Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

 

 

 

  examen de la proposition de loi visant à l’instauration d’une taxe sur les profiteurs de crise (n° 4020) (Mme Mathilde Panot, rapporteure)               2

 

 

 

 

 


Mercredi
14 avril 2021

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 65

session ordinaire de 2020-2021

 

 

Présidence de

 

Mme Cendra Motin,

Vice-Présidente

 


  1 

La commission examine la proposition de loi visant à l’instauration d’une taxe sur les profiteurs de crise (n° 4020) (Mme Mathilde Panot, rapporteure).

Mme Cendra Motin, présidente. Mes chers collègues, nous examinons ce matin la proposition de loi n° 4020 visant à instaurer une taxe sur les profiteurs de crise, dont Mme Mathilde Panot est la rapporteure et qui est inscrite à l’ordre du jour de la séance du jeudi 6 mai, réservée au groupe de la France insoumise.

Mme Mathilde Panot, rapporteure. « Ce pays, quel spectacle offre-t-il ? Je pourrais me demander aujourd’hui, l’âme inquiète, si nous ne sommes pas en train de préparer, de faire naître, deux France. Oui, je me demande, troublé, s’il n’y a pas la France du front où l’on se bat, où l’on risque sa vie tous les jours, à toute heure, à toute minute, et la France de l’intérieur, où l’on s’enrichit en toute quiétude. »

Cette phrase, collègues, a été prononcée par Fernand Merlin, parlementaire français, en 1916, au milieu d’une guerre menée « coûte que coûte ». Comme lui, je me pose cette question : quel spectacle les puissants que vous servez sont-ils en train de nous offrir ?

Il y a, en bas, ceux que la crise frappe de plein fouet, les premières de corvée, ces travailleurs essentiels, au front, à l’hôpital ou dans la grande distribution, et les autres, en haut, pour qui le coronavirus n’aura été qu’une succession de réjouissances et pour qui la fête continue.

Comme il fait bon vivre en France en 2021 !

On salue, par exemple, Stéphane Bancel, le PDG français de Moderna, qui célèbre cette année son entrée dans le classement Forbes des plus grosses fortunes de France, avec 3,5 milliards d’euros gagnés grâce à la pandémie mondiale, pendant qu’un million de personnes basculaient dans la pauvreté du fait de la crise sanitaire.

On souhaite une très belle année à tous ces milliardaires français, dont la fortune a augmenté de 55 % pendant l’épidémie, alors que 10 millions de pauvres et 300 000 personnes mal-logées tentent de survivre dans notre pays.

Ah ! Comme il fait bon vivre en France en 2021, quand on est riche !

On peut faire tant de choses ! Louer une île pour échapper au virus, multiplier les allers-retours dans sa maison de campagne, percevoir des dividendes sans rien faire, être membre du Gouvernement, augmenter ses bénéfices en pleine crise mondiale, promettre une prime à ses salariés de la grande distribution en la faisant financer par la collectivité, et ne jamais la leur verser, traiter les chômeurs d’assistés quand on a soi-même hérité de l’entreprise de papa, déjeuner en plein confinement dans des restaurants clandestins à 460 euros le menu, sans être sérieusement inquiété.

Quel spectacle ces puissants que vous servez donnent-ils au reste du monde ?

L’Angleterre a annoncé l’augmentation de son impôt sur les sociétés. Les États-Unis veulent faire de même, en plus d’augmenter la fiscalité sur les plus hauts revenus, et appellent à un taux minimal mondial d’impôt sur les sociétés. La Nouvelle-Zélande, quant à elle, augmente l’impôt sur le revenu des plus riches. Le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, appelle à taxer les profiteurs de crise. Même le Fonds monétaire international (FMI) plaide pour une hausse de l’impôt sur les revenus des plus riches, une hausse de l’impôt sur les sociétés et une taxe sur les profiteurs de crise. Bref, tous disent que votre ruissellement est une mauvaise blague à laquelle il est grand temps de mettre fin. Le gavage sur fond d’exonérations toujours plus grandes pour les riches, de rémunérations toujours plus énormes pour le capital, d’écrasement des salaires, c’est terminé, personne n’en peut plus ! Il ne manque plus que votre volonté politique, comme vous l’a rappelé Attac (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne) lors d’une journée d’action ce week-end pour dénoncer le « gang des profiteurs ». Qui doit payer la crise ? Les retraités, les chômeurs, les personnes salariées au Smic ou ce gang des profiteurs ? La fortune de Françoise Bettencourt Meyers a augmenté de 21 milliards en 2020, celle de Bernard Arnault de 62 milliards, celle de François Pinault de 15 milliards et celle de Patrick Drahi de 7 milliards.

Mais vous, pendant ce temps, vous jouez encore la mauvaise farce. Vous persistez à refuser de rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune et vous maintenez votre « flat tax » sur le capital alors même que les milliardaires français sont, de loin, les plus riches d’Europe. Augmenter l’impôt sur les sociétés ? Jamais. Taxer les dividendes ? Vous n’y pensez pas ! Baisser les indemnités de millions de chômeurs alors que le nombre d’emplois s’effondre, pour économiser 2,3 milliards d’euros par an sur les plus pauvres ? Ah oui, volontiers ! Vous écrasez les chômeurs alors que tant perdent leur emploi et qu’il y en a déjà si peu. Retirez cette réforme injuste, répondez à la revendication de ceux qui occupent les lieux de culture !

Vous n’alliez pas vous arrêter en si bon chemin. Emmanuel Macron, c’est cinq ans de festivités pour les plus riches : « flat tax », suppression de l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune), douche au champagne d’argent public pour les grandes entreprises sans contrepartie, mais cinq ans de gueule de bois pour les pauvres, du fait de la baisse des aides personnalisées au logement (APL), de la suppression des emplois aidés, de la réforme de l’assurance chômage et de votre réforme des retraites qui fera travailler les gens plus longtemps, pour moins d’argent, et que vous voulez imposer coûte que coûte.

Je ne sais plus ce qui est le plus honteux : le fait que vous soyez à la ramasse ou que ce soit le FMI qui vous le dise.

Il y a encore un siècle, l’idée de taxer les profiteurs de la crise ne souffrait d’aucune polémique. Citons le ministre des finances de l’époque : « Tout le monde trouvera juste que ceux qui doivent à la guerre un supplément de revenus alors qu’elle a causé à d’autres tant de misères et de ruines, participent pour une part plus large aux dépenses qu’elle entraîne. Cette idée est tellement simple qu’il n’est pas besoin d’opposer dans un tableau plus ou moins impressionnant l’enrichissement rapide des premiers à la détresse prolongée des seconds pour qu’elle s’impose à l’esprit. »

Cette idée était si limpide que la proposition fut adoptée à 470 voix contre une – et vous représentez cette voix hostile, celle des profiteurs. En 1916, les taxer n’avait rien de honteux. « Nous sommes en guerre », martelait le Président de la République l’année dernière.

Pour protéger les plus riches, vous raffolez d’un argument qui est devenu un grand classique : si on les taxe, les grandes entreprises investiront ailleurs. Vous vous livrez à ce chantage permanent, si bien qu’aucune mesure de justice fiscale ne serait possible ni même souhaitable. Vous êtes pourtant les premiers à dire qu’il faudrait faire confiance aux grands groupes. Dans ce cas, serait-il raisonnable de leur part de quitter le pays parce qu’on leur demande de faire preuve d’un peu de solidarité nationale ? Devons-nous continuer à baiser les pieds d’entreprises immorales ? Après tout, vous les avez suffisamment arrosées d’argent public. Avant l’épidémie, les aides publiques aux entreprises augmentaient de 6 % par an. Avant 2008, elles s’élevaient à 65 milliards d’euros chaque année, 110 milliards d’euros en 2012 et, juste avant la crise, 150 milliards d’euros. Chaque Français leur signe tous les ans un chèque de 2 000 euros par votre intermédiaire. N’est-ce pas largement suffisant pour se remettre d’une taxe ?

