Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

 

 Audition, ouverte à la presse, de M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes, sur le projet de loi autorisant l’approbation de la décision du Conseil relative au système des ressources propres de l’Union européenne (n° 3734)                            2

 

 

 


Mercredi  
13 janvier 2021

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 025

session ordinaire de 2020-2021

Présidence
de Mme Isabelle Rauch,
Vice-présidente

 


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Audition, ouverte à la presse, de M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes, sur le projet de loi autorisant l’approbation de la décision du Conseil relative au système des ressources propres de l’Union européenne (n° 3734).

La séance est ouverte à 15 heures 05.

Présidence de Mme Isabelle Rauch, vice-présidente.

Mme Isabelle Rauch, présidente. Mes chers collègues, nous auditionnons aujourd’hui M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes, sur le projet de loi examiné ce matin en conseil des ministres autorisant l’approbation de la décision 2020/2053 du Conseil du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l’Union européenne et abrogeant la décision 2014/335.

Ce projet de loi est attendu depuis les conclusions du Conseil européen du 21 juillet 2020 qui était parvenu à un accord sur le cadre financier pluriannuel de l’Union européenne pour 2021-2027 et sur le plan de relance Next Generation EU visant à faire face aux effets de la crise sanitaire.

La dimension extraordinaire de ce plan de relance de 750 milliards d’euros a rendu nécessaire la création de nouvelles ressources propres afin d’éviter une forte hausse des prélèvements sur recettes ou une baisse des crédits d’intervention européens.

Les vetos de la Hongrie et de la Pologne – qui résultaient de leur désaccord sur le règlement relatif aux mécanismes de conditionnalité établissant un lien entre le versement des fonds européens et le respect de l’État de droit – à l’adoption de la décision du Conseil sur le plan de relance ont bloqué la décision sur les ressources propres, les ressources de l’Union n’étant nullement en cause. Ce blocage a pu être surmonté le 10 décembre dernier, lors du Conseil européen.

Compte tenu des délais de rédaction de la décision et de la procédure de consultation du Congrès de Nouvelle-Calédonie, le projet de loi déposé ce midi sur le bureau de l’Assemblée nationale n’a pu être délibéré en conseil des ministres que ce matin.

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous informer la commission de l’état des procédures d’approbation engagées au sein des 27 États membres de l’Union et du calendrier prévisionnel de mise en œuvre des nouvelles dispositions relatives aux ressources propres ?

Au-delà des considérations financières, la décision du 14 décembre 2020 est novatrice car elle marque un double tournant dans les politiques de l’Union européenne.

Primo, en matière d’intégration budgétaire et financière, les États membres acceptent en effet pour la première fois que l’Union prenne en charge une dette commune, à savoir les 390 milliards d’euros que la Commission empruntera sur les marchés financiers et qui seront remboursés en commun, avec un partage de risques mutualisé. Ainsi, en cas de défaillance d’un État lors des remboursements, la Commission est autorisée à relever les appels de fonds auprès des autres membres.

Deuxio, les nouvelles ressources traduisent l’engagement des Européens en faveur du développement durable et leur volonté de mettre en place un prélèvement sur les échanges numériques ainsi que sur les transactions financières.

Je vous laisse nous présenter le projet de loi et la décision du Conseil de l’Union européenne.

M. Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. J’ai tout d’abord une pensée amicale pour la présidente de la commission, Marielle de Sarnez, qui ne peut être parmi nous.

Je suis heureux et honoré, juste après le conseil des ministres qui vient d’adopter le projet de loi visant à ratifier de la décision ressources propres de l’Union européenne, de pouvoir sans délai l’expliquer et échanger avec vous à son sujet.

Ce texte comporte un article unique visant à autoriser le Gouvernement à ratifier cette décision qui a été adoptée le 14 décembre par le Conseil de l’Union européenne – elle a vocation à se substituer, selon une mécanique habituelle, à la décision existante, qui date de 2014 et qui avait bien entendu été soumise à votre assemblée – afin de couvrir la nouvelle période budgétaire ouverte au 1er janvier 2021 et qui sera close le 31 décembre 2027.

Comme c’est l’usage, elle aura un effet rétroactif au 1er janvier 2021. Si elle est ratifiée à la suite de l’autorisation parlementaire, elle écrasera le mécanisme de financement existant du budget européen et se substituera donc à lui.

Les traités européens prévoient que cette décision relative aux ressources propres ne puisse précisément entrer en vigueur qu’après ratification par l’ensemble des 27 États membres selon leurs procédures nationales respectives. En France, nous nous situons dans le cadre de l’article 53 de la Constitution qui prévoit un débat parlementaire et un vote législatif.

Sur le fond, ce texte évidemment essentiel est inhabituel car, au-delà de la reconduction d’un certain nombre de mécanismes de financement du budget de l’Union européenne, et alors que d’autres seront je l’espère renforcés dans les années à venir, il traduit une innovation fondamentale : la diversification et l’amplification des financements de ce budget.

Il concrétise, et c’est très important car il s’inscrit dans ce paquet budgétaire dont nous avons discuté et dont la décision ressources propres est le seul élément législatif, les résultats historiques obtenus récemment, notamment par la France, dans les négociations européennes.

Il permet plus spécifiquement la mise en œuvre du volet relatif à l’ensemble des recettes du budget européen qui sera notre cadre commun pour les sept prochaines années.

Concrètement, ce paquet budgétaire est pour l’essentiel constitué de trois éléments, le premier étant les dépenses du budget lui-même, sur lesquelles nous avons obtenu des avancées importantes ou des garanties essentielles, comme la stabilisation du budget de la politique agricole commune (PAC), l’augmentation du budget de la politique régionale et le renforcement très significatif de programmes européens prioritaires comme Erasmus+ ou « Horizon Europe », consacré au financement de la recherche et dont les moyens augmentent au total de plus de 50 %.

Le budget 2021-2027 est doté au total de 1 074 milliards, soit une augmentation de 12 % en euros constants par rapport à la période précédente, alors même qu’un État membre, le Royaume-Uni, a quitté l’Union de manière effective et complète au 1er janvier.

Particulièrement d’actualité, deux autres éléments de ce paquet marquent, au-delà des programmes budgétaires que nous connaissons, des innovations importantes, signes d’une ambition de puissance et de souveraineté européennes et de réponse coordonnée aux crises.

C’est le cas de l’augmentation significative – un tiers – des moyens du programme spatial, même si nous aurions aimé aller plus loin. Le Président de la République a d’ailleurs rappelé hier encore les ambitions de la France et de l’Union européenne en la matière.

C’est également le cas de l’Europe de la santé à laquelle plus de 5 milliards seront consacrés au travers d’un nouveau programme spécifique : c’est une innovation fondamentale.

Nous avons commencé à mettre en application le volet ordinaire mais ô combien ambitieux des dépenses du budget européen pour les années 2021-2027.

Face à elles, la décision ressources propres constitue un deuxième volet, le troisième, sans doute le plus ambitieux, le plus innovant et le plus historique, étant évidemment le plan de relance lui-même, soit 750 milliards d’euros.

Il se décompose en subventions, à hauteur de 390 milliards, et en prêts à disposition des États membres pouvant compléter leur réponse à la crise, à hauteur de 360 milliards.

Ce plan est issu d’une initiative franco-allemande prise le 18 mai 2020 par le Président de la République et par la chancelière Angela Merkel qui a ensuite fait l’objet d’une proposition de la Commission européenne en date du 27 mai. En dépit des tensions et des difficultés, les chefs d’État et de gouvernement sont parvenus, le 21 juillet, à un accord européen unanime et complet sur ces 750 milliards du plan de relance, avec une innovation non seulement technique mais historique, au-delà de ce montant : le recours à l’endettement commun.

C’est ce volet consacré au plan de relance que la décision sur les ressources propres rend possible, c’est sans doute la novation la plus grande du projet de décision soumis au débat et à votre vote.

Au total, ce plan financera 40 %, et probablement un peu plus, du plan de relance français présenté au début du mois de septembre par le Premier ministre et qui a commencé d’être mis en œuvre, notamment dans le cadre de la loi de finances pour 2021 que votre assemblée a votée, en soutenant des initiatives dans divers domaines, en fonction de ses priorités : rénovation énergétique, soutien aux entreprises, accompagnement des jeunes, formation professionnelle.

Au niveau européen, ce plan inédit par son ampleur et très ambitieux par son contenu permet également de mieux coordonner nos réponses à la crise et de financer, au-delà des mesures d’urgence prises par tous les États membres, la relance elle-même.

En matière de transition écologique et numérique comme de lutte contre le changement climatique, la France, soutenue par la Commission européenne, a fixé des objectifs communs : tous les plans nationaux de relance cofinancés par les fonds européens devront, conformément à l’accord du 21 juillet, lui consacrer au moins 30 % des dépenses d’investissement. La Commission a même relevé cet objectif à 37 % de ces dépenses en y ajoutant un autre : 20 % de dépenses consacrées au numérique.

Acquis qui reste un combat, cette décision relative aux ressources propres acte le début de la rénovation du système de ces ressources de l’Union européenne, avec la création dès 2021 d’une contribution des États membres assise sur la quantité de plastique non recyclé.

Il ne s’agit pas littéralement d’une nouvelle ressource mais d’un mode de calcul des contributions nationales qui prend en compte les efforts en matière de recyclage, ce qui va dans le sens d’un verdissement du financement du budget de l’Union. Cette évolution a été renforcée par les travaux du Parlement européen tout au long des mois ayant suivi l’accord intervenu cet été et visant à établir un calendrier précis de mise en place des ressources propres.

Pour être tout à fait clair sur ce sujet, une percée fondamentale a eu lieu : pour la première fois, les 27 chefs d’État et de gouvernement ont tous, à la fin du mois de juillet, acté le principe de nouvelles ressources propres. Aucune nouvelle ressource propre au sens strict n’avait été créée depuis les années soixante-dix. Il s’agit donc d’une avancée considérable : l’accord du 21 juillet liste en effet un certain nombre de possibilités, de l’ajustement du prix du carbone aux frontières à une taxation commune du numérique et à la taxation des transactions financières. C’est la première fois qu’un accord politique complet, commun et unanime est trouvé s’agissant de ces nouvelles ressources.

Le Parlement européen a, comme je l’ai dit, renforcé cette dynamique en exigeant un calendrier précis de propositions par la Commission et d’adoption par le législateur européen – Conseil et Parlement – de nouvelles ressources, avec quelques jalons précis, comme l’obligation faite à la Commission de proposer, dès le premier semestre 2021, des actes législatifs portant sur la taxation du numérique et sur le mécanisme d’ajustement carbone à nos frontières.

Est-ce à dire que ce sujet est clos ? À l’évidence non, puisque sur la base de ces propositions législatives s’engagera un débat national et européen, les engagements pris me semblant tout à fait significatifs, ce qui n’est pas sans lien avec le plan de relance. En effet, cette dette commune permettra d’enclencher l’approbation de la décision relative aux ressources propres puisque les nouvelles ressources permettront de rembourser à partir de 2028 l’emprunt européen commun contracté pour financer ce même plan également commun.

