Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

 

 Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, sur le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales (n° 3699)                            2

         Information relative à la commission.................... 17

 

 

 


Mercredi  
3 février 2021

Séance de 14 h 30

Compte rendu n° 033

session ordinaire de 2020-2021

Présidence
de M. Jean-Louis Bourlanges,
Président

 


  1 

La séance est ouverte à 14 h 35.

Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président.

Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, sur le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales (n° 3699)

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je remercie monsieur Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, d’avoir accepté d’être auditionné sur projet de loi qui comprend des dispositions importantes en matière d’évaluation et de contrôle. Nous souhaiterions que vous nous expliquiez en quoi le premier président de la Cour des comptes et la Cour des comptes pourraient apporter leur soutien à ce dispositif, l’un et l’autre étant impliqués à des titres différents dans les opérations d’évaluation et de contrôle du groupe Agence française de développement.

La Cour des comptes a publié en février dernier un rapport portant sur le pilotage stratégique par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères des opérateurs extérieurs de l’État. Ce rapport précise notamment que l’Agence française de développement (AFD) doit être bien contrôlée, encadrée et orientée. L’AFD est à la fois le bras séculier de l’État, en tant qu’elle diffuse des politiques animées par le gouvernement, et un opérateur financier qui exerce en toute responsabilité sur le marché, rassemblant des ressources et consentant des prêts. De manière générale, le rapport de la Cour rappelle l’exigence de cohérence dans les liens qu’entretiennent l’Agence française de développement et le ministère. Il conclut que le ministère peine à en orienter et à en contrôler l’action et que les instruments de pilotages dont il dispose présentent des limites qui entravent l’exercice de tutelle. Comment élargiriez-vous ces limites si vous exerciez des responsabilités importantes dans l’organisme de contrôle ? Comment le système pourrait-il être mieux piloté, contrôlé et évalué ?

Notre rapporteur, monsieur Berville, s’est engagé avec énergie et persévérance à faire aboutir ce projet de loi coconstruit entre le ministère, le parlement et ses commissions. Je lui laisse la parole. Nous veillerons à ce que cette étroite symbiose se maintienne à l’avenir.

M. le rapporteur Hervé Berville. Je vous remercie, monsieur le premier président, d’avoir accepté notre invitation dans des délais assez courts pour l’examen du projet de loi qui nous intéresse. Le sujet porté autour de cette table est moins le contrôle que l’évaluation, qui au-delà de ses impacts directs, doit être comprise comme un élément de crédibilité de notre action. Une caractéristique notoire de la politique de développement est que ses premiers bénéficiaires ne sont pas français. La redevabilité n’est donc pas la même. Dans un contexte où l’objectif est d’augmenter l’aide publique au développement à 0,55 % du RNB et même au-delà, l’évaluation devient cruciale, car c’est bien la crédibilité qui crée l’adhésion des citoyens à nos actions et le consensus. La crédibilité nous confère de surcroît une influence à l’international. La voix française sera d’autant plus écoutée sur les questions de développement solidaire qu’elle aura démontré que ses actions, qu’elles soient menées par l’Agence française de développement ou par les ambassades, ont des impacts au quotidien. L’évaluation détermine en somme les rapports de confiance que nous pouvons nouer avec les concitoyens.

Dans sa rédaction actuelle, le projet de loi institue une commission d’évaluation. Nous noterons tout d’abord qu’elle n’est pas qualifiée d’« indépendante ». Nous remédierons rapidement à cette lacune. Néanmoins, comme l’a indiqué hier le ministre, la situation peut être encore être précisée. Les débats parlementaires peuvent donc se poursuivre sur le sujet et votre présence nous est précieuse dans ce cadre.

Plusieurs questions se posent. Premièrement, comment garantir l’indépendance de la commission ? Deuxièmement, comment s’assurer de la diffusion de ses travaux à tous les publics, de manière à ce que les citoyens soient bien informés de l’aide publique au développement ? L’enjeu n’est certes pas de limiter la présentation de l’évaluation effectuée à notre commission, mais de communiquer ces travaux aux citoyens. Il nous semble essentiel de démocratiser l’aide publique au développement et d’en communiquer régulièrement les résultats au grand public. Troisièmement, quelle est selon vous la place du parlement dans l’architecture ? Personnellement, je ne suis pas favorable à ce que des parlementaires siègent à la commission. Ce n’est ni notre vocation ni notre métier. En revanche, il me semble important que la commission présente ses travaux devant le parlement ainsi qu’un bilan de la mise en œuvre de ses recommandations d’ici un an et demi. Quelle est votre perception de cette « redevabilité » de la commission ?

Le rattachement de la commission à la Cour des comptes est au nombre des scénarios que nous examinons. Il soulève au moins cinq interrogations sur la domiciliation, la présidence, la composition de la commission, le mode de travail adopté, à savoir le recours ou non à des prestataires externes, et la redevabilité. Comment envisageriez-vous les conditions d’un rattachement ?

Enfin, la Cour des comptes rend régulièrement des avis sur l’Agence française de développement, et notamment sur le rôle des tutelles. Quelles sont les avancées de ce texte dans ces domaines ? Pensez-vous que la loi vise un bon équilibre, c’est-à-dire qu’elle permette au ministère de veiller à ce que l’Agence française de développement mette en œuvre la politique du gouvernement, tout en lui laissant la flexibilité inhérente à son statut ? L’indépendance de la commission et centrale est la confiance des Français en dépendra.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Il me semble également de bon sens que les parlementaires ne fassent pas partie de la commission dès lors qu’elle doit rendre des comptes au parlement. On ne peut pas être à la fois être évaluateur et responsable. Les enjeux fondamentaux sont l’indépendance et la transparence de la commission. Je précise que je ne mélange pas le contrôle et l’évaluation et il s’agit bien d’une commission d’évaluation. Il n’en demeure pas moins que l’Agence française de développement est contrôlée. Étant donné, monsieur le premier président, que vous vous exercez aux deux bouts de la chaîne, peut-être pourriez-vous préciser comment s’articulent le rôle d’évaluateur et le rôle de contrôleur, qui restera celui des chambres de la Cour des comptes.

M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes. Je suis très heureux d’intervenir devant vous à plusieurs titres. Premièrement, le renforcement de la dimension européenne et internationale de nos travaux est pour moi un axe prioritaire, tout comme le développement de liens plus étroit avec le parlement. Deuxièmement, je connais bien votre commission, y étant intervenu à plusieurs reprises, d’abord comme ministre des affaires européennes, plus récemment comme ministre de l’économie et des finances, et comme commissaire européen. Enfin, je fus membre de cette commission entre 2007 et 2009.

Évidemment, je n’ai pas compétence pour m’exprimer sur le fond du projet de loi et pour commenter à chaud la politique du gouvernement. Ce n’est pas mon rôle et je ne le ferai pas. En revanche, j’aborderai les deux sujets du contrôle et de l’évaluation, car la Cour exerce ces deux activités. J’exposerai en un premier temps les travaux de la Cour portant sur le périmètre de la commission. Je présenterai ensuite les avantages que pourrait présenter son rattachement à la Cour des comptes si vous le décidez.

