Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

 

 

 

  Audition de M. Robert Ophèle, président de l’Autorité des marchés financiers, sur le rapport public annuel de l’Autorité 2

 

 

 

 

 


Mercredi
5 mai 2021

Séance de 9 heures 

Compte rendu n° 69

session ordinaire de 2020-2021

 

 

Présidence de

 

M. Éric Woerth,

Président

puis de

M. Daniel Labaronne,

Vice-Président

 


  1 

La commission entend M. Robert Ophèle, président de l’Autorité des marchés financiers, sur le rapport public annuel de l’Autorité.

M. le président Éric Woerth. Nous serons probablement saisis d’un projet de décret d’avance d’ici la fin de semaine. Selon l’article 13 de la loi organique, nous disposerons alors de sept jours pour rendre un avis sur ce projet. Une réunion de la commission des finances sera ainsi organisée le mercredi 12 mai à 9 heures 30 pour délibérer sur cet avis. Même si cette procédure n’est pas coutumière dans le cadre du présent quinquennat, nous souhaiterions également avec le rapporteur général auditionner préalablement sur ce projet décret d’avance le ministre Olivier Dussopt, le mardi 11 mai à 17 heures 30. Ces points vous seront confirmés lorsque le décret d’avance aura été transmis.

De manière désormais habituelle, M. Robert Ophèle nous présente ce jour le rapport public annuel de l’Autorité des marchés financiers (AMF).

L’année 2020 a été marquée par une crise économique, sans que celle-ci ne se transforme en crise financière grâce aux aides apportées par les États partout dans le monde mais aussi aux interventions extrêmement actives des banques centrales.

2020 a également été marquée par l’entrée de très nombreux particuliers sur le marché et par un nombre très important de transactions boursières.

2020 a enfin été marquée par l’opération de Veolia vis-à-vis de Suez. Commencée en 2020, cette opération s’est poursuivie en 2021. L’AMF y a joué un rôle très important et a dû se prononcer à plusieurs reprises.

Enfin, en mars 2021, faisant suite à sa communication d’avril 2020, l’AMF a fait évoluer sa doctrine sur l’activisme actionnarial, notamment concernant la communication des émetteurs en temps calme (quiet period).

Compte tenu de l’accord finalement trouvé entre les groupes Veolia et Suez et leurs différents partenaires, les nombreux débats juridiques suscités par cette opération n’auront probablement pas à être tranchés par la justice, ce qui est au fond préférable. Au regard de cette affaire hors norme, l’AMF estime-t-elle néanmoins qu’une clarification ou qu’une évolution du droit boursier est souhaitable sur certains points ?

J’avais été l’auteur, avec Benjamin Dirx, d’un rapport sur l’activisme actionnarial. Disposez-vous de premiers retours des émetteurs et du marché concernant les évolutions que vous avez préconisées dans le cadre de votre nouvelle doctrine à cet égard ? Où en est la réflexion sur l’ajout d’un seuil légal de déclaration de franchissement à 3 % ?

J’avais également présidé une mission d’information sur les crypto-actifs, dont les conclusions feront bientôt l’objet d’un rapport de suivi, qui sera presque un rapport d’actualisation, tant le rôle des banques centrales ou d’un certain nombre de grandes entreprises a évolué ces dernières années. L’AMF est aussi au cœur de ces régulations. En septembre 2020, la Commission européenne a présenté une série de mesures relatives à la finance numérique en Europe. Sont-elles à votre avis satisfaisantes ? Quels sont les principaux défis posés par la régulation des crypto-actifs ?

M. Robert Ophèle, président de l’Autorité des marchés financiers. Je vous remercie de me consacrer quelques instants dans cette période chargée. Il y aurait bien des éléments à évoquer au titre du rapport annuel de 2020 de l’Autorité des marchés financiers tant la crise sanitaire a profondément affecté le tissu économique et, ce faisant, les marchés financiers. Les équipes de l’AMF ont ainsi été mobilisées pour réagir dans l’urgence à de nombreuses situations inédites appelant une intense concertation internationale – nous avons participé à plus de 200 réunions des comités faîtiers et plus de 400 procédures écrites en 2020 – et conduisant l’AMF à utiliser pour la première fois certains de ses pouvoirs. Cela a concerné les ventes à découvert, avec l’interdiction de constitution de nouvelles positions courtes nettes du 17 mars au 18 mai sur l’ensemble des actions sous notre compétence, ou encore la gestion collective lorsque la suspension des souscriptions et des rachats a été imposée à certains fonds H2O fin août.

Ce que nous avons expérimenté depuis un an a mis en évidence la nécessité de revisiter en profondeur plusieurs sujets afin que les marchés financiers puissent pleinement contribuer au bon financement de notre économie.

J’ai structuré mon propos de ce matin autour de trois thèmes : les traces laissées sur les marchés financiers par la crise de 2020 ; l’essor de la finance durable, qui demande à être mieux encadré ; l’après Brexit, que l’Union européenne aborde trop lentement.

Si la crise de mars et avril 2020 a finalement été vite surmontée par les marchés financiers, elle a laissé des traces profondes, avec en premier lieu la montée en puissance de l’actionnariat individuel. Certes, cette montée en puissance semble moins massive en France qu’aux États-Unis, mais nous avons quand même enregistré plus de 400 000 nouveaux investisseurs en France en 2020. Ce sont des investisseurs plus jeunes et plus actifs en bourse : 60 millions de transactions de particuliers ont été enregistrées en 2020, contre 25 millions les années précédentes, et cette tendance se poursuit avec un niveau de transactions record de la part des particuliers au premier trimestre 2021. Nous publions désormais chaque trimestre un tableau de bord de la participation des personnes physiques au marché financier.

