Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

— Examen, ouvert à la presse, des conclusions de la mission d’information sur les réserves (co-rapporteurs : MM. Christophe Blanchet et Jean-François Parigi).


Mercredi
12 mai 2021

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 56

session ordinaire de 2020-2021

 

Présidence de
Mme Patricia Mirallès, vice-présidente


 


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La séance est ouverte à neuf heures trente.

Mme Patricia Mirallès, présidente. Mes chers collègues, je remplace exceptionnellement la présidente Françoise Dumas qui s’est absentée pour une mission à l’étranger. Nous sommes réunis ce matin pour entendre les conclusions de nos collègues Christophe Blanchet et Jean-François Parigi à la suite de la mission d’information qu’ils ont conduite sur les réserves. Nous leur avons confié cette mission le 28 octobre dernier et, depuis, les deux rapporteurs, ainsi que les membres de la mission d’information, ont beaucoup travaillé. Je tiens à souligner que vous avez proposé au bureau de cette commission et à la conférence des présidents, qui l’ont accepté, le lancement d’une consultation citoyenne sur le site de l’Assemblée nationale, une pratique inaugurée en 2017 avec la consultation sur le changement d’heure. C’est la première consultation citoyenne lancée à l’initiative de notre commission. Avec près de 10 000 réponses, cette consultation peut être considérée comme un grand succès. Elle est en effet la quatrième consultation la plus populaire de l’Assemblée nationale, après le changement d’heure ou la consultation sur la dépénalisation du cannabis, ce qui montre le vif intérêt que nos concitoyens ont pour ce sujet. Une majorité des répondants sont des réservistes, ce qui paraît logique. Près de 80 % des répondants ont rempli le questionnaire dans sa totalité, ce qui est rare et montre leur sens civique.

Je voudrais profiter de ce propos liminaire pour remercier très chaleureusement ces réservistes pour leur participation à ce questionnaire, et plus largement, pour leur engagement auprès de nos armées ou de nos services publics. Nous savons que la crise sanitaire a été vécue comme une épreuve pour beaucoup d’entre eux, qui auraient voulu s’engager davantage. Dans la période de crises multiples que nous traversons, nous savons pouvoir compter sur leur dévouement ; il est important de montrer que la représentation nationale s’intéresse à eux et je veux dire que c’est aussi le message contenu dans cette mission d’information. Je sais aussi que nombre de nos concitoyens, soucieux de faire plus pour notre pays, ont cherché à s’engager dans les réserves pendant cette crise, avec plus ou moins de succès, il faut le dire. J’espère que nos rapporteurs pourront nous l’expliquer.

Nous avons sanctuarisé un budget de 200 millions d’euros par an pour les réserves du ministère des Armées dans la loi de programmation militaire. En d’autres termes, ce budget a été doublé par rapport à 2014. Je veux croire que cet effort sans précédent de sincérisation et de sanctuarisation a porté ses fruits. Je sais que nos deux rapporteurs se sont penchés sur un ensemble plus large que celui des réserves des armées. Leur étude porte aussi sur les réserves civiques, les sapeurs-pompiers volontaires ou encore la réserve citoyenne de l’Éducation nationale. Peut-être auront-ils, grâce à des comparaisons, des pistes d’amélioration à nous proposer.

Sans plus attendre, Messieurs les rapporteurs, je vous cède la parole.

M. Christophe Blanchet, co-rapporteur. Madame la présidente, mes chers collègues, le 28 octobre dernier, notre commission a créé une mission d’information sur les réserves, dont nous avons l’honneur d’être les rapporteurs. Je tiens à saluer l’assiduité de beaucoup de nos collègues membres de la mission d’information et je remercie à ce propos tout particulièrement Marianne Dubois, Florence Morlighem, et Thomas Gassilloud, ainsi que Xavier Batut. Je veux y voir là le signe du grand intérêt que revêt notre sujet pour l’ensemble de la commission. Nos remerciements vont aussi bien évidemment à nos deux collaborateurs, Gabriel et Nicolas, ainsi qu’aux fonctionnaires de l’Assemblée nationale, à Hugo, stagiaire à la commission de la défense, et à l’administratrice, Marine, qui a été à notre écoute, facilitante et qui a contribué à ce travail exceptionnel. Que serions-nous, députés, sans nos administrateurs et administratrices de l’Assemblée nationale ? Je veux ici le souligner.

Depuis octobre, nous avons conduit près de quarante auditions, exclusivement en visioconférence, envoyé des questionnaires écrits à cinq ministères et deux services de renseignement, et lancé une consultation citoyenne sur le site Internet de l’Assemblée nationale. Nous n’avons pu effectuer qu’un déplacement, que nous avons consacré à l’observation d’une journée de préparation militaire de futurs réservistes de la gendarmerie, à Beynes, dans les Yvelines.

Travailler sur l’ensemble des réserves n’allait pas de soi tant ce mot recoupe des réalités différentes qui relèvent souvent de ministères différents. Pourtant, deux constantes se dégagent : la volonté d’engagement et l’enjeu de résilience. Nous avons donc relevé le gant ! Et bien nous en a pris car nous avons certainement plus appris sur nos réserves par ces comparaisons qu’en effectuant des comparaisons internationales qui sont, forcément, limitées par des différences culturelles importantes.

M. Jean-François Parigi, co-rapporteur. Nous avons donc d’abord défini les réserves comme les renforts auxquels les pouvoirs publics – armées mais aussi sécurité civile, forces de l’ordre, hôpitaux, prisons, tribunaux et communes –, peuvent avoir recours pour mieux assurer la continuité des services publics, notamment en cas de crise – mais pas seulement. Ce renfort est organisé soit grâce à des anciens du service actif ou des professionnels encore en activité, en mettant à profit leur expérience et leurs compétences, soit grâce à des citoyens volontaires sans formation préalable, bénévoles ou non, qu’il s’agit justement d’intégrer. Ces caractéristiques sont partagées par des dispositifs qui n’ont pas le nom de réserve, comme les sapeurs-pompiers volontaires ou le service civique que nous avons choisi d’intégrer à l’étude.

Pour commencer, c’est donc une réalité particulièrement foisonnante et difficilement lisible que nous allons vous décrire.

Commençons avec la plus ancienne de nos réserves : nos 198 000 sapeurs-pompiers volontaires, qui forment indéniablement une réserve d’emploi. La comparaison avec les réserves militaires est d’autant plus justifiée que beaucoup de mesures sensées favoriser le recrutement de sapeurs-pompiers volontaires ont progressivement été étendues aux réservistes militaires.

Ensuite, venons-en à nos réserves militaires. Les militaires ont toujours une obligation de disponibilité dans les cinq années qui suivent leur départ du service actif. Cette réserve, la RO2, est toutefois devenue théorique, faute d’être réellement équipée et convoquée. Depuis la fin de la conscription et la professionnalisation des armées, les armées s’appuient bien davantage sur la réserve opérationnelle de premier niveau, la RO1. L’ancienne réserve de masse fondée sur l’obligation est devenue une réserve d’emploi, formée de volontaires. Comme en témoignent les débats parlementaires de l’époque, il s’agissait d’abandonner une réserve pléthorique, mal équipée, au profit de réservistes mieux formés, bien équipés, réellement employés. Ce tournant a encore toute sa pertinence.

M. Christophe Blanchet, co-rapporteur. À partir des années 2000, le législateur a vu tout l’intérêt qu’il pourrait y avoir à transposer ce succès dans d’autres domaines de l’action publique, particulièrement exposés à des crises. Une réserve civile de la police nationale a ainsi été créée par la loi de sécurité intérieure de 2003 comprenant deux composantes : une force, là encore théorique, composée de tous les policiers ayant quitté le service actif depuis moins de cinq ans, et une réserve contractuelle composée d’anciens professionnels volontaires désireux de garder un lien avec l’institution.

En 2004, la loi de modernisation de la sécurité civile a créé les réserves communales qui ont vocation à apporter un soutien aux populations en situation de catastrophe ou de crise, sans se substituer aux services de secours et d’urgence ou les concurrencer. Ceux d’entre vous qui sont élus dans des régions fréquemment exposées à des catastrophes naturelles les connaissent généralement bien.

La canicule de 2006, la diffusion du chikungunya et la crainte d’une pandémie grippale ont motivé la création d’une réserve sanitaire, en 2007, composée de professionnels de santé volontaires. de retraités de moins de cinq ans et d’étudiants en médecine, la réserve sanitaire intervient en renfort, en France ou à l’étranger, dans des situations sanitaires exceptionnelles (épidémie, catastrophe naturelle, attentat...). Toute la difficulté réside dans le manque de disponibilité de ces volontaires qui, sauf les retraités et les étudiants, ne sont pas véritablement en réserve, mais qui ont déjà une activité.

M. Jean-François Parigi, co-rapporteur. À partir de 2009, le vocable de réserve a été utilisé pour désigner par analogie avec les réserves militaires statutaires, des dispositifs de cumul emploi-retraite proposés aux fonctionnaires d’administration ayant besoin de renforts face à des pics d’activité. Le ministère de la justice a ainsi obtenu la création d’une réserve d’anciens professionnels de l’administration pénitentiaire, contractuels, analogue à celle de la police nationale. Quelques mois plus tard, en 2010, un amendement au projet de loi de finances pour 2011 a créé une réserve judiciaire, composée, d’une part, de magistrats honoraires exerçant des fonctions non juridictionnelles et, d’autre part, de personnels des greffes retraités.

Nous avons aussi ajouté à notre étude le service civique, créé en 2010. Le service civique avait vocation à unifier de nombreux dispositifs de volontariats accessibles aux jeunes et leur offrant de premières expériences « professionnalisantes » au service d’associations, d’entreprises ou de la Nation. Le service civique a aussi permis de mieux indemniser les jeunes volontaires et de leur offrir une protection sociale adéquate.

