Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

  audition de Mme Marie-Laure Dreyfuss, déléguée générale du Centre technique des institutions de prévoyance, M. Bertrand Boivin-Champeaux, directeur prévoyance et retraite supplémentaire, Mme Miriana Clerc, directrice des relations institutionnelles et de la communication, M. Frédéric Hérault, directeur général du Groupe Agrica et M. Jérôme Guezennec, directeur des risques du Groupe Malakoff Humanis sur la révision de la directive Solvabilité II              2


Mercredi
23 juin 2021

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 103

session ordinaire de 2020-2021

 

 

Présidence de

 

M. Éric Woerth,

Président

 

 

 


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La commission entend Mme Marie-Laure Dreyfuss, déléguée générale du Centre technique des institutions de prévoyance, M. Bertrand Boivin-Champeaux, directeur prévoyance et retraite supplémentaire, Mme Miriana Clerc, directrice des relations institutionnelles et de la communication, M. Frédéric Hérault, directeur général du Groupe Agrica et M. Jérôme Guezennec, directeur des risques du Groupe Malakoff Humanis sur la révision de la directive Solvabilité II.

M. le président Éric Woerth. Nous poursuivons ce matin notre cycle d’auditions sur le projet de réforme de la directive Solvabilité II. Nous avons déjà eu l’occasion de recevoir M. Jean-Paul Faugère, vice-président de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), et Mme Florence Lustman, présidente de la Fédération française de l’assurance.

Aujourd’hui, nous recevons Mme Marie-Laure Dreyfuss, déléguée générale du Centre technique des institutions de prévoyance, ainsi que M. Frédéric Hérault, directeur général du groupe Agrica, et M. Jérôme Guezennec, directeur des risques du groupe Malakoff Humanis. Mme Dreyfuss est également accompagnée de M. Bertrand Boivin-Champeaux, directeur prévoyance et retraite supplémentaire, et Mme Miriana Clerc, directrice des relations institutionnelles et de la communication. Nous pourrons à la fois évoquer les questions de principe et entrer dans le détail concret des conséquences de la réforme pour les groupes agissant dans le champ de la prévoyance.

Nous imaginons sans peine que le secteur des institutions de prévoyance, du fait de sa gestion paritaire et de l’activité exercée, se singularise. Il est d’autant plus précieux de comprendre comment la révision de la directive pourrait l’affecter ou quels enjeux d’adaptation pourraient se révéler cruciaux.

Mme Marie-Laure Dreyfuss, déléguée générale du Centre technique des institutions de prévoyance. Je vous remercie, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, pour cette audition. Nous sommes très sensibles à cette marque de reconnaissance de notre secteur puisque, finalement, nous sommes des assureurs comme les autres avec des engagements, des garanties et des fonds propres. Très affectés par toute réforme prudentielle, nous vous remercions de l’attention que vous nous accordez en acceptant d’auditionner notre délégation de représentants du secteur dans sa diversité.

Le CTIP représente les institutions de prévoyance, organismes privés d’assurance à but non lucratif et à gouvernance paritaire. Notre grande caractéristique est de n’œuvrer que dans le champ de la santé et de la prévoyance sous l’égide de gouvernances paritaires ; ainsi, les conseils d’administration sont formés pour moitié d’un collège de représentants de salariés et pour moitié d’un collège patronal. Les institutions de prévoyances sont régies par des dispositions du code de la sécurité sociale, leur code de référence, et, pour ce qui concerne leur régime prudentiel, par des dispositions du code des assurances. Elles n’ont pas le droit de faire de la garantie individuelle et, au-delà de la santé et de la prévoyance, elles ne peuvent éventuellement intervenir que dans le champ des retraites.

Aujourd’hui, nous comptons 32 institutions de prévoyance, qui couvrent 25 millions de personnes – 13 millions de salariés, et les ayants droit de ces derniers. Cela représente presque 13 milliards d’euros de prestations et cotisations en santé, arrêts de travail et rentes d’invalidité. Le montant des engagements techniques s’élève à 56 milliards d’euros, et celui des actifs gérés est d’environ 60 milliards d’euros. Le poids des institutions de prévoyance dans le paysage français de l’assurance est certain.

