Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

  audition de M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes, sur l’audit commandé par le Premier ministre sur l’avenir des finances publiques ainsi que sur le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques              2


Mercredi
23 juin 2021

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 102

session ordinaire de 2020-2021

 

 

Présidence de

 

M. Éric Woerth,

Président

 

 

 


  1 

La commission entend M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes, sur l’audit commandé par le Premier ministre sur l’avenir des finances publiques ainsi que sur le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques.  

M. le président Éric Woerth. Nous accueillons M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes, et saluons les magistrats et membres de la Cour qui l’accompagnent. Il supplée M. Pierre Moscovici, Premier président, qui ne pouvait être parmi nous pour cette audition. Il lui revient de présenter deux rapports.

Le premier porte sur la situation et les perspectives des finances publiques. Il paraît chaque année conformément aux dispositions de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et a été rendu public ce 22 juin 2021.

Le second, un audit des finances publiques remis au Président de la République et au Premier ministre le 15 juin 2021, s’intitule Une stratégie de finances publiques pour la sortie de crise. La Cour des comptes s’y intéresse plus spécifiquement aux conséquences de la crise sanitaire sur notre économie et nos finances publiques. Elle propose une stratégie de croissance, des mesures de réforme et de maîtrise des dépenses favorables à la soutenabilité des finances publiques, de même qu’à l’efficacité des politiques publiques.

M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes. Les deux rapports que nous vous présentons sont complémentaires et leur instruction a été conduite conjointement. Le premier commente la trajectoire de finances publiques figurant dans le programme de stabilité (PSTAB) adressé à la Commission européenne. Perçue par la Cour comme une marque de confiance, la demande que le Premier ministre lui a adressée d’un rapport sur la stratégie relative à la sortie de crise comportait trois volets : l’un sur les finances publiques, un autre sur les modalités de sortie des dispositifs d’urgence mis en place pendant la crise, un troisième sur les réformes structurelles susceptibles de renforcer tant l’efficience des politiques publiques que la croissance potentielle de notre économie. Afin de conduire ses travaux dans les meilleures conditions et de remettre simultanément ses conclusions sur les trois volets de la demande, la Cour a pu bénéficier d’une prolongation du délai initial de remise du document.

La Cour s’est notamment appuyée sur les travaux d’un autre rapport qu’elle rédige à la demande de votre commission sur l’évolution des dépenses publiques pendant la crise et qu’elle lui remettra la troisième semaine du mois de juillet 2021. La Cour a également mené une quarantaine d’auditions. Elle a entendu des responsables politiques, français et européens, des parlementaires, des économistes de renommée mondiale, les présidents des trois grandes associations de collectivités territoriales, des partenaires sociaux et des représentants du monde économique.

Le premier message de ces deux rapports est que notre pays a abordé la crise sanitaire avec des finances publiques insuffisamment redressées.

La Cour avait déjà souligné ce constat dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques paru en 2020. Nous confortons en 2021 notre analyse en présentant l’évolution des finances publiques pendant les deux décennies qui ont précédé la crise. Entre 2000 et 2019, non seulement notre pays n’a connu aucun exercice excédentaire, mais quinze exercices se sont clos par un déficit public supérieur à 3 points de produit intérieur brut (PIB). Sous l’effet de ces déficits récurrents, le niveau de la dette publique a augmenté de près de 40 points de PIB, passant d’un peu moins de 60 points en 2000 à 96,7 points en 2019.

Le redressement de nos finances publiques intervenu après la crise de 2008 et 2009 est incontestable mais s’est révélé moins important que chez nos partenaires européens. Le solde public s’est amélioré en France de près de 4 points de PIB entre 2010 et 2019, contre près de 6 points en Allemagne.

En conséquence, alors que le taux d’endettement public de la France était proche de celui de l’Allemagne et de la zone euro avant la crise de 2008, il se situe maintenant 40 points de PIB au-dessus de celui de la première et 15 points au-dessus de celui de la seconde.

Cette trajectoire de déficit et de dette tient pour beaucoup à la dynamique de la dépense publique. Malgré un ralentissement au cours des vingt dernières années, la croissance de la dépense a en moyenne dépassé celle de l’activité économique. Le ratio des dépenses sur PIB a augmenté de près de 4 points. Il place la France à près de 9 points de PIB au-dessus du niveau de ses principaux partenaires de l’Union européenne.

Entre 2000 et 2019, la part consacrée à la protection sociale représente 80 % de l’augmentation des dépenses publiques calculées par habitant.

Dans le même temps, les recettes ont augmenté dans une moindre mesure, mais suivant une dynamique pro-cyclique. Elles montrent un niveau de prélèvements obligatoires supérieur à celui de nos principaux partenaires.

En 2019, seule avec l’Espagne au sein de la zone euro, la France affichait un déficit primaire. Fin 2019, sa dette approchait 100 % du PIB, son déficit public était supérieur à 3 %.

Le deuxième message de la Cour est que la France sortira de la crise avec des niveaux encore accrus de déficit et de dette publics.

En 2020, le déficit a atteint 9,2 points de PIB, son niveau le plus élevé de l’après-guerre. Il résulte d’abord d’une forte contraction des recettes due à la baisse brutale de presque 8 % du PIB. Contrairement à la crise de 2008 et 2009, il provient également d’une augmentation des dépenses, principalement sous l’effet des mesures d’urgence puis, dans une moindre proportion, des premiers décaissements du plan de relance. En conséquence, la dette publique a augmenté de près de 20 points de PIB par rapport à 2019, pour s’établir à un niveau proche de 117 points de PIB.

Les mesures de soutien à l’économie prises en 2020 ont représenté quelque 70 milliards d’euros. Hors mesures de soutien, la dépense publique a tout de même progressé de 1,5 % en valeur, soit un rythme comparable à la situation d’avant crise, malgré le tassement de la dépense locale, la baisse de la charge d’intérêts et les effets induits de la crise sur la baisse mécanique de certaines dépenses.

En 2021, à la faveur du rebond de l’activité économique, la croissance pourrait atteindre 5 %. Pour autant, selon les prévisions du Gouvernement, le déficit restera élevé, de l’ordre de 9,4 % du PIB. Bien qu’en reprise, l’activité économique se maintiendra vraisemblablement à plus de 3 points en dessous de son niveau de 2019. La perte d’activité équivaut en France à celle attendue pour la zone euro. Légèrement plus faible qu’en Espagne ou qu’en Italie, elle dépasse les prévisions qui concernent l’Allemagne.