M. Christophe Blanchet, co-rapporteur. Enfin, dans le contexte marqué par les tragiques attentats terroristes de 2015 et 2016, la puissance symbolique du vocable de réserve a incité le législateur à créer de nouvelles réserves destinées à susciter et organiser l’élan citoyen. La loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté a instauré un cadre commun pour des contributeurs bénévoles au service public exerçant des missions aussi diverses que l’explication et l’illustration des valeurs de la République à l’école, l’accompagnement de personnes en perte d’autonomie, l’intervention dans les prisons, ou la prévention des feux de forêts. Cette réserve, baptisée réserve civique, inclut la réserve citoyenne de l’éducation nationale créée en 2015 par une simple circulaire. Le terme de « réserve » pour désigner un cadre propice à l’engagement individuel ponctuel est problématique à maints égards. Les circonstances de la création de ces « réserves », juste après le traumatisme des attentats, expliquent certainement le choix de ce vocable. Toutefois, il est une source de confusion et la valeur ajoutée de ces « réserves » par rapport aux associations prévues par la loi de 1901 reste encore à démontrer.

M. Jean-François Parigi, co-rapporteur. L’appellation de réserve désigne donc aujourd’hui à la fois l’obligation statutaire de disponibilité de certains agents publics, l’engagement de volontaires susceptibles d’être mobilisés en cas de crise majeure, par ailleurs souvent employés comme renfort au quotidien, des vacations effectuées par des retraités et le concours occasionnel, bénévole ou non, de citoyens à l’action de l’État. Cette grande confusion a encore été aggravée par la mise en place de cadres successifs comme la « réserve de sécurité nationale », créée en 2011, dispositif de mobilisation qui n’a, en réalité, jamais pu être organisé, et la Garde nationale.

Alors, en ce qui me concerne, quand j’entendais parler de la Garde nationale, j’imaginais qu’il suffisait d’appuyer sur un bouton pour voir se lever l’armée de l’an II ! En réalité, la Garde nationale est une structure légère de coordination entre le ministère des Armées et le ministère de l’Intérieur pour élaborer une politique cohérente d’animation des réserves. Elle n’a aucun pouvoir de commandement en propre. Elle est aussi un secrétariat général chargé de produire un rapport transmis au Parlement, dont le contenu est aujourd’hui insatisfaisant. Bras armé d’une politique partenariale active et dynamique, elle s’est en revanche coupée de l’apport des représentants des employeurs et des salariés siégeant au Conseil supérieur des réserves militaires (CSRM), complètement dévitalisé depuis sa création. Agence de communication des réserves, elle a des moyens réduits pour ce faire et un périmètre qui ne lui permet pas contribuer à rendre ce paysage plus lisible. Il faut donc faire évoluer cette structure, en identifiant celles de ses missions qui ont intérêt à être interministérielles – l’évaluation et la veille sur le statut des réservistes, la communication sur les possibilités d’engagement et les avantages pour les employeurs –, et celles qui devraient relever des ministères voire des gestionnaires de réserve : la communication sur l’activité des réservistes, la relation avec les employeurs, le moral des réservistes, les mesures d’attractivité.

M. Christophe Blanchet, co-rapporteur. Notre rapport relève ensuite un paradoxe : comme en témoigne la multiplication de textes législatifs créant des réserves ou modifiant des statuts de réservistes, les réserves ont le vent en poupe ! Depuis 2015, elles sont devenues une priorité politique affichée. Pourtant, l’application des textes adoptés n’est que très peu évaluée, elle ne fait que très peu l’objet de contrôle parlementaire et ces dispositifs sont toujours largement méconnus du grand public.

La réserve reste une affaire d’initiés, avec un recrutement relativement endogame dans les réserves de sécurité et de défense pourtant censées être largement ouvertes à la société civile. La bonne connaissance des dispositifs par les réservistes et ceux qui les gèrent contraste avec la méconnaissance des réserves dans la population générale. Cette méconnaissance porte directement préjudice aux réservistes, en particulier militaires. Leurs employeurs ne comprennent en effet pas bien ce qu’ils font et craignent de devoir les libérer sans contrepartie à tout moment pour des durées indéterminées. Comme l’ont souligné les bénévoles de l’association des Jeunes IHEDN, les réservistes ne disposent pas de ressources pour expliquer leur statut de réserviste à leur employeur.

La difficulté à s’orienter dans le maquis des réserves a été soulignée par tous les acteurs entendus par la mission d’information. Au-delà de ce défaut de lisibilité, de nombreux malentendus naissent de ce que les réserves se voient attribuer des objectifs multiples, souvent tacites. Le premier objectif des réserves militaires, par exemple, mis en évidence par l’article L. 4211-1 du code de la défense, c’est de permettre « à tout citoyen d’exercer son droit à contribuer à la défense de la nation ». Des jeunes s’orientent donc vers les réserves militaires, s’engagent dans un processus de recrutement qui peut durer plusieurs mois et bénéficient d’une formation, au nom du rayonnement et de l’ouverture des réserves. Las ! Beaucoup d’entre eux ne seront, en réalité, jamais employés par la suite dans la réserve, faute de missions pour eux, ou les missions qui leur seront offertes, comme la garde d’emprise ou la mission Sentinelle, sont en décalage avec l’image que ces jeunes gens se faisaient de la réserve. Par exemple, dans la Marine nationale, les réservistes n’ont quasiment aucune chance de servir sur un bateau, ce qui est logique puisqu’il n’y a pas de bateau en réserve, mais n’est pas aperçu de beaucoup de jeunes.

M. Jean-François Parigi, co-rapporteur. La frustration et l’agacement de beaucoup de réservistes est à l’origine de cette mission d’information. Comme en témoignent toutes les enquêtes réalisées sur les motivations des réservistes, ceux-ci rejoignent les réserves non pour avoir un complément de revenu mais pour « servir », autrement dit « être utile ».

Cette frustration trouve son origine dans la contraction de la ressource budgétaire, qui frappe surtout les réserves de la gendarmerie et de la police nationales, mais aussi dans une concentration des jours d’activité sur les réservistes les plus disponibles et les plus employables, bien souvent les anciens professionnels, au détriment des jeunes volontaires ab initio. Pour les armées, la gendarmerie ou la police, les avantages liés à l’emploi de ces anciens professionnels sont considérables : proximité culturelle, disponibilité, employabilité immédiate… Ils « coûtent » en revanche « plus cher » et consomment la majeure partie du budget, faisant de surcroît tendre vers un recrutement endogame contraire à l’esprit de la réserve. Cette frustration des jeunes ab initio a d’ailleurs aussi son pendant chez les réservistes les plus gradés. Par exemple, plusieurs officiers de réserve nous ont fait remarquer qu’ils étaient de moins en moins employés à mesure qu’ils avançaient dans la carrière.

Comme l’ont signalé beaucoup de réservistes militaires, les mesures d’attractivité prises sous l’égide de la Garde nationale ont complètement manqué leur cible puisqu’elles ont été financées sur le budget d’activité des réserves militaires.

De manière générale, nous constatons une inadéquation manifeste entre les budgets alloués à la réserve et les objectifs fixés en termes de recrutement, d’une part, et d’emploi, d’autre part. Dans les armées, la hausse du budget des réserves à partir de 2016 s’est d’abord traduite par une augmentation du nombre de jours d’activité, faute d’avoir encore atteint les cibles de recrutement fixées par le Gouvernement puis inscrites dans la LPM. Par la suite, la poursuite des objectifs de recrutement a obligé les gestionnaires à réduire l’activité, avec un effet désastreux sur le moral et la fidélisation des réservistes. Pour le général Lalubin, délégué interarmées aux réserves, le respect rigoureux des crédits qui prévaut actuellement est perçu comme « contraignant » puisque ce budget semble tout juste calibré pour les nouveaux effectifs de la réserve opérationnelle. Les aléas infligés au budget de la réserve de la gendarmerie nationale créent aussi une situation de sous-emploi chronique. Enfin, beaucoup de réservistes ont été très frustrés et déçus de n’être pas davantage employés pendant la crise sanitaire. Même si les chefs d’état-major comme les responsables de la réserve sanitaire ont rivalisé de pédagogie pour expliquer pourquoi les réserves n’avaient pu être davantage employées, il est certain que l’emploi d’un vocabulaire martial par le président de la République au soir du 16 mars 2020 a résonné comme le son du tocsin et suscité un élan massif. Cet élan s’est brisé sur l’écueil des nombreux malentendus qui entourent les réserves, sur un recours somme toute limité aux armées dans la gestion de la crise et sur l’incapacité des pouvoirs publics à accueillir un afflux de nouveaux volontaires sans intermédiation. L’offre de services de beaucoup de réservistes « civiques » est ainsi restée sans réponse jusqu’à ce qu’ils rejoignent des associations.

M. Christophe Blanchet, co-rapporteur. Le meilleur service que nous pouvons rendre aux réservistes aujourd’hui est de remettre la réserve au cœur du débat politique et de définir ensemble une stratégie claire, à laquelle devront être associés des moyens stables. La volonté d’engagement est toujours aussi vive chez nos concitoyens. Elle tend même à s’accroître en réaction aux multiples crises que traverse notre pays. Comme l’a souligné à juste titre une personne que nous avons entendue, « au-delà d’un coup de projecteur, c’est de réflexion et de réformes pérennes dont la réserve a besoin. »

Conscients que nos propositions doivent être débattues et affinées, voici la stratégie nationale que nous vous proposons.

Comme l’ont mis en évidence le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 et la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale en 2017 et 2021, nous ferons face, de manière croissante, à des crises plus complexes. Les réserves peuvent contribuer de manière déterminante à rendre notre Nation plus résiliente à l’avenir. Elles offrent une opportunité de s’engager au service des autres, de découvrir d’autres mondes professionnels, de connaître le fonctionnement des pouvoirs publics de l’intérieur, d’être acteur et non pas uniquement observateur ou consommateur d’un service public, de jouer un rôle en cas de crise et ne pas seulement subir.

Nous proposons de consentir des investissements financiers dans quatre réserves dites « stratégiques ». Je précise que nous ne sommes pas en train de distribuer ainsi des bons ou des mauvais points à des forces ou à des administrations. Nous essayons simplement de distinguer des missions et des règles d’emploi qui requièrent davantage de moyens. Les quatre réserves qui nous paraissent devoir bénéficier d’investissements, en cohérence avec les missions que nous leur assignons, sont donc les suivantes.