Nous ne pouvons que nous réjouir de cette évolution. Elle permet de créer un lien plus direct entre les Français et le développement de nos entreprises, et de mobiliser nos forces vives pour contribuer au renforcement de leurs fonds propres. Encore faut-il que cette évolution s’inscrive bien dans une perspective de long terme, qu’elle ne se traduise pas par des prises de risques excessives, et qu’elle contribue au bon fonctionnement du marché. L’AMF a une responsabilité particulière vis-à-vis de ces investisseurs non professionnels et elle se mobilise pour répondre à leurs interrogations, les éclairer dans leur démarche d’épargne et leur éviter de succomber aux tentatives d’arnaques qui se sont multipliées avec des formes souvent très sophistiquées, notamment d’usurpations d’identité.

L’année 2020 est également une année où les mécanismes de marché ont dans certains cas conduit à des excès, avec des valorisations et des prises de risques excessives, et où, dans d’autres cas, ces mécanismes de marché ont été contrariés.

Défendre l’intégrité du marché est au cœur des priorités de l’AMF. Cela se traduit en particulier par l’accent mis sur une exigence de transparence, qui permet de prévenir les abus de marché, et sur le développement du dialogue actionnarial qui peut permettre d’éviter les conflits inutiles.

L’AMF a fait des propositions en ce sens en avril 2020 et a adapté sa doctrine en mars 2021 afin de renforcer la main des émetteurs faisant l’objet d’attaques publiques d’activistes, en particulier lors de la période de silence précédant la publication des comptes des entreprises. L’identification des actionnaires, qui fait aussi partie des outils à disposition des émetteurs, a notamment été renforcée par les textes européens sur le droit des actionnaires. Elle est entrée en vigueur en fin d’année 2020, après la nécessaire mise au point de normes techniques pour fluidifier les transmissions. Euroclear, le dépositaire central, a ainsi depuis quelques semaines proposé des outils d’identification rapide des actionnaires, pour un coût beaucoup plus limité qu’auparavant. Les seuils statutaires (dont nous souhaiterions que le poids soit plus important) et les seuils légaux ne sont pas à la main de l’Autorité des marchés financiers, mais dépendent en l’occurrence du législateur français. Certaines de nos propositions auprès des colégislateurs européens visent également à accroître notamment la transparence des ventes à découvert. La mise en œuvre en 2020 d’une réglementation européenne nous permet enfin de suivre de manière beaucoup plus rapprochée les prêts de titres, ce qui doit notamment nous permettre de suivre l’effectivité du rapatriement des titres prêtés par les sociétés de gestion avant les assemblées générales.

L’AMF a rendu publique son analyse des mécanismes de défense mis en place par le conseil d’administration de Suez face à l’offre publique d’achat non sollicitée de Véolia. Si certains points n’ont pas été tranchés par les tribunaux, d’autres l’ont été. Le recours de Suez sur le calendrier d’ouverture par l’AMF de la période de pré-offre, et le recours du comité social et économique (CSE) de Suez sur le calendrier de sa propre saisine relative au projet d’offre ont tous deux fait l’objet de décisions de justice. Tel n’est pas le cas de l’analyse effectuée par l’AMF du dispositif mis au point conjointement par le conseil d’administration de Suez et le consortium Ardian  Global Infrastructure Partners (GIP). Je ne suis pas favorable à une réouverture de notre cadre législatif sur ces sujets. Le droit des offres résulte du cadre issu de la directive européenne, mais surtout de sa transposition dans notre jurisprudence. Or les cas concrets diffèrent souvent et il paraît vain de vouloir tous les régler dans un même texte législatif. La jurisprudence constitue un outil très efficace et utile dans ce domaine.

L’AMF soutient les projets européens visant à renforcer la transparence des marchés. Nous souhaitons un accès ouvert à des données de marché consolidées via une consolidated tape européenne. Nous souhaitons également une transparence renforcée sur les positions courtes nettes.

Nous avons analysé le rapide développement des special purpose acquisition companies (SPAC) aux États-Unis et leur apparition en Europe, et nous avons rendu public notre soutien à ces montages lorsqu’un certain nombre de conditions étaient réunies, en essayant de tirer profit de l’expérience des excès observés aux États-Unis.

Nous avons accompagné les émetteurs et les actionnaires dans la conduite à huis clos des assemblées générales, ce qui a rendu nécessaire l’amélioration des modalités de la participation à distance des actionnaires à ces moments phares de l’exercice de leurs droits. Si la capacité de suivre à distance et en temps réel le déroulement des assemblées générales semble désormais bien assurée, il n’en est pas de même pour la capacité à y participer activement en temps réel. La question de l’exercice du droit de vote à distance est ainsi essentielle, mais complexe d’un point de vue opérationnel, car ce droit doit être exercé dans un cadre sécurisé. Nous pensons que des progrès décisifs peuvent être obtenus dans ce domaine pour les assemblées générales qui se tiendront en 2022. Quelques expérimentations auront lieu cette année dans ce domaine.

Le secteur de la gestion d’actifs est particulièrement développé en France, avec des acteurs de taille mondiale. L’année 2020 a été une année très contrastée dans le secteur, en particulier pour les fonds ouverts, avec la matérialisation des risques de liquidité ou de valorisation. S’agissant des fonds français sous la responsabilité directe de l’AMF, nous avons dû être plus particulièrement attentifs aux vastes retraits intervenus sur les fonds monétaires en mars, et sur les difficultés de valorisation de certains actifs non cotés qui ont conduit, par exemple, à la suspension des fonds H2O. Cette dernière suspension a débouché, pour la première fois, sur une scission de fonds, avec une partie ré-ouverte, constituée par les actifs liquides et dont la valorisation ne pose pas de problèmes, et une partie cantonnant les actifs illiquides, à valorisation incertaine et qui est mise en liquidation. Cette mise en œuvre d’un dispositif amélioré dans la loi PACTE en a confirmé la pertinence.