La Cour a établi cinq rapports depuis 2018 sur l’aide publique au développement. Le principal rapport concerne le groupe Agence française de développement lui-même, qui a fait l’objet d’une insertion spécifique dans notre rapport public annuel en 2019. Ce groupe comprend l’Agence et sa filiale Proparco. Il est aujourd’hui l’opérateur pivot de l’aide bilatérale française, et reconnu comme tel. Depuis une quinzaine d’années, il s’est beaucoup s’est développé, grâce à une augmentation notable de ses ressources propres et à un renforcement régulier de son assiste financière par l’État. Son directeur général monsieur Rioux a beaucoup agi en ce sens. Notre rapport expose différentes voies d’amélioration relative à la gestion et à l’organisation de l’Agence française de développement. Il souligne d’abord que sa soutenabilité financière dépendra à l’avenir de sa capacité à maîtriser ses charges, notamment de personnel. Notre rapport appelle d’une part, à refondre le statut de ces personnels, dont le régime de rémunération est assez coûteux et d’autre part, à moderniser ses systèmes d’information. Il souligne aussi que le maintien de son efficacité économique et la qualité de son portefeuille financier sont déterminants. Le prêt devrait demeurer dans les années à venir l’instrument privilégié de financement du développement.

Vous avez évoqué le pilotage de l’Agence française de développement. Dans une enquête menée en 2010, la Cour avait pointé les insuffisances du pilotage interministériel. Elles demeurent pour nous d’actualité en 2019. Le rapport recommande une réunion au moins annuelle du comité interministériel de coopération internationale et du développement (CICID). Ces recommandations sont émises depuis sa création en 1998. Il importe maintenant de soutenir son plein déploiement, ainsi que celui du conseil d’orientation stratégique qui accompagne l’AFD dans la définition de sa stratégie. Nous plaidons également pour doter les instances de gouvernance du groupe de compétences plus diversifiées, notamment bancaires et financières pour l’agence, ou d’expertise et de développement pour Proparco. Le rapport souligne enfin la nécessité d’une plus grande intégration de l’AFD et de Proparco dans les réseaux économiques et diplomatiques français. Il préconise de renforcer la capacité de l’AFD à évaluer les résultats des projets qu’elle a financés, et plus globalement sa contribution aux objectifs de l’aide publique au développement française. Je précise que nous avons inscrit au deuxième semestre de l’année 2021 un contrôle de la fonction d’évaluation au sein de l’Agence française de développement.

En sus de cette enquête sur le groupe AFD, mon prédécesseur Didier Migaud a adressé en 2019 au premier ministre un référé qui portait sur la contribution de la France au fonds vert pour le climat. Ce contrôle complétait celui par la Cour en 2015 sur le fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, et celui de 2018 sur le fonds européen de développement.

 Le fonds vert pour le climat est né en 2009 pour aider les pays en développement à atténuer les effets du changement climatique et à adapter leurs économies en conséquence. Il a été installé en Corée du sud en 2012. Il a fallu attendre 2015 pour que les pays donateurs effectuent les premiers versements et 2016 pour que les projets agréés bénéficient des premiers décaissements. En 2014, le président de la République François Hollande s’était engagé à faire contribuer la France à hauteur d’un milliard de dollars entre 2015 et 2018, soit près de 780 millions d’euros. Cela correspondant à 10 % du montant total des promesses. L’engagement a été tenu sous deux formes : un prêt concessionnel de 285 millions d’euros, que l’Agence française de développement a versé en 2017 avec une bonification d’Etat ; et un don de 489 millions d’euros que le fonds de solidarité pour le développement a versé en plusieurs tranches jusqu’en 2018. La France est aujourd’hui quatrième donateur du fond. Elle est membre de son conseil et donc pleinement légitime à s’assurer de l’emploi des contributions au plus près de l’objet du fond. Dans son référé, la Cour a attiré l’attention du gouvernement sur les délocalisations coûteuses des réunions du conseil du fond, ainsi que sur la nécessité de maîtriser les coûts élevés d’instruction et de gestion des actions financées. Le fonds vert approuve les projets, mais en confie l’exécution à des agences de développement qu’il agrée, dont l’AFD. L’addition des coûts de gestion peut sembler disproportionnée dans certains cas par rapport au bénéfice final pour les économies locales. La Cour ajoute qu’il est également important de s’assurer du caractère complémentaire et concordant des financements multilatéraux de la France en faveur de l’environnement et du climat, de façon à ce que les priorités de la France se reflètent dans celles du fonds vert pour le climat.

Un autre fonds fait l’objet d’un travail de la Cour remis aux assemblées parlementaires l’année dernière. Il s’agit du fonds d’investissement et de soutien aux entreprises en Afrique. Créé par Nicolas Sarkozy pour soutenir les PME africaines, le FISEA a été doté de 250 millions d’euros et c’est le premier fonds d’impact français doté en capital. Il avait pour objectif de créer ou soutenir 100 000 emplois et de regrouper 1 milliard d’euros d’investissements. Il s’agit d’un instrument financier assez original, à mi-chemin entre subvention et fonds de capital. Il revêt la forme d’une société par actions simplifiées, dont la gestion est assurée par Proparco. L’intégralité du capital n’a été libérée que fin 2019. Notre rapport fait état d’une distribution des investissements certes diversifiée, mais trop orientée vers l’Afrique orientale anglophone. En outre, l’objectif de parité entre le nombre des investissements directs dans les entreprises et les prises de participation dans d’autres fonds n’est pas respecté. Le bilan financier des dix dernières années, en perte de 80 millions d’euros, nous est apparu décevant. La Cour, constatant que l’activité du fond est rentable pour Proparco, recommande aussi de mieux mesurer la création d’emplois directs et indirects liée à l’intervention du FISEA, notamment au moyen d’évaluations contrefactuelles.

J’en viens au quatrième rapport. En 2020, la Cour a mené à la demande du Sénat une enquête sur le pilotage stratégique des opérateurs du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Une large part de cette enquête a été consacrée à l’aide au développement. Le rapport souligne la nécessité d’une plus grande coordination tant entre les directions du ministère qu’avec les autres ministères compétents et avec les opérateurs eux-mêmes. Cela répond indirectement à la question que vous posiez concernant les tutelles et illustre la progression de la force de frappe de l’Agence française de développement. L’élargissement de ses périmètres géographique, thématique et sectoriel lui permet de couvrir l’ensemble du champ de la coopération et de la solidarité internationale. Elle apparaît à la Cour des comptes comme l’héritière institutionnelle de l’ancien ministère de la coopération.

La Cour pointe plusieurs défaillances du dispositif de pilotage stratégique de l’AFD, déjà mises en évidence lors de son contrôle de la direction générale de la mondialisation en 2018. Elles se traduisent par l’absence de contrats d’objectif et de moyens, de lettres de mission du directeur général, ainsi que par l’absence de révision depuis 2007 de la convention régissant les relations financières entre l’État et l’AFD. Par conséquent, la Cour recommande la mise en place d’une instance de pilotage stratégique au niveau des tutelles de l’AFD, ainsi qu’un meilleur encadrement de l’activité de don financée sur crédits budgétaires. La Cour a également émis des réserves quant au rapprochement d’Expertise France et de l’AFD prévu prochainement. Cette opération ne doit pas conduire à amoindrir la capacité du ministère de l’Europe et des affaires étrangères à orienter et à contrôler les travaux d’expertise internationale.