Premièrement : pour une réaction rapide de proximité, nous préconisons d’investir dans la réserve de la gendarmerie nationale. Elle est celle qui paraît la mieux à même aujourd’hui d’être mobilisée rapidement, en tous points du territoire, sous un commandement efficace, pour faire face à une crise nationale ou locale. Le général Olivier Kim, commandant des réserves de la gendarmerie nationale, a souligné la spécificité des missions de la gendarmerie, qui contribuent à faire de sa RO1 une réserve « véritablement interministérielle ». La taille de cette RO1 pourrait être augmentée compte tenu des nombreuses possibilités d’emploi décuplées par la politique de partenariat conduite par la gendarmerie et de la persistance de la menace terroriste. L’entretien de la RO1 de la gendarmerie nationale doit être une priorité budgétaire et non plus une variable d’ajustement.

M. Jean-François Parigi, co-rapporteur. Deuxièmement : nous souhaitons revaloriser les réserves communales. Pour un coût très faible, les réserves communales peuvent offrir des possibilités d’engagement ponctuel ou de longue durée à tous les citoyens, quels que soient leurs autres engagements. Parce qu’elles sont locales, ces réserves ont une multitude d’atouts pour offrir aux réservistes davantage de reconnaissance, un sentiment d’utilité et de la mixité sociale.

M. Christophe Blanchet, co-rapporteur. Troisièmement : conformément à sa vision stratégique, le chef d’état-major de l’armée de terre pourrait engager une réforme de sa RO1 pour lui permettre de mieux contribuer à la défense opérationnelle du territoire à horizon 2030 face à l’hypothèse d’un conflit de haute intensité. Cela impose de désengager l’armée de terre, et sa réserve, de la mission Sentinelle, qui pourrait être bien mieux assurée par la gendarmerie et la police nationales. L’armée de terre doit encore affiner son projet et son expression de besoin. En tout état de cause, nous pensons qu’il faut lui accorder un financement complémentaire en lui associant des objectifs sur la part des volontaires ab initio dans les effectifs et dans l’emploi. Ainsi, nous proposons que la part des ab initio ne soit pas inférieure à 60 % dans les effectifs et à 50 % dans l’activité, au nom de la résilience et du lien armée-Nation.

M. Jean-François Parigi, co-rapporteur. Enfin, quatrième réserve stratégique : la réserve de santé. Le budget de la réserve sanitaire doit évidemment être revu à la hausse pour pouvoir doter cette réserve d’outils de gestion crédibles. Mais il convient d’engager aussi une réflexion sur le rôle que devrait jouer Santé publique France dans l’animation d’un réseau de professionnels de santé volontaires formés pour faire face à des crises (attentats, menaces NRBC), sur des partenariats solidaires entre établissements permettant d’ajouter au renfort multi individuel de la réserve sanitaire une modalité de renfort collectif, d’équipes déjà constituées ainsi que sur une organisation du système de santé permettant d’intégrer rapidement des praticiens non hospitaliers (professions libérales, intérimaires, etc.). Ceci étant dit, nous formulons d’autres propositions pour mieux encadrer les réserves que nous avons baptisé « réserves d’efficience » ou éviter une concurrence délétère entre réserves du fait de différences inopportunes entre statuts de réservistes.

M. Christophe Blanchet, co-rapporteur. Enfin, nous jugeons indispensable de faire en sorte que les réservistes soient mieux connus et mieux reconnus. Le mot que nous avons le plus entendu au cours de nos auditions a été, toutes réserves confondues, le mot « reconnaissance ». C’est donc sans surprise mais avec toujours la même émotion que nous avons constaté que le manque de reconnaissance de la part de l’active ou des pouvoirs publics était cité comme la première source de déception par les réservistes qui ont répondu à notre consultation citoyenne. Ce ressenti est désolant. Il n’est pas lié à la rémunération – même si un effort pourrait être fait dans ce domaine, notamment pour les réservistes sanitaires. Il est plutôt lié à des problèmes d’organisation qui manifestent, aux yeux des réservistes, un manque de considération, des délais de paiement de la solde excessifs – jusqu’à neuf mois dans la réserve sanitaire ! souvent trois ou quatre mois dans l’armée de terre – et à l’absence de visibilité de la contribution des réservistes en général à la réalisation des missions des pouvoirs publics.

Un consensus se dégage sur l’idée de renforcer l’information sur les réserves militaires et de sécurité civile à l’école, plus précisément durant l’enseignement secondaire. Outre le soutien qui peut être apporté aux cadets de la défense ou au service national universel (SNU), nous considérons que les armées pourraient élaborer une « mallette pédagogique » sur les réserves à destination de tous les acteurs en contact avec les jeunes (enseignants mais aussi animateurs de centres de loisirs, conseillers d’orientation, associations sportives, etc.). À l’instar de Mme Béatrice Angrand, présidente de l’agence du service civique, nous considérons qu’un portail Internet unique doit présenter toutes les options d’emploi et d’engagement disponibles pour les jeunes. Un jeune volontaire de moins de 26 ans qui souhaite servir occasionnellement au ministère des Armées a en effet le choix entre au moins cinq statuts différents. Nous en avons compté neuf rien qu’au ministère de l’Intérieur et sans compter les emplois jeunes de type adjoints de sécurité ou cadets de la République !

Un portail Internet et une publication régulièrement mise à jour pourraient concerner plus spécifiquement « l’engagement tout au long de la vie » en donnant des exemples de parcours de réservistes. On peut en effet s’engager à tout âge ; il est essentiel de le rappeler. Même vous, mes chers collègues !

Mme Josy Poueyto. C’est fait !

M. Jean-François Parigi, co-rapporteur. Il est aussi urgent d’éditer un vade-mecum clair des relations entre les volontaires, les réservistes et leurs employeurs. Les employeurs sont d’ailleurs plutôt en demande de contacts avec les armées et d’explications. Nous proposons de mettre en relation les employeurs avec des conseillers susceptibles de leur présenter le droit en vigueur et de les rassurer sur la conciliation entre activité de réserve et activité professionnelle. Nous proposons aussi de valoriser la formation et le rôle des réservistes dans la population générale, au moyen de spots télévisés également diffusés dans des formats cours sur les réseaux sociaux. Au niveau national, la participation au défilé du 14-Juillet a été une mesure très appréciée par les réservistes sanitaires. Cette mesure symbolique a un intérêt évident.

M. Christophe Blanchet, co-rapporteur. Nous estimons aussi qu’une réflexion devrait être engagée avec les acteurs de la mémoire et du monde combattant pour faire des commémorations nationales un moment fort de la transmission entre les anciens d’active et les combattants d’aujourd’hui, dont les réservistes.

Au niveau local, les maires pourraient davantage chercher à organiser des évènements en l’honneur des citoyens engagés, qu’ils soient bénévoles dans des associations ou réservistes. Il n’est pas question pour le maire d’être destinataire de listes de réservistes ou de bénévoles mais plutôt de sensibiliser les élus de terrain à l’existence de nombreux réservistes qu’ils peuvent rencontrer au cours de leur mandat et qui pourraient, dans certaines circonstances, être d’une aide précieuse s’ils intègrent leur réserve communale de sécurité civile.

M. Jean-François Parigi, co-rapporteur. Voici en quelques grands traits résumées nos propositions. Notre rapport en contient d’autres – cinquante-trois exactement – sur le rôle des élus, sur l’information du Parlement, sur le respect d’obligations déontologiques, sur la nécessité d’édicter des doctrines d’emploi ou encore d’avoir recours à des uniformes distinctifs avec discernement. La deuxième partie de notre rapport propose une synthèse des données que nous avons rassemblées sur les réserves que nous avons étudiées. Nous espérons que chacun pourra aller y puiser des informations utiles à sa réflexion.

Comme mon collègue, permettez-moi aussi d’adresser quelques remerciements. Et tout d’abord à l’attention de Christophe : depuis le mois d’octobre, nous avons passé beaucoup de temps ensemble même si hélas la crise sanitaire nous a empêchés de faire tous les déplacements que nous aurions souhaités. Je remercie moi aussi Marianne Dubois, Florence Morlighem, Thomas Gassilloud et Xavier Batut, qui non seulement ont été présents mais qui nous ont aussi enrichi par leur réflexion, notamment Thomas Gassilloud qui avait déjà consacré un rapport aux réserves de l’armée de terre. Je remercie aussi bien évidemment nos deux collaborateurs, Nicolas et Gabriel, Hugo, stagiaire d’une efficacité redoutable, et bien entendu notre administratrice, qui n’a pas été que notre plume mais nous a aussi guidés dans le choix des auditions que nous avons faites. Si l’efficacité de notre mission transparaît dans nos cinquante-trois propositions, c’est parce que nous avons eu la possibilité de rencontrer des interlocuteurs de qualité, et cela nous le lui devons.

Mme Patricia Mirallès, présidente. Je laisse maintenant la parole aux orateurs de groupe.

Mme Florence Morlighem. Je souhaite remercier nos co-rapporteurs, au nom du groupe La République en Marche, pour le rapport si complet qu’ils dévoilent aujourd’hui.

Comme vous l’indiquez d’entrée, ce rapport « n’allait pas de soi », et en souhaitant brosser un panorama le plus large possible de tous les dispositifs de « réserves » qui existent aujourd’hui, vous n’avez certainement pas choisi la voie de la facilité. À la vue de toutes les réserves existantes que vous avez choisi de présenter en détail et de manière très complète, nous mesurons la richesse de ces structures et combien elles participent directement à la résilience de la Nation.

Des réserves communales aux réserves ministérielles, de la réserve sanitaire à celle de l’Éducation nationale en passant par la gendarmerie et les armées, c’est un écosystème foisonnant. Au risque, comme vous le soulignez, que le citoyen s’y perde. Engager une réflexion pour atteindre plus de visibilité et de lisibilité paraît donc salutaire. La facilité pour les Français, et les jeunes en particulier, de pouvoir les intégrer est un gage d’ouverture et d’efficacité.

L’utilité des réserves n’est plus à démontrer. Leur attractivité non plus, comme le démontre la forte participation à la consultation citoyenne que vous avez mise en place. En proposant un cadre à même d’accueillir le fort désir d’engagement au service de l’utilité publique de nos concitoyens, dans un champ très large de politiques publiques – et pas seulement pour la défense de la Nation les réserves forment un outil réactif et souple.