Mais votre thèse préférée reste celle de la psychologisation des citoyens. Les Français seraient un peuple haineux, envieux, jaloux et mesquin, qui n’aimerait pas la réussite. Mettons de côté ce que vous entendez par « réussite ». Les Français ne sont pas ainsi. Ils s’étonnent simplement que vous ne cherchiez pas l’argent où il se trouve et vous regardent, perplexes, gesticuler dans tous les sens, faisant les poches aux plus petits, car vous êtes toujours très inspirés quand il s’agit d’appauvrir les classes moyennes, les ouvriers et les employés, les précaires, mais vous tremblez des mains quand il faut taxer une poignée de privilégiés. Ils aimeraient que vous mettiez fin à la folie des riches.

Par exemple, Sanofi, entreprise française, qui a perçu plus d’un milliard d’euros de crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) durant les dix dernières années, envisage pourtant de licencier plus d’un millier de personnes. Elle n’a pas trouvé de vaccin mais son bénéfice net a augmenté de 340 % l’année dernière. Des incapables, qui nous coûtent cher.

Amazon, champion de la pollution et de la maltraitance salariale, a réalisé un bénéfice de 21,3 milliards de dollars en 2020, soit le double de l’année précédente. Son PDG, Jeff Bezos, a vu sa fortune personnelle bondir de 24 milliards de dollars. À eux seuls, les cinq « GAFAM » – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – ont tiré de l’année de la pandémie un excédent de profits de 46 milliards de dollars.

La grande distribution s’est gavée sur le malheur de la fermeture des petits commerces, les compagnies d’assurance ont économisé des millions d’euros sur l’automobile et la couverture habitation, tout en refusant d’indemniser ces mêmes petits commerces. J’aurai une pensée fraternelle pour les salariés de Carrefour et de Monoprix qui se mobilisent afin d’obtenir une augmentation et le paiement de la prime qu’on leur avait promise.

Rien que pour le CAC 40, sept entreprises ont tiré des surprofits pendant la crise, mais nous devrions les laisser profiter tranquillement d’une situation de plus en plus insupportable pour ceux qui ne peuvent rouvrir leurs terrasses, accueillir leurs clients, retrouver un travail. Vous êtes de bien mauvais économistes car vous n’arrivez jamais à faire le lien entre l’accumulation pour un côté de la société et le vide matériel pour l’autre. Vous ne pouvez pas demander toujours aux mêmes de serrer encore un peu les dents quand une poignée s’engraisse sans scrupule, aux yeux de tous.

Voici le sens de notre proposition : arrêter ce délire qui consiste à laisser les entreprises se gaver sur le malheur national. Nous n’acceptons pas que des entreprises aient pu tirer des bénéfices d’une situation qui afflige le plus grand nombre, ni que l’État soit complice par son inaction.

Cette taxe sur les profiteurs de crise repose sur deux critères : un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros et un bénéfice, en 2020, supérieur à celui de l’année précédente. Nous proposons de taxer 50 % de ces bénéfices supplémentaires en retenant le principe de la taxation unitaire, qui lie le niveau d’activité d’une entreprise dans un pays à l’assiette fiscale, afin de contourner cette curieuse manie des grands groupes de pratiquer l’évasion fiscale. En se bornant aux entreprises du CAC 40, le produit de cette taxe s’élèverait à 6 milliards d’euros, soit dix-sept fois le rendement annuel de votre taxe sur les GAFAM et trois fois le rendement annuel des économies que vous voulez réaliser sur le dos des privés d’emplois, grâce à votre réforme de l’assurance chômage. Elle permettrait ainsi de répondre aux urgences sociales qui ne manquent pas, dans notre pays.

Collègues, peut-être n’y a-t-il pas d’argent magique mais certaines poches sont plus remplies que d’autres. Les tours du capital ne sont pas bien compliqués à comprendre.

Si vous ne saisissez pas ce moment historique pour taxer les fortunes colossales et indécentes, quand le ferez-vous ?

Il n’est pas seulement question de justice fiscale. L’accumulation illimitée de richesses dans la période que nous vivons est immorale, voire contraire à la nature humaine qui veut que nous soyons solidaires dans les temps troubles. Rousseau écrivait que l’âme humaine est mue par la pitié, l’empathie, c’est-à-dire la répugnance instinctive à voir souffrir son semblable. C’est ce sentiment naturel qui fonde toute communauté politique républicaine. Nous vous enjoignons à la préserver. « L’unité morale de ce pays ne peut être maintenue que si tout le monde, à quelque rang, à quelque place qu’il se trouve, est animé du même sentiment de sacrifice et de devoir » déclarait un parlementaire, il y a un siècle. Tous les profiteurs de crise que j’ai nommés précédemment en font sécession et fragmentent notre nation.

Cette proposition de loi n’est qu’un avant-goût car croyez bien, collègues, que si nous étions aux manettes, nous ne parlerions pas que d’une contribution exceptionnelle. C’est d’une véritable réforme fiscale dont ce pays a besoin. Amazon ne devrait pas être taxée qu’une seule fois. Elle devrait commencer par payer ses impôts en France, comme doivent le faire d’ailleurs tous les contribuables français, par l’impôt universel, qu’ils vivent dans notre pays, ou qu’ils résident dans un État moins redistributif. Sanofi ne doit pas se contenter de rembourser les cadeaux et s’excuser de son inutilité crasse alors que 100 000 de nos compatriotes sont morts mais être nationalisée pour investir vraiment dans la recherche et empêcher que ne survienne une nouvelle crise de cette ampleur.

De cette tribune, nous disons aux 200 familles qui ont profité de la crise : Rendez l’argent ! Vous avez déjà provoqué la mort de dizaines de milliers de nos compatriotes en essorant l’hôpital public et les administrations sanitaires ! Cet argent, nous vous demandons de le rendre, non pas parce que nous n’aurions pas confiance dans votre sens de l’intérêt général, mais pour vous avertir que nous le récupérerons, de gré ou de force.

Certaines PME paient plus d’impôts que n’importe quel grand groupe qui pille le pays et planque son magot au Luxembourg ou en Irlande. En France, Amazon paie 0,04 % de son chiffre d’affaires, et je ne parle pas d’OpenLux, ces 15 000 traîtres à la patrie qui possèdent au Luxembourg des sociétés totalisant 100 milliards d’euros d’actifs, soit 4 % du PIB français. Contre tous ceux-là, vous n’avez pas un mot, jamais. En revanche, former les agents de la CAF (caisse d’allocations familiales) au flicage intensif, vous savez faire. « Il avait sous les yeux mes comptes bancaires et épluchait chaque ligne. Avais-je vraiment besoin d’un abonnement internet ? À quoi avais-je dépensé ces vingt euros retirés en liquide ? » Voilà le type d’inquisition que subissent les plus pauvres de notre pays.

