Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 Audition de M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux, ministre de la Justice, et discussion générale sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs (n° 2367) (M. Jean Terlier, rapporteur)              2

 Information relative à la Commission.................31

 

 


Mardi
1er décembre 2020

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 31

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente
 

 


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La réunion débute à 17 heures 35.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission auditionne M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux, ministre de la Justice, et procède à une discussion générale sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs (n° 2367) (M. Jean Terlier, rapporteur).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous commençons, cette semaine, l’examen du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs (CJPM).

Cet après-midi, nous procéderons à l’audition de M. le Garde des sceaux et à la discussion générale. Nous aborderons ce soir l’examen des quelque 300 amendements.

Cette réforme a été précédée d’un long travail parlementaire. Nous avions créé une mission d’information sur la justice des mineurs ; les rapporteurs, Jean Terlier et Cécile Untermaier, ont commencé leurs auditions dès le mois de juin 2018. Ils nous ont présenté leurs conclusions le 20 février 2019. Nous avons alors adopté une démarche originale, consistant à créer un groupe de contact avec la Chancellerie pour suivre l’élaboration de l’ordonnance que le Gouvernement avait été habilité à élaborer dans l’intervalle. Certes, les conditions d’examen de ce projet de loi ont été un peu particulières du fait du contexte sanitaire qui a perturbé notre ordre du jour, mais la commission des Lois travaille sur ce sujet depuis longtemps.

M. Éric-Dupond Moretti, Garde des sceaux, ministre de la justice. Je suis particulièrement fier de vous présenter le projet de loi de ratification de l’ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs. La justice pénale des mineurs, nombreux sont ceux qui se sentent autorisés à en parler, mais peu la connaissent réellement. Ce sujet suscite des réactions diverses, passionnées et, à vrai dire, souvent excessives, alors même qu’il appelle avant tout sens de la mesure et esprit de responsabilité.

Ces mineurs dont nous allons parler, je les connais bien : dans l’exercice de mes fonctions d’avocat, j’en ai défendu un certain nombre. J’ai appréhendé les heurs et malheurs de leur parcours. J’ai ressenti, aussi, le désarroi et l’incompréhension de leurs victimes. Devenu ministre, j’ai eu d’autres occasions de rencontrer des mineurs délinquants et de discuter avec eux, dans des centres éducatifs fermés ou en détention. Je peux témoigner de leur grande souffrance et de leur parcours de vie chaotique. J’ai souvenir de l’un de ces gamins disant qu’il était né en détention, tandis que sa mère était incarcérée. Ces choses-là ne s’oublient pas. Je crois à la sanction et à ses vertus – une sanction juste. Toutefois, s’agissant des mineurs, une sanction sans éducation est une machine à récidive. Le mineur qui a commis un acte de délinquance, et que nous ne savons pas prendre en charge aujourd’hui, a statistiquement un risque élevé de devenir un délinquant demain.

Si nous sommes ici réunis, c’est parce que nous partageons, avec beaucoup d’autres, un même constat. Les réformes et les modifications successives de l’ordonnance du 2 février 1945 en ont fait un millefeuille illisible et incohérent ; aussi la procédure applicable aux mineurs délinquants s’est-elle considérablement complexifiée, au point d’être parfois inintelligible et inefficace. Il faut, en les adaptant aux réalités et aux connaissances de notre époque, revenir à la clarté des principes fondateurs posés par le général de Gaulle en 1945 : primauté de l’éducatif sur le répressif ; atténuation des peines ; spécialisation des acteurs. Si, en 1945, le traitement de l’enfance délinquante était à construire, en 2020, vous bénéficiez d’un avantage, celui de pouvoir juger ce qui ne fonctionne pas, ou ce qui ne fonctionne plus.

