nous étions convaincus de la nécessité de nous ouvrir à des secteurs autres que le secteur de la défense pour nourrir notre réflexion sur un sujet si vaste et si riche. Nous avons également effectué 4 déplacements en métropole, à la base pétrolière interarmées du service de l’énergie opérationnelle – nouveau nom du service des essences des armées – mais également à la base navale de Toulon, à la base aérienne de Cazaux et au camp de La Valbonne. Nous avons ainsi tenté de dresser un état des lieux aussi complet que possible de cet enjeu crucial.

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. Je tiens également à remercier mon collègue Jean-Marie Fiévet pour tout le travail que nous avons mené depuis novembre dernier.

 

Par ailleurs, nous avons délibérément circonscrit le périmètre de notre champ d’étude. En effet, dans le cadre de ce rapport, nous avons souhaité concentrer nos travaux sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des Armées, et non sur les enjeux du développement durable au sens large. Ainsi, les dimensions économiques et sociales du développement durable ne rentrent pas dans le cadre de ce rapport, même si ces sujets présentent un intérêt majeur. À ce titre, je me réjouis d’avoir été également nommée rapporteure de la mission d’information sur le plan famille, qui, elle rentre dans le périmètre de la politique de développement durable du ministère des Armées.

 

Comme l’a dit mon collègue, pour la première fois, le Parlement s’est saisi de la question relative aux enjeux de la transition écologique pour le ministère des Armées. Cette politique, menée depuis 2007, est liée à la responsabilité particulière qu’a le ministère des Armées en matière environnementale. Premier utilisateur du domaine de l’État, avec des espaces naturels importants, il se voit confier de facto des responsabilités fortes et directes dans le domaine de la biodiversité, de la gestion de ses installations classées, de la gestion de l’eau et des déchets, des sites et sols pollués, des substances dangereuses et de la fin de vie des matériels de guerre.

 

Le rapport que nous avons écrit avec notre collègue comprend deux axes :

 

– un premier axe qui a trait à la politique menée par le ministère des Armées en matière de préservation de l’environnement et de la biodiversité sur les terrains militaires, mais également aux enjeux plus spécifiques des installations classées ou de la politique de traitement des déchets militaires ;

 

– et un second axe qui a trait plus spécifiquement à la question de la transition énergétique, à la fois des systèmes d’armes mais également des infrastructures, dimension essentielle pour l’avenir des armées françaises qui trouve aujourd’hui un écho particulier depuis l’annonce par la ministre des Armées d’une stratégie énergétique de défense le 25 septembre dernier.

 

Nous avons donc entendu dresser un état des lieux de la politique menée par le ministère des Armées en matière environnementale afin de cerner les enjeux qui se posent à ce dernier en matière de transition écologique. Au-delà de la dimension informative du rapport, nous avons souhaité tout particulièrement formuler des recommandations afin de contribuer à la réflexion générale sur cet enjeu crucial.

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Venons-en donc au cœur de notre sujet, en commençant par la politique menée par le ministère des Armées en matière de préservation de l’environnement et de la biodiversité.

 

Aussi surprenant que cela puisse paraître, le ministère des Armées mène de nombreuses actions en faveur de la préservation de la biodiversité. Il mène une politique globale et ambitieuse en matière environnementale qui demeure malheureusement peu connue.

 

En 2021, le ministère des Armées dispose d’un domaine foncier de 270 000 hectares en métropole et dans les DROM-COM, destinés à 70 % à assurer l’entraînement des forces. Compte tenu de leur utilisation militaire, ces terrains, d’accès réglementés, préservés de l’urbanisation et de l’agriculture intensive présentent souvent une richesse faunistique et floristique reconnue au niveau national et européen.

 

Aujourd’hui, on estime que 80 % des terrains militaires en métropole font l’objet d’un classement au titre de la biodiversité ou font partie d’une zone naturelle d’intérêt faunistique et floristique. 17 % de ces terrains sont classés Natura 2000. Les sites militaires sont intégrés dans plus de 40 parcs naturels régionaux différents et sont également inclus dans d’autres types d’aires protégées comme les parcs nationaux ou les réserves naturelles nationales.

 

Par ailleurs, le ministère des Armées a conclu des partenariats avec plusieurs institutions afin de mener des actions de préservation de la biodiversité sur les terrains militaires.

 

Le partenariat le plus important est celui avec la Fédération des Conservatoires d’espaces naturels (FCEN). Depuis la première loi sur la biodiversité en 1976, les Conservatoires d’espaces naturels (CEN) se sont fortement développés. Aujourd’hui, ce réseau associatif est implanté à travers la quasi-totalité du territoire métropolitain et ultramarin. [diapositive 1] Comme vous pouvez le voir sur la carte qui devrait apparaître sur votre écran, le réseau des CEN est implanté sur tout le territoire métropolitain.

 

Aujourd’hui, 22 CEN employant un millier de salariés et mobilisant un budget de 60 millions d’euros ont la responsabilité de 3 700 sites couvrant 180 000 hectares, dont une partie significative de terrains militaires. Sur les 270 000 hectares appartenant aux armées en France métropolitaine et dans les DROM-COM, 80 000 font l’objet d’une convention signée avec un CEN, soit une cinquantaine de sites. Par ces partenariats et conventions, les CEN accompagnent les autorités militaires dans leur prise en compte de la biodiversité, comme j’ai pu le constater lors de mon déplacement au camp de La Valbonne.

 

Le ministère des Armées a également un partenariat avec la Ligue pour la protection des oiseaux, première association de préservation de la biodiversité en France et gestionnaire de 12 réserves protégées. Dans ce cadre, plusieurs initiatives sont actuellement menées en partenariat avec le ministère :

 

– un projet de convention-cadre visant à limiter le survol des espaces protégés par les armées aux seuls endroits où il n’existe pas de trajet alternatif ;

 

– la labélisation des terrains non utilisés, en partenariat avec des agriculteurs et des collectivités locales, notamment en région parisienne ;

 

– le transport par la Marine nationale et, dans une moindre mesure, l’armée de l’Air et de l’Espace des personnes engagées dans les programmes de restauration dans les Outre-Mer, en l’occurrence le retrait des rats introduits par erreur qui mettent en péril la biodiversité de certaines îles ;

 

– et la surveillance par les armées des aires maritimes protégées à large échelle et la mise en place d’initiatives pour protéger leur biodiversité.

 

Le ministère des Armées a également un partenariat avec le Museum national d’histoire naturelle. À titre d’exemple, une convention de coopération a été signée le 22 février 2019 au terme duquel le Muséum national d’histoire naturelle s’est vu confié la réalisation d’une mission de conseil afin de bénéficier de son expertise scientifique dans la réalisation de plusieurs projets pilotes pour les armées.

 

La convention assigne 4 objectifs :

 

– l’identification des terrains militaires encore non-identifiés et propices aux actions de préservation de la biodiversité, en Métropole et dans les DROM-COM ;

 

– l’évaluation des modes d’action du ministère des Armées sur la base d’une méthodologie des plans de gestion scientifique des terrains militaires ;

 

– l’amélioration des outils de cartographie des terrains militaires ;

 

– et la sensibilisation des usagers.

 

De plus, le Muséum national d’histoire naturelle mène un travail important de bibliographie pour répertorier toute la littérature scientifique sur l’impact des activités militaires sur la biodiversité.

 

Enfin, le ministère des Armées a un partenariat avec l’Office national des forêts. Il concerne la gestion de 67 forêts situées sur les terrains militaires, qui représentent environ 85 000 hectares. 42 conventions sont en cours.

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. Lors de nos travaux et de nos déplacements, nous avons constaté que la politique de préservation de la biodiversité menée par le ministère des Armées pourrait être améliorée selon plusieurs axes.

 

Premièrement, une plus grande sensibilisation des agents du ministère des Armées à ces enjeux par une intégration de modules liés à la protection de la biodiversité dans l’ensemble des formations de défense, y compris à l’attention des officiers supérieurs dans les écoles militaires, serait souhaitable. Il est important de prendre le temps d’intégrer cela dans les différentes sphères de formation du ministère.

 

Deuxièmement, une amélioration du mode de financement de la gestion des espaces naturels serait également souhaitable. Si le fonds d’intervention pour l’environnement a bien été doublé en 2019 pour atteindre 600 000 euros, il ne permet de financer que les projets ponctuels portés par les agents du ministère. La gestion des camps reste de la responsabilité de l’autorité militaire.

 

Par ailleurs, il conviendrait d’assurer une plus grande compatibilité des enjeux de protection de la biodiversité avec le développement des énergies renouvelables, notamment dans le cadre du plan « Place au Soleil ». 2 000 hectares (ha) sont recherchés pour déployer des panneaux photovoltaïques mais cela doit être fait dans le respect de la nature. Or une convention entre la Fédération des Conservatoires d’espaces naturels et la base aérienne de Creil a été annulée suite au projet d’installation de 80 ha de panneaux photovoltaïques dans le cadre du plan « Place au Soleil ». Il convient de privilégier l’implantation des panneaux photovoltaïques dans les zones déjà urbanisées ou sur les toits des infrastructures pour éviter de déstabiliser les espaces naturels qui abritent de nombreuses espèces fragiles. Nous appelons donc à une plus grande cohérence entre les diverses actions menées par le ministère des Armées en matière d’environnement.

 

De plus, une protection renforcée des terrains devenus inutiles aux armées serait souhaitable. Certains d’entre eux sont amenés à être vendus alors qu’ils présentent un intérêt important en matière de biodiversité.

 

Enfin, un autre problème porte sur la mobilité. En effet, la Fédération des Conservatoires d’espaces naturels a indiqué lors de son audition qu’elle travaille avec des interlocuteurs changeant régulièrement de poste, avec lesquels il faut parfois reprendre les actions depuis le départ et dont le niveau d’implication et d’engagement est très variable. Par conséquent, certaines conventions ne sont pas renouvelées avec des camps. Le volet biodiversité gagnerait donc à être plus clairement identifié dans la feuille de route des responsables de camp.

 

Mais de manière générale, nous estimons qu’il est impératif de mieux valoriser les actions des armées en matière environnementale. Nous constatons que les armées mènent de nombreuses actions en faveur de l’environnement et que les critiques adressées au ministère des Armées quant à son empreinte environnementale – qui est réelle – doivent être appréciées au regard de son investissement pour y remédier.