Toutes ces importantes avancées se sont faites dans le plein respect de nos valeurs car dans ce paquet budgétaire figure également un règlement sensible qui renforce la protection de l’État de droit en liant le versement de certains fonds européens au respect de valeurs fondamentales, sous le contrôle de la Commission européenne et de la Cour de justice. Le débat qui a eu lieu avec la Pologne et la Hongrie, qui y étaient opposées, s’est réglé par un accord politique intervenu lors du Conseil européen des 10 et 11 décembre.

S’agissant enfin du calendrier de nos partenaires européens, trois États membres ont finalisé la ratification de la décision ressources propres : Chypre, la Croatie et l’Italie, cette dernière l’ayant intégrée en fin d’année dans sa loi de finances.

Si le Parlement y donne suite, la France pourrait, après le vote de l’Assemblée nationale et le débat prévu au Sénat au tout début du mois de février, figurer dans les cinq ou six premiers pays à ratifier cette même décision, donc à assurer le financement du plan de relance.

Selon les éléments provisoires dont nous disposons concernant les calendriers parlementaires de nos partenaires, l’ensemble des États membres devraient avoir procédé à sa ratification d’ici le début du mois de mai.

Si l’on aimerait qu’elle intervienne plus rapidement encore, rappelons que, lors de l’exercice précédent, plus de deux ans avaient été nécessaires pour ratifier la décision de 2014 que j’ai évoquée.

L’urgence et la priorité donnée à cette ambition et au plan de relance européen ont donc un sens et sont importantes et remarquables. Je veux d’ailleurs saluer l’engagement de votre assemblée en particulier pour pousser à cette accélération : il s’est manifesté au cours des dernières semaines dans le soutien à l’action du Gouvernement, il se traduira désormais, je l’espère, dans les débats que nous entamons aujourd’hui.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. J’ai également une pensée chaleureuse pour Marielle de Sarnez. Je vous remercie pour votre présentation extrêmement claire des enjeux de ce projet de loi que nous examinerons la semaine prochaine en commission et la semaine suivante en séance publique, et que j’ai l’honneur de rapporter.

La pandémie de covid-19, qui s’est, sans que quiconque en soit responsable, abattue sur le monde il y a près d’un an – nous sortant violemment d’un cycle économique positif en France comme dans beaucoup de pays européens – a des conséquences économiques et sociales d’une sévérité sans précédent depuis la fin de la Seconde guerre mondiale.

Dans ce moment exceptionnel pour notre pays comme pour notre continent, on attend de chacun qu’il fasse ce qui est nécessaire, c’est-à-dire, comme l’a dit la chancelière Angela Merkel, quelque chose d’extraordinaire. En proposant ce plan de relance et ces nouvelles ressources propres, les Européens ont décidé quelque chose d’extraordinaire.

Si la crise n’est pas, terminée, loin s’en faut, il faut savoir reconnaître et mesurer l’ampleur et le caractère historique pour eux et pour l’Union européenne de l’avancée qu’a constitué l’accord du Conseil de juillet dernier sur le plan de relance européen, adossé à un emprunt commun inédit.

Dans une période où l’Union se trouvait, compte tenu du Brexit, que nous venons de conclure, de la crise sanitaire et des mutations profondes, environnementales et numériques, qui bouleversent nombre de nos économies et de nos États, menacées de fragmentation et parfois de division, ce plan de relance – dont la France sera le troisième bénéficiaire – lui a fait choisir en 2020, grâce à l’impulsion franco-allemande, le chemin de la souveraineté et de la solidarité.

Il permet de limiter les risques de divergence des économies européennes en les faisant converger vers une transition plus verte et plus numérique. Pour être réussie, celle-ci requiert d’être menée en commun, à Vingt-sept, tout comme doivent l’être des investissements aux montants inatteignables pour les finances publiques de nos États-nations durement éprouvés par la crise.

Cet emprunt constitue la véritable novation du projet de loi de ratification que le Parlement français sera, je l’espère, l’un des premiers à voter : cela constituerait un symbole politique fort de l’engagement européen de la France depuis trois ans.

Au cours de nos débats, certains chercheront bien sûr à en minimiser la portée, et d’autres à faire croire aux Français qu’il existe un impôt caché qu’ils devront payer : or le projet démontre que cela ne sera pas le cas. En effet, ces nouvelles ressources propres protègent les contribuables et feront payer ceux qui ne contribuent pas à hauteur de ce qu’ils devraient, notamment les géants du numérique, les entreprises asiatiques, qui ne sont pas soumises aux mêmes contraintes environnementales que les nôtres, et les grandes institutions financières. Aux antipodes d’un nouvel impôt pesant sur les ménages, ces contributions paieront et permettront la relance de nos économies.

Aussi historique que soit le plan de relance, il a été adopté lors de la première vague de Covid-19, qui a été suivie, dans l’ensemble des pays européens, par d’autres, éprouvant durablement leurs économies. Monsieur le secrétaire d’État, pensez-vous qu’il puisse y avoir dans les mois à venir une réflexion sur un second plan de relance européen ? Eu égard aux différences d’envergure des plans de relance nationaux, suffirait-t-il à éviter que se creusent les divergences entre économies européennes ?

Les institutions européennes se sont accordées, au mois de novembre dernier, sur une feuille de route portant sur l’introduction de nouvelles ressources propres suffisantes pour rembourser l’emprunt. Pouvez-vous en détailler le calendrier, afin que chacun ait conscience de son rythme de progression au cours des prochaines années ?

Quelles seront en la matière les priorités de la présidence française de l’Union européenne au premier trimestre 2022 ?

Enfin, si elle constitue une avancée très importante, la décision ressources propres prolonge une logique anachronique de juste retour en ce qu’elle maintient et augmente, dans une certaine mesure, les rabais, contre lesquels la France s’est toujours battue. À la faveur de l’introduction de ces mêmes ressources, la suppression de ces rabais sera-t-elle remise à l’ordre du jour dans les mois et les années à venir ?

M. Alexandre Holroyd, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. J’ai également une pensée émue pour Marielle de Sarnez. Ce texte a pour trois raisons principales une dimension historique, qui n’est effectivement pas corrélée à sa longueur. Tout d’abord, le plan de relance financera notre plan national, dont les effets se feront sentir à hauteur de 40 % dans les territoires de France et de Navarre.

Ensuite, au-delà de la contribution sur les emballages en plastique, la décision définit un calendrier très ambitieux sur les autres ressources propres, le mécanisme de compensation devant jouer au premier semestre 2021 et la redevance numérique s’appliquer avant le 1er janvier 2023. L’étude d’impact fait d’ailleurs, s’agissant de ce calendrier, référence à la proposition initiale de la Commission d’une ressource propre fondée sur une assiette commune et consolidée d’imposition sur les sociétés (ACCIS) qui ne figure pas dans la décision du Conseil et dont le calendrier n’y est pas annexé : pour quelle raison n’a-t-elle pas été retenue ?

La troisième raison pour laquelle ce texte est historique tient, c’était essentiel, à l’État de droit : je vous félicite, monsieur le secrétaire d’État, d’avoir obtenu sur ce point un accord qui doit être intégré dans l’ensemble des décisions européennes à venir.

Cela dit, ce texte n’est pas neutre pour les finances publiques puisqu’il va provoquer une augmentation importante, par ailleurs parfaitement naturelle au regard de la sortie du Royaume-Uni, du prélèvement sur recettes que nous examinons chaque année.

Il manque en outre à l’étude d’impact une comparaison des effets sur nos grands voisins européens de ces changements en matière de prélèvement sur recettes. Votre ministère pourrait-il nous fournir ces éléments en amont de l’examen en commission ou en séance publique ?

Le rapporteur l’a dit, la question des rabais se pose aussi. Au regard de l’évolution des ressources propres au cours des prochaines années, celles-ci pourront-elles être utilisées comme outils pour les réduire ?

Par ailleurs, la taxe sur les emballages en plastique inclut pour certains États membres affichant un retard économique, c’est-à-dire dont le produit intérieur brut est inférieur de 50 % à la moyenne de l’Union, un dispositif de réduction annuelle basé sur la richesse du pays concerné en 2020. Si le PIB d’un État membre passait en 2021 au-dessus de ce seuil, conserverait-il néanmoins le bénéfice d’une telle réduction jusqu’en 2027 ? Si oui, pourquoi ?

En outre, la réduction offerte à ces mêmes États membres prend la forme d’un chiffre absolu faisant fi de la logique et de la philosophie de la mesure selon laquelle plus on recycle d’emballages, plus la contribution diminue. Pourquoi est-elle fixe sur une trajectoire pluriannuelle alors qu’il s’agit d’un prélèvement incitant les acteurs concernés à être mieux-disant sur le plan écologique ?

La différence de calcul suscite chez moi une certaine anxiété : si, à côté d’une ressource propre ayant vocation à s’amoindrir avec le temps, l’on crée un rabais qui lui est fixe, certains acteurs voudront très rapidement préserver celui-ci même si ladite ressource diminue. Ne crée-t-on pas ainsi, au vu de tous les problèmes liés aux rabais existants, les conditions de nature à les voir resurgir dans cinq ou six ans ?

M. Denis Masséglia. J’ai également une pensée pour Marielle de Sarnez dont nous connaissons la passion pour l’Union européenne. Nous traitons d’un plan de relance européen historique de 750 milliards d’euros défendu par le président Emmanuel Macron et par la chancelière Angela Merkel : les deux principaux États membres de l’Union poussent ainsi à une construction européenne plus intégrée et plus forte.

40 milliards seront attribués au plan de relance français, dont on voit dès aujourd’hui l’application dans nos territoires : ainsi, dans mon département, l’entreprise SIO, qui fournit des prestations en peinture et en sérigraphie au secteur aéronautique, a reçu 800 000 euros. Une autre, L'Abeille, qui produit des boissons, va embaucher plus de 100 personnes grâce à ce plan.

Cette même construction européenne impose à mon sens de sortir du I want my money back, politique qui agit comme un poison pour notre unité.

Aujourd’hui, les partis eurosceptiques radotent : s’il est vrai que l’UE coûte, et s’ils pointent le fait que 72 % des ressources propres proviennent du revenu national brut (RNB) des États membres, ils omettent bien souvent de dire à quoi elles servent. Ils ne parlent en effet ni de la PAC, ni d’Erasmus+, ni de Frontex, qui a présenté il y a quelques jours ses nouveaux uniformes qui mettent en avant les couleurs de l’Union européenne, ce qui est propice à un sentiment d’appartenance.

Sortir de la politique du retour sur investissement et des négociations sur les rabais et améliorer la cohésion des différents États membres impliquent, comme la France y pousse, d’aller vers des ressources propres comme le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, la redevance numérique et la taxe sur les transactions financières.

