Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

 

 

 

  Audition de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques, sur le rapport relatif aux résultats de la gestion budgétaire de l’exercice 2020 et sur la certification des comptes de l’État pour l’exercice 2020, sur les avis du Haut Conseil des finances publiques sur le projet de loi de règlement de 2020 et sur le programme de stabilité              2

 

 

 

 

 


Jeudi
15 avril 2021

Séance de 11 heures 

Compte rendu n° 67

session ordinaire de 2020-2021

 

 

Présidence de

 

M. Éric Woerth,

Président

 


  1 

La commission entend M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques, sur le rapport relatif aux résultats de la gestion budgétaire de l’exercice 2020 et sur la certification des comptes de l’État pour l’exercice 2020, sur les avis du Haut Conseil des finances publiques sur le projet de loi de règlement de 2020 et sur le programme de stabilité.

M. le président Éric Woerth. Chers collègues, nous entendons ce matin M. Pierre Moscovici en sa double qualité de Premier président de la Cour des comptes et de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Nous aborderons avec lui plusieurs sujets ayant fait l’objet de publications : certification des comptes, rapport sur le budget de l’année passée, avis sur le projet de loi de règlement et sur le programme de stabilité.

En vertu de l’article 17 de la loi organique de 2012 relative à la programmation et la gouvernance des finances publiques, le Haut Conseil est saisi par le Gouvernement des prévisions macroéconomiques sur lesquelles repose le programme de stabilité, que nous avons examiné hier, en présence des deux ministres. Son avis est joint à ce programme lorsque celui-ci est transmis au Parlement – nous l’avons reçu hier et je vous l’ai fait parvenir.

Alors que le projet de loi de règlement du budget 2020 était présenté en Conseil des ministres hier, nous avons simultanément reçu l’avis du Haut Conseil sur le solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement.

Parallèlement, mardi 12 avril, la Cour des comptes a rendu public son rapport au Parlement sur l’exécution du budget de l’État pour 2020, ainsi que la certification des comptes de l’État pour 2020.

L’ensemble de ces documents viendront éclairer notre analyse du projet de loi de règlement et du programme de stabilité pour les années 2021 à 2027.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques. Je suis heureux de revenir devant votre commission, accompagné de Christian Charpy, président de la première chambre, de Carine Camby, présidente de chambre, rapporteure générale, d’Emmanuel Belluteau, président de section, de Louis-Paul Pelé, conseiller maître, et d’Éric Dubois, rapporteur général du Haut Conseil des finances publiques.

Au cours de cette audition, je vous présenterai quatre productions de la Cour des comptes : la certification des comptes de l’État et le rapport sur l’exécution du budget de l’État en 2020, ainsi que les avis rendus hier par le Haut Conseil des finances publiques sur le projet de loi de règlement et sur le programme de stabilité.

Avant d’en venir au contenu de nos travaux, je souhaite vous dire un mot du contexte exceptionnel dans lequel ils ont été réalisés. Leur calendrier de publication a été accéléré, puisque l’acte de certification et le rapport sur le budget de l’État vous sont remis deux semaines plus tôt que l’an dernier, un mois plus tôt qu’en 2019 et un mois et demi plus tôt qu’en 2017. La Cour a donc consenti d’importants efforts pour réduire ses délais de production, tout en maintenant l’intégralité de ses contrôles, grâce à la mise en œuvre de différentes mesures de simplification, à l’instar, pour la certification par exemple, des audits effectués au fil de l’eau.

La réduction des délais de production des rapports de la Cour est au cœur du projet de réforme stratégique que je porte pour les juridictions financières. Ce changement de calendrier vous permet de consacrer plus de temps à l’évaluation des politiques publiques et des résultats, une étape essentielle que vous avez souhaité renforcer dans le cadre du printemps de l’évaluation, auquel la Cour, souscrivant pleinement à cette démarche, est toujours très heureuse de participer.

Les documents que je vous présente sont le fruit d’un travail accompli dans des conditions nettement plus difficiles en raison de la pandémie, pour nous comme pour les administrations. Les équipes de la Cour se sont attachées à étudier les effets de la crise, immédiats ou décalés, sur les recettes, les dépenses et le déficit de l’État, mais aussi sur la situation patrimoniale de ce dernier ; celles du Haut Conseil ont dû faire face à un niveau très élevé d’incertitude pour rédiger leurs avis, dans des délais extraordinairement limités. Les conséquences de la crise sanitaire et économique sont donc, encore une fois, au cœur des travaux à l’ordre du jour.

L’acte de certification des comptes de l’État pour l’exercice 2020 est le quinzième depuis              le premier exercice exécuté dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), dont le 5° de l’article 58 confie à la Cour la mission de certifier les comptes de l’État. Le premier, remis en 2007 sur l’exercice 2006, comportait treize réserves ; celui-ci en contient quatre, comme l’an dernier. Cette évolution témoigne des efforts accomplis par l’administration, avec le soutien de la Cour, pour améliorer la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes de l’État. Plusieurs points de réserve sont levés par rapport aux exercices précédents, dont certains figuraient dans l’acte depuis l’origine. Les quatre réserves qui demeurent sont toutefois substantielles et elles se décomposent en vingt-deux constats d’audit significatifs.

La première réserve est systémique. Elle concerne des limites au regard de nos vérifications, qui tiennent, d’une part, aux conditions de tenue de la comptabilité générale dans Chorus et, d’autre part, à l’efficacité du contrôle interne. Les trois autres concernent différentes anomalies significatives dans les comptes, qui portent respectivement sur les stocks militaires et les immobilisations, sur les participations financières de l’État, sur les charges de personnel et d’intervention et sur les produits régaliens.

Au total, et sans détailler les différents constats d’audit, dont la plupart ne sont d’ailleurs pas nouveaux, l’opinion de la Cour fait ressortir trois principaux constats au 31 décembre 2020. Le premier, c’est la poursuite des efforts de fiabilisation des comptes malgré la crise. Je m’en réjouis et tiens à saluer le travail partenarial très constructif de la Cour et de la direction générale des finances publiques (DGFiP), sur la base du plan d’action que nous avons signé en 2019, visant à simplifier les conditions de production et d’audit des comptes et à amplifier l’usage de la comptabilité générale. Ce travail a aussi permis d’avancer le calendrier de mise à disposition des comptes, sans incidence sur leur fiabilité. Cette démarche de fiabilisation, déjà positive, doit encore être poursuivie, parce que des comptes fiables constituent pour l’administration une source très précieuse d’informations en matière de gestion courante et de prévision budgétaire. Ils sont aussi la condition d’une juste appréhension de la situation financière de l’État, de ses engagements à moyen et long termes et de sa capacité à y faire face.

Le deuxième constat concerne les progrès qui restent à accomplir dans la démarche de maîtrise des risques. Si la Cour reconnaît que les dispositifs de contrôle interne de l’État continuent de se professionnaliser, elle constate qu’ils n’ont pas encore atteint un niveau de maturité suffisant pour garantir la maîtrise des principaux risques susceptibles d’avoir une incidence sur les comptes. Cette exigence nous semble pourtant d’autant plus forte que le Gouvernement souhaite alléger ou supprimer de nombreux contrôles a priori. Nous partageons cet objectif, mais une telle évolution n’est envisageable que si elle est précédée d’efforts importants pour analyser les risques auxquels est exposée la gestion publique et mettre en place les mécanismes pour les prévenir ou les maîtriser – alléger, bien sûr ; simplifier, évidemment, mais pas au prix d’un accroissement des risques.

Le troisième et dernier constat a trait à l’insuffisante utilisation de la comptabilité générale pour appréhender la situation des finances publiques. Malgré son apparente technicité, ce constat m’apparaît particulièrement important dans la situation de crise actuelle, notamment parce que l’État aura plus que jamais besoin, dans les années qui viennent, de disposer d’une vision à moyen et long termes de ses engagements. Dans cette perspective, l’analyse du solde budgétaire de l’État doit être complétée par celle de sa situation patrimoniale.

La comptabilité budgétaire et la comptabilité générale ne s’opposent pas. Elles constituent deux moyens complémentaires d’analyser la situation des finances de l’État. La Cour est prête à prendre toute sa part à ce chantier et va d’ailleurs, pour la première fois et à titre expérimental, joindre au rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui vous sera remis en juin prochain, une analyse financière de la situation de l’État à partir de sa comptabilité générale. Cela contribuera à alimenter le débat annuel sur la dette publique que nous appelons de nos vœux, à l’Assemblée nationale comme à la Cour.

Notre rapport sur l’exécution du budget de l’État en 2020 – une année exceptionnelle à tous égards – met en évidence l’impact massif de la crise, mais aussi des évolutions plus structurelles et peut-être durables qui ne peuvent pas lui être uniquement imputables.