L’empilement des réformes successives a eu pour effet d’empêcher la justice spécialisée des mineurs de remplir correctement son office. Vous connaissez les maux, au premier rang desquels une intervention trop tardive et le prononcé de multiples mesures éducatives trop rarement appliquées. Les grands principes affirmés dans l’ordonnance de 1945 s’en trouvent totalement vidés de leur sens et de leur contenu. Nous les consacrons à nouveau. Surtout, nous rétablissons leur effectivité en les inscrivant dans un code de la justice pénale des mineurs. Sans modifier le fond du droit, nous restaurons le contenant éducatif, grâce à une nouvelle procédure, ce qui prouve que notre État de droit sait garantir les équilibres essentiels et fédérateurs. Dans le cadre de votre mission d’information destinée à préparer cette réforme, vous avez dit avec force, monsieur le rapporteur Jean Terlier, madame la rapporteure Cécile Untermaier, que le traitement de la délinquance juvénile engage la société tout entière, car il préfigure l’avenir d’un pays. Je vous rejoins sur ce point. J’espère que nous nous rejoindrons tous sur ce texte. La justice, voyez-vous, n’est jamais aussi grande que lorsqu’elle se préoccupe du sort des plus petits.

Cette réforme – j’insiste sur ce point – est l’aboutissement d’un long travail parlementaire. C’est bien parce que le Parlement y a pris toute sa part que j’ai souhaité, comme je m’y étais engagé dès ma prise de fonctions, que nous puissions en débattre complètement. Une telle entreprise de codification pouvait difficilement s’envisager sans recourir à une ordonnance. Le Parlement y a très justement consenti, par le biais de la loi de programmation 2018‑2022 et de réforme pour la justice. C’est aussi le Parlement qui, en fixant la date d’entrée en vigueur de la réforme, déjà reportée une première fois, nous amène à travailler ensemble pour s’assurer qu’elle soit une réussite, pour les magistrats spécialisés de la jeunesse, pour nos concitoyens et, surtout, pour nos enfants. Je sais pouvoir compter sur vous pour que nos débats, s’ils doivent permettre de parfaire ce texte, permettent aussi son adoption dans les meilleures conditions possibles.

Sa date d’entrée en vigueur – le 31 mars 2021 – étant proche, nous saisirons très prochainement le Conseil d’État de la partie réglementaire du code de la justice pénale des mineurs. Il ne s’agit pas d’anticiper sur l’issue des débats parlementaires.

M. Ugo Bernalicis. Un peu quand même !

M. Éric-Dupond Moretti, Garde des sceaux. Il s’agit de rendre possible l’entrée en vigueur de la réforme dans les délais impartis. Naturellement, la partie réglementaire du code ne sera examinée par le Conseil d’État qu’après la validation, par le Parlement, de sa partie législative, afin de tenir compte des modifications éventuellement adoptées par le législateur.

Fruit de réflexions et d’échanges menés depuis plusieurs années, le code de la justice pénale des mineurs s’articule autour de trois grands axes.

Tout d’abord, il s’agit de rendre la justice des mineurs plus réactive qu’elle ne l’est. Vous devez le savoir, 45 % des affaires sont jugées après que le mineur a atteint ses dix-huit ans. C’est un non-sens ! C’est pourquoi nous supprimons la phase de mise en examen du mineur, dont je rappelle qu’elle n’est encadrée par aucun délai.

La nouvelle procédure prévoit une intervention judiciaire, sous la forme d’une audience de culpabilité, dans un délai compris entre dix jours et trois mois. Cette première audience est cruciale, car elle permet de faire respecter le droit fondamental d’un mineur à ce qu’il soit statué sur sa culpabilité dans un délai raisonnable. Elle permet également de mettre en œuvre une réponse éducative plus efficace, axée sur la responsabilité du mineur, la place de la victime et la responsabilité des parents, dans un temps proche des faits reprochés. La seconde audience, consacrée au prononcé de la sanction – mesures éducatives ou peine – doit se tenir dans un délai compris entre six et neuf mois. Entre ces deux audiences, la période de mise à l’épreuve éducative donne à l’adolescent la possibilité de prendre conscience des conséquences de ses actes, et tout son sens au travail des éducateurs et des éducatrices de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

Les affaires pourront être regroupées si le mineur est déclaré coupable de nouveaux faits, ce qui permettra d’éviter un empilement de dossiers disjoints générateur de perte de temps. Le principe de la césure du procès pénal connaît une exception dans deux situations clairement établies. Si la juridiction estime, à l’issue de l’audience d’examen de culpabilité, être suffisamment informée sur la personnalité du mineur, elle pourra prononcer immédiatement la sanction, dans l’intérêt du mineur. Par ailleurs, dans le cadre d’un défèrement requis par le procureur de la République, celui-ci peut, dans des conditions strictement définies, saisir directement le tribunal aux fins de jugement, notamment pour les faits les plus graves.