Selon le sociologue Denis Colombi, l’argent des pauvres est source de fantasmes. Vous l’imaginez toujours mal dépensé, mal utilisé, mal alloué. Quand ils s’achètent un téléviseur ou un smartphone, vous leur tombez dessus. Or, sans téléviseur, on ne peut pas suivre les annonces contradictoires de Jean Castex, sans smartphone on ne peut pas accéder aux formulaires en ligne ou à ses droits. Les pauvres ne sauraient pas gérer leur budget, soi-disant. Ils seraient donc responsables de leur situation. Pourtant, ils font preuve d’une ingéniosité sans borne quand il s’agit de nourrir une famille avec la moitié d’un SMIC. En revanche, l’argent des riches coule de source. Questionne-t-on les milliardaires sur la manière dont ils emploient leur argent ? Jamais ! Une voiture, deux voitures, trois voitures, quatre maisons, cinq maisons, un yacht, pourquoi pas un avion, ce ne sont pas les moutons que ces gens comptent avant de s’endormir. En l’espèce, vous vous gardez bien de dire qu’ils dépensent de manière déraisonnable et qu’ils détruisent la planète, par la même occasion.

Je conclurai par cette belle phrase d’Isidore Tournan, parlementaire comme vous et moi, prononcée il y a un siècle : « La France a montré de quels prodiges de bravoure et d’endurance elle est capable. Tous les espoirs sont permis si, dans votre pensée comme dans votre action, vous ne séparez jamais l’idée de patrie de l’idée de justice. »

Oui, collègues, les Français ont fait preuve de patience, depuis un an, éloignés de leurs proches, parfois en deuil quand la maladie passe, déprimés et vivant dans l’angoisse du lendemain. Ceux-là ont déjà consenti plus que leur part d’efforts quand tant d’autres vivent la belle vie, à l’abri de cette calamité publique qu’est la crise sanitaire. Mettons ces derniers à contribution, sauvons la République par la justice.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général. Madame la rapporteure, vous avez décidé de faire de ce texte, non pas vraiment une initiative législative, mais une tribune politique. C’est votre choix. Après tout, vous êtes libre d’utiliser votre « niche parlementaire » comme vous le souhaitez. Je considère, pour ma part, que votre propos siérait davantage à la séance publique qu’à notre commission. Vous avez en face de vous des législateurs du droit fiscal, qui travaillent plusieurs mois par an sur les sujets que vous avez abordés : en tant que rapporteur général, je ne trouve pas correct de les traiter de serviteurs de puissants. Nous attendions de votre part des propositions fiscales précises… (Exclamations de M. Ugo Bernalicis)

Mme Cendra Motin, présidente. Monsieur Bernalicis…

M. Ugo Bernalicis. Il y a un problème, madame la présidente, c’est deux poids deux mesures ! Vous ne râliez pas quand tout le monde élevait la voix tout à l’heure.

Mme Cendra Motin, présidente. On ne s’interpelle pas, dans cette commission. Je suis à la tribune avec Mme la rapporteure et je serais intervenue pour faire cesser le brouhaha s’il avait été tel qu’elle n’aurait pu s’exprimer. Je vous prie de vous tenir correctement et de ne pas interrompre le rapporteur général.

M. Ugo Bernalicis. Bravo ! Quelle mauvaise foi !

Mme Cendra Motin, présidente. Ne m’obligez pas à prendre d’autres décisions, s’il vous plaît.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général. Votre proposition de loi vise à instaurer une taxe sur les profiteurs de crise. Qu’entendez-vous par ce terme-là, qui est fort ? Reprenez-moi si je me trompe mais je comprends, à la lecture de l’article unique du texte, qu’il s’agirait d’une entreprise dont le résultat net en 2020 serait strictement supérieur à celui de 2019. Autrement dit, vous êtes contre la création de richesse et la réalisation de profits par une entreprise privée, particulièrement en temps de crise. Allons ainsi droit au but, nous comprendrons mieux la finalité de votre proposition.

C’est dommage car vous auriez pu profiter de l’occasion pour aborder les problèmes réellement complexes que peut faire naître une crise. Je pense en particulier à la création des bulles d’actifs. Lorsque, pour surmonter une crise économique, les banques centrales jouent le rôle de pompiers en injectant massivement de la monnaie pour soutenir le tissu économique, les salariés et l’ensemble des citoyens, les conséquences économiques et sociales peuvent être sérieuses. La bulle immobilière que connaissent les États-Unis et qui pourrait concerner notre continent est une conséquence problématique de la création monétaire exceptionnelle en temps de crise. On pourrait aussi citer le cas des survalorisations d’entreprises susceptibles de créer des effets de rente. Si vous aviez appelé notre attention sur ces situations de rente, problématiques et indues, nées de la réponse monétaire à la crise, en proposant de redistribuer la richesse à l’échelle européenne voire mondiale par l’intermédiaire de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), j’aurais compris. Au contraire, vous voulez exiger d’une entreprise, qui s’en serait sortie pendant la crise, de rendre des comptes, en payant une taxe, au motif que ses dirigeants seraient des profiteurs ! Rendons-nous compte de la violence et de l’indécence du propos !

Nous devrions plutôt encourager ceux qui ont réussi à surmonter la crise et dégager des bénéfices, car ils ont pu sauver des emplois et investir pour en créer de nouveaux demain. C’est cet objectif que nous avons poursuivi en accordant des aides d’urgence et en établissant un plan de relance.

Revenons-en à votre taxe. Laissons de côté les risques élevés de neutralisation du dispositif par les conventions fiscales, dont vous avez sans doute conscience. Vous avez rappelé, à juste titre, que les États-Unis et la Grande-Bretagne prévoyaient d’augmenter l’impôt sur les sociétés. Rappelons cependant que la France est le pays dans lequel les prélèvements obligatoires sur les entreprises sont parmi les plus élevés au monde. Si vous voulez faire converger la fiscalité au niveau mondial, comme je le souhaite également, vous ne devez pas prendre en compte le seul impôt sur les sociétés mais l’ensemble des prélèvements obligatoires, qu’il s’agisse des impôts de production, encore élevés même si nous les avons réduits, ou de toutes les cotisations. Le fait que les États-Unis relèvent le taux de leur impôt sur les sociétés, après l’avoir extrêmement réduit sous la présidence de Donald Trump, ne doit pas nous inciter à augmenter le nôtre également. Plutôt que le parallélisme des formes, nous devons au contraire rechercher la convergence fiscale pour que la compétitivité des entreprises européennes, en particulier des nôtres en France, ne soit pas mise en difficulté.

Nous aurions pu, également, réfléchir aux moyens d’améliorer encore notre niveau de redistribution qui est le plus élevé au monde, mais je ne partage en aucun cas votre idée que des personnes morales et, par conséquent, tous leurs salariés, deviendraient des profiteurs parce qu’ils ont résisté à la crise. Cette proposition de loi est une insulte à leur endroit. Vous vouliez, au travers de votre tribune politique, attaquer le patronat mais vous vous êtes trompée de cible car, en l’espèce, les salariés sont les premiers « profiteurs » des entreprises qui survivent à la crise. (Interruption de M. Ugo Bernalicis  « C’est incroyable ! » sur plusieurs bancs)

Mme Cendra Motin, présidente. Essayons d’écouter à présent, dans le calme, les orateurs des groupes. (Nouvelle interruption de M. Ugo Bernalicis.)

M. Daniel Labaronne. Puis-je m’exprimer ?

Mme Cendra Motin, présidente. C’est mon dernier avertissement, monsieur Bernalicis. Vous n’êtes peut-être pas familier des usages de notre commission, que vous avez rejointe pour l’occasion, mais je vous rappelle que nous avons pour règle d’écouter tout le monde.

