Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

 Examen, ouvert à la presse, et vote sur les deux projets de loi suivants :

- projet de loi autorisant la ratification de la Convention n° 190 de l’Organisation internationale du Travail relative à l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail (n° 4216) (M. Mustapha Laabid, rapporteur)                            2

- projet de loi autorisant l’approbation de la Mesure 1 (2005)  annexe VI au Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement, responsabilité découlant de situations critiques pour l’environnement (n° 4265) (M. Jacques Maire, rapporteur)                            10

 Informations relatives à la commission ................ 17

 

 

 


Mardi
13 juillet 2021

Séance de 18 h 15

Compte rendu n° 067

session ordinaire de 2020-2021

Présidence
de M. Jean-Louis Bourlanges,
Président

 


  1 

La séance est ouverte à 18 heures 35.

Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je crois que nous pouvons tous nous réjouir de l’adoption à l’unanimité – avec quelques abstentions – du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, qui restera comme notre grand texte de loi de cette législature. Il doit beaucoup à Marielle de Sarnez, qui l’avait initialement défendu puis avait engagé le dialogue avec le Sénat et avec M. Cambon. Ce fut un grand honneur et une charge pour moi que de prendre le relais, mais, grâce à vous, chers collègues, le navire est arrivé à bon port.

L’ordre du jour appelle l’examen de deux projets de loi autorisant la ratification et l’approbation de deux accords internationaux.

Projet de loi autorisant la ratification de la Convention n° 190 de l’Organisation internationale du travail (OIT) relative à l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail (4216) (M. Mustapha Laabid, rapporteur)

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La Convention n° 190 érige en principe universel le droit à évoluer dans un monde du travail exempt de violence et de harcèlement. Pour la première fois, un accord international définit ces notions et impose aux États signataires une obligation de moyens pour rendre ce droit effectif.

Il est notable que la convention appelle à construire ce droit nouveau de façon collaborative entre les gouvernements, les représentants des employeurs et des salariés et, plus généralement, les acteurs sociaux. Il s’agira d’en définir les modalités d’application aussi bien pour la prévention des atteintes et la protection des personnes que pour la formation et la sensibilisation.

La France dispose déjà d’un corpus législatif et réglementaire substantiel interdisant et réprimant la violence et le harcèlement. Si je voulais être provocateur, je dirais que c’est la convention qui ratifie notre droit interne, et non l’inverse. D’ailleurs, le Gouvernement considère que la mise en œuvre de la Convention n° 190 ne nécessiterait aucune mesure législative visant à modifier le code du travail. Des actions sont néanmoins attendues en matière de prévention et de sensibilisation.

J’aimerais avoir une réponse à une question soulevée par notre rapporteur, et sur laquelle l’étude d’impact du Gouvernement reste silencieuse : pouvons-nous poursuivre jusqu’à son terme la procédure d’autorisation de ratification sans disposer de la décision du Conseil de l’Union européenne autorisant les États membres à ratifier les dispositions de la convention qui relèvent de la compétence exclusive de l’Union, à savoir la lutte contre les discriminations et contre l’inégalité entre les femmes et les hommes ?

La Commission européenne avait en effet proposé qu’il y ait une décision du Conseil autorisant les États membres à ratifier la convention, mais cela a suscité des divergences d’interprétation quant à la nature et la portée de cette autorisation. Du coup, on a sollicité l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne, que nous attendons. Comme beaucoup, je me demande si le fait de ratifier unilatéralement la convention avant que les procédures européennes soient arrivées à leur terme ne constitue pas un manquement au principe de coopération loyale entre membres de l’Union. Tout cela me semble un sacré sac de nœuds ! J’espère que vous allez nous aider à le dénouer, monsieur le rapporteur.

M. Mustapha Laabid, rapporteur. Je vais essayer, monsieur le président.

Il me revient en effet de vous présenter, chers collègues, la Convention n° 190 de l’OIT relative à l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail, dont la ratification est souhaitée par le Gouvernement.

Si nous sommes, à l’échelle nationale, particulièrement impliqués dans la lutte contre les violences et le harcèlement, moral comme sexuel, la prise en compte de ce sujet à l’échelle internationale est beaucoup plus récente. Il me semble d’ailleurs que c’est la première fois que notre commission est appelée à s’en saisir.

La convention définit explicitement, et de manière inédite, la violence et le harcèlement dans le monde du travail comme « un ensemble de comportements et de pratiques inacceptables, ou de menaces de tels comportements et pratiques, qu’ils se produisent à une seule occasion ou de manière répétée, qui ont pour but de causer, causent ou sont susceptibles de causer un dommage d’ordre physique, psychologique, sexuel ou économique » ; il est précisé que l’expression « comprend la violence et le harcèlement fondés sur le genre ».

Du fait des fortes disparités existant entre les systèmes juridiques et des enjeux sociétaux spécifiques à chacun des 187 pays membres de l’OIT, les notions de violence et de harcèlement au travail recouvrent des définitions et des périmètres variables suivant les États. Cela, ajouté à l’utilisation de méthodes également diverses, rend difficile la réalisation d’études quantifiant le phénomène de manière globale. Aussi l’OIT travaille-t-elle à l’élaboration d’un outil statistique harmonisé afin de remédier à cette carence méthodologique.

À l’échelle de l’Union européenne, les données sont davantage consolidées. En 2010, on estimait que 14 % des travailleurs européens avaient déjà été soumis à une forme de violence ou de harcèlement. Ce pourcentage était plus faible dans les pays du sud et plus élevé dans les pays du nord et du centre de l’Europe. Il faut toutefois tenir compte de la sous-déclaration des violences par les victimes, à laquelle aucun pays n’échappe.

Indépendamment du pays, certains groupes sont plus exposés que d’autres à la violence et au harcèlement sur le lieu de travail. Les femmes, en particulier, sont plus exposées aux violences sexistes et sexuelles, mais on peut aussi citer les personnes exerçant un emploi précaire, temporaire, isolé ou celles qui, à l’inverse, sont en contact avec le public.

On sait aussi, même si l’on ne dispose pas encore de données chiffrées en nombre suffisant, que partout dans le monde, la pandémie a donné lieu à une hausse des violences et du harcèlement au travail. Les travailleurs dits de première ligne ont subi des pressions et parfois des violences dans un contexte particulièrement éprouvant pour tous. De même, les personnes pouvant télétravailler ont été exposées à diverses formes de harcèlement et de violences en ligne, ainsi qu’à la recrudescence des violences domestiques.

Aussi l’adoption, le 21 juin 2019, de la Convention n° 190 par l’OIT est-elle assez remarquable, d’autant qu’elle est la première à l’être depuis dix ans.