Il s’agit ensuite de rendre la réponse pénale plus efficace qu’elle ne l’est. Je rappelle que, contrairement à une idée reçue en la matière, 65 % des mineurs comparaissant devant le juge n’y reviennent jamais. Le premier passage à l’acte reste souvent isolé, en lien avec les problématiques de l’adolescence. C’est pourquoi il est d’une importance capitale d’y répondre immédiatement.

Dans de nombreux cas, la comparution judiciaire agit comme un électrochoc largement suffisant. L’avertissement judiciaire prononcé à l’occasion d’une audience unique, prévue par le nouveau code, s’avère alors particulièrement pertinent. Pour d’autres, la réponse éducative prendra tout son sens, car elle interviendra au bon moment, à échéance proche du passage à l’acte. S’agissant des mineurs les plus en difficulté, qui mettent en danger leur environnement social, la réponse ferme et immédiate est toujours possible, selon la procédure dérogatoire de saisine du tribunal aux fins de jugement en audience unique. Même si la proportion de réitérants – 16,6 % – et celle de récidivistes – 2 % – demeurent faibles parmi les mineurs poursuivis, nous ne pouvons tolérer que l’accumulation de passages à l’acte reste sans réponse pénale.

Notre réforme consiste à rapprocher l’intervention judiciaire du passage à l’acte. Toutefois, seul le temps judiciaire est raccourci. Le temps éducatif retrouve toute sa place et toute sa plénitude. Ainsi, la mesure unique éducative reste souple et adaptable à la personnalité du mineur. Elle comporte plusieurs modules – insertion, placement, réparation et santé –, qui peuvent être prononcés de façon alternative ou cumulative, tout au long de la prise en charge du mineur. Un socle commun, désormais cohérent, permet d’adapter sa prise en charge à l’évolution de son comportement. Le temps éducatif est consacré. Il s’inscrit dans un continuum : il sera possible de bénéficier d’une mesure éducative pendant cinq ans, et ce jusqu’à vingt et un ans.

Assurer une réponse pénale efficace consiste aussi à se donner les moyens de limiter le recours à la détention provisoire, qui a atteint des niveaux historiques au cours des dernières années – plus de 80 % des mineurs incarcérés en 2020, contre 59 % en 2010. Le code de la justice pénale des mineurs vise à corriger cette tendance par deux moyens. Nous ajoutons d’abord des conditions à la révocation du contrôle judiciaire ou de l’assignation à résidence sous surveillance électronique. La révocation ne sera désormais possible qu’en cas de violations graves et répétées de ses obligations par le mineur. Par ailleurs, nous reprenons intégralement le « bloc peine » issu de la LPJ, ce qui contribuera encore à diminuer le nombre de mineurs incarcérés. Ainsi, par le biais de délais de jugement raccourcis, de critères de recours à la détention provisoire plus restreints et d’une réponse éducative cohérente et efficace, la réforme doit redonner du sens à la sanction.

Enfin, il s’agit de rendre la justice des mineurs plus lisible. J’insiste sur le fait qu’une place est désormais reconnue aux victimes, qui seront convoquées dès la première audience d’examen de culpabilité, sans devoir attendre l’issue d’une procédure officieuse inconnue. Si certains coauteurs sont majeurs, une audience unique devant le tribunal correctionnel sera désormais possible, afin de statuer sur leurs intérêts civils.

Par ailleurs, l’application du principe du contradictoire, dans l’enceinte du tribunal pour enfants ou dans le cabinet du juge des enfants, participe au relèvement éducatif du jeune, qui prendra conscience de ses actes avec plus d’acuité si les victimes sont présentes ou représentées. Pour leur part, les victimes doivent comprendre les parcours des jeunes délinquants pour mieux appréhender les sanctions adaptées au profil de celui qui leur a causé un préjudice.

Il importe également de rendre lisible la justice des mineurs pour les acteurs judiciaires qui sont chargés de l’appliquer. Car cette réforme rend aussi cohérente la procédure pour les professionnels de la justice des mineurs. Je tiens ici à témoigner avec force de l’importance de leur mission. Procureurs, juges des enfants, assesseurs, avocats, éducateurs œuvrent tous dans un seul et même objectif : préserver l’intérêt du mineur. Une justice spécialisée ne doit plus être synonyme de complexité et d’opacité pour ceux qui la mettent en œuvre.