M. Daniel Labaronne. Madame la rapporteure, je m’en tiendrai à l’exposé des motifs de votre proposition de loi et à son dispositif. Je n’utiliserai pas ici mon intervention comme tribune politique mais je m’en réserverai le droit dans l’hémicycle.

Vous dressez plusieurs constats : certaines entreprises du numérique ne paieraient pas suffisamment d’impôts et des acteurs du commerce en ligne seraient coupables de fraudes à la TVA. Ces constats peuvent être partagés mais votre réponse n’est pas à la hauteur des enjeux économiques. Vous voudriez ainsi nous faire croire que la majorité n’a apporté aucune réponse à ces vrais problèmes et que l’article unique de votre proposition de loi pourrait être la solution efficace et équilibrée. Nous pensons le contraire. Vous vous contentez de faire un coup politique et un buzz médiatique en jouant sur l’émotion. C’est votre droit et nous en avons l’habitude.

Vous proposez une mesure choc, sans chiffrage, ni évaluation ou étude d’impact : un dispositif ponctuel que je qualifierai de simpliste, voire d’aveugle.

La refonte d’une fiscalité qui ne serait plus adaptée à la multiplicité des acteurs, à la complexité des échanges ou des modes de commercialisation est un processus qui mérite que l’on s’y attarde mais qui demande du temps car il est bien plus complexe qu’une taxe qui tiendrait dans l’article unique d’une proposition de loi, qu’un hashtag ou qu’un slogan. Au passage, je m’étonne que le FMI vous serve subitement d’allié : n’avez-vous pas dénoncé la tutelle que nous imposerait la troïka FMI, Commission européenne, Banque centrale européenne ?

La majorité n’est pas dans l’émotion, elle a agi. La France fut ainsi l’un des premiers pays à taxer les GAFA, en 2019. Grâce à notre action, les ministres de l’économie et des finances de l’Union européenne se sont accordés pour définir un cadre commun à la taxation des entreprises de l’économie numérique. Bref, nous ne vous avons pas attendue pour avancer dans ce domaine.

Je terminerai en constatant, à la lecture de votre exposé des motifs et de l’article unique, que votre seuil d’assujettissement oscille entre 100, 150 et 750 millions d’euros, ce qui ne témoigne pas d’une rédaction très rigoureuse. Il va de soi que notre groupe votera contre cette proposition de loi.

Mme Véronique Louwagie. Le sujet revient régulièrement dans les orientations de la France insoumise : taxer, taxer toujours plus. Vous proposez aujourd’hui de reproduire le modèle de la contribution extraordinaire sur les bénéfices exceptionnels réalisés pendant la Première guerre mondiale, votée par le Parlement en 1916, mais la situation est totalement différente. Instaurer aujourd’hui une taxe de cette nature serait absurde et contre-productif.

Au-delà du contexte, qui est incomparable, la fiscalité française d’avant-guerre était bien plus faible. L’impôt sur les sociétés n’existait pas et l’impôt sur le revenu venait d’être créé. Depuis, la France est devenue la championne d’Europe du matraquage fiscal grâce à des taux de prélèvements obligatoires qui battent tous les records : 46 % du PIB contre 41,3 % en moyenne dans la zone Euro. Notre groupe s’oppose d’ailleurs régulièrement à toute nouvelle hausse d’impôt.

Par ailleurs, une taxe de cette nature découragerait les entreprises de développer leur activité, ce qui tuerait la reprise dans l’œuf, en compromettant le retour vers la croissance et en aggravant les difficultés des entreprises qui ont déjà bien du mal à se réapprovisionner en matières premières.

Votre proposition de loi est source de divisions et de tensions. Je suis d’accord avec le rapporteur général qui parlait d’indécence. La crise ne doit pas être l’occasion d’opposer les entreprises entre elles. Plutôt que de punir ceux qui réussissent pendant la crise, nous devrions imposer aux GAFAM et aux acteurs du commerce en ligne la même fiscalité que celle qui pèse sur le commerce physique. Notre groupe avait proposé des mesures en ce sens, notamment pour réviser la définition de l’établissement stable ou harmoniser à l’échelle européenne la fiscalité des GAFAM. De même, nous avons été les premiers à réclamer des efforts aux compagnies d’assurances pendant cette crise.

Nous ne voterons pas cette proposition de loi qui se trompe d’objectif en augmentant encore davantage les impôts. Au contraire, il conviendrait de réduire les taxes qui altèrent l’attractivité de notre pays.

M. Mohamed Laqhila. Vous versez, une nouvelle fois, dans la provocation, chère collègue, car rien ne va, dans votre proposition loi, ni sur le fond, ni sur la forme. Commençons par le titre et l’exposé des motifs : « profiteurs de la crise », « s’engraisser », « entreprise voyou » etc. Pour vous, les entreprises qui gagnent de l’argent et ne demandent pas d’aides publiques, seraient des fraudeurs, des profiteurs et des voyous. Ces propos honteux me scandalisent mais ne m’étonnent guère car ce langage populiste caractérise les extrêmes. L’extrême-droite a son bouc émissaire, la France insoumise a le sien : le chef d’entreprise. Vous osez traiter de voyou et de profiteur le chef d’entreprise qui, en pleine crise, trouve les moyens de rebondir pour éviter le dépôt de bilan, sauver des emplois, créer de la richesse, créer de l’emploi, payer des impôts, des taxes et des charges sociales.

On a beau lire et relire votre proposition de loi, on n’identifie pas très bien les profiteurs ni les critères d’assujettissement à la nouvelle taxe. Qui sont, selon vous, les gagnants de la crise ? Ceux qui n’attendent pas l’aide de l’État ? Ceux qui trouvent de bonnes idées pour répondre à un marché ? Vous voulez taxer le résultat net sans même le définir. Le résultat net peut s’afficher en hausse entre 2019 et 2020 malgré un résultat d’activité en baisse tout simplement en raison d’une cession d’actifs. Inversement, une entreprise pourrait afficher un résultat net en 2020 en recul par rapport à 2019 alors que le résultat d’activité est en hausse, du fait d’une moindre cession d’actifs. Cette dernière, si l’on adoptait votre texte, ne serait pas soumise à la taxe alors que ses concurrents le seraient. Ce serait inique, convenez-en.

Voulons-nous reproduire les erreurs de 2011 et 2014, en augmentant les prélèvements obligatoires alors que nous sommes au cœur de la crise ? Ce serait prendre le risque de faucher la reprise en plein vol. Sans parler de la rétroactivité de votre proposition !

Pour toutes ces raisons, notre groupe s’opposera avec détermination à ce texte.

M. Jean-Louis Bricout. Madame la rapporteure, je vous remercie pour votre proposition de loi qui tend à taxer les profiteurs de crise. Elle ne sera sans doute pas adoptée par la majorité mais elle présente tout de même le mérite de concentrer l’attention sur ceux que vous appelez dans l’exposé des motifs de votre texte les « corona-profiteurs ». Vous vous inscrivez dans une perspective historique qui devrait intéresser notre Président de la République au vocabulaire guerrier. Prenons-le au mot et instaurons, comme en 1916, lors de la Première guerre mondiale, une contribution extraordinaire sur les bénéfices exceptionnels réalisés pendant cette crise.

Vous ciblez par ailleurs les géants du numérique qui contestent notre modèle fiscal et cherchent, par tous les moyens, à échapper à l’impôt. Nous devons mettre fin à cette forme de concurrence déloyale et illégale. Si les récentes annonces américaines laissent espérer une action internationale, celle-ci ne remet pas en cause votre démarche. Au contraire, elle confirme l’importance de se poser la question des profits tirés de cette violente crise sanitaire et sociale.