Commençons par l’incidence majeure de la crise sanitaire sur le budget de l’État. À partir du mois de mars 2020, le Gouvernement a adopté un ensemble de mesures pour ralentir la diffusion de la pandémie de covid-19, puis pour soutenir les entreprises et les ménages face aux conséquences économiques redoutables qui en découlaient. Les interventions de l’État ont été portées par quatre lois de finances rectificatives (LFR) adoptées en mars, avril, juillet et novembre, qui ont modifié significativement la programmation budgétaire initiale.

En partant de la dépense effective, la Cour a réalisé un très important travail pour chiffrer l’incidence de la crise sur le solde budgétaire de l’État. Sans négliger l’inévitable marge d’incertitudes propre à ce type de calcul, celle-ci s’élèverait à 92,7 milliards d’euros, soit peu ou prou l’équivalent du montant du déficit de l’État prévu par la loi de finances initiale (LFI), à savoir 93,1 milliards d’euros. Plus de la moitié de ce coût résulte de dépenses supplémentaires liées à la crise, à hauteur de près de 50 milliards d’euros, dont 42 milliards d’euros ont été portés par la nouvelle mission budgétaire Plan d’urgence face à la crise sanitaire. Celle-ci rassemble quatre interventions de l’État : la prise en charge de l’activité partielle ; les aides du fonds de solidarité ; les prises de participations de l’État dans des entreprises en difficulté ; la compensation à la sécurité sociale du dispositif d’exonération et d’aide au paiement des prélèvements sociaux. Les autres dépenses budgétaires imputables à la crise relèvent d’autres missions – Solidarité, insertion et égalité des chances, Travail et emploi ou Économie.

La crise a aussi pesé sur les recettes de l’État, puisqu’elle a notamment provoqué une baisse de 32,3 milliards d’euros des recettes fiscales. L’effet est toutefois inégal selon les impôts : il est particulièrement marqué pour l’impôt sur les sociétés (IS) et l’est dans une moindre mesure pour la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), en lien avec l’évolution de la consommation. En revanche, l’impôt sur le revenu (IR) a été assez peu affecté en raison des mesures de soutien, tout comme les impôts assis sur le capital.

Conséquence logique de cet effet de ciseau entre dépenses et recettes, le solde budgétaire de l’État a connu une très forte dégradation. Le déficit s’élève à 178 milliards d’euros fin 2020, en hausse de près de 85 milliards d’euros par rapport à la prévision de la loi de finances initiale, soit un quasi-doublement. La Cour relève que toutes les composantes du solde budgétaire contribuent à cet écart, le solde du budget général à hauteur de près de 80 milliards d’euros et celui des comptes spéciaux à hauteur de plus de 5 milliards. Cette dégradation est bien plus significative qu’en 2009 après la crise financière de 2008 puisqu’à cette date, le déficit s’élevait à 138 milliards d’euros. Le niveau de déficit atteint en 2020 est donc absolument sans précédent.

Par conséquent, la dette de l’État s’est fortement accrue en 2020 et a franchi, elle aussi, un nouveau record, celui de la barre très symbolique des 2 000 milliards d’euros. Son encours a progressé de 63 % depuis 2010 et le besoin de financement de l’État a augmenté de 89 milliards d’euros par rapport à 2019, pour s’élever à près de 310 milliards – les graphiques qui illustrent cette donnée sont impressionnants. Près de la moitié des dépenses, nettes des remboursements et dégrèvements, du budget général ont ainsi été financées en 2020 par l’endettement et non par des recettes publiques. Le besoin de refinancement de l’État au cours des dix prochaines années – c’est-à-dire le montant de la dette arrivant à échéance – augmente quant à lui de 180 milliards d’euros. L’État a toutefois bénéficié de la poursuite de la baisse des taux d’intérêt et de l’inflation, exceptionnellement bas en 2020, qui a permis de diminuer la charge d’intérêts. Ces facteurs conjoncturels peuvent être durables ; ils dépendent du pilotage de la politique monétaire et de l’évolution des comportements en matière d’inflation. Mais cela n’enlève rien à la vigilance qui doit être la nôtre quant à l’augmentation de la dette dans la durée si les taux d’intérêt ou l’inflation venaient à repartir à la hausse.

La dégradation du solde budgétaire de l’État en 2020 est donc significative et a des conséquences directes sur son niveau d’endettement, déjà élevé. Elle est toutefois largement inférieure à ce qui avait été anticipé dans la quatrième loi de finances rectificative, qui prévoyait un déficit de 223,3 milliards d’euros, supérieur de plus de 45 milliards d’euros à ce qui a finalement été constaté. Cet écart entre la prévision et l’exécution résulte d’un volume très important de crédits non dépensés en fin d’année, à hauteur de 31,6 milliards d’euros, principalement ceux qui avaient été ouverts par la quatrième loi de finances rectificative. Plus de 90 % d’entre eux concernent les crédits de la seule mission Plan d’urgence, qui a bénéficié en 2020 de 69,6 milliards d’euros de crédits.

Cette sous-consommation, parfois présentée comme une bonne nouvelle, reflète surtout, aux yeux de la Cour, au-delà des incertitudes inhérentes à la crise sanitaire et d’un réflexe naturel de prudence – qu’il ne s’agit pas pour nous de condamner –, un manque de réalisme des prévisions budgétaires. Pour le dire plus directement, nous estimons que les montants de crédits ouverts dans la quatrième loi de finances rectificative dépassaient les prévisions de dépenses qui pouvaient raisonnablement découler des informations disponibles en novembre, quand elle a été votée, et que la prudence ne peut justifier à elle seule l’ampleur de cette surbudgétisation. Nous avions anticipé cet effet et je vous l’avais indiqué lorsque j’étais venu vous présenter le rapport du Haut Conseil des finances publiques, sans toutefois anticiper son ampleur.

Les crédits non consommés ont donné lieu à des reports massifs de plus de 30 milliards d’euros sur l’exercice suivant, alors qu’ils s’élèvent habituellement en moyenne à 1,4 milliard sur les dix dernières années. La Cour considère que des reports aussi élevés conduisent à une certaine confusion des exercices et portent atteinte au principe d’annualité budgétaire. Il aurait été plus conforme aux règles posées par la LOLF – à laquelle le président et le rapporteur général de votre commission sont attachés –, d’ouvrir les crédits supplémentaires dans la loi de finances pour 2021, ce qui était tout à fait possible puisque des amendements substantiels ont été apportés au projet de loi de finances jusqu’à la mi-décembre. Notre rapport contient donc une recommandation visant à n’ouvrir dans la loi de finances que les crédits nécessaires à l’exercice en cours et à mieux se conformer à la règle de plafonnement des reports de crédits à 3 % des crédits ouverts, pour respecter la volonté du législateur organique.

Les prévisions de recettes fiscales n’ont pas davantage échappé aux aléas. L’écart est élevé – près de 29 milliards d’euros – entre l’exécution et la troisième loi de finances rectificative. Sans méconnaître le degré très élevé d’incertitude qui a prévalu tout au long de l’exercice 2020, ces aléas dans les prévisions de recettes mettent clairement en évidence l’intérêt d’une expertise complémentaire à celle du Gouvernement pour examiner ex ante le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses publiques dans les projets de lois financières.

Il s’agit donc d’une illustration très concrète de ce que l’extension du mandat du Haut Conseil des finances publiques – une extension modeste mais déterminante que j’appelle de mes vœux depuis ma nomination – pourrait apporter à la décision publique. Comme j’ai déjà eu l’occasion de vous le dire à plusieurs reprises, et comme la Cour l’a recommandé dans son rapport sur la gouvernance des finances publiques que je suis venu vous présenter en novembre, ce mandat pourrait, et devrait, être étendu à l’appréciation du réalisme des prévisions de recettes et de dépenses, comme – en vérité – le font déjà la plupart des institutions budgétaires indépendantes en Europe.

J’en reviens à l’impact de la crise économique née de la pandémie sur le budget de l’État en 2020. Cette pandémie a entraîné une très forte hausse des dépenses : à périmètre constant, les dépenses, nettes des remboursements et dégrèvements, du budget général ont augmenté de 15,5 % par rapport à 2019, pour atteindre un niveau inégalé de près de 390 milliards d’euros. Une partie de ces dépenses est, bien sûr, imputable à la crise – j’en ai parlé –, mais cette dernière n’explique pas tout et les autres dépenses du budget général, celles que je qualifierais d’ordinaires, ont également nettement progressé en 2020. Pour être précis, elles ont augmenté de 6,7 milliards d’euros entre 2019 et 2020 contre, par exemple, 1,5 milliard entre 2017 et 2018.

Le plafond de dépenses pilotables – qui ne comprennent pas les dépenses exceptionnelles de crise – prévu par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 a d’ailleurs été dépassé de plus de 15 milliards d’euros, preuve supplémentaire, s’il en fallait, de la caducité de ce texte. Ce dépassement traduit une hausse structurelle de certaines dépenses, notamment de fonctionnement. Si cette dynamique se poursuivait, et en tenant compte des dépenses de crise et des crédits reportés sur 2021, l’augmentation des dépenses du budget de l’État entre 2018 et 2021 pourrait s’établir à 90,5 milliards d’euros, soit une hausse de presque 30 %.