Si je salue donc la volonté et le travail du président Macron sur ces sujets, nous allons être confrontés à de nombreuses difficultés d’application. Pouvez-vous nous en présenter rapidement les risques et les contraintes, ainsi que vos propositions en la matière ?

M. Michel Herbillon. Monsieur le secrétaire d’État, vous vous êtes dit heureux et honoré de débattre sans délai de ce projet de loi ; nous le sommes tout autant, mais nous l’aurions été plus encore si le laps de temps séparant sa discussion en conseil des ministres de son examen par notre assemblée avait été légèrement plus long. Cela ayant été relevé ce matin par un certain nombre de collègues au sein du bureau de notre commission, il me semblait d’autant plus important de vous le dire que votre audition a été reportée à plusieurs reprises, même si c’était pour des raisons que je peux comprendre. Sur un sujet aussi important, une course à celui qui ratifiera en premier n’est pas nécessaire car un minimum de réflexion et d’échanges s’impose.

Comme tous les Européens convaincus – dont notre présidente, pour laquelle j’ai une pensée très affectueuse –, je n’hésite pas à reconnaître que cet accord sur le plan de relance, succès notamment franco-allemand, est historique. Cher collègue rapporteur Pieyre-Alexandre Anglade, l’engagement européen de la France ne remonte pas seulement à trois ans – l’affirmer serait contraire à l’histoire – puisqu’il vient de loin : certes tout à fait significatif, cet accord n’en constitue qu’un prolongement.

Je ne reviens pas, puisque cela a été fait par nos trois collègues de la majorité, sur les motifs de satisfaction, mais sur les interrogations qu’il suscite. Tout d’abord, on crée un emprunt dont personne ne sait comment il sera remboursé. Quelles seront les marges de manœuvre financières à partir de 2027 ?

Je rappelle que le prochain contrat financier pluriannuel sera négocié par des chefs d’État et de gouvernement dont la plupart n’auront pas négocié cet emprunt. Même si la taxe sur les plastiques a bien été créée, la visibilité en matière de ressources propres est à ce stade insuffisante, faute d’appliquer la taxe carbone aux frontières. Quel sera en particulier l’avenir de la taxe GAFAM ? Pourriez-vous être plus explicite à son sujet ?

La France devrait par ailleurs recevoir 8 % de l’emprunt et en rembourser 17 % : est-ce exact ? Comment l’expliquez-vous ?

Les rabais accordés aux États dits frugaux – même l’Allemagne a récupéré 3 milliards – ont-ils été renforcés ? Une telle décision ne met-elle pas à mal le principe de solidarité ?

Enfin, ces mêmes États ont gagné une sorte de capacité de contrôle beaucoup plus importante que ce que feront les États en termes budgétaires : ne vous préoccupe-t-elle pas ? Il ne faudrait pas qu’elle devienne un nouveau 3 % du Pacte de stabilité, car cela rendrait l’Union européenne impopulaire, ce qui serait dommageable.

M. Jean-Louis Bourlanges. J’abonde dans le sens de notre collègue Michel Herbillon s’agissant du rôle de nos contributions : nous ne sommes en effet pas là simplement pour poser des questions aux ministres, mais pour débattre, ce qui parfois demande un peu de temps. Une telle idée est très présente à l’esprit de Marielle de Sarnez. Je me joins aux hommages et aux vœux qui ont été formulés à son égard.

Le groupe Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés et l’ensemble des groupes de la majorité, comme une partie des députés de l’opposition, considèrent que de grandes choses ont été accomplies cette année en matière européenne à travers, notamment, le plan de relance et la décision ressources propres.

Je ferai trois remarques. Nous espérons tout d’abord que cette décision va inverser une tendance vieille de pratiquement quarante ans qui vise à remettre systématiquement en cause les ressources propres au profit des contributions nationales. Au début, en 1970, l’Union disposait de trois de ces ressources : les douanes, les prélèvements agricoles et la TVA. Celle assise sur le RNB a ensuite été introduite : or il s’agit d’une fausse ressource propre. Nous avons en outre manipulé la ressource sur la TVA de telle manière qu’elle devienne une contribution indirectement indexée sur le RNB. Les prélèvements agricoles ont évidemment disparu et les droits de douane se sont considérablement réduits du fait de l’ouverture des échanges.

Il ne reste donc rien : notre système est en effet très largement fondé sur des subventions payées par les États à l’Union européenne – calculées sur la base du RNB et dont ils exigent de surcroît, en application du principe de Thatcher, un retour –. Il est très insatisfaisant. Nous ne pouvons par conséquent que nous réjouir de voir l’Union européenne tenter de faire le chemin inverse et de rétablir des ressources propres qui lui permettront de se financer indépendamment des considérations de juste retour qui avaient cours jusqu’à présent.

Deuxième remarque : le calendrier qui nous est proposé en matière de ressources propres est très prudent. On commence en effet par la taxe sur les emballages plastique, c’est-à-dire à ce qui ressemble le moins à une ressource propre : il s’agit en fait d’une sorte de malus écologique portant sur le mauvais comportement des États.

Nous aurons ensuite, peut-être, quelque chose sur le numérique qui, même s’il s’agira d’une ressource propre, risque d’être très limité : nous voyons bien qu’en matière d’impôt sur les sociétés, une égale imposition de toutes sur leur activité serait la clé d’un bon système parce que le marché intérieur, c’est la vie des entreprises. La communautarisation d’une telle ressource donnerait un signe que nous formons vraiment une communauté. Or on voit bien à quel point ce dossier est reporté, décalé et renvoyé à une date ultérieure.

Enfin, nous devons soutenir la très importante taxe sur les transactions financières car elle est peut-être actuellement la ressource la plus prometteuse.

Je n’ai pas mentionné la taxe carbone car, si elle est essentielle, elle sera très difficile à mettre en œuvre.

Troisième remarque : comment répondre à la préoccupation que vous avez évoquée, cher Clément Beaune, selon laquelle le dispositif proposé devait servir à rembourser l’emprunt contracté par l’Union européenne dans le cadre du plan de relance ?

Si cela est très intéressant, on voit bien que nous sommes bloqués institutionnellement – sorte d’Agrippa Menenius, je suis obsédé par des systèmes institutionnels qui, s’ils n’intéressent personne, n’en sont pas moins très importants – puisque l’article prévoyant l’adoption des ressources propres est paralysant en ce qu’il impose unanimité et ratification par les parlements nationaux !

Des coopérations renforcées sont la seule façon de contourner cette affaire pour avancer. Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement entend-il faire écho à l’idée cheminant au Parlement européen visant à regrouper tous les États acceptant la taxe sur transactions financières, ce qui exclurait, par hypothèse, l’Irlande ? Ces États pourraient utiliser cette ressource pour rembourser leur quote-part de la dette souscrite en commun par l’Union européenne : il s’agirait d’un produit d’appel extraordinaire de nature à faire pencher ceux qui n’en veulent pas vers plus de solidarité.

M. Jean-Michel Clément. Je déplore, moi aussi, les délais qui nous sont impartis pour l’examen de ce projet de loi : les enjeux sont tels qu’il aurait mérité de faire l’objet d’une réflexion plus approfondie. Ce n’est certes pas la première fois qu’une telle critique est formulée, mais il n’est pas correct d’agir ainsi avec le Parlement.

Par ailleurs, je ressens une certaine aigreur. On a le sentiment que le plan de relance est le produit d’une contrainte. La pandémie oblige les États à s’entendre dans les conditions difficiles que l’on sait, sans que l’on sache comment on remboursera la dette contractée. J’ignore s’il faut s’en réjouir ou le déplorer. En tout cas, je considère, pour ma part, que ce n’est pas une grande avancée démocratique pour l’Europe. Je crains, compte tenu de la manière dont les choses se sont passées, que les États qui ont longtemps bloqué la discussion prennent le contrôle et soient en position de force lorsqu’on envisagera le remboursement de la dette, dont on connaît encore peu d’éléments.

En définitive, le plan de relance n’est qu’un aveu de faiblesse. C’est préoccupant pour l’avenir de l’Europe, au moment où le Royaume-Uni la quitte. La manière dont nous abordons les choses, notamment la recherche de ressources propres, ne m’incite pas à l’optimisme. La question de la taxe sur les activités polluantes me préoccupe particulièrement. Créer une taxe pour encourager les États à adopter une démarche vertueuse en matière de recyclage des déchets, c’est se priver à terme de cette ressource : il y a là une contradiction qui me paraît insoluble.

Pour conclure, je dirai donc : peut très largement mieux faire ! J’attends les débats futurs mais, pour l’instant, je suis très réservé. Dès lors, vous comprendrez que le groupe Libertés et Territoires ne soit pas très enclin à voter le projet de loi.

M. Jean-Paul Lecoq. Monsieur le secrétaire d’État, nous avons passé un moment fort sympathique lorsque vous vous êtes rendu dans le port du Havre pour évoquer les questions liées au Brexit, mais cela ne m’empêchera pas d’exprimer le fond de ma pensée.

Votre exposé montre à quel point l’Union européenne fonctionne de manière paradoxale. Nous sommes en effet soumis à une double injonction contradictoire : d’une part, celle de créer une souveraineté budgétaire et financière européenne, donc de se détacher des prélèvements sur le PIB des États membres ; d’autre part, celle, propre au dogme néolibéral, de limiter au maximum les taxes et l’intervention de la puissance publique dans l’économie.

Vous prétendez rechercher des ressources propres pour l’Union européenne. Ce n’est pas crédible ! Depuis de nombreuses années, on négocie et on fait ratifier des accords de libre-échange qui ont pour objectif de supprimer les droits de douane, lesquels sont pourtant des ressources propres éminemment utiles puisqu’ils permettraient non seulement de financer le budget européen mais aussi de protéger notre industrie, comme c’est le cas en Chine ou aux États-Unis, et de l’inciter à se relancer.

L’Union européenne, chacun le sait, est une véritable passoire, et c’est la seule entité au monde où les choses se passent ainsi. En 1988, les contributions des États représentaient moins de 11 % du budget de l’Union européenne ; aujourd’hui, elles s’élèvent à 72 %. Dans le même temps, la part des droits de douane a été ramenée de 28 % à 15 %. Cette évolution est néfaste. Le débat sur les ressources propres devrait porter également sur les accords de libre-échange, qui sont nuisibles au plan économique et écologique.

Que pensez-vous de la création de ports francs, notamment au Royaume-Uni ? Certains estiment que ce type de mesure doit être adopté à grande échelle au sein de l’Union européenne. Mais cette solution est-elle pérenne pour la fiscalité française et européenne ? Elle s’apparente à la fuite en avant que constituent les accords de libre-échange. On supprime les taxes pour attirer les produits ; ce faisant, on creuse les déficits et on oblige les États à emprunter. Ce n’est pas acceptable !