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Venons-en maintenant au second axe de notre mission, sur les enjeux spécifiques de la transition énergétique des armées.

 

La consommation énergétique mondiale n’a cessé de croître depuis le début du XXe siècle, pour atteindre aujourd’hui des niveaux inégalés, et les projections pour l’avenir ne font que confirmer cette tendance. Dans le domaine des armées, une augmentation des besoins en carburant pour les matériels terrestres ainsi qu’une forte dépendance à l’électricité sont les deux tendances principales. Or, l’énergie est une source de coût financier et logistique tant sur le territoire national pour les entraînements qu’en opération intérieure ou extérieure. En particulier, la consommation énergétique des systèmes d’armes est en progression constante, en raison d’une mobilité accrue, d’une électrification croissante, de la performance croissante des systèmes d’information et de communication et un recours accru à la climatisation.

 

En 2019, le ministère des Armées a consommé 835 000 m3 de produits pétroliers pour un coût total de 667 millions d’euros, et plus de 2,6 térawatts heure ont été délivrés aux infrastructures de la défense pour un coût de 222 millions d’euros. Dans le secteur du bâtiment, les émissions annuelles de gaz à effet de serre s’élèvent à 450 000 tonnes d’équivalent CO2, soit 0,5 % des émissions nationales. [diapositive 2] Comme vous pouvez le voir sur la diapositive, la part consacrée à l’énergie de mobilité s’élève à environ 75 % de la consommation totale du ministère des Armées, contre 25 % pour l’énergie nécessaire aux infrastructures. Le carburant consommé est principalement le carburéacteur à usage aéronautique, qui représente 50 % de la consommation en carburants, contre 25 % pour la Marine nationale et 20 % pour l’armée de Terre. Au total, la part du ministère des Armées dans la consommation nationale de carburant représente moins de 1 %, dont 0,2 % des carburants terrestres, 5 % des gazoles de navigation et 7 % du carburéacteur. Ainsi, comme vous pouvez le noter, la consommation énergétique des armées représente une partie infime de la consommation énergétique nationale, et les critiques qui peuvent lui être adressées quant à son impact environnemental doivent également être appréciées au regard de cette réalité.

 

C’est dans ce contexte que la ministre des Armées a lancé une stratégie énergétique de défense le 25 septembre dernier. La politique du ministère des Armées en matière de transition énergétique dans le cadre de cette stratégie comprend deux volets : la stratégie ministérielle de performance énergétique 2019-2023 et la politique de l’énergie opérationnelle.

 

Cette dernière repose sur 4 points essentiels :

 

– la transition énergétique comme facteur de supériorité opérationnelle ;

 

– la transition énergétique comme atout, pour permettre aux forces de combattre de manière plus autonome et d’économiser l’énergie ;

 

– l’écoconception des systèmes d’armes, afin d’intégrer le facteur énergétique dans le développement capacitaire en amont dans le cadre des programmes d’armement ;

 

– et le développement de technologies de rupture pour parer les effets du dérèglement climatique sur les équipements.

 

À cet égard, afin d’illustrer concrètement les avantages induits par la transition énergétique des armées, nous aimerions vous montrer une vidéo du premier semi-rigide propulsé avec de l’énergie électrique en basse tension, développé par la Marine nationale et sur lequel nous avons eu l’occasion de monter lors de notre déplacement à la base navale de Toulon [vidéo].

 

Au titre de cette stratégie, le ministère des Armées a développé un triptyque qui résume son ambition en matière de transition énergétique : consommer mieux, consommer moins et consommer sûr [diapositive 3] :

 

– consommer sûr, ce qui implique de sécuriser l’accès à l’énergie et renforcer la cyberdéfense des infrastructures énergétiques et la protection des données ;

 

– consommer moins, c’est-à-dire maîtriser les consommations et développer une culture de la sobriété énergétique et numérique ;

 

– et consommer mieux, c’est-à-dire favoriser l’emploi des nouvelles technologies et des carburants de nouvelle génération afin d’améliorer les performances opérationnelles et la résilience énergétique des forces.

 

Enfin, une nouvelle gouvernance a été mise en place dans le cadre de cette stratégie, qui comprend deux niveaux principaux :

 

– un comité exécutif (COMEX), pour arbitrer les grandes décisions en matière de transition énergétique ;

 

– un comité ministériel énergie (CME), qui coordonne et organise la mise en œuvre de la stratégie énergétique de défense.

Par ailleurs, un autre niveau concerne les quatre piliers thématiques, constitués autour des divers domaines qui concernent l’énergie :

 

– le pilier « relations internationales et stratégie », piloté par la DGRIS, dont le rôle est de produire des analyses stratégiques sur les enjeux géopolitiques relatifs aux domaines de l’énergie afin de permettre au ministère des Armées de consommer sûr ;

 

– le pilier « énergie opérationnelle », piloté par la division « énergie opérationnelle » de l’EMA, dont le rôle est de traiter, hors du domaine du nucléaire, les questions relatives aux énergies nécessaires aux fonctions opérationnelles des armées ;

 

– le pilier « capacitaire et innovation », piloté par la DGA et l’AID, dont le rôle est d’élaborer les choix en matière d’énergie sur le plan capacitaire et de soutenir l’effort d’innovation en matière de transition énergétique ;

 

– et le pilier « énergie des infrastructures », piloté par le SID, qui traite l’ensemble des questions relatives aux énergies consommées par le parc immobilier du ministère des Armées et ses équipements.

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. Au terme de nos travaux, il nous est apparu que la stratégie énergétique de défense présentait certes de nombreuses avancées mais également quelques limites et angles morts qui méritent d’être traités dès à présent afin de ne pas grever durablement le processus de transition énergétique des armées.

 

La première limite a trait à la politique d’innovation du ministère des Armées. La stratégie énergétique de défense identifie bien cet enjeu et prévoit quelques projets pour que l’innovation contribue au processus de transition énergétique des armées. Or, nous avons constaté lors de nos travaux qu’en dépit de l’identification de cet enjeu par l’Agence de l’innovation de défense dans son Document de référence de l’orientation de l’innovation de défense (DROID) et du financement de quelques projets, cette politique reste encore trop peu ambitieuse au regard des investissements colossaux qu’il conviendrait de faire pour permettre de dérisquer les énergies alternatives qui sont déjà déployées dans le secteur civil. En effet, la principale limite au développement des énergies renouvelables dans le secteur de la défense a trait aux risques qu’ils font peser, en particulier en opération extérieure. Or, le secteur civil ne s’attachera a priori pas à dérisquer ces technologies pour le secteur de la défense : seul le ministère des Armées peut le faire. Pour cela, des investissements tant financiers qu’humains importants nous semblent nécessaires afin d’être à la hauteur de l’enjeu, car, comme nous l’a dit le directeur de l’Agence de l’innovation de défense lors de son audition, son agence « ne peut pas être partout et voir toutes les innovations », en particulier eu égard au nombre important de chantiers prioritaires fixés dans le DROID. C’est pourquoi nous plaidons pour un renforcement de la politique d’innovation de l’Agence de l’innovation de défense en lui fixant des objectifs clairs en matière d’innovation dans le secteur énergétique et en renforçant ses effectifs. À ce titre, tout en ayant conscience des apports du secteur civil, le ministère des Armées se doit être un acteur qui investit le champ de la recherche pour innover et ne doit pas se contenter d’attendre que le secteur civil, certes très en avance et porteur, développe les technologies nécessaires. Nous estimons également qu’il est nécessaire d’investir dès à présent dans des programmes de recherche pour le développement d’énergies alternatives déjà opérationnelles dans le secteur civil mais ne pouvant pas encore être déclinées dans le secteur de la défense (hydrogène, gaz naturel liquéfié (GNL), électro carburants ou carburants synthétiques). Si la stratégie énergétique de défense est mise en place telle quelle, le ministère des Armées continuera de souffrir d’un retard chronique vis-à-vis du secteur civil, y compris à l’horizon 2050. Par ailleurs, la stratégie relative aux biocarburants, incorporés à hauteur de 50 % d’ici 2050, n’est pas viable à long terme car elle implique toujours une dépendance vis-à-vis des énergies fossiles, un recours à des matières premières dont l’exploitation n’est pas toujours respectueuse de l’environnement et dont le coût est encore prohibitif. L’opinion publique sera de moins en moins disposée à tolérer ces retards et le décalage entre les armées et la Nation pourrait, dans une certaine mesure, en pâtir. Or, les programmes d’armement étant lancés sur une période de 30 à 40 ans, il convient de prendre en main cet enjeu dès à présent pour ne pas avoir à payer à l’avenir les conséquences de renoncements d’aujourd’hui. Certes, une transition énergétique qui mettrait en péril l’autonomie opérationnelle des armées en OPEX est totalement inenvisageable. Mais, d’une part, un effort considérable doit être mené sur le territoire national afin de ne pas être accusé de laxisme en la matière, et d’autre part, pour l’avenir, il convient de s’attaquer dès à présent à ces sujets pour éviter de payer les conséquences de retards pris aujourd’hui.

 

Par ailleurs, pour réduire la consommation énergétique du ministère des Armées (consommer moins), la stratégie énergétique de défense mise principalement sur le recours aux simulations et l’évaluation des besoins énergétiques futurs afin de mieux les anticiper. Concernant la simulation, aujourd’hui, les pilotes font beaucoup d’heures de vol par simulateur pour éviter de consommer du carburéacteur. Dans le domaine terrestre, des progrès notables ont été menés en la matière. Mais cela suppose de mettre à disposition des outils de simulation suffisamment performants.

 

Concernant ce dernier volet, il ressort de nos diverses auditions que la réduction de la consommation demeure, à tort, le parent pauvre du triptyque, alors que, comme l’a indiqué une personne auditionnée, « le seul carburant qui émet 0 % de CO2 est celui qu’on ne consomme pas ». Nous estimons donc qu’il est nécessaire d’établir une feuille de route claire, à la charge du COMEX, pour impulser une politique de sobriété énergétique dans l’ensemble des armées, directions et services (ADS) du ministère des Armées (hors OPEX), eu égard au caractère fondamental de la réduction de la consommation énergétique pour l’atteinte des objectifs fixés par la stratégie ministérielle de performance énergétique 2019-2023 à l’horizon 2030 et, par extension, des objectifs fixés par l’accord de Paris à horizon 2050.