Le secteur s’est parfaitement adapté au nouveau régime prudentiel Solvabilité II, qui n’en marquait pas moins un bouleversement complet pour tous les assureurs de la façon de gérer leurs risques et leurs fonds propres. Cela vaut particulièrement pour des assureurs comme nous, même si, entre santé et prévoyance, qui impliquent des engagements différents dans le temps, nous ne sommes pas « mono-branche ». Nous avons dû nous mettre à niveau, ce qui a pris de nombreuses années, des travaux préparatoires aux premières années d’adaptation. Les exigences posées étaient complètement nouvelles. Imposant la couverture de toutes les natures de risques, Solvabilité II a impliqué la prise en compte de risques qui n’étaient pas couverts par le précédent régime prudentiel.

Comme pour les autres familles d’assureurs, les modalités de gouvernance, de gestion des risques et de reporting ont dû être mises à niveau. Cela a impliqué des coûts et un fort engagement de nos membres, mais ils y sont parvenus ; aujourd’hui, nous ne faisons plus du tout de comparaison avec les ratios du précédent régime prudentiel.

Globalement, le secteur des institutions de prévoyance est bien doté, avec une solvabilité moyenne de 267 % à la fin de l’année 2020, ce qui est satisfaisant. Nous remplissons ainsi plus de 2,5 fois les exigences de marge. Nous avons donc passé la crise sans trop de difficultés, même si le ratio a régressé d’à peu près 30 points par rapport à la fin de l’année 2019. De même, en moyenne, la situation de nos membres en termes de fonds propres est correcte. Par ailleurs, aujourd’hui, je le disais, indépendamment des exigences prudentielles, le montant de nos engagements s’élève à plus de 50 milliards d’euros.

Nous considérons que le régime issu de la réforme Solvabilité II, tel qu’il est dessiné et mis en œuvre depuis cinq ans, correspond à nos besoins en fonds propres. Même en période de taux bas et de sinistralité aggravée par la crise du covid, nous n’avons effectivement pas eu de problème.

Notre souhait, dans la perspective d’une réforme du régime, est que les exigences de fonds propre pesant sur les institutions de prévoyance ne soient surtout pas alourdies. Le conseil d’administration du CTIP a d’ailleurs très clairement pris position en ce sens au milieu de l’année dernière. Nos institutions de prévoyance sont suffisamment dotées pour faire face à leurs engagements et traverser les crises : la situation actuelle, qui combine crise économique et crise sanitaire, nous en offre un exemple concret.

Notre ratio de fonds propres n’a pas trop souffert de la crise. Il est affecté depuis plusieurs années par la baisse des taux et pâtit également plus ou moins de l’évolution des marchés financiers, mais, globalement, nous considérons que la solvabilité de nos institutions de prévoyance est correcte et que les exigences actuelles sont satisfaisantes.

Nous dénonçons cependant la complexité d’un régime qui prive les non-spécialistes de toute possibilité d’appréhender le secteur au travers des notions de rentabilité et de solvabilité. Décrypter les ratios de Solvabilité II et leur évolution est vraiment affaire de spécialiste. La plus grande part des assurés et du public se trouve dans l’impossibilité d’apprécier l’équilibre financier d’un assureur. Ce n’est pas l’examen du ratio de solvabilité qui, en tant qu’assuré, me permettra de déterminer si mon assureur est solvable, et l’exercice sera tout aussi difficile pour les acteurs de la sphère financière ou les pouvoirs publics.

La Commission européenne avait demandé à l’EIOPA (European Insurance and Occupational Pensions Authority, Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles) de travailler à une simplification de ce régime prudentiel. Las ! Les propositions qui ont été faites ne vont pas dans ce sens, ce que nous regrettons, même si les actuaires pourront qualifier la simplification de fausse bonne idée source d’erreurs supplémentaires. Il nous semble cependant bel et bien qu’une simplification était possible pour que la maîtrise des équilibres techniques et financiers ne soit pas à la main des seuls spécialistes.

M. Frédéric Hérault, directeur général du groupe Agrica. Le groupe Agrica, au nom duquel je m’exprime, représente, sur l’ensemble des trois risques santé, prévoyance et retraite supplémentaire, 150 000 entreprises et un million de cotisants assurés.