Si ce dynamisme était maintenu, il risquerait de produire un effet dit de cliquet par lequel les dépenses de l’État se maintiendraient à un niveau durablement plus élevé qu’avant la crise. On peut assumer cette situation – c’est un débat politique dans lequel nous ne souhaitons pas entrer – mais elle aurait des effets directs sur la trajectoire de solde et de dette publics présentée dans le programme de stabilité.

Les dépenses de l’État ne sont pas toutes retracées dans le seul budget général. C’est pourquoi, comme l’an dernier, la Cour a étendu son analyse à l’ensemble des moyens financiers que l’État consacre aux politiques publiques. Les dépenses des deux budgets annexes et des vingt-huit comptes spéciaux ont représenté, hors doubles comptes avec le budget général, 19,6 milliards d’euros en 2020, soit un montant comparable à la mission Sécurités du budget général.

À plusieurs reprises, la Cour a déjà eu l’occasion de souligner le caractère très hétéroclite de l’ensemble formé par les budgets annexes et les comptes spéciaux et de regretter le pilotage partiel de leurs dépenses. L’exécution 2020 prolonge les progrès réalisés en 2019, puisque les deux tiers de leurs dépenses sont comprises dans la norme de dépenses pilotables de l’État et que les trois quarts d’entre elles sont couvertes par l’objectif de dépenses totales de l’État. En outre, deux comptes d’affectation spéciale ont été supprimés et leurs moyens rebudgétisés par la loi de finances initiale pour 2020 : ceux relatifs au financement de l’apprentissage et à l’acquisition de véhicules propres.

Une part significative des dépenses des comptes spéciaux et des budgets annexes restants demeure cependant en dehors de toute norme et les recommandations antérieures de la Cour pour rationaliser cet ensemble n’ont pas encore été toutes suivies d’effet. La revue du bien-fondé de chacun de ces dispositifs doit être systématisée, comme nous l’avons déjà proposé, pour améliorer la lisibilité des moyens budgétaires de l’État, faciliter leur pilotage et approfondir le contrôle parlementaire sur les sommes engagées.

Mais, vous le savez, les moyens que l’État consacre à la conduite de politiques publiques ne se limitent pas aux dépenses budgétaires et notre rapport aborde aussi les dépenses fiscales, les taxes affectées et les fonds sans personnalité juridique. Ces moyens représentent des sommes très significatives, les dépenses fiscales s’élevant, fin 2020, à 89,1 milliards d’euros et l’État ayant affecté l’an dernier 40,3 milliards d’euros d’impôts et taxes à des opérateurs ou à d’autres organismes, hors collectivités territoriales et organismes de sécurité sociale, sans qu’une information suffisante ait été donnée au Parlement sur les actions que ces moyens considérables viennent financer. Nous recommandons d’accélérer la mise en œuvre du programme d’évaluation de l’efficacité et de l’efficience des dépenses fiscales et de revoir le périmètre du plafonnement de ces dépenses fiscales en loi de programmation. Quant aux fonds sans personnalité juridique, qui continuent à être créés, la Cour regrette à nouveau qu’ils ne fassent l’objet ni d’un suivi précis, ni d’une stratégie de remise en ordre, alors qu’ils échappent presque à tout contrôle.

Au terme de son analyse sur l’exécution en 2020 du budget de l’État, la Cour formule cinq recommandations. Elle s’est attachée à en réduire le nombre, car plusieurs sujets rejoignent largement ceux des notes d’analyse de l’exécution budgétaire publiées à l’appui de ce rapport et les recommandations que nous avions exprimées à l’automne dans le rapport sur la réforme du cadre organique et de la gouvernance des finances publiques.

Avant de conclure mon propos, j’enfile brièvement ma casquette de président du Haut Conseil des finances publiques – un rôle complémentaire de celui de Premier président de la Cour des comptes et non contradictoire – pour vous présenter en quelques mots les avis que le Haut Conseil vient de formuler sur le projet de loi de règlement et le programme de stabilité, dans des délais particulièrement resserrés. Ces délais excessivement brefs ne sont pas satisfaisants, car ils limitent nécessairement la capacité d’analyse et d’expertise du Haut Conseil. La petite équipe autour du rapporteur général, Éric Dubois, ainsi que les membres du Haut Conseil travaillent vraiment d’arrache-pied, jour et nuit, pour produire des analyses de qualité et ils aimeraient pouvoir aller encore plus loin. Pour le dire clairement : nous avons besoin d’un peu plus de temps !

S’agissant de l’avis sur le projet de loi de règlement, je serai très bref, car le solde structurel sur lequel le Haut Conseil était chargé de se prononcer est dépourvu de signification. Il l’est à deux titres. D’une part, il est calculé à partir de l’estimation du produit intérieur brut (PIB) potentiel de la loi de programmation des finances publiques de 2018. Cette estimation a été rendue caduque par la crise économique, mais reste pourtant la référence sur laquelle le Haut Conseil doit, selon les termes de la loi organique de décembre 2012, s’appuyer pour rendre son avis. À plusieurs reprises, nous avons plaidé pour l’adoption d’une nouvelle loi de programmation des finances publiques mais, les incertitudes se prolongeant, ce n’est pour le moment pas pertinent. En revanche, une fois la crise passée, et le cycle politique dans lequel nous allons entrer en 2022 dénoué, il faudra résoudre cette contradiction objective.

D’autre part, le solde structurel repose sur des modalités de calcul des mesures exceptionnelles et temporaires retenues par le Gouvernement qui viennent quelque peu brouiller – la Cour est diplomate – la lecture de la décomposition du solde. En effet, la totalité des mesures d’urgence et de soutien de l’an dernier sont considérées comme des one-off, c’est-à-dire des mesures appelées à ne pas se renouveler – pardon pour ce jargon bruxellois. Elles ne sont donc pas comptées dans l’évaluation du solde structurel, alors que la plupart d’entre elles se prolongent en 2021, devenant des two-off – au minimum.

Par conséquent, et en contradiction avec la très forte et persistante dégradation des finances publiques, le solde structurel présenté par le Gouvernement apparaît en nette amélioration en 2020 : après moins 2,3 points en 2019, il s’établirait à moins 0,9 point en 2020. Le Haut Conseil des finances publiques estime toutefois que, dans ces conditions, il n’y a pas lieu de déclencher le mécanisme de correction. Pourquoi ? Dans son avis sur le premier projet de loi de finances rectificative pour 2020, la crise sanitaire avait conduit le Haut Conseil à estimer que les circonstances exceptionnelles mentionnées par les textes européens étaient réunies. Elles le sont toujours. Ces mêmes conditions avaient conduit le Conseil de l’Union européenne à déclencher la clause dérogatoire du Pacte de stabilité et de croissance en mars dernier. Nous ne recommandons donc pas de déclencher un mécanisme de correction, que nous ne saurions d’ailleurs pas utiliser dans ces circonstances particulières.

En outre, en réponse à une question que vous m’aviez adressée à l’automne dernier, notre avis sur le projet de loi de règlement comprend un encadré sur le coût net des six principales mesures d’urgence de soutien aux revenus. Selon les estimations du secrétariat permanent du Haut Conseil, leur coût net serait compris entre 67 % et 82 % de leur montant brut, en raison d’un effet direct et indirect favorable sur les prélèvements obligatoires. Voilà, monsieur le président, un exemple des travaux que nous pouvons mener en complément de nos avis et qui justifie l’amélioration de l’expertise du Haut Conseil à laquelle vous avez bien voulu consentir.

S’agissant maintenant de l’avis sur le projet de programme de stabilité pour les années 2021 à 2027, le Haut Conseil a examiné les prévisions macroéconomiques pour la durée de la programmation. Notre appréciation diffère selon l’horizon temporel considéré. Pour 2021, la prévision de croissance de 5 % du Gouvernement est cohérente avec le scénario sanitaire d’une levée progressive des restrictions pesant sur les activités et les déplacements à partir de mai. Cette prévision est inférieure à celle de la loi de finances pour 2021, qui prévoyait un rebond du PIB de 6 %, mais elle correspond en réalité à un niveau d’activité sensiblement supérieur car la récession a été moins profonde que prévu l’an dernier. Au total, le niveau du PIB prévu pour 2021 dans le programme de stabilité est ainsi plus élevé, d’un peu plus de 2 %, que celui de la loi de finances initiale. Ce n’est pas une mauvaise nouvelle et cela témoigne du dynamisme et de la résilience de l’économie française.