À l’étranger, si des tensions importantes sur les fonds monétaires ont aussi été constatées, elles ont également touché des fonds obligataires corporate (privés) et des fonds immobiliers, ce que nous n’avons pas enregistré de façon notable en France. Toutes ces tensions ont déclenché une intense réflexion, tant en Europe qu’au niveau international, dans le cadre notamment du conseil de stabilité financière (CSF) et de l’organisation internationale des commissions de valeurs (OICV), sur l’adéquation des cadres réglementaires et sur la possible mobilisation d’outils macro-prudentiels réduisant certains comportements pro-cycliques. L’AMF y participe activement car il s’agit là d’un enjeu essentiel pour assurer le financement de nos économies sans mettre en danger la stabilité financière. C’est d’autant plus nécessaire à un moment où le développement des fonds investissant dans des actifs non cotés apparaît comme une des clefs de la relance. Mais cela interpelle également nos pratiques de supervision d’une activité largement transfrontière où les délégations de gestion financière ou de fonctions support sont fréquentes.

2020 a été une année décisive pour progresser en direction d’une finance plus durable, tant au niveau français ou européen qu’international. La contribution de l’AMF à cette évolution a été très significative. Nous avons en particulier posé les premiers éléments de doctrine en matière de commercialisation des produits de gestion collective intégrant des approches extra-financières afin de couper court à la tendance au verdissement de façade des produits financiers. Nous avons contribué à la réflexion européenne, notamment avec des propositions conjointes avec l’Authority for the financial markets (AFM), notre homologue des Pays-Bas, pour un encadrement des fournisseurs de notations et de données extra-financières. J’observe avec satisfaction qu’elles ont été reprises par l’European securities and markets authority (ESMA). Nous avons posé les jalons d’une certification AMF des connaissances en matière de finance durable et renforcé la composante finance durable de la certification généraliste. Nous avons analysé le reporting des dix acteurs financiers français mettant en œuvre les recommandations de la Task force on climate-related financial disclosures (TCFD) et établi avec l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) un premier rapport sur le suivi et l’évaluation des engagements pris par les institutions financières françaises en matière de climat.

Nous sommes toutefois encore loin du but. Du côté des émetteurs, alors que l’Europe avance pour préciser les informations à rendre publiques, la demande s’est accélérée en faveur de standards mondiaux qui pourraient servir de références communes. La proposition faite par la Fondation IFRS (International financial reporting standards) d’établir ce référentiel commun a attiré un large soutien, en particulier parce qu’il n’est pas exclu que les États-Unis y adhèrent, contrairement à la posture qu’ils ont retenue pour les normes comptables établies par l’IASB (International accounting standards board), sous l’égide de l’IFRS. Cette attraction légitime des standards mondiaux ne doit cependant ni retarder ni affadir les ambitions européennes. Du côté des intermédiaires financiers, si la réglementation dite Sustainable finance disclosure regulation (SFDR) est en vigueur depuis début mars, cette réglementation est trop peu claire sur de nombreux points : en particulier sur le périmètre exact des produits mettant en avant des caractéristiques environnementales et sociales, ou dont l’objectif est l’investissement durable. Les standards techniques, qui n’ont d’ailleurs pas encore été adoptés, ne préciseront pas ces points. La situation reste donc particulièrement confuse actuellement au niveau européen.

Alors que le Royaume-Uni a décidé de quitter l’Union européenne depuis presque cinq ans, l’union des marchés de capitaux est encore largement à l’état de projet avec une mosaïque d’approches nationales qui, soit fragmentent la zone, soit établissent une compétition malsaine lorsqu’il y a une totale liberté de prestation de services. Afin de progresser, au lieu de transférer des pouvoirs de supervision directe à l’ESMA, les colégislateurs européens ont fait le choix de renforcer la convergence des 27 supervisions nationales. C’est une méthode peu efficace et malgré tout extraordinairement consommatrice de temps. Je dois vous dire que nous n’avons pas à l’AMF les effectifs pour y participer de façon pertinente.

L’Union européenne n’a malheureusement pas encore vraiment finalisé sa politique visant à développer une industrie financière européenne autonome, à même de couvrir les besoins de financement de ses économies et à assurer une intermédiation efficace entre apporteurs et demandeurs de capitaux. De grands progrès ont été accomplis pour assurer la localisation dans l’Union de nombreux intermédiaires financiers. De même, de nombreuses opérations ont été relocalisées, comme l’illustre le cas des transactions sur actions françaises, qui ont désormais lieu en quasi-totalité dans l’Union (et aux deux tiers en France). Le renforcement des infrastructures de marché progresse, comme le montre le développement du groupe Euronext. Mais la dépendance au Royaume-Uni reste forte pour la compensation des dérivés et elle s’est déplacée du Royaume-Uni vers les États-Unis pour les transactions sur dérivés, surtout pour les dérivés de taux en dollars ou en livres sterling ou pour les dérivés de crédit. S’agissant de Paris, nous considérons qu’une cinquantaine de sociétés, sociétés de gestion ou entreprises d’investissement, ont choisi notre place pour se localiser et proposer leurs services dans l’Union. Lorsque d’autres places ont été retenues, les succursales parisiennes ont souvent été significativement renforcées. Le nombre mensuel d’opérations de marché réalisées depuis Paris et déclarées à l’AMF a été multiplié par trois entre 2019 et le premier trimestre 2021. Un tiers de cette progression est imputable aux acteurs français et deux tiers aux acteurs de pays tiers installés en France. Ces derniers réalisent désormais la moitié du total, signe évident de l’internationalisation de notre place financière.