À ce sujet, je souhaiterais attirer l’attention sur la réserve pénitentiaire et souligner toute l’opportunité qu’il peut y avoir pour cette administration à bénéficier de réservistes aptes à participer à la surveillance électronique. Comme vous le savez, avec la réforme de la justice, c’est un point important ; en particulier dans le cas des violences faites aux femmes et des procédures d’éloignement. Comme on dit un peu familièrement : « il ne faudrait pas qu’ils restent au fond des tiroirs ».

Il ne reste plus qu’à renouveler nos remerciements pour l’intérêt et l’utilité du travail accompli.

Mme Marianne Dubois. Comme porte-parole du groupe Les Républicains, je veux saluer les rapporteurs pour le travail immense qu’ils ont fourni, un travail difficile en raison de la densité du sujet. Dans votre exposé, vous avez évoqué des partenariats innovants imaginés par la gendarmerie nationale pour partager le coût d’animation et d’emploi de sa réserve. Pouvez-vous nous en dire plus : en quoi consistent ces partenariats ?

Mme Josy Poueyto. Au nom du groupe Modem, je salue la qualité du travail que vous avez accompli dans le cadre de ce rapport des plus instructifs pour notre commission. Votre attachement aux questions liées aux réserves s’est brillamment exprimé et je vous en félicite. En effet, l’exposé que vous venez de nous livrer s’est révélé passionnant et je pense que nous serons tous d’accord pour vous en remercier.

Puisque nous partageons l’idée selon laquelle le lien fondamental entre les élus locaux et les acteurs du monde de la défense doit être assurément entretenu, c’est naturellement que mon attention s’est portée sur le point que je m’apprête à aborder. Vous faites part de la nécessité d’engager une réflexion avec les acteurs de la mémoire et du monde combattant afin que les élus de terrain soient sensibilisés à l’implication des bénévoles présents dans les associations de défense et des réservistes avec lesquels il leur est permis d’échanger tout au long de leur mandat. Dans cette perspective, vous soumettez l’idée que les maires des communes organisent davantage d’évènements qui mettraient à l’honneur tous ces citoyens engagés, en l’occurrence au sein des réserves, en ne manquant pas de souligner l’aide précieuse que pourraient représenter ces derniers en intégrant leur réserve communale de sécurité civile. La pertinence de ces éléments donne effectivement matière à réfléchir à cette question dont vous révélez ici toute l’importance. Dès lors, chers collègues, comment entendez-vous faire participer les réservistes aux commémorations nationales ? Cela concernerait-il toutes les réserves ou seulement les réserves militaires ?

J’ai également une question subsidiaire sur l’articulation entre les réserves et le SNU. Faut-il davantage impliquer les réserves dans le SNU et le SNU pourrait-il permettre de fournir une meilleure information des réserves ?

M. Thomas Gassilloud. Au nom du groupe Agir, je tiens à remercier et féliciter les rapporteurs pour leurs travaux en évoquant quatre points caractéristiques qui expliquent leur qualité : premièrement, l’investissement des rapporteurs qui ont conduit une quarantaine d’auditions ; deuxièmement, leur volonté de travailler en étroite collaboration avec les membres de la mission et de prendre en compte les travaux déjà réalisés, qui s’est notamment manifestée par la prise en compte de mon travail avec Sereine Mauborgne sur les réserves de l’armée de terre ; troisièmement, le prisme très large des rapporteurs qui ont souhaité élaborer une stratégie incluant les réserves civiles, sanitaire, pénitentiaire, communales, avec les sapeurs-pompiers, etc. ; quatrièmement, leur souhait d’ouvrir ce travail aux citoyens avec une consultation citoyenne qui renouvelle les pratiques démocratiques et contribue directement au rapport. D’ailleurs, les rapporteurs peuvent-ils nous indiquer le nombre de réponses à cette consultation ?

Nous sommes tous convaincus de l’intérêt des réserves en cas de crise majeure, compte tenu du fait que, depuis la professionnalisation, nos armées sont dimensionnées pour faire face à une moyenne d’engagement plus qu’à des pics, mais également en temps de paix. En effet, les réservistes apportent des compétences pointues qu’elles soient juridiques, informatiques ou linguistiques. On parle beaucoup du statut du réserviste mais c’est bien plus leur mission qui importe, puisqu’elle détermine l’entraînement qui leur est nécessaire et leur motivation. Je partage l’idée que les réserves doivent être prioritairement employées sur le territoire national – ne serait-ce que pour permettre à nos armées de suivre scrupuleusement leurs cycles de préparation opérationnelle.  Mais je milite aussi pour que davantage de réservistes soient employés en opérations extérieures où ils peuvent effectuer plusieurs missions, comme les gardes d’emprise, le renseignement etc. Les rapporteurs connaissent-ils le nombre de réservistes engagés en opérations extérieures ? et ont-ils des recommandations pour les réservistes dans ce domaine spécifique ?

M. Yannick Favennec-Bécot. Au nom du groupe UDI et indépendants, je félicite aussi nos collègues pour la densité de leur travail. Comme nous le savons, l’hypothèse de l’engagement de la France dans un conflit de haute intensité est de plus en plus avancée en raison de l’évolution du contexte international et de la conflictualité. Si l’augmentation du recrutement d’engagés contribuera à renforcer la masse nécessaire à nos armées, nous pourrions, comme le suggère le général de corps d’armée (2S) Alain Bouquin, nous appuyer sur une réserve plus importante, mieux formée et bien équipée, à l’image de la Garde nationale américaine. De cette façon, les réservistes pourraient assurer le fonctionnement des bases arrière, être affectés à des missions sur le territoire national et, le cas échéant, recompléter les unités engagées qui auront subi une forte attrition. Le général Bouquin suggère de nous appuyer, notamment, sur la réserve opérationnelle de deuxième niveau (RO2) plus à même, selon lui, de combler les pertes subies dans les unités et d’équiper les réserves avec les matériels militaires récemment retirés du service, ce qui, évidemment, n’est pas sans soulever de nombreuses questions qu’elles soient financières, logistiques ou opérationnelles.

Je souhaiterais donc vous interroger sur ces pistes et plus généralement sur le rôle que pourraient être amenées à jouer nos réserves dans l’hypothèse d’un retour aux conflits de haute intensité.

M. Christophe Blanchet, co-rapporteur. Madame Morlighem, vous avez raison : le citoyen s’y perd. Lorsqu’il veut s’engager, il imagine qu’il ne peut qu’intégrer une réserve militaire alors qu’il y a beaucoup d’autres engagements possibles, qui forment malheureusement un labyrinthe ou, c’est le cas de le dire, un parcours du combattant. Au travers de nos 53 propositions, nous soulignons combien il est nécessaire de rendre ce paysage plus lisible et l’engagement plus facile, en communiquant mieux sur le fait que tout le monde peut s’engager, à tout âge. Nous le précisons bien : à tout âge.

La surveillance électronique, comme les autres modalités d’insertion et de probation – fait partie des missions auxquelles peuvent contribuer les réservistes pénitentiaires. Mais il est probable qu’ils ne soient pas assez nombreux au regard des nombreuses autres missions qu’ils ont par ailleurs. Les réservistes pénitentiaires sont par exemple beaucoup employés pour les missions de transfèrements de et vers les tribunaux.

M. Jean-François Parigi, co-rapporteur. Madame Dubois, je vais vous répondre sur les partenariats conclus par la gendarmerie nationale. Nous observons une augmentation du budget globalement alloué aux réserves que nous soulignons dans notre rapport. Mais l’allocation de cette ressource budgétaire est trop aléatoire au ministère de l’Intérieur et surtout, les besoins augmentent. La gendarmerie nationale s’est donc montrée particulièrement imaginative. Elle a signé des partenariats avec des collectivités territoriales, des entreprises publiques et même le Royaume-Uni, grâce auquel des réservistes assurent une partie de la surveillance des trains ou du littoral autour de Calais. Je vis tous les jours le partenariat conclu entre la gendarmerie, Île-de-France Mobilités et la SNCF qui permet à davantage de réservistes de la gendarmerie de contribuer à la sécurité des transports ferroviaires. Je crois que nous répondons à la fois à une problématique budgétaire par ces partenariats intelligents – le partenariat avec l’Île-de-France a rapporté 600 000 euros à la gendarmerie nationale qui permet de financer l’emploi de réservistes – et à une problématique de reconnaissance car, comme le souligne notre rapport, la reconnaissance ne repose pas sur des hausses de rémunération mais bien plus sur l’emploi du réserviste, sur la mission qui lui est confiée pour aider la Nation. Je peux vous dire que les réservistes que nous avons pu interroger ont effectivement trouvé que cela donnait du sens à leur engagement au sein de la gendarmerie. Je crois que ce sont des choses sur lesquelles nous devons réfléchir. Encore une fois, pour des raisons budgétaires : on ne peut pas tout attendre de l’État, il faut inviter nos partenaires (régions, départements, voire communes) à la réflexion pour que nos réserves soient utilisées et pour partager le coût de leur animation. Madame Dubois, le partenariat nous semble donc être aujourd’hui l’une des pistes sur lesquelles nous devons travailler.

M. Christophe Blanchet, co-rapporteur. Madame Poueyto, je vous réponds à propos de l’implication des maires, des commémorations et des réserves communales de sécurité civile.

La réserve communale n’est pas connue, telle est la réalité aujourd’hui, alors que les dispositions légales existent et qu’elle ne coûte rien puisque c’est du bénévolat. Beaucoup de réservistes se retrouveraient dans ces réserves communales parce qu’ils ont une envie de servir mais aussi un besoin de reconnaissance. Mettons en avant ces réserves communales qui peuvent servir, comme nous l’avons vu il y a quelques mois sur un territoire frappé par les inondations où des communes ont été coupées du monde parce que les secours ne pouvaient pas intervenir. Si une réserve communale avait été créée à ce moment-là ou auparavant, cela aurait permis de regrouper au sein d’une même ville des personnes qui auraient été à même d’intervenir en attendant que les secours interviennent véritablement. Tout au long de l’année, ces réserves communales peuvent aussi servir de bases arrières, promouvoir d’autres formes d’engagement, favoriser l’action collective, et même apporter de la bienveillance par des missions de solidarité. La volonté de beaucoup de réservistes est de servir la Nation avec bienveillance. Cette bienveillance transparaissait de chacune de nos auditions. Les réservistes s’engagent de manière altruiste et celles et ceux qui sont rémunérés ne voient pas cette rémunération comme la première raison de leur engagement. Appuyons-nous donc sur les réserves communales pour développer, organiser et fédérer autour des réserves ; cela fait partie de nos propositions avec mon collègue Jean-François Parigi.