Nous formulons régulièrement, dans nos notes d’exécution budgétaire, l’observation suivante : en 2019, le montant total des crédits de la mission d’aide publique au développement s’élève à 4,5 milliards d’euros en autorisations d’engagement et à 3,8 milliards d’euros en crédits de paiement. La mission est interministérielle, regroupant le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et le ministère des finances. Elle ne représente que 42 % de l’effort budgétaire de l’État en matière d’aide publique au développement, le reste étant réparti dans vingt-deux autres programmes budgétaires, notamment au sein des missions actions extérieures de l’Etat ou en prêts à des États étrangers. Cela soulève trois grandes difficultés. La première est la soutenabilité budgétaire, c’est-à-dire la reconstitution des fonds multilatéraux, et notamment le doublement de notre contribution au fonds vert pour le climat. La deuxième difficulté est liée à l’importance des crédits extrabudgétaires. Dans tous ses travaux effectués sur le budget de l’État, la Cour déplore depuis plusieurs années cette tendance qui porte atteinte au principe d’unité et d’universalité budgétaires dont nous sommes les gardiens. S’agissant de la mission Aide publique au développement, ces crédits extrabudgétaires proviennent de la taxe sur les billets d’avion et de la taxe sur les transactions financières françaises. Nous attentons toujours l’établissement d’une taxe européenne, projet auquel j’ai ardemment travaillé dès 2013 lorsque j’étais ministre, puis pendant cinq ans en tant que commissaire européen. Quoi qu’il en soit, la tendance s’est inversée en 2019 avec la réintégration au sein de la mission de 270 millions d’euros issus du produit de la taxe sur les transactions financières. La troisième difficulté est une efficacité insuffisante de la fonction évaluation au sein de l’AFD, au regard des montants envisagés.

De manière générale, la Cour des comptes a abordé ces dernières années l’aide publique au développement dans plusieurs travaux d’envergure qui mobilisent des équipes nombreuses et indépendantes. Les enquêtes conduites viennent compléter les anciennes et elles nourrissent de futurs travaux d’instruction. Elles permettent d’aborder le sujet de façon globale et d’entretenir une expertise de longue date sur le sujet. La fonction de contrôle est importante à la Cour et elle persistera. Nous sommes en train de mener une enquête sur la contribution de la France en matière d’APD dans le domaine de la santé. Elle aborde notamment la lutte contre les grandes épidémies, le renforcement des systèmes de santé et la gouvernance sanitaire dans les pays bénéficiaires. Le rapport sera prolongé au second semestre 2021 par l’examen de la présence française dans les institutions internationales en charge de la santé, en particulier l’OMS.

Tous les travaux que j’ai présentés défendent au fond deux convictions. Premièrement, l’aide publique au développement est d’une importance cruciale pour les pays concernés, notamment au niveau multilatéral. Cela fait partie intégrante du rayonnement de notre pays et de son devoir, presque moral, à l’égard du sud. Deuxièmement, il convient d’être très attentif à l’efficacité de cette aide en évaluant ses impacts directs et indirects. Il est préférable de raisonner en termes de résultats concrets et durables plutôt qu’en termes d’enveloppes allouées. Au regard des enjeux qu’elle défend, le climat, la santé, l’éducation et les inégalités, l’aide publique au développement ne peut pas se permettre de ne pas atteindre ses objectifs. C’est pourquoi l’évaluation et le contrôle sont les deux faces d’une même pièce.

J’en viens ainsi à la commission indépendante d’évaluation prévue par le projet de loi de programmation. Du fait de sa mission constitutionnelle d’évaluation des politiques publiques, la Cour des comptes souscrit à la nécessité d’une évaluation renforcée de la politique de développement. Elle l’a appelée de ses vœux dans plusieurs de ses travaux. Dès lors, la Cour des comptes ne peut que saluer l’objectif porté par le projet de loi. La commission d’évaluation existe déjà dans d’autres pays, notamment au Royaume-Uni et en Allemagne. Je pense comme vous, monsieur le député, que la politique de développement ne peut pas échapper plus qu’une autre à l’exigence accrue de redevabilité. J’ai moi aussi la conviction que la redevabilité peut devenir un axe stratégique. La place que vous lui accordez dans votre projet de loi me semble tout à fait bienvenue.

Le projet de loi est actuellement discuté dans votre assemblée. Je sais que parmi les dispositions à clarifier figure l’organisme de rattachement de la commission d’évaluation. Les débats de votre commission et de l’assemblée sont souverains. Mon rôle n’est pas de participer à vos échanges, mais je peux contribuer à les éclairer. Dans cette perspective, je souhaiterais présenter les différents avantages que présenterait une commission indépendante d’évaluation de la politique de développement rattachée à la Cour des comptes. Le premier serait de faire bénéficier la commission de l’expertise de la Cour sur les sujets se trouvant au cœur de son activité. Cette expertise s’exerce aussi bien dans le contrôle et l’audit des fonds publics que dans l’évaluation des politiques publiques. La mission nous en a été confiée par la constitution en 2008 dans le cadre de notre rôle d’assistance au parlement et au gouvernement. L’évaluation complète depuis lors nos missions plus historiques que sont le contrôle juridictionnel, la certification des comptes publics et le contrôle de gestion des organismes publics. Ces missions traditionnelles sont précieuses pour l’évaluation, car elles nous offrent une connaissance intime des acteurs publics, et la capacité à travailler de manière interdisciplinaire. Nous avons progressivement bâti notre propre méthode d’évaluation, exercée dans le respect des principes fondamentaux d’indépendance, de collégialité et de contradiction qui s’attachent à l’ensemble de nos travaux. Travailler avec la Cour des comptes est une garantie d’indépendance absolue. Le choix a été fait de ne pas confier exclusivement l’évaluation à une chambre spécialisée. Elle s’exerce ainsi de manière transversale, c’est-à-dire que chacun peut faire de l’évaluation à la Cour des comptes. Dans le cadre du projet stratégique que je prépare pour la Cour, je souhaite que nous multipliions par cinq les ressources que nous consacrons à l’évaluation durant les cinq années qui viennent. Elle représente aujourd’hui 4 à 5 % de nos missions. Je souhaite faire croître ce taux à 20 % dans cinq ans. Nous confrontons régulièrement notre méthode avec celles d’autres institutions supérieures de contrôle. Nous présidons notamment le groupe de travail sur l’évaluation des politiques publiques de l’INTOSAI. Cette organisation anime en particulier des formations sur ce thème.