Ce rebond de l’activité permet un ressaut partiel des recettes, mais approximativement 15 milliards d’euros de baisses des prélèvements obligatoires, dont 10 milliards pour celle des impôts de production prévue dans le plan de relance, en limiteront la portée.

Sous l’effet principal des mesures de soutien et de relance, respectivement pour 70 et 30 milliards d’euros, les dépenses devraient augmenter de 3,6 %. Indépendamment de ces mesures, les dépenses resteront dynamiques en 2021, de l’ordre de + 2,3 % en volume. Elles répercuteront les dispositions de revalorisation salariale, durables, prises dans le cadre du « Ségur de la santé », à hauteur de 8 milliards d’euros.

La Cour estime que, distinct de la conjoncture économique, le déficit structurel se situera autour de 4,5 points de PIB, contre 2,5 points en 2019. Importante, la dégradation découlera de mesures pérennes qui pèseront sur le solde public, parmi lesquelles, outre celles du « Ségur de la santé », la poursuite des baisses de prélèvements. S’y ajouteront les conséquences négatives de la crise sur l’activité et la situation du marché du travail.

Le troisième message de la Cour est que la crise aura une incidence durable sur la trajectoire de nos finances publiques.

Comme l’année dernière, la Cour a envisagé trois scénarios : l’un de rattrapage, l’autre de perte limitée, enfin un scénario de faiblesse persistante. Dans toutes les hypothèses, le retour de la croissance de l’économie française ne permettra pas à lui seul d’infléchir notre trajectoire de dette publique.

Ce constat ressort également de l’analyse que la Cour a adressée à la Commission européenne sur le PSTAB : en cas de rebond marqué de l’activité économique en 2021 et 2022, la dette ne pourrait refluer qu’à partir de 2027, mais sous l’effet d’un ajustement structurel de 0,3 point de PIB chaque année entre 2023 et 2027.

Malgré l’effort d’ajustement que le Gouvernement a prévu, la trajectoire des finances publiques françaises restera en décalage avec celle de nos partenaires européens. En 2024, la France pourrait atteindre le déficit le plus élevé des principaux pays de la zone euro, avec une dette stable à un peu moins de 120 points de PIB, alors que celle de certains de nos voisins est prévue à la baisse.

Le quatrième message de la Cour propose une stratégie à même d’assurer la soutenabilité de nos finances publiques dans le temps. Elle allie renforcement de la croissance et réduction progressive du déficit public.

Le renforcement de la croissance nous paraît une condition essentielle au rétablissement durable de la situation de nos finances publiques. En ce sens, nous suggérons de poursuivre quatre objectifs complémentaires.

Le premier consiste à concentrer l’effort d’investissement public sur l’innovation et la recherche, l’industrie et les activités à forte valeur ajoutée, ainsi que sur le développement des compétences – comme le soulignait un rapport que nous avons récemment remis à votre commission. Nous recommandons d’accentuer les synergies entre la recherche publique et la recherche privée, de favoriser les innovations de rupture et de soutenir notre industrie.

Le deuxième objectif entend soutenir la transition écologique, au service d’une croissance plus durable. La Cour recommande à cet égard de mieux définir les investissements « verts » prioritaires.

Le troisième objectif tire les enseignements de la crise sanitaire. Il vise l’accélération de la transformation numérique, aussi bien dans les entreprises que dans les administrations. L’enjeu porte spécialement sur les domaines de la santé et de l’éducation.

Le quatrième objectif veut renforcer nos capacités de résilience. Nous subissons et subirons encore des chocs externes à l’économie. Il convient de mieux les anticiper et de mettre en place les dispositifs propres à les traiter.

Orientée vers ces quatre priorités, la stratégie de croissance gagnera à s’accompagner d’une feuille de route. Elle contribuera à réduire progressivement le déficit public et à engager la décrue de la dette au plus tard à compter de 2027.

Selon nous, la consolidation pourrait commencer en 2023. Cela ne signifie pas qu’il ne faille rien faire en 2021 et 2022. Au contraire, il faut continuer à travailler à la résolution de la crise sanitaire, sortir progressivement des dispositifs de soutien à l’économie et préparer les réformes à venir.

Malgré leur coût, les mesures de soutien à l’économie, comme le fonds de solidarité, les allègements de cotisations et contributions sociales ou le soutien à l’activité partielle, étaient indispensables. Elles ont pleinement rempli leurs objectifs, mais leur prolongation générerait des effets pervers.

Nous n’avons pas voulu – et cela a pu nous être reproché – définir précisément les paramètres de ce retour à l’équilibre. Compte tenu des incertitudes, nous avons fixé quelques principes directeurs.

La trajectoire implique d’abord de se projeter à moyen terme. Elle doit s’inscrire dans une nouvelle loi de programmation des finances publiques. Votée à l’automne 2022 pour une mise en œuvre à compter de 2023, la loi porterait sur l’ensemble de la prochaine législature.

La réduction du déficit public portera ensuite de façon privilégiée sur la dépense publique. Ce principe se fonde sur l’expérience des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Cet effort devrait être d’autant plus ambitieux que la croissance serait faible. Il ne saurait néanmoins handicaper cette croissance.

La Cour présente dans la dernière partie de son rapport d’audit une boîte à outils pour maîtriser la dépense publique. Notre niveau de dépenses publiques s’avère l’un des plus élevés au monde. Alors qu’il atteignait 55,6 % du PIB avant la crise, il dépasse allègrement les 60 % aujourd’hui.

Nous proposons d’engager dès 2022 des revues de dépenses systématiques.

Nous invitons à prendre en considération le fait qu’une part importante des dépenses a trait au domaine social. Nous avons ainsi identifié cinq chantiers importants : le système des retraites – sans faire de recommandation, nous relevons les effets de l’âge d’ouverture des droits et de celui du taux plein –, la santé – l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) ne joue plus son rôle de régulation et il faut améliorer l’efficience des soins, ainsi que la coordination de la médecine de ville avec l’hôpital, de sorte qu’une stabilisation des dépenses rapportées au PIB nous paraisse raisonnable –, la politique de l’emploi, les minima sociaux – il s’agit de renforcer l’incitation à l’activité –, et enfin la politique du logement.

La Cour des comptes avance aussi des propositions destinées à améliorer l’efficience des politiques publiques et de nos administrations. Elles se traduisent par la mise en place d’une revue des missions des acteurs publics – notamment en renonçant à celles que l’État ne doit plus assurer ou en évitant les doublons –, par une démarche de contractualisation pluriannuelle sur les objectifs et les moyens avec les opérateurs de l’État, voire les collectivités territoriales, par la simplification des organisations publiques, des procédures administratives et des normes, enfin par un double renforcement de l’évaluation des politiques publiques et de la lutte contre la fraude.