Vous donnez également l’exemple de Sanofi qui symbolise notre échec. L’argent public n’est pas un chèque en blanc pour licencier, il doit d’abord servir l’intérêt général. Le comportement de ces entreprises, les « corona-profiteurs », est indigne.

La crise a fait naître des situations de rente. Devons-nous, pour autant, qualifier les acteurs économiques de profiteurs ? Le mot est fort, voire choquant. Nous devrions au contraire nous réjouir de voir notre économie créer de la valeur. Il n’empêche que certaines situations sont indécentes.

Ce texte mériterait donc qu’on l’examine avec attention pour l’améliorer. Il est incontestable qu’une période aussi difficile impose d’instaurer une fiscalité d’exception pour renforcer la solidarité.

M. Vincent Ledoux. Il n’existe qu’une seule façon de tuer le capitalisme : des impôts, des impôts, toujours plus d’impôts. Cette ancienne doxa marxiste trouve aujourd’hui son prolongement dans cette proposition de loi qui vise à faire payer les profiteurs de la crise, un autre biais idéologique bien connu étant le présupposé du profit suspect, résumé dans cette célèbre phrase d’Arlette Laguiller, qui a bercé les campagnes présidentielles de ma jeunesse : « La lecture, une bonne façon de s’enrichir sans voler personne ». C’est une façon romantique d’assimiler tout profit à du vol.

Les mots-clés de ce texte parlent d’eux-mêmes : « multinationales », « capitalisme », « inégalités », « lobbies », « néolibéralisme », « mondialisation », « paradis fiscaux et judiciaires », « inquisition ». Les ennemis démasqués sont nommés : le « gang des profiteurs », ces entités rapaces qui cherchent à se repaître des victimes de la crise économique qui enfle, des profiteurs de mort.

Si le capitalisme doit être encadré et corrigé, si les fraudeurs doivent être condamnés, l’idée libérale reste cependant d’une puissante modernité. Notre groupe considère que l’alliance de la liberté d’entreprise, de la propriété intellectuelle et de la mondialisation est vecteur de progrès. C’est ce qui nous a permis de mettre à disposition des États en un an ces prodiges technologiques que sont les vaccins à ARN messager. Doctolib, Zoom, ne sont pas des profiteurs mais des entreprises qui ont montré leur utilité sociale. Qu’elles gagnent de l’argent pour investir et grandir est légitime. Pour ce qui est de l’entreprise européenne Doctolib, c’est même une nécessité absolue, dans notre intérêt.

C’est vrai, il existe des profiteurs de profiteurs mais, Raymond Devos avait raison, du moment qu’on rit des choses, elles ne sont plus dangereuses. Nous voterons donc contre cette proposition de loi anticapitaliste.

M. Michel Zumkeller. Le terme de profiteurs est, bien évidemment, excessif. De même, la création d’une taxe n’est pas dans notre ADN politique. Cependant, cette proposition de loi pose de vraies questions. Il faudrait être d’une grande naïveté pour ne pas croire que certaines entreprises, dans certains secteurs, ont profité de la crise. Deux situations se distinguent. Des entreprises se sont développées parce que leur activité était utile à la crise et nous devons les encourager. D’autres, en revanche, en rationnant, en restant ouvertes, ont sans doute bénéficié d’une année bien meilleure que les autres, contraintes de fermer, et il serait intéressant d’en savoir plus pour qu’elles puissent participer à la solidarité nationale.

Concernant les taxes GAFAM, nous sommes partagés. En raison du monopole de ces entreprises, celui qui paiera finalement sera le consommateur. L’exemple de Google en témoigne. Taxez autant que vous voudrez, cela ne servira à rien.

Au risque de surprendre, je pense que le cas de la grande distribution mériterait notre attention. Ces entreprises sont restées ouvertes quand d’autres devaient fermer et elles ont pu en profiter pour augmenter considérablement le prix de certains produits.

Plutôt que de taxer, réfléchissons au moyen de faire profiter de ces profits ceux qui travaillent dans ces entreprises. Je suis choqué de constater que la caissière de la grande surface n’a bénéficié de rien alors qu’elle était là tous les jours. Que ceux qui ont engrangé d’énormes profits en fassent profiter leurs salariés. Nous ne voterons pas cette proposition de loi mais nous ne nous y opposerons pas non plus. Nous nous abstiendrons car le problème mérite d’être posé.

M. Jean-Paul Dufrègne. Par-delà la sémantique de cette proposition de loi, qui peut être discutée, c’est sa finalité qui compte. Elle met en lumière des situations anormales, voire indécentes pour certaines d’entre elles. Bien entendu, les répercussions économiques de cette crise sont désastreuses. Pour autant sa forme inédite n’a pas pénalisé l’ensemble des acteurs économiques, tant s’en faut.

L’épargne des ménages a augmenté de manière relativement importante, mais en se concentrant essentiellement sur les 20 % des plus aisés, qui en ont accumulé les deux tiers. En revanche, touchés par des pertes de revenus importantes du fait de l’activité partielle ou du chômage, les 20 % des ménages les plus pauvres ont dû s’endetter.

La situation est similaire pour les entreprises, avec des contrastes saisissants. D’un côté, de nombreux petits commerces fermés administrativement et dont le principal filet de sécurité est le fonds de solidarité ; de l’autre, de très grandes entreprises qui ont étendu leurs activités, les confinements ayant offert à certaines d’entre elles un monopole de fait. C’est le cas de celles du numérique, dont on a beaucoup parlé, et notamment d’Amazon qui a triplé ses ventes au cours du troisième trimestre 2020. La grande distribution a aussi été largement favorisée, avec par exemple un chiffre d’affaires en hausse de plus de 20 % pour Carrefour. On peut aussi citer les entreprises pharmaceutiques, comme Sanofi, ou encore les assurances, qui ont vu le taux de sinistralité se réduire en 2020. Le groupe GDR avait lui aussi proposé de les mettre à contribution lors des débats sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2021, par le biais d’une taxe exceptionnelle sur les réserves des assureurs.

Alors que la crise n’est toujours pas finie et que les mesures de soutien se poursuivent, l’effort national est toujours de mise. Le responsable des affaires budgétaires du FMI a préconisé récemment la mise en place d’un impôt supplémentaire et temporaire sur les particuliers les plus riches ainsi que sur les entreprises auxquelles la pandémie de covid-19 a profité, afin de lutter contre l’accroissement des inégalités et de montrer aux citoyens la contribution de tous.

On sait bien que cette proposition de loi ne sera pas adoptée ; ce qui est important, c’est qu’elle met en avant un véritable sujet.

Elle prévoit de taxer à 50 % la différence de bénéfice entre 2019 et 2020. On pourrait estimer que les résultats de 2019 pouvaient être anormalement bas et retravailler le dispositif, mais au fond peu importe.

Cette proposition de loi s’inscrit dans la continuité de celles du groupe GDR en vue d’une participation équitable de toutes les composantes de la société à l’effort national, notamment en proposant une contribution exceptionnelle sur les surplus des bénéfices des entreprises en 2020. Elle peut aussi constituer le pendant de la contribution exceptionnelle sur les plus aisés que nous avions proposée en juin 2020, à l’occasion de la journée d’ordre du jour réservée à notre groupe. Cette taxation semble donc nécessaire au vu de la situation économique et sociale.