La Cour des comptes s’est par ailleurs dotée d’un guide méthodologique dédié à la conduite de projets. En matière d’analyse quantitative, nous comptons désormais une équipe importante de data-scientists. Nous avons noué plusieurs partenariats avec des laboratoires universitaires de recherche, avec Sciences-Po, avec l’École d’économie de Paris et avec le CNRS. Grâce à ces adaptations et à la robustesse de ses méthodes, la Cour a été amenée à évaluer depuis 2011 vingt-cinq politiques ou dispositifs publics, et ce en grande partie à la demande du parlement. Nous avons évalué récemment à sa demande les politiques publiques de lutte contre la pollution de l’air. Nous ne sommes pas le seul acteur de l’évaluation des politiques publiques en France et ne revendiquons pas de l’être. Néanmoins, nous disposons d’atouts que les autres ne possèdent pas. Le premier est notre assise constitutionnelle, notre lien privilégié avec le parlement. Nous sommes habitués à travailler ensemble. Je pense également à certaines pratiques bien établies comme les enquêtes de terrain, la constitution d’échantillons de travail représentatifs ou au suivi des recommandations. Je pense encore au travail mené en réseau avec les chambres régionales et territoriales des comptes qui permet de coordonner les niveaux central et territorial lors d’une enquête. J’ai annoncé récemment mon intention de défendre ces atouts pour faire de la Cour l’instance de référence en France dans le domaine de l’évaluation des politiques publiques. Si la commission d’évaluation que vous envisagez de créer nous était rattachée, elle pourrait tirer profit de notre expertise en matière d’aide publique au développement, de nos méthodes de travail et de nos partenariats. Elle profiterait en un mot de ce qui fait le sérieux et la qualité des travaux de la Cour. Une autre mission au cœur de notre identité est l’information du citoyen. Sur ce point également, nous pourrions aider la commission à remplir les objectifs que le législateur lui assignerait.

Le deuxième avantage que présenterait une commission d’évaluation adossée à la Cour serait de bénéficier de notre indépendance institutionnelle et de notre positionnement à équidistance du gouvernement et du parlement. Je le répète, la Cour entretient une relation privilégiée avec le parlement. Ces liens étroits sont une chance et une responsabilité que nous mesurons pleinement. L’équilibre entre indépendance et dialogue nous permet de travailler à l’abri des pressions extérieures. Le choix de rattacher la commission d’évaluation à la Cour assurerait une réelle indépendance à celle-ci par rapport au gouvernement et aux administrations qui sont en première ligne de l’aide publique au développement. Le fait que la commission soit représentée à l’extérieur par le premier président de la Cour des comptes enverrait également un signal fort à nos partenaires.

Pour résumer, il m’apparaît pertinent – et c’est la position de la Cour des comptes que j’exprime ici et pas seulement la mienne – que la commission indépendante d’évaluation soit adossée à une institution indépendante qui conduit déjà au nom de la Constitution des évaluations de politiques publiques, notamment de développement. Le législateur a choisi à plusieurs reprises dans le passé des organismes indépendants à la Cour. Je pense notamment au conseil des prélèvements obligatoires et au conseil des finances publiques, que j’ai présidé ès qualités. Le troisième avantage est que la Cour des comptes détient déjà une riche expérience dans l’animation de ce type de structure. 

Je vais maintenant répondre aux cinq questions que vous avez posées. Pourquoi avoir choisi de rattacher le conseil des prélèvements obligatoires (CPO) à la Cour ? Au-delà de l’impératif d’indépendance prévu par le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, ce choix était motivé par deux raisons. Premièrement, il nous semblait nécessaire, compte tenu de la place occupée par la Cour dans notre système institutionnel, économique et financier, qu’elle fût partie intégrante du dispositif. Deuxièmement, nous souhaitions pouvoir établir des synergies entre la Cour et le conseil. De ce point de vue, le contrôle et l’évaluation ne s’opposent pas. Le conseil est une structure spécifique, distincte de la Cour des comptes. Il a son service de communication et son propre site internet. Néanmoins, il bénéficie de ses moyens d’expertise. En outre, il est proche du parlement, il en est un allié et lui présente systématiquement ses travaux. Je souligne que ni le haut conseil des finances publiques ni le conseil des prélèvements obligatoires n’ont privé la Cour de ses missions et prérogatives traditionnelles. La Cour ne s’est pas non plus privée de l’ouverture nécessaire et bienvenue à d’autres membres, y compris des parlementaires. Vous déciderez si la commission doit compter ou non des parlementaires et j’entends vos réserves. Les deux conseils des prélèvements obligatoires et des finances publiques ne comptent pas aujourd’hui de parlementaires, mais des personnalités qualifiées nommées par les présidents des deux assemblées. Ils comptent aussi d’anciens parlementaires et d’anciens élus, ce qui n’est pas inutile dans les domaines financiers. Leur présence enrichit l’expérience, au-delà de celle de nos magistrats et rapporteurs.

Il me semble que dans le cadre du projet de loi qui vous occupe, les avantages du rattachement de la commission indépendante à la Cour seraient les mêmes que ceux que j’évoque. Face aux questions que vous avez posées, plusieurs formules sont envisageables. Le CPO, par exemple, est une structure légère qui ne compte pas de personnel permanent et qui établit un rapport par an. Ses réunions sont présidées par le premier président de la Cour des comptes et un secrétariat général, mais le CPO n’est pas une vraie institution. Le haut conseil des finances publiques est une véritable institution qui porte à la fois une mission budgétaire et des méthodes de travail éprouvées. Le haut conseil rapporte systématiquement devant les commissions parlementaires. Se pose aussi la question des moyens. Dans le premier cas, un magistrat de la Cour fait office de secrétaire général à temps partiel. Dans le deuxième, la structure compte maintenant cinq personnes qui conduisent une mission permanente. En somme, l’alternative est, d’un côté, une structure souple et légère et de l’autre une véritable institution dotée de moyens. Dans les deux cas, la commission est rattachée à la Cour et hébergée par elle. Néanmoins, alors que dans le premier cas, les missions seraient portées par des personnes en sus de leur activité principale, dans le deuxième, des personnels seraient affectés à l’institution avec des bureaux, des moyens et un secrétariat.

En conclusion, nous sommes volontaires à la Cour des comptes pour accueillir la commission et participer à son animation dans les conditions que vous définirez. Son existence nous paraît non seulement souhaitable, mais même nécessaire. Les trois avantages d’un rattachement de la commission à la Cour sont l’expertise, l’indépendance et l’expérience, que nous possédons de manière assez unique parmi les évaluateurs. Si vous nous confiez cette responsabilité, nous mettrons tout en œuvre pour défendre dans la politique de développement la transparence, la redevabilité et l’efficacité dont les personnes ont grand besoin. À titre personnel, je serais très enthousiaste de contribuer à l’enrichissement de la politique de développement solidaire, tant je suis persuadé du rôle que peut jouer notre pays peut jouer dans ce domaine. Ce serait pour moi un investissement personnel tout à fait important.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Merci, monsieur le premier président pour votre exposition précise des raisons pour lesquelles la commission d’évaluation pourrait s’adosser à la Cour des comptes. Les deux arguments importants pour notre commission sont l’indépendance de la cour, et ses compétences, notamment issues des opérations qu’elle a menées. Je donne maintenant la parole aux représentants des groupes.