Ces mesures laissent une impression de déjà dit et de déjà-vu. Le problème, c’est qu’elles n’éveillent guère un sentiment de déjà fait.

M. le président Éric Woerth. Absolument !

M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes. Le cinquième message de la Cour souligne la nécessaire rénovation, tant au niveau européen que national, du cadre de gouvernance des finances publiques.

Dans le sillage de la Commission européenne, et plus nettement que les années précédentes, la Cour recommande une prompte réforme des règles budgétaires européennes. Il s’agit de rendre plus simple, plus efficace et plus résilient le pacte de stabilité et de croissance. La réforme aboutirait opportunément avant la levée de la clause de sauvegarde, c’est-à-dire fin 2022. Elle gagnerait à privilégier une norme de dépense moins pro-cyclique et mieux adaptée à la situation de chaque pays. Il lui faut renforcer l’appropriation des règles budgétaires européennes par les États membres, dont la France, et renforcer le rôle des institutions budgétaires indépendantes, comme le Haut Conseil des finances publiques.

La Cour des comptes a consacré en novembre 2020 un rapport aux aspects nationaux de gouvernance. Elle en reprend ici les éléments essentiels en matière de pluriannualité, de surveillance et de cohérence des lois financières. Je suis heureux de constater que certaines des orientations de la Cour se retrouvent dans les deux propositions de loi organique récemment déposées à l’Assemblée nationale.

Le dernier message de la Cour a trait à la dette. La question de sa soutenabilité nous paraît centrale.

L’État porte principalement la dette publique, à hauteur de 80 %, sans pour autant que son patrimoine se soit renforcé. À partir de données tirées de la comptabilité générale, l’annexe du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques l’indique de façon assez éclairante.

Nous ne portons pas de discours alarmiste sur la dette. Même importants, des déficits temporaires n’affectent pas nécessairement la soutenabilité des finances publiques. De plus, le contexte de taux d’intérêt historiquement bas renforce à court terme la viabilité de la trajectoire des finances publiques. Enfin, la France n’a jusqu’à présent pas rencontré de difficultés dans le financement de sa dette.

Notre propos se veut prudent et réaliste. Les analyses de soutenabilité que la Commission européenne a notamment menées, et dont nous rendons compte dans le rapport d’audit, classent la France parmi les pays pour lesquels des risques de tension sur la dette existent à court et moyen termes. Soyons-y attentifs.

Certains pensent que la progression de la dette et les niveaux élevés qu’elle atteint dans certains pays ne constituent pas un problème, surtout en période de taux d’intérêt bas, voire négatifs. D’autres jugent possible l’annulation simple de la dette de crise, que la Banque centrale européenne (BCE) a d’ailleurs largement rachetée.

Ce n’est pas la position de la Cour, pour qui une dette doit toujours être remboursée. La crédibilité de notre pays en dépend. Au-delà, une trajectoire de dette qui continuerait de croître présenterait des risques que la France ne devrait pas prendre.

Pour l’heure, le placement des titres de dette s’effectue de manière globalement fluide, facilitée par leur achat massif par la BCE, le contexte de taux d’intérêt bas et une politique avisée de l’agence France Trésor (AFT). Un rapport demandé par votre commission en vertu du 2° de l’article 58 de la LOLF nous donnera l’occasion de revenir sur cette dernière.

Les programmes de rachat ont néanmoins vocation à s’éteindre. Le contexte de taux bas n’est pas assuré sur le long terme. Enfin, les difficultés peuvent s’enchaîner rapidement si la confiance des investisseurs s’érode ou s’effondre. Nous devons mener une politique de retour à l’équilibre.

Notre réflexion s’étend au traitement de la part de dette que la crise sanitaire a engendrée, dite « dette covid ». Le Premier ministre a abordé la question dans sa commande. Reste à identifier cette dette. L’exercice se révèle complexe. À quelle date convient-il de considérer qu’elle a commencé à se constituer ? Nous en tiendrons-nous à 2020, comparerons-nous son niveau à la prévision ou prendrons-nous également en compte 2021 ? La bornerons-nous à l’État uniquement ou considérerons-nous aussi les administrations sociales, notamment celle de l’Unédic, dont le niveau de dette est tout à fait stratosphérique ? Sans nier l’intérêt d’un cantonnement, la Cour souligne qu’il ne modifiera pas à lui seul le cours de la dette publique, surtout sans recette en face.

En conclusion, la Cour décrit sans alarme la situation exacte qui prévaut et expose la nature des décisions qui lui paraissent s’imposer dans un souci d’équilibre entre renforcement de la croissance et réduction du déficit public par des mesures en dépenses.

M. le président Éric Woerth. La France est un peu nue. Nous ne savons ni si les difficultés présentes persisteront, ni si d’autres se manifesteront. Or, notre niveau d’endettement et de dépense publics affaiblit désormais nos marges de manœuvre. L’exposition au risque d’un relèvement insupportable des taux d’intérêt devient également évidente. Il nous faut donc agir. Vous nous y engagez. Les réformes que vous appelez de vos vœux, nous les connaissons bien. L’originalité serait de les mettre enfin en œuvre.

Voudriez-vous nous rappeler le montant exact, en milliards d’euros, de l’augmentation des dépenses courantes en 2020 et 2021, hors crise sanitaire, plans d’urgence et de relance ? Il n’est pas aisé de délimiter ce périmètre.

Les principaux agrégats du PSTAB pour les années 2021 à 2027 ne sont, d’emblée, pas respectés. Vous appelez à une loi de programmation, mais une telle norme ne présente pourtant d’intérêt que si elle s’impose comme un repère à l’ensemble de la sphère publique. Avec le rapporteur général, nous défendrons une proposition de réforme de la LOLF qui insistera sur l’importance de la programmation pluriannuelle, ainsi que sur sa capacité à orienter les finances et l’action publiques.

Vous suggérez d’entreprendre les efforts à partir de 2023. Je crois possible d’engager l’action dès maintenant, à condition de bien la proportionner aux situations que nous avons tous à l’esprit : la nécessité sociale, le calendrier électoral et l’indispensable relance.

Pour nombre d’observateurs, quoique nécessaire, le retour de la croissance ne suffira pas. La maîtrise de la dépense publique apparaît comme décisive. Sollicitée au titre du 2° de l’article 58 de la LOLF, la Cour remettra prochainement ses conclusions sur les dépenses publiques engagées pendant la crise sanitaire. Nous en auditionnerons les auteurs début septembre.