Qu’en est-il de la taxe sur les transactions financières, cette véritable Arlésienne ? Depuis près d’une décennie, elle fait l’objet de débats qui n’ont jamais abouti à un résultat concret. Comment croire qu’une solution va soudainement émerger ?

Enfin, monsieur le secrétaire, quelle aide attendez-vous de nous ? L’exécutif serait bien avisé de s’entourer de parlementaires pour faire progresser les idées novatrices au sein de l’Union européenne !

M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Monsieur Anglade, je vais être clair : les conditions politiques ne sont pas réunies pour élaborer un deuxième plan de relance européen. Faut-il pour autant exclure d’en défendre l’idée ou d’obtenir un accord sur ce point ? Non. Mais nous avons, pour le moment, une première étape à franchir. Il nous faut ratifier la décision sur les ressources propres afin de procéder à l’endettement commun et de mettre en œuvre le plan de relance, dont je rappelle qu’il est très ambitieux puisqu’il se compose de près de 400 milliards d’aides directes aux États et de 360 milliards de prêts disponibles.

N’oublions pas, avant d’évoquer un possible nouvel abondement, que d’autres dispositifs européens, qui ne sont pas tous utilisés ou « saturés », sont à la disposition des États membres. Je pense au renforcement de l’action de la Banque européenne d’investissement, décidé par les ministres des finances au mois d’avril dernier, qui lui permet d’accorder des prêts supplémentaires, pour un montant total de 200 milliards d’euros. Je pense également au plan Support to mitigate Unemployment Risks (SURE), qui permet de financer l’assurance chômage européenne par des prêts à taux très favorables – plus intéressants, pour ce qui est des dernières émissions, que ceux dont bénéficient la plupart des États européens. Ce dispositif permet à un pays comme l’Italie, par exemple, de réaliser plusieurs centaines de millions d’économies dans le cadre du financement de son activité partielle.

Tout n’est pas parfait, loin de moi cette idée. Mais le plan de relance a été difficile à négocier politiquement : appliquons-le et accélérons sa mise en œuvre. J’ajoute, car j’ai omis de le préciser dans mon propos introductif, qu’il comporte un mécanisme de préfinancement qui permettra à chaque État membre de disposer dès le printemps, avant même la finalisation des procédures, d’une part, qui peut atteindre 10 %, de l’enveloppe à laquelle il a droit.

Je suis favorable à une accélération et, éventuellement, à la prise en compte de certaines mesures d’urgence, destinées à répondre immédiatement à la crise, dans les financements européens. À ce propos, je précise que sont prises en compte au titre des dépenses éligibles au financement du plan de relance celles qui ont été réalisées dès février 2020. Ainsi les États membres qui ont financé, dès le début de la crise sanitaire, certains dispositifs d’investissement ou de soutien, tels que l’assurance chômage, peuvent les soumettre à un financement européen.

Cependant, il ne faut pas exclure que la réponse européenne soit amplifiée et se prolonge. Mais beaucoup d’États membres s’étant opposés au principe même d’un plan de relance et d’une dette commune et a fortiori au montant ambitieux de 750 milliards, il faut faire la démonstration que ces financements européens peuvent être rapidement opérationnels et qu’ils sont utiles à la relance de nos économies. Cela relève de la responsabilité de l’ensemble des États membres, notamment de ceux, dont la France, qui ont défendu l’idée d’un plan de relance.

S’agissant des nouvelles ressources propres, plusieurs d’entre vous m’ont interrogé sur le calendrier. Je veux, à cet égard, souligner à nouveau le rôle du Parlement européen qui, au-delà de l’accord du 21 juillet sur le principe de nouvelles ressources propres, a souhaité que la feuille de route soit précisée. Il a ainsi obtenu une présentation rapide des actes législatifs relatifs à deux ressources – sur lesquelles le consensus me semble plus fort que sur d’autres –, à savoir la taxe sur les entreprises numériques et le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Ce dernier consiste, je le rappelle, à faire payer aux entreprises qui exportent vers l’Union européenne et qui ne sont pas soumises aux mêmes exigences environnementales que les nôtres le prix du carbone dont ces dernières s’acquittent. Force est de reconnaître, au-delà des différences de sensibilité politique, qu’une telle mesure est juste, efficace et qu’elle contribue au financement du budget de l’Union européenne en faisant payer les acteurs internationaux qui profitent de notre marché sans y contribuer.

Sur ces deux ressources, qui obéissent à une logique identique et qui constituent une priorité, notamment de la prochaine présidence française de l’Union européenne, la Commission a pris l’engagement – et il sera tenu, car le Parlement l’a exigé et nous y veillerons – de présenter les textes législatifs au premier semestre 2021. Le Parlement européen et le Conseil se sont quant à eux engagés à aboutir à un accord législatif d’ici à la fin du premier semestre 2022 afin que les textes entrent en application au plus tard le 1er janvier 2023.

D’autres ressources figurent dans la feuille de route. Deux d’entre elles ont été évoquées par plusieurs d’entre vous : la taxe sur les transactions financières – je pourrai y revenir –, et l’ACCISS. Cette dernière a pour objet, j’y insiste, non pas d’augmenter la pression fiscale, mais d’harmoniser nos impôts sur les sociétés dans la perspective d’affecter ultérieurement cette ressource à l’Union. S’agissant de ces deux mesures, l’engagement a été pris de présenter les textes en 2024, pour une mise en œuvre d’ici au 1er janvier 2026.

Le calendrier est certes plus long, car le débat politique, qui soulève des questions plus lourdes, est technique et beaucoup moins avancé. Mais il se veut ambitieux puisque l’objectif est bien de disposer d’une série de ressources propres supplémentaires pour le prochain cadre budgétaire, lorsque débutera le remboursement de l’emprunt. Je rappelle en effet que la dette destinée à financer le plan de relance ne sera pas remboursée pendant la période 2021-2027. Cette décision relève, non pas de l’irresponsabilité, mais d’une bonne gestion économique : nous empruntons et investissons pendant la crise et nous commencerons à rembourser lorsque la reprise sera là et que nous disposerons de ressources propres supplémentaires. Ce remboursement s’étalera – là encore, j’y insiste – sur trente années. J’ajoute que le montant du remboursement annuel collectif de cet emprunt est évalué aux alentours de 17 milliards, soit environ 10 % d’une annuité du budget européen.

La question des rabais est très importante. Nous nous sommes battus pour obtenir leur disparition. Certes, nous n’avons pas gagné. Mais nous avons obtenu une avancée majeure sur la dette commune et, même si elle reste à finaliser, sur les ressources propres. Le prochain combat sera celui de la refondation du système de financement, qui implique la suppression des rabais. En tout état de cause, je crois, je le dis franchement, que nous ne pouvions pas, d’un point de vue politique, obtenir également satisfaction sur ce point dans le cadre de cette négociation.

Nous n’avons pas, je le rappelle, créer les rabais lors de la négociation du cadre financier pour la période 2021-2027. Celui dont bénéficiait le Royaume-Uni existait depuis 1984 – je n’en rappelle pas l’histoire, bien connue ; quant aux quatre autres, ils existent depuis 1999. Ils ont, c’est vrai, augmenté pour plusieurs pays. Mais, je tiens à le préciser, sans entrer moi-même dans la logique du juste retour, nous avons bien négocié, du point de vue de l’intérêt financier du pays. De fait, la contribution nette de nos grands partenaires a nettement plus augmenté, à la suite du Brexit, que celle de la France. Pour l’Allemagne, par exemple, cette augmentation est deux fois plus importante que pour notre pays, lequel est, en revenu par habitant, le huitième contributeur net au budget de l’Union européenne. Je ne veux pas multiplier ces chiffres, car je ne souhaite pas que l’on s’en tienne à une logique du juste retour – ce serait une vision étriquée et fausse de l’apport de l’Union européenne –, mais il est légitime que vous ayez connaissance de ces éléments budgétaires.

Par ailleurs, pour la France, le coût des rabais a diminué à la suite du Brexit. Leur coût annuel total était, jusqu’à la fin de l’année de 2020, de 2 milliards, dont la moitié était imputable aux Britanniques ; il est désormais légèrement inférieur à 1,5 milliard. Le rappel de ces ordres de grandeur n’a pas pour objet de légitimer ces rabais, mais d’éclairer notre débat sur cette question.

Monsieur Holroyd, j’ai évoqué les travaux d’harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés. Cette mesure peut paraître technique, mais elle est le préalable absolu à toute harmonisation de cet impôt et un outil nécessaire si nous voulons encadrer ses taux et lutter contre un dumping fiscal européen qui existe dans ce domaine, comme en témoignent les taux extrêmement agressifs appliqués par certains de nos partenaires.

Je ne reviendrai pas en détail sur la question de l’État de droit, dont j’ai dit, devant votre assemblée et devant le Sénat, combien elle était importante. Nous ne comptions céder ni sur le plan de relance, en le retardant ou en le rabotant, ni sur la protection des valeurs. La décision qui a été prise marque une avancée politique, au sens noble du terme, importante. J’assume le fait que la France contribue au budget de l’Union européenne, car elle y trouve des avantages. En revanche, je n’assumerais pas devant vous le fait que des États membres qui ne respecteraient pas des valeurs essentielles bénéficient de notre solidarité financière. Je parle là, non pas de points secondaires ou de choix politiques qui relèvent de chaque parlement et de chaque gouvernement, mais de valeurs essentielles qui nous relient et qui figurent dans nos traités. Chacun serait choqué que la solidarité s’exerce au bénéfice de pays qui ne respecteraient pas ces contreparties minimales.

Les rabais sont liés à chaque décision concernant les ressources propres. Ils ont été reconduits dans le cadre de la dernière décision ; je le déplore, mais cette reconduction participe d’un équilibre politique qui est en définitive très favorable à nos ambitions européennes et à nos intérêts. En tout état de cause, ils seront rediscutés dans le cadre de la prochaine décision sur les ressources propres – les pays concernés le savent : c’est la nouvelle frontière, si je puis dire. À ce propos, d’aucuns font des calculs en comparant le bénéfice que chacun tirera du plan de relance et la contribution qu’il y apportera, mais un tel calcul n’est pas possible puisque personne ne connaît la prochaine décision relative aux ressources propres. Et, lorsqu’elle interviendra, il sera dans l’intérêt de la France de défendre une remise à plat du système de financement, remise à plat qui n’est pas impossible puisque nous avons obtenu des avancées très importantes sur le système de ressources propres et le financement par la dette commune. Il est donc faux de dire que les choses sont figées, définitivement écrites. Si des réticences s’exprimaient sur de nouvelles ressources ou sur certains paramètres, nous aurions, nous aussi, les moyens d’imposer que ceux-ci soient redéfinis. Les rabais ne sont pas un droit historique garanti aux pays qui en bénéficient encore pour les sept années qui viennent.