Force est cependant de reconnaître que cela n’a pas encore favorisé la compétitivité de l’industrie financière européenne. Celle-ci est, de façon un peu paradoxale, en position de faiblesse sur son marché domestique par rapport à des acteurs étrangers qui s’appuient sur leur propre marché domestique, généralement plus efficace et rémunérateur que celui de l’Union, et qui peuvent orienter leur clientèle vers les lieux d’exécution les plus pertinents. L’industrie financière européenne est de plus singulièrement pénalisée dans son développement international puisqu’elle doit respecter, en particulier dans ses réseaux de succursales, les règles de l’Union en plus des règles locales. Cela pénalise souvent la poursuite d’une activité compétitive à l’international.

Il reste donc encore beaucoup à faire pour l’émergence d’un marché financier européen efficace avec des acteurs européens de dimension internationale. Mais il est clair que dans un cadre européen où une large majorité de pays n’ont pas d’industrie financière nationale, cette ambition de développer un écosystème domestique d’intermédiaires financiers européens performants est peu partagée.

Je suis à votre disposition pour développer plus avant un des thèmes que j’ai évoqués ou pour répondre à toute autre question, par exemple sur la finance digitale, notre filière répressive ou le fonctionnement interne de l’AMF.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général. Les marchés financiers se sont montrés très dynamiques en 2020. Au regard de cette résilience, constituent-ils selon vous une réponse efficace aux besoins de fonds propres des entreprises ? Lorsque nous vous avions auditionné il y a un an, vous aviez en effet souligné la nécessité, pour les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) notamment, de pouvoir mobiliser des fonds propres pour faire face à la crise. Avant la crise, la difficulté à cet égard était surtout liée à la deuxième directive Markets in Financial Instruments (MiFID 2), qui empêchait la recherche de liquidités pour les PME et ETI cotées. La leçon de la crise sanitaire n’est-elle pas de réviser MiFID 2 pour permettre à ce type d’entreprises d’accéder à davantage de liquidités ?

Depuis quatre ans, nous sommes plusieurs, avec notamment M. Charles de Courson, à nous demander comment favoriser encore l’investissement individuel en bourse. Quelques success stories comme l’introduction en bourse de La Française des jeux sont intéressantes à examiner à cet égard. D’autres événements similaires peuvent-ils être espérés prochainement ? Les mouvements contrôlés par les particuliers sont-ils plus nombreux depuis le début de cette crise ? Nous avons vu que les investissements des actionnaires particuliers étaient plus nombreux en volume, mais laissent-ils également présager des comportements d’investissement nouveaux de la part des particuliers ?

L’AMF mène avec l’ACPR d’importants travaux de suivi des engagements climatiques des institutions financières françaises. Un premier rapport de la place de Paris montre qu’elle s’est mobilisée dans la lutte contre le changement climatique, même si le niveau d’ambition et les conséquences stratégiques des actions menées restent variables, et parfois même contestables. Sur quels points la place de Paris peut-elle encore faire progresser le respect des engagements climatiques très volontaristes du secteur financier ?

M. Robert Ophèle. Les marchés financiers ne reflètent jamais la situation du moment, mais celle qui est anticipée pour les années à venir. Aujourd’hui, ils traduisent l’anticipation d’un fort rebond de l’activité économique, qui serait accompagné d’une politique monétaire accommodante se traduisant par des taux réels négatifs à long terme. Or, la surliquidité actuelle de l’économie (c’est-à-dire l’excédent de monnaie Banque centrale injectée dans l’économie, qui dépasse actuellement 4 000 milliards d’euros en zone euro) et les situations d’endettement, parfois élevées, pourraient conduire à des ajustements brutaux des valorisations si ces anticipations ne se confirmaient pas. Elles constituent néanmoins pour les entreprises une opportunité pour renforcer leurs fonds propres par l’intermédiaire des marchés financiers. De nombreux investisseurs se tournent ainsi vers la bourse, car les taux d’intérêt réels sur la dette, et par conséquent sur les placements, sont actuellement négatifs.

L’accès des PME aux marchés boursiers est une question très importante. Notre combat a porté ses fruits puisque l’ensemble de textes européens adoptés sous le nom de recovery package en début d’année 2021 pour réagir à la crise de 2020 a permis de rouvrir aux PME la recherche financière et les services financiers proposés par les intermédiaires. Les entraves à cette recherche pour les PME au niveau européen viennent donc d’être levées en ce début d’année, contre l’avis de l’ESMA, qui n’aide malheureusement pas sur ces questions. Elle avait rendu une opinion négative sur la pratique de marché admise en France qui permet d’établir des contrats de liquidité efficaces pour animer le marché secondaire des titres de PME. Nous avons d’ailleurs transmis à l’ESMA notre projet de renouvellement de ce régime et nous attendons sa réponse.

En matière financière, est considérée comme PME une entreprise dont la capitalisation boursière est inférieure à un milliard d’euros. Or, la limite fixée pour l’accès des PME à la recherche financière est un plafond de 200 millions d’euros. L’Union européenne considère donc que cette limite est trop basse, raison pour laquelle elle vient de décider de la remonter à un milliard d’euros, mais l’ESMA n’est pas d’accord. La lutte pour faciliter l’accès des PME aux marchés financiers se poursuit donc.

Concernant l’engagement climatique, nous sommes au milieu du chemin. Un travail est en cours pour adosser les engagements des acteurs de la place de Paris à une panoplie d’indicateurs normalisés, afin de les rendre plus précis et plus comparables, mais ce travail est lié au débat européen sur les indicateurs extra-financiers qu’il faudrait demander à l’ensemble des émetteurs d’établir et de publier pour définir des engagements mesurables dans le temps.