Je suis favorable à une revue des dépenses. Dans un ordre d’idée comparable, notre commission a procédé en 2021 à un « printemps de l’évaluation ».

Enfin, la question de l’endettement ne porte pas fondamentalement sur la crise sanitaire. Elle ressortit plutôt à la propension à accumuler, absolument tous les ans, de la dette courante supplémentaire. Ce constat semble incompatible avec les exigences du renforcement de la croissance économique nationale et du déploiement d’actions de souveraineté.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général. La question politique qui se pose est celle de savoir comment la France a pu faire face à la crise, en termes de fonctionnement comme d’investissement, et comment elle pourrait demain protéger à nouveau son économie, ses citoyens et ses collectivités, avec son niveau de finances publiques. Quelle nouvelle trajectoire nous faut-il prendre afin de préserver notre capacité à protéger le pays ? La crise rappelle que la tenue de nos comptes permet de s’endetter de manière exceptionnelle et massive.

Vous indiquez que la France, malgré les efforts entrepris depuis 2017, avait un solde primaire négatif dès avant la crise. En conséquence, je vous rejoins sur l’idée que l’objectif collectif consiste à parvenir à un solde primaire nul, équilibré, à l’échéance de 2027. Nous y travaillons depuis plusieurs mois avec Bénédicte Peyrol. À quels montants ces efforts structurels correspondent-ils ?

Vous préconisez d’entreprendre les efforts structurels à partir de 2023. Je partage ce point de vue. Néanmoins, comment orienter entre-temps le projet de loi de finances pour 2022 ? Dans la perspective du débat d’orientation des finances publiques (DOFP), quels enjeux cette année charnière revêt-elle ?

Le plan de relance, cet investissement exceptionnel et massif, fait écho aux quatre priorités que la Cour des comptes a définies pour l’action publique. Considérez-vous qu’il y répondra ?

Pour la réduction des dépenses publiques, votre rapport d’audit insiste sur la sphère sociale. Les autres sous-secteurs d’administrations publiques doivent-ils être concernés ? Avez-vous chiffré la répartition entre eux des mesures d’économie ?

Par comparaison, la révision générale des politiques publiques (RGPP) menée entre 2007 et 2012 se concentrait principalement sur les effectifs de fonctionnaires de l’État. Elle a probablement connu des succès comme rencontré des limites. Vous ne semblez pas préconiser directement une intervention sur la masse salariale des fonctions publiques. Estimez-vous qu’elle n’offre plus une solution, voire qu’elle serait obsolète et contre-productive, notamment si elle prenait la forme d’un coup de rabot qui n’a pas votre préférence, ou demeure-t-elle un levier efficace pour la trajectoire de la dépense publique ?

M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes. En 2020, les dépenses courantes, c’est-à-dire hors soutien et hors crise, ont augmenté de 19 milliards d’euros. Leur hausse représentera 41 milliards d’euros en 2021, dont 8 à 9 milliards pour le « Ségur de la santé ». L’inquiétude la plus forte de la Cour tient à l’absence de mesures de réduction pérenne des dépenses en 2021.

Notre recommandation d’entreprendre la consolidation des finances publiques en 2023 prend en considération les échéances électorales à venir, ainsi que les incertitudes inhérentes à la situation sanitaire. Profitons des deux années qui précèdent pour réduire progressivement des dispositifs de soutien d’urgence généreux qui, tel celui de l’activité partielle, perdent de leur utilité. Le commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires, de la fiscalité et de l’union douanière, la présidente de la BCE et les économistes s’accordent certes sur le fait qu’il vaut mieux en sortir tard que trop tôt.

Nous n’identifions ni mauvaise ni bonne dette. La politique à mettre en place doit permettre le remboursement de l’intégralité d’une dette qu’il nous faut nous attacher à réduire globalement. Par le passé, nous avions pris la décision exceptionnelle de cantonner une partie de la dette des régimes de sécurité sociale. Ce régime qui devait ne durer que quelques années prévaut toujours. J’attire à nouveau votre attention sur la situation de l’Unédic. Bénéficiant de la garantie de l’État, l’organisme paritaire enregistre aujourd’hui une dette de 70 milliards d’euros. L’ordonnance de suspension rendue hier par le juge des référés du Conseil d’État lui rajoute 210 millions d’euros de dépenses en 2021.

Le rapporteur général se montre beaucoup plus rigoureux que la Cour des comptes. Atteindre un déficit primaire nul et stabiliser le solde de la dette en 2027, suppose une évolution elle-même nulle des dépenses primaires. Dans notre rapport, un tel scénario n’est qu’illustratif. Rappelons que la moyenne annuelle de croissance des dépenses au cours des dix dernières années s’établit à 1,1 %. Le PSTAB propose de la ramener à 0,6 % et il faut déjà y parvenir. Considérant les prévisions de croissance, la Cour reconnaît la nécessité de s’en tenir à une évolution inférieure à 0,6 %, voire 0,5 %. Un effort de 0 % serait tout à fait considérable et peut-être pas complètement réaliste.

S’agissant des dispositifs d’urgence, la France affiche des compteurs maximalistes par rapport à d’autres pays, avec une prise en charge de l’activité partielle jusqu’à 4,5 fois le salaire minimum de croissance (SMIC) et des taux très faibles pour les prêts garantis par l’État (PGE).

Ce 24 juin 2021, la commission des comptes de la sécurité sociale se réunit pour traiter de l’ONDAM. Cet objectif ne saurait raisonnablement continuer de générer une hausse annuelle des dépenses de 14 à 15 milliards d’euros au-delà de leur évolution naturelle.

La réforme que nous appelons intéresse l’ensemble des secteurs d’administrations publiques. En raison de l’ampleur des transferts qui s’opèrent entre l’État, la sécurité sociale et les collectivités territoriales, la notion d’équilibre partiel des soldes ne revêt guère de sens. Chaque entité participera au dispositif en fonction de ses capacités d’action.

Le plan de relance de l’État coïncide à maints égards avec les priorités que nous énonçons. C’est par exemple le cas en matière d’écologie ou de compétitivité. Peut-être la partie relative au numérique mériterait-elle une meilleure mise en valeur. La commission des finances du Sénat nous a demandé une enquête sur le plan de relance. Nous en communiquerons le résultat au début de l’année 2022. La question de ce plan réside dans sa mise en œuvre.