Pour 2022, et sous réserve d’une maîtrise durable de l’épidémie, nous considérons que la prévision de croissance de 4 % du Gouvernement est prudente. Dans ce scénario, le PIB reviendrait à peine au-dessus de son niveau de 2019 en moyenne sur 2022. L’activité pourrait se révéler plus soutenue si les ménages venaient à consommer une partie des 8 points de PIB de surcroît d’épargne. C’est une des clés de l’évolution.

En revanche, pour la période 2023-2027, le Haut Conseil considère que l’hypothèse de croissance potentielle du Gouvernement est plutôt optimiste. À partir de 2023, la croissance potentielle reviendrait effectivement selon le programme de stabilité à son niveau d’avant-crise, soit plus 1,35 % par an. Des aléas positifs existent autour de cette estimation : nous pourrions, par exemple, être favorablement surpris par la diffusion des technologies numériques dans l’économie. Toutefois, dans nos analyses, les aléas négatifs semblent dominer. La croissance potentielle pourrait être affaiblie par des séquelles durables que la crise sanitaire risque de laisser sur le tissu économique français. Elle pourrait également l’être par des évolutions plus structurelles, comme le vieillissement de la population ou les conséquences économiques de la transition écologique. L’estimation de croissance potentielle du Gouvernement se situe dans le haut de l’intervalle des prévisions à moyen terme des économistes.

Je conclurai en évoquant la trajectoire de la dette publique. Depuis le printemps dernier, j’ai eu l’occasion de vous dire à plusieurs reprises que celle-ci appelle une vigilance particulière. Ce message conserve, bien sûr, toute sa pertinence et son acuité. Selon la prévision du programme de stabilité, le ratio de dette publique augmenterait de 20 points de PIB entre 2019 et 2021. Sous l’effet d’un déficit durablement creusé, le ratio de dette resterait proche de 118 points de PIB jusqu’en 2027. À cet horizon, il serait encore supérieur de 20,1 points à son niveau de 2019.

Cette trajectoire de stabilisation du niveau d’endettement est fragile. Elle suppose la matérialisation d’un scénario de croissance et d’inflation que le Haut Conseil juge relativement favorable. Elle suppose aussi que l’ajustement structurel annoncé, mais non encore documenté dans le programme de stabilité, de l’ordre de 0,3 point par an, soit effectivement réalisé. Une croissance du PIB, une inflation ou un effort structurel plus faibles, même légèrement, se traduiraient par une hausse accrue du ratio d’endettement et la légère inflexion du niveau de dette attendue à l’horizon de 2027 ne pourrait alors être obtenue – et je n’évoque même pas la problématique de la charge et des taux d’intérêt, exogène à nos travaux. La soutenabilité à moyen terme de la dette publique demeure donc un enjeu central de la stratégie financière de la France et appelle la plus grande vigilance de notre part.

M. le président Éric Woerth. Je partage bien des observations que vous avez faites.

Lors de la présentation du programme de stabilité, hier, j’ai posé aux ministres la question du rehaussement durable, quasiment pérenne, du niveau des dépenses par rapport à la période antérieure au covid-19. Quand on regarde les seules dépenses budgétaires, la hausse est d’environ 170 milliards d’euros en cumulé pour 2020 et 2021. Les prévisions du programme de stabilité font état d’une baisse d’une petite cinquantaine de milliards en 2022, puis la dépense publique repartirait à la hausse d’une dizaine de milliards chaque année. Le Gouvernement parle d’augmentation maîtrisée – on a rarement connu une augmentation de 0,7 % en volume sur l’ensemble des dépenses publiques – mais c’est quand même une augmentation. La question n’est pas de savoir si on pense que les chiffres sont crédibles ou non ; j’observe simplement qu’il restera 120 milliards d’euros de plus qu’avant le covid-19 : ils sont durablement inscrits.

Je sais bien que le PIB augmentera probablement un peu plus vite que la dépense publique au bout d’un certain temps et que le ratio dette/PIB diminuera un tout petit peu, mais ce ne sera quasiment pas le cas d’ici à 2027 et la suite est vraiment très éloignée. Cela veut dire que la réponse à la crise a des conséquences durables en termes de niveau des dépenses publiques, ce qui est très préoccupant : le niveau de ces dépenses est déjà très élevé dans notre pays et cela diminue notre capacité à réduire les déficits publics.

S’agissant de l’organisation des finances publiques, nous allons déposer, avec le rapporteur général, une proposition de loi organique directement issue du rapport de la mission d’information sur la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances, la MILOLF, qui a été présenté à l’automne 2019. La situation a relativement peu changé : la crise nous a plutôt confortés dans l’idée qu’il fallait améliorer un peu l’outil, pour avoir une nouvelle version de la LOLF – sans la transformer, évidemment. Nous proposons notamment d’étendre les pouvoirs et le périmètre d’action du Haut Conseil des finances publiques, pour les rendre à peu près comparables à ce qui existe dans d’autres pays pour des institutions de même nature. On sent bien, dans les questions qui vous sont posées au sein de cette commission, que c’est nécessaire, celles-ci se trouvant souvent hors de votre champ d’action actuel.

Concernant le projet de loi de règlement, je reviens sur la question des dépenses d’investissement. La proposition de loi organique demandera, d’ailleurs, de bien faire la différence, par mission et par programme, avec les dépenses de fonctionnement, ce qui changera quelque peu la nature de la discussion et renforcera notre éclairage sur la composition, in fine, de la dette publique nouvelle.

Les dépenses d’investissement s’élèvent, pour le seul titre 5, à 13,6 milliards d’euros, et à 15,3 milliards en intégrant le titre 7. Cela représente 4 % du budget général. L’augmentation légère de ces dépenses en 2020, de 1,2 milliard d’euros, qui concernait essentiellement les sous-marins nucléaires d’attaque de la classe Suffren, ne doit pas masquer le fait que les crédits d’investissement sont sous-consommés – leur consommation est de 84 % des crédits de paiement (CP) et seulement de 59,1 % des autorisations d’engagement (AE) – et ce n’est pas la première fois. Que pensez-vous du fait qu’on ne respecte pas beaucoup les autorisations parlementaires dans ce domaine ? Les crédits d’investissement sont certes plus difficiles à mettre en œuvre que ceux de fonctionnement, notamment s’ils sont liés à l’armement, à la recherche ou à des contrats, mais on observe quand même un décalage.

Les primes d’émission sont un sujet fréquemment abordé au sein de cette commission, notamment par M. de Courson. La mobilisation de souches anciennes dont le taux est supérieur à celui du marché est assez importante. Les primes perçues à ce titre ont été supérieures à 30 milliards d’euros en 2020 après décote et l’Agence France Trésor (AFT) a réalisé de cette manière près de 40 % de ses émissions en 2020. Considérez-vous que l’on peut tenir à ce rythme-là ? Est-ce de bonne gestion ?

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général. Je vous rejoins tout à fait sur ces différents points, monsieur le président Woerth.

L’écart entre les prévisions et l’exécution en 2020, qui est effectivement un sujet important, concerne essentiellement la mission Plan d’urgence face à la crise sanitaire, en particulier le fonds de solidarité et l’activité partielle. Il faut se rappeler dans quel état d’esprit nous avons voté les crédits dans le cadre des différentes lois de finances rectificatives : les critères du fonds de solidarité étaient susceptibles de varier d’une façon assez significative, le cas échéant jusqu’en décembre 2020. Cela s’est d’ailleurs produit, mais plutôt au début de l’année 2021. Les écarts s’expliquent assez bien, étant entendu qu’ils doivent évidemment rester tout à fait exceptionnels et que le principe d’annualité budgétaire doit prévaloir : « prévoir large » avait un sens et, pour 2021, des crédits supplémentaires avaient aussi été ouverts en nouvelle lecture.

Je salue la pérennisation de l’approche de la Cour des comptes qui consiste à considérer la dépense publique dans son ensemble, y compris les dépenses fiscales, les fonds sans personnalité juridique et les taxes affectées. De telles informations manquent souvent au Parlement. Au-delà de la vision d’ensemble que procure votre rapport, pourriez-vous réaliser, dans vos programmes de travail, davantage d’évaluations de ces dispositifs ? Je pense en particulier à la dépense fiscale, qui est un peu ma marotte ces derniers mois.

L’effort réalisé dans votre rapport pour isoler les dépenses supplémentaires liées à la crise et pour distinguer les dépenses conjoncturelles ou structurelles est précieux. Je rejoins ce qu’a dit le président Woerth. L’effort de distinction entre les dépenses de fonctionnement et les dépenses d’investissement sera essentiel au lendemain de la crise. Nous devons conserver cette approche pour les prochaines années. Pouvez-vous préciser, notamment à la suite de l’audition du ministre de l’économie, des finances et de la relance qui a eu lieu hier, votre appréciation de la soutenabilité de la trajectoire prévue pour la dette et les dépenses publiques ?