S’agissant de la contribution liée au recyclage des déchets en plastique, je vous propose, pour ne pas être trop long, de vous communiquer quelques éléments chiffrés, notamment sur le prix de la tonne pris en compte pour le calcul de cette contribution. Je précise, c’est un point important, qu’il ne s’agit pas – on peut le regretter ou s’en réjouir – d’une ressource propre au sens strict, et encore moins d’une taxe. Il s’agit d’un système de bonus-malus qui, pour être tout à fait honnête, porte sur de petits montants. C’est vrai, Jean-Michel Clément l’a dit, il n’y a pas de double dividende en la matière : plus on recyclera de matière plastique, plus cette ressource diminuera. Mais ce système ne contribue pas significativement au budget européen ; c’est un signal positif, mais il ne faut pas accorder une importance excessive à cette ressource. Mieux vaut concentrer le combat sur les véritables ressources propres qui peuvent être mobilisées dans les mois qui viennent. J’ajoute que, pour la France, le coût annuel lié à ce système de bonus-malus est, non pas de 1 milliard, comme je l’ai entendu dire – ce chiffre correspond à l’assiette globale –, mais de 60 millions, sachant, je le rappelle, que le montant total de notre une contribution dépasse 20 milliards.

Monsieur Masséglia, vous m’avez interrogé sur les contraintes et les risques liés à ces nouvelles ressources propres. Je l’ai indiqué de la manière la plus honnête possible : pour la première fois, leur principe et leur nature font l’objet d’un accord. Quant à leur contenu, leur montant et leur calendrier, ils doivent encore – même si j’ai rappelé les engagements politiques qui ont été pris en la matière – faire l’objet d’un débat législatif, national et européen. Jamais le principe de la création de nouvelles ressources propres n’a fait l’objet d’un consensus politique européen aussi fort. Les pays qui étaient le plus réticents – Pays-Bas, Autriche, Suède – ont beaucoup évolué sur cette question, notamment sur le volet environnemental, non seulement parce que la préoccupation climatique est plus forte mais aussi parce qu’ils perçoivent bien l’enjeu budgétaire, auquel ils sont parfois plus sensibles que nous. Après 2027, le budget européen ne pourra pas se dispenser de nouvelles ressources, quand bien même ces pays dits frugaux renonceraient-ils à leurs rabais. De fait, avec le plan de relance – certains le déplorent, je m’en félicite –, nous franchissons une étape supplémentaire vers une solidarité budgétaire européenne. Face au choix d’augmenter leur contribution nationale et de renoncer à leur rabais ou de créer de nouvelles ressources propres, leur priorité, je crois, sera claire. La Suède ou les Pays-Bas, par exemple, longtemps hostiles par principe à de nouvelles ressources propres, défendent désormais certaines d’entre elles, notamment la réforme du système d’échange de quotas d’émission (ETS) ou la taxe carbone aux frontières. Il reste du travail, nous avons un combat à mener, et j’espère que nous serons le plus nombreux possible, ici comme au Parlement européen.

Monsieur Herbillon, s’agissant des délais d’examen du projet de loi, on peut, certes, toujours faire mieux. Mais je m’efforce toujours de répondre au plus grand nombre de questions possible, par écrit ou par oral, devant les deux assemblées. Je me suis exprimé pour la première fois devant l’Assemblée nationale sur l’accord budgétaire, plus précisément sur la question des ressources et de la dette, le 28 juillet, lors des questions au Gouvernement. Quant à la décision relative aux ressources propres dont nous discutons aujourd’hui, elle est connue depuis plusieurs mois et nous avons répondu à de nombreuses questions sur le sujet.

M. Michel Herbillon. Ne faites pas semblant de ne pas avoir compris ce que j’ai dit : ce n’est pas vous qui êtes en cause.

M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Je tenais tout de même à dire que nous avons des échanges réguliers sur la question.

Quoi qu’il en soit, sur le fond, vous avez souligné, et je vous en remercie, le caractère historique des avancées obtenues et vous partagez le combat que nous entendons mener dans la perspective des prochaines étapes concernant les ressources propres. À cet égard, j’observe qu’il existe parfois un écart entre les positions défendues par une même famille politique – ce n’est pas le cas de la vôtre – à l’Assemblée nationale et au Parlement européen, monsieur Lecoq, où elle se montre beaucoup plus hostile aux ressources propres. Soyons cohérents jusqu’au bout. Par ailleurs, je sais, monsieur Herbillon, que le combat en faveur des ressources propres et de la réforme du budget européen – qui est, du reste, au-delà des alternances ou sensibilités politiques, conforme à l’intérêt national – est mené depuis longtemps par nombre d’entre vous. Je sais votre engagement personnel de longue date en la matière.

Comment garantir le remboursement ? Par les ressources propres. Si l’on additionne le produit de la taxe sur le numérique, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et la réforme du système ETS, ce sont 10 milliards à 30 milliards de ressources propres supplémentaires qui seront affectées au budget européen, sachant que la contribution française annuelle s’élève à un peu plus de 20 milliards et le remboursement annuel de l’emprunt lié au plan de relance à 17 milliards. Ainsi, même si nous ne disposions que de deux de ces trois ressources propres, nous pourrions largement rembourser chaque annuité du plan de relance à partir de 2028. Au-delà, je crois, comme le disait Jean-Louis Bourlanges, que c’est une bonne logique de financement du budget européen et la seule façon de sortir d’un débat délétère sur le juste retour. Quant au remboursement, il nous appartient d’en définir les paramètres. C’est un combat à mener, je l’admets, mais il est faux d’affirmer que la France devra s’acquitter d’une facture ou d’un impôt caché.

Peut-être pensiez-vous, en évoquant le renforcement de la capacité de contrôle, à une forme de mainmise qu’un État pourrait exercer sur un autre dans le cadre des plans de relance. Permettez-moi donc d’en expliquer la mécanique. Chaque pays va soumettre à l’ensemble des ministres des finances son plan national de relance et de résilience et demander un cofinancement européen. Je mentionnerai deux points importants, à cet égard. Tout d’abord, nous avons refusé tout système de veto, qui aurait conduit à faire de chacun l’otage de son voisin et aurait permis à un pays – du nord de l’Europe, par exemple – de contester tel investissement réalisé par un autre ou de lui recommander telle réforme ; ce type de débat serait malsain. En revanche, il est sain d’avoir une discussion collective pour coordonner nos priorités – 30 % pour le climat, 20 % pour le numérique – tout en permettant à chaque pays de bénéficier de la souplesse nécessaire pour construire son propre plan. Aucune unanimité n’est requise, aucun veto ne permet à un pays du nord de bloquer un pays du sud, pour citer un exemple qui n’est pas qu’un cas d’école.

Ensuite, je m’inscris en faux contre l’idée tant débattue d’une conditionnalité, selon laquelle l’Europe nous imposerait de réaliser telle réforme pour pouvoir bénéficier de l’argent européen. Nos plans de relance sont coordonnés, c’est normal et sain. La France déplore de longue date, toutes majorités confondues, l’insuffisance de la gouvernance économique et de la coordination des politiques économiques ; or, nous avons là un outil pour les renforcer : utilisons-le ! Mais, encore une fois, il n’existe aucune liste, cachée ou non, des réformes qui seraient exigées par Bruxelles ou par tel partenaire en contrepartie de l’argent européen.

Monsieur Bourlanges, vous avez raison, les ressources propres ont tendanciellement baissé au fil du temps parce qu’on n’en a pas créé de nouvelles et qu’on les a, de fait, remplacées en masse par une contribution annuelle des États, laquelle a l’avantage de la simplicité et l’inconvénient de s’inscrire dans une pure logique du juste retour, qui veut que chacun fasse le compte de ce qu’il verse à l’Europe et de ce qu’il en retire immédiatement. Par ailleurs, la France défend la taxe sur les transactions financières, qui est inscrite dans la feuille de route. Quant à l’impôt européen sur les sociétés, il n’est pas pour demain. Encore une fois, il ne s’agit certainement pas de créer un impôt européen – ce serait une folie et un mauvais signal – mais de rapprocher nos fiscalités pour éviter le dumping et, éventuellement, d’affecter à terme une part de ces impôts existants au budget européen.

Il est possible que certaines ressources soient mobilisées dans le cadre de coopérations renforcées ; c’est le cas actuellement de la taxe sur les transactions financières. C’est un peu compliqué techniquement et juridiquement, mais il n’est pas impossible, si une ressource est créée par quelques États, qu’elle puisse financer leur quote-part du remboursement de l’emprunt collectif après 2027. En tout cas, il ne faut pas exclure cette possibilité, car la coopération renforcée fiscale est un bon outil.

Monsieur Clément, vous avez dit ressentir une certaine aigreur. Cette avancée européenne – que vous ne remettez pas en cause – est, c’est vrai, le produit d’une contrainte, d’une crise. C’est du reste souvent le cas en Europe : nous progressons dans la crise et nous prenons conscience de la nécessité d’une réponse collective lorsque nous sommes confrontés à un problème collectif. C’est du reste plutôt une bonne nouvelle, car tel n’a pas toujours été le cas. Je pense à la crise précédente, celle des dettes, à laquelle nous avons mal répondu, trop peu ou trop tard, au plan européen. Cette fois, nous avons élaboré une réponse solidaire et économique ambitieuse : le plan de relance et la dette commune, que nous ne pouvions pas imaginer il y a quelques mois de cela. Ce n’est donc pas, me semble-t-il, l’aveu d’une faiblesse ou le seul produit d’une contrainte.

Quant au renforcement du poids de certains pays, si vous faisiez allusion au dispositif de contrôle que j’ai évoqué il y a un instant, j’espère vous avoir répondu, tout comme sur la taxe sur les plastiques.

Monsieur Lecoq, je garde également un bon souvenir de notre échange amical au Havre. La question des accords de libre-échange est un vaste débat. Je partage, plus que vous ne l’imaginez, votre réticence sur le contenu de certains de ces accords ou la façon de les négocier. Mais ne mélangeons pas les débats. On ne peut pas mesurer la pertinence de ces accords à la seule aune de la ressource que les droits de douane apporteraient au budget européen. Les nouvelles ressources propres dont nous avons discuté permettent de compenser largement la baisse historique de ces droits qui, je le rappelle, sont, indépendamment de tout accord de libre-échange, très sensibles à la crise. Ainsi, l’augmentation de notre contribution au budget pour 2021 de l’Union européenne est due en grande partie à la baisse des ressources propres traditionnelles, notamment les droits de douane. Ce ne serait pas une bonne chose de soumettre le budget européen à cette logique cyclique. Nous pouvons donc mener ensemble le combat pour des ressources propres qui sécurisent le budget européen, sortent de la logique du juste retour et nous permettent de financer de manière ambitieuse des politiques publiques dont nous avons le souci commun.