Nous proposons également une réflexion, ou un « Beauvau » – c’est à la mode en ce moment –, appelez-la comme vous le voulez, avec les acteurs de la mémoire pour repenser nos cérémonies. Mes chers collègues, nous faisons tous le même constat : aux cérémonies du 11-Novembre ou du 8-Mai, même en dehors de la pandémie, nous sommes présents avec les élus locaux, parfois quelques jeunes et leurs parents, nos porte-drapeaux – que je salue –, quelques associations, mais finalement nous nous connaissons tous et nous ne sommes pas nombreux. Telle est la vérité. Ne serait-il pas opportun de repenser ces journées pour mettre en avant l’engagement quotidien des réservistes à l’occasion de ces cérémonies ? Je ne vais engager que ma parole, car cela a été source de nombreuses discussions avec mon collègue Jean-François Parigi.

Notre rapport porte une ambition pour les réservistes à l’horizon 2030 : nous voulons créer les conditions pour que l’engagement des réservistes soit connu, compris et fédérateur. En même temps, nous avons des jours fériés qui ne sont pas travaillés, par exemple le 11‑Novembre ou le 8‑Mai, pour honorer la mémoire de celles et ceux qui ont défendu la France et se sont battus pour nous. C’est le sens de ces jours fériés. Chaque Français devrait avoir conscience que ce jour férié n’est pas uniquement fait pour aller faire du shopping ou aller à la plage ou autre, et qu’il serait peut-être préférable, en premier lieu, d’honorer celles et ceux grâce à qui nous avons ce jour férié et qui se sont battus pour notre pays. Ne faudrait-il pas faire évoluer ces jours fériés, en lien avec les associations combattantes, pour expliquer dans les écoles, ce qu’est le devoir de mémoire, dès le plus jeune âge et tout au long du parcours scolaire, en lien avec des associations, les représentants légaux et des réservistes – tous les réservistes, qu’ils soient civils, militaires, opérationnels ou non, etc. ? Je crois que cela encouragerait à participer à ces cérémonies et peut-être que cela contribuerait aussi à la disponibilité des réservistes, leur engagement étant plus visible au quotidien. Nous avons constaté que les réservistes d’une même commune ne se connaissent pas entre eux. Pourquoi ne pas utiliser ces jours de mémoire pour identifier, fédérer les réservistes et les mettre en avant ?

Suivant cette logique, nous pourrions aboutir à une journée nationale des réserves au cours de laquelle chaque réserviste aurait la possibilité d’arborer son uniforme sur son lieu de travail, comme au Canada. Nous sommes d’accord avec Jean-François Parigi sur ce point. Ce devrait être un objectif. Nous avons aujourd’hui une journée nationale des réserves (JNR) étalée sur un mois, ce qui est très pratique pour organiser des actions. Mais nous n’avons pas une journée unique très symbolique au cours de laquelle nos réservistes seraient visibles. Nous constatons que les mentalités ne sont pas prêtes à cela. Il faudrait un effort de pédagogie, d’éducation, de progression des mentalités… Par ailleurs, comme l’a indiqué le général Olivier Kim, commandant les réserves de la gendarmerie nationale, les citoyens ne comprendraient pas qu’un gendarme réserviste en uniforme n’intervienne pas en cas de problème, faute de porter son arme et d’être accompagné. Je crois néanmoins qu’à l’horizon 2030, nous pourrions atteindre ce que je considère comme un summum, pour la reconnaissance de nos réservistes. Nous souhaitons que tous les réservistes puissent s’afficher fièrement dans leur entreprise ou dans leur commune. Nous devons travailler à réunir les conditions pour ce faire.

M. Jean-François Parigi, co-rapporteur. Nous avons tous deux été choqués par l’existence de « réservistes clandestins », c’est-à-dire d’hommes et de femmes qui, dans leurs entreprises, ne disent même pas qu’ils sont réservistes, de peur que cela soulève des questions sur leur disponibilité, malgré la protection accordée par la loi et la possibilité qui leur est faite de prendre jusqu’à huit jours dans les entreprises de plus de 250 salariés. En réalité, beaucoup de réservistes effectuent leurs périodes de réserve sur leurs jours de congés pour ne pas le dire. Et j’ose à peine parler d’un témoignage qui m’avait marqué, celui d’une jeune instructrice réserviste de la gendarmerie qui était par ailleurs professeur des écoles dans un établissement d’éducation prioritaire (REP+). Naïvement, je lui avais demandé si elle parlait de la réserve avec ses jeunes parce que, encore une fois, il y a tout un volet de travail à faire sur nos jeunes pour qu’ils comprennent ce qu’est la réserve, et elle m’avait répondu : « Surtout pas ! Si jamais ils apprennent que je suis réserviste de la gendarmerie, je me mets en insécurité. » Comme le dit Christophe Blanchet, nous raisonnons jusqu’en 2030 mais c’est un vrai problème aujourd’hui. C’est aussi la raison pour laquelle les parallèles avec d’autres pays, qui sont parfois des modèles en matière de réserves, sont limités. Ils ont une histoire que nous n’avons pas. À nous d’essayer de la créer ! Mais le défi est compliqué à relever. Je suis néanmoins tout à fait solidaire de cette idée de Christophe Blanchet. En revanche, sur le jour férié, vous savez que je suis un peu plus âgé que mon collègue et je reste traumatisé par l’une des premières propositions de Valéry Giscard d’Estaing qui avait été de supprimer le 8-Mai. Cela partait d’un très bon sentiment mais le pays n’était pas mûr et je ne suis pas sûr qu’il le soit davantage aujourd’hui.

M. Christophe Blanchet, co-rapporteur. Permettez-nous de prendre ce temps pour répondre à cette question. Le thème de la reconnaissance est en effet constamment revenu dans les témoignages au cours de nos quarante auditions. Mon collègue Jean-François Parigi l’a très justement dit en évoquant sur les réservistes clandestins qui ne se font pas connaître.

Nous avons voté une loi permettant à des salariés d’être libérés huit jours et en réalité, très peu l’utilisent. Il faut en avoir conscience. Ils ne veulent pas être démasqués tant ils ont peur que cela remette en cause une promotion ou ne soit une cause de discrimination – surtout les femmes. Il y a évidemment un travail à mener avec les employeurs pour qu’ils s’aperçoivent qu’avoir un réserviste au sein de leur entreprise est valorisant et bénéfique, parce que le réserviste a acquis des compétences en management, parce qu’il fait preuve d’une plus grande pédagogie, par exemple. Mon collège et moi-même mettons l’accent sur ces enjeux à travers nos propositions.

Pour éviter toute confusion ou toute polémique : je précise que je n’ai nullement l’intention de supprimer un jour férié. Je dis qu’il faut travailler avec les associations combattantes, les services de l’État, et les maires pour que nos jours fériés, destinés à honorer et respecter celles et ceux qui sont morts pour la France et qui se battent au quotidien pour notre pays aujourd’hui, contribuent davantage à mobiliser, faire participer et transmettre des messages, notamment aux jeunes.

En ce qui concerne le SNU, les réservistes interviennent aujourd’hui notamment dans le cadre de la journée dédiée à la mémoire, à la transmission et au lien armée-Nation dans la deuxième phase du SNU de douze jours. Souvent, ce sont les réservistes qui animent cette journée. Il serait souhaitable que sur ces douze jours une journée en plus soit consacrée à l’engagement, en présence de réservistes de tout type, pas uniquement militaires, pour manifester aux yeux de ces jeunes de 16 ans l’idée qu’ils peuvent s’engager à tout âge, y compris à 16 ans pour les jeunes sapeurs-pompiers, entre autres, et ce tout au long de leur vie.

M. Jean-François Parigi, co-rapporteur. Monsieur Gassilloud, nous avons obtenu 9 829 réponses dans le cadre de notre consultation citoyenne, ce qui est énorme. La présidente le rappelait, nous sommes quatrièmes en nombre de réponses par rapport aux autres consultations de l’Assemblée nationale.

Nous sommes favorables à l’emploi des réservistes en opérations extérieures (OPEX) car c’est un moyen de les faire monter en compétences. Il est vrai que si nous nous comparons avec d’autres pays, comme le Royaume-Uni, qui pourrait être celui dont nous nous rapprochons le plus, entre 10 et 30 % de réservistes partent en OPEX, tandis que cette pratique reste très marginale chez nous même s’il y a une volonté d’y remédier. La gendarmerie envoie d’ailleurs ses réservistes à l’étranger. J’ai été agréablement surpris par l’audition que nous avons faite du chef d’état-major de l’armée de terre qui a une vraie stratégie jusqu’en 2030, avec des propositions relatives à la réserve qui témoignent d’une volonté de faire monter en compétences les réservistes. D’ailleurs, ni pour lui, ni pour personne, les réservistes ne sont des intérimaires. Ce sont vraiment des hommes et des femmes qui ont un rôle à part entière dans leur vision stratégique. C’est donc plutôt réconfortant.

L’emploi de nos réservistes dans une guerre de haute intensité et la mobilisation de la RO2, évoquée par M. Favennec-Bécot, sont envisageables. Mais cela pose un problème d’ordre budgétaire : il faut équiper, véhiculer, et héberger ces réservistes. C’est pourquoi nous recommandons – c’est notre proposition n° 14 – de réinvestir progressivement dans la RO2 en commençant par la RO21.

M. Christophe Blanchet, co-rapporteur. À propos des OPEX, il faut préparer nos concitoyens à accepter qu’un militaire réserviste périsse en opération. Ce n’est pas un réserviste qui décèderait. Ce serait un militaire, avant tout. Mais préparer nos concitoyens à l’idée qu’un boulanger – pour prendre un exemple légèrement caricatural – décède dramatiquement en OPEX n’a rien d’évident, demande un travail culturel. Il faut nous y préparer. C’est d’ailleurs une demande de la part des réservistes. Mais nous devons protéger les réservistes et protéger l’opinion publique en faisant mieux connaître la nature de l’engagement du réserviste, volontaire qui, même s’il est boulanger dans le civil, est aussi un militaire.