Vous proposez d’étendre le mandat du Haut Conseil à l’appréciation du réalisme des prévisions de recettes et de dépenses. Pouvez-vous revenir sur ce que cela apporterait et ce que cela signifierait en matière de moyens, notamment humains ? J’en profite pour faire, moi aussi, de la publicité autour de la proposition de loi organique que nous déposerons bientôt – nous ne manquons jamais une occasion de l’évoquer. Ce sera une occasion de débattre du niveau d’indépendance et des moyens humains et financiers que doit avoir le Haut Conseil.

Mme Cendra Motin. Je me placerai, à mon tour, à moyen terme : depuis le début de notre mandat, nous avons à cœur de maîtriser la dépense publique. M. Bruno Le Maire l’a rappelé hier, lors de son audition : nous n’augmenterons pas les impôts. Nous maîtrisons les dépenses publiques et nous souhaitons faire baisser la pression fiscale sur nos concitoyens. Il ne faut pas perdre le bénéfice des quatre dernières années.

L’objectif concernant le solde structurel a finalement été tenu en 2020, selon l’avis du Haut Conseil, malgré la dégradation notable des finances publiques. Celle-ci a eu un triple effet : une hausse des dépenses, majoritairement due à la mission Plan d’urgence face à la crise sanitaire, une baisse des recettes publiques et une augmentation de l’endettement de la France, car il n’y a évidemment pas d’argent magique. Les seules bonnes nouvelles, dans cette crise, sont la baisse de la charge de la dette et le dynamisme plus important que prévu des recettes non fiscales.

Les quatre lois de finances rectificatives ont été destinées à gérer l’urgence et rien que l’urgence. La quatrième a permis de décaisser des aides jusqu’à la fin de l’année 2020 et au début de l’année 2021. S’agissant de la question de l’évolution des montants en cours d’année, il a fallu prévoir, pour des raisons d’agilité, plus de moyens pour l’activité partielle de longue durée dans le cadre de ce dernier collectif et ces moyens ont ensuite été complétés par la loi de finances pour 2021.

Nous avons à cœur, depuis le début de la législature, de ne pas toucher à certains budgets, voire de les augmenter – cela concerne la santé, l’éducation nationale, l’intérieur, la justice et la recherche. Je crois que nous avons eu raison de le faire et nous continuons à soutenir fortement ces cinq ministères vraiment importants. C’est aussi une condition pour la reprise.

Quant au plan de relance, dont les crédits entrent dans le solde structurel, il est évident que l’innovation s’inscrit dans le temps long. Le plan de relance est une première étape. Je rejoins complètement notre président et notre rapporteur général en ce qui concerne la nécessité de mieux prendre en compte l’investissement dans les lois de finances, pour mieux l’accompagner dans la durée, ce qu’on ne peut pas nécessairement faire dans un budget purement annualisé.

Comment analysez-vous la capacité de l’État à faire des économies structurelles dans le contexte de reprise que nous connaîtrons dans les cinq prochaines années ? Pensez-vous que la trajectoire de rééquilibrage du solde structurel présentée dans le programme de stabilité est réalisable ? Vous avez souligné que cette trajectoire nécessite la poursuite dans la durée d’ajustements structurels au moins égaux à ceux inscrits dans ce programme.

Mme Véronique Louwagie. S’agissant de la certification des comptes et des quatre réserves substantielles que la Cour des comptes formule, vous avez évoqué les conditions de tenue de la comptabilité dans Chorus. Cet outil Chorus a-t-il conduit ou non à améliorer la fiabilité des enregistrements ?

Vous avez indiqué que les dépenses ordinaires ont augmenté de 6,7 milliards d’euros en 2020 et que, si cette dynamique se poursuivait, l’augmentation des dépenses du budget de l’État pourrait s’établir à 90,5 milliards par rapport à 2018. C’est une situation inquiétante et même dramatique. Selon vous, la diminution des dépenses passe-t-elle nécessairement par une réforme des retraites ?

Vous avez fait cinq recommandations. Pourriez-vous détailler celle qui consisterait à remplacer le fonds pour l’innovation et l’industrie par un dispositif de financement dans le budget général ?

J’en viens à la prévision de croissance de 5 % en 2021 et de 4 % en 2022. Nous sommes confrontés à deux difficultés. Les entreprises subissent des pénuries de matières premières et une inflation des prix qui perturbent énormément les commandes publiques et mettent en difficulté certains acteurs. Cet élément a-t-il été pris en compte dans la prévision de croissance ? Le fait que la consommation des Français pourrait être réduite par des comportements de défiance, qui conduiraient à encore plus d’épargne, a-t-il également été intégré ?

M. Jean-Paul Mattei. Je commencerai par les réserves liées à la certification des comptes. On peut comprendre les trois premières. La quatrième concerne les anomalies relatives aux charges de personnel et d’intervention, ainsi qu’aux produits régaliens : en la matière, des insuffisances significatives affectent toujours, fin 2020, le contrôle et l’enregistrement comptable et l’évaluation des créances sur les redevables ne donne pas une image fidèle des droits et obligations. Je suis un peu étonné par cette réserve compte tenu des outils qui existent. Le prélèvement à la source a-t-il contribué à sécuriser davantage les recettes ?

Vous soulignez, dans votre avis sur le programme de stabilité, le risque d’une prévision de reprise en 2023 au niveau de 2019 et d’une baisse de la dette publique trop optimiste et vous rappelez l’importance de l’aléa économique et sanitaire, le programme de stabilité étant fondé sur l’hypothèse d’une reprise dès mai 2021 – cela semble aujourd’hui assez conditionnel. Pensez-vous que les couvre-feu et les reconfinements successifs ont sensiblement modifié les grands équilibres sur lesquels le budget pour 2021 est fondé ? Même si nous sommes conscients qu’il est impossible de prévoir dans une loi de programmation budgétaire pluriannuelle l’effet d’une crise telle que celle que nous connaissons, pourrait-on intégrer à l’avenir d’autres éléments pour rapprocher les projections budgétaires de la réalité de l’exécution que vous constatez ?

L’année 2020 a vu se succéder quatre projets de loi de finances rectificatives, après le projet de loi de finances initiale, et un plan de relance dont la particularité est d’être concentré budgétairement sur deux ans – 2020 et 2021 –, ce qui est quand même très court. Un nouveau PLFR vous semble-t-il nécessaire pour ajuster le périmètre budgétaire à la réalité des dépenses ?

M. Jean-Louis Bricout. La Cour des comptes certifie qu’au regard des règles et des principes comptables applicables, le compte général de l’État pour l’exercice 2020 est régulier et sincère et donne une image fidèle de la situation financière et du patrimoine de l’État, avec certes quelques réserves. Vous dites notamment que votre institution n’est pas toujours en mesure de se prononcer sur le bien-fondé et la fiabilité des enregistrements comptables, tant du fait des conditions de tenue de la comptabilité générale dans Chorus que de l’organisation et du suivi du contrôle interne dans les ministères.

Vous montrez également que la pandémie a coûté, en 2020, 92,7 milliards d’euros à l’État, à qui vous reprochez des écarts importants entre les prévisions et l’exécution budgétaire. Par exemple, 31,6 milliards n’ont pas été dépensés conformément à ce que nous, parlementaires, avions voté. Le Gouvernement a largement reporté ces crédits sur 2021, dans des programmes différents de ceux pour lesquels ils avaient été ouverts, sans que nous en rediscutions, ce qui est inacceptable. Les prévisions du Gouvernement sont également mauvaises du côté des recettes. Vous soulignez l’exagération du manque à gagner pour l’État et vous rappelez utilement au Gouvernement que le budget n’est pas une enveloppe globale que l’exécutif pourrait utiliser à sa guise.

À la suite de ces constats, j’aimerais connaître votre sentiment sur les écarts budgétaires. Pensez-vous que ce sont des erreurs d’appréciation, qui pourraient s’expliquer au vu de la succession d’incertitudes et de difficultés dans la gestion de la crise, ou qu’il s’agit, en toile de fond, de manœuvres de communication, d’une façon de conforter les messages envoyés à la population ? Les prévisions de dépenses seraient volontairement exagérées pour renforcer l’idée qu’on sauvera l’économie « coûte que coûte » et même pour dire que, la Cour des comptes l’attesterait, l’économie est encore debout, les recettes sont au mieux et la stratégie de gestion sanitaire est au top. Le troisième message, qui correspond à un vieux fantasme des conservateurs, concernerait la nécessité de freiner et de maîtriser assez rapidement la dépense publique.

N’avez-vous pas le sentiment que les écarts budgétaires ne sont pas complètement des erreurs d’appréciation, mais constituent aussi une manœuvre pour faire jouer à votre institution un rôle de catalyseur en matière de communication ?