En ce qui concerne l’assurance des personnes, le montant de nos placements, adossés au passif, s’élève à 7,7 milliards d’euros. Il s’agit, à 85 %, de couvrir des engagements à très long terme, essentiellement pour couvrir les risques retraite supplémentaire et décès.

J’évoquerai, dans le contexte du régime Solvabilité II, le pilotage des risques longs, en écho aux propos de Mme Dreyfuss, et nos pratiques d’investissement à long terme dans un environnement plus ou moins contraint.

De manière très concrète, les équations du modèle standard de Solvabilité II ont entraîné, pour le ratio de solvabilité d’Agrica, un « effet yo-yo ». Il y a trois ans, il s’élevait à 500 %. En 2020, il s’élève à environ 200 %, alors même que fonds sociaux et fonds propres prudentiels étaient stables, voire augmentaient, sous l’effet d’une politique visant une rentabilité positive pour le groupe. Cette situation tient à ce que les chiffres figurant au dénominateur des équations du modèle standard sont inférieurs à 1, et augmentent donc la dette de l’assureur, ce qui conduit à consommer de plus en plus de capital. Cela pourrait se comprendre si le risque réel pour l’assureur augmentait au fil du temps, mais, en réalité, il n’en est rien puisque Solvabilité II est fondée sur le concept de risque de ruine instantanée, qui n’a absolument aucun sens lorsque les engagements sont à soixante ans. En retraite supplémentaire, il faut compter 20 ans de demi-carrière, 25 ans de retraite moyenne et un petit effet de réversion d’environ cinq ans. Les assureurs de long terme, au-delà des seules institutions de prévoyance, ont donc un problème de pilotage, qu’ils peuvent résoudre par un surcroît de complexité en créant des structures juridiques autorisées jusqu’au 31 décembre 2022 : les fonds de retraite professionnelle supplémentaires, qui leur permettent de revenir à une vision normative beaucoup plus proche de Solvabilité I, retenant une exigence de marge de solvabilité qui doit représenter 4 % des engagements. C’est beaucoup plus conforme à l’équilibre économique de l’activité.

Quelles sont nos pratiques d’investissement à long terme ? Un assureur d’engagements à long terme se doit de couvrir un risque important qui est particulièrement d’actualité : l’inflation. La seule classe d’actifs qui permette aujourd’hui de couvrir ce risque, qui se trouve de surcroît être congruente avec nos propres engagements à long terme, ce sont les actions. Voyez le taux des obligations assimilables du trésor (OAT) à dix ans : 0,13 %. Même s’il remonte, les obligations ne peuvent nous permettre de couvrir le risque d’inflation et de respecter nos engagements.

Voilà qui conforte les assureurs dans leur rôle d’investisseurs dans l’économie réelle. Aussi le portefeuille d’actions d’Agrica est-il important : il représente 20 % de ses placements. À 80 %, il est investi en France, le reste étant investi dans l’Union européenne. Ces placements ne sont pas spéculatifs mais ont pour objet de soutenir durablement l’économie dans un but de performance, c’est-à-dire de servir à nos assurés un rendement qui, sur la durée, soit supérieur à l’inflation.

M. Jérôme Guezennec, directeur des risques du groupe Malakoff Humanis. Notre groupe de protection sociale est paritaire, mutualiste et à but non lucratif : nous n’avons pas d’actionnaires à rémunérer et réinvestissons l’ensemble des bénéfices au profit de nos clients, à travers l’accompagnement social ou le soutien apporté à des causes d’intérêt national comme le handicap, le cancer, les aidants ou le « bien-vieillir ». Cette notion de dividende social nous distingue des autres acteurs de l’assurance.

Le groupe répond à trois enjeux de la société française : il protège plus de 10 millions de personnes et environ 400 000 entreprises, en consacrant 160 millions d’euros par an pour l’accompagnement social, porté à 230 millions d’euros en 2020 compte tenu de la crise ; employeur de premier plan, il emploie 10 000 collaborateurs sur 200 sites à Lille, Angers, Orléans, Marseille, Strasbourg ou encore en région parisienne ; il finance l’économie avec, sur le seul volet assurantiel, 28 milliards d’euros d’investissements, dont plus de la moitié relève de l’investissement socialement responsable.