M. Jean-François Mbaye. Le projet de loi, qui succède à la loi d’orientation de 2014, fait évoluer considérablement les ambitions de notre pays en matière d’aide publique au développement puisque l’objectif est de porter l’aide publique à 0,55 % du RNB de notre pays. La trajectoire est ambitieuse et d’autant plus incontournable que la pandémie risque de porter atteinte aux avancées obtenues en matière de solidarité internationale. Monsieur le premier président, les responsabilités qui sont les vôtres font sans doute du « quoi qu’il en coûte » une philosophie discutable à vos yeux, mais il est des causes qui méritent qu’on y investisse à la mesure des besoins identifiés. Investir beaucoup ne signifie pas investir n’importe comment et l’expertise de la Cour des comptes est précieuse pour déterminer les actions à entreprendre pour faire mieux et non moins. Dans cette perspective, je souhaiterais des précisions concernant l’affectation du produit des taxes sur les billets d’avion et sur les transactions financières, car la dernière analyse de l’exécution budgétaire de la mission APD en dénonçait l’opacité. La note indiquait qu’un audit externe était mené afin de traiter ce problème. Quelles sont les conclusions de cet audit ? Par ailleurs, certains acteurs militent pour un fléchage accru du produit de ces taxes vers le fonds de solidarité pour le développement (FSD). La note d’exécution budgétaire préconisait une évaluation de l’utilisation des crédits transitant par le FSD au profit des fonds multilatéraux et de l’APD. Avez-vous des informations à ce sujet ?

M. Michel Herbillon. Monsieur le premier président, vous avez plaidé en creux dans votre intervention pour que la Cour des comptes intervienne dans la commission d’évaluation et de contrôle. Je n’aurai qu’une question à poser : si vous vous mettiez à notre place, que vous avez d’ailleurs occupée, quels arguments développeriez-vous pour faire obstacle à la réticence de certains parlementaires face à un rattachement de la commission à la Cour des comptes ? Nous sommes enthousiastes quant au vote de ce projet de loi, car nous sommes très attachés à la politique d’aide au développement de notre pays, mais nous souhaitons qu’elle se traduise par des résultats lisibles et identifiables, par conséquent évalués et contrôlables.

M. Pierre Moscovici. Je peux faire preuve d’imagination jusqu’à un certain point, mais je ne peux pas me mettre à la fois à la place du parlementaire que je fus et de celui que vous êtes. Je souhaiterais donc que les réticences auxquelles vous faites allusion me soient présentées.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La question était un peu appelée par votre développement. Lorsqu’on décrit le "porte-avions" Cour des comptes, entouré de ses organismes, pourquoi ne pas ajouter un nouveau navire à la flotte amirale ?

M. Alain David. Je souhaiterais revenir sur la note d’analyse de l’exécution 2019 de la Cour des comptes, et en particulier au paragraphe titré « Une soutenabilité fragile à court et moyen termes ». La Cour a rédigé le passage ainsi : « L’augmentation des crédits de la mission s’inscrit dans la volonté du président de la République de porter le montant global de l’aide publique au développement à 0,55 % du revenu national brut d’ici 2022 et des décisions du comité interministériel de la coopération internationale et du développement de février 2018. Elle résulte également du rythme de reconstitution de fonds multilatéraux, avec notamment l’annonce par le président de la République du doublement de la contribution française du fonds vert pour le climat, portant ainsi l’engagement français à 1,5 milliard d’euros sur la période 2019-2023. De plus, la France s’est engagée, lors de la sixième conférence de reconstitution du fonds mondial contre le VIH SIDA, la tuberculose et le paludisme qui s’est tenue à Lyon en octobre 2019, à augmenter sa contribution de 20 % pour atteindre 1,3 milliard d’euros sur trois ans, ce qui pourrait poser un problème de soutenabilité budgétaire. » Ceci était écrit avant la crise sanitaire. Monsieur le premier président, pensez-vous qu’il soit possible pour nos finances publiques d’atteindre en 2022 un montant global d’aide publique au développement correspondant à 0,55 % du revenu national brut ? 

M. Jean-Michel Clément. Monsieur le premier président, vous avez indiqué que l’évaluation va prochainement gagner en indépendance, mais l’adossement de la commission d’évaluation à la Cour des comptes ne risque-t-il pas de limiter l’évaluation à un contrôle trop technique, qui ne serait que la vérification d’une bonne gestion comptable ? Au-delà du travail quantitatif, nous avons besoin d’éléments qualitatifs et d’un certain sens critique. La question de la soutenabilité des 0,55 % a été évoquée, mais nous savons qu’un certain nombre d’apports ne bénéficieront pas directement aux populations concernées. La population de destinataires ne sera pas forcément fléchée. Ce problème sera-t-il pris en compte dans vos travaux ? Nous sommes tous favorables à faire plus et mieux, mais le plus est une chose, le mieux en est une autre.

M. M'jid El Guerrab. Les activités internationales de la Cour des comptes impliquent des actions de coopération bilatérales avec d’autres instituts supérieurs de contrôle des finances publiques étrangers, des contributions aux travaux de normalisation internationale des pratiques de contrôle et d’audit, ainsi que des travaux dans le cadre de mandats d’audit externes d’organisations internationales. Vous-même, monsieur le premier président, êtes le commissaire aux comptes de plusieurs organisations internationales et en état de procéder à l’examen de la gestion de ces organisations à travers des audits de performance et de régularité. Vous répondez en cela à des demandes de bailleurs de fonds tels que la Banque mondiale ou la Commission européenne que vous connaissez bien. Par ailleurs, l’activité de coopération bilatérale peut prendre la forme de jumelages. Tel est le cas avec la Tunisie, l’Algérie ou le Maroc, sous l’égide de l’Union européenne ou à travers des accords de coopération avec le Brésil, le Niger, la Chine, la Chili et le Sénégal notamment. Je m’en réjouis, car la Cour des comptes est ainsi présente dans un certain nombre de pays de ma circonscription des Français à l’étranger. Or, comme le dit une auditrice de la Cour des comptes, il faut savoir varier ses sources d’apprentissage. Comment percevez-vous la perspective d’un adossement de l’Agence française de développement à la Caisse des dépôts et consignations ? Comment faire en sorte que l’argent de l’épargne des Français puisse être mis au service de l’aide publique au développement pour amplifier notre capacité d’action ? En second lieu, s’agissant de la mission de contrôle et d’évaluation, nous sommes face à un problème de communication de notre aide publique au développement aux populations locales. Comment concevez-vous l’évaluation dans le cadre de la nouvelle instance qui serait créée ?

M. Brahim Hammouche. Monsieur le premier président, je souhaiterais vous interroger sur trois points concernant le développement solidaire et la lutte contre les inégalités mondiales. Premièrement, la trajectoire budgétaire ambitieuse d’augmentation de la contribution pour atteindre 0,55 % du RNB est percutée par le contexte sanitaire et économique mondial. L’objectif vous semble-t-il toujours accessible? Ma deuxième question concerne la coordination des acteurs de terrain et le rapprochement des opérateurs. Quelles sont vos recommandations pour permettre de mettre en relation les autres opérateurs ? On m’a souvent parlé de Campus France et Business France. Quels sont les moyens d’éviter la dispersion des énergies et l’émiettement des aides publiques? Enfin, au-delà de la coordination, comment structurer le pilotage afin de gagner en efficacité ? Nos ambassades sont en première ligne, mais quelles seraient les conditions matérielles et humaines permettant d’assurer au mieux l’aide au développement ?