Mme Patricia Mirallès, présidente. Merci, nous allons passer à une deuxième série de questions.

Mme Muriel Roques-Etienne. Avant toute chose je tenais à vous féliciter pour votre exposé et l’ensemble des travaux menés par votre mission. La longue liste des auditions menées ces six derniers mois nous assure du caractère complet et sérieux de vos travaux. Je souhaitais vous interroger spécifiquement sur la consultation en ligne, ouverte en avril sur le site de l’Assemblée nationale, qui invitait les réservistes à partager leur expérience et leur ressenti, et les non-réservistes à nous dire à quel point ils connaissent et s’intéressent aux différentes réserves. Vous avez déjà partiellement répondu, mais je vous pose tout de même la question : pouvez-vous nous dire quels sont les ratios de réservistes et de non réservistes ayant participé à cette consultation ? Certaines réserves ont-elles été surreprésentées ou sous-représentées dans les réponses ? Comment jugez-vous la participation à cette consultation en ligne ? Ressort-il de cette enquête une bonne connaissance des réservistes et du cadre dans lequel ils évoluent, aussi, estiment-ils être suffisamment reconnus au sein des structures dans lesquelles ils sont mobilisés ? Y a-t-il des propositions phares ressortant des réponses à cette consultation ? Les réponses permettent-elles de faire état d’un esprit de corps commun à l’ensemble des réservistes qui partagent des points communs tel que le don de temps libre au service des causes publiques, tout en étant au sein de structures au champ d’application très divers ?

M. Jean-Jacques Ferrara. Je félicite à mon tour les deux rapporteurs MM. Parigi et Blanchet pour ce travail qui est très exhaustif, qui est non seulement un constat mais qui fait également bon nombre de propositions qui méritent dans leur grande majorité d’être mises en œuvre. Il a maintes fois été question de donner un meilleur ancrage territorial aux réserves de nos armées, compte tenu du fait que dans beaucoup de nos départements – en particulier dans ma région –, la présence militaire n’est plus que celle de la gendarmerie : nous avons de véritables déserts militaires. Il a même été question de projets de territorialisation de la réserve dans de précédents rapports. Qu’en pensez-vous ? Faut-il poster des unités de réservistes dans nos territoires ? Faut-il procéder à des jumelages ?

M. Christophe Lejeune. Bien évidemment je m’associe aux nombreux remerciements destinés aux deux rapporteurs, ce travail était très fouillé et complet. Dans votre approche, les menaces terroristes qui pèsent sur la France rendent les réservistes essentiels dans le dispositif de sécurité et de défense nationale. Les réserves sont un renfort primordial dans nos unités d’active, particulièrement sollicitées sur le territoire national comme à l’étranger. Je veux saluer ici ces femmes et ces hommes qui honorent notre pays et se mettent à son service. En parallèle de ces missions de protection, il est également indéniable que les réserves permettent d’entretenir l’esprit de défense dans la société civile – vous l’avez rappelé à de nombreuses reprises – et qu’elles contribuent au maintien du lien entre la nation et ses forces armées. C’est en ce sens que pour préserver l’avenir, le ministère des armées doit vraisemblablement veiller à renforcer le rajeunissement et la fidélisation des réservistes au moment du recrutement. Les jeunes issus du secteur civil, sans aucun passé militaire, sont une chance pour nos armées – vous l’avez aussi rappelé. La jeunesse représente non seulement le cœur de ses besoins en matière de compétences et de savoir-faire mais également un atout pour la préservation du rapport entre l’armée et la société civile. En ce sens, il apparaît primordial de renforcer l’attractivité des emplois et de faire preuve d’innovation dans les métiers offerts afin de fidéliser les nouveaux réservistes. Je pense notamment aux métiers de la cyberdéfense, de la mise en œuvre des drones ou encore de l’intelligence artificielle. Quelles sont vos recommandations pour améliorer l’attractivité des réserves et inciter nos jeunes à s’engager ? Pouvez-vous détailler les mesures qui fidéliseraient les nouveaux réservistes une fois leur recrutement effectué – une question qui me semble prioritaire.

M. Jacques Marilossian. Merci mes chers collègues pour votre rapport sur les réserves, votre présentation, et déjà, vos premières réponses. Dans un rapport parlementaire de 2016, deux sénateurs, Jean-Marie Bockel et Gisèle Jourda faisaient une proposition pour créer une Garde nationale – vous l’avez brièvement évoquée dans votre exposé. Selon nos collègues sénateurs, la Garde nationale devrait se fonder sur la réserve militaire rénovée, notamment sur sa territorialisation et en respectant les principes suivants : statut et vocation militaire, structuration à partir du territoire, forte coordination interarmées et recrutement prioritaire de la jeunesse. Selon eux, l’objectif de la Garde nationale à la française ne serait donc pas de créer une armée parallèle mais bien de faire sortir la réserve d’un rôle de réservoir de force – celui que vous avez évoqué – à celui d’outil de défense à part entière. Ma question est donc assez simple : pensez-vous vraiment utile de créer une Garde nationale à la française, et si oui, quelles sont les recommandations à suivre ?

Mme Nathalie Serre. Je vous remercie pour ce rapport très instructif, qui nous offre une vision précise de la situation et des nombreux efforts que nous devrons fournir pour coordonner tout cela. Merci de mettre en lumière cette multitudes de réserves à qui nous devons beaucoup. Je voudrais revenir tout simplement sur une question que vous avez abordée plusieurs fois : l’enjeu budgétaire. Nous avons voté dans la loi de programmation militaire un budget dédié aux réserves : qu’en est-il de son exécution ? Doit-on l’adapter ?

Mme Sereine Mauborgne. Ce qui me fait plaisir lorsque l’on parle des réserves, c’est qu’il s’agit d’un sujet fil rouge pour nombre d’entre nous depuis le début de notre mandat. L’intérêt que nous avons porté aux réserves à l’aune de cette crise sanitaire que nous vivons montre à quel point il s’agit d’un défi pour notre résilience nationale. Je suis moi-même championne de la réserve puisque réserviste à trois titres, ce qui m’a d’ailleurs incité à répondre à votre consultation en ligne. D’abord, j’ai expérimenté avec beaucoup de difficultés la réserve sanitaire au mois de mars l’année dernière, lors du premier confinement, au moment où le serveur informatique de Santé publique France a été complètement saturé par l’arrivée de 14 000 nouveaux inscrits. Je me pose la question de l’opportunité de cet embryon hérité de l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), qui avait, jusqu’en 2012, servi la résilience nationale. Faut-il maintenir une réserve qui est elle-même armée par des réservistes ? J’ai quelques propositions à faire au ministre chargé de la santé sur la question, que je souhaiterais reprendre avec vous dans un temps plus long – parce que j’estime que le modèle doit être complètement revu. Je partage votre conclusion sur la territorialisation. Les ordres professionnels pourraient être de véritables vecteurs d’information et des promoteurs de la réserve sanitaire – tout veillant à éviter une concurrence entre les réserves, un sujet que l’on n’a pas nécessairement beaucoup senti dans votre rapport bien que je sois certaine que vous y ayez été confrontés, par exemple entre le service de santé des armées et la réserve sanitaire, qui sont complémentaires. Je pense qu’entre la sécurité civile, la réserve sanitaire et le service de santé des armées, il y a un très beau projet à monter, notamment autour de la formation. Vous auriez pu ajouter aux réserves les sauveteurs en mer (SNSM) et les comités communaux de feux de forêt (CCSF) – qui ont vraiment besoin de renouveler leurs effectifs et de s’attacher la jeunesse.

M. Pierre Venteau. En juin dernier, je présentais devant cette commission avec notre collègue Joachim Pueyo le rapport de notre mission d’information sur les relations civilo-militaires à la lumière de la crise de la Covid-19. L’une des conclusions auxquelles nous étions parvenus était la nécessité d’investir davantage dans ces relations, notamment à l’échelle territoriale. Je m’associe d’ailleurs à la question de notre collègue Jean-Jacques Ferrara, à l’instant. Parmi les propositions que nous portions pour améliorer le lien armée-nation, nous préconisions des jumelages entre des territoires devenus des déserts militaires et des unités d’active. Dans cet objectif, ces unités pourraient déployer leurs réservistes opérationnels dans ces territoires. Votre rapport très complet souligne l’importance du coût de la formation des réservistes, de même que l’insuffisance des équipements et des infrastructures existantes, et recommande d’assurer un meilleur suivi des crédits prévus par la LPM au titre de la réserve tout en réévaluant le budget des réserves pour les années à venir. Comment évaluez-vous la faisabilité et les bénéfices d’un tel dispositif de jumelage sur l’attractivité des réserves et le renforcement de la cohésion nationale ? Quels sont les freins que vous pourriez identifier ?

M. Jean-Marie Fiévet. Dans votre présentation sur les réservistes et les réserves, vous avez longuement évoqué les sapeurs-pompiers volontaires, et je vous remercie de les mettre en valeur, car ils le valent bien. Pour autant, ce ne sont pas des réservistes, ce sont des opérationnels, qui interviennent dans des conditions strictes et encadrées. Par contre, il existe de très nombreuses associations engagées pour la protection de la population, dans tous nos départements. Vous l’avez dit : ces associations ne sont que trop peu engagées. En France, un service a vocation à organiser les secours sur le territoire national, voire à l’international. Il s’agit de la sécurité civile, qui dépend du ministère de l’Intérieur et qui a plusieurs branches, dont les sapeurs-pompiers. Ne serait-il pas judicieux que toutes ces associations d’assistance aux personnes, départementales comme nationales, soient rassemblées dans une branche spécifique de la sécurité civile pour être coordonnées et instruites pour une intervention en complément des premiers intervenants que sont les sapeurs-pompiers, lors de catastrophes de grande ampleur ou pour des évènements de plus faible ampleur mais non moins importants ?