Pour conclure, ce type de contribution exceptionnelle ne doit pas être considéré comme un moyen de compenser les pertes de recettes de l’État liées à la crise, ce que ne suggère d’ailleurs pas la proposition de loi. Les sommes tirées de cette nouvelle contribution n’y suffiraient pas et il faudra imaginer des solutions alternatives et innovantes – comme l’annulation partielle des dettes publiques. Pour autant ces contributions supplémentaires sont essentielles et poursuivent des objectifs de justice sociale, de lutte contre les inégalités, mais aussi de réarmement de l’État.

Je ne peux m’empêcher de souligner que lors de la séance de questions au Gouvernement d’hier, de très nombreuses demandes de soutien aux agriculteurs touchés par l’épisode de gel ont été formulées ; pour financer les dispositifs d’aide, il faut des impôts.

M. Ugo Bernalicis. Je suis assez amusé par les réactions de la majorité, faisant comme si cette proposition de loi allait prendre dans la poche de l’ensemble du patronat ou remettre en cause le capitalisme. Malheureusement, devrais-je dire, on n’y est pas encore et on en est très loin.

De quoi parle-t-on ? Ce texte ne concerne que les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 750 millions d’euros – sauf erreur de ma part, ce n’est pas la petite PME du coin – et il instaure une taxation de 50 % du surplus de bénéfice par rapport à l’année précédente. Et, en effet, ce n’est pas la source de ce surplus qui nous intéresse, mais bien sa temporalité.

La crise majeure à laquelle nous faisons face nécessite de lever des fonds et d’accorder des aides. Nous ne sommes d’ailleurs absolument pas opposés aux aides aux entreprises. Dès le premier confinement, nous avions demandé qu’il ne s’agisse pas seulement des prêts garantis, mais qu’on puisse aussi prendre en charge une partie des dépenses contraintes liées à la fermeture imposée à des entreprises par le Gouvernement. Vous avez préféré verser des aides sans conditions et sans aucun contrôle, ce qui pose quelques problèmes aujourd’hui en termes de lutte contre la délinquance économique et financière. Les services de police, fiscaux et judiciaires ont bien des difficultés à récupérer les milliards d’euros indûment versés à des fraudeurs qui sont de véritables délinquants.

En proposant de taxer à hauteur de 50 % les bénéfices supplémentaires réalisés par rapport à 2019 par les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur 750 millions d’euros, il s’agit de partager. Le débat devrait davantage porter sur la manière d’utiliser et de redistribuer cet argent de la façon la plus utile socialement. Car le budget de l’État peut avoir la capacité de résorber les inégalités. Je vous accorde que vous n’en avez pas fait la démonstration depuis le début de la législature, mais il est possible de se rattraper.

C’est ce que font les États-Unis avec une augmentation des impôts destinée à remettre d’aplomb leurs infrastructures ; ils démontreront que cela constitue le meilleur moyen d’attirer des entreprises, ce que le dumping fiscal ne permet pas.

Il est assez cocasse que nous tombions d’accord avec le FMI, mais ce n’est pas tous les jours qu’il demande de taxer les profits et les riches. Et il le fait pour des raisons économiques, afin de mieux assurer la relance économique. Sans cela, il y aura des situations de monopole et de domination économique écrasant tout le reste. L’économie d’un pays ne peut pas reposer sur trois ou quatre super-riches, les autres se débrouillant comme ils peuvent : ce n’est pas possible. C’est la raison pour laquelle le plan de relance français est beaucoup trop faible pour permettre une vraie relance ; il est mal orienté puisque l’on repart sur les erreurs du passé.

Il est donc extrêmement important que l’on mette en place la taxe proposée, qui rapporterait selon nos estimations autour de six milliards d’euros. D’ailleurs le principal redevable serait Sanofi, une entreprise qui est l’exemple de tout ce qu’il ne faut pas faire en se gavant d’argent public, de crédit d’impôt recherche, tout en licenciant. Les salariés de Sanofi ne sont pas en cause, eux qui se lèvent tous les matins pour travailler dur et toucher leur salaire ; je parle des 12,3 milliards d’euros de profits indécents réalisés en 2020 par cette grande entreprise, qui seraient mieux utilisés dans le budget de l’État pour résorber les inégalités.

M. Charles de Courson. Vous connaissez tous la célèbre phrase de Talleyrand : « Tout ce qui est excessif est insignifiant ».

Le précédent historique cité dans l’exposé des motifs ne tient pas. On ne peut pas faire un parallèle avec la loi votée en 1916 en pleine guerre : on n’est pas en guerre sanitaire, arrêtons les grands mots.

Qui sont les profiteurs de la crise, s’il y en a ?

La rapporteure nous explique qu’il s’agit de toutes les entreprises dont les bénéfices ont augmenté entre 2019 et 2020. Mais ce critère est totalement absurde. L’évolution des bénéfices d’une entreprise n’est pas forcément liée à la crise du covid. On ne parle en outre que de ceux qui ont augmenté, mais il faudrait peut-être parler de ceux qui se sont effondrés voire sont devenus des pertes. Auriez-vous dit que cette taxe était destinée à soutenir les entreprises en difficulté, on pourrait peut-être pu en discuter. Mais celles qui font face à des pertes, cela ne vous intéresse pas ; ce sont beaucoup de petites et moyennes entreprises, pour des raisons très diverses.

Il est un peu étrange, pour des gens qui prêchent la justice, de développer l’injustice.

L’essentiel du problème tient au fait que le dispositif proposé n’est absolument pas à la hauteur de ses ambitions. Il est même très curieux. Prenons l’exemple d’un groupe qui fait 30 % de son chiffre d’affaires en France et 70 % à l’étranger, mais dont 10 % des bénéfices sont réalisés en France et 90 % à l’étranger – ce qui est le cas d’un certain nombre de grands groupes. Vous avez prévu un correctif qui consiste à dire que si le pourcentage du chiffre d’affaires n’est pas cohérent avec celui du bénéfice, un rapport est opéré entre les deux. Avec cet exemple de 30 % de chiffre d’affaires et 10 % des bénéfices réalisés en France, le résultat est qu’il faudrait multiplier l’imposition par trois, donc taxer à 150 %. C’est aberrant !

Une telle contribution exceptionnelle serait de nature à placer la France dans une situation totalement incohérente au sein de l’espace économique européen.

La véritable piste, dont nous parlons depuis des années au sein de la commission des finances, c’est de fixer un taux minimum d’impôt sur les sociétés à l’échelle mondiale. L’ancien président des États-Unis a été renvoyé à Mar-a-Lago et remplacé par Joe Biden, un garçon sensé qui indique vouloir fixer un taux mondial minimum de 21 % pour l’impôt sur les sociétés. C’est un énorme progrès puisqu’on parlait plutôt jusqu’à présent d’un taux minimum de 12,5 % à 15 %. Telle est la voie intelligente et efficace ; et non de proposer pour des raisons purement politiques et populistes un système dont la rapporteure a convenu qu’il n’avait aucune chance d’aboutir, heureusement d’ailleurs.

Mme Émilie Cariou. Je ne partage pas complètement la vision de la rapporteure, mais elle aborde un vrai sujet : celui de la sous-imposition des grandes entreprises, et plus particulièrement des multinationales.