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Certes, l’évaluation et le contrôle sont distincts. Néanmoins, le contrôle, en tant qu’exigence d’information et de sanction, repose sur une évaluation. Or, la Cour, tout en veillant à la régularité et à l’exactitude des dépenses publiques dans son activité de droit commun, est de plus en plus soucieuse d’efficience et de mesure de la performance. En vous écoutant, monsieur le premier président, on a le sentiment que l’Agence française de développement bénéficiera des qualités d’indépendance et des compétences de la Cour des comptes. Néanmoins, que restera-t-il lorsque la cour sera amenée à effectuer son contrôle ? En d’autres termes, n’est-on pas contraint de distinguer le contrôle « noble » de la commission, qui évaluera l’efficience des politiques mises en œuvre, c’est-à-dire leur conduite au moindre coût par rapport aux avantages requis ? Comment s’articulera-t-il avec le travail de la Cour des comptes ? Par ailleurs, il me semble percevoir une certaine impatience de la Cour à voir internalisés un certain nombre d’organismes juridictionnels comme la cour de discipline budgétaire ou le conseil supérieur des finances publiques. Comment percevez-vous ce partage ?

L’objectif de 0,55 % a été évoqué par plusieurs membres de la commission. On ne sait plus très bien ce que recouvrent ces chiffres. Lorsqu’on apure une dette, le taux de participation monte sans qu’on sache précisément comment s’effectue ce mouvement et s’il est volontaire. On est confronté à un problème de règles du jeu, chacun ayant tendance à comptabiliser l’effort en valorisant sa propre contribution. Le ministre a rappelé à juste titre que la loi est celle de l’OCDE, mais un certain nombre d’acteurs se soustraient à ce cadre. Quels sont les efforts à mener pour rendre ces engagements financiers réalistes et homogènes?

M. Pierre Moscovici. Je commencerai par répondre aux questions budgétaires avant d’en venir au contrôle et à l’évaluation. Tout d’abord, monsieur le député Mbaye, je ne suis pas un pourfendeur du « quoi qu’il en coûte », mais un défenseur d’une trajectoire de dette soutenable et d’une qualité de dépense publique assurée dans la durée. Le « quoi qu’il en coûte » durera le temps nécessaire, car face à une crise aussi importante que celle que nous vivons, il est logique de mettre à disposition des moyens budgétaires. Néanmoins, d’une part, nous finirons bien par sortir de cette crise et d’autre part, nous ne pouvons être certains que le contexte de taux d’intérêt bas perdure. Nous devons par conséquent réfléchir à ce que peut être une trajectoire de dette à moyen terme et il serait irresponsable de faire l’économie de ce travail. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’une dette puisse être annulée ou mutualisée d’un coup.

L’audit relatif à la taxe sur les billets d’avion et à la taxe sur les transactions financières est en cours. Je ne peux donc vous donner davantage de précisions, mais la critique de notre rapport portait davantage sur la débudgétisation que sur l’opacité. La soutenabilité budgétaire a été évoquée par la Cour, car elle est conditionnée à des ouvertures de crédits supplémentaires de la mission APD. Dans quelques semaines, nous examinerons l’exécution budgétaire 2020 et nous verrons en quoi la crise sanitaire a influé sur l’augmentation des crédits prévue en loi de finances initiale. En ce qui concerne le fonds d’investissement et de soutien aux entreprises Afrique (FISEA), nous avons examiné en quoi le destinataire était touché. Nous savons porter une appréciation sur la performance du fonds, ce qui est constitutif d’une bonne démarche d’évaluation. La trajectoire budgétaire n’est pas remise en cause pour l’heure.

La coordination des acteurs de terrain doit être renforcée autour de l’ambassadeur. De bonnes pratiques ont été déployées à ce niveau. S’agissant du pilotage, la coordination doit être renforcée d’abord au plan ministériel, puis au niveau local. Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères doit veiller dans son activité de tutelle à faire prévaloir les objectifs de l’APD française tels qu’ils sont définis par les CICID. Enfin, je ne me prononcerai pas ex ante sur une éventuelle fusion avec la Caisse des dépôts.

Nous avons besoin de l’appui du parlement dans notre institution d’audit. Nous sommes candidats à la mission de contrôle des Nations unies pour la période 2021-2027. Nous aurons besoin du soutien de toutes les autorités françaises pour y parvenir. Ce serait une plateforme importante pour la Cour et pour la France.

S’agissant de l’objectif de 0,55 %, le point important est la constance de l’engagement pris par la France au service d’une politique de développement solidaire. Le niveau a été fixé à un certain moment et sous certaines conditions, mais il faut aussi prendre en compte la question de la pente. En cette période cruciale, on doit différencier les pays qui maintiennent et augmentent leur effort, alors que d’autres, comme le Royaume-Uni, ont décidé de le réduire. C’est par la différence entre le niveau et la pente qu’on peut appréhender la pertinence des chiffres.

J’en viens maintenant aux réticences. S’agissant de la métaphore du « navire amiral », il me semble que c’est un atout pour la Cour des comptes de compter dans son enceinte le conseil des prélèvements obligatoires, le conseil des finances publiques et la cour de discipline budgétaire et financière. L’unité de lieu permet des synergies et des complémentarités. La cour est indépendante et impartiale parce qu’elle est collégiale. Elle compte son premier président, mais aussi toute une collectivité autour de lui, notamment les chambres qui mènent les travaux.

La question importante est de déterminer si le contrôle et l’évaluation entretiennent un rapport de contradiction ou de complémentarité. Je peux plaider clairement pour la complémentarité. Le métier traditionnel et principal de la Cour est le contrôle, juridictionnel ou organique. Elle compte en outre comme je l’ai dit des métiers d’évaluation, qui représentent 5 % des ressources et que je souhaite porter à 20 % sur les cinq ans qui viennent. Les chambres mènent à la fois des contrôles et des évaluations. Nous savons faire les deux et les opérations sont menées en toute impartialité. Il est hors de question que quiconque y touche. La fonction de contrôle est bien distincte de celle de l’évaluation. Une évaluation de la politique publique n’est pas le contrôle d’un organisme. De ce point de vue, il existe à la Cour des savoir-faire dont une commission d’évaluation indépendante peut se nourrir. 

Il n’y a pas non plus de contradiction entre les chambres de la cour et les institutions hébergées par la Cour. Par exemple, le haut conseil des finances publiques aborde des questions qui peuvent être traitées également par la première chambre de la Cour des comptes sur les finances publiques. Les angles d’attaque sont différents. Nous pouvons donc très bien faire croître le haut conseil des finances publiques sans affaiblir la Cour. Je ne souhaite pas « endogénéiser » ces institutions au sein de la Cour des comptes. Les institutions sont indépendantes et se nourrissent de nos travaux. Il en irait de même pour la commission d’évaluation si elle était adossée à la Cour des comptes.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous pouvons à présent en venir aux questions des députés.

Mme Bérengère Poletti. Monsieur le premier président, nous entendons très souvent des annonces intéressantes de la Cour des comptes que nous faisons nôtres, mais je ne suis pas certaine qu’elle soit toujours entendue dans ses recommandations. Évaluez-vous la quantité de vos avis ou recommandations qui sont suivis par le gouvernement ? Les avis de la Cour des comptes sont très souvent d’ordre budgétaire, comptable et financier, or l’aide publique au développement s’étend bien au-delà de ces sujets. Je salue la mise en place par le gouvernement d’une commission par l’intermédiaire de ce texte. Je salue également l’ouverture démocratique de cette commission réaffirmée hier par le ministre. Celle-ci pourra en effet nourrir et amender le texte. Je souhaiterais en changer le titre en « commission indépendante d’évaluation et de contrôle ». Ces ajouts sont importants. La situation de la commission est exemplaire en Grande-Bretagne : la commission est indépendante, elle a ses propres locaux et elle rend compte chaque année au parlement.