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Par ailleurs, la stratégie énergétique de défense plaide pour la mise en place d’une politique de sobriété numérique. Le ministère des Armées s’est engagé à conduire une réflexion sur l’impact écologique de sa transformation numérique tant au niveau de ses équipements que de ses services numériques.

 

Dans le cadre de la stratégie énergétique de défense, la Direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information (DIRISI) a vocation à être un partenaire clé dans la réponse au trilemme énergétique, notamment sur la cybersécurité en coopération avec le COMCYBER (consommer sûr), l’exploitation des data centers et la sobriété numérique (consommer moins) ou encore l’optimisation des processus métiers et la dématérialisation des informations (consommer mieux). La DIRISI contribue donc à la mise en œuvre de la stratégie énergétique et environnementale tout au long du cycle de vie des systèmes informatiques du ministère des Armées.

 

La DIRISI dispose par ailleurs de 4 data centers principaux. Leur implantation soulève plusieurs questions quant à leur empreinte écologique. Il semble nécessaire de développer une stratégie propre pour répondre à ces besoins croissants, tout en les conciliant avec les objectifs énergétiques et environnementaux. Avec l’augmentation du numérique, les émissions de CO2 qui y sont rattachées sont elles aussi en phase ascendante, comme l’a montré l’Arcep dans son rapport sur l’empreinte environnementale du numérique.

 

Une solution pourrait être de capter la chaleur dégagée par ces centres pour l’utiliser dans les bâtiments de travail et de logement. Cela est déjà le cas au ministère où les serveurs des salles secondaires de Balard contribuent pour plus de 50 % au chauffage de l’Hexagone de Balard.

 

La DIRISI, eu égard à la hausse prévisible de sa consommation en énergie pour les armées. À terme, l’empreinte environnementale du numérique pourrait même dépasser celle des carburants, eu égard à l’électrification croissante et au déclin relatif des énergies fossiles dans les consommations. Les contours de la politique de sobriété numérique dessinés par la stratégie énergétique de défense ne nous semblent en effet pas suffisants au regard de l’enjeu. Une association plus étroite de la DIRISI dans la gouvernance de la stratégie énergétique de défense serait bénéfique.

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. En outre, concernant le volet cyber, il ressort de nos auditions de l’ANSSI et du COMCYBER que le risque qui pèse tant sur les chaînes d’approvisionnement énergétique que sur les entreprises du secteur civil est insuffisamment considéré, notamment pour les entreprises du secteur des énergies renouvelables qui, selon le général Tisseyre, sont plus vulnérables encore que les entreprises du secteur des énergies fossiles. La stratégie énergétique de défense identifie le risque mais n'y apporte pas de réponse spécifique. Nous pensons qu’il faut fixer dès à présent une feuille de route claire en matière de lutte contre le risque cyber au COMCYBER pour renforcer la cybersécurité du SEO et du SID. Cela suppose également de travailler en étroite collaboration avec l’ANSSI, eu égard au fait que les entreprises du secteur énergétique sont des opérateurs d’importance vitale au titre de la LPM. Il conviendrait par ailleurs d’organiser régulièrement des exercices de crise d’approvisionnement énergétique et de crise cyber à l’échelle interministérielle ainsi qu’avec les industriels du secteur énergétique, si nécessaire coordonnés par le SGDSN, voire à l’échelle européenne, eu égard à la forte interdépendance entre les États en la matière.

 

Enfin, nous avons été frappés par la situation de forte dépendance des armées au secteur civil de l’énergie pour la menée de ses opérations, tant en OPEX que sur le territoire national. Pour les OPEX, le SEO doit vérifier que des producteurs locaux seront en mesure d’approvisionner les forces armées en carburéacteur.

 

De plus, si l’approvisionnement énergétique en OPEX fait l’objet de préoccupations fort légitimes, il peut également y avoir des difficultés d’approvisionnement sur le TN. Si les forces armées disposent d’opérateurs pétroliers fiables sur le TN, l’approvisionnement énergétique ne s’en trouve pas nécessairement garanti. À cet égard, il est de la responsabilité du SEO de garantir un approvisionnement des forces armées, y compris quand la logistique pétrolière civile fait défaut.

 

Par ailleurs, le SEO dispose de stocks de réserve en cas de crise d’approvisionnement. Ceux-ci se divisent en deux catégories :

– les stocks de crise, qui peuvent être mobilisés en cas de crise sur le territoire national empêchant l’approvisionnement des forces armées (grève, arrêt des raffineries, etc.) ;

 

– et les stocks stratégiques, en cas de rupture d’approvisionnement (fermeture des ports, crise géopolitique dans un État producteur, etc).

 

Dans l’attente de la constitution éventuelle d’une base énergétique de défense à l’échelle européenne, nous pensons qu’il est indispensable de travailler dès à présent à l’échelle nationale avec les entreprises du secteur civil dont dépendent les armées afin de garantir des sources d’approvisionnement en énergies alternatives accessibles sur l’ensemble du territoire national (TN) pour les activités non-opérationnelles, ce qui passe également par un investissement conséquent dans la recherche et développement (R&D).

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Venons-en maintenant au volet européen et international de notre réflexion. Au sein du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, le pôle « énergies » a proposé à la direction de l’Union européenne, en charge de la préparation de la présidence française du Conseil de l’UE du premier semestre 2022, d’intégrer la transition énergétique aux priorités de la France. Dans ce cadre, il serait intéressant de mettre en évidence les initiatives propres aux armées, en dépit des réticences de quelques pays moins favorables.

 

Des échanges européens lors de la présidence française de l’Union européenne peuvent nourrir des réflexions autour des solutions énergétiques pour la mobilité des forces armées, notamment l’hydrogène et l’énergie nucléaire. Sur cette dernière, la France pourrait tirer parti de ce moment européen pour la promouvoir comme une énergie verte et fortement décarbonée auprès de la Commission européenne, afin de la rendre éligible aux mécanismes de financements mis en place pour avancer dans la transition énergétique.

 

La France pourrait également faire avancer les discussions sur le développement de filières européennes de recyclage, y compris pour les armées, non seulement pour des questions de coûts mais aussi pour le renforcement de leur autonomie stratégique. Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et le ministère des Armées, en particulier la DGRIS, travaillent étroitement autour de ces questions de souveraineté. L’exportation du savoir-faire énergétique des armées françaises sur le territoire national à l’occasion de la présidence française du Conseil de l’Union pourrait, de surcroît, ouvrir des débouchés supplémentaires pour notre diplomatie économique.

 

Enfin, la France espère accueillir la quatrième conférence de la troisième phase du forum consultatif sur l’énergie dans le secteur de la défense et de la sécurité lors de sa présidence du Conseil de l’Union. L’objectif de l’événement sera d’identifier de nouveaux financements disponibles pour mener les actions de recherche et d’innovation dans le domaine de l’énergie de défense, et surtout de mettre en avant les solutions développées par les armées françaises.

 

Il serait pertinent de croiser ces efforts avec les programmes en lien avec le Pacte vert pour l’Europe et le plan de relance, afin de créer une dynamique européenne et d’emmener les partenaires volontaires. Si les besoins des forces françaises sont certes particuliers en comparaison avec d’autres pays n’ayant pas la même culture militaire, des convergences d’intérêts peuvent exister, par exemple sur le verdissement des infrastructures, les autres armées européennes étant souvent, comme l’armée française, de grands propriétaires fonciers.

 

Cependant, le véritable défi pour la France sera d’occuper le terrain politique de Bruxelles jusqu’au 31 décembre 2021, c’est-à-dire avant le début de sa présidence. En effet, les travaux doivent être amorcés dès aujourd’hui et orientés vers les priorités françaises, notamment les initiatives climat-défense, afin que le passage de relais se déroule le mieux possible. Dans cet exercice, du retard a malheureusement été accumulé, en raison de la gestion de la pandémie et des difficultés de la reprise économique.

 

Le 1er juillet 2021, la Slovénie succèdera au Portugal à la tête du Conseil de l’Union. La Slovénie est d’ores et déjà l’un des pays les plus impliqués sur la transition énergétique des armées européennes, avec qui Paris entretient une relation de confiance. La France devra s’impliquer dans les initiatives slovènes, en proposant par exemple l’organisation d’événements réunissant think tanks, industriels et spécialistes des nouvelles technologies, lors desquels des experts français pourront présenter certains projets prometteurs portés par les armées, comme les travaux de l’éco-camp ou les avancées de la fonction « énergie opérationnelle », menée dans le cadre de la coopération structurée permanente.

 

Nous plaidons donc pour que la France engage dès à présent un travail soutenu avec la Slovénie dans le cadre de sa future présidence du Conseil de l’Union, afin que, lors de la présidence française de l’Union européenne, la transition énergétique des armées à l’échelle européenne, pour laquelle la France serait leader, soit enclenchée.

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. Par ailleurs, du 1er au 12 novembre prochain, le Royaume-Uni accueillera à Glasgow la 26e conférence des parties (COP 26) de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.

 

Londres entend ainsi inclure les aspects de sécurité et de défense aux discussions, alors que ceux-ci avaient été traités de manière séparée lors de la COP 21, organisée au Bourget fin 2015. Pour appuyer cette volonté, le Premier ministre britannique a invité le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, à participer à la COP 26. Cette initiative est soutenue par Paris qui y voit une opportunité de présenter ses capacités d’innovation et la créativité au sein de ses forces armées pour améliorer la compréhension globale des changements climatiques.

 

L’objectif britannique est de former une coalition de pays prêts à signer une déclaration appelant à la transition écologique des armées et à la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre à travers le monde. Le secrétaire général de l’Otan s’est dit prêt à appuyer l’initiative, à condition que celle-ci soit soutenue par un nombre significatif de pays. Outre la France, le Royaume-Uni s’est donc tourné vers d’autres pays partenaires au sein de l’Alliance, notamment les États-Unis l’Allemagne, la Pologne, ainsi que des pays européens de plus petite taille comme la Slovénie, le Luxembourg, l’Autriche ou la Suisse, tous prêts à s’engager sur cette question.