Trois facteurs expliquent ce succès. Il y a d’abord la persévérance de la Confédération syndicale internationale, qui militait depuis longtemps pour l’adoption d’une norme internationale interdisant la violence au travail. Cette revendication syndicale a connu une forte accélération sous l’effet du mouvement MeToo, qui a fait des violences sexistes et sexuelles à l’encontre des femmes un enjeu de société dans de très nombreux pays. Enfin, le processus en cours à l’OIT a trouvé un appui solide auprès de certaines grandes entreprises qui ont pris des engagements volontaristes en faveur d’une telle norme. Ces entreprises ont contribué à l’implication du monde patronal, initialement très réservé.

Sur le fond, que penser de cette convention ? De l’avis des acteurs auditionnés – à l’exception de certaines organisations patronales –, elle a le mérite d’être à la fois ambitieuse et équilibrée.

Ambitieuse, elle l’est d’abord parce qu’elle propose pour la première fois une définition internationale de la violence et du harcèlement au travail. Celle qui a été retenue dépasse amplement les seules violences physiques et s’étend au-delà du lieu de travail, incluant par exemple le trajet domicile-travail ou le logement fourni par l’employeur.

La convention se veut « inclusive », en ce qu’elle tient compte de l’exposition particulière de certains groupes à la violence. Elle accorde une place spécifique à la lutte contre les violences faites aux femmes, appelant non seulement à protéger les femmes contre la violence et le harcèlement au travail, mais aussi à atténuer l’impact des violences conjugales dans le monde du travail.

La convention promeut une approche « intégrée » : reconnaissant que, pour lutter efficacement contre la violence au travail, il ne suffit pas de permettre aux victimes d’aller devant le juge, elle appelle à agir tout au long du processus d’anticipation et de réponse à la violence, de la prévention et la formation jusqu’à la sanction et la réparation.

Enfin, la convention impose aux États de reconnaître le rôle central des organisations syndicales et patronales dans la lutte contre la violence et le harcèlement au travail.

Cette convention est ambitieuse, mais elle est aussi équilibrée, et cela afin de permettre son adoption par un grand nombre d’États. Le pari est réussi puisqu’elle fait partie des conventions les mieux adoptées de l’OIT, avec 439 voix pour, 7 voix contre et 30 abstentions.

Cet équilibre est en partie assuré par la Recommandation 206 qui accompagne la convention sans toutefois disposer de caractère normatif. On y a intégré les dispositions les moins consensuelles, comme l’institution d’un congé afin de permettre aux femmes victimes de violences domestiques de mener à bien leurs procédures judiciaires et de déménager, ou encore la mention des personnes LGBT parmi les populations exposées au risque de violence au travail, qui a suscité l’opposition de nombreux pays, des États-Unis à la Chine en passant par la Russie et le Brésil – une formule de compromis a finalement été trouvée.

Pour les raisons que je viens d’exposer, je vous appelle, chers collègues, à autoriser la ratification de la Convention n° 190 de l’OIT. Notre pays pourra ainsi rejoindre les six pays qui l’ont déjà ratifiée, et cela dans un contexte particulier, puisque le Forum Génération Égalité, coprésidé par la France, vient de s’achever.

À cet égard, je me permets une petite digression pour exprimer mon regret, partagé par certains collègues, que notre commission ne se soit pas investie en amont de ce forum international pour travailler à l’écriture d’une feuille de route mondiale pour l’égalité entre les femmes et les hommes.

Je ne peux conclure sans évoquer le débat sur la conformité de la législation française à la convention et, conséquemment, sur les mesures nationales que sa ratification pourrait rendre nécessaires.

Selon le Gouvernement, la législation française est l’une des plus avancées dans le domaine de la lutte contre la violence et le harcèlement au travail. Notre législation serait déjà au niveau de la convention et ne requerrait aucune mesure juridique complémentaire. La priorité, pour lui, serait plutôt la mise en œuvre du cadre juridique existant et la mobilisation des partenaires sociaux sur cette thématique.

Cette analyse est contestée par plusieurs syndicats, ONG et associations féministes, qui estiment que la convention et, plus encore, la Recommandation n° 206 pourraient inspirer une évolution du cadre juridique français. Syndicats et ONG formulent une série de propositions visant à renforcer, par voie législative ou réglementaire, la prévention, la formation, l’accompagnement des victimes et la protection des femmes.

Le principal point de blocage, c’est la position des organisations patronales. Ces dernières sont vent debout contre l’instauration de nouvelles obligations et les coûts que cela entraînerait, notamment pour les TPE et les PME. Surtout, les employeurs refusent de porter la responsabilité des violences qui ne résultent pas de l’organisation du travail et, a fortiori, de devoir gérer les répercussions des violences conjugales dans le monde professionnel.

Je ne crois pas qu’il me revienne, en tant que rapporteur au nom de la commission des affaires étrangères, de trancher un débat qui doit avant tout faire l’objet d’une négociation entre les partenaires sociaux. Les organisations patronales étant peu ouvertes sur le sujet, il faudrait néanmoins que le Gouvernement encadre et accompagne cette négociation. J’en ai formulé explicitement la demande.

La prise de conscience des phénomènes dramatiques que sont les violences et le harcèlement au travail est une première étape. La deuxième sera la volonté collective que le monde du travail soit totalement exempt de violence. La ratification de cette convention permettrait de l’amorcer. Nous devons cet effort à toutes celles et ceux qui subissent dans leur vie les conséquences de la violence et du harcèlement au travail.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je ferai deux observations avant de donner la parole aux représentants des groupes.

S’agissant de la possibilité d’enrichir substantiellement le contenu de la convention à la faveur d’un dialogue entre les partenaires sociaux, il est probable que bien des choses pourraient être faites, mais cela n’entre dans le cadre de la présente discussion. Nous intervenons au terme du processus : il nous reste à adopter ou, si nous estimons qu’il est notoirement insuffisant, à rejeter le texte – il est à prendre ou à laisser.

Quant à la question européenne, je dois dire que je suis perplexe. Nous pouvons toujours autoriser la ratification, mais il me semble que celle-ci ne pourra être effective qu’à partir du moment où la procédure européenne que j’ai décrite sera arrivée à son terme. Nous sommes en droit de nous demander pourquoi l’on nous soumet ce texte dès maintenant : il eût été préférable d’attendre – à moins qu’on ne veuille secouer le cocotier et inciter nos partenaires à avancer. Nous nous trouvons en plein maquis juridique, d’autant qu’il faut tenir aussi compte de la convention d’Istanbul, qui est la référence dans cette matière. Tant que l’écheveau ne sera pas démêlé, il sera à mon avis difficile pour la France de se doter de l’instrument de ratification.

Cela ne nous empêche pas, bien sûr, de nous prononcer sur l’autorisation de ratification qui nous est demandée.