Mme Lise Magnier. S’agissant de la certification des comptes, pouvez-vous nous donner des explications très concrètes au sujet des quatre réserves substantielles que vous avez émises, malgré la démarche de fiabilisation que vous avez également soulignée ? Sont-elles liées à des outils non adaptés au sein des services de l’État, à des procédures insuffisamment formalisées ou à un manque de personnel ? La troisième réserve exprime votre désaccord avec l’État en ce qui concerne la valeur de son patrimoine financier. Pouvez-vous en expliquer les raisons ?

S’agissant de la difficulté à définir le solde structurel, vous regrettez une décomposition plus conventionnelle et contestable qu’à l’accoutumée entre les composantes exceptionnelle et temporaire, structurelle et conjoncturelle. Il est vrai qu’il peut sembler incohérent d’afficher une amélioration du solde structurel en 2020 au vu de la situation de nos finances publiques. Une distinction est faite dans le programme de stabilité entre ces mêmes composantes. Je vous rejoins là encore : la frontière peut parfois sembler assez artificielle. La notion de solde structurel est-elle encore pertinente ? Peut-on et doit-on utiliser une autre décomposition du solde public pour assurer une plus grande clarté et une meilleure compréhension des finances publiques ?

En ce qui concerne la gouvernance des finances publiques, je fais miennes les questions qui vous ont été posées sur l’évolution du rôle du Haut Conseil, dont on pourrait faire une institution budgétaire indépendante, dotée d’un mandat ambitieux et de moyens propres, comme l’a préconisé la commission pour l’avenir des finances publiques. Qu’en pensez-vous ? Quels pourraient être les obstacles techniques ?

Mme Sabine Rubin. Vous estimez que les prévisions de croissance figurant dans le programme de stabilité sont trop optimistes pour la période 2023-2027, ce qui rend l’objectif de baisse de l’endettement fixé pour 2027 difficile à atteindre. Pourtant, le Gouvernement choisit de réduire les dépenses publiques en les soumettant à une norme contraignante – pas plus de 0,7 % d’augmentation annuelle. Ne croyez-vous pas que ce choix grèvera encore plus la croissance ? Elle sera privée à la fois de la relance par la dépense publique et de l’utilisation de l’épargne, pour des raisons de précaution. Il en résulterait un cercle vicieux et une récession quasiment pérenne.

Le Gouvernement indique dans le programme de stabilité qu’il veut soumettre l’initiative législative à une sorte de règle d’or, dont le respect serait l’alpha et l’oméga au Parlement, sous le contrôle du Haut Conseil des finances publiques. Ne pensez-vous pas que cela pose un problème démocratique ? Cela réduirait la capacité d’initiative, déjà assez contrainte, du Parlement en matière de finances publiques.

M. Jean-Paul Dufrègne. La prévision de croissance potentielle du Gouvernement est de 1,35 %, ce qui est une hypothèse plutôt optimiste compte tenu des sous-investissements de cette année. Le ministre de l’économie, des finances et de la relance a affirmé hier, devant notre commission, que ces sous-investissements seraient compensés par le plan de relance et les mesures structurelles. Comment analysez-vous et quantifiez-vous les conséquences du plan de relance sur la croissance potentielle ?

Le programme de stabilité prévoit un ralentissement très important des dépenses publiques : elles diminueraient de 3,3 % en 2022 puis augmenteraient de 0,7 % en moyenne, alors que la hausse était d’au moins 1 % avant 2020. Comment ces éléments ont-ils été intégrés dans les prévisions macroéconomiques ? La prévision de croissance inclut-elle le ralentissement des dépenses publiques prévu à partir de 2022 ? A-t-on intégré un effet multiplicateur nul, ce qui signifierait que la baisse des dépenses publiques n’aurait aucun impact sur la croissance ?

De même, le ralentissement des dépenses pourrait-il peser sur la croissance potentielle de la France et réduire ses capacités productives ? On pourrait légitimement penser qu’un ralentissement brutal et durable des dépenses, tel qu’il est envisagé dans le programme de stabilité, pourrait amoindrir la croissance potentielle en réduisant l’investissement ou en provoquant des effets d’hystérèse.

Pensez-vous que la France se trouve réellement à la frontière de ses capacités productives ou jugez-vous qu’il serait possible de recalibrer le plan de relance de manière à l’amplifier et à pousser davantage la croissance, à l’image de ce qu’a annoncé le président Biden ?

Le Gouvernement fait l’hypothèse d’une normalisation de l’épargne d’ici à 2022. Peut-on penser que le fort ralentissement des dépenses publiques et la conduite de réformes antisociales, comme celles du chômage et des retraites, pourraient conduire au contraire à un accroissement de l’épargne de précaution ?

M. Michel Castellani. Nous sommes confrontés à une situation particulièrement difficile. Elle était déjà tendue avant l’irruption de la crise sanitaire, qui a singulièrement aggravé la conjoncture.

S’agissant des dépenses, M. Le Maire nous a présenté hier un programme de stabilité axé sur un contrôle drastique des dépenses, dont on peut se demander s’il est tenable et même souhaitable à la sortie de la crise. Vous évoquez l’effet de cliquet dans votre rapport tout en doutant de l’opportunité d’un maintien des dépenses à un niveau très élevé. Les objectifs du Gouvernement ne risquent-ils pas d’être intenables ? N’y a-t-il pas, en fait, une contradiction fondamentale ?

La hausse considérable de la dette ne suscite pas, pour l’instant, de grandes inquiétudes grâce à la politique volontariste de l’Agence France Trésor et surtout aux taux d’intérêt particulièrement bas. Néanmoins, une hausse des taux ne risque-t-elle pas de conduire à une situation intenable, à un choc brutal ? On voit mal quelles mesures on pourrait prendre pour y faire face.

S’agissant toujours de la dette, M. Le Maire a réitéré son rejet du plafond maastrichtien de 60 % du PIB tout en rappelant son attachement, pour ce qui est du déficit, au critère de 3 % du PIB. Pourquoi ne pas abandonner les deux ? Quels nouveaux critères faudrait-il alors créer ?

Toutes ces questions peuvent se résumer de la manière suivante : quelle politique, quelle convergence et quelle gouvernance faut-il adopter face à la situation actuelle ?

Mme Christine Pires Beaune. En tant que rapporteure spéciale de la mission Remboursements et dégrèvements, je sais que les contentieux fiscaux sont très coûteux pour l’État et ils le seraient beaucoup plus que prévu d’après vos travaux. À la page 81 de votre rapport, on découvre qu’ils ont coûté 4,7 milliards d’euros de plus que les prévisions de la loi de finances initiale. L’État n’aurait-il pas dû ajuster ses prévisions au cours des quatre projets de loi de finances rectificative ? Qui plus est, sur les 6 milliards d’euros, 1,6 milliard d’euros correspond au versement des intérêts moratoires. Comment éviter de telles dépenses, quand cet argent aurait été mieux placé dans l’éducation, par exemple ?

Page 84, vous notez une forte progression du produit des amendes en 2020, à hauteur de 3 milliards d’euros. Comment cela se fait-il, alors que les amendes routières, notamment, auraient dû diminuer drastiquement à cause du confinement ?

Enfin, à la page 30 du rapport relatif à la certification des comptes, vous mentionnez le patrimoine corporel de l’État, notamment les infrastructures concédées à des tiers, parmi lesquelles les autoroutes représentent 161,1 milliards d’euros. En l’absence d’inventaire détaillé du réseau, comment l’actif a-t-il été valorisé ?

Par ailleurs, monsieur le président Woerth, alors que la commission des finances compte soixante-treize membres, nous ne sommes que dix-neuf. Aujourd’hui, Mme Rabault a dû quitter la salle ; hier, c’était M. Bricout. La demijauge ne pourrait-elle pas s’appliquer à l’effectif complet de la commission et non aux groupes ?

M. le président Éric Woerth. Madame Pires Beaune, les règles efficaces sont des règles simples. Celle-ci permet de respecter les équilibres entre groupes, sans avoir à gérer les entrées et sorties de chacun ni à faire sans cesse des arbitrages. J’applique les règles définies par la Conférence des présidents, même si la demijauge n’est, en réalité, pas souvent atteinte. Croyez-moi, cela ne m’amuse pas plus que vous.

M. Brahim Hammouche. Vous nous avez alertés quant aux progrès qui restent à accomplir dans la démarche de maîtrise des risques induits par la mobilisation de la garantie de l’État sur les prêts, ainsi que par les avances qu’il a accordées en 2020. Pourriez-vous nous préciser quels sont les différents risques encourus – majeurs, modérés et mineurs ? À combien évaluez-vous leur coût ?

Mme Bénédicte Peyrol. Dans le programme de stabilité, le Gouvernement mentionne que le budget vert améliore la qualité de la dépense. Quel regard la Cour des comptes porte-t-elle sur ce nouvel outil ? Réfléchit-elle au rôle qu’elle pourrait jouer, par exemple en lien avec le Haut Conseil pour le climat (HCC), pour certifier ce budget ou agiraitelle plus en amont ? Enfin, faut-il, selon vous, suivre tout particulièrement les dépenses fiscales défavorables à l’environnement relevées en 2016 par la Cour des comptes dans un rapport remarqué ?