Le ratio de solvabilité du groupe est un peu supérieur de 200 %. Cela signifie que nous avons deux fois plus de fonds propres que la cible exigée par la réglementation, laquelle permet de couvrir en un an une succession de crises qui n’arriverait qu’une fois tous les deux cents ans. Nous sommes donc considérés comme solides – ce qui permet de traverser les crises comme en 2020 et d’être solidaire – mais, à côté de cette solidité, l’on observe une certaine volatilité du ratio. L’année dernière, le groupe a perdu 20 points de solvabilité en raison de la baisse des taux et du contexte sanitaire ; si, demain, une réforme des retraites venait à décaler l’âge légal de départ de 62 à 64 ans, compte tenu de notre activité de prévoyance, nous perdrions à nouveau 20 points.

Cette volatilité n’a pas échappé à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), qui nous demande d’avoir un ratio non de 100 % mais plutôt de 130 %, de sorte que notre gouvernance impose à son tour une cible de 160 % ou 180 %. Nous avons fait des tests avec le CTIP et la révision de la directive nous coûterait 20 à 30 points supplémentaires : avec des marges de manœuvre ainsi réduites, un groupe comme le nôtre entrera dans une zone limite et devra probablement réduire ses investissements au sein des entreprises, qui pèsent actuellement pour 50 % de nos placements, à parité entre des actions et des obligations. Cela nous sera, comme aux entreprises dans lesquelles nous investissons, très préjudiciable. Comme nous sommes sans but lucratif, nous ne pouvons pas faire appel aux marchés, à l’inverse des assureurs capitalistiques.

À mon sens, il faudrait au contraire faciliter les investissements de long terme, notamment dans les actions. Il y a deux ans, la France avait courageusement arraché une possibilité de réduire le coût en capital des actions : nous l’avons utilisée mais certaines contraintes doivent encore être levées. Un groupe d’assurance est un investisseur contracyclique, qui achète plutôt quand les actions sont basses et réalise des plus-values au fur et à mesure de la remontée de cours, pour les distribuer à ses clients. Réduire la part des actions dans notre portefeuille nous ferait perdre ce côté contracyclique et nous conduirait à vendre au moment où les marchés s’effondrent, aggravant ainsi la crise financière.

M. le président Éric Woerth. J’avais cru comprendre que la révision de la directive Solvabilité II introduisait des mécanismes contracycliques dans le calcul du ratio, notamment en ce qui concerne le risque relatif aux actions ou l’ajustement face à la volatilité, mais peut-être ai-je mal compris…

Par ailleurs, quel est l’effet attendu de cette révision en termes de fonds propres ? Quelles démarches avez-vous entreprises, en matière de prévoyance, vis-à-vis des autorités européennes ?

Pourriez-vous expliquer en quoi un décalage de l’âge de départ à la retraite serait plutôt négatif pour vos groupes ?

Le sujet est complexe, comme l’a dit Mme Dreyfuss, mais cette complexité est plutôt l’affaire des assureurs qui par principe manient des règles compliquées. Je ne suis pas sûr que cela joue sur les assurés : ces derniers attendent que leur groupe soit solide et les autorités de contrôle y sont attentives.

Mme Cendra Motin. La question des fonds propres des banques et des assurances est à la fois extrêmement technique et importante, parce qu’elle garantit les placements, et il est crucial pour des assureurs retraite et prévoyance de toujours pouvoir servir les prestations dues aux cotisants.

La directive Solvabilité II, prise à la suite d’une forte crise financière, visait à garantir aux Européens que leur argent était bien placé et qu’ils ne prenaient pas de risques. L’on comprend qu’aujourd’hui ces obligations alourdissent les charges qui pèsent sur vos métiers, lesquels relèvent aussi de la finance, et peuvent freiner vos investissements, dont les entreprises ont besoin à long terme.

Comment avez-vous géré, dans la crise récente, qui a fortement modifié les cycles économiques, les placements des retraites complémentaires et supplémentaires ? Ces dernières avaient fortement pâti de la volatilité des marchés en 2008.