Mme Sonia Krimi (LaREM). Je suis heureuse d’intervenir au nom du groupe La République en Marche sur un sujet aussi important, qui nous concerne toutes et tous. L’exposé de notre rapporteur était très clair, et je ne reviendrai pas sur ce qu’il a dit.

La Convention n° 190 relative à l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail est le premier texte international contraignant qui reconnaît « le droit de toute personne à un monde de travail exempt de violence et de harcèlement, y compris de violence et de harcèlement fondés sur le genre ». Que demander de plus ? Ce texte a de surcroît été complété par la Recommandation n° 206 sur la violence et le harcèlement, qui, si elle n’est pas juridiquement contraignante, pose des principes directeurs concernant la manière dont la convention pourrait être appliquée. Si, comme je le souhaite, nous adoptons ce projet de loi, notre pays serait le sixième à ratifier cette convention – quitte, comme le soulignait le président, à ce que cela nous conduise à « secouer le cocotier ».

La position de notre pays sur la Convention n° 190 m’inspire néanmoins quelques remarques. Le rapporteur l’a rappelé, depuis 2017, notre majorité a fait beaucoup pour la lutte contre les violences sexuelles et sexistes – premier pilier de la grande cause du quinquennat – et la lutte contre les discriminations. Nous avons œuvré ensemble en faveur de l’égalité économique et professionnelle. Il est indéniable que nous avons une législation avancée dans le domaine.

Or le chemin à parcourir ensemble est encore long : tout est loin d’être résolu dans le monde du travail en France. Il n’est pas réaliste que le Gouvernement déclare l’arsenal législatif conforme à la Convention n° 190 et à la recommandation qui l’accompagne, et refuse toute modification dans la loi française pour intégrer certains dispositifs que les syndicats, les ONG et les associations féministes réclament depuis de longues années. Nous devons travailler pour pousser le Gouvernement à aller encore plus loin même si, depuis quatre ans, notre majorité a rattrapé en grande partie son retard, comme nos prédécesseurs l’avaient fait.

En France, 30 % des femmes sont victimes de harcèlement sexuel au travail et la quasi-totalité des employeurs n’a toujours aucun plan de prévention pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Notre arsenal législatif ne fait apparemment pas peur à grand monde. Par ailleurs, 70 % des victimes de violences au travail déclarent n’en avoir jamais parlé à leur employeur. Et pour cause car, quand elles le font – il s’agit en effet souvent de femmes –, 40 % d’entre elles estiment que la situation s’est aggravée et qu’elle s’est réglée en leur défaveur par une mobilité forcée voire un licenciement.

Le groupe La République en Marche votera en faveur du texte. Je signale à M. Mustapha Laabid que Delphine O a travaillé avec la Délégation aux droits des femmes, dont je suis membre, pour l’intégrer dans le Forum génération égalité. Y exposer les limites de notre arsenal législatif revêt une grande importance.

Mme Maud Gatel (Dem). La ratification de la Convention n° 190 de l’Organisation internationale du travail était très attendue par les partenaires sociaux et la société civile, qui ont été particulièrement actifs dans son processus d’élaboration. Ils demandaient depuis longtemps la négociation d’une convention internationale contre les violences et le harcèlement au travail. Avant l’adoption de cette convention, il n’existait pas de définition universellement admise en droit international des notions de violence et de harcèlement dans le monde du travail. Pourtant, en 2015, environ 16 % des travailleurs, tout particulièrement des femmes, déclaraient être exposés à des incivilités et aux incidences de violences au travail, un chiffre en hausse de 9,5 % par rapport à 2010.

Définir, réglementer et punir les comportements abusifs dans tous les secteurs d’activité est une nécessité pour protéger nos concitoyens. La Convention n° 190 permet d’établir un cadre international structuré et cohérent. Elle impose aux États d’adopter une approche inclusive, intégrée et coconstruite, tenant compte des considérations de genre, afin de prévenir, de réprimer et, à terme, d’éliminer la violence et le harcèlement dans le monde du travail.

Comme vous l’avez rappelé, la France a tenu un rôle de premier plan dans les travaux d’élaboration de la convention ces dernières années, à la demande de l’ensemble des États membres de l’Union européenne, dont elle a été le porte-parole, et en tant que membre du comité de rédaction des conclusions. Elle a notamment participé à l’avancement des travaux, en défendant des solutions de compromis entre les différentes volontés exprimées. Disposant d’un cadre normatif qui a récemment été renforcé par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, la France considère que son cadre légal et réglementaire est d’ores et déjà en adéquation avec les exigences posées par la convention. Laissons-nous toujours la possibilité d’aller plus loin, pour protéger les uns et les autres. On le sait, le mal-être au travail est un enjeu majeur. Ces négociations ont abouti à un large consensus, la convention et la recommandation ayant été adoptées à plus des deux tiers des suffrages. Nous nous réjouissons qu’un tel résultat ait pu être obtenu, sur un sujet aussi important. Nous espérons voir le même consensus lors du vote du projet de loi. Naturellement, le groupe Mouvement démocrate et Démocrates apparentés le soutiendra.

M. Alain David (SOC). Le rapporteur l’a souligné, la Convention n° 190 de l’OIT apparaît à la fois ambitieuse et équilibrée. On doit saluer cette première tentative de réponse internationale aux revendications syndicales anciennes en la matière. Je n’entrerai pas dans le débat juridique sur la nécessité d’une autorisation européenne préalable à notre ratification, puisque je ne doute pas que la présente convention, qui figure parmi les mieux adoptées de l’OIT, fera rapidement l’unanimité au sein du Conseil européen et de la Commission européenne.

Je veux revenir sur les mesures complémentaires réclamées par certains syndicats, ONG et associations féministes, qui souhaitent que la France aille plus loin encore que les dispositions de la convention. Le rapport mentionne avec pertinence les contributions de plusieurs de ces acteurs. J’espère qu’un véhicule législatif pourra rapidement intégrer leurs demandes et leurs recommandations. Pour le premier pas normatif sur le plan international que représente la Convention n° 190, le groupe Socialistes et apparentés votera le texte.

M. Jean-Michel Clément (LT). Monsieur le président, je souscris à votre analyse juridique préalable : il faut saluer la convention comme étant le premier traité international sur la violence et le harcèlement dans le monde du travail. Son champ d’application est vaste : la convention vise toutes les conditions et les situations de travail, tant pour les salariés du privé que du public, les stagiaires ou les bénévoles. En ce sens, elle offre une définition large de la violence et du harcèlement dans le monde du travail. Elle définit également la violence et le harcèlement fondés sur le genre. Le cadre est posé.