M. Jean-Paul Dufrègne. Comment expliquer l’augmentation de l’actionnariat individuel ?  Est-elle durable ou liée à la conjoncture ?

Que prévoit en matière de régulation des outils financiers le protocole post-Brexit du 2 mars 2021 sur les marchés financiers en France, et quels effets en attendez-vous ?

Les cours des crypto-monnaies sont assez volatiles, et certaines atteignent des niveaux record. Pourraient-elles peser sur la stabilité des marchés financiers ?

Enfin vous avez évoqué les effectifs insuffisants de l’AMF : de combien de personnes se composent-ils ?

M. Robert Ophèle. L’AMF compte 475 équivalents temps plein travaillés (ETPT). Nous sommes significativement moins nombreux que notre homologue en Italie, dont les fonctions sont identiques. En France, les effectifs cumulés de l’ACPR et de l’AMF s’établissent à environ 1 500 personnes, contre 3 000 pour les institutions aux missions équivalentes en Allemagne et 4 500 au Royaume-Uni. Or, la convergence européenne demande beaucoup plus d’effectifs qu’auparavant et notre activité de base augmente de manière extrêmement rapide. L’an dernier, nous avons revu 3 700 communiqués d’émetteurs en 2020, contre 2 000 en 2019. Nous avons tenu 1 100 réunions bilatérales avec les sociétés de gestion et les prestataires de services d’investissement, contre 400 en 2019. L’AMF est donc confrontée à un problème d’effectifs extrêmement important en 2020, alors que ses comptes sont en perte permanente depuis près de dix ans. Nos moyens financiers ne nous permettent donc pas d’augmenter nos effectifs aujourd’hui.

Une conjonction étonnante a favorisé en 2020 l’entrée des investisseurs individuels sur le marché. Déjà en fin d’année 2019, la privatisation de La Française des jeux avait attiré de nombreux nouveaux épargnants. Puis, alors que les particuliers sont réputés pour entrer dans le marché au mauvais moment, la chute brutale des marchés en mars et avril 2020 est cependant apparue comme une opportunité d’investissement à bon coût pour de nombreux jeunes investisseurs qui, en télétravail, ont notamment pu profiter des offres de plateformes leur permettant d’accéder aisément au marché. Ces investisseurs ont depuis été conservés, et il est très important de pouvoir s’appuyer sur cette base pour bâtir l’avenir. Deux risques au moins doivent cependant être soulignés à cet égard. Les particuliers sont par exemple attirés par des offres « sans commission ». Ces pratiques doivent être surveillées de très près, car rien ne permet d’assurer que les ordres des clients y soient traités de la meilleure manière. Ils y sont plutôt incités à prendre position sur des marchés dérivés à fort effet de levier, qui présentent des risques très importants et des marges très significatives pour les intermédiaires qui les proposent. L’AMF est donc particulièrement vigilante à ce sujet.

La Banque centrale n’aime pas le terme de « crypto-monnaie », mais les actifs qu’il permet de désigner ont en effet atteint des niveaux de valorisation que je ne sais pas justifier. Notre effort consiste ici à réglementer les intermédiaires, c’est-à-dire les plateformes qui proposent ce type de produits. La loi PACTE a mis en place un cadre réglementaire, et une quinzaine de prestataires de services ont pour l’instant été enregistrés sur « actifsnumériques ». La difficulté tient aux règles en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme que ces intermédiaires doivent mettre en œuvre de manière très précise. La réponse doit être européenne. En octobre 2020, la Commission européenne a émis des propositions en ce sens, qui ont le mérite d’être des propositions de règlement, qui éviteraient donc la multiplicité des transpositions nationales d’une directive. Les travaux à ce sujet progressent très bien au niveau du Parlement européen comme du Conseil, et pourraient même aboutir d’ici la fin de l’année, donc avant la présidence française de l’Union au premier semestre 2022. Dans le cas contraire, nul doute que la présidence française permettra de finaliser ces textes, qui encadreront au niveau européen, donc de manière plus efficace, au moyen d’un passeport, ces activités. Une commission de suivi traitera ces questions, et j’y reviendrai dans ce cadre.

Mme Catherine Osson. Le rapport annuel de l’AMF, publié le 15 avril 2021, évoque la nécessité d’un certain nombre de mesures pour que les marchés financiers puissent pleinement contribuer au bon fonctionnement de notre économie : mieux accompagner la montée en puissance de l’actionnariat individuel ; assurer un meilleur fonctionnement des mécanismes de marché dans un cadre transparent, avec une gouvernance adaptée ; mieux structurer le développement de la finance durable ; adapter le cadre réglementaire de la supervision de la gestion d’actifs, afin de mieux maîtriser les risques associés ; développer la souveraineté financière de l’Union européenne après la sortie du Royaume-Uni, tout en confortant la place de la France dans cette dynamique. Selon quel calendrier envisagez-vous la mise en place de ces mesures ? Quelle pourrait être la contribution du législateur, notamment de la commission des finances, à cet égard ?

L’AMF a-t-elle les moyens de ses missions et de ses ambitions ? Vous avez à plusieurs reprises souligné dans votre rapport la supériorité en moyens humains des homologues étrangers de l’AMF, ainsi que l’inexorable fonds de roulement négatif, qui fera disparaître la trésorerie de l’AMF à brève échéance. Le plafond de ressources fixé par la loi de finances est-il suffisant ? S’il devait être rehaussé, à quel niveau souhaiteriez-vous qu’il soit fixé ?

Il y a quelques jours, le journal Les Échos titrait : « La fièvre des introductions en bourse gagne les marchés mondiaux ». Depuis le début de l’année, 876 nouvelles entreprises se sont ainsi fait coter dans le monde. Les deux tiers ont eu lieu aux États-Unis. Si l’Europe est également dynamique, ce sont Londres et Amsterdam qui y arrivent en tête. Malgré le récent renforcement de ses structures boursières, la France paraît en retrait : pourquoi ? Comment envisagez-vous les introductions en bourse d’ici 2021 ?