La réflexion sur les ports francs s’est ouverte à l’occasion du Brexit. Les Britanniques pourraient en effet décider – nous verrons ce qu’il en est – d’accorder des avantages fiscaux, sociaux ou réglementaires à des zones portuaires. Nous devons donc étudier ensemble cette question, avec nos partenaires Belges ou Néerlandais, car il ne serait pas responsable de laisser les Britanniques agir sans évaluer la compétitivité de nos ports. Il ne s’agit pas de s’inscrire dans une logique de dumping ou de course au moins-disant, mais nous devons nous pencher, indépendamment même du Brexit, sur la compétitivité portuaire. Du reste, sur ce sujet comme sur d’autres, l’accord que nous aurons bientôt définitivement conclu avec le Royaume-Uni nous préserve d’une logique de dumping en prévoyant la possibilité de prendre des mesures de rétorsion. Notre objectif n’est pas de participer à une course vers le bas, si le Royaume-Uni s’y lançait, et nous n’entendons pas subir sans pouvoir réagir une compétitivité accrue, s’il cherchait à la renforcer pour compenser les effets du Brexit.

Enfin, comment les parlementaires peuvent-ils aider le Gouvernement ? En menant, au-delà de leurs différences légitimes de sensibilité politique, le combat sur les ressources propres, ici comme au Parlement européen.

M. Jean-François Mbaye. Avant tout, je souhaite à mon tour un prompt rétablissement à la présidente de notre commission dont l’attachement aux affaires européennes n’est plus à démontrer. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, d’avoir rappelé que ce texte était une belle avancée, n’en déplaise à ceux qui pensent qu’il se traduira par un impôt européen pour les ménages. Félicitons-nous au contraire de cette chance de pouvoir, dans le contexte actuel, augmenter les recettes de l’Union européenne sans peser sur la fiscalité des ménages.

Ma question se rapporte au principe de conditionnalité liée à l’État de droit, qui représente là encore une avancée, actée par le Parlement européen le 16 décembre dernier. Pourriez-vous préciser les modalités de saisine en ligne de la Commission européenne par les bénéficiaires finaux de ces subventions, afin qu’ils reçoivent bel et bien les montants dus ?

Mme Nicole Le Peih. Il est plus que jamais nécessaire, pour l’Europe, de disposer des bons outils si elle veut atteindre ses objectifs pour le climat, en gardant en ligne de mire la neutralité carbone en 2050. Je m’apprête d’ailleurs à déposer un rapport d’information à ce sujet auprès de la commission des affaires européennes. Les ressources propres traduisent le choix d’un destin commun. Payer un impôt, c’est partager une richesse. Or en introduisant une ressource assise sur les emballages plastiques non recyclés, nous signifions que l’environnement est une richesse à protéger. D’ailleurs, 30 % des crédits de chaque programme de l’Union européenne seront désormais fléchés vers l’obtention de résultats environnementaux. Progressivement, le Pacte vert se traduit en recettes comme en dépenses. Nous progressons, sachons nous en féliciter et regarder le verre à moitié plein.

Selon le Financial Times, la taxe sur le plastique non recyclé permettrait de collecter 42 milliards entre 2021 et 2027. Ce produit serait affecté au remboursement du plan de relance. Si le rendement excède les prévisions, les surplus seront-ils affectés à de nouveaux programmes ou reversés aux États ?

Enfin, dans ce contexte d’accélération de la transition climatique, d’autres travaux sont en cours pour élargir le marché des quotas d’émission et organiser un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. La France préfère le principe d’une extension du marché de droits d’émission existant aux produits importés à une taxe aux frontières qui semble pourtant plus facile à présenter à nos concitoyens. Quelles sont les raisons de cette préférence ?

M. Nicolas Dupont-Aignan. Ce qui est historique dans cet accord, c’est le coût pour la France ! La symbolique est peut-être historique mais notre pays sera le dindon de la farce. Pour obtenir cet accord, vous aurez cédé sur beaucoup de choses. Le Président Macron aura ainsi cédé sur les rabais. Vous dites que l’on passe de 2 à 1,5 milliard. Certes, mais le départ anglais nous coûte 2 milliards. Ajoutez-y l’augmentation des rabais, qui est une défaite totale pour notre pays. Vous avez acheté le vote des pays nordiques en acceptant de consolider leur rabais. Je ne vois pas pourquoi ils y renonceraient demain, quand il faudra obtenir d’eux d’autres accords sur les ressources propres.

Pire : vous avez accepté de dissocier plan de relance et ressources. C’est un vrai marché de dupes car s’il y avait un moment pour négocier la concomitance des deux, c’était bien là. Je ne vous demande pas d’avoir toutes les ressources propres de la terre ni de changer le logiciel de nos voisins, mais vous auriez au moins pu obtenir gain de cause pour la taxe sur les transactions financières ou la taxe GAFA.

Vous avez préféré céder sur tout en reportant le sujet des ressources propres. Or, les ressources propres n’arriveront pas car vous n’aurez plus de levier vis-à-vis des pays nordiques. L’accord est totalement déséquilibré car, si les ressources propres ne sont pas au rendez-vous, la France percevra 40 milliards ! Et encore, on ne sait pas quand ! Seuls 10 milliards sont prévus prochainement. Le plan de relance arrivera trop tard. Surtout, nous paierons beaucoup plus, au regard de la contribution de la France. C’est une très mauvaise affaire. La contribution nette et brute de la France au budget de l’Union européenne pour 2021 explose en augmentant de 25 % par rapport à 2020, soit 5 milliards de plus. Vous nous dites que nous sommes le huitième contributeur. Je vous remercie de ces chiffres mais si vous nous donniez la contribution nette de la France, les Français seraient heureux d’apprendre qu’ils paient toujours plus pour une Union européenne prompte à subventionner des usines qui, comme Bridegstone, s’installent en Pologne, une Union européenne incapable de contrôler l’immigration, responsable de la destruction de nombreux emplois par la faveur accordée aux travailleurs détachés. On finance une organisation qui nous fait du mal. Il faut le faire ! Et vous augmentez encore la facture ! Vous vous réjouissez des symboles mais vous oubliez que ce sont les Français qui paieront, une nouvelle fois.

Autre conséquence : la bureaucratie européenne en sortira renforcée alors qu’il aurait été tellement plus simple d’établir notre propre plan de relance et de le faire financer par la Banque centrale européenne. En réalité, la vraie question est celle de la manière dont nous négocierons la dette de la crise du covid-19. Devrons-nous accepter les ajustements exigés par les partenaires allemands auxquels vous êtes profondément soumis ou allons-nous créer une dette perpétuelle, en l’isolant et en la faisant financer par la Banque centrale, comme le feront les Américains ou les Anglais ?

Je salue votre immense talent pour communiquer. Hélas, vous avez manqué une occasion, celle des ressources propres. M. Lecoq l’a dit, la première des ressources propres, ce sont les droits de douane, et non la signature d’accords de libre-échange qui polluent la planète, affaiblissent l’Europe et l’industrie. Malheureusement, vous n’avez pas négocié les accords de libre-échange.

Quant au Mercosur, il est extraordinaire que le Président Macron l’ait accepté à Bruxelles pour le dénoncer ensuite verbalement. J’aimerais que l’on m’explique ce double discours pour ne pas revivre le psychodrame du CETA. Pourquoi avons-nous laissé la Commission européenne signer l’accord avec le Mercosur ? Pourquoi nous y opposons-nous aujourd’hui ?

Si vous cherchez des ressources propres pour rembourser l’emprunt, taxez les produits importés, ce sera plus rapide et efficace.

Mme Liliana Tanguy. Monsieur le secrétaire d’Etat, j’espère vous accueillir bientôt en Bretagne, au port du Guilvinec, dans le Finistère sud.

La réforme du système des ressources propres, soutenue par le Président de la République dès 2017, est une grande avancée pour l’Union européenne car elle permettra de financer le plan de relance européen, sans en faire peser le remboursement sur les citoyens européens. Vous avez également souligné que les premiers versements du plan de relance seront conditionnés à l’adoption de la ratification des décisions approuvées par le Parlement européen. Bref, plus tôt les États ratifieront le dispositif des ressources propres, plus tôt nous bénéficierons des fonds du plan de relance, soit 40 milliards pour la France. Ces fonds sont nécessaires pour soutenir notre économie et préserver nos emplois.

La Commission européenne proposera avant l’été 2021 trois nouvelles ressources propres que nous devrons adopter en priorité pour qu’un accord soit trouvé sous la présidence française du Conseil de l’Union européenne, au premier semestre 2022. Comment la France prépare-t-elle cette présidence durant laquelle elle aura la lourde tâche de mener des négociations qui pourraient se heurter à la résistance de certains États ?

Mme Anne Genetet. La clarté de vos propos, monsieur le secrétaire d’Etat, et les exemples concrets que vous avez cités, auront sans doute permis à ceux qui nous regardent de mieux saisir l’importance, pour l’Union européenne, de disposer de ressources propres.

Le 19 mai dernier, lors de la présentation du plan de relance, le Président de la République déclarait que l’Europe de la santé devait devenir une priorité. Or, l’adoption par le Parlement européen, en décembre dernier, du cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027, montre que l’objectif, s’il est consacré, reste modeste. Alors que la Commission proposait de lui allouer une enveloppe de 9,4 milliards, le Conseil européen s’était accordé autour d’un montant bien moindre de 1,6 milliard. Finalement, l’Union européenne investira 5,1 milliards dans ce nouveau programme. C’est mieux mais nous restons sur notre faim.

Alors que les commandes de vaccins viennent d’être mutualisées et que nous avons pris conscience de l’importance de cette Europe de la santé, pourquoi ne pouvons-nous pas faire un plus grand effort ? Qui, parmi nos partenaires européens, s’y oppose ? Pourquoi ?

M. Sébastien Nadot. L’Union européenne est parvenue à un accord sur le système des ressources propres et nous devons nous en réjouir malgré les concessions qu’il a fallu consentir. Le versement des financements européens sera conditionné au respect des valeurs fondamentales de l’Union européenne, qu’il s’agisse de l’État de droit, de la démocratie, des droits fondamentaux. Vous nous avez fait part d’un âpre débat à ce sujet avec la Hongrie et la Pologne. Je voudrais vous interroger, non pas sur le respect de ces valeurs fondamentales par ces pays, mais par l’Espagne dont la manière de traiter les militants en faveur de l’indépendance de la Catalogne pose question. L’État espagnol a condamné de nombreux militants et élus catalans, dont l’ancienne présidente du Parlement catalan, Mme Carme Forcadell, à de lourdes peines de prison pour sédition. En violation du droit européen et d’un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne, l’État espagnol a emprisonné le député européen Oriol Junqueras, malgré son immunité parlementaire. La justice espagnole a condamné quatre autres eurodéputés qui se sont réfugiés en Belgique. Dans l’Union européenne, des élus européens d’un État membre sont ainsi obligés de se réfugier dans un autre État membre. Cette situation paraît contraire aux valeurs fondatrices de l’Union.