Je tiens à assurer toute la transparence sur les moyens consacrés à la mise en œuvre de cette réforme, afin de répondre à des inquiétudes légitimes. Des moyens supplémentaires sont prévus, notamment le recrutement de 72 magistrats en 2021, ce qui portera leur nombre à près de 500. S’agissant des greffiers, 413 recrutements sont prévus entre la fin de l’année 2019 et la fin de l’année 2020. Il faut ajouter à ces effectifs le renfort global des juridictions, dans le cadre de la mise en œuvre de la justice de proximité, à hauteur de 914 recrutements de juristes assistants et de renforts pour les greffes. Au sein de la PJJ, on compte au total 252 nouveaux emplois entre 2018 et 2022. En complément, 86 éducateurs viennent d’être recrutés dans le cadre du budget alloué à la justice de proximité. L’adaptation des outils informatiques est renforcée, grâce à l’augmentation des budgets de fonctionnement et d’investissement. Nous ajusterons ces moyens, le moment venu, aux éventuelles modifications issues du travail parlementaire, et travaillons en tout état de cause à la préparation de solutions pour l’entrée en vigueur du code, afin de sécuriser la mise à disposition des outils.

S’agissant de l’impact de la crise sanitaire, nous avons étudié avec précision l’état des stocks, au sein de chaque juridiction des mineurs et à chaque étape de la crise, afin de livrer un état des lieux objectif permettant d’attribuer des moyens ciblés. Par ailleurs, mes services assurent une préparation rapprochée de l’entrée en vigueur de la réforme, afin de répondre aux besoins des professionnels. Je viens notamment d’adresser une circulaire aux juridictions visant à leur proposer une méthode d’apurement des stocks. Ces outils et ces méthodes seront déployés par une mission dédiée de l’inspection générale de la justice (IGJ), dont les membres se rendront dans les juridictions les plus fragiles pour les accompagner.

Le grand Saint-Exupéry a écrit : « On est de son enfance comme on est d’un pays ». Donner aux mineurs concernés la chance d’être autre chose que des délinquants, les protéger et protéger la société, tel est le véritable enjeu du texte que je vous présente, et dont je suis heureux de débattre avec vous.

M. Jean Terlier, rapporteur. Avant de détailler les principaux axes de la réforme, j’aimerais avoir une attention particulière à l’égard de votre prédécesseure, monsieur le Garde des sceaux. Je remercie Mme Nicole Belloubet d’avoir eu le courage d’initier la réforme de l’ordonnance du 2 février 1945, tant attendue depuis une quinzaine d’années. En effet, elle était devenue illisible pour les praticiens concernés, notamment en raison de ses quarante modifications. Je la remercie également, ainsi que vous-même, de la méthode retenue, notamment en prenant l’engagement qu’un débat parlementaire aura lieu avant l’entrée en vigueur de ce nouveau code, initialement prévue le 1er octobre 2020 et reportée au 31 mars 2021. Je la remercie aussi de s’être engagée à faire participer la représentation nationale aux travaux de réflexion sur la réforme de la justice pénale des mineurs, tenant ainsi compte des préconisations du rapport d’information rédigé par Cécile Untermaier et moi-même. Il me semble que nous avons été entendus sur de nombreux points, ce qui témoigne de la force du travail parlementaire. Enfin, je la remercie, ainsi que vous-même, d’avoir pris l’engagement de créer un groupe de contact, ayant vocation à réunir des membres de tous les groupes politiques composant le Parlement. Il a conclu ses travaux vendredi dernier, en votre présence.

Par ailleurs, j’aimerais avoir une attention particulière à l’attention de nos collègues en rappelant que l’abrogation de l’ordonnance de 1945, parfois perçue comme un totem, au profit de l’adoption du code de la justice pénale des mineurs, sera réalisée en veillant à conserver ses principes fondateurs, auxquels le Conseil constitutionnel a reconnu une valeur constitutionnelle : la primauté de l’éducatif sur le répressif – le prononcé d’une peine sera toujours subsidiaire par rapport au prononcé d’une mesure éducative ; la spécialisation des juridictions – des magistrats spécialisés appliqueront des procédures adaptées ; l’atténuation de la responsabilité pénale – un mineur ne doit jamais être jugé comme un majeur. Le code de la justice pénale des mineurs nourrit l’ambition de reprendre ces principes, notamment dans le cadre de son article préliminaire.