Mme Véronique Louwagie. Les bourses européennes apparaissent assez divisées concernant le risque de l’inflation. Quels outils d’information ont été mis en place à cet égard ?

Vous avez dit que les marchés anticipaient un fort rebond lié au plan de relance, mais les pénuries de matières premières, dont les prix augmentent, et la multiplication par quatre des prix du transport maritime présentent un risque de dérèglement de ce plan de relance. Quel est votre sentiment à ce sujet, et les marchés prennent-ils selon vous en compte ces éventuels risques ?

Une forte épargne s’est développée durant les douze derniers mois, ce qui impacte les marchés financiers français comme européens. Nous ne pouvons que nous réjouir que beaucoup de particuliers se tournent vers la bourse. Comment serait-il possible d’y orienter davantage encore d’épargnants ? Cette action relève-t-elle de vos missions ?

M. Jean-Paul Mattéi. Des outils comme les fonds d’investissement de proximité pourraient-ils être développés pour relancer les entreprises locales ? Un grand emprunt national pourrait-il être lancé pour soutenir nos grandes entreprises de pointe affectées par la crise, comme Air France ?

L’offre publique d’achat non sollicitée de Suez par Veolia a été au cœur de nos débats ces derniers mois. Comment appréciez-vous la situation actuelle ? Vous inspire-t-elle des suggestions de réforme ?

Enfin, que pensez-vous des SPAC, ces vecteurs financiers visant à lever des fonds dans le seul but de réaliser à terme une acquisition ? Ne présentent-ils pas un risque de surenchère, pouvant conduire au rachat de certaines entreprises avec des multiples d’EBITDA déraisonnables qui les conduiraient à la catastrophe ?

Mme Valérie Rabault. L’affaire Suez-Veolia a montré les multiples intersections pouvant exister entre le droit boursier et le droit des sociétés, incluant le « décret Montebourg ». Comment concevez-vous ces intersections, et quel conseil donneriez-vous au législateur pour éviter qu’elles donnent lieu à des interprétations multiples, susceptibles de bloquer vos décisions ou de les rendre plus difficiles ?

M. Mattéi a eu raison de souligner l’engouement suscité par les SPAC et les sommes considérables qui y sont orientées : qu’en pensez-vous ?

Des obligations convertibles peuvent être placées dans les fonds de soutien aux PME, ce qui revient à leur prêter une dette convertible à terme en actions. Le prix de cette dette peut toutefois conduire les gérants de PME à voir leur participation fortement réduite. L’AMF a-t-elle des recommandations à formuler pour éviter qu’ils se trouvent ainsi dépossédés de la propriété même de leur entreprise ?

Malgré l’emballement actuel des marchés financiers pour la finance durable, les  entreprises industrielles du CAC 40 qui agissent en faveur de l’environnement restent très peu nombreuses. Quel est votre avis à ce sujet ? Cela vient-il d’une communication trop faible ?

Mme Patricia Lemoine. Le CAC 40 a retrouvé son niveau de février 2020 alors que la crise sanitaire laisse encore planer de nombreuses incertitudes sur la reprise de l’activité économique. Les injections de liquidités massives réalisées parallèlement par les banques centrales entretiennent-elles un risque de bulle spéculative ? Le plan de relance américain pourrait-il raviver l’inflation aux États-Unis et par conséquent en Europe ? Cela pourrait-il avoir un impact baissier important sur les marchés financiers ?

Quel regard portez-vous sur les SPAC ? Quelle est leur plus-value pour l’économie réelle, quels risques font-elles courir et comment réguler ces mécanismes ?

Enfin, des intermédiaires peu scrupuleux peuvent profiter de la naïveté de certains particuliers qui entrent sur les marchés boursiers. Que nous suggéreriez-vous pour éviter ces dérives ?

M. Charles de Courson. Ne faudrait-il pas profiter de l’accumulation actuelle inédite de l’épargne pour davantage inciter nos concitoyens à investir en fonds propres dans les PME ? L’incitation fiscale avait été remontée de 18 à 25 %. Ne faudrait-il pas également jouer sur le plafond fixé ?

Les crypto-monnaies ne présentent-elles pas un phénomène similaire à celui des oignons de tulipe hollandais au XVIIe siècle ? Un certain nombre d’aigrefins ont mis en place un système pour faire augmenter les prix, et quitteront ce marché avant qu’il ne s’effondre. Quelles sont les actions de l’AMF en la matière ? Où en est l’élaboration de la réglementation européenne à ce sujet ?

Vous nous avez dit ne pas avoir les moyens de suivre le développement d’une union des marchés de capitaux. Le plan d’action afférent a pourtant été fixé par la Commission européenne en 2015. Le départ du Royaume-Uni de Grande-Bretagne ne facilitera-t-il pas l’émergence de cette union des marchés de capitaux ?

M. Jean-Louis Bricout. Vous avez indiqué que l’actionnariat des particuliers avait connu une augmentation considérable, avec 400 000 nouveaux investisseurs. Disposez-vous d’informations sur le profil de ces investisseurs : leurs niveaux de revenu, leurs métiers, etc. ? Ce « monde de la petite finance » bouscule peut-être les équilibres et le partage de richesses avec le « monde de la grande finance ». Ne risque-t-il pas également de devenir le « pigeon » de la grande finance ? Vous avez parlé d’une dérive marketing susceptible de générer de tels risques.