D’autres phases de débat sont-elles prévues pour attribuer les ressources au regard des principes d’un État de droit ? Des critères objectifs sont-ils fixés ? Ne craignez-vous pas qu’une situation comme celle des quatre eurodéputés dont la levée d’immunité sera prochainement examinée par le Parlement européen à la demande de l’État espagnol, ne prête le flanc à l’idée d’une Europe dont l’État de droit serait à plusieurs vitesses. Cette question n’est pas celle de l’indépendance de la Catalogne, mais des eurodéputés, les miens comme les vôtres, et d’un pays qui ne respecte pas les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne.

M. Jacques Maire. Monsieur le secrétaire d’Etat, bravo pour votre ténacité et celle du Gouvernement. Vous avez mené à bien cette bataille économique, juridique et politique. Ma question concernera les droits de l’Homme et le règlement du Parlement européen, plus particulièrement le mécanisme de surveillance des droits. Je suis inquiet car le débat que nous menons actuellement à Paris ou à Bruxelles n’est pas du tout le même que celui qui se tient à Varsovie ou à Budapest.

À Budapest, le Premier ministre Viktor Orbán décrit ce débat comme une lutte pour la liberté de son peuple contre Bruxelles qui voudrait envoyer en Hongrie des centaines de milliers de sans-papiers et étendre en Hongrie et en Pologne les droits des LGBT. Il ajoute que ce combat est mené contre l’expérience sociologique ratée des sociétés ouvertes et multiculturelles de l’ouest, qui serait largement entretenue par un réseau d’agents payés par M. Soros.

Il présente donc le résultat de ce règlement comme une grande victoire et la validation de ce qu’il appelle l’État de droit, à savoir un régime autocratique corrompu qui réprime les libertés. Je m’inquiète donc de l’effectivité de ce règlement.

Au-delà d’une protection de l’État de droit en général, le mécanisme peut-il être utilisé si les intérêts financiers de l’Union européenne ne sont pas en danger ? L’Union européenne aura-t-elle les moyens d’agir si le gouvernement hongrois continue de brimer les médias indépendants. Pourra-t-il le faire sans conséquence financière ?

Il est par ailleurs prévu que, si le règlement était attaqué devant la Cour de justice, la Commission devrait attendre les conclusions des juges pour arrêter ses modalités de mise en œuvre. Hongrie et Pologne pourraient-elles ainsi reporter de plusieurs années sa mise en œuvre, par exemple après les élections législatives de 2022 en Hongrie ?

Le mécanisme ne s’applique pas aux paiements qui seraient décaissés dans le cadre de l’actuel cycle et se limite au cycle 2021-2027. Les fonds du cycle qui s’achève en 2020 mais ne seront déboursés qu’en 2021 seront-ils exemptés du mécanisme de l’État de droit ?

Aujourd’hui, je ne suis pas certain que nous ayons gagné la bataille de l’opinion des démocrates en Hongrie et en Pologne. La propagande d’État, dans ces pays, a rapporté le résultat des discussions sur un ton euphorique. Je crains que, si ce mécanisme tarde à être mis en œuvre, alors que l’État de droit est régulièrement violé dans ces pays, leurs gouvernements gagnent sur deux points : ils pourront agir comme aujourd’hui et affirmer qu’ils respectent l’État de droit puisqu’ils ne sont pas condamnés. Rassurez-nous.

M. Hervé Berville. L’Union européenne est le premier pourvoyeur d’aide publique au développement au niveau mondial Quelle est votre vision de la modernisation de cette aide ? Comment envisagez-vous par ailleurs la présidence française de l’Union, qui arrive à un moment crucial pour accélérer les objectifs de développement durable ainsi que l’Agenda 2030 des Nations unies, et pour renforcer la coordination entre l’aide publique au développement européenne et les aides bilatérales ?

Mme Isabelle Rauch, présidente. Ces dernières questions ne sont pas à l’ordre du jour de cette réunion mais le secrétaire d’État est libre d’y répondre s’il le souhaite.

M. Clément Beaune, secrétaire d’État. Monsieur Mbaye, concernant les nouvelles ressources propres, j’ai déjà détaillé le calendrier envisagé dans la feuille de route agréée par le Parlement européen. Pour ce qui est du respect de l’État de droit, il y a eu une bataille de communication politique mais le mieux est d’en revenir aux faits. Pour la première fois, un mécanisme lie le budget européen et le respect de l’État de droit. Ce mécanisme est-il parfait ? Non. Marque-t-il une rupture ? Oui. C’est d’ailleurs pour cette raison que la Hongrie et la Pologne, une fois le règlement adopté, se sont fortement mobilisées : elles ont bien pris conscience de la portée politique de ce lien de conditionnalité.

Au Conseil européen de décembre dernier, nous n’avons en rien revu les dispositions du règlement relatives à l’État de droit.

Qu’est-ce qui est permis par ce règlement ? Il faudra établir un lien suffisamment direct entre la violation de l’État de droit et l’utilisation des fonds européens, ce qui peut aller assez loin. Ainsi, on pourra considérer qu’il a été porté atteinte à l’indépendance de la justice si l’utilisation des fonds européens a été entachée de fraude ou de corruption. On sait que ce n’est pas un cas d’école dans certains pays européens. Tout dépendra également de la manière dont les juges nationaux et ceux de la Cour de justice de l’Union européenne interpréteront ce mécanisme mais, en tout cas, il faudra un lien avec l’utilisation des fonds européens. Ce n’est pas un outil de nature budgétaire qui viserait à sanctionner tout accès aux fonds européens pour toute violation de l’État de droit. Ce lien sera défini par la jurisprudence. La Commission européenne évaluera si les conditions sont réunies. Le Conseil européen se prononcera par un vote à la majorité qualifiée. Deux pays – au hasard – ne pourraient bloquer, seuls, l’application de la décision que la Commission proposerait au Conseil. Ce mécanisme complète l’arsenal juridique destiné à faire respecter l’État de droit et qui a été renforcé ces dernières années. Nous devrons aller plus loin. L’article 7 du Traité sur l’Union européenne, de nature essentiellement politique, est important. Il enclenche une procédure d’explications qui peuvent aller jusqu’à la sanction. Deux pays ont déjà été visés par cette procédure, la Hongrie et la Pologne. N’oublions pas, plus généralement, l’action de la Cour de justice de l’Union européenne : lorsqu’elle a identifié des violations de principes liés à l’État de droit, consacrés par l’article 2 de ce même traité, elle les a sanctionnées. Elle a ainsi sanctionné, au titre de la liberté académique consacrée par la Charte des droits fondamentaux de l’Union, la fermeture d’universités européennes, que l’on peut considérer comme une forme d’atteinte à des principes fondamentaux ou liés à l’État de droit. Nous disposons d’un mécanisme politique, quelque peu tribunitien, osons le dire, avec l’article 7, d’un mécanisme juridique par le respect des principes européens garantis par la Cour de justice et, à présent, d’un mécanisme de nature budgétaire qui crée, pour la première fois, un lien de conditionnalité entre la perception des fonds européens et le respect de ces valeurs essentielles.

Pour ce qui est du délai, présenté par certains gouvernements comme un changement, j’y insiste – et je vous renvoie aux conclusions du sommet européen de décembre dernier : le contenu de la législation n’a pas été modifié. Ce qui est verbalisé dans les conclusions, c’est un droit déjà existant : celui pour chaque pays – M. Dupont-Aignan devrait s’en féliciter –, de contester devant la Cour de justice toute législation d’un pays de l’Union qui ne serait pas conforme au Traité, pour ce qui est tant de la procédure que du fond. Les gouvernements de la Pologne et de la Hongrie veulent intenter un recours devant la Cour de justice contre cet instrument législatif, mais ce n’est pas un droit que nous avons créé : il existait déjà. En revanche, et c’est là qu’il y a un engagement politique, la Commission a déclaré qu’elle attendrait que la Cour de justice constate une violation de l’État de droit pour proposer une sanction dans le cadre de ce mécanisme. Rien n’empêche la Commission, elle l’a assuré, de lancer dès le 1er janvier une investigation si on lui signale des fraudes graves liées à l’État de droit dans l’utilisation des fonds européens. Elle a simplement choisi d’attendre la décision de la Cour de justice pour proposer une sanction au Conseil. Soyons clairs, l’activation de ce mécanisme prendra, de toute façon, plusieurs mois. Je ne crois pas que l’on ait perdu du temps avec cette sorte de délai d’opportunité que la Commission souhaite utiliser.

Plus important encore : l’absence d’effet suspensif. Dès le 1er janvier de cette année, pour le budget 2021-2027 et pour le plan de relance, toute violation de l’État de droit qui serait constatée peut donner lieu à sanction, quelle que soit la date à laquelle la Commission constate cette violation et la signale au Conseil. Qu’une procédure soit en cours, au même moment, devant la Cour de justice, n’y changera et ne retardera rien. Le mécanisme a démarré le 1er janvier, à zéro heure. Si un État membre violait l’État de droit cette semaine, il n’échapperait pas à la sanction sous prétexte qu’une procédure est en cours devant la Cour de justice. Cela vaut pour tout le nouveau budget 2021-2027, depuis le premier jour, pour tout le plan de relance mais pas pour l’ancien budget en raison du principe de non-rétroactivité, sans que cela ait un rapport avec un recours éventuel devant la Cour de justice.

Le mécanisme est très certainement perfectible mais il est innovant et crée, pour la première fois, un lien réel et politique important entre le bénéfice des fonds européens et le respect des valeurs fondamentales. C’est essentiel. Monsieur Dupont-Aignan, il est légitime que la France soit une contributrice nette au budget de l’Union européenne car on a en a pour notre argent, mais elle peut poser des conditions, par rapport au détachement ou au respect des valeurs politiques. On ne peut pas bénéficier des largesses de l’Union sans respecter un socle essentiel qui nous relie. Les valeurs politiques en font partie.

Mme Le Peih m’a interrogé au sujet du Pacte vert. En effet, 30 %, voire 37 %, des dépenses du plan de relance et du budget seront attribuées à la lutte contre le réchauffement climatique. Concernant la taxe plastique, attention à la dénomination qui pourrait prêter à confusion : il ne s’agit pas d’une taxe ni d’une ressource propre au sens strict mais d’un mode de calcul de la contribution actuelle des États membres, qui ne change quasiment rien aux sommes en jeu. Les États les plus vertueux dans le recyclage du plastique paient un peu moins, les moins vertueux paient un peu plus. En revanche, la refonte du système des ETS, l’instauration d’une taxe carbone aux frontières et d’une taxe sur les services numériques permettront de dégager de nouvelles ressources propres.