Le groupe Libertés et Territoires soutient le contenu de la convention. La France doit user de tout son poids diplomatique pour inciter les autres pays à la ratifier. Actuellement, seuls sept pays l’ont fait, ce qui est bien peu pour un sujet aussi important. Si les textes doivent garantir une bonne protection, force est de constater que la pratique en est encore éloignée. Les chiffres cités sont alarmants, pour une société que nous souhaiterions voir civilisée et respectueuse de tous.

Nous pourrions aussi avoir une vision plus large du dispositif. Le préambule de la Convention n° 190 fait référence aux violences domestiques. Elles entraînent inévitablement des répercussions sur la vie professionnelle des femmes. Les entreprises ont un rôle à jouer pour détecter de telles violences. Nous pourrions imaginer des mesures pour aider à les enrayer. Dans certains pays, comme l’Espagne ou le Canada, des dispositifs plus développés que les nôtres existent. Dans ce domaine, nous devons prendre en compte le chemin qu’il reste à accomplir : même si la ratification de la présente convention est un premier pas, il reste beaucoup à faire.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Le rapport de notre collègue, M. Mustapha Laabid, soulève bien des questions. Il faut dire et répéter les chiffres : 30 % des femmes sont victimes de violences ou de harcèlement sexuel au travail ; 70 % déclarent n’en avoir jamais parlé à leur employeur, et pour cause, puisque 40 % d’entre elles estiment que la situation s’est réglée en leur défaveur. Quand les choses sont dites, les femmes qui sont déjà victimes subissent une mobilité forcée voire un licenciement.

Si la France possède un arsenal législatif relativement correct en la matière, les données montrent que nous devons faire plus pour les victimes de violences sur leur lieu de travail. La Convention n° 190 de l’Organisation internationale du travail sur l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail est une première étape satisfaisante, mais elle n’est que symbolique car le véritable enjeu se trouve dans la prise en compte des préconisations de la Recommandation n° 206 qui accompagne la convention.

L’application de la recommandation dans notre droit constituerait une véritable avancée. Nous comprenons toutefois que la majorité n’y ait pas donné suite, puisque le MEDEF était contre son adoption. Ses nombreuses propositions nous permettraient pourtant d’éradiquer les violences sexistes et sexuelles au travail et de créer des droits pour les victimes de violences. Instaurer une politique de tolérance zéro pour les entreprises qui ne disposent pas encore de plan de prévention, inscrire l’obligation pour les entreprises d’inclure le risque de violences et de harcèlement dans leurs plans de vigilance – la mesure ne mettrait pourtant pas en péril la vie économique de notre pays ! – et adopter des mesures spécifiques pour protéger les groupes vulnérables seraient autant de mesures qui donneraient à la France un cadre législatif de référence par rapport à d’autres États.

Le monde du travail constitue un vrai levier pour atténuer l’impact de la violence domestique. Pourtant, aucune disposition n’existe à ce jour en France pour sécuriser l’emploi des 230 000 femmes qui en sont victimes. Il y a donc urgence à instaurer une mobilité fonctionnelle ou géographique choisie et à interdire le licenciement des femmes victimes de violences conjugales, comme en Nouvelle-Zélande, au Canada ou en Espagne.

La réflexion devrait également conduire à créer un processus de discussion pour ratifier la Convention n° 189 sur les travailleuses et travailleurs domestiques le plus rapidement possible. Les deux textes vont en effet de pair, et il conviendrait de préciser pourquoi ils ne sont pas ratifiés ensemble. La France se contente de ratifier la Convention n° 190, sans suivre les recommandations qui forment les mesures concrètes proposées par l’OIT.

Les députés communistes voteront la présente convention – qui pourrait être contre ? Nous regrettons profondément que la France s’arrête à mi-chemin, en ratifiant seulement la partie symbolique et en laissant de côté la partie concrète. Nous appelons donc à travailler sur la suite.

M. Mustapha Laabid, rapporteur. Monsieur le président, il existe en effet un débat sur la nécessité d’obtenir une autorisation européenne, en plus d’une autorisation parlementaire, pour ratifier la convention. Il est opportun que le Parlement donne son autorisation, dans le cadre du Forum génération égalité. La France doit envoyer un signal fort, montrant qu’elle se mobilise sur le sujet. Nous ne faisons qu’autoriser la ratification : l’exécutif la ratifiera. Par-là, nous ne dérogeons donc pas au droit européen. L’exécutif devra en revanche attendre l’issue de ce débat, qui se tiendra à la fin de l’année 2021, pour ratifier la convention. De même, l’Italie a signé la convention. La loi a autorisé la ratification mais l’exécutif n’a pas encore déposé les instruments de ratification auprès du Bureau international du travail.

Je partage le constat de ma collègue, Sonia Krimi : il faut aller plus loin. Selon un proverbe tunisien, « il vaut mieux allumer une chandelle que maudire l’obscurité ». La Convention n° 190 de l’Organisation internationale du travail constitue un premier pas. C’est la possibilité, demain, de s’appuyer sur la convention et la Recommandation n° 206 pour aller plus loin.

La discussion permettra d’améliorer l’application du cadre juridique. Vous l’avez dit, la loi actuelle n’est peut-être pas assez appliquée : de futures mesures législatives ou réglementaires complémentaires seraient nécessaires. Je ne suis que l’humble rapporteur du projet de loi autorisant la ratification de la Convention n° 190 de l’Organisation internationale du travail. Les mesures complémentaires devront être l’objet d’une négociation entre les partenaires sociaux.

Il est vrai que l’on peut aller plus loin, notre collègue Maud l’appelle de ses vœux. La ratification est un premier pas. Je souhaite qu’elle soit suivie d’actions très concrètes. Un autre proverbe indique : « Il vaut mieux marcher d’un pas hésitant sur le bon chemin que d’un pas ferme sur le mauvais ». Nous sommes sur le bon chemin.

S’agissant des demandes des syndicats, des ONG et des associations féministes, j’ai reçu des représentants de toutes ces organisations. Par leur contre-expertise de la Recommandation n° 206, ils ont apporté de nombreuses propositions de modification de la loi, du règlement et des conventions collectives. Il ne m’appartient pas de trancher ce sujet, mais j’ai sollicité le Gouvernement pour qu’il orchestre une future concertation entre les partenaires sociaux.

M. Clément a évoqué les violences domestiques. Les conventions de l’OIT sont tripartites, et rassemblent les représentants des États, des organisations syndicales et patronales. Les violences domestiques ont été longuement abordées, dans le passé et récemment. Les organisations patronales françaises ne sont pas prêtes à travailler sur le sujet car elles estiment que les violences ne se situent pas au sein de l’entreprise mais en dehors, et qu’elles n’ont pas à les assumer. D’autres entreprises, sur le fondement de la responsabilité sociale, ont instauré des dispositions pour que les personnes victimes de violences conjugales soient accompagnées par leurs employeurs.