Qu’attendez-vous de la révision du régime prudentiel et quelles garanties pourriez-vous apporter dans le service aux assurés et le soutien à l’économie s’il ne vous était pas imposé d’atteindre un ratio de 200 % ?

M. Jean-Paul Mattei. Si je comprends bien, cette directive entraîne une certaine opacité qui empêche les assurés de s’y retrouver et ralentit votre développement : trop de précautions, même si elles sont nécessaires, ont un effet inverse à celui qui était espéré.

Vous évoquiez les conséquences négatives d’un report de l’âge de départ à la retraite : j’aurais, comme le président Woerth, imaginé le contraire. Quelle adaptation vous semblerait nécessaire vu la situation actuelle et les contraintes européennes ? Certaines compagnies ont effectivement été mises en difficulté par la crise.

À combien s’élèvent les provisions de vos régimes ? Quel horizon de soutenabilité retenez-vous à l’issue de la crise ? Intégrez-vous dans vos projections économiques les effets des changements dans le monde du travail et dans l’économie en général qui résultent de la crise ?

M. Jean-Louis Bricout. Les retraites supplémentaires sont en quelque sorte des fonds de pension à la française et semblent quelquefois un tabou. De nombreux dispositifs existent pour procurer des revenus complémentaires aux retraites, à titre dérogatoire ou facultatif. Certains sont ouverts à tous comme le plan d’épargne populaire (PEP) ou liés à un statut socioprofessionnel, avec des prestations définies, dont le régime est fixé à l’article 39 du code général des impôts (CGI), ou des cotisations définies, converties en points ou en unités de compte, conformément à l’article 83 du même code. Une entreprise peut également décider, par convention, d’affecter une partie de l’épargne salariale à la constitution d’un capital versé au départ à la retraite ou transformable en rente viagère : il s’agit du plan d’épargne pour la retraite collectif (PERCO).

L’offre est complexe et se différencie du fait des interactions – je pense au rôle des syndicats. Son développement dépend aussi des interventions de l’État, notamment lorsqu’il prend des mesures fiscales incitatives. Nous constatons une forme d’insécurité juridique, avec un contexte législatif qui ne cesse d’évoluer : à la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Sapin II, ont succédé la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite PACTE, et différents décrets, et il est maintenant question d’une réforme des retraites, alors que la gestion de produits de long terme requerrait plutôt davantage de visibilité.

Comment mesurez-vous l’effet des contraintes de la révision de la directive Solvabilité II ? Pensez-vous qu’elle prend en compte les spécificités des retraites supplémentaires ?

Quelles dérogations à la pleine application du référentiel européen attendez-vous ? Le ratio qui vous est demandé vous paraît-il raisonnable et suffisant au regard de la double exigence de la confiance des assurés et du soutien à l’économie ?

M. Jean-Paul Dufrègne. Les assureurs ont pu se plaindre de la rigueur de la directive Solvabilité II, qui les empêcherait d’être les investisseurs novateurs qu’ils souhaiteraient.

AXA n’en a pas moins réussi en 2020 à renforcer son bilan, et à la fin du mois de février, le groupe a annoncé verser un dividende à ses actionnaires en 2021. Son ratio de solvabilité s’est inscrit à 200 % contre 198 % un an auparavant, et son endettement est en baisse de deux points pour s’établir à 26,8 %, si bien que son directeur financier a dit aborder l’année avec grande confiance. Certes, AXA a été forcé à indemniser les restaurateurs à hauteur de 300 millions d’euros, je ne reviens pas sur ce feuilleton, qui n’est pas terminé. Le cadre de la directive Solvabilité II est-il alors vraiment un problème ?

Afin de gonfler leur rendement, les assurances ont mené une campagne de commercialisation agressive pendant la crise. La chute des intérêts obligataires a prolongé une tendance de fond de l’assurance vie : engagée depuis plusieurs années, la réorientation des montants collectés en faveur des unités de compte et au détriment des fonds en euros s’est accentuée l’année dernière. L’ACPR note en 2020 une incitation toujours plus forte à la diversification de ces placements, caractérisée par deux phénomènes : l’apparition de produits composés intégralement d’unités de compte et la persistance d’offres promotionnelles dont le bénéfice est conditionné à l’investissement dans des unités de compte. Ne devrait-on pas encadrer plus sérieusement ces pratiques ? Comment expliquer que les assurances en viennent à ce type de manœuvres en invoquant les contraintes de la directive Solvabilité II ?