Dans son rapport d’audit, la Cour n’évoque qu’indirectement la question des effectifs lorsqu’elle propose la mise en place d’une revue des missions de l’ensemble des acteurs publics. Les programmes de réforme tels que la RGPP, la modernisation de l’action publique (MAP) de 2012, ou « action publique 2022 », s’ils mobilisent à leur début, faiblissent dans la durée. Il reviendra au prochain quinquennat d’inverser cette tendance.

M. le président Éric Woerth. La MAP a supprimé la RGPP. Il ne s’agit que de méthodes successives ; je ne vois pas pourquoi on leur donne un contenu politique. La RGPP ne reposait pas uniquement sur la réduction du nombre de fonctionnaires. Quelle que soit la majorité en place, il faut regarder si les dépenses sont efficientes ou non.

M. Fabrice Le Vigoureux. La Cour des comptes ne paraît pas s’inscrire dans un paradigme austéritaire. Vous mentionnez l’effet positif des politiques de soutien exceptionnel qui ont contenu les pertes d’emploi, préservé les compétences et maintenu notre tissu économique. Vous saluez les mesures de réduction de recettes et de prélèvements obligatoires qui ont contribué depuis le début de notre mandat à l’amélioration de l’attractivité de la France avant le déclenchement de la crise sanitaire. Vous ne vous émouvez nullement du calibrage du plan de relance, en appelant même à accentuer certaines de ses dimensions. Nous sommes donc très loin d’un audit qui promettrait « du sang et des larmes ».

Cependant, vous rappelez que notre souveraineté ne peut s’exonérer d’une vigilance décuplée sur le niveau de la dette publique. Tous vos scénarios soulignent l’impérieuse nécessité de réduire durablement non pas les dépenses publiques mais le rythme de leur augmentation. Beaucoup ici espèrent que cela suffira.

Vous avez identifié des défis majeurs : vieillissement de la population, financement de l’autonomie et de la dépendance, retraites, soutien à la recherche et à l’innovation pour rendre plus conformes aux standards internationaux les métiers de la transmission et de la production des savoirs, poursuite de l’investissement dans la santé et le numérique, relocalisation de biens et de services essentiels en cas de nouvel arrêt mondial des chaînes de production, transition écologique. Celle-ci implique de profondes transformations de nos modes de déplacement, de production, de consommation, sur notre agriculture et la rénovation de notre habitat et de nos bâtiments publics. L’Institut de l’économie pour le climat relève que les dépenses que l’État consacre à la transition écologique ont doublé depuis dix ans et estime que, d’ici à 2028, elles devront augmenter de 14 milliards d’euros par an, notamment afin d’accompagner les ménages les plus modestes.

Sans esquisser un programme politique, pouvez-vous nous préciser quelles dépenses vous paraissent les plus susceptibles de représenter des leviers de croissance ?

M. Patrick Hetzel. Comment l’augmentation des dépenses courantes, hors crise sanitaire, s’explique-t-elle ? Avez-vous des éléments sur la pertinence de ces dépenses ? La crise semble avoir renforcé la perte de maîtrise de la dette par le Gouvernement.

La dépense publique atteint en France 3,8 points de PIB de plus qu’en 2001. Vous remarquez que les indicateurs économiques et sociaux de développement humain ou ceux de la qualité des services publics ne justifient pas une telle évolution. Comment assurer l’efficacité de la dépense publique ? C’est la condition du consentement à l’impôt.

Je lis avec inquiétude que la Cour indique que la trajectoire d’amélioration des finances publiques du PSTAB demeure en décalage avec celle de nos principaux partenaires européens. La situation va être dramatique, parce que si nous n’intervenons pas dès à présent, le niveau de déficit de la France en 2024 deviendrait le plus élevé des principaux pays de la zone euro. Ne pensez-vous pas que la situation représenterait alors pour elle un problème majeur ?

M. Brahim Hammouche. La Cour souligne que la soutenabilité des finances publiques est un enjeu de souveraineté. Le Mouvement démocrate en convient. La maîtrise de nos finances publiques et de la croissance de notre endettement conditionne notre capacité à affronter une situation de crise, comme le prouve l’extraordinaire réponse de l’État pour préserver la santé de nos concitoyens, les entreprises et les emplois. Elle nous permet de continuer à mener nos autres politiques publiques.

Au cours des derniers mois, les taux auxquels la France s’endette ont augmenté, passant de – 0,3 % à un peu moins de 0,2 %. Au regard de ses besoins de financement, cette hausse, également observée dans d’autres États occidentaux, peut susciter des inquiétudes. Une élévation des taux d’intérêt d’un point alourdirait la charge de la dette de l’État de 15 milliards d’euros au bout de cinq ans et de 30 milliards après dix ans. Le consensus des économistes considère que la hausse des taux tient à l’accélération de l’inflation liée à la reprise de l’activité et ne serait que temporaire. Quelle analyse portez-vous sur ce phénomène ?

Comment évaluez-vous l’action de l’AFT ? Pensez-vous qu’il faille plus encore allonger la maturité des titres publics ?

Il convient de nous projeter vers un avenir plus solidaire, innovant et écologique. Le nombre des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) a progressé de 7 à 8 % depuis le début de la crise. Quelles recommandations formulez-vous sur les minima sociaux ? Quel avis portez-vous sur le projet de revenu universel d’activité ?

En matière de santé, pouvez-vous nous préciser votre position sur la prise en charge par l’assurance maladie d’une partie des dépenses préventives et curatives inhérentes à des pathologies lourdes, comme les cancers, le diabète et les maladies cardio-vasculaires ?

Mme Christine Pires Beaune. La Cour évalue les pertes de capacités de production en 2021 à environ 2 points par rapport à la situation antérieure à la crise. Est-ce à dire que nous renonçons à rattraper le retard pris ?

Il est rappelé que nous sommes le seul pays avec l’Espagne à enregistrer avant la crise un déficit primaire. Nous regrettons que la Cour ne rappelle pas que sans les dépenses d’investissement, nous connaissons un excédent. La France s’endette en dehors des périodes de crise aussi en vue d’investir.

La Cour chiffre la baisse permanente des ressources issue des mesures gouvernementales à 14,6 milliards d’euros par an, dont 10 milliards pour les impôts de production. Pourriez-vous nous indiquer la ventilation exacte des 4,6 milliards d’euros restants ?

Parallèlement, je note que la Cour estime à 9 milliards d’euros par an les économies à réaliser afin de stabiliser l’endettement. J’espère que la majorité en fait de même.