J’en viens aux grands axes de la réforme, notamment quatre d’entre eux.

S’agissant de l’âge de la responsabilité pénale, la réforme introduit une présomption d’absence de discernement pour les mineurs de moins de 13 ans et, a contrario, reconnaît une présomption de discernement pour les mineurs âgés d’au moins 13 ans. Une telle mesure était attendue à plusieurs titres. Elle permet à la France de respecter ses engagements internationaux, notamment ceux pris dans le cadre de la Convention internationale des droits de l’enfant. Au demeurant, l’âge de 13 ans correspond, dans l’ordonnance de 1945 comme dans le nouveau code de la justice pénale des mineurs, à l’âge en deçà duquel un mineur ne peut pas être condamné à une peine, placé en garde à vue ou astreint à une mesure de sûreté. Par ailleurs, il s’agit d’une présomption simple de discernement ou d’absence de discernement, qui peut être renversée si la démonstration est faite que le mineur était doué ou non de discernement au moment des faits. Cet assouplissement de la procédure permettra, dans certains cas, de débattre de façon contradictoire de la question de la responsabilité pénale du mineur, selon qu’il aura quatorze ou douze ans. À l’heure actuelle, la question du discernement est trop peu abordée devant les juridictions. Grâce à cette mesure, elle le sera davantage, ce qui est une bonne chose.

Le deuxième axe de la réforme consiste à instaurer une procédure plus simple, plus rapide et plus lisible pour les mineurs. En effet, les nombreuses modifications de l’ordonnance de 1945 lui ont fait perdre sa cohérence ; les renvois au code pénal et au code de procédure pénale ont rendu la procédure applicable aux mineurs particulièrement longue et complexe. Ainsi, la procédure devant le juge des enfants repose sur une instruction préparatoire obligatoire, comprenant une mise en examen, une phase d’information préalable, un renvoi devant la juridiction de jugement et le prononcé de la culpabilité, ainsi que de la peine, le cas échéant. Le recours à l’instruction préparatoire allonge les délais de jugement, qui s’établissent en moyenne à 17,8 mois, et amène à recourir de façon excessive à la détention provisoire des mineurs, alors même que, dans de nombreuses affaires, l’établissement de la culpabilité est simple et ne nécessite aucune investigation complémentaire.

Cette procédure a été fragilisée par le principe d’impartialité du juge, consacré par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 8 juillet 2011, a considéré que le juge des enfants ne pouvait cumuler les fonctions d’instruction et de jugement. La réforme de la justice pénale des mineurs propose donc de supprimer la phase de mise en examen, qui s’avère peu adaptée, car elle est juridiquement construite autour de la manifestation de la vérité, et non autour de l’accompagnement éducatif du mineur. Il s’agit de la remplacer par une procédure en deux étapes : une audience de culpabilité, dans un délai compris entre dix jours et trois mois après la convocation du mineur, et une décision, six à neuf mois plus tard, sur la sanction. La période intermédiaire sera consacrée à une mise à l’épreuve éducative.

Cette réforme présente de nombreux avantages. Elle offre au juge la possibilité de se prononcer rapidement sur la culpabilité du mineur, donc de lui donner une réponse lisible. Elle permet de mettre en place un travail éducatif avec le mineur, en s’appuyant sur le jugement de culpabilité. À l’heure actuelle, les suivis éducatifs, en phase pré-sententielle, se heurtent parfois à la résistance des mineurs, qui se disent innocents et ne comprennent pas pourquoi ils doivent se soumettre à un suivi judiciaire. La déclaration de culpabilité fournira aux services éducatifs une base de travail pour permettre la prise de conscience, par le mineur, de la loi pénale et de sa responsabilité.

Par exception au principe de la procédure en deux étapes, le code de la justice pénale des mineurs prévoit, dans deux cas, une audience unique permettant de statuer simultanément sur la culpabilité et sur la sanction.

Cette nouvelle procédure présente enfin l’avantage de favoriser une réponse rapide à la victime, dont le statut peut être reconnu dès l’audience de culpabilité, grâce à la constitution de partie civile, ce qui lui permet d’obtenir une décision d’indemnisation dès cette audience.

Le troisième apport de la réforme est de limiter le recours à la détention provisoire – 77 % des mineurs délinquants sont incarcérés à ce titre –, notamment en restreignant les hypothèses dans lesquelles elle peut être prononcée.