M. Charles de Courson. Je préside une mutuelle depuis un tiers de siècle et me plonge régulièrement, avec son directeur et les membres de son conseil d’administration, dans l’application de la directive Solvabilité II et les éventuelles modifications de celle-ci.

Quelle est la légitimité de l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles lorsqu’elle fixe des exigences de fonds propres reposant sur l’hypothèse d’effondrements considérables, de l’ordre de 30 % à 40 %, de la bourse ou de l’immobilier ? N’est-ce pas excessif ? L’histoire montre qu’après une crise les marchés remontent.

Par ailleurs, ne pensez-vous pas que les règles applicables devraient être différentes selon qu’il s’agit de petites ou de très grandes entreprises de prévoyance ? Le projet de directive laissait aux États membres cette faculté de modulation, que la France, évidemment, n’a pas utilisée… Ne faudrait-il pas introduire un seuil ? La charge que tout cela représente pour les institutions – les dossiers, les calculs des actuaires… – est considérable !

Ensuite, estimezvous que la crise sanitaire a eu une incidence sur nos institutions de prévoyance, notamment pour la branche maladie ?

Enfin, en ce qui concerne la retraite, si le nombre d’annuités de cotisation nécessaires augmente, cela n’aura-t-il pas une incidence positive, avec un accroissement de vos réserves et une amélioration des pensions versées ?

Mme Marie-Laure Dreyfuss. L’adoption du régime Solvabilité II a suscité une abondante littérature. Le superviseur et le régulateur ont toujours à cœur de s’assurer que les fonds propres sont suffisants pour payer les assurés et assurer les prestations. C’est l’objectif du régime prudentiel.

J’ai un peu dénoncé la complexité du régime Solvabilité II, et les coûts élevés qui en résultent, qui ne permettent cependant pas toujours une vision claire des évolutions de la solvabilité. Cela étant, le secteur s’est aujourd’hui adapté à ce régime, a répondu aux exigences et est aujourd’hui bien doté au regard des risques. Nous disposons des fonds propres nécessaires pour faire face à nos engagements et aux risques, actuels et à venir – puisqu’en application de Solvabilité II nous procédons tous les ans à des stress tests.

Nous attendons cependant de la révision de Solvabilité II qu’elle n’accroisse pas encore les exigences de mobilisation de fonds propres, et nous laisse exercer notre métier d’assureur. Or les propositions formulées par l’EIOPA nous feraient perdre environ 30 points de ratio.

Le calendrier de la Commission européenne prévoit une application de ce régime révisé en 2025, mais nous ne savons pas quelle sera l’évolution de la courbe des taux d’ici là. La révision du régime prudentiel n’est pas « agile » de ce point de vue. Or, du fait de la directive actuellement transposée dans le code des assurances, nous disposons de tous les outils pour nous prémunir de la réalisation des risques : stress tests annuels, échanges avec le superviseur français et le superviseur européen… Nous recommandons donc de conserver le ratio en l’état.

M. le président Éric Woerth. Vous évoquez « 30 points ». Cela vous coûteraitil des fonds propres supplémentaires, ou cela dégraderait-il seulement le ratio ?

Mme MarieLaure Dreyfuss. J’évoquais une dégradation du ratio. Nous passerions de 260 à 220 ou 230. Mais comme nous pilotons le ratio, cela engendrerait un coût.

M. Jérôme Guezennec. Précisément, cela nous coûterait en exigences de fonds propres. Pour notre groupe, autour de 20 points. Nous sommes largement audessus de l’exigence fixée par la réglementation, mais si nous passons de 200 % à 180 % avec cette réforme, nous devrons réduire nos investissements en actions, du fait de nos contraintes de pilotage et de notre gouvernance, qui demande que nous soyons suffisamment éloignés du seuil en cas de crise.