Quel dommage que, dans le même temps, les deux rapports s’évertuent à nous vendre une cure d’austérité ! La Cour relève que l’écart de dépenses publiques entre la France et la moyenne de la zone euro s’explique principalement, et par ordre décroissant d’importance, par les retraites, les affaires économiques, le logement, la santé, l’enseignement, la famille, la défense, le chômage et les politiques de lutte contre l’exclusion sociale. Pouvez-vous nous dire si la mention des affaires économiques comprend le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) dans sa nouvelle version ?

Je m’étonne que la Cour se prononce sans hésitation sur la nécessité de réformes dans certains de ces domaines, mais non sur les autres. Elle n’avance en particulier plus aucune proposition en matière d’affaires économiques – alors qu’elle critiquait dans d’autres travaux « la multitude de dispositifs de moindre ampleur dont l’efficacité, la pertinence ou l’impact ne sont pas établis et qui ajoutent à la complexité de l’impôt et aux coûts de gestion » –, ni ne se prononce pour des réformes en matière de défense.

Il me semble que dégrader le pouvoir d’achat de ceux qui consomment le plus risque surtout d’empêcher la reprise qui permettrait pourtant à nos comptes publics de se maintenir.

Mme Patricia Lemoine. Vous estimez que l’augmentation des dépenses du budget de l’État entre 2018 et 2021 pourrait s’établir à 90,5 milliards d’euros, soit + 27,8 %. Quelles mesures consenties pendant la crise sont susceptibles d’entretenir un effet de cliquet ? S’agit-il de mesures budgétaires ou fiscales ? À combien évaluez-vous les dépenses supplémentaires qui perdureront au-delà de 2021 ou de 2022 ? Comment lutter contre l’effet de cliquet ou, du moins, l’atténuer ?

La Commission européenne identifie onze pays membres de l’Union, dont la France, pour lesquels il existe un risque élevé de tensions sur la dette publique à court et huit pays pour lesquels un tel risque s’observe à moyen terme. À long terme, elle qualifie de moyen le niveau de risque sur la soutenabilité de la dette publique française. Quelle réalité cette appréciation de risque élevé, moyen ou faible sous-tend-elle ?

Vous indiquez qu’à court terme, l’action de la BCE réduit ce risque. Comment sortir d’une politique monétaire expansionniste sans mettre en péril la soutenabilité de notre endettement ? Comment l’adapter lorsque la BCE mènera une politique moins accommodante ou en cas de remontée des taux d’intérêt ?

M. Éric Coquerel. Le Premier président de la Cour des comptes a indiqué par voie de presse que le rapport d’audit sort du champ purement financier et prend en compte la réalité économique. Politique, ce document adoube la stratégie financière du Gouvernement, par exemple sur les questions des retraites, des dépenses publiques et de leur gouvernance.

J’exprime mon désaccord total.

S’agissant de la gouvernance à partir d’une norme de dépense pluriannuelle, je m’oppose à une nouvelle remise en cause de la souveraineté démocratique du Parlement. Notre politique monétaire dépend déjà de la BCE et la Commission européenne décide de notre politique industrielle et de concurrence.

Les principes de l’ONDAM s’étendraient à l’ensemble des finances publiques. Or, l’idée d’adapter les besoins à un budget voté, et non plus de décider un budget à la mesure des besoins, a été une catastrophe en matière de santé publique et je pense que cela sera la même chose en matière budgétaire.

J’estime que la Cour a tout faux dans la réalité économique qu’elle avance. Le problème impérieux des banques centrales, qui explique le maintien de taux bas, ne me paraît pas celui de la réduction des déficits, mais celui de l’affaiblissement structurel et durable de la croissance. Vous notez d’ailleurs qu’à elle seule, la croissance ne saurait résoudre la question du déficit.

Nous pensons que, perpétuelle, la dette peut faire l’objet d’une annulation. J’ai toujours plaisir à rappeler que, le 17 avril 2020, le président Éric Woerth affirmait que la dette était quasi éternelle et que personne ne la rembourse jamais. Je souscris à ces propos lucides…

M. le président Éric Woerth. Vous les simplifiez !

M. Éric Coquerel. En 2020 et 2021, la France consacre 125 milliards d’euros à l’aide d’urgence pour les entreprises. S’y ajoute un plan de relance de 100 milliards d’euros, dont 70 milliards seulement de dépenses nouvelles. L’effort représente 8,3 % de notre PIB. Au même moment, les États-Unis octroient 5 000 milliards de dollars, un plan d’investissement de dix ans de 1 700 milliards de dollars, soit un total de 31,2 % de leur PIB. La différence porte aussi sur le type d’aides. Les États-Unis les dirigent avant tout vers les ménages modestes. Nous la réservons, souvent sans condition, à des entreprises, principalement de grands groupes.

Selon Urban institute, le taux de pauvreté aux États-Unis passera de 14 à 8 %, à la faveur d’une augmentation de 20 % des revenus des 20 % les plus pauvres. La proportion de 1 % des plus riches n’obtient en revanche aucune augmentation de ses revenus. Nous constatons la situation exactement inverse dans notre pays.

M. Jean-Paul Dufrègne. Je ne peux dissocier les préconisations que vous livrez ce matin et le fort taux d’abstention de dimanche, lequel montre que les Français n’adhèrent pas à ces orientations. En prônant de nombreuses réformes antisociales, la Cour sort désormais ostensiblement du domaine de l’expertise et de la technique pour devenir une institution politique promouvant le néolibéralisme. Outre sa traditionnelle préconisation visant à accroître l’efficacité des dépenses publiques et à utiliser leurs marges d’efficience, la Cour cible des chantiers pour réduire le rythme de leur croissance : réforme paramétrique des retraites, mise de l’assurance maladie sous norme, qui a déjà conduit au délabrement de l’hôpital, réduction des allocations de chômage, des minima sociaux et, via la politique du logement, de la mixité sociale. Ils poursuivent une idéologie datée et promeuvent un État minimal, ayant pour unique objectif de fournir à chacun un dernier filet de sécurité.

Diminuer le pouvoir d’achat des ménages les plus modestes, qui consomment plus qu’ils n’épargnent, emporterait des effets particulièrement négatifs sur l’économie.

Le rapport d’audit reste silencieux sur la question des recettes budgétaires, autre composante du solde, et sur la répartition des richesses. Rien que les vieilles recettes qui ne marchent pas et mettent à mal notre démocratie. Je citerai Albert Camus : « faites attention, quand une démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet mais ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles ».

Mme Émilie Cariou. Dénonçant l’insuffisance des efforts, la Cour des comptes vise spécialement les dépenses sociales qui bénéficient au plus grand nombre.