Mme Monica Michel-Brassart. Je m’associe aux félicitations concernant le travail accompli. Ce sujet de la réserve est crucial pour la Nation. Plus de 40 000 volontaires sont engagés au ministère des armées, il s’agit, non pas d’une réserve de masse, mais d’une réserve d’emploi prête à être mobilisée en cas de menace. C’est un modèle d’engagement républicain et civique, que nous nous devons encourager et conforter. Pour rappel, la réserve opérationnelle de premier niveau est constituée de volontaires, citoyens français, âgés d’au moins 17 ans et issus de la société civile, avec ou sans expérience militaire, qui souscrivent à un engagement à servir dans la réserve opérationnelle : un contrat rémunéré d’une durée d’un à cinq ans, renouvelable. Ces volontaires font le choix de servir leur pays sans faire du métier des armes leur seule profession. Ma question a trait à l’appréciation du volume des effectifs fixés dans la LPM. La réserve opérationnelle de premier niveau est passée entre 2016 et 2020 de 16 000 à plus de 40 000 réservistes, respectant ainsi les objectifs fixés dans la LPM 2019-2025. Qu’en est-il de l’emploi annuel moyen, facteur de fidélisation de ces réservistes ? Avez-vous pu constater lors de votre mission un emploi suffisant de ces forces, estimé à environ 37 jours par an dans la LPM, et s’il est insuffisant, quelles recommandations préconisez-vous ? Enfin, pour rejoindre la question posée par notre collège Thomas Gassilloud, les opérations extérieures pourraient-elles selon vous représenter une forme de solution ?

M. Rémi Delatte. Bravo pour le travail exemplaire de nos collègues qui est à l’image des réserves dans l’engagement citoyen et pour la résilience, en particulier. Jusqu’à présent, les réserves étaient un peu considérées comme des variables d’ajustement pour renforcer les effectifs militaires, gendarmes et civils. Les réserves ont aujourd’hui vocation à s’ancrer davantage dans l’architecture de défense et des services civils apportés à la population – parce que la demande se diversifie, qu’elle est soutenue, et qu’elle est de plus en plus pressante dans la gestion de crises, justifiant des missions ponctuelles comme la vaccination actuellement, le soutien aux forces de l’ordre ou la participation aux missions de surveillance du territoire dans le cadre de Vigipirate. Nous sommes donc tous d’accord sur la nécessité de renforcer les réserves, dans l’objectif de les valoriser davantage afin de les rendre plus attractives. Votre rapport comporte des éléments tout à fait intéressants, et je voudrais faire un petit focus sur la gendarmerie. Vous en avez beaucoup parlé, et c’est tout à fait normal, puisqu’il s’agit d’une réserve exemplaire qui mériterait des moyens supplémentaires – puisqu’il est difficile de mobiliser des réservistes en fin d’année alors que cette réserve a un fonctionnement satisfaisant, sous l’autorité du général Kim, et qu’elle représente tout de même 45 % des effectifs de la réserve militaire. Le deuxième élément que je souhaiterais mettre en avant, c’est la réserve citoyenne. Au fond, vous en avez assez peu parlé, et on le ressent, elle est assez peu connue et sans doute pas assez mobilisée. Il ne s’agit pas seulement d’un titre ou d’une fonction honorifique, et je pense qu’à l’instar de ce que vous avez évoqué pour la communication, la valorisation et la formation des réservistes, la réserve citoyenne aurait intérêt à être davantage utilisée et sollicitée.

M. Christophe Blanchet, co-rapporteur. Madame Roques-Etienne, plus de 70 % des personnes ayant répondu à la consultation citoyenne sont des réservistes, en majorité de l’armée de terre et de la gendarmerie – ce qui est logique, eu égard aux effectifs desdites réserves. Il ne se dégage pas des résultats une conscience d’appartenir à un ensemble commun. La consultation fait apparaître une méconnaissance des autres réserves, y compris, d’ailleurs, au sein d’un même ministère. Toutes les réserves ont des répondants, sauf la réserve judiciaire. La consultation met en évidence que la première aspiration des réservistes est d’être davantage employés. Jean-François Parigi reviendra notamment à cet égard sur le début de la crise sanitaire : beaucoup de réservistes sont frustrés de n’avoir pas servi. Pour résumer cette consultation en une phrase, un réserviste employé et utile est un réserviste heureux. Le maître mot, pour le réserviste, est la reconnaissance : « Je m’engage mais à condition d’être employé car l’emploi est une forme de reconnaissance ». Certains s’engagent et attendent toujours d’être employés. C’est de là que peut naître la frustration.

M. Jean-François Parigi, co-rapporteur. Monsieur Ferrara, la notion de territorialité a vraiment été un fil rouge tout au long de notre rapport. C’est une préoccupation pour les réservistes aussi. La difficulté, c’est qu’il ne faudrait pas détricoter ce qui a été fait depuis 1997. On constate effectivement une certaine désertification militaire dans notre pays – c’est un choix qui a été fait à l’époque. Il existe une unité, le 24e régiment d’infanterie, qui n’est composé que de réservistes. Mais il serait coûteux de multiplier ce type d’unités dans les déserts militaires. Par contre, nous aimerions, dans nos territoires, avoir connaissance de nos réservistes. Par exemple, j’en connais un dans ma circonscription qui est engagé au Mans. Le délégué militaire départemental pourrait assurer cette mise en relation. Ayant interrogé ces délégués, j’ai encore du mal à bien saisir quel est leur rôle, en dehors de celui d’animateur ou de vitrine. Il me semble qu’il devrait être revalorisé. Je rappelle qu’il y a, dans chaque municipalité, un référent défense – conseiller municipal ou adjoint au maire. Souvent, on s’interroge sur son rôle. Il y a, à mon avis, des liens à retisser sur le territoire sans remettre en cause la stratégie qui a été adoptée depuis 1997 dans l’organisation de nos armées. La notion de réserviste clandestin me hante : je ne peux comprendre que dans notre pays, il y ait de tels réservistes. Il y a un travail à faire avec les collectivités territoriales et les ministères pour essayer de faire en sorte que les réservistes soient plus visibles.

M. Christophe Blanchet, co-rapporteur. Nous avons consacré une partie du rapport aux délégués militaires départementaux (DMD) après une audition assez passionnante : ils pourraient faire plus mais n’en ont pas les moyens. Nous préconisons donc, d’une part, qu’on les forme pour qu’ils puissent faire plus et, d’autre part, qu’on leur attribue les moyens nécessaires, notamment pour animer les réserves à l’échelle d’un territoire. Naturellement, on pourrait comprendre que des réservistes civils prennent mal le fait d’être dirigés par des militaires. Simplement, on doit s’appuyer sur les DMD pour réorganiser les choses car ils sont en lien direct avec les préfectures. À quoi bon inventer des dispositifs qui existent déjà ? Appuyons-nous sur les structures existantes, efficaces et comprenant déjà en leur sein des réservistes. Donnons-leur des compétences supplémentaires et les moyens financiers qui vont avec !

Monsieur Lejeune, nous avons consacré un développement aux réservistes de cyberdéfense dans notre rapport. Nous avons été surpris en audition de voir que si beaucoup de réservistes ont la volonté d’intégrer le commandement de la cyberdéfense, ce n’est pas parce que ce dernier a fait une campagne de recrutement sur les réseaux sociaux mais grâce à la série télévisée Le Bureau des légendes ! D’après le général que nous avons entendu en audition, le scénario de la série est particulièrement réaliste. Il y a une opportunité à saisir pour accompagner les professionnels du cyber qui ne souhaitent pas nécessairement intégrer les armées. Nous sommes donc d’accord avec vous, cher collègue : le cyber fait partie des champs prioritaires de développement des réserves à l’avenir.

D’autre part, comment fidéliser les réservistes ? En leur donnant des missions. Le meilleur moyen de ne pas fidéliser un réserviste est de ne pas l’employer. Beaucoup de réservistes attendent déjà au moins d’être appelés une journée. C’est là un échec inadmissible car un réserviste a une volonté de s’engager et que la loi accorde le droit à chacun de servir la Nation. Notre objectif est de faire en sorte qu’ils soient à employés à hauteur de leur volonté d’engagement.

M. Jean-François Parigi, co-rapporteur. S’agissant de la Garde nationale, que j’ai longtemps crue être l’armée de l’an II, alors qu’il s’agit aujourd’hui d’un secrétariat général composé d’une quinzaine de personnes travaillant à la coordination des réserves de défense et de sécurité, force est de constater que le modèle proposé par les sénateurs Bockel et Jourda n’a pas été retenu, sans doute en raison d’un problème de coût.

Il est certainement possible de faire travailler les réserves en plus parfaite osmose. Sereine Mauborgne l’a souligné : à un moment donné, il faut quand même que les ministères se parlent, qu’on sache qui fait quoi et sur combien de personnes on peut compter – ce qui n’est pas toujours le cas. Là est le paradoxe : on a des gens dévoués et des services opérationnels mais les ministères ne s’échangent pas d’informations.

Je suis tout à fait favorable à la proposition du ministre de l’Intérieur d’assurer la montée en puissance de la réserve civile de la police nationale. Mais j’ai trois craintes. La première est partagée par la gendarmerie : c’est que cela se fasse au détriment du budget de la réserve de cette dernière. La deuxième concerne la formation. La formation des réservistes de la gendarmerie dure quinze jours et elle est très dense. La troisième tient au fait que les organisations syndicales craignent que le recours à la réserve ne remette en cause l’augmentation des effectifs dont la police a besoin. Je me souviens de l’exemple, lors de l’audition de la réserve sanitaire, d’infirmières parties en Martinique et ayant eu des problèmes avec les organisations syndicales. Ces réservistes n’étaient pas envoyées comme intérimaires pour priver les personnels locaux d’heures supplémentaires ou pallier le non-recrutement d’effectifs permanents, mais c’est ainsi qu’elles ont été perçues.

Quoi qu’il en soit, il faut que les uns et les autres apprennent à se connaître et à travailler ensemble. Notre collègue Jean-Marie Fiévet évoquait les sapeurs-pompiers : travaillons sur ce sujet ! Le domaine de la sécurité civile est un bel exemple de domaine dans lequel il faudrait des regroupements et une rationalisation. Autre exemple : dans les douanes, il est question de mettre en place une réserve de garde-côtes mais sans lien avec la marine nationale. Pourtant, un tel rapprochement permettrait peut-être des gains d’efficacité et des économies d’échelle. Pour revenir aux sapeurs-pompiers volontaires, ils ne se présentent pas comme des réservistes. Nous leur avons toutefois consacré un chapitre du rapport car ils sont un exemple non seulement d’ancrage territorial réussi mais aussi dans le domaine des relations avec les employeurs. Un sapeur-pompier volontaire est bien vu par son employeur car on sait ce qu’il fait : sauver des vies. En revanche, on ne voit pas ce que font et à quoi servent les autres réservistes, notamment militaires : la relation avec leur employeur est donc plus difficile. C’est pourquoi nous proposons de renforcer la connaissance des réservistes et de leurs missions. Pour ce faire, encore faut-il simplifier les choses.