La commission sera importante pour emporter l’adhésion et la confiance du public. Si les citoyens souhaitent que la France soit solidaire et apporte son aide aux pays, leur confiance est limitée faute de transparence. Nous-mêmes au parlement ne bénéficions pas de toute la transparence requise. Nous étudions chaque année 30 % seulement du budget de l’aide publique au développement. Le document des politiques transversales est très complexe et nous avons besoin de documents synthétiques afin de nous approprier les sujets. Enfin, sur le plan financier, le multilatéral a prévalu sur le bilatéral ces dernières années. Ne serait-il pas souhaitable de renforcer les politiques bilatérales d’aide au développement ?

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Il est clair que le multilatéralisme ne doit pas être l’alibi d’un désengagement du bilatéral.

Mme Marion Lenne. L’AFD est à la fois un établissement public industriel et commercial et une société de financement ; c’est un vrai casse-tête juridique pour moi qui considère que l’enjeu de l’agro-international dont je suis spécialiste est de semer de bonnes graines dans des sols parfois très dégradés par de mauvaises pratiques agricoles. À la lecture du texte qui nous occupe et au regard des activités exercées, peut-on dire que l’Agence française de développement exerce un monopole, avec les conséquences que cela entraîne sur l’aide au développement française ? Sommes-nous confrontés parfois à une forme d’autodétermination abusive de certains EPIC, comme notre présidence de commission l’évoquait hier lors de l’audition du ministre Le Drian ? Comment y remédier ?

M. Jacques Maire. L’exercice d’évaluation tel qu’il peut être mené par la Cour des comptes en matière d’aide publique au développement est difficile, car il concerne des populations et des maîtres d’ouvrage qui ne sont pas français. Le champ d’évaluation d’audit ou de contrôle des bailleurs de fonds s’arrête en général à la frontière de la souveraineté du bailleur. Certes, il est toujours possible d’interroger des panels d’utilisateurs finaux, mais lorsque la difficulté porte sur les problématiques internes aux maîtres d’ouvrage ou sur l’administration locale, on se heurte à une frontière. L’enjeu est donc de faire des acteurs locaux des co-évaluateurs. Cela permet d’augmenter la redevabilité financière et politique. Trois acteurs sont importants : le maître d’ouvrage local, le bénéficiaire ultime, c’est-à-dire la population, et le parlement du pays bénéficiaire. Comment pensez-vous les prendre en compte ? Il me semble que bâtir une plateforme de coopération vis-à-vis de ces acteurs serait un véritable progrès pour le travail d’évaluation, à la fois en termes de qualité et de lisibilité. Par exemple, la chaire Sahel, financée par l’Agence française de développement, apporte bien plus à l’évaluation de notre impact que nos propres évaluations. Il est nécessaire de dynamiser l’action politique locale en associant plus étroitement les parlementaires étrangers à la problématique des financements internationaux. Enfin, la présidence de la commission me semble comporter un enjeu symbolique. Il serait intéressant de compter à la présidence une personnalité d’un pays bénéficiaire dotée des compétences requises d’évaluateur ou de financeur. Le défi porte aussi sur notre capacité à construire un nouveau type d’approche.

M. Sébastien Nadot. Le rapport de la Cour des comptes est édifiant, même si le voile entourant la trajectoire budgétaire demeure sur ce projet de loi d’orientation et de programmation relatif à la politique de développement et de solidarité internationale, et ce dans le contexte de finances publiques dégradées dû à la crise sanitaire.

Tout d’abord, je partage les interrogations formulées par le président Bourlanges quant à la confusion entre évaluation et contrôle et au travail qui en découlera durant les années à venir, à la Cour des comptes notamment. Il me semble que le conseil, l’audit, l’évaluation ou le contrôle sont des activités très différentes qu’il conviendrait d’expliciter, tant pour la Cour des comptes que pour le parlement. La confusion existe déjà en la matière s’agissant des exportations d’armes de la France. Je ne souhaite pas que ces errements se retrouvent ailleurs.

En ce qui concerne le projet de loi, les entreprises françaises qui opèrent en Afrique de l’Ouest bénéficient souvent de contrats liés à l’aide publique au développement de la France. Le projet de loi permet-il de mieux s’assurer de comportements responsables de la part de ces acteurs ? Le texte évoque le devoir de vigilance et de responsabilité sociétale des acteurs privés, mais nous peinons à discerner les garanties opérationnelles.

S’agissant de la diplomatie en santé, il me semble que la France dispose déjà avec les instituts de recherche d’un excellent maillage, en particulier en Afrique. Ne devrait-on pas consacrer une partie plus importante de l’aide publique au développement et à la coopération en matière de santé, notamment dans le domaine de l’enseignement, de la recherche et de l’économie ? Une attention particulière devrait être portée au développement des entreprises dans ces secteurs.

Mme Sira Sylla. Monsieur le premier président, comme vous le savez, les transferts d’argent effectués par les diasporas africaines participent à notre politique de développement. Ces transferts, qui représentent deux, voire trois fois le montant de l’aide publique au développement, sont malheureusement très onéreux. Par exemple, leur coût atteint un taux de 20 % quand ils concernent l’Afrique australe. L’ODD 10 de l’agenda 2030 a pour ambition de faire baisser ces coûts en dessous de 3 %. Un outil, la bibancarisation, pourrait permettre de réduire le coût de ces transferts et de pérenniser lesdits fonds s’il était amélioré. La bibancarisation avait été promue lors du G8 de L’Aquila et lors du G20 de Cannes en 2011. Lorsque vous étiez ministre de l’économie, des finances et du commerce extérieur, vos travaux sur le sujet ont permis de mettre en place la bibancarisation en France au travers des dispositions de l’article 11 de la loi du 7 juillet 2014. Désormais, sous réserve d’obtenir l’autorisation de l’ACPR, les banques étrangères ont le droit d’offrir leurs services bancaires en France. Malheureusement, les dispositions de la loi n’ont pas permis d’élargir l’accès des banques africaines au marché français. Deux banques marocaines seulement ont obtenu l’autorisation de l’APCR. Quelles raisons peuvent selon vous expliquer ces mauvais résultats ?

M. Pierre Moscovici. La question que vous évoquez, madame la députée Sylla, est très importante, mais je ne peux nourrir ma réponse de faits qui aient été attestés ou jugés par la Cour des comptes en quoi que ce soit.

Madame la députée Poletti, le taux de suivi de nos recommandations est présenté chaque année dans le rapport public. Quantitativement, il est plutôt bon, puisque 72 % de nos recommandations seraient suivies d’effets, mais je ne m’en contente pas. Une analyse plus qualitative permettrait d’apprécier l’importance des recommandations suivies ou non. Dans le projet de juridiction financière 2025 que je dois présenter demain, je proposerai la constitution d’une banque de recommandations qui soit ouverte aux citoyens.