M. Michel Castellani. Même si le président de la réserve fédérale des États-Unis s’est voulu rassurant à cet égard, le plan de relance américain, de 1 900 milliards de dollars, ne présente-t-il pas un risque d’inflation et de hausse des taux d’intérêt, qui se répercuterait en Europe pour impacter l’endettement public comme les plans d’investissement et de financement des entreprises ?

M. Daniel Labaronne, vice-président. Vous évoquez dans votre rapport annuel la diversité des approches nationales en matière de gestion d’actifs. Ces différences entraînent-elles des difficultés particulières, et une harmonisation réglementaire au niveau européen serait-elle souhaitable ?

M. Robert Ophèle. La capacité de la bourse, notamment française, à apporter des fonds propres aux entreprises interroge. Les mouvements observés aux États-Unis annoncent souvent ce qui aura lieu en Europe. Depuis le début de l’année 2021, les introductions en bourse sont ainsi plus significatives partout en Europe, y compris à Paris. Plusieurs entreprises, déjà cotées, ont sollicité le marché pour renforcer leurs fonds propres, et ce mouvement déjà connu aux États-Unis n’est pas terminé. Si la place d’Amsterdam a récemment attiré un certain nombre d’introductions significatives, la comparaison des places européennes doit se faire sur un temps suffisamment long pour qu’elle ne soit pas affectée par des opérations ponctuelles. J’observe avec plaisir que ces opérations sont réalisées dans le groupe Euronext qui, avec l’opération italienne, devient une « colonne vertébrale » très significative du marché des actions dans l’Union européenne.

Une SPAC constitue un moyen d’entrer en bourse en renforcement de ses fonds propres. Ce montage habile et ses excès potentiels, dont il faut tirer les leçons, sont maintenant bien connus aux États-Unis. Les sponsors d’une SPAC lèvent des fonds dans une structure cotée dont la vocation est de fusionner avec ou d’absorber une société non cotée dans un secteur d’activité annoncé à l’avance. La société non cotée concernée y gagne une cotation et un renforcement de ses fonds propres. Les fonds apportés à l’origine étant immobilisés dans un compte ségrégé, la fusion doit intervenir dans un délai contraint, sous peine de devoir restituer les fonds aux investisseurs, aux frais des sponsors. Lorsque la cible est identifiée, les investisseurs ont la possibilité de se retirer, et de nouveaux investisseurs peuvent rejoindre l’opération. Autour de ce principe, de très nombreuses variations existent, s’agissant du mode d’investissement, de la rémunération des sponsors, de l’engagement de long terme des investisseurs d’origine, ou de la nature des droits associés, qui dépend des législations nationales en matière de droit des sociétés, qui ne sont pas les mêmes partout en Europe.

Les erreurs à éviter et les risques dans ce cadre ont bien été révélés aux États-Unis : des sponsors de pauvre qualité, des investisseurs de court terme, des montages qui n’alignent pas les intérêts, un emballement du système avec un nombre excessif de SPAC au regard des cibles potentielles, ce qui conduit à des valorisations trop élevées et à une sortie prématurée des investisseurs avertis, comme à de lourdes pertes pour les épargnants qui sont restés. En tirant parti de ces erreurs, nous pouvons accueillir des projets de bonne qualité, pouvant assurer une transition fructueuse entre le private equity et l’introduction classique en bourse. Deux projets de ce type ont été cotés à Paris, dont le projet Mediawan qui a abouti dans le secteur audiovisuel à l’acquisition du groupe AB, et un autre qui est encore en recherche d’acquisition dans le secteur des biens de consommation durables. Un certain nombre de dossiers qui pourraient aboutir rapidement sont à l’examen avec les porteurs de projets. Les SPAC de bonne qualité, qui respectent la gestion des conflits d’intérêts, l’alignement des intérêts des parties et mobilisent des investisseurs de long terme, sont bienvenues à Paris. Elles peuvent d’ailleurs éviter la prise de contrôle d’entreprises françaises non cotées par des SPAC américaines. Elles ne sauraient toutefois « occuper tout l’espace » en raison des inconvénients liés à leur éventuelle multiplication.

De nombreux indicateurs montrent la possibilité d’un retour de l’inflation. Si cette inflation reste limitée à la cible de 2 % visée par la Banque centrale européenne, elle constituera plutôt une bonne nouvelle. Dans cette perspective, l’investissement en actions devrait alors être privilégié, car il consiste à investir sur des actifs réels, ce qui protège beaucoup plus de l’inflation. Celle-ci n’impliquerait pas non plus que les taux d’intérêt réels sur les dettes redeviennent positifs : cet effet dépend de plusieurs facteurs, notamment de la manière dont les banques centrales réagissent.

L’inflation permettrait également de réduire le poids de la dette pour un grand nombre de secteurs endettés. L’endettement actuel atteint en effet ses limites, ce qui rend la possibilité d’un grand emprunt difficile à envisager. Le véritable enjeu est plutôt de capter les fonds propres, ce à quoi, dans un certain nombre de cas, ne suffiront pas la dette et les actions classiques. Les obligations convertibles, évoquées par Mme Valérie Rabault, font en revanche partie des dispositifs hybrides qui permettent de mieux partager les risques et les bénéfices. Elles constituent un outil extrêmement puissant pour aligner les intérêts des actionnaires historiques et des nouveaux investisseurs. L’important est seulement d’être très clair initialement sur les effets de dilution potentiellement associés aux conversions. Le marché financier peut ainsi contribuer efficacement à la relance de l’économie qui est anticipée et souhaitée.

L’action de l’AMF relative au bitcoin porte sur l’éducation financière et l’accompagnement des épargnants, pour que chaque personne disposant de capacités de placement en comprenne les bénéfices et les risques potentiels. En collaboration avec la Banque de France, nous avons réuni localement de très nombreux « rendez-vous d’épargne » dans son réseau pour évoquer ces questions. Nous avons développé des outils pédagogiques. La prévention constitue toujours la meilleure méthode dans ces domaines. Nous menons également une action importante en matière d’actionnariat salarié, en participant à de nombreux rendez-vous d’épargne salariale, car il s’agit d’un vecteur extrêmement puissant pour atteindre les objectifs que j’ai mentionnés précédemment.