 

Par ailleurs, d’autres États plus éloignés géographiquement ont été contactés, par exemple le Chili, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou plus spécifiquement des pays menacés par l’élévation du niveau des eaux, comme les îles Fidji ou le Bangladesh.

 

Pour le moment, peu de pays ont amorcé une transition énergétique avec un volet spécifique dédié à la défense. On compte par exemple les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Canada, le Danemark ou l’Australie. Assez naturellement, les échanges se font donc prioritairement avec ces partenaires. De nombreux travaux sont à l’étude avec l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et les États-Unis sur la certification des biocarburants pour le secteur aéronautique qui doivent se conformer à la politique de carburant unique de l’Otan. Des échanges se font également avec l’Australie qui souhaite développer ses mines de terres rares pour faire concurrence à la Chine, et s’est à cet effet associée à des entreprises françaises.

 

L’ensemble de ces sujets pourraient être repris à l’occasion de la COP 26, au sein de coalitions dont les Français pourraient prendre la tête aux côtés des Britanniques. En effet, lors de son audition, le général Richard Nugee, responsable de la stratégie de transition écologique du ministère britannique de la Défense, nous a assuré qu’un soutien de la France au plus haut niveau permettrait de renforcer l’initiative car nous sommes en mesure d’atteindre des pays avec lesquels le Royaume-Uni est moins lié. Londres insiste de plus sur le fait que cette initiative n’est pas un projet purement britannique mais bien une ambition globale, partagée par d’autres pays moteurs, aux rangs desquels la France peut occuper une place stratégique en Europe.

 

La COP 26 représente par conséquent une occasion unique pour mettre en avant les réussites du binôme franco-britannique, en particulier sur le sujet climat-défense, dans le cadre des traités de Lancaster House de 2010. Nos deux pays ont tout avantage à avancer ensemble sur ces questions : nous partageons les mêmes enjeux, avons des moyens similaires, n’entrons pas en compétition, et sommes en mesure d’emporter avec nous la quasi-totalité des Européens et Occidentaux.

 

En conclusion, j’aimerais citer une des personnes que nous avons auditionnées, qui a prononcé la phrase suivante quand nous l’avions interrogée sur le degré de prise de conscience par le ministère des Armées du caractère impérieux de la transition écologique pour les armées : (je cite) « Nous avons conscience que le ministère des Armées ne pourra pas passer à côté de la dynamique de transition écologique » (fin de citation). En dépit de la critique que pourrait susciter cette phrase – car elle pourrait en effet laisser entendre que s’il était possible de passer à côté la dynamique de transition écologique, alors les armées le feraient – est révélatrice de la prise de conscience au sein du ministère des Armées de l’importance de sa transition écologique. Au fil des auditions, nous avons acquis la certitude que la dynamique enclenchée par le ministère des Armées depuis 2007 est réelle et solide.

 

Cependant, parce que nous avons conscience du caractère parfois fluctuant des engagements pris en la matière, soumis à des aléas de nature politique et/ou budgétaires, nous estimons qu’il est nécessaire d’aller plus loin en matière d’engagement. Nous estimons également que le Parlement devra jouer un rôle plus important à l’avenir dans l’élaboration, le suivi et l’évaluation de la politique environnementale du ministère des Armées.

 

Ainsi, et ce sera là nos deux dernières recommandations, afin de garantir une bonne information du Parlement, nous souhaitons conclure ce propos liminaire en plaidant pour :

 

– d’une part, la fixation dans les futures lois de programmation militaire d’objectifs précis à atteindre chaque année en matière de transition énergétique, qui déclinent les objectifs fixés dans la stratégie énergétique de défense. À titre d’exemple, la trajectoire d’incorporation de biocarburant sur la période 2020-2050 pourrait y être inscrite, afin de marquer symboliquement l’engagement du ministère dans le processus de transition énergétique ;

 

– et d’autre part, afin d’éclairer régulièrement la représentation nationale, la remise d’un rapport biannuel au Parlement rendant compte, de manière précise, claire et exhaustive, de l’ensemble des actions entreprises par le ministère des Armées pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixés en matière de politique environnementale, en justifiant chaque échec éventuel.

 

De notre point de vue, les aléas dus aux alternances politiques ne doivent, en aucun cas, avoir pour effet d’entraver la dynamique enclenchée depuis 2007 au sein de ce ministère, et en particulier l’accélération récente consécutive à l’annonce de la stratégie énergétique de défense. La représentation nationale devra veiller au respect du suivi de cette trajectoire et se devra d’être une observatrice attentive des progrès accomplis en la matière.

 

Nous vous remercions pour votre attention et sommes désormais disposés à répondre à toutes vos questions.

 

Mme Carole Bureau-Bonnard. Mme la ministre Florence Parly, lors de son audition, au vu de ses propos liminaires, nous a dit : « une communauté humaine forte et solidaire est au fondement de notre Défense ». On ne peut que le constater avec la participation des militaires à l’opération sentinelle, aux hôpitaux de campagne, aux transports de patients Covid et la participation au SSA.

 

La transition écologique est un sujet primordial dans nos sociétés pour préserver la planète, la protection des citoyens.

 

La ministre des armées, en 2019, avait pris le sujet à bras-le-corps et son ambition de diminuer l’empreinte environnementale par son ministère est clairement affichée.

 

Les 6 mois de mission d’information effectués vous ont permis de connaître et de découvrir l’application de cette politique sur la préservation de la biodiversité et de transition énergétique sur nos consommations de carburants en matière de classement de terrains, de parcs naturels, de partenariats pour des actions de biodiversité sur les terrains militaires et de gestion des forêts. L’exemple de Creil d’une ferme de panneaux voltaïques installée à la place des pistes de la base aérienne 110 en est un exemple.

 

Le choix des énergies semble diversifié et les diminutions des consommations à tous les niveaux se font. Vous avez souligné à juste titre dans votre rapport le partenariat avec l’Europe et le pacte vert mais il semble que cela doit être renforcé. La stratégie est bien en place. Cependant, les postes, les emplois à pourvoir dans le secteur de la transition écologique sont suffisamment attractifs, notamment pour que le ministère soit avant-gardiste et donne l’image d’une défense soucieuse de l’environnement.

 

M. Jean-Pierre Cubertafon. Je commencerai par saluer la qualité de votre travail et la pertinence de votre introduction. Votre propos était très instructif et je vous en remercie. Vous l’avez montré : tout aussi concerné que l’ensemble de la société, le Ministère des Armées n’est pas exempt d’entreprendre des efforts pour réaliser des économies d’énergie. Néanmoins, la quantité des données amassées au quotidien constitue aujourd’hui un obstacle à l’analyse qui doit être faite des différents usages. C’est dans cette perspective qu’au cours de l’année 2018 et devant la nécessité de recourir aux nouvelles technologies telles que le Big Data et l’intelligence artificielle, le Ministère s’est doté d’un logiciel dit DataNRJ 360, lequel lui permettrait une meilleure gestion de sa consommation énergétique. Notamment, la réduction de son empreinte carbone, la mesure de la consommation de chaque emprise et une voie à suivre pour la transition énergétique au sein de nos Armées.

 

Dès lors, mes chers collègues, pourriez-vous nous indiquer si les travaux que vous avez consciemment menés dans le cadre de la présente mission d’information vous ont permis de tirer le bilan de l’utilisation de DataNRJ 360 par le Ministère des Armées depuis son instauration ? Cela est-il pour le moment concluant et quel est votre avis sur la pertinence de cette utilisation ?

 

M. David Habib. J’ai constaté que généralement quand un homme politique n’a rien à dire il parle d’environnement. Et là dans ce rapport sur la stratégie verte des armées j’ai vu de la densité et des vraies propositions. Premièrement, je souhaitais poser une question sur les relations entre le ministère des Armées et les collectivités locales concernant les réserves foncières qui représentent des milliers d’hectares. Quelle appréciation avez-vous sur ces relations ? Deuxièmement, je ne suis pas d’accord avec votre proposition concernant les biocarburants. Pour ma part, je considère que c’est une vraie solution et que si le Ministère décide de se retirer, il doit le faire en sifflet afin de ne pas désorganiser les activités agricoles dans notre pays. Enfin avez-vous connaissance d’un projet d’un éco-campus Défense nationale au sein duquel public et privé pourraient travailler en synergie. Êtes-vous favorable à sa création ?

 

M. Jean-Charles Larsonneur. Je tiens à saluer la qualité de votre travail car je connais votre investissement sur ce sujet complexe et parfaitement aux prises avec les préoccupations d’une partie grandissante de nos concitoyens.

 

Comme toutes les institutions de l’État, les Armées doivent intégrer la dimension environnementale. Les armées font corps avec la nation, nos militaires sont des citoyens à part entière.

 

À l’heure actuelle, dans l’accomplissement de leurs missions, nos Armées, sur terre, sur mer, dans les airs dépendent principalement des énergies fossiles. Les innovations actuelles ne semblent pas en mesure d’enrayer cet état de fait. Cette situation n’est pas soutenable car elle nous place dans une situation de vulnérabilité quant à nos approvisionnements.

 

Il nous appartient donc de préparer cette transition en veillant à l’équilibre entre efficacité opérationnelle et ambition environnementale.

 

Aussi, j’aurai trois questions pour vous. Quelles sont vos préconisations s’agissant de la prise en compte des exigences écologiques dans la conduite des programmes d’armement ? Enfin, et surtout, le défi essentiel à relever est celui du développement des carburants alternatifs. Quels travaux sont actuellement menés ? Plus spécifiquement, des travaux sont-ils conduits dans ce domaine dans le cadre des programmes d’études amont ou dans le cadre de la recherche duale ?

 

M. Yannick Favennec-Bécot. Je tiens, tout d’abord, à vous remercier pour cette présentation et pour le travail réalisé.

 

Je souhaiterais vous interroger sur deux projets américains qu’on a pu découvrir dans la presse spécialisée, à savoir la miniaturisation de centrales nucléaires transportables et projetables, ainsi que le développement d’une alimentation solaire spatiale sur rayonnement micro-onde.