Pourquoi voulons-nous ajuster la taxe carbone aux frontières européennes en étendant le dispositif aux entreprises étrangères ou aux importateurs vers l’Union ? Sans entrer dans les détails, ce serait la solution la plus robuste juridiquement, au regard des règles européennes et internationales. Elle nous éviterait d’engager un débat interminable pour réformer l’Organisation mondiale du commerce. Surtout, la même règle s’appliquerait aux entreprises européennes et non européennes. Il n’y a pas de raison pour que nos entreprises, qui subissent une concurrence internationale impitoyable, dans les secteurs de l’automobile, de l’acier ou du ciment par exemple, soient soumises à des contraintes écologiques que ne supporteraient pas les Chinois, les Indiens, les Américains, qui pourraient continuer à produire comme avant et à exporter leurs produits chez nous ! Ce serait injuste, inacceptable et inefficace pour le climat. Nous devons donc créer un mécanisme d’équivalence ou d’ajustement entre les obligations que nous faisons supporter à nos entreprises et celles qui pèsent sur les entreprises non-européennes.

M. Dupont-Aignan a posé toute une série de questions précises, d’ordre budgétaire ou politique. Je serai très honnête. La dette commune européenne marque une avancée fondamentale. D’ailleurs, vous avez parfois critiqué l’austérité, les positions trop allemandes de l’Europe – je n’emploie peut-être pas le bon vocabulaire mais vous reconnaîtrez vos positions. Nous avons fait progresser la solidarité européenne, c’est important. Que serait-il advenu si nous n’avions pas créé cette dette commune ni prévu un plan de relance européen de cette envergure ? Je ne parlerai pas de la France, pour décentrer le débat, mais de l’Italie. Un partenaire comme l’Italie n’aurait pas pu financer immédiatement sa réponse économique à la crise. Regardez ses taux d’intérêt sur les marchés financiers internationaux ! Ce sont de grands méchants, certes, mais quand on en dépend, il faut faire avec. À court terme, l’Italie n’aurait pas pu emprunter. La dette européenne n’est pas une construction de fédéralistes dingues mais un soutien immédiat pour nos partenaires européens. Ce n’est pas neutre pour la France, d’ailleurs ! Quand on réalise 50 % de ses exportations vers le marché intérieur, ce qui se passe ailleurs est intéressant ! Vous en serez peut-être surpris mais je partage certaines de vos critiques contre l’Europe. C’est vrai, il lui est arrivé d’être naïve, à l’intérieur comme à l’extérieur. Encore aujourd’hui, elle laisse passer des pratiques de dumping intérieur, social ou fiscal. Remontons nos manches et essayons d’améliorer la situation, sans casser un marché intérieur, un projet politique, dont je suis convaincu qu’il nous apporte beaucoup même s’il n’est pas parfait. Nous pouvons d’ailleurs le réformer. Si vous me permettez cette comparaison historique, le Général de Gaulle lui-même a accepté le marché commun, après l’avoir critiqué. Il en a même accéléré la mise en œuvre en échange du soutien de l’Europe à nos agriculteurs, confrontés à une rude concurrence. Or, le marché commun a été instauré entre 1957 et 1958, la politique agricole commune, en 1962. Le Général de Gaulle avait fait le pari que le combat continuerait et que la France gagnerait. Pour ma part, je n’ai pas l’esprit de défaite. Si cet esprit de défaite nous avait guidés, nous n’aurions eu ni plan de relance, ni vaccins. Ce vaccin que l’on achète en Europe est non seulement sûr mais aussi moins cher car nous nous sommes mis à vingt-sept pour le commander. Cet aspect de la politique vaccinale est critiqué mais je la défends bec et ongles car j’y crois dur comme fer. Elle concrétise l’efficacité de la coopération européenne. Dernier argument auquel vous serez sans doute sensible : l’Union européenne paie les vaccins deux fois moins cher que nos amis britanniques. Rien que cette économie-là se chiffre à plusieurs milliards d’euros pour la France, l’Allemagne et nos partenaires européens. Autre exemple : je sais que vous n’aimez pas beaucoup la monnaie unique mais l’euro permet à la France de réduire de près de 30 milliards chaque année la charge de la dette, soit une fois et demie notre contribution au budget européen. Avant la monnaie unique, la charge de la dette s’élevait à 37 milliards environ. Elle est la même aujourd’hui, alors que la part de la dette dans le PIB a doublé. Vous voyez que votre logique du juste retour – je paie, je reçois – est simpliste. Nous devons élargir le débat. Beaucoup de questions légitimes se posent. Je suis d’accord avec vous : il n’est pas normal qu’une usine reçoive des subventions pour s’installer en Pologne. Portons ce combat, celui de l’ajustement carbone aux frontières, mais ne parlons pas de défaut existentiel de l’Union européenne, comme si l’on se réjouissait de quelques faiblesses de cette Union, que l’on pourrait corriger à condition d’y croire et de se battre. Le plan de relance en est la meilleure preuve. Qui croyait au plan de relance, il y a un an ? Qui croyait que l’Allemagne accepterait la dette commune européenne, que la Banque centrale européenne nous ferait économiser des centaines de milliards d’euros grâce à des taux de financement plus favorables ? Sans la Banque centrale européenne, nous n’aurions pas pu instaurer le dispositif de l’activité partielle ni aider les entreprises comme nous l’avons fait. Elle a su sortir d’une orthodoxie qu’on a pu lui reprocher pour devenir extrêmement pro-croissance et soutenir les entreprises face à la crise.

Je ne suis pas un Européen béat pour qui tout va bien mais je ne me sens pas résigné. Nous pouvons nous battre ! C’est en tout cas l’état d’esprit qui a dominé chez tous les Présidents de la République depuis 1958.

Concernant le Mercosur, la position de la France est très claire et je ne vois pas ce que vous entendez par « double langage ». Ne mélangeons pas tout, il y a des procédures à respecter. La Commission européenne négocie, puis elle rend compte. Elle a ainsi conclu, à son niveau, un accord avec les pays du Mercosur, mais cet accord n’est pas encore entré en vigueur. Il ne le sera qu’une fois achevées les procédures de ratification respectives de chaque État membre. En d’autres termes, le Parlement européen doit approuver cet accord ainsi que tous les États membres, à l’unanimité. En l’espèce, je ne crois pas que vous aurez l’occasion de vous opposer à ce traité car le Président de la République a écrit à Jean-Claude Junker, en 2019, que la France n’approuvait pas cet accord. S’il est entièrement renégocié, nous verrons. Pour l’heure, les normes sanitaires et alimentaires ne sont pas suffisamment garanties, les engagements pour la déforestation sont insuffisants, ce qui est particulièrement inquiétant quand on voit l’état de l’Amazonie brésilienne. Quant à l’Accord de Paris, son respect n’est pas assuré. En l’état, cet accord avec le Mercosur n’est pas acceptable, même si les négociations durent depuis des années. Renseignez-vous auprès de nos partenaires européens : ils ont bien compris le message. Nous ne sommes pas seuls, d’ailleurs, puisque les parlements néerlandais, autrichien et irlandais partagent nos réticences.

Madame Tanguy, je vous remercie pour votre invitation. J’ai récemment accompagné le ministre des affaires étrangères, Lorientais notoire, dans le Morbihan. Je viendrai aussi dans le Finistère, où j’ai des attaches.

Les ressources propres seront l’une des batailles de la présidence française de l’Union européenne et j’espère que nous pourrons faire avancer les dossiers de la taxe sur les services numériques ainsi que de la taxation carbone à nos frontières. Menons ce combat ensemble plutôt que de partir battus d’avance.

Madame Genetet, pour la première fois, le budget consacre l’existence d’un programme de santé européen qui sera doté d’une enveloppe de 5 milliards, voire 5,7 milliards si l’on tient compte de l’inflation. C’est vrai, nous aurions pu aller plus loin, mais de nombreuses lignes augmentent et l’une d’elle consacre l’Europe de la santé. C’est déjà beaucoup. D’ailleurs, le budget ne résume pas tout ce que l’on fait pour la santé au niveau européen. Ainsi, 2 milliards d’euros ont été consacrés à l’achat commun des vaccins, indépendamment du budget. L’Europe de la santé se développe sous diverses formes, sans se limiter à l’octroi d’un budget de 5,7 milliards d’euros.

Monsieur Nadot, je ne comparerai pas la situation en Pologne ou en Hongrie, où se pose la question du droit à l’avortement ou de l’indépendance de la justice, avec celle en Espagne. Chacun pense ce qu’il veut des événements de Catalogne mais l’Espagne n’a pas géré cette crise en violant des principes démocratiques. Elle dispose d’un ordre constitutionnel et juridique, que je ne jugerai pas, qui lui permet de garantir l’application des décisions nationales et européennes. Des procédures restent en cours, vous le savez. Le Gouvernement espagnol, face à la crise, n’a pas remis en cause son cadre constitutionnel et juridique, ni violé l’État de droit. Ce n’est pas un commentaire diplomatique, je le pense sincèrement. Les voies de recours restent ouvertes aux personnes en cause, y compris au niveau européen.

M. Berville, votre question s’inscrit dans un très vaste débat. Le sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine, qui devait se tenir en octobre, a été reporté en raison de la crise sanitaire. Il se tiendra sans doute sous la présidence portugaise, qui a commencé le 1er janvier dernier. Plusieurs débats sont en cours. La France organisera un sommet pour un financement plus équitable de l’économie africaine. Nous lui donnerons bien évidemment une dimension européenne. L’architecture européenne des banques de développement est un autre sujet que la présidence française de l’Union pourrait porter. L’une de nos compatriotes est à la tête de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. La Banque européenne d’investissement, qui a augmenté le nombre de ses interventions extérieures, partage bon nombre de priorités avec l’Agence française de développement, notamment pour la préservation du climat. Tout un paysage de financements et développements se profile à l’horizon et mérite d’être amélioré. Ces sujets posent la question de la souveraineté. L’Union européenne est le premier investisseur et le premier partenaire, en Afrique. Notre influence est-elle à la hauteur de cette relation ? Non. D’autres pays, en particulier la Chine, par des actions symboliques, ciblées ou qui créent une relation de dépendance, nous concurrencent. Nous devons reconstruire cette relation, en mutualisant nos efforts plutôt qu’en allant planter chacun notre petit drapeau. Enfin, l’Europe, à la demande de la France et de l’Allemagne, s’est donné la possibilité de réserver, dans ses achats de doses de vaccins, une part qui pourra être donnée à l’Afrique – sachant que la quantité achetée suffira largement à couvrir progressivement les besoins en Europe. Nous l’avons fait par solidarité et humanité, bien sûr, mais aussi dans notre propre intérêt car il serait illusoire de croire que nous pourrions nous en sortir sans que le monde entier ait vaincu la pandémie par la vaccination. La France et l’Europe, en tout cas, soutiennent ces initiatives internationales comme COVAX ou ACT Accelerator. Voilà quelques éléments des relations entre la France et l’Afrique, auxquelles le Président de la République tient particulièrement.

Mme Isabelle Rauch, présidente. Merci pour vos réponses, monsieur le secrétaire d’État. Au nom de la commission, je tiens à assurer de tout notre soutien notre présidente Marielle de Sarnez, qui a l’Europe chevillée au corps et qui aurait aimé participer aux débats de cet après-midi.

 

La séance est levée à 17 heures 20.

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