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques. Je ne pourrai pas répondre à toutes vos questions, puisque certaines, qui concernent les dépenses à venir, ne relèvent pas des quatre documents que je viens de vous présenter. Néanmoins, je peux d’ores et déjà vous donner rendez-vous, dans la mesure où la Cour des comptes est en train de faire un audit à 360 degrés des finances publiques, comportant une analyse de la trajectoire, intégrant la question de la dette et du cantonnement de la « dette covid », mais aussi une réflexion sur la sortie des mesures d’urgence et une approche structurelle des finances publiques, des politiques de croissance et de l’action publique. Ces travaux, commandés par le Président de la République et le Premier ministre, me permettront de vous répondre plus précisément sur la trajectoire de la dette et sur les moyens d’en assurer la soutenabilité : définition du moment où commencer l’effort ; nature de cet effort ; soutiens pour muscler la croissance – sans exclure par principe la réflexion sur les recettes, même si je n’ai pas à me prononcer sur les positions politiques retenues. Nous avons auditionné votre président et allons auditionner le rapporteur général. Une trentaine de magistrats travaillent à temps plein sur le sujet.

Concernant l’évolution des dépenses publiques, notamment des dépenses dites ordinaires, qui ont augmenté de 6,7 milliards d’euros en 2020, soit à peu près comme en 2019, où l’augmentation était de 7,3 milliards d’euros, mais beaucoup plus vite qu’en 2018, où elle n’était que de 1,5 milliard d’euros, même si les dispositifs pris spécifiquement en réponse à la crise ont vocation à s’éteindre, la Cour s’interroge sur l’évolution des autres dépenses, une fois la crise passée, dont rien à ce stade ne garantit le ralentissement. Nous mentionnons notamment le risque d’un effet de cliquet. J’ai cité le chiffre de plus de 90 milliards d’euros si la tendance se prolonge. Nous observons que si, à l’occasion de la crise de 2008-2010, les dépenses publiques avaient significativement augmenté de 4 points de PIB, elles avaient retrouvé, par la suite, leur niveau d’avant-crise. C’est pourquoi il faut réfléchir à l’évolution des dépenses audelà de la crise. Hier, M. Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics a donné le chiffre de 0,7 %, lequel est inférieur à la moyenne en volume de la hausse des dépenses publiques sur les dernières années, qui tourne autour de 1,1 %. Il faudra voir si cela suffit pour parvenir à une baisse de la dette. Vous en débattrez au niveau politique et nous en débattrons collectivement.

Le solde structurel de 2020 nous semble totalement dépourvu de sens, parce que la loi de programmation des finances publiques, qui définit la croissance potentielle, n’a plus de base et que les one-off sont comptabilisés d’une manière discutable. Cela discrédite-t-il pour autant la notion de solde structurel ? Je ne le crois pas, même si la crise sanitaire a rendu plus complexe son évaluation et que les choix faits ont contribué à brouiller sa définition. En tout état de cause, le solde structurel reste un outil indispensable pour établir une stratégie de finances publiques. C’est pourquoi il faut en refonder le calcul plutôt que tuer le pianiste et éliminer l’indicateur.

La Cour souligne depuis plusieurs années la sous-consommation des crédits d’investissement du budget de l’État et leur transformation par fongibilité en crédits de fonctionnement. Bien que cette pratique ne soit pas contraire à la LOLF, nous la regrettons. Dans notre rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de juin 2020, nous avions insisté pour que soient préservés les investissements publics, notamment ceux qui concernent la transition écologique ou la santé publique. Nous nous sommes également interrogés, sans trancher, sur l’opportunité de créer une sorte de fongibilité asymétrique pour les crédits d’investissement, à l’image des crédits de titre 2, c’est-à-dire de limiter voire d’interdire la possibilité de transformer des crédits d’investissement en crédits de fonctionnement au sein d’un même programme, même si l’inverse serait possible. La Cour aura l’occasion de revenir sur l’importance accordée aux dépenses d’investissement dans sa réponse à la commande du Premier ministre.

Pour ce qui est des investissements d’avenir, la Cour relève que la doctrine d’investissement a été amendée, puisqu’elle est définie au niveau législatif à l’article 233 de la loi de finances pour 2021. Nous suivrons avec attention les changements à venir dans la gouvernance des programmes d’investissements d’avenir (PIA), avec l’installation du conseil interministériel de l’innovation. S’agissant de la traçabilité insuffisante des recettes en provenance des investissements d’avenir, la direction du budget indiquait à la Cour qu’elle avait prévu de travailler en 2021 avec le secrétariat général pour l’investissement à l’enrichissement de la documentation, notamment du jaune annexé. La Cour sera attentive à une évolution qu’elle appelle de ses vœux depuis plusieurs années.

Les émissions d’obligations ont donné lieu en 2020 à la perception d’un niveau très élevé de primes à l’émission pour un montant de quelque 30,7 milliards d’euros. Selon l’AFT, ce niveau s’explique par la baisse des taux d’intérêt et par la demande des investisseurs pour des émissions sur des souches anciennes dont les taux de coupon sont supérieurs aux taux de marché actuels. Le programme d’achat de titres publics de la Banque centrale européenne, qui intervient sur l’ensemble de la courbe des taux, contribue à alimenter la demande des investisseurs pour ces titres plus anciens. Les primes perçues aujourd’hui auront pour contrepartie une augmentation des charges d’intérêt au cours des prochaines années. Mais, vous l’avez rappelé, c’est un mécanisme neutre du point de vue actuariel. Aussi, l’interrogation sur la soutenabilité de la dette va bien au-delà de ce seul sujet, qui n’est pas négligeable pour autant. Cela renvoie notamment à l’évolution de l’encours de la dette, en fonction des futurs niveaux de déficit public.

J’ai lu avec intérêt le rapport de M. Arthuis – qui m’avait auditionné et que la Cour auditionnera la semaine prochaine –, lequel met notamment l’accent sur l’idée d’une vigie indépendante pour aider au pilotage des politiques publiques et finances publiques. Mais une telle vigie existe déjà ! Le Haut Conseil des finances publiques est une institution indépendante, placée auprès d’une institution également indépendante, dotée de moyens propres que vous avez commencé à augmenter – je vous en remercie – pour cette année et qu’il faudra sans doute abonder légèrement, afin d’élargir son mandat pour lui permettre d’être plus utile au débat public et au contrôle du Parlement.

À ce sujet, je veux revenir sur quelques points. Le mandat du HCFP porte, à titre principal, sur l’appréciation du réalisme des prévisions macroéconomiques, ce qui est un peu paradoxal, dans la mesure où il ne s’appelle pas Haut Conseil des prévisions macroéconomiques… Elles sont un élément indispensable dans le cadre de la prévision des finances publiques, mais elles ne sont pas suffisantes. Elles ne sont pas le seul déterminant des prévisions de recettes et de dépenses. Il est possible d’avoir des prévisions macroéconomiques réalistes et des prévisions de recettes, de dépenses et de solde qui ne le seraient pas. C’est la raison pour laquelle je rejoins ce que disait le président Woerth sur le fait qu’une extension du mandat du HCFP à l’appréciation du réalisme des recettes et des dépenses constituerait un nouveau progrès dans la gouvernance des finances publiques ; il y en a sans doute d’autres.

Concernant l’ensemble des moyens des politiques publiques, au-delà des seuls crédits du budget général, il faudrait consulter l’ensemble des analyses de l’exécution budgétaire annexées au rapport sur le budget général. S’agissant des dépenses fiscales, vous trouverez également une note d’analyse de l’exécution budgétaire qui leur est consacrée. La Cour est très attentive à ces dépenses fiscales, qui se maintiennent à un niveau élevé. Enfin, la première chambre avait réalisé un rapport complet sur les fonds sans personnalité juridique, à la suite duquel nous avions appelé à une forme de remise en ordre. Nous ferons en 2022 un suivi de ce rapport, qui demeure d’actualité.

Les limitations des systèmes d’information sont une constante. En l’état actuel des choses, l’utilisation des applications informatiques ne permet pas de garantir, sur un certain nombre de postes, que les données comptabilisées correspondent à la réalité et donnent une image fidèle de la situation financière. Avec la mise en œuvre du progiciel Chorus en 2012, l’État s’est doté d’un outil performant, commun aux comptabilités budgétaire et générale pour assurer la gestion des dépenses et des recettes selon les règles introduites par la LOLF. Je dirais que cela marche. Le résultat est globalement satisfaisant pour les dépenses, qui sont désormais traçables sur l’ensemble de la chaîne, de l’engagement au paiement. En revanche, des insuffisances significatives persistent pour les recettes, pour lesquelles le système d’information est loin d’être utilisé à la mesure de ses possibilités. La majorité des applications remettantes fonctionne encore selon les règles de l’ordonnance de 1959, ce qui rend nécessaire d’opérer leur conversion dans le langage utilisé par Chorus. Pour résumer, l’outil n’est pas déficient mais on peut en faire un usage plus performant.