Monsieur Venteau, nous souscrivons à votre analyse sur les jumelages. Cela mérite d’être encouragé.

Madame Michel-Brassart, la loi de programmation militaire augmente le budget des réservistes. Mais je le dis à la commission de la défense : j’aimerais aussi qu’il y ait un contrôle de la dépense. Il y a une opacité sur le budget réel de nos réservistes. L’armée de terre ayant défini un plan stratégique, son chef d’état-major voudrait une sanctuarisation de son budget réel sur plusieurs années. L’armée de terre fait l’effort de mener une vraie réflexion à l’horizon 2030. C’est notre rôle que de contrôler que des fonds sont bien affectés à nos réservistes.

M. Christophe Blanchet, co-rapporteur. Avant de répondre à Nathalie Serre, je voudrais revenir sur l’enjeu de la police. Mon co-rapporteur a raison de souligner ce qu’on nous a dit en audition : « faites attention à ne pas prendre sur le budget des gendarmes pour créer cette réserve policière et à ne pas la créer pour cacher l’absence d’effectifs supplémentaires ». Mais c’est aussi une question de pédagogie et de mentalité. Là où, aujourd’hui, vous pourrez trouver un garagiste dans la réserve de la gendarmerie nationale, vous n’en trouverez pas dans la police. C’est l’objectif que se fixe la police pour 2030. Mais pour parvenir à recruter de tels réservistes, il a fallu à la gendarmerie des années de structuration, de pédagogie et de formation : on ne doit pas attendre de la police qu’elle en fasse autant en un ou deux ans. Je suis certain que comme la gendarmerie, la police peut arriver à constituer une réserve mais à condition de faire beaucoup de pédagogie, de formation et d’accompagnement.

Nathalie Serre a rappelé que la LPM avait sanctuarisé un budget de 200 millions d’euros pour les réserves des armées. Aujourd’hui, ce budget est rigoureusement exécuté – même si cette exécution mériterait de mieux être contrôlée par la commission de la défense, comme l’a souligné mon co-rapporteur. Mais la LPM ne concerne que les armées, pas la gendarmerie ni la police nationale dont les budgets restent extrêmement instables, faute d’une programmation analogue. Nous mettons aussi en cause l’usage qui est fait de certains réservistes non pour constituer une force de défense et de sécurité supplémentaire mais pour pallier des carences dans le soutien.

Pour compléter la réponse de mon co-rapporteur à Sereine Mauborgne sur la SNSM, les quatre SNSM que j’ai sur mon territoire à Ouistreham, Dive, Deauville-Trouville et Honfleur m’ont fait part de leur incompréhension de ne pas avoir pu être déployés pendant la crise sanitaire alors qu’ils sont formés pour porter secours. Ils n’ont même pas pu être mobilisés pour la distribution de masques parce qu’ils n’avaient pas l’agrément nécessaire. C’est un non-sens total. Il est vrai que ces bénévoles de la SNSM, unanimement salués pour leur engagement, font bel et bien partie des réservistes et doivent être considérés comme tels. Monsieur Venteau, je partage pleinement la réponse qui vous a été apportée par M. Parigi, la mise en place de jumelage me paraissant constituer une très bonne idée. Je compte en conséquence sur vous pour nous aider à la mettre en œuvre. (Sourires).

Monsieur Fiévet, vous avez raison : il faut que les ministères se parlent. Votre expérience de pompier professionnel – chacun ici connaît l’ampleur de votre engagement – vous permet de disposer d’une rare expertise en la matière, et vos propos rejoignent d’ailleurs les constats et préconisations de notre rapport. Il nous faut ainsi valoriser davantage la sécurité civile. Mais pour ce faire, nous devons aussi nous poser les questions de son animation, de sa coordination comme de sa gestion, et certaines des propositions de notre rapport tentent d’y répondre.

En réponse à Mme Monica Michel-Brassart, la répartition des jours d’activité apparaît très disparate selon les réserves et les réservistes – certains sont très employés quand d’autres se plaignent d’un sous-emploi chronique. J’ajoute qu'il est complexe de se séparer d’un réserviste qui ne donnerait pas satisfaction. En conséquence, au sein de certaines réserves, des réservistes cessent tout simplement d’être appelés, et ce sans aucune explication. Sans surprise, de telles pratiques sont sources de frustrations pour les réservistes concernés, qui ne se sentent pas reconnus. À nos yeux, il faut donc remédier à ce manque de transparence et créer les protocoles permettant d’écarter des réserves celles et ceux qui ne font pas l’affaire ou pourraient être orientés vers d’autres réserves que celle dans laquelle ils se sont engagés. L’une des propositions de notre rapport a d’ailleurs trait à la création de passerelles entre différentes réserves, ce qui rejoint d’ailleurs le témoignage de notre collègue Sereine Mauborgne.

De la même manière, alors que les pompiers professionnels sont tenus d’informer leur hiérarchie de toute condamnation, civile ou pénale, dont ils feraient l’objet, une telle obligation ne pèse pas sur les réservistes. Une enquête est certes réalisée au moment de l’engagement, mais par la suite, un réserviste condamné n’est pas contraint de faire état de sa condamnation. Nous pensons que cela pose une difficulté à laquelle il convient de remédier. Il s’agit également de protéger les réserves et de veiller à leur exemplarité. Si, pour des raisons évidentes, il ne m’est pas possible d’évoquer publiquement des cas particuliers, je citerai néanmoins l’exemple d’une personne qui, condamnée au civil, s’est révélée avoir trafiqué le produit issu de la vente de calendriers effectuée dans le cadre de son engagement. Or, nous pouvons raisonnablement penser que sa hiérarchie aurait fait preuve de davantage de vigilance si elle avait été informée de cette précédente condamnation.

Monsieur Delatte, s’agissant des réserves citoyennes, il est nécessaire de préciser et de clarifier les missions effectuées par les réservistes citoyens, et de veiller à améliorer leur animation. Une nouvelle fois, nous pensons que les ministères gagneraient à se parler davantage. Car en définitive, avec mon co-rapporteur, il nous semble que l’écueil principal des réserves tient à leur manque de structuration, et que c’est notamment ce qui nous empêche de satisfaire pleinement les envies de nos concitoyens de s’engager au service de la Nation. J’ajoute également que notre proposition n° 53 invite à limiter la confusion liée à l’usage de grades et d’uniformes.

Enfin, avant de conclure, je souhaite adresser mes plus sincères remerciements à mon co-rapporteur, M. Jean-François Parigi. Notre collaboration au cours des six derniers mois me semble témoigner du sens que je donne à notre mandat de député : travailler ensemble, au service de l’intérêt général, dans le but de contribuer à l’amélioration des choses. Nous avons travaillé en bonne intelligence et de manière tout à fait sympathique, nonobstant le fait qu’il n’a pas résisté à la tentation de me filmer pendant que j’expérimentais le menottage rigoureux de deux instructeurs réservistes au camp de Beynes ! (Sourires) Je voulais savoir ce que ça faisait ; je n’ai pas été déçu ; c’est très efficace ! Il me semble également utile de rappeler que pour éviter que notre rapport ne serve qu’à caler un meuble, nous avons besoin de vous tous, chers collègues, afin d’en valoriser les propositions et de le diffuser le plus largement possible. Autrement, il finirait par se perdre dans la réserve des rapports parlementaires… (Sourires)

M. Jean-François Parigi, co-rapporteur. Merci à Christophe Blanchet pour ses mots. Je garde en effet cette vidéo des menottes : ça peut servir ! (Sourires) Nous avons effectivement travaillé de manière parfaitement coordonnée et je tiens à dire que malgré nos histoires différentes et nos désaccords politiques, nous partageons le sens de l’intérêt général et la volonté de faire évoluer les choses. J’ai eu la chance de participer à plusieurs missions, et celle-ci me marquera particulièrement.

En guise de conclusion, il m’importe de rappeler combien nous avons la chance, en France, de disposer de réserves et de réservistes. Il s’agit d’un véritable trésor. Et alors que la jeunesse fait souvent l’objet de débats nourris, nous avons rencontré des jeunes très différents les uns des autres, des étudiants et des jeunes issus de banlieues dites difficiles, mais qui se ressemblaient par leur envie de s’engager. Et alors que l’on dit parfois que l’armée ne doit pas être la nation dans la Nation, les réserves nous montrent qu’il y a bien une seule Nation. Ce trésor, il nous faut le préserver. Les besoins sont évidents, mais il nous faut encore travailler à l’amélioration de l’efficacité et à la simplification du fonctionnement des réserves. De premiers pas ont été franchis, à l’instar de la récente réforme conduite au sein de la gendarmerie nationale, permettant à un réserviste de ne pas repartir « de zéro » à la suite d’un déménagement interrégional. Notre rapport contient plusieurs propositions allant dans le sens d’une meilleure efficacité. Nous le devons aux réservistes qui, quels que soient leur âge ou leur lieu d’habitation, ont l’amour de notre pays et l’envie de servir en partage. Cette mission était donc formidable ; elle vous réconcilie avec nos concitoyens.

Mme Patricia Mirallès, présidente. Messieurs les rapporteurs, chers membres de la mission, je vous remercie sincèrement de nous avoir donné l’occasion de débattre des réserves et d’avoir offert à notre commission des perspectives aussi stimulantes. Quinze questions sur un sujet qui nous passionne, qui vous passionne, et je vous comprends, tant l’engagement de nos concitoyens nous oblige et doit nous inspirer. Nous sommes sur la bonne voie même si nous pouvons encore grandement nous améliorer.

La commission de la Défense nationale et des forces armées autorise à l’unanimité le dépôt du rapport d’information sur les réserves en vue de sa publication.

 

 

 

 

 

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La séance est levée à onze heures quarante-cinq

 

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