M. Lecoq s’est interrogé sur le nombre de pays, parmi les 187, qui ont ratifié la Convention n° 190. Ils sont au nombre de sept. Les organisations patronales de très nombreux pays ont voté contre ; certains gouvernements, tel le gouvernement russe, se sont abstenus.

Concernant la Convention n° 190 et la Recommandation n° 206, je partage votre constat sur l’interdiction de licenciement, la mobilité géographique ou l’accompagnement des femmes victimes de violences. Demain, il faudra, de façon pressante, que les acteurs s’asseyent autour d’une table pour échanger, et que le législateur, par exemple, M. Lecoq, trouve un véhicule législatif pour introduire les recommandations des organisations syndicales, ONG et associations militantes dans la loi.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Il faut saluer ce compromis historique, entre un député de La République en Marche et un député communiste, entre l’Ille-et-Vilaine et la Seine-Maritime ! Monsieur le rapporteur, je vous remercie d’avoir parfaitement instruit la question européenne que je soulevais à partir de votre rapport. Vous n’avez rien dissimulé de la difficulté que nous rencontrons.

Le problème européen est simple : nous votons un projet de loi autorisant une ratification, mais celle-ci appartient au pouvoir exécutif. Une fois que nous l’aurons votée, le Gouvernement pourra la geler le temps qu’il l’estime nécessaire. Le fait que nous la votions est toutefois une marque d’intérêt pour la convention.

Quant à vos appréciations, elles semblent aller de la position de M. Lecoq – c’est bien mais ce n’est pas assez – et celle du rapporteur, selon lequel « mieux vaut allumer une bougie que maudire l’obscurité ».

La commission adopte l’article unique du projet de loi sans modification.

 

Projet de loi autorisant l’approbation de la Mesure 1 (2005) - Annexe VI
au Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement, responsabilité découlant de situations critiques pour l’environnement (n° 4265) (M. Jacques Maire, rapporteur)

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous passons à l’examen du deuxième projet de loi. Si ce protocole a été adopté il y a déjà seize ans, la France est cependant loin d’être la seule partie à accuser un retard considérable dans le processus d’approbation. La technicité de la matière semble justifier la longueur du délai. La mise en œuvre des obligations prévues soulève en effet des questions assez complexes quant à la définition des modalités par lesquelles, en droit interne mais également en articulation avec le droit européen et le droit international privé, la protection de l’environnement en Antarctique sera assurée en cas d’événement accidentel menaçant gravement l’environnement, des mesures de prévention touchant tous les opérateurs publics et privés intervenant dans cet espace seront arrêtées et contrôlées, la mise en œuvre des responsabilités prévue par le protocole sera engagée, et les mécanismes financiers actionnés. Jacques Maire, en virtuose du droit international, va assurément nous éclairer sur ce protocole très important.

M. Jacques Maire, rapporteur. Je suis surtout engagé depuis mes jeunes années en faveur de l’Antarctique et de l’Arctique ! C’est pourquoi j’étais particulièrement motivé par ce rapport, d’autant que nous avons très peu d’occasions de parler de ces continents, alors même que l’Antarctique, en particulier, conditionne la vie de milliards de personnes. La fonte de la frange de la banquise du côté est de la péninsule antarctique ferait augmenter le niveau des eaux de 6 mètres ; celle de la frange antarctique du côté ouest, de 9 mètres ; et le début du dégorgement de la calotte, de 50 mètres. La menace est totale, surtout que, même si l’on pense connaître cet environnement, en réalité, on le connaît peu. L’enjeu de la présence scientifique française en Antarctique est important.

L’Antarctique ne dépend pas des Nations unies ; il est géré de façon spécifique par un traité, signé le 1er décembre 1959 à Washington. Cet accord avait été une forme de divine surprise en pleine guerre froide, en entraînant le gel des revendications territoriales, alors que beaucoup de puissances commençaient à s’y intéresser de près. Il a permis de consolider la notion d’un continent voué à la recherche et devant être protégé sur le plan de l’environnement.

Mais c’est le Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à l’environnement signé en 1991, qui est le pilier de sa protection. À cette époque, Michel Rocard était Premier ministre, ce qui lui a permis d’accéder ensuite à la grande fonction d’ambassadeur des pôles. Ce texte a consacré l’Antarctique comme une réserve naturelle dédiée à la paix et à la science. En outre, il a instauré un régime interdisant toute activité liée à la défense, ainsi qu’à l’exploitation des ressources minérales. Toute activité susceptible d’affecter l’environnement doit être soumise à autorisation préalable.

Ce protocole est accompagné de six annexes. Les annexes I à IV ont été adoptées conjointement avec le Protocole de Madrid en 1991. L’annexe V, relative aux déchets notamment, a été adoptée séparément la même année. Enfin, l’annexe VI est celle qui a posé le plus de difficultés aux États, dans la mesure où elle constitue le point de départ d’un principe de responsabilité environnementale. Si ce sujet ne paraissait pas forcément très urgent en 1991, ce que l’on voit aujourd’hui en matière d’impact du réchauffement climatique, d’atteintes à la biodiversité, d’invasion de nouvelles espèces, de fonte des glaces, de glissement de certains glaciers, d’appauvrissement de la faune sous-marine autour de l’Antarctique montre que le danger est bien réel.

L’annexe VI, signée en 2005, vise à prévenir au mieux et à traiter les situations critiques pour l’environnement en Antarctique imputables à certaines activités. Le texte instaure un régime de responsabilité spécifique et impose aux États parties de mettre à la charge des opérateurs, privés ou étatiques, des mesures de prévention, des plans d’urgence et des souscriptions d’assurances.

Comme nos collègues Éric Girardin et Meyer Habib, rapporteurs de la mission d’information sur la problématique des pôles, l’ont récemment relevé dans leurs travaux, le développement du tourisme dans la zone du Traité, qui voit un accroissement exponentiel du nombre de visiteurs depuis deux décennies et une diversification des activités, constitue l’une des préoccupations majeures du moment en Antarctique. Si le nombre de 50 000 touristes est en soi ridiculement petit, la fréquentation se concentre sur très peu d’endroits. Ainsi, 95 % des visites ont lieu sur quelques sites de la péninsule. J’ai rejoint cette terre plusieurs fois en voilier et l’on se rend compte que, sur une surface de littoral grande comme la Bretagne, il n’y a pas plus de quatre ou cinq zones de mouillage, forcément vulnérables, dans la mesure où il y a de la terre et, partant, de la faune.