Le principe de fiabilité des comptes suppose que, en amont de leur production, les dispositifs de contrôle et de vérification mis en œuvre par l’administration permettent de prévenir les anomalies et les erreurs, garantissant au moins leur correction une fois repérées, ce qui fait l’objet du contrôle interne. Nous constatons que la démarche de maîtrise des risques continue de progresser dans presque tous les ministères, mais qu’elle n’a pas encore atteint un niveau de maturité suffisant pour garantir la fiabilité des comptes et assurer une bonne gestion des actions conduites par les services de l’État. Cela concerne notamment l’insuffisante hiérarchisation des contrôles, en fonction des enjeux et des risques, et l’absence d’outils de mesure de la réalité des risques. Je le redis, allègement et simplification doivent aller de pair avec une amélioration de la maîtrise des risques et des contrôles appropriés.

Pour les prévisions de croissance pour 2020 et 2021, les pénuries ont été prises en compte dans le calcul du PIB en 2021. Cela a été noté par le HCFP. Nous avons relevé que la prévision d’inflation sous-jacente est un peu basse. Cela fait partie des quelques paramètres qui peuvent jouer sur le futur. L’écart est important entre les prévisions et l’exécution sur les recettes comme sur les dépenses ; pour celles-ci, il est notamment l’effet d’une grande prudence. Je conçois tout à fait la prudence, d’une part, et la prise en compte des incertitudes, d’autre part – c’est, en gestion, une attitude préférable à celle consistant à ignorer l’une et à mépriser les autres. En revanche, je pense que l’ampleur de l’écart, supérieur à 40 milliards d’euros, ne s’explique pas seulement par la prudence ou l’anticipation des incertitudes, à moins de supposer qu’elles aient été excessives. Les circonstances de l’été 2020 ont compliqué l’évaluation des recettes, ce qui confirme la nécessité d’une analyse indépendante.

Les participations financières de l’État sont composées de 1 703 entités qui représentent une valeur de 307,4 milliards d’euros à l’actif du bilan : 647 sont des participations contrôlées, 1 056 des participations non contrôlées. La Cour s’appuie, pour apprécier la fiabilité des montants comptabilisés au titre des participations contrôlées, sur les rapports d’audits internes des commissaires aux comptes de ces sociétés. L’acte de certification des comptes de 2020 énonce les constats suivants pour les 647 entités contrôlées : 191 rapports reçus, dont 31 qui font état de réserves ; nous n’avons pas obtenu le rapport de 74 entités et n’avons pas d’informations probantes pour les 382 autres. Une certaine incertitude persiste donc quant à la fiabilité d’une part significative de participations, qui justifie la réserve formulée par la Cour. Je vous ai fait cette réponse détaillée pour que vous preniez la mesure du travail considérable que fournit l’équipe de certification, composée de vingt-cinq personnes, dont je pense qu’il faut faire un usage plus important, car c’est un outil précieux. Je crois que vos prochains travaux sur la LOLF en fourniront l’opportunité.

Pour les contentieux de série, il s’agit de crédits évaluatifs, ajustés en fin d’année. Leurs intérêts moratoires sont assez inévitables au vu des délais de traitement même si leur montant de 6,7 milliards d’euros n’est pas négligeable. Quant au niveau du produit des amendes, il s’explique par les décisions de l’Autorité de la concurrence et non par l’évolution du produit des amendes de la circulation.

Le HCFP note que la prévision pour 2021 du programme de stabilité est conditionnée par la réalisation du scénario sanitaire. En cas de décalage important du calendrier de levée des contraintes sanitaires, il faudra réactualiser le scénario de croissance. Mais, à ce stade, nous n’avons pas de raison de remettre en cause le scénario du Gouvernement, même si le virus demeure le maître en la matière. Quant aux prévisions de croissance, elles tiennent compte de l’influence des finances publiques, qui est défavorable à court terme mais pas nécessairement à long terme, surtout si la qualité de la dépense est privilégiée.

Enfin, j’ai pris bonne note de vos remarques sur le budget vert, qui semble une perspective d’avenir. Pour la première fois, des indicateurs se dessinent en la matière. Nous soulignons dans notre rapport que nous sommes prêts à nous investir pour l’avenir dans le suivi de cette grande transition écologique, qui sera centrale dans notre politique économique, quoi qu’il arrive.

Mme Valérie Rabault. Hier, j’ai interrogé le ministre de l’économie, des finances et de la relance sur le niveau du déficit structurel, sans obtenir de réponse. Le solde nominal a été mis quasiment à 100 % sur sa composante structurelle, ce qui signifie que l’économie française est mal en point, sans quoi on aurait pu supposer une part plus importante de la composante conjoncturelle. La position du curseur entre solde structurel et solde conjoncturel a-t-elle un impact sur la dette ? Autrement dit, est-ce que le Gouvernement n’a pas chargé la barque sur la partie structurelle pour rendre la dynamique de dette plus acceptable vis-à-vis de Bruxelles ?

M. Pierre Moscovici. J’aurais tendance à inverser votre raisonnement. J’ai insisté tout à l’heure sur le fait que le calcul du solde structurel était quelque peu dépourvu de sens et que les choix qui avaient été faits, de comptabiliser comme des one-off des mesures qui se prolongent en réalité, aboutissaient à diminuer fortement le solde structurel, puisqu’il passait de moins 2,3 points en 2019 à moins 0,9 point en 2020, ce qui est un peu contre-intuitif quand on observe la dégradation des finances publiques, dont il est difficile de penser qu’elle n’ait aucune composante structurelle. J’en déduis plutôt qu’il faudra revenir à une mesure plus réaliste de ce solde. On va le rehausser en 2021, ce qui appelle une nouvelle loi de programmation des finances publiques dotée d’un caractère contraignant. J’ai entendu le propos du ministre de l’économie, des finances et de la relance et n’ai pas à me prononcer sur son caractère constitutionnel, par exemple, mais je comprends tout à fait que nous n’ayons pas pu le faire maintenant, les incertitudes étant bien trop fortes.

Dès lors que nous aurons vu la fin ou à tout le moins la maîtrise de la crise sanitaire et que l’horizon sera plus clair – sans doute vers les échéances politiques du printemps 2022 –, il faudra mener un pilotage plus serré les cinq années suivantes, afin d’intégrer cette composante qui ne me paraît pas avoir d’impact particulier sur la dette. Je ne pense pas qu’il faille voir dans ces choix quelque intention maligne. Rien ne justifie que nous déclenchions le mécanisme de correction : dans un contexte où les circonstances sont extraordinaires et où les règles budgétaires européennes sont débranchées, avec, en plus, des outils qui ne sont plus très pertinents et une loi de programmation caduque, cela n’aurait pas grande signification. Tel est le sens de notre avis sur le projet de loi de règlement.

M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes. Nous ne portons pas un regard négatif par principe sur le fonds pour l’innovation et l’industrie. Nous pensons, au contraire, qu’il faut favoriser les dépenses d’innovation et rendrons d’ailleurs prochainement à la commission des finances un rapport sur les aides publiques à l’innovation. Nous disons seulement que le mécanisme utilisé n’a pas de sens : il est contraire au principe de l’unité budgétaire ; sa mise en œuvre est très complexe ; il ne garantit pas les recettes. Utilisons plutôt le dispositif du quatrième PIA, qui est dépourvu de tout risque de gel et pluriannuel.

Les incertitudes sur les produits régaliens peuvent, en effet, paraître paradoxales. Cela est très largement lié au mauvais fonctionnement des systèmes informatiques, au moins au fait qu’ils sont anciens et ne garantissent pas la corrélation entre ce qui est correctement prélevé et ce qui est comptabilisé. Pour la DGFiP, modifier les systèmes informatiques de prélèvement de l’impôt est compliqué, puisque, en cas de défaillance, les conséquences seraient dramatiques. En revanche, je peux vous rassurer : le prélèvement à la source n’a rien changé à la question et ne présente pas de risque.

S’agissant du remboursement des avances, il y a effectivement un risque, puisque de l’argent a été avancé aux aéroports ou aux autorités organisatrices de la mobilité. Or, je ne suis pas convaincu qu’il sera remboursé selon le calendrier initialement prévu. Il en existe également un concernant les garanties que l’État a consenties sur les prêts.

Enfin, pour ce qui est de la valeur des actifs autoroutiers, l’estimation a été faite par les services du ministère, sur la base de données techniques contractuelles financières, selon la méthode du coût de remplacement à neuf par kilomètre. Nous n’avons pas relevé d’anomalies à ce titre dans les comptes, même si le calcul est un peu conventionnel.

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