Je tiens à la réaffirmer : je ne confonds pas le contrôle et l’évaluation. Hormis les notes d’exécution budgétaire, les contrôles effectués par la Cour des comptes ne sont pas purement budgétaires et financiers. La Cour mène des contrôles budgétaires, juridictionnels et organiques, des contrôles à portée évaluative et des évaluations de politiques publiques. Nous savons mener ces évaluations et je souhaite que nous en fassions davantage.

Nous disposons d’atouts très importants pour conforter notre positionnement. Par exemple, personne ne peut porter mieux que nous l’indépendance. Le lien que nous entretenons avec le parlement est régulier et fréquent. Depuis que je suis premier président, je suis davantage venu devant les commissions plus que lorsque j’étais commissaire européen. Nous avons établi une tradition de travail avec le parlement. Étant une institution constitutionnelle, nous pouvons contribuer au débat public et développer l’adhésion des citoyens à nos initiatives. Je souhaite mettre le respect dû à l’institution au service du travail que nous pourrions mener ensemble. Par ailleurs, il est fondamental de respecter la diversité démocratique. La commission ne peut être partisane et je souhaite à cet égard lever l’ambiguïté : vous ne confieriez pas cette mission à la Cour des comptes, mais à une commission indépendante dont la présidence est assurée par le premier président de la Cour des comptes. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’une mise sous tutelle de la commission par la Cour des comptes. La nuance me semble très importante.

Il est exact qu’on observe un déséquilibre entre bilatéral et multilatéral au détriment du bilatéral. La Cour a par conséquent recommandé que les fonds multilatéraux n’oublient pas les priorités de l’aide publique au développement française. Vos questions, madame la députée Lenne, trouvent réponse dans notre rapport sur le pilotage des opérateurs par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Nous avons plaidé pour un pilotage qui tienne compte de la puissance et de l’autonomie de l’Agence française de développement.

En réponse à l’intervention de monsieur le député Maire, il me semble que la commission devrait plutôt être présidée par un ressortissant français. Par ailleurs, il serait pertinent que les acteurs locaux soient des co-évaluateurs. Il appartient aux organismes qui interviennent pour accorder l’aide publique au développement de faire procéder à des évaluations par les acteurs locaux. Les services diplomatiques français pourront jouer un rôle d’intermédiaire pour transmettre le ressenti des bénéficiaires.  En règle générale, une évaluation de politique publique associe obligatoirement les stakeholders, les décideurs et les bénéficiaires via les groupes d’usagers. Il appartiendra à la future commission d’évaluation de l’APD de définir le cadre dans lequel les bénéficiaires de l’aide seront associés aux évaluations. La Cour des comptes pourrait également apporter son aide sur ce point, car elle est insérée dans un réseau d’institutions supérieures de contrôle qui sont souvent des évaluateurs au plan local. Par exemple, je suis aussi le secrétaire général et l’opérateur de l’association des institutions supérieures de contrôle de la francophonie. À ce titre, nous menons aussi une politique de relations internationales. La dimension de la francophonie est très présente dans notre aide publique au développement. Nous pouvons tout à fait jouer un rôle d’intermédiaire.

Enfin, s’agissant de la contribution de la France à l’APD dans le domaine de la santé, une enquête est en cours. Ce contrôle d’ensemble est le premier. La France s’est engagée en octobre 2019 à augmenter sa contribution de 20 %. Face à la pandémie de covid-19, elle a adopté l’initiative santé en commun et levé à ce titre 1,7 milliard d’euros sur les marchés financiers en 2020. L’enquête comporte trois volets : les acteurs de la politique d’APD santé, les moyens mis en œuvre et l’analyse de la performance et les résultats des actions financées. Comme vous le voyez, ces travaux s’étendent bien au-delà du contrôle budgétaire. L’enquête sera prolongée au second semestre par un examen de la présence française dans les institutions internationales en charge de la santé. Je serai heureux de venir devant vous rendre compte des travaux menés afin de nourrir vos propres réflexions.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous remercie pour votre proposition. Il sera très utile à notre commission de bénéficier de votre expertise.

M. Jacques Maire. Je souhaiterais poser une dernière question concernant Expertise France en lien avec le rapport établi pour le Sénat. Expertise France mutualise depuis 2012 les opérateurs ministériels de coopération technique en vue de leur donner la taille critique et la capacité à monter en compétences. Expertise France est ainsi le bras armé de la coopération des ministères. La conséquence de cette mutualisation est que l’on donne un espace au niveau du conseil d’administration et aux ministères pour qu’ils ne se désinvestissent pas de la coopération technique et que l’opérateur unique Expertise France puisse être considéré comme leur outil. Or, le rapport propose une simplification drastique de la gouvernance, qui prévoit la sortie des observateurs, des titulaires du conseil d’administration santé, travail emploi et éducation. Que pensez-vous de cette simplification telle qu’elle est proposée, en ligne avec votre rapport de février 2020 ? Ne craignez-vous pas qu’on aille trop loin dans la désappropriation par les ministères « techniques », au seul bénéfice de Bercy et du Quai d’Orsay ?

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Vous soulevez là une vaste question qui mériterait un dialogue approfondi. Yves Rolland peut en dire quelques mots s’il le souhaite, mais nous ne pouvons rouvrir le débat à ce stade.

M. Yves Rolland, président de la section de la quatrième chambre de la Cour des comptes. Vous pointez l’un des dangers que nous avons identifiés, à savoir la perte du lien avec les ministères techniques. J’avais contrôlé Civipol, le bras armé du ministère de l’Intérieur. Il était réticent à toute intégration, car il craignait de perdre la main. Le vivier des experts se trouvant dans les ministères, la Cour a recommandé de veiller à ne pas réduire le lien entre Expertise France, un peu éloigné, rattaché à l’Agence française de développement, et les ministères. La Cour est favorable à tout exercice de mutualisation à condition qu’il ne réduise pas l’efficience des organismes. La crainte en l’occurrence est que l’efficience soit remise en cause. Le rapport a été établi en 2019. Nous verrons au cours du suivi des recommandations dans quelle mesure la recommandation a été appliquée. Mes collègues ayant travaillé sur ce sujet sont à votre disposition pour approfondir la question dans une autre enceinte.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Merci, monsieur le premier président, pour votre intervention. Chacun a pu mesurer à la fois votre implication personnelle et l’apport très important que représenterait la Cour des comptes par ses compétences et son indépendance, que personne ne peut sérieusement mettre en cause. Être rattaché à la Cour des comptes est toujours une garantie de présence dans l’opinion publique. La Cour des comptes représente l’une des seules institutions profondément populaires par sa rigueur intellectuelle et sans céder à la démagogie, ce qui est très rare. Notre souci de donner de la lisibilité aux actions de l’Agence française de développement pourrait prendre la forme d’un resserrement du lien avec la Cour des comptes. Vous avez souligné que nous pouvons nous mutualiser sans nous « assécher ». Nous notons également que vous n’avez pas l’ambition d’« endogénéiser » l’Agence française de développement. Vous êtes le bienvenu dans cette commission afin de poursuivre nos échanges, soit sur le sujet général des affaires étrangères, soit sur l’aide publique au développement.

 

La séance est levée à 16 heures 55.

----------------

 

Information relative à la commission

La commission a désigné :

- Mme Bérengère Poletti, co-rapporteure sur la mise en application de la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales (n° 3699) (M. Hervé Berville, rapporteur), en application des dispositions de l’article 145-7 du Règlement.