L’impact du tourisme est aujourd’hui très limité, du fait d’un coût d’entrée très important – seize à dix-huit jours de mer entre la Nouvelle-Zélande et Ross Ice Shelf, trois à quatre jours entre la péninsule Antarctique et Ushuaïa – et d’un nombre de gens potentiellement intéressés peu important. Mais dès lors que l’on pourra développer des bases aériennes et diminuer le coût d’accès, il peut prendre de l’ampleur. Il faut anticiper, pour éviter les problèmes le jour où l’accès à l’Antarctique ne sera plus réservé à quelques très riches ou très sportifs, et mettre en place des mécanismes permettant de concilier tourisme et préservation des écosystèmes. Notons que l’annexe VI est déjà, en réalité, la référence pour les opérateurs de tourisme qui se sont regroupés au sein d’une association professionnelle.

Tout opérateur, privé ou étatique, ayant une activité en Antarctique, se doit de réduire le risque d’atteinte à l’environnement que génère son activité. La vérification du respect de cette exigence est assurée par « la Partie de l’opérateur » – la collectivité des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) pour notre pays. Cette vérification est assez efficace pour ce qui est des plans d’action, des matériels de sauvetage ou de la lutte contre la pollution.

En revanche, s’agissant des réponses opérationnelles en cas de pollution, l’efficacité de l’annexe VI paraît plus incertaine, et le texte me semble sur ce point plus virtuel. On sait à peu près gérer une petite fuite de carburant, mais pas l’échouage d’un mini-cargo avec une réserve de pétrole prévue pour deux stations. Imaginer qu’il serait possible d’envoyer à 5 000 kilomètres de toute terre des équipes pour récupérer le pétrole en temps réel est assez illusoire. La terre Adélie est loin de tout, en particulier de toute terre touristique, et nous n’avons qu’un seul bateau, L’Astrolabe, qui est déjà à la limite de la saturation, puisqu’il doit être prêt cent vingt jours par an pour les TAAF et le reste du temps pour surveiller les pêches. Je ne veux pas penser au jour où nous aurons un problème avec ce bateau... L’Institut polaire français (IPF) a appelé à mutualiser les démarches avec ceux qui sont présents sur le terrain. On pourrait ainsi concevoir de partager un brise-glace avec nos amis australiens.

L’annexe VI impose, en outre, aux opérateurs de souscrire une assurance ou de disposer d’une garantie financière adéquate leur permettant de couvrir leur responsabilité. Ces opérateurs peuvent trouver des assureurs pour leur cargaison et les dommages causés aux tiers, les protection and indemnity clubs, qui ne sont pas spécifiques à l’Antarctique. Cela étant, l’assurance ne couvre pas les activités terrestres. Que l’on pense au jet-ski, à la randonnée ou au parapente, qui peuvent avoir des conséquences négatives sur l’environnement, y aura-t-il un marché pour les assurer ?

S’agissant du régime de responsabilité, l’annexe VI précise, dès son préambule, qu’elle constitue seulement « une étape vers l’instauration d’un régime de responsabilité ». Cette responsabilité est en réalité très limitée, puisque ce qui compte ce sont simplement les coûts que les opérateurs auraient dû engager pour limiter l’impact environnemental – coûts de sauvetage ou d’assurances –, non le coût environnemental. Il ne s’agit en rien d’un régime général de responsabilité sur les impacts environnementaux. Le coût ne concerne que l’organisation des secours.

Le dispositif prévoit un fonds. Mais il ne vise pas tant à protéger l’environnement qu’à imposer à un opérateur étatique, qui aurait causé un dommage environnemental et n’aurait pas engagé l’argent nécessaire à l’intervention, de donner au fonds qui permettra d’agir, selon des modalités encore floues. L’opérateur privé peut, quant à lui, soit rembourser l’État, soit financer le fonds constitué. C’est donc un fonds un peu bâtard, pas très opérationnel, qui intervient ex post et ne signifie en rien qu’il sera possible de réparer les atteintes à l’environnement. Le fonds est plafonné, tout comme la responsabilité, sauf si la faute a été intentionnelle. Cela emporte des conséquences pratiques : il faudra probablement organiser des capacités de rétention supplémentaires autour des réservoirs de Dumont d’Urville, avec un système de double coque et des signaux en cas de fuite, et prévoir de nouveaux équipements pour encadrer en périphérie une fuite de L’Astrolabe. Mais cela ne révolutionnera pas l’environnement.

À ce jour, onze parties consultatives au Traité sur l’Antarctique doivent encore approuver l’annexe VI. La Belgique et le Chili auraient, comme la France, récemment entrepris les démarches nécessaires, contrairement aux États-Unis, à la Chine, au Japon ou à l’Inde. Cela est assez inquiétant, d’autant que commence cette année la négociation sur la fameuse protection complémentaire et le régime général de responsabilité. Dans la mesure où l’on a mis douze ans à instaurer le régime restreint lié aux interventions d’urgence, on peut imaginer qu’il faudra attendre un moment avant un régime général, d’autant plus au vu du comportement moins coopératif de la Chine et de la Russie.

Il est important d’envoyer un signal positif aujourd’hui, pour lancer la dynamique, alors que la France vient de présider la Conférence des parties au Traité sur l’Antarctique. Je vous invite à voter sans réserve en faveur de l’approbation de cet accord.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour cet exposé passionnant. J’ai remarqué que tout ce qui touche à l’Antarctique passionnait cette commission, à juste titre.

M. Jean-François Mbaye (LaREM). Le qualificatif de « virtuose » a pris tout son sens, après cet exposé passionnant et engagé ! Je suis très impressionné, monsieur le rapporteur, par votre démonstration : réussir, à partir d’un sujet aussi technique, à faire montre d’un tel engagement me laisse sans voix.

Si le texte définit un premier cadre protecteur, il reste possible d’y prévoir d’autres missions, notamment consacrées à la recherche scientifique. Par ailleurs, la croissance du tourisme impose un cadre d’intervention strict, pour limiter au maximum les risques de dommages et prévoir des modalités de réparation. Le dispositif semble assez équilibré. Selon le principe du pollueur‑payeur, il impose que soient prises toutes les mesures de prévention et de gestion d’un événement exceptionnel qui viendrait mettre en danger l’environnement. Plusieurs obligations l’accompagnent pour en assurer l’efficacité : nécessité de souscrire à une assurance ou de disposer d’une garantie financière suffisante afin que la réparation de toute catastrophe puisse être honorée. C’est une vraie sécurité, directement liée à l’obligation de prévoir une action de réparation rapide et efficace, en cas de dommage. Ces nouvelles protections internationales sont importantes. Il nous appartiendra de les appliquer d’une manière exemplaire. Il nous faut, nous Européens, être leaders sur la question du climat et nous fixer un cap clair. Le groupe La République en Marche accompagnera l’élan d’engagement et de passion que vous avez su incarner, monsieur le rapporteur.