En ce qui concerne le report de deux ans de l’âge de départ à la retraite, les contrats de prévoyance incluent une garantie arrêt de travail. Nous avons un stock d’assurés, qui ne peuvent plus travailler, auxquels nous payons des rentes d’invalidité jusqu’à l’âge légal de départ à la retraite. Si cet âge passe à 64 ans, nous devrons payer ces rentes d’invalidité deux années de plus. Le surcoût impactera les fonds propres, et fera baisser le ratio du groupe Malakoff Humanis de 20 points. Le même impact avait été constaté lorsque l’âge de départ à la retraite avait été repoussé de 60 à 62 ans. Je précise que ces assurés ont déjà cotisé pour cette garantie ; nous n’augmenterons pas leurs tarifs, mais nous devrons payer deux années de plus les prestations.

L’impact de la crise sanitaire sur la prévoyance a été important. Le groupe Malakoff Humanis a pris en charge des garanties non contractuelles. Le chômage partiel, la portabilité des droits ainsi que certains impayés de la part de nos clients ont également affecté notre activité de prévoyance.

M. le président Éric Woerth. Entre retraites complémentaires et arrêts maladie, les effets se compensent-ils ? 

M. Jérôme Guezennec. Il n’y aurait pas de compensation. S’agissant des arrêts de travail, la cotisation a déjà été payée, mais les prestations seraient payées deux années de plus en cas de report de l’âge de départ à la retraite. Pour la retraite supplémentaire, les clients cotiseront deux années de plus, mais cet argent leur sera reversé en prestations. Notre groupe de protection sociale subirait donc une perte sèche.

M. Charles de Courson. Vous faites l’hypothèse d’une stabilité des règles, mais elles pourraient être modifiées par une assemblée générale.

M. Frédéric Hérault. Le groupe Agrica a accompagné les entreprises et les salariés retraités en difficulté lors de la crise sanitaire. Sur un chiffre d’affaires de 600 millions d’euros, l’impact assurantiel s’élève à 50 millions d’euros. Il n’y a cependant pas d’impact sur les équilibres prudentiels et la crise n’a pas remis en cause notre politique d’allocation d’actifs. En revanche, une révision trop restrictive de Solvabilité II ne serait pas sans conséquences sur notre politique d’investissement à long terme.

Agrica est un acteur régulier et actif du financement de l’économie : actions cotées et actions non cotées, de la startup à l’entreprise de taille intermédiaire ; dette privée, notamment via des supports réservés aux investisseurs institutionnels. Nous avons ainsi participé à la levée de fonds labellisée « Relance » au côté de la Caisse des dépôts et consignations, de la Banque européenne d’investissement et d’un groupement d’assureurs orienté vers la transition verte et la relance durable en zone euro. Si nous avons des stress tests plus sévères de l’EIOPA sur les taux et sur les actions, notre capacité à financer l’économie sera plus faible. Les exigences liées à Solvabilité II impliqueront des placements obligataires, ce qui réduira nos investissements risqués dans l’économie réelle.

Mme MarieLaure Dreyfuss. J’ajouterai un mot sur l’effet de seuil et la question de l’application d’un régime Solvabilité II allégé aux petits organismes : l’assuré devra en tout état de cause bénéficier de la même garantie et des mêmes prestations.

S’agissant du reporting, la charge peut paraître trop lourde. Des bruits ont circulé selon lesquels un audit externe des bilans prudentiels pourrait être demandé. Or cela engendrerait des coûts supplémentaires. Aujourd’hui, nous avons suffisamment de procédures de contrôle interne et externe, surtout sur les petits et moyens assureurs.

M. Charles de Courson. J’avais saisi le Gouverneur de la Banque de France – il s’agissait encore de M. Christian Noyer –, en sa qualité de président de l’ACPR, de cette question. Il m’avait donné une réponse très administrative. L’ensemble du secteur mutualiste doit faire pression pour faire valoir que le droit européen permet aux petites institutions d’éviter ces coûts extrêmement élevés de reporting permanent. Ainsi peut-être aurons-nous une chance d’aboutir… D’ailleurs, plusieurs pays européens ont déjà mis en œuvre cette clause. Seule la France, avec une conception dévoyée du principe d’égalité, a maintenu un dispositif unique pour tous les organismes. Si le but est de faire mourir les petites institutions, il faut le dire !