 

Dans les deux cas, les États-Unis cherchent à trouver, notamment, des solutions permettant d’alimenter de manière autonome les bases américaines projetées sans faire appel aux réseaux électriques des pays hôtes par essence vulnérables et sans faire appel à des générateurs de sauvegarde employant du carburant traditionnel et nécessitant un flux logistique continu pour le combustible.

 

Si ces deux projets soulèvent des questions opérationnelles, financières et technologiques, ils ont le mérite de démontrer que nos alliés américains ont parfaitement conscience des enjeux énergétiques et climatiques et qu’ils entendent trouver rapidement des réponses.

 

Avez-vous eu l’occasion d’étudier ces deux projets ? De même, avez-vous connaissance d’autres initiatives et projets étrangers à application militaire pouvant inspirer la recherche française et européenne ?

 

M. André Chassaigne. Je souhaite d’abord souligner dans cet excellent rapport les perspectives ambitieuses et exigeantes proposées par les rapporteurs tant au niveau français qu’européen. L’objectif que s’est donné la France de réduire par quatre les émissions à effet de serre est très difficile à atteindre. Et notamment pour le ministère des Armées qui est touché dans son cœur de métier. Ainsi, 50 % des émissions du ministère viennent du kérosène et du gasoil marin. Et les entraînements doivent avoir lieu. Il faut donc jouer sur plusieurs leviers. Ainsi, premièrement au sein du ministère est-il menée une politique de l’achat responsable ? Qu’en est-il de l’achat environnemental avec l’utilisation des produits phytosanitaires, avec la réglementation REACH et la prise en compte de la réglementation relative aux déchets ? Deuxièmement, Qu’en est-il de la création d’entités-pilotes au sein du ministère régies par la norme ISO 001. Cette démarche ayant des gains assez importants a-t-elle été véritablement mise en œuvre ? Troisièmement, qu’en est-il du démantèlement ? Entre 2010 et 2016, le démantèlement a été considérable avec l’élimination de 80 coques de navires, 400 aéronefs, 5000 véhicules terrestres et 300 tonnes de matériel électronique. Ce rythme important sde démantèlement a-t-il été maintenu et dans quelles conditions ?

 

M. Jean Lassalle. Je félicite les rapporteurs d’avoir réussi à traiter ce sujet aussi difficile de la transition écologique dans le milieu de la guerre. La guerre cause de considérables dégâts environnementaux, que l’on pense à Hiroshima et Nagasaki, les munitions laissées dans l’environnement. Et finalement, préserver l’environnement irait de pair avec une limitation de la guerre.

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. Pour répondre à Mme Carole Bureau-Bonnard sur la politique menée par les Armées, le ministère est à l’avant-garde sur les questions environnementales en matière d’innovation. Pour que l’on puisse être dans une dynamique d’innovation à destination du civil et du militaire, il faut qu’on repense la manière dont on travaille en recherche et développement, notamment en engageant un travail à l’échelle européenne pour se donner une force majeure et des moyens très importants. C’est à cette échelle que se joue cette question. Concernant les parties environnement et énergie du rapport, sur les formations de défense, cela permet aussi de répondre aux attentes de sobriété, sujet sur lequel les Armées doivent pouvoir travailler. Dans le même temps, nous avons tenu, dans ce rapport, à différencier le travail effectué à destination des opérations extérieures, qui ont des spécificités bien particulières, y compris sur le matériel militaire, et ce qui relève du territoire national. Sur le territoire national, les Armées peuvent faire encore beaucoup plus et beaucoup mieux. Il faut y mettre les moyens certes, mais nous pouvons aller plus vite et plus loin.

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Je voudrais d’abord répondre à notre collègue Jean-Pierre Cubertafon concernant le programme data energy 360. Data energy 360 c’est un outil utile qui sert à mesurer les consommations d’énergie et ainsi mieux anticiper les consommations excessives : in fine, permettre au ministère de consommer mieux. Néanmoins, ce n’est pas la première fois qu’un outil de ce type est déployé. Il y a eu un outil de suivi des fluides, qui s’appelait OSF à l’époque. Il avait été déployé dans le cadre de la stratégie ministérielle énergétique en 2012. Mais le bilan ne fut pas totalement satisfaisant, d’où la naissance de ce nouveau projet : data energy 360. Un hackathon est prévu sur la stratégie énergétique de défense pour améliorer l’outil. C’est un projet à suivre car il est prometteur et qu’il est extrêmement important que le ministère connaisse sa consommation.

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. Je souhaiterais me pencher sur la question de notre collègue M. Yannick Favennec-Bécot concernant le développement de centrales nucléaires transportables et projetables, ainsi que le développement d’une alimentation solaire spatiale. Nous n’avons pas eu l’occasion d’échanger sur cette question très précise. Mais lors de nos échanges avec des interlocuteurs nationaux et internationaux, nous avons vu que le ministère des Armées travaille régulièrement avec l’ensemble des partenaires, dont les États-Unis. Ils échangent sur les pistes de travail et, rappelons-le, les États-Unis donnent des moyens très importants à leurs armées pour la recherche et développement. C’est cette dynamique vertueuse qui permet de faire des propositions comme celles que vous avez pu lire récemment.

 

Concernant la possibilité de regarder les choses de manière différenciée, à savoir les opérations extérieures et le territoire national, le recours à l’énergie solaire est une piste pour les OPEX. Nous l’avons évoqué dans plusieurs auditions et nos interlocuteurs ont tous précisé que les moyens étaient limités par les contraintes géographiques des OPEX en fonction de leur localisation. Les conditions climatiques sont problématiques. Pour l’opération Barkhane par exemple, le sable pourrait poser des problèmes majeurs sur les panneaux photovoltaïques. Il y a donc des difficultés en fonction des zones géographiques dans lesquelles on se trouve. Ce sont donc des pistes de recherche, passionnantes par ailleurs, qui avancent mais ne pourront pas répondre à toutes les questions qui sont posées en fonction du lieu de déploiement. Ces problématiques sont d’ailleurs partagées par tous les pays déployés ensemble au sein des coalitions.

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Je souhaiterais répondre à notre collègue M. David Habib sur la question des relations entre le ministère des Armées et les collectivités territoriales. Bien sûr, le ministère a des relations avec ces collectivités, et ces relations sont primordiales. Ces relations concernent notamment la gestion de réseaux et d’infrastructures. Par exemple, le service d’infrastructures de la Défense (SID) travaille avec les collectivités territoriales pour les contrats de performance énergétique car il doit se raccorder au réseau de valeur urbaine. C'est le cas en ce moment même avec une étude dans l’est de la France pour se raccorder au réseau urbain.

 

Par ailleurs, des échanges ont lieu en matière de biodiversité, dans beaucoup de sites. Nous en avons eu l’exemple à Toulon ou au camp de la Valbonne (Ain). Mais c’est un axe qu’il va falloir développer, vous avez tout à fait raison. Cette approche locale c’est quelque chose de nouveau. Au niveau national nous savons faire mais il va sûrement falloir régionaliser et être au plus près des collectivités pour aller plus vers cette biodiversité.

 

Concernant les biocarburants et les carburants, nous distinguons trois niveaux et générations. La première génération, ce sont des carburants d’énergies fossiles comme le pétrole. La deuxième génération, ce sont les biocarburants, sous forme d’essence ou de gaz. La troisième génération, qui arrive aujourd’hui, ce sont des carburants novateurs, de rupture, et qui sont l’hydrogène, l’électrocarburant ou encore les carburants à base de microalgues. Aujourd’hui, le biocarburant c’est un carburant de transition : si demain nous devions passer tous les carburants à base de pétrole en biocarburants, il faudrait une surface équivalente à la Russie pour pouvoir alimenter entièrement l’État français. Il ne faut pas tout miser sur le biocarburant : c’est un carburant qui pollue peu, ce qui est intéressant, mais il faut diversifier le carburant. Il faut que chacun puisse retrouver différents carburants. Aujourd’hui, nous avons différents carburants fossiles : le diesel, l’essence, différents niveaux d’essence. Demain nous devons aller vers le même principe et non pas aller vers un carburant unique. Il faut pouvoir laisser à chacun le choix du carburant qui s’y prête le mieux. Par ailleurs, les biocarburants ne sont pas entièrement écologiques contrairement à ce que l’on croit. Les biocarburants c’est une base de pétrole, soit le diesel, soit de l’essence, à laquelle on va ajouter des produits issus de l’agriculture, comme le colza. Il faut aussi conserver nos capacités de production alimentaire et ne pas oublier que la nourriture c’est la base de l’homme.

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. Dans la stratégie énergétique de défense, il y a un axe de sécurisation des flux. Comme vous le savez, nos armées sont sur de nombreux terrains pour assurer la continuité de notre approvisionnement, comme avec l’opération Agénor dans le détroit d’Ormuz. Tout cela permet de réduire de réduire les tensions autour des ressources énergétiques et donc les potentielles sources de conflictualité.

 

Nous avons abordé les enjeux du rapport comme des briques, avec des approches différentes pour chaque question : les sujets stratégiques, la sécurité des armées, les OPEX. C’est ce qui donne tout son intérêt à ce rapport. Nous ne nous sommes pas concentrés seulement sur des problématiques de guerre mais sur tous les sujets relatifs aux armées, notamment les pistes pour rendre nos armées plus vertueuses. À l’échelle internationale, on le voit, une dynamique s’installe pour de profonds changements avant 2050. Cela concerne notamment les territoires nationaux, pour la France comme pour de nombreux pays en avance sur ces questions-là, mais aussi la question du changement climatique ou de l’énergie. Ces deux derniers n’étant pas dépourvus de problèmes géopolitiques inhérents aux lieux de production. C’est autour de toutes ces questions-là qu’il faut regarder les sujets présentés dans notre rapport.

 

Nous sommes conscients que cette situation géopolitique, je vous ai parlé tout à l’heure des îles des Fidji ou du Bangladesh, impose aux États de trouver des réponses à ces questions avant 2050.