Je ne considère pas qu’il y a lieu de modifier le cadre législatif relatif à l’articulation entre le droit boursier et le droit des sociétés, dont relève la loi Florange. Cela risquerait de donner une fausse sécurité aux acteurs, alors que cette articulation dépend de chaque cas d’espèce. La loi Florange a permis de transférer un certain nombre de pouvoirs de l’assemblée générale aux conseils d’administration, afin qu’ils puissent réagir plus rapidement en cas d’« offre non sollicitée ». Ce terme est toujours préférable à celui d’« offre hostile », car la situation évolue à cet égard.

L’approche des textes européens en cours de discussion sur les crypto-actifs consiste à distinguer les actifs digitaux financiers ou non. Un premier texte européen (le « régime pilote ») est préparé pour faire évoluer le cadre réglementaire actuel des actifs financiers et permettre ainsi le développement raisonné des actifs numériques financiers. Un deuxième texte (NICA) encadrera les actifs numériques non financiers, qui peuvent être de trois types : les premiers ont vocation à servir de moyens de paiement, les deuxièmes (les stablecoins) à répliquer un certain nombre de monnaies ou de matières premières, les troisièmes (les utility tokens) à constituer des droits sur des services. La frontière entre les deux premières catégories notamment est ténue et doit être précisée, ce qui suscite des propositions d’amendement sur les textes présentés. Ce projet avance rapidement et sera, comme je l’ai dit, finalisé au plus tard au cours de la présidence française de l’Union européenne.

L’AMF dispose de 475 ETP, contre 670 à la Commissione nazionale per le società e la Borsa (CONSOB) italienne et 640 à l’AFM des Pays-Bas. Notre modèle de supervision est, davantage que celui de nos confrères, fondé sur l’utilisation extensive des données dans le cadre d’une approche par les risques. Ainsi, c’est 100 milliards de données qui ont été intégrées dans notre base en 2020. S’il ne nous est donc pas nécessaire d’atteindre des effectifs équivalents à ceux de la CONSOB ou de l’AFM, il nous manque quand même au moins une centaine d’ETP. Depuis que j’ai pris mes fonctions, l’État, avec votre aide, a renforcé nos moyens financiers, mais l’augmentation de nos effectifs est restée trop limitée. Nous accusons donc un retard par rapport à nos homologues, qui ressort assez cruellement lors des exercices de convergence de supervision que nous réalisons.

L’industrie de la gestion d’actifs est très importante en France, mais en Europe les fonds d’investissement représentent aujourd’hui plus de 18 000 milliards d’euros, contre 8 000 milliards d’euros il y a dix ans. Les 10 000 milliards d’euros supplémentaires d’actifs gérés tiennent pour moitié à leur valorisation et pour moitié à la collecte. Ces masses considérables méritent donc une supervision extrêmement attentive. Or, en Europe, les textes de référence sont des directives, qui ont donc été transposées différemment d’un pays à l’autre. Pourtant, la gestion d’actifs constitue intrinsèquement une activité transfrontalière : une société de gestion située dans un pays immatricule des fonds dans un autre pays, et délègue tout ou partie de la gestion de ces actifs à une équipe située dans un pays encore différent. Un problème extrêmement important de coordination de la supervision de cette activité, aujourd’hui éclatée entre une multitude d’autorités nationales, se présente donc. Nous avons ainsi émis des propositions en vue d’une rationalisation de cette supervision, par exemple en confiant à l’autorité en charge de la société de gestion un rôle de lead supervisor sur l’ensemble de l’activité concernée, ou encore en mettant en place une base de données européenne cohérente. En mars et avril 2020, la seule possibilité pour mesurer l’ampleur de la crise au niveau européen était de recourir à des données commerciales, faute de pouvoir consolider les données collectées par chaque autorité nationale, car elles le sont de manière trop différente. Il faut faire mieux, en passant de la directive au règlement, et en rationalisant la supervision de cette activité. Dans certains cas, des évolutions réglementaires sont même envisageables au regard du niveau très élevé de la transformation de liquidités dans un grand nombre de ces fonds, qui sont ouverts avec une liquidité quotidienne, alors que la valorisation des actifs concernés peut poser problème. C’est un des domaines dans lesquels nous travaillons, en partie au niveau national, mais l’essentiel de l’enjeu est européen.

La commission des finances peut faire beaucoup pour améliorer la situation. Tenir ces débats permettra d’aboutir à un diagnostic partagé des situations, et, sinon à modifier les textes législatifs existants, du moins à se préoccuper de rendre l’intermédiation aussi efficace que possible, grâce à une industrie financière française et européenne forte, dont la dimension internationale soit affirmée. Nous vous saurions naturellement gré de contribuer à renforcer nos moyens lors des discussions budgétaires. Les choix que nous devons aujourd’hui effectuer entre les activités à privilégier sont extrêmement difficiles. En 2020, nous avons mené une étude d’organisation pour réaliser des gains de productivité en optimisant nos moyens et en rationalisant nos activités. Cependant, la digitalisation de tous nos processus, notamment de nos relations avec les sociétés de gestion, n’est pas encore achevée. Elle le sera en début d’année 2022.

M. Daniel Labaronne. Merci, monsieur le président, pour cet échange. Nous sommes prêts à participer à ce débat sur la gestion des actifs et à la mise en place d’une industrie financière européenne capable de jouer un rôle d’intermédiation efficace pour le financement des entreprises et la protection des épargnants.

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