Ces dernières optimisent leur base fiscale et leur taux de fiscalité effectif par un usage abusif des prix de transfert et des paradis fiscaux. Je rappelle que la proposition fiscale du président Biden ne porte pas uniquement sur l’augmentation de 21 % à 28 % du taux de l’impôt sur les sociétés aux États-Unis. La véritable révolution sur le plan de la fiscalité internationale, c’est le taux minimum de 21 % qui sera applicable aux filiales des multinationales américaines, quel que soit le pays d’établissement.

Monsieur Saint-Martin est donc hors sujet lorsqu’il nous parle du taux d’imposition français. Ce n’est d’ailleurs pas de sa faute, puisque ce sont les arguments avancés par Bruno Le Maire et par Olivier Dussopt pour noyer le poisson à propos des négociations internationales sur le taux applicable aux filiales des multinationales françaises, américaines, allemandes, etc. Car tel est bien l’enjeu des discussions en cours au sein de l’OCDE. Celles-ci s’acheminaient de manière poussive vers un taux de 12,5 %, qui était d’ailleurs soutenu par la France. C’est bien un bond appréciable que proposent désormais les États-Unis. La France se doit de relayer de toutes ses forces cette proposition. Voilà ce pour quoi il faut se battre.

J’avais interrogé Agnès Pannier-Runacher sur ces négociations relatives au taux minimum d’imposition à l’occasion d’un débat sur les allégements de la fiscalité au profit du capital et des entreprises, organisé à la demande du groupe GDR en février 2020. Elle avait alors répondu qu’il était normal de produire dans les pays à bas coûts fiscaux et sociaux afin de pouvoir alimenter les consommateurs européens en produits peu chers. On voit bien que cette vision néolibérale est complètement ringardisée par les propositions de Joe Biden, qu’on ne peut pas soupçonner de communisme. En l’occurrence, ce qui compte c’est de tous bénéficier d’un level playing field, d’un même terrain de jeu. Défendre ce taux minimum d’imposition, c’est aussi défendre les entreprises françaises dans le jeu international.

Mme Marie-Christine Dalloz. La rapporteure a repris la formule du Président de la République selon laquelle nous sommes en guerre ; dois-je rappeler que c’était contre le coronavirus et que cette formule était très malheureuse ? J’ai compris que vous étiez pour votre part en guerre contre le capital et contre la propriété, puisque tel est bien l’enjeu de votre proposition de loi. Je n’aime pas utiliser ce terme de guerre, qui est d’une autre époque. Moi, j’aime la paix.

Le titre de votre proposition de loi utilise la notion de « profiteurs ». Celle de profit ne doit pas être un tabou, Madame Panot.

Aucune étude d’impact n’est associée à votre proposition de loi et pour ma part je crains un effet désastreux sur l’emploi. Nous avons besoin d’un chiffrage. Une telle réforme ne peut pas être réalisée sur un coin de table, en choisissant un taux pour se faire plaisir. Ce n’est pas sérieux. On ne peut pas prendre comme seules références l’évolution du chiffre d’affaires et celle du résultat entre 2019 et 2020.

Ma grand-mère utilisait souvent un vieil adage : « Tout ce qui est excessif est vain ».

M. Michel Castellani. On ne peut que constater que certaines entreprises ont réalisé des bénéfices absolument substantiels au cours de la crise actuelle, hors de proportion avec la croissance négative que nous avons connue – et ce alors que beaucoup d’autres entreprises sont dans une situation de très grande fragilité. Certaines rémunérations et distributions de dividendes sont manifestement indécentes.

Nous avons débattu régulièrement au sein de cette commission de l’idée de réformer la fiscalité des sociétés pour mieux cibler les bénéfices des multinationales. C’est un problème récurrent. La contribution exceptionnelle examinée aujourd’hui ne constituerait qu’une réaction à court terme. On sait que la sortie de crise est là, mais qu’elle ne se fera pas en un an.

Il s’agirait de faire la distinction, qui n’est pas facile, entre les bénéfices réalisés en raison de la crise et ceux que l’on pourrait qualifier de normaux. Plutôt que d’instaurer une nouvelle taxe, nous pensons qu’il serait sans doute judicieux d’organiser une réforme en conditionnant les aides octroyées aux entreprises en fonction de critères sociaux et environnementaux.

La question de fond est comme toujours posée : il convient de s’approcher du mieux possible d’une justice économique et sociale et d’empêcher un creusement supplémentaire des inégalités.

Mme Valérie Rabault. Je suis très heureuse d’entendre certains collègues dire aujourd’hui qu’ils sont pour un taux minimum mondial d’impôt sur les sociétés, qui s’applique à l’ensemble des filiales et quelle que soit la localisation du chiffre d’affaires. C’est une avancée.

Il faut que la France se positionne sur les propositions formulées par Joe Biden. Le mouvement avait déjà commencé sous Donald Trump, il ne faut pas l’oublier. L’idée était alors la suivante : quand une entreprise ne paye pas d’impôt sur les sociétés à un taux suffisant, alors on la taxe à un taux beaucoup plus élevé. C’était déjà beaucoup plus que ce que la France avait jamais fait : on laisse certaines entreprises loger des profits dans les paradis fiscaux, où le taux d’imposition est égal à zéro. On n’a jamais eu de réflexion sur un taux minimum.

Cette idée de taxer de manière minimale, quel que soit le lieu où sont logés les activités et les profits, fait son chemin.

Il ne faut pas que la France manque ce train-là. Le Gouvernement ne nous dit pas aujourd’hui où il en est dans les négociations sur cette question. Mais, encore une fois, le président des États-Unis a mis un sacré coup d’accélérateur. Ne pas s’inscrire dans ce mouvement pénaliserait les entreprises françaises, puisque l’idée des Américains est très claire : c’est de dire que s’il y a des filiales situées en dehors des États-Unis, quelles qu’elles soient, un taux minimum s’appliquera. Ils l’annoncent à 21 %, mais c’est moins la question du taux qui importe que la démarche engagée. La France et l’Europe, que l’on n’entend pas beaucoup en ce moment sur ces sujets-là, auraient intérêt à se positionner.

M. Brahim Hammouche. Je voudrais revenir sur les considérations moralisatrices entendues ce matin. Comme le disait Pascal : « La vraie morale se moque de la morale. »

Je rappellerai simplement à madame Panot que la morale se termine souvent en tribunal, en inquisition et en injustice. Intenter des procès en morale à ceux qui, dans ces temps de crise, ont permis à leur entreprise de se développer dans la durée ne me paraît pas sain. Cela ne l’est ni pour les personnes concernées, ni pour cette vraie morale qui est celle de l’intérêt général. On ne défend pas la cause de la justice en commettant des injustices.

S’il y a des choses à faire, nous pourrions les réaliser dans le cadre d’une réflexion d’intérêt général. Dans cette barque de l’intérêt général, tout le monde à sa place : ceux qui s’enrichissent et ceux qui participent au grand voyage du vivre-ensemble.

Mme Mathilde Panot, rapporteure. Premièrement : je pense qu’il est totalement faux de croire qu’il y aurait d’un côté une discussion technique et de l’autre une discussion politique.

Plusieurs collègues ont évoqué l’absence d’étude d’impact. Je rappelle qu’il s’agit d’une proposition de loi. Madame Dalloz, j’espère que les députés LR fourniront une étude d’impact pour chacune des propositions de loi inscrites lors de la prochaine séance réservée à l’ordre du jour de leur groupe. Par ailleurs, et cela répond à la question du rapporteur général, vous trouverez dans mon rapport des éléments complémentaires pour aller plus loin.