Je m’interroge sur l’abandon de votre objectif de diminution des niches fiscales. Incontrôlées et incontrôlables, d’une utilité sociale douteuse, elles représentent des trous abyssaux dans les recettes, de l’ordre de 100 milliards d’euros. La Cour prend pour argent comptant tous les cadeaux fiscaux, comme les 10 milliards d’euros par an au titre de la baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui ne profite qu’à 3 % d’entre elles.

La Cour remet en revanche clairement en cause les dépenses relatives à l’assurance maladie. Celles qui se sont accrues en 2020 se rapportent aux soins de médecine de ville, aux établissements de santé, aux établissements et services pour personnes âgées. Monsieur le président de la première chambre, alors que la crise sanitaire sévit encore, dans quels postes de l’Ondam faut-il que l’on sabre ? Quelles augmentations accordées en 2020 vous paraissent-elles injustifiées ?

J’ajoute que vous délaissez toute considération sur les dépenses totalement iniques au profit des agences de l’État ou sur les salaires, parfois hors cadres d’emploi, des hauts fonctionnaires. La Cour des comptes prévoit-elle de se saisir encore de ces sujets ?

Mme Bénédicte Peyrol. Je ne siège que depuis quatre ans à la commission des finances et me demande en effet jusqu’à quand la Cour reviendra nous présenter les réformes que nous devrons faire. Sur le seul système de santé, affirmer la déficience des dépenses de l’hôpital public révèle un décalage majeur du discours politique avec la perception des soignants. Ceux-ci témoignent d’une baisse de leurs moyens. Plutôt que répéter continûment les mêmes données chiffrées, interrogeons-nous d’abord sur le contenu même des dépenses et de nos propositions.

En ce sens, des réformes en cours dans le domaine de la santé, avec une échéance à 2022, s’avèrent positives. Elles créent par exemple les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) : je le vois dans l’Allier. Celles-ci permettront de coordonner les soins dans nos territoires et d’y libérer du temps aux urgentistes des hôpitaux mais, votées il y a deux ans, ne produiront peut-être leurs effets que dans cinq ans.

Sur la transition écologique, il importe également de définir les bons axes d’investissement. J’évoquerai ici les conclusions du récent rapport de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services (IPBES) et du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Elles établissent le lien qui existe entre climat et biodiversité : du temps a été perdu en privilégiant ce seul premier. Il est urgent de le prendre en compte dans le budget de l’État. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a retourné sa veste et demande désormais un arrêt définitif des soutiens aux énergies fossiles. Enfin, le GIEC remettra prochainement un rapport sur les canicules. L’accélération de leur fréquence provoquera des dépenses de santé supplémentaires, ainsi qu’un risque accru de catastrophes naturelles.

M. Christophe Jerretie. Je pense la Cour dans le vrai lorsqu’elle compare le déjà-vu avec ce qui n’a pas déjà été fait. Elle recommande d’entreprendre la réduction des dépenses à partir de 2023 ; en pratique cependant, son rapport d’audit en fixe le point de départ dès 2022 en prévoyant une économie de 9 milliards d’euros par an entre l’année prochaine et 2027. J’acquiesce à l’idée selon laquelle 2022 doit déjà assurer la stabilité financière entre les dépenses et les recettes.

Vous notez que la dette revient à l’État. Il me semble que nombre de flux financiers s’intriquent entre les collectivités territoriales, la sécurité sociale et l’État. Avez-vous approfondi cet aspect ?

L’analyse de l’efficience de nos politiques publiques dénote une superposition forte des structures qui interviennent au bénéfice des mêmes politiques publiques. Avez-vous réfléchi à la mise en œuvre d’un véritable partage des compétences et des missions ? Cela permettra de redistribuer des crédits.

On connaît la situation du dispositif d’indemnisation du chômage et de sa réforme – sur laquelle le juge administratif vient de se prononcer. Il fait l’objet de vos réflexions, comme le reste de la sécurité sociale de l’autre, et en particulier le système de retraites. La Cour propose d’élargir le champ de la loi de financement de la sécurité sociale à l’ensemble de la protection sociale. Je crois en effet qu’il doit s’agir là d’une compétence du Parlement et je ne comprends pas que l’organisation de l’Unédic ressortisse encore au domaine réglementaire. Les responsables politiques doivent anticiper ce type de dépenses, malgré le paritarisme.

M. Jean-Louis Bricout. Cinq pages de son rapport d’audit ont suffi à envenimer les relations de la Cour avec les acteurs du logement social, notamment l’Union sociale pour l’habitat (USH). Si le constat d’une insuffisance de l’offre dans les zones tendues est partagé, votre proposition d’abaisser significativement les moyens de la politique publique concernée fâche.

Bien des mesures d’austérité ont déjà concerné le secteur du logement social, telles que la réduction du loyer de solidarité ou la hausse de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). La crise du logement montre que ces politiques ne produisent pas d’effet positif : les difficultés se sont installées et le choc d’offre n’a pas eu lieu. Vous reprochez aux organismes d’habitation à loyer modérer de ne pas remplir leur mission d’intérêt général, à savoir loger les plus précaires. L’USH conteste, chiffres à l’appui, l’approche légère de la Cour sur les problématiques complexes du logement social, notamment en ce qui touche à la mixité sociale. Les acteurs du logement parlent d’un rapport à l’emporte-pièce, dogmatique et idéologique. Pouvez-vous nous rassurer sur les positions de la Cour dans ce domaine ?

M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes. Deux reproches s’adressent à la Cour. Le premier critique le caractère austéritaire du rapport d’audit qui propose des réformes destinées à réduire les dépenses publiques, en ciblant le champ social. Le second souligne le manque de caractère impératif de cette baisse et remet en cause son calendrier.

La Cour a recherché un équilibre entre la nécessité de trouver une croissance forte et celle d’engager en même temps des réformes qui limitent le rythme des dépenses. La Cour ne s’inscrit nullement dans une logique d’austérité. Elle ne suggère pas de baisser les dépenses publiques, mais seulement d’infléchir leur hausse, sous une cible qui pourrait aller jusqu’à 0,5 % plutôt que 1,1 % par an, afin d’inverser le cours de la dette.

Il convient d’établir des priorités à la fois entre les dépenses et entre les mesures d’économie. Le rapport d’audit promeut essentiellement une méthode de sélectivité et met l’accent sur la qualité plus que sur la quantité des dépenses et des investissements. Seuls des gains d’efficience permettront de financer ces choix.