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteure. Il y a, au ministère des Armées, une politique d’achat responsable. C’est la DIRISI qui nous en parlait. Cela ne rentre pas cependant dans le périmètre de notre champ de réflexion, car relevant du développement durable. Mais il y a pour ça des outils, j’évoquais tout à l’heure le programme data énergie 360, l’OSF également et d’autres outils déjà en place. Ce sont des enjeux extrêmement importants, et il faut vraiment aller vers une politique d’achat responsable, vous avez entièrement raison M. Chassaigne.

 

Vous m’avez également parlé de la politique de démantèlement. Effectivement, le ministère des Armées a fait un gros effort sur le démantèlement des bateaux par exemple. Beaucoup ont été démantelés depuis quelques années, et ils sont actuellement démantelés en Bretagne, selon différents contrats. Le souci du démantèlement c’est que ce sont des engins qui ont aujourd’hui plus de quarante ans pour beaucoup, or la conception des bateaux de l’époque n’est plus celle d’aujourd’hui, avec des matières premières qui sont, pour certains, dangereuses. Il y a donc des difficultés à démanteler ces engins, mais on y arrive quand même, il n’y a pas de problématiques particulières. Prenons l’exemple des avions de chasse par exemple. Les avions sont conçus avec des matériaux de très grande qualité mais malheureusement beaucoup de joints sont faits avec des matières extrêmement dangereuses, qui n’étaient pas considérées comme telles à l’époque. Cela impose de prendre de très grandes précautions. On ne peut pas non plus démanteler avec une vitesse industrielle, il faut prendre le temps de démanteler pour ne pas que cette opération ne vienne polluer les surfaces qu’il y a autour et faire prendre des risques à ceux qui démantèlent, qui sont présents pour une mission très importante. Le ministère a pris à bras-le-corps tous ces démantèlements, concernant les armes en fin de fin de vie également : les missiles, les munitions, etc. Le souci concerne plus les armes utilisées pendant la Première ou la Seconde Guerre mondiale, qui ne concernent plus forcément le ministère des Armées car il ne s’agit pas d’un recyclage classique de fin de vie, mais d’un recyclage d’armes utilisées. Nous avons posé beaucoup de questions sur cette thématique qui était pour nous importante. On parle toujours de l'écoconception, mais rarement de la déconstruction. C’est un ensemble : on part d'un projet initial, et 40 ans après, ce projet il faut le démanteler. Pour certains projets, c’est titanesque.

 

Concernant la question de M. Jean-Charles Larsonneur sur les programmes d’armement : la direction générale de l'armement (DGA) a pris en compte la dimension environnementale dans les programmes d’armement. Elle a mis en place des fiches d’écoconception. Tous les projets, depuis 2018, doivent prendre en compte la dimension environnementale. Dès le départ, on part sur une fiche d’écoconception, c’est-à-dire qu’on anticipe l’avenir. Dans cette fiche, on part quand même sur du matériel terrestre, maritime ou aérien dont on sait qu’il va sûrement durer 40 ans. On prévoit donc les étapes de vie des matériels, avec la possibilité de faire des rétrofits sur ces engins. Grâce à cette écoconception, on peut se dire : « dans 20 ans, lorsque je devrais remplacer le moteur actuel qui fonctionne au carburant essence unique, mon anticipation me permet de le remplacer par un moteur électrique. L’écoconception fait que je connais déjà l’emplacement des batteries et du moteur ». Ce qui est compliqué pour la DGA, c’est qu’un véhicule ou un engin conçu aujourd’hui va être mis en service dans 10 ans ou dans 20 ans, puis être service pendant 40 ans. Donc c’est compliqué d’anticiper aujourd’hui quel carburant sera utilisé dans 20, 30 ou 40 ans. La DGA fait donc un travail phénoménal sur ces fiches d'écoconception. Ces fiches font aussi l’objet de travaux chez tous les industriels de la Défense, c’est obligatoire mais tout le monde a une opinion très positive de ces fiches d'écoconception.

 

Malheureusement, nous n’avons pas pu voir le fameux véhicule blindé de l’avant (VAB) électrique d’Arquus, un prototype. Nous devrions y aller dans quelques semaines car la crise sanitaire a rendu impossible un déplacement avant cela. Arquus a mis en place ce VAB électrique, qui va servir de base au développement des véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI) et autres véhicules vers des modes de propulsion hybrides électriques et moteur à explosion. Concernant la conception de ses matériels, le ministère des Armées se projette vers l’avenir. L’avenir c’est peut-être la motorisation hybride, mais peut-être une autre direction dans un temps un peu plus long.

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. Je souhaiterais également compléter notre réponse à M. David Habib concernant la proposition d’un campus privé-public. Dans le rapport nous parlons de l’agence innovation défense (AID), qui, à mon avis, doit être densifiée et relevé d’une dynamique de campus à l’échelle nationale. Ce service, c’est le seul qui permet à toutes les entreprises de pouvoir amener l’innovation en direct, sas passer par tous les filtres habituels, normaux biens sûrs. L’AID permet d’observer une synergie et une dynamique, et je crois que c’est cet esprit-là qui permet de trouver des axes fondamentaux de recherche. Certaines idées relevaient de la science-fiction et avancent aujourd’hui avec beaucoup de rapidité. Malheureusement, cette initiative de maillage entre le secteur privé et nos armées est à petite échelle et c’est pour ça que notre rapport précise que nous ne sommes pas au niveau, au volume nécessaire à nos ambitions d’innovation.

 

Mme Anissa Khedher. Je souhaite d’abord remercier nos collègues pour leurs travaux, qui nous font honneur puisque c’est la première fois que notre commission s’intéresse à cette question. Hasard du calendrier, votre présentation intervient au lendemain de l’adoption, par l’Assemblée, en première lecture, du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Vous avez en partie répondu à ma question, qui portait sur la COP 26. Celle-ci se tiendra en novembre 2021 à Glasgow, et nous espérons qu’elle sera l’occasion d’adopter un nouvel accord ambitieux pour lutter contre le réchauffement climatique. Dans ce contexte, pourriez-vous nous indiquer en quoi l’action de l’armée française dans le domaine de la transition énergétique pourrait être considérée comme un modèle à suivre au niveau international. De la même manière, pensez-vous qu’au plan européen, la France occupe une place de leader en la matière ?

 

M. Xavier Batut. À mon tour de féliciter nos rapporteurs pour la qualité de leur travail et de leurs préconisations. Ma question porte sur la mise en place de l’éco-camp, attendue en 2025. Puisque vous l’avez présenté, dans vos propos liminaires, comme un projet de long terme, je souhaiterais savoir si vous pensiez qu’il verra bien le jour et sera opérationnel à la date prévue.

 

M. Jean-Philippe Ardouin. Bravo à nos collègues pour la qualité de leur rapport et leurs propositions que, pour ma part, j’ai trouvé fort instructives. L’un des enjeux de la transition énergétique est celui de notre dépendance aux matières rares, dans la production de nos véhicules, et notamment les terres rares. Produites quasi exclusivement par la Chine, celles-ci seront pourtant nombreuses et indispensables pour la fabrication des composants des voitures électriques. Pour notre industrie, nous nous trouvons donc là à la frontière de questions écologiques et de souveraineté. Aussi, pourriez-vous nous dire ce qu’il en est du recyclage de ces matériaux ou des travaux relatifs à leur substitution ?

 

M. Stéphane Trompille. Permettez-moi d’abord de féliciter et de remercier nos collègues pour leur présentation, et en particulier notre collègue Jean-Marie Fiévet pour s’être rendu au camp militaire de La Valbonne, dans mon beau département de l’Ain. Sans que Jean-Philippe Ardouin et moi-même ne nous soyons concertés, ma question porte également sur le recyclage des terres rares. Vous connaissez mon intérêt particulier pour les questions spatiales et, aujourd’hui, de nombreux déchets spatiaux qui encombrent les orbites contiennent des terres rares. À titre d’exemple, le 23 avril dernier, la navette Crew Dragon a failli percuter des débris spatiaux sur son trajet vers la station spatiale internationale (ISS). Soucieuse du problème que pouvaient constituer de tels débris pour les prochains voyages spatiaux, l’Agence spatiale européenne a décidé de lancer le programme CleanSpace-1, dont le premier vol doit intervenir en 2025, afin notamment de recycler ces débris en orbite. Il convient à mon sens de développer les partenariats entre des acteurs privés et publics afin de lancer de futures missions spatiales pour recycler de tels débris, mais aussi d’intensifier les activités de recherche et de développement dans ce secteur innovant pour pouvoir mener nos futurs voyages spatiaux de la meilleure des façons. En outre, il me semble important de rappeler que les États-Unis et la Chine sont déjà engagées dans une compétition dans le domaine des activités de minage spatial et nous paraissons un peu en retard aux niveaux français et européens. J’en viens donc à mes questions. Pensez-vous possible de récupérer des débris spatiaux et de les recycler sur Terre afin de récupérer des matériaux et des terres rares. Quels moyens sont mis en place par le Gouvernement, et en particulier le ministère des Armées, pour lutter contre ce futur fléau extra-atmosphérique, et récupérer là-aussi des terres rares ?

 

M. Fabien Gouttefarde. À mon tour de remercier les rapporteurs, que j’ai pu accompagner, en tant que membre de la mission d’information, lors d’une vingtaine de la quarantaine d’auditions qu’ils ont conduites, ainsi qu’à quelques-uns des déplacements qu’ils ont effectué en France. Ceci m’a permis de mesurer l’importance de ces enjeux, et aujourd’hui, de largement partager vos recommandations, en particulier celle portant sur l’augmentation des effectifs de l’Agence de l’innovation de défense. Pour élargir le débat au-delà de nos frontières, pourriez-vous nous renseigner sur le positionnement de la stratégie de transition écologique et énergétique des armées françaises – notamment en termes d’approche et de plan d’action – au regard de celles d’autres pays, et je pense en particulier au Royaume-Uni, puisque nos armées sont comparables.