Je vais répondre aussi à ce qui a été dit au sujet de l’insignifiance de ce qui est excessif. Monsieur de Courson, je suis un peu étonnée de vos propos parce que, lors de l’examen du premier projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2020, vous aviez dit en séance : « Autrefois, lors des guerres, on instaurait un impôt sur les profits de guerre », appelant ainsi à une réflexion sur cette question.

Je ne crois pas que faire référence à 1916 soit ridicule. Certes je ne pense pas que nous sommes en guerre contre un virus, qui en effet n’a pas de stratégie militaire. Mais nous traversons une crise économique et sociale absolument historique et nous devons réfléchir à la manière de sortir de l’impasse. Et dans ce type de situation nous retrouvons les débats de 1916, très intéressants et dont je vous recommande la lecture. Notamment sur la question de savoir s’il fallait viser la source du profit ou sa temporalité. Eh bien ! justement les parlementaires de 1916 avaient alors décidé que c’était la seconde qui devait compter. Le fait que des entreprises fassent des surprofits aussi énormes en temps de crise majeure avait quelque chose d’absolument indécent et il est apparu normal qu’elles participent à la solidarité nationale.

Deuxièmement : je suis heureuse d’entendre que le FMI et le secrétaire général de l’ONU seraient des anticapitalistes en guerre contre le capital et la propriété privée, pour reprendre une expression précédente. Il faut être raisonnable à ce sujet, collègues, parce qu’aujourd’hui seule la France est en train de s’obstiner sur le moins-disant social. Le rapporteur général a indiqué que son taux de prélèvements obligatoires était très élevé ; certes, mais c’est aussi la France qui est en tête des subventions à la production, à tel point que cellesci atteignent près de 3 % du PIB, soit deux fois plus qu’au sein de la zone Euro et trois fois plus qu’en Allemagne. Cela compense largement le niveau des prélèvements. Le taux de l’impôt sur les sociétés aux États-Unis sera, avec la réforme proposée par l’administration Biden, supérieur de trois points à celui en vigueur en France l’an prochain. Nous ne devrions pas faire l’inverse de ce qui se pratique dans le monde et de ce que préconisent les institutions internationales.

Troisièmement : ce n’est pas une taxation confiscatoire qui vous est proposée. Vous vous y opposez en disant qu’il faut protéger l’emploi. Nous parlons d’entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros, et non de PME, mais aussi d’entreprises qui licencient. Sanofi en est effectivement l’un des meilleurs exemples puisqu’elle est passée de onze centres de recherche à trois aujourd’hui et qu’elle veut licencier 1 000 chercheurs.

Rappelez-vous chers collègues, que lors du premier PLFR de 2017 vous aviez créé deux surtaxes de 15 % sur l’impôt sur les sociétés afin de ne pas dépasser les fameux et alors sacrés 3 % de déficit public. Cela avait conduit à un taux normal d’impôt sur les sociétés de 44,43 %, soit une charge fiscale largement supérieure à celle qu’engendrerait le dispositif que nous vous proposons : pour cinq des sept groupes du CAC 40, on serait en dessous de ce qui avait été fait en 2017. Si la majorité était alors prête à surtaxer les entreprises au nom du respect d’une règle européenne, j’aimerais croire qu’elle le ferait pour les surprofits au nom de la solidarité nationale. Pour les seules entreprises du CAC 40, on peut en attendre un produit de six milliards d’euros, donc un peu plus en tout ; et ce alors que la pauvreté explose comme jamais on ne l’a vu depuis la Deuxième guerre mondiale.

Pour ma part, je trouve que ce qui n’est pas sain dans notre pays, sixième puissance mondiale en termes de richesse, c’est d’avoir dix millions de personnes sous le seuil de pauvreté, 300 000 personnes qui dorment dans la rue, sept millions de personnes privées d’emploi et huit millions qui vont faire la queue à la banque alimentaire.

Ce n’est pas pour punir que nous proposons cette taxation, mais pour que fassent preuve de solidarité les entreprises qui, j’y insiste, ont fait du surprofit dans un moment de malheur national extrêmement dur pour l’ensemble de la population française. Tel est l’objet de cette proposition de loi.

La Commission en vient à l’examen de l’article unique.

Article unique : Création d’une contribution exceptionnelle sur les surprofits tirés de la crise de la covid-19 par les grandes multinationales

Amendement CF1 de la rapporteure.

Mme Mathilde Panot, rapporteure. Cet amendement porte sur le seuil de chiffre d’affaires retenu pour l’assujettissement à la contribution, qui est de 750 millions d’euros et qui correspond au seuil d’assujettissement à la déclaration pays par pays prévue le code général des impôts.

Outre le fait qu’il correspond à un seuil classique retenu par l’OCDE et l’Union européenne, ce seuil est aussi celui qui oblige les grands groupes à fournir à l’administration fiscale, et peut-être bientôt de façon publique, des informations cruciales telles que le chiffre d’affaires, le bénéfice ou encore l’impôt payé dans chaque pays. Adosser le champ de la contribution à celui de cette déclaration pays par pays assure au dispositif proposé une application simple et une efficacité maximale, en particulier s’agissant du mécanisme de taxation unitaire prévu, outil puissant contre l’évasion fiscale car il rend sans effet les manipulations de prix de transfert ou la localisation des bénéfices dans des paradis fiscaux, et tient compte de la réalité des activités exercées dans un pays, en l’occurrence la France.

J’ajoute que ce mécanisme correspond à la logique de celui étudié actuellement par l’OCDE et de celui mis en avant la semaine dernière par l’administration Biden.

Cette proposition de loi fait donc d’une pierre deux coups : faire contribuer au nom de la solidarité collective ceux qui ont dégagé des surprofits et lutter contre l’évasion fiscale, affirmant l’ambition de la France contre ce fléau.

La Commission rejette l’amendement CF1.

Elle en vient à l’examen de l’amendement CF2 de la rapporteure.

Mme Mathilde Panot, rapporteure. Cet amendement précise le fait générateur et l’exigibilité de la contribution proposée.

Le dispositif répond aux exigences constitutionnelles en matière d’application dans le temps des mesures fiscales, conformément à la décision du Conseil constitutionnel sur le projet de loi de finances pour 2014 et plus précisément à la validation de la taxe due par les entreprises sur les hautes rémunérations, s’agissant de celles versées en 2013 et pour lesquelles l’exigibilité de la taxe intervenait en février 2014.

Les surtaxes d’impôt sur les sociétés ont été nombreuses à s’appliquer à des exercices déjà clos. Ce fut le cas avec les surtaxes des gouvernements Juppé en 1995 et Jospin en 1997. Cela me permet d’insister sur la temporalité de la contribution et sur son principe : faire contribuer plus ceux qui ont perçu plus pendant la crise. Une telle proposition devrait être consensuelle. Le FMI lui-même la promeut.

Mais cette contribution ne saurait mettre un terme à la réflexion sur la fiscalité des entreprises. Il est important de réformer les règles actuelles, tant au niveau international que français. C’est particulièrement le cas pour les insuffisances en matière d’impôt sur les sociétés. Je pense notamment à des trous massifs dans son assiette, tels que le régime mère-fille ou encore la niche Copé.

Avec cet amendement la France s’honorerait en envoyant un signal fort au reste du monde.

La Commission rejette l’amendement CF2.

Elle rejette l’article unique de la proposition de loi.

En conséquence, l’ensemble de la proposition de loi est rejeté.

Mme Cendra Motin, présidente. L’article unique de la proposition de loi ayant été rejeté, le débat aura lieu en séance publique sur le texte initial, le jeudi 6 mai.

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