Par ailleurs, monsieur Guezennec, vos propos selon lesquels une augmentation de l’âge de départ à la retraite dégraderait votre taux de solvabilité ont quelque peu heurté plusieurs de mes collègues. Vous raisonnez là toutes choses égales par ailleurs. En réalité, dans cette hypothèse, vous signeriez des avenants pour réajuster vos contrats avec les entreprises ?

M. Jérôme Guezennec. Mes propos ne font que décrire ce qui s’est passé en 2010, lors du report à soixante-deux ans de l’âge de départ à la retraite. Le coût des sinistres supplémentaires liés au prolongement pour deux années supplémentaires des arrêts de travail de nos assurés a été à la charge des groupes de protection sociale. La mesure a été étalée sur cinq ans pour en atténuer les effets pour l’ensemble des groupes.

J’ai donc dressé un parallèle avec la situation actuelle. Une mesure paramétrique qui décalerait l’âge légal de départ de soixante-deux à soixante-quatre ans produirait des effets similaires. La simulation que le groupe Malakoff Humanis a effectuée montre que cela nous coûterait vingt points de solvabilité, avec une charge en fonds propres assez substantielle.

Dans ce cas-là, il n’y a pas de possibilité de récupérer de nouvelles cotisations auprès des assurés. Les assurés ont déjà payé leurs cotisations, ils sont en arrêt de travail, et c’est désormais à nous de payer pour leurs arrêts de travail jusqu’à leur départ en retraite, sans qu’on puisse leur demander de nouvelles cotisations. Les cotisations peuvent être réajustées pour les nouveaux assurés. En revanche, pour les anciens assurés, il faut payer deux années supplémentaires, sans participation de leur part.

M. le président Éric Woerth. Vous encaissez également deux années de cotisations retraite supplémentaires et vous versez plus tard les pensions de retraite. En outre, le niveau des pensions n’est pas plus élevé pour autant. Pour les pensions AGIRC-ARRCO, un système de bonus-malus a permis les modulations nécessaires.

Sur le risque retraite, vous auriez donc la possibilité de dépenser moins, en compensation des dépenses supplémentaires liées au risque invalidité.

M. Frédéric Hérault. Le risque de surcoût est lié aux pensions d’invalidité, jusqu’à l’âge de la retraite.

Lors du report de l’âge de la retraite de soixante à soixante-deux ans, le groupe Agrica a appelé des cotisations supplémentaires pendant trois ans, pour équilibrer le risque invalidité. Il y a donc un impact non négligeable sur les équilibres prudentiels des institutions de prévoyance.

Par ailleurs, les risques assurantiels et les retraites complémentaires sont deux risques étanches l’un par rapport à l’autre. La retraite AGRIC-ARRCO n’a aucun lien avec les risques assurance, prévoyance et santé. Notre superviseur, l’ACPR, nous interdit de compenser les risques d’assurance, de prévoyance et de santé avec les risques de retraite. Nous n’avons donc pas la possibilité de compenser l’un par rapport à l’autre. L’équilibre ne peut se faire que risque par risque.

M. Jérôme Guezennec. Quand on parle de la directive Solvabilité II, on ne parle que de l’activité assurantielle. La gestion des retraites complémentaires AGIRC-ARRCO est une activité différente et complètement étanche par rapport à l’activité assurantielle. Sur la partie assurantielle, il n’y aurait aucune compensation, car le régime AGIRC-ARRCO ne rentre pas en compte.

M. le président Éric Woerth. Je vous remercie.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

Réunion du mercredi 23 juin 2021 à 11 heures

 

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Jean-Louis Bricout, M. Charles de Courson, Mme Cécile Delpirou, M. Benjamin Dirx, M. Jean-Paul Dufrègne, M. Christophe Jerretie, M. Mohamed Laqhila, M. Jean-Paul Mattei, Mme Cendra Motin, M. Hervé Pellois, Mme Bénédicte Peyrol, M. Éric Woerth