M. Bruno Joncour (Dem). Je vous remercie pour votre présentation éclairante et votre rapport, intéressant. Compte tenu de la singularité de l’Antarctique, sa protection pour des raisons environnementales va de soi. Mais elle est également importante d’un point de vue stratégique, pour ses ressources minérales et biologiques. Ainsi la perspective d’une renégociation du protocole en 2048 fait-elle déjà émerger des tensions diplomatiques.

Je rappellerai deux constats du rapport d’information relatif à la problématique des pôles, rendu en avril dernier par nos collègues Habib et Girardin. Le premier, c’est que la communauté internationale a su élaborer pour l’Antarctique l’une des gouvernances internationales les plus ambitieuses, coopératives et protectrices de l’environnement grâce au traité. L’exposé du rapporteur le souligne également. Rarement on aura aussi largement responsabilisé la communauté internationale et le fait que cette entente vise l’étude et la préservation de l’environnement devrait être un signe encourageant et un modèle pour l’avenir des négociations internationales. En outre, la présence française en Antarctique est importante puisqu’elle fait partie des sept pays possessionnés et que ses chercheurs sont parmi les meilleurs de la zone, avec l’Institut polaire français Paul-Émile-Victor (IPEV).

Je constate également qu’à l’inverse, tous les États n’ont pas facilité le dialogue et certains entravent même les travaux de la Commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR). Je pense évidemment à la Chine et à la Russie, qui se sont opposées en 2020 à la mise en œuvre de pêcheries scientifiques et à la création de nouvelles aires marines protégées, sans oublier la protection russe accordée à un bateau violant manifestement le traité puisqu’il pêchait dans la zone. La Russie faisait partie des douze États signataires du traité de Washington et l’arrêt des négociations de bonne foi avec la Russie n’est évidemment pas un bon signe. De même, l’intérêt croissant de la Chine pour la région doit nous inciter à la vigilance.

L’annexe dont la ratification est soumise à notre vote implique davantage de responsabilités et d’investissement dans la protection du continent antarctique, davantage de respect et de coopération entre les États parties. Son approbation est une étape encourageante vers la préservation du patrimoine planétaire. C’est la raison pour laquelle le groupe Mouvement démocrate et Démocrates apparentés votera pour le projet de loi.

M. Jean-Michel Clément (LT). Monsieur Maire, la passion qui vous anime n’a d’égal que la qualité de votre travail. Lorsqu’on est attaché à des contrées comme celle-ci, on ne peut qu’être enthousiaste. Je connais plus l’Arctique que l’Antarctique, mais lorsqu’on a goûté à ces espaces naturels, on a une seule envie : les sauvegarder.

C’est pourquoi, à la lecture du protocole – que nous approuverons –, je m’interroge. Un dommage irréversible n’est ni quantifiable ni assurable ; il est définitif. N’est-il pas urgent d’empêcher toute activité qui pourrait aboutir à des dommages irréversibles ? Le tourisme n’est pas une nécessité vitale, alors que la recherche est essentielle et doit être préservée. Quand on voit qu’il faut plus de vingt ans pour arriver à se mettre d’accord, je me dis qu’en vingt ans, le pire peut arriver… Ne faut-il donc pas aller plus loin que les termes de l’accord ?

En outre, en droit international, quelle qualification pourrait-on donner à un acte de cette nature, aux conséquences irréversibles, sur le modèle du crime contre l’humanité ? En effet, sans ce bouclier protecteur, c’est toute l’humanité qui est en danger. C’est notre responsabilité et cela donnera encore plus de force au travail que vous avez réalisé.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Je salue l’exposé remarquable de Jacques Maire, empreint d’enthousiasme et de connaissances. Il s’agit d’un de ces bons rapports de notre commission, technique, passionné, mais également sensible aux enjeux de la diplomatie internationale. Pourquoi nous a-t-il fallu seize ans pour approuver cette annexe ? Cela m’interpelle quand on connaît l’urgence de la problématique environnementale. Le rapporteur a évoqué des forces étrangères hostiles aux dispositions, mais certains acteurs internes à notre pays ont-ils contribué à freiner la ratification ?

Les députés communistes sont très favorables à la mise en œuvre des mesures de l’annexe, qui permettront de protéger l’Antarctique. Je partage l’analyse de Jean-Michel Clément concernant l’impact du tourisme. Le rapporteur le décrit également dans son rapport. Bien sûr, pour le moment, c’est une activité marginale, mais je crois me souvenir que Jean-Yves Le Drian avait souligné que le tourisme a augmenté de 450 % en Antarctique. Certes, on part de très bas, mais c’est une augmentation exponentielle.

Ces espaces que les gens veulent préserver, ils veulent aussi les voir car ils sont magnifiques. C’est le paradoxe. Plutôt que de développer le tourisme, il faudrait multiplier les émissions pédagogiques, comme C’est pas sorcier, afin de vulgariser et de faire mieux connaître la réalité de cet environnement. Au niveau international, la France devrait plaider pour la sanctuarisation totale de l’Antarctique. Dans la continuité de ce rapport, ce serait une démarche très intéressante pour la commission. La France présidant actuellement le Conseil de sécurité des Nations unies, peut-être le président de la commission ou le rapporteur pourrait-il plaider en ce sens auprès de l’exécutif ?

Lors des débats sur le projet de loi de programmation militaire, par ma voix, le groupe communiste a exprimé le vœu que tous les territoires français disposent de forces suffisantes pour agir en matière de protection de l’environnement – l’exemple récent de la pollution pétrolière en Corse illustre cette nécessité. La France est la deuxième puissance maritime du monde. Il ne s’agit pas seulement d’opportunités d’exploitation, mais aussi d’une responsabilité environnementale.

La loi de programmation militaire pourrait intégrer des outils et mettre des moyens à disposition de l’armée car, en cas de pollution ou d’autres atteintes à l’environnement, cette dernière est capable de se transporter rapidement partout dans le monde. Renforçons le budget alloué à l’armée pour la protection de l’environnement plutôt que de financer la bombe atomique, arme de destruction, qui coûte 14 millions et demi d’euros par jour pendant encore quatre à cinq ans. C’est un budget conséquent, qui permettrait de protéger l’Antarctique.

Nous voterons pour le projet de loi de ratification et nous souhaitons qu’une démarche soit engagée par notre commission, par la voix de son président ou de notre rapporteur.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Monsieur le rapporteur, toute la commission salue la qualité technique de votre rapport, votre talent et votre passion ! Je me joins bien volontiers à ce concert de louanges et je conclurai en rappelant une des définitions du tourisme de masse : il consiste à transporter des gens qui seraient mieux chez eux dans des lieux qui seraient mieux sans eux.