La forte augmentation de la dépense publique ne s’accompagne pas de celle de son efficacité, ni de celle des indicateurs de développement social. Dans un souci d’amélioration, nous proposons des revues de dépenses qui se destinent à identifier ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

Ce n’est pas, en tant que telle, l’augmentation inconsidérée des dépenses de ces deux dernières années, notamment celles de l’ONDAM – même s’il apparaîtra peut-être a posteriori que les tests en laboratoire ou les masques ont été payés trop cher –, qui nous préoccupe. Il fallait répondre à la situation de crise sanitaire et cela a été fait, mais certaines dépenses seront pérennes, à l’image des revalorisations salariales dans le secteur de la santé. Mais il importe à présent de revenir progressivement à un rythme plus raisonnable de dépenses. S’agissant des 9 milliards d’euros d’économies que le PSTAB annonce dès 2022, la sortie des dispositifs d’urgence y contribuera par elle-même.

À ce stade, l’augmentation des taux d’intérêt ne nous inquiète pas. Nous l’attendions dans cette phase de reprise de l’activité, en cohérence avec les scénarios que nous avions établis. Elle ne nous en incite pas moins à la vigilance.

La maturité de la dette s’est allongée d’un ou deux ans ces dernières années pour s’établir à sept ou huit ans en moyenne. Par comparaison, celle du Royaume-Uni s’élève à quinze ans, mais avec des investisseurs spécifiques, des fonds de pension, qui nécessitent un niveau élevé de maturité. En France, allonger nettement la maturité de la dette risquerait évidemment d’entraîner des conséquences sur le niveau de la charge d’intérêts.

La Cour n’a pas étudié dans le détail la question du revenu universel d’activité, car il ne s’agit que d’un projet du Gouvernement. En revanche, elle reconnaît la multiplicité des minima sociaux, leur complexité, voire leurs contradictions, par exemple quant aux revenus pris en considération. S’il faut travailler à une meilleure cohérence de ces dispositifs entre eux, je ne me prononce pas en faveur de leur fusion totale. Ils embrassent en effet des problématiques fort différentes : par exemple, certaines personnes en situation de handicap sont en mesure de reprendre un emploi et d’autres non. L’expérience britannique à ce sujet ne me paraît pas couronnée de succès.

Par ailleurs, il ne saurait être question de renoncer au sujet des niches fiscales. Bien qu’elle ne l’ait pas inclus dans son rapport d’audit, la Cour en rappelle régulièrement l’importance. Dans un souci d’équilibre des finances publiques, la Cour ne manque pas non plus d’indiquer que la baisse des prélèvements obligatoires doit s’équilibrer par des mesures sur les dépenses ou par l’augmentation d’autres impôts.

En 2021, outre la baisse des impôts de production, nous relevons la poursuite de la décrue de la taxe d’habitation des 20 % de ménages encore concernés, pour 2,4 milliards d’euros, et de l’impôt sur les sociétés, pour 3,7 milliards d’euros.

Certes, la trajectoire française s’écarte de celle d’États européens dont nous savons qu’ils tiennent leurs objectifs. Je pense à l’Allemagne ou aux Pays-Bas. Mais les plans de retour à l’équilibre d’autres pays, comme l’Italie ou l’Espagne, paraissent plus sujets à caution : le plan italien est par exemple optimiste sur la croissance potentielle. Nous conclurons simplement que la France ne se trouve pas dans le groupe des pays les plus performants en matière de retour à l’équilibre.

L’appréciation de la soutenabilité à court terme de la dette publique française conduit à identifier un niveau de risque élevé en raison d’un important besoin de financement. Rappelons-nous qu’il y a une dizaine d’années, l’AFT estimait dangereux de lever plus de 180 milliards d’euros en un an : nous en sommes au double. À moyen terme, notre prévision de trajectoire demeure imparfaite. Nous ne percevons pas encore comment nous reviendrons à l’équilibre ; le risque est donc élevé. À long terme, la Commission européenne retient un risque modéré. Elle considère que la France, par sa démographie, se situe alors, paradoxalement, mieux que d’autres États membres sur des questions comme les retraites ou la santé.

Je ne crois pas que la Cour sorte de son rôle : elle dit les choses telles qu’elles sont – la situation n’est objectivement pas bonne – et apporte des réponses aux questions qui lui sont posées par le Gouvernement, même si elles peuvent ne pas plaire. Nous conseillons aussi le Parlement lorsqu’il le demande.

Les transferts financiers et fiscaux entre administrations publiques sont assurément massifs. N’oublions cependant pas que, lorsque l’État transfère des fonds à la sécurité sociale ou aux collectivités territoriales, il ne fait que compenser des recettes qu’il leur a supprimées. Je réfute pour ma part toute forme de dons de l’État, qui au contraire essaie de réduire de tels transferts en haut de cycle. Les transferts complexifient l’examen des situations respectives des acteurs en présence. C’est pourquoi nous sommes favorables à une enveloppe globale des dépenses qui couvre l’intégralité des administrations publiques, ainsi qu’à une appréciation d’ensemble des finances sociales, dans une loi de financement élargie à l’Unédic et aux régimes de retraite complémentaire légalement obligatoires. Cette dernière n’équivaut pas à mettre un terme au paritarisme.

M. le président Éric Woerth. À l’aune de l’ensemble de la dépense publique et à celle des dépenses d’urgence et de soutien qui ont été engagées et continuent de l’être, c’est-à-dire d’un ressaut de plus de 150 milliards d’euros en deux ans, une économie de 9 milliards d’euros supplémentaires par an, en application du PSTAB, paraît un effort relativement limité.

M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes. L’économie annuelle de 9 milliards d’euros – qui, tenue sur cinq ou six exercices, correspond à une moindre charge de 50 milliards, comme la plupart des plans annoncés dans le passé – intervient par rapport à la tendance théorique antérieure, indépendamment des mesures d’urgence, de soutien et de relance, relatives à la crise. Le PSTAB ne précise pas comment la réaliser. Les lois de finances annuelles en définiront les modalités.

Par ailleurs, sur la question du logement, la violence de ton de Mme Emmanuelle Cosse, présidente de l’USH, nous a quelque peu surpris. La Cour réitère des propos qu’elle a déjà tenus à de nombreuses reprises dans ses travaux. De longue date, une dépense élevée n’aboutit pas à la pleine efficacité de la politique du logement. Quant aux organismes d’habitation à loyer modéré, nous notons que, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays, nombre des personnes les plus démunies n’accèdent pas, en France, aux logements sociaux. La question du degré de mixité sociale est d’ordre politique.

M. le président Éric Woerth. Les sujets dont traite la Cour des comptes sont polémiques par nature. Nous vous remercions.