 

M. Jacques Marilossian. Merci à nos collègues pour leur présentation et leurs premières réponses. Comme vous l’avez dit, le ministère des Armées a adopté, l’an dernier, une stratégie énergétique, et constitue le premier consommateur institutionnel en France, avec 0,3 % de la consommation énergétique nationale. Vous avez également évoqué le plan « Place au soleil », dans le cadre duquel le ministère des Armées s’engage mettre à disposition plus de 2 000 hectares de terrains avant 2025 pour développer des projets photovoltaïques. Et comme vous l’avez également rappelé, l’importance du patrimoine foncier du ministère des Armées constitue un atout indéniable pour l’installation de cellules photovoltaïques. Il me semble toutefois que nous ne disposons pas d’évaluation précise sur les économies que nous pourrions réaliser grâce à ce plan. De la même manière, il me paraît important d’identifier les infrastructures les plus adaptées à l’installation de telles cellules, car selon la géographie et l’environnement, toutes ne bénéficieront pas d’un niveau d’exposition à la lumière équivalent. Et même s’il en existe, toutes nos bases de défense ne sont pas situées sous les tropiques. En conséquence, ma question est relativement simple : pouvez-vous expliciter l’opportunité que constitue la mise en place du plan « Place au soleil » dédié à la mise à disposition de surfaces valorisables ?

 

Mme Monica Michel-Brassart. Félicitations à nos rapporteurs pour leur travail fouillé, qui démontre l’importance des enjeux de ce vaste sujet. Par sa géographie, le continent européen dispose de rares ressources d’énergie fossile. Pour être opérationnelle, l’armée a donc besoin d’importer massivement des ressources pétrolières et gazières de l’étranger, ce qui induit une relation de dépendance qui pourrait menacer l’autonomie stratégique de la France. Dans le cadre de sa stratégie énergétique de défense, dévoilée en septembre dernier, la France souhaite renforcer son indépendance sur le plan des approvisionnements énergétiques. Assurer la souveraineté des armées en ce domaine constitue un enjeu majeur à l’heure où les tensions géopolitiques croissent et les ressources naturelles se raréfient. Le soutien aux alternatives actuelles au tout pétrole et à l’innovation est donc très important pour accompagner et développer la transition écologique et énergétique de nos armées. Les innovations françaises en la matière sont nombreuses et vous en avez cité des exemples : propulsion électrique grâce à une vraie rupture technologique, démonstrateur hybride Griffon – annoncé pour 2025 – recherche pour alimenter des avions à réaction en biocarburant et hybridation des motorisations. Alors que la France présidera le Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2022, comment pourrions-nous, grâce à notre expertise en la matière, encourager nos partenaires européens de défense vers cette thématique et ainsi évoluer vers une stratégie européenne renforcée, au-delà de la constitution d’une centrale européenne d’achat de produits pétroliers au profit des forces armées que la France compte proposer.

 

M. Didier Le Gac. Merci aux rapporteurs pour leur exposé. En tant que rapporteur budgétaire des crédits de la marine, je souhaite interroger les rapporteurs sur le transport maritime. Vos travaux, et notamment votre déplacement à Toulon, vous ont-ils permis d’aborder avec vos interlocuteurs la question de la transition écologique et énergétique de la marine nationale, sur le modèle de celui de la marine marchande. Je rappelle à ce sujet qu’en 2050, le transport maritime devra avoir réduit de 50 % ses émissions de dioxyde de carbone (CO2) par rapport à 2008, ce qui a suscité de nombreuses réflexions visant à substituer du gaz naturel liquéfié (GNL) au fioul lourd. Bien évidemment, la marine nationale ne compte pas autant de bateaux que la marine marchande – on est loin des 80 000 à 100 000 bateaux qui croisent sur les mers du monde, qu’il s’agisse de tankers, de super tankers et autres porte-conteneurs –, mais savez-vous si la marine nationale envisage d’opérer une transition du fioul lourd au GNL ?

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Merci à nos collègues pour ces nombreuses questions, à laquelle nous ne répondrons peut-être pas dans l’ordre. M. Batut nous a interrogés sur l’éco-camp. Il me semble important de rappeler d’abord qu’à l’origine, il s’agit d’un projet expérimental dont le premier prototype devait être livré, comme vous l’avez dit, en 2025. Ce projet a toutefois rapidement évolué et je tiens d’ailleurs à remercier les personnels du Centre d’expertise des techniques d’infrastructure de la Défense (CETID) du Service d’infrastructures de la défense (SID) pour le temps qu’ils nous ont accordé afin de nous exposer ses mutations. Aujourd’hui, la mise en service de l’éco-camp n’est plus attendue pour 2025, car le projet est aujourd’hui composé de multiples couches complémentaires, qui connaissent aujourd’hui différents stades d’avancement. Il me semble important de rappeler un élément fondamental : l’armée française est une armée de projection, composée de Gaulois qui se déploient avec un sac à dos et une toile de tente personnalisée, et ce n’est que sur le théâtre, dans un environnement dangereux, que sont installés des tentes collectives ou des bâtiments en dur et constitués des camps, voire une mini-ville. Or, comment est organisé un camp aujourd’hui ? En son cœur se trouve une centrale électrique qui alimente l’ensemble. Demain, l’éco-camp a été construit à partir d’une analyse complètement opposée, en partant des besoins des soldats, afin de déterminer les conditions nécessaires pour assurer le fonctionnement du camp à partir de … rien ! L’exemple qui nous a été donné est celui de la cellule-vie, où dorment les soldats, qui doit être complètement autonome. Cela paraît simple : il suffit en fait de placer des panneaux photovoltaïques sur le toit afin de produire l’énergie suffisante pour la cellule-vie. Mais pour fonctionner, un panneau photovoltaïque se doit d’être toujours propre, ce qui constitue un sérieux défi dans des zones où domine le sable, comme aujourd’hui la bande sahélo-saharienne (BSS). Alors devons-nous déployer un soldat armé d’un balai pour épousseter le panneau en permanence ? Chacun conviendra que telle n’est pas la mission de nos militaires. C’est pourquoi il a été décidé de confier cette tâche à un robot, qui doit pouvoir fonctionner de manière indépendante, y compris sur le plan énergétique, c’est-à-dire sans devoir être alimenté par ladite centrale électrique. À première vue, on pourrait penser que les concepteurs de l’éco-camp font les choses à l’envers, mais en creusant le sujet, on se rend compte à quel point ces enjeux sont passionnants.

 

De la même manière, si l’on s’intéresse aux téléphones portables, que chacun – y compris les militaires – a dans sa poche, ils sont aujourd’hui rechargés par une prise de 220 volts équipée d’un transformateur qui abaisse la tension à sept ou douze volts. Dans le cadre de l’éco-camp, il est envisagé de déployer dès le départ des lignes à basse tension, permettant de moins consommer d’énergie, pour un chargement normal.

 

Au fond, sur un théâtre d’opération, les militaires n’ont besoin que d’énergie électrique et d’eau pour être heureux. S’agissant justement de l’eau d’ailleurs, il nous a été indiqué que la production d’eau pouvait être séparée en deux paquets : d’un côté, de l’eau consommable, très filtré, destinée à être bue ; de l’autre, de l’eau moins filtré – mais toujours consommable – pour alimenter les douches et les sanitaires. En définitive, moins de filtres impliquent moins d’énergie, et donc moins de besoins énergétiques et de dépendance au fioul. L’éco-camp est donc un projet en perpétuelles adaptation et évolution, avec par exemple le déploiement en BSS, dans quelques mois, du premier robot-nettoyeur de panneaux photovoltaïques. Je tiens vraiment à saluer le travail des personnels du CETID, qui ont effectué un travail formidable. Et alors qu’au lancement de ce projet, il n’était pas très à la mode, disons-le, l’éco-camp est aujourd’hui regardé et observé par toutes les armées du monde. Il s’agit d’un très beau projet que je vous invite tous à regarder de près.

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. En réponse à Fabien Gouttefarde, je dirais que si l’on observe peu de différences entre le Royaume-Uni et la France, force est tout de même de constater que les Britanniques ont avancé beaucoup plus vite que nous sur la question de la transition énergétique et écologique. La dynamique est différente, notamment car plutôt que d’inscrire leur stratégie de transition dans le cadre d’une loi de programmation militaire, les armées britanniques se sont fixées comme objectif d’opérer leur transition à l’horizon 2050. Il s’agit donc d’une vision de long terme et c’est en ce sens que nous divergeons en matière d’approche. La stratégie britannique a fait l’objet d’un rapport endossé par le Premier ministre, M. Boris Johnson, largement couvert par la presse nationale et internationale. Selon cette stratégie, la totalité du parc automobile non opérationnel des armées sera renouvelée d’ici 2050, et celui-ci sera donc uniquement composé de véhicules « 0-émissions », en l’espèce de véhicules électriques.

 

En outre, s’agissant de la contribution des forces à la résilience de la Nation, plusieurs chantiers ont été engagés, dans lesquels nous nous retrouvons. Je pense ainsi à la capacité de répondre aux catastrophes et d’apporter un soutien aux autorités civiles. La crise sanitaire a d’ailleurs démontré la capacité de la défense à agir rapidement et efficacement dans les moments de tension nationale. De la même manière, je pense à la capacité à apporter un secours humanitaire en cas de catastrophe, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale. Il s’agit là aussi de répondre à de nouveaux défis, qui nous imposeront de collaborer. Dans le domaine de la recherche et de l’innovation, nos deux pays sont prêts à collaborer et nos communautés scientifiques respectives sont prêtes à travailler de concert. Côté britannique, un tel effort a fait l’objet d’une stratégie et d’une programmation dédiées. L’armée britannique s’engage également à construire des infrastructures aussi durables que possible, ce qui a trait aux normes de construction suivies. Le général Nudge appelle à la mise en place d’une dynamique occidentale permettant, dans la perspective de la COP 26, de lier les enjeux de protection de l’environnement et les enjeux de défense, y compris dans les domaines cyber et spatial. En définitive, il me semble en effet que les Britanniques ont proposé une démarche innovante et intéressante.