M. Jacques Maire, rapporteur. Je vous remercie et suis heureux que l’énergie polaire vous ait touchés, d’autant que la mission de l’ambassadeur des pôles est beaucoup moins visible depuis qu’il doit travailler derrière un écran.

L’annexe ne reprend pas le principe pollueur-payeur, mais prévoit que le pollueur doit limiter son impact et, s’il ne fait rien, indemniser l’État pour le coût des secours. Elle ne prévoit donc pas de dédommagement pour les atteintes à l’environnement. La réparation du préjudice écologique relève d’une autre annexe, qui sera négociée dans les prochaines années. Cela risque malheureusement de prendre du temps.

Vous m’avez interrogé sur les raisons du délai très long entre l’adoption de l’annexe et sa ratification. L’administration en charge de la ratification, que je connais bien, a ses propres turpitudes et le reconnaît. Mais, en outre, il s’agit de sujets techniques, assez virtuels, sans enjeux immédiats, et il faut malgré tout constituer une étude d’impact. Enfin, le Trésor, omniprésent en France, est en l’espèce comme une poule face à un couteau : il n’y a ni marché ni opérateur, et il existe déjà des obligations en vertu du droit européen ou du droit commercial. Pourquoi inventer de nouvelles responsabilités ? Quels nouveaux mécanismes de financement imaginer ?

Une illustration de ce particularisme : l’assurance dommages à l’environnement d’un bateau de tourisme d’environ cent mètres de long lui permet de couvrir des dommages de plusieurs centaines de millions, voire d’un milliard d’euros, toutes causes confondues. À l’inverse, l’État est son propre assureur pour L’Astrolabe mais en réalité, il ne s’assure pas et, sur son budget propre, l’IPEV n’est pas capable de se protéger comme le ferait la Compagnie du Ponant. Le marché est donc à la fois en avance et à côté de ce qu’est le besoin. C’est toute la difficulté pour les acteurs administratifs.

Le traité risque-t-il d’être remis en cause, notamment en 2048 ? Il s’agit d’un traité permanent et les possibilités de révision sont donc très encadrées. Si des ajustements ou des modifications marginales sont possibles, la probabilité de changements majeurs – comme l’autorisation de l’exploitation minière – est très faible.

En revanche, le traité n’engage que ceux qui l’ont signé. C’est pourquoi le consensus de 1959 est fondamental – on aurait du mal à l’atteindre aujourd’hui… Pourquoi alors ne pas aller vers la sanctuarisation, pour laquelle certains d’entre vous plaident ? On n’en est pas très loin en l’état actuel du droit puisque toute nouvelle activité doit faire l’objet d’une autorisation préalable de la part des parties, si on exclut le cas du tourisme, sur lequel je vais revenir. En outre, il s’agit d’un sujet particulièrement sensible à l’heure où, au sein de la CCAMLR, la Russie et la Chine empêchent la création de nouvelles réserves marines, malgré les efforts très importants de la France. En plaidant pour la sanctuarisation, il ne faudrait pas fragiliser le consensus et contribuer à la sortie de la Chine.

Cela dit, les parlementaires peuvent agir. Marielle de Sarnez était d’ailleurs particulièrement intéressée par le sujet puisqu’elle a coprésidé le groupe d’études Arctique, Antarctique et Terres australes et antarctiques françaises – droit des grands fonds. Elle m’avait demandé de la représenter à la première conférence interparlementaire des parlements parties au traité à Londres en 2019. Il s’agissait alors pour les parlements de commencer à s’approprier le sujet. Il est fondamental que la discussion sur l’Antarctique entre scientifiques, parlementaires et politiques au sens large ne soit pas le monopole des Anglo-saxons comme c’est le cas actuellement. La recherche française est sur la défensive du fait de son manque de moyens. Dans les années qui viennent, nous pourrions utilement accueillir une conférence interparlementaire sur l’Antarctique, comme les Anglais l’ont fait en 2019.

Comment réguler le tourisme ? Il en existe trois catégories en Antarctique. La première, et la plus ancienne, concerne dix bateaux deux fois par an. À chaque fois, une dizaine de personnes embarquent pour six à huit semaines dans des conditions très difficiles. L’impact environnemental est nul et le marché, très majoritairement français, sans perspectives de développement.

Un deuxième marché, plus récent, se développe vite. C’est celui dont on parle le plus. Il concerne de petits paquebots de moins de deux cents personnes. L’Association internationale des voyagistes antarctiques (ou International Association of Antarctica Tour Operators – IAATO), très inquiète à l’idée que l’on pourrait remettre en cause cette activité, a développé une très forte autorégulation, durable, dont je peux donner des exemples précis. Dans les endroits les plus sensibles, comme l’île de la Déception – île de débarquement quand on vient d’Ushuaia –, il ne peut y avoir plus d’un bateau toutes les trente-six heures. En outre, les bateaux avancent à moins de dix nœuds dans la zone antarctique pour préserver les baleines et ils ne peuvent pas débarquer plus de cent personnes au même endroit. Enfin, les parcours à terre sont balisés, afin que les touristes ne dérangent pas les manchots. De nouveaux acteurs, chinois ou russes, commencent à montrer le bout de leur nez. Si l’autorégulation de l’IAATO ne suffit plus et si de gros paquebots polluants commencent à défiler, comme à Venise, il faudra alors peut-être réguler.

Le plus gros danger est lié au réchauffement climatique qui pourrait permettre le développement d’une troisième forme de tourisme. Actuellement, les terres ne sont accessibles que deux ou trois mois par an et, durant l’hiver antarctique, on n’accède pas au continent, la mer de glace mesurant plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines, de kilomètres, quand les animaux sont en hibernation. Mais, d’ici à dix à quinze ans, les touristes pourront débarquer sur une période plus importante, en beaucoup plus d’endroits, et en avion. Va-t-on anticiper ou agir après coup ?

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous remercie pour ce passionnant exposé, sur les traces de Shackleton !

La commission adopte l’article unique du projet de loi sans modification à l’unanimité.

 

 

 

Informations relatives à la commission

La commission a désigné :

- M. Alain David, rapporteur sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et l’Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer relatif au siège de l’Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer et à ses privilèges et immunités sur le territoire français (n° 4323) ;

- M. Didier Quentin, rapporteur sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’Etat du Qatar relatif au statut de leurs forces (n° 4324).

 

La séance est levée à 20 heures 10.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jean-Michel Clément, M. Alain David, Mme Maud Gatel, M. Bruno Joncour, M. Rodrigue Kokouendo, M. Mustapha Laabid, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Nicole Le Peih, M. Jacques Maire, M. Jean François Mbaye.

 

Excusés. - M. Bernard Deflesselles, Mme Frédérique Dumas, M. Michel Herbillon, M. Jean-Luc Reitzer.