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Monsieur Ardouin, la question du recyclage des terres rares est régulièrement revenue au cours de nos auditions. En fait, ces terres ne sont pas aussi rares qu’on le dit. On trouve partout dans le monde du cobalt, du lithium etc. Seulement, leur extraction suppose du personnel et malheureusement, dans de nombreux pays, les normes d’extraction ne sont pas les mêmes qu’en Europe. La Chine a pris le leadership en matière de transformation de tous ces minéraux si bien que tous les pays dépendent d’elle pour leur approvisionnement en la matière. La demande en terres rares est importante et va croissant. Les pays européens ont réfléchi à la manière de diversifier leurs sources d’approvisionnement en terres rares, notamment en cas de crise. Une solution serait peut-être de constituer un stock européen de différentes terres rares – sachant que dix-sept d’entre elles ont déjà été prises en compte pour les besoins de nos militaires et pour nos produits civils. On pourrait certes aussi recycler ces terres rares mais, d’une part, le volume obtenu resterait insuffisant et, d’autre part, cela coûte extrêmement cher – beaucoup plus cher que d’acheter des terres directement à la Chine, même en comptant le coût de transport. Il faudra peut-être développer le recyclage des terres rares dans les années à venir, comme on le fait dans de nombreux autres domaines au niveau national. S’il y a des terres rares dans tout – dans nos téléphones, nos ordinateurs, nos maisons, nos voitures… –, il faut aussi évoquer des matières qui ne sont pas des terres rares comme le cuivre, dont les carrières d’extraction vont diminuer en volume en 2030. Je rappelle qu’une voiture électrique nécessite quatre fois plus de cuivre qu’une voiture « classique ». On va donc assister demain à une explosion de la demande de cuivre et le coût de celui-ci risque aussi d’augmenter. Il va donc falloir aussi optimiser le recyclage des matériaux de haute qualité dont on a besoin pour différents usages. Il va falloir anticiper la demande en constituant des stocks pour ne pas être dépendant, dans l’urgence, d’un pays susceptible de couper court à nos échanges. Pour illustrer les besoins de terres rares en volume, on prend souvent l’exemple du FAMAS. La composition de ce fusil comprend huit terres rares, dont six dans le canon. Il y a vingt-huit éléments de terres rares dans le Rafale, seize dans l’A400M. Sans le savoir, on est dépendant dans tous les domaines des terres rares, véritable ressource d’avenir. Il va donc falloir anticiper pour pouvoir récupérer localement cette ressource.

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. Monsieur Le Gac, la Marine nationale réfléchit à différentes innovations très intéressantes – qu’on a pu voir tout à l’heure en vidéo – de moteurs hybrides ou électriques qui rendent silencieux les bateaux en opération. Cependant, à l’échelle de la Marine nationale, ces innovations ne peuvent être considérées comme la seule solution d’autant que la recherche n’en est qu’à ses débuts. Les armées, en particulier la Marine, dépendront donc encore assez longtemps des énergies fossiles ou nucléaires.

 

Il est inenvisageable à ce stade de recourir sur les navires au gaz naturel liquéfié, jugé trop dangereux par les études techniques et opérationnelles (technico-opérationnelles ?) qui ont été menées. Le recours aux biocarburants reste la voie privilégiée dans le cadre du mix énergétique, avec les limites que nous avons évoquées tout à l’heure. Cette solution est envisagée à court terme mais la Marine nationale dépend essentiellement du nucléaire pour la propulsion – comme l’illustre l’option retenue pour la nouvelle génération de sous-marins (et le futur porte-avions ?). Cette option est aussi celle qui permet les émissions de CO2 les plus faibles.

 

Nous avons eu des débats très intéressants sur le nucléaire lors de nos auditions. Ainsi, l’Allemagne a l’intention de fermer ses centrales nucléaires mais ne le fera pas avant 2038 (pour certaines d’entre elles ?). En outre, elle a ouvert des usines à charbon et surtout, elle est désormais dépendante à plus de 70 % de la Russie, ce qui n’était pas le cas auparavant. Toutes les questions énergétiques sont à regarder à l’aune de la dépendance que le pays risque subir, même à l’égard de pays amis. Comme le disait Jean-Marie Fiévet tout à l’heure, s’agissant des terres rares, nous sommes tous dépendants de la Chine. L’Australie travaille sur cette question des terres rares et d’autres pistes se dessinent, tant la question des énergies aura des conséquences géostratégiques importantes dans les années à venir.

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Monsieur Trompille, si la question des débris de l’espace a été peu abordée durant nos auditions, nous menons quand même une réflexion sur cette thématique importante. On estime à environ 34 000 le nombre de déchets ou objets de plus de 10 centimètres dans l’espace, sans parler de ceux qui sont beaucoup plus petits. Vous l’avez dit, il y a quelques jours, on a frôlé l’incident, un déchet ayant approché de près la station orbitale. Il existe effectivement des projets de satellites nettoyeurs – dont un qui, à l’aide d’un bras, pourrait saisir les plus gros objets flottant dans l’espace pour les désorbiter et les renvoyer dans l’atmosphère où ils seraient automatiquement détruits. Il n’y aurait certes pas de récupération mais au moins destruction de ces déchets. Il y a également un projet de satellite doté d’un filet immense permettant de récupérer un maximum d’objets et de les désorbiter dans le haut espace – où il n’y a plus de satellites. Ces objets resteraient malheureusement dans la stratosphère mais plus dans les différentes couches où se trouvent nos satellites – ce qui éviterait les risques d’incidents importants. Vous avez raison de souligner que ces objets sont de très grande valeur ajoutée puisqu’ils sont faits des matières composant nos satellites. Cependant, les faire revenir sur terre aurait un coût phénoménal. Peut-être est-il donc plus intéressant de les renvoyer dans l’atmosphère pour qu’ils soient détruits. Monsieur Trompille, vous aviez abordé le sujet dans l’excellent rapport que vous avez publié sur l’air et l’espace, il y a deux ans environ, et j’avais trouvé votre analyse passionnante – analyse qui correspond aux échanges que nous avons eus avec différents acteurs.

 

Mme Isabelle Santiago, co-rapporteure. Madame Michel-Brassart, s’agissant de la centrale d’achat liée aux produits pétroliers, j’espère tout d’abord que vous prendrez connaissance de notre rapport, plus complet que notre présentation. Vous y trouverez beaucoup d’informations, fruit de nos auditions, ainsi que nos positions et propositions. La France est active en la matière puisque c’est elle qui est à l’initiative de cette centrale d’achat. Si le dossier avance lentement dans la mesure où il doit être porté à l’échelle européenne, il serait idéal que cette centrale d’achat soit créée à ce niveau, compte tenu de notre dépendance aux énergies fossiles et de la nécessité de diversifier, et ainsi, de diversifier nos sources d’approvisionnement. Dans le même temps, la France a la chance de dépendre, pour partie, de la Norvège, pays ami. En outre, les voies d’approvisionnement que nous empruntons nous permettent de sécuriser notre consommation énergétique. Le sujet serait très long à présenter ici – il faudrait en effet entrer dans le détail s’agissant du pétrole, du gaz et des autres énergies –, raison pour laquelle je vous en ai fait un petit résumé. Nous serons à votre disposition dans le cadre du suivi de notre rapport : nous allons en effet continuer à travailler sur la question européenne et en vue de la COP26.

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Cher collègue Jacques Marilossian, le plan Place au Soleil lancé par la ministre des Armées, qui concerne 2 000 hectares – vous l’avez dit –, vise à injecter de l’énergie solaire dans le réseau national. Dès lors, pour que le plan soit efficace, il faut que les fermes photovoltaïques soient près de ce réseau. On ne peut les installer en plein milieu d’un camp – ce qui compliquerait d’ailleurs l’entraînement de nos soldats – mais si elles sont éloignées des réseaux, le raccordement aura un coût phénoménal et sera très compliqué. Les services que nous avons auditionnés sont tous à la recherche d’hectares disponibles. Aujourd’hui, 300 hectares font déjà l’objet de travaux de réalisation, environ 400 hectares sont en cours d’identification et l’on devrait parvenir aux 2 000 hectares annoncés par la ministre des Armées – même s’il est très compliqué de les trouver. Il ne faut pas que ces fermes empiètent sur les terrains de manœuvre ni sur les terrains classés Natura 2000 ou au titre de la protection de la biodiversité. Les services, auxquels nous avons demandé pourquoi ne pas installer des panneaux photovoltaïques sur les toitures, nous ont répondu que cela représentait des surfaces infimes et qu’il fallait que la structure des bâtiments, souvent anciens, puisse supporter le poids de ces panneaux. Tous les bâtiments neufs du ministère des Armées sont quant à eux équipés et couverts de panneau mais ce, à des fins d’autoconsommation. On sent que tout le monde, au sein du ministère, est vraiment mobilisé pour trouver ces 2 000 hectares. Certains terrains de manœuvre et champs de tir sont peu utilisés car c’est très compliqué : il faudrait pour cela neutraliser les surfaces au sol. Une solution consisterait à recouvrir ces surfaces de terre et de poser les panneaux photovoltaïques sur des plots en béton. Cependant, là aussi, ces terrains sont loin de tout de sorte qu’il est compliqué de les raccorder au réseau. Il reste que compte tenu de la mobilisation de tous, je ne suis pas inquiet quant au fait que l’on va trouver ces 2 000 hectares. Au-delà, je pense qu’il sera très compliqué de trouver de grandes surfaces pour y installer de grandes fermes photovoltaïques. Il faudra plutôt se concentrer sur la construction de bâtiments à énergie positive (interne ?).

 

Mme la présidente Françoise Dumas. La diversité des questions posées, toutes pertinentes, illustre que vous avez exploré un champ considérable, de l’espace au sous-sol, en passant par les matières rares. Je suis fière du travail que vous avez mené.

 

M. Jean-Marie Fiévet, co-rapporteur. Je voudrais remercier les services de l’Assemblée nationale, ceux du ministère des Armées et les industriels que nous avons auditionnés. C’est grâce à eux que nous avons pu vous présenter ce rapport.

 

Mme la présidente Françoise Dumas. Je salue ce travail qui fait écho aux préoccupations des Français. Votre rapport illustre qu’on peut à la fois s’inspirer de l’existant et être innovant, tant dans le monde civil que dans le monde militaire, dans une logique d’enrichissement réciproque. Il n’est, j’en suis persuadée, que le début d’une réflexion qui se poursuivra ici et ailleurs.

 

 

La commission de la Défense nationale et des forces armées autorise à l’unanimité le dépôt du rapport d’information sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des Armées en vue de sa publication.

*

*      *

 

La séance est levée à onze heures quarante-cinq.

 

*

*      *