Le quatrième axe de cette grande réforme consiste à créer une mesure unique de suivi éducatif, composée de quatre modules portant sur l’insertion, la réparation, la santé et le placement. Ils pourront être prononcés cumulativement aux autres peines.

En conclusion, je salue la réforme de l’ordonnance de 1945, qui était très attendue. Elle permettra d’instaurer une procédure plus efficace et plus lisible pour les mineurs. Certes, elle n’introduit pas un code des mineurs applicable en matière civile et pénale, mais elle constitue une avancée considérable, une première pierre à l’édifice.

Je tiens à souligner l’importance cruciale de la garantie des moyens nécessaires à la mise en œuvre de cette réforme. En effet, la procédure prévue par le nouveau code, qui se caractérise notamment par des délais plus brefs, nécessite des moyens accrus, tant au siège qu’au parquet – les procureurs assistent désormais aux deux audiences –, mais également au sein de la protection judiciaire de la jeunesse, car la période de mise à l’épreuve éducative de six mois n’aura de sens que si le mineur est pris en charge immédiatement par les éducateurs de la PJJ, et non au bout de quelques mois.

La mise en œuvre de cette réforme dès le 31 mars 2021 a suscité certaines inquiétudes, que vous avez vous-même relevées, monsieur le Garde des sceaux. En effet, l’année 2020 a été marquée par une grève des avocats et une crise sanitaire, qui ont conduit à une augmentation des stocks de dossiers des juges des enfants. Si un effort a été réalisé, ces dernières semaines, pour diminuer ces stocks, ils demeureront néanmoins importants au moment de l’entrée en vigueur de la réforme ; les juges des enfants devront alors appliquer des procédures différentes selon la date du dossier. Je vous remercie d’avoir apporté quelques précisions quant au renfort de soixante-dix magistrats, cent greffiers et cent professionnels de la PJJ, qui permettra de remédier à cette situation. De même, l’Inspection générale de la justice a dressé un état des lieux afin d’identifier les juridictions au sein desquelles les stocks sont les plus importants ; comme vous l’avez dit, des efforts complémentaires seront opérés dans ces juridictions pour réduire les stocks au maximum avant l’entrée en vigueur de la réforme.

Mme Alexandra Louis. Nous abordons un texte de grande ampleur, sans nul doute historique, visant à consacrer un véritable code de la justice pénale des mineurs. L’ordonnance de 1945 est le symbole d’un véritable progrès dans l’histoire de la justice française, et nous sommes nombreux à y être très attachés ; toutefois, les multiples assauts législatifs qu’elle a subis au cours des dernières décennies l’ont peu à peu privée de sa lisibilité et de sa cohérence.

L’idée de cette réforme n’est finalement pas très nouvelle. Envisagée par des gouvernements de droite comme de gauche, elle est le fruit d’une longue réflexion et d’un travail de fond important. En 2008, la « commission Varinard » a remis à Mme Rachida Dati un rapport comportant plus de soixante-dix propositions, dont celles de créer un code dédié à la justice pénale des mineurs et d’instaurer un âge de responsabilité pénale. Quelques années plus tard, Mme Christine Taubira a confié à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) la préparation d’un projet de loi et réfléchi à un mécanisme de césure, sans parvenir à concrétiser ce projet.

De nombreux travaux parlementaires ont été menés sur le sujet – je tiens à saluer le travail réalisé par nos collègues Cécile Untermaier et Jean Terlier. Sur cette base, Mme Nicole Belloubet a proposé en 2019 une nouvelle réforme et a engagé une large concertation des professionnels concernés. Elle a même réuni plusieurs parlementaires de groupes différents au sein d’un groupe de contact, qui a travaillé dans un esprit très constructif – je remercie tous nos collègues qui en faisaient partie. La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a finalement habilité le Gouvernement à modifier par voie d’ordonnance les dispositions relatives à la justice pénale des mineurs.

Cette ordonnance réaffirme les principes de l’ordonnance de 1945, à savoir la primauté de l’éducatif sur le répressif, l’atténuation de la responsabilité pénale en fonction de l’âge et la spécialisation des juridictions pour mineurs. Nous proposerons d’y faire figurer également l’intérêt supérieur de l’enfant, un principe consacré par la Convention internationale des droits de l’enfant, qui est d’ailleurs d’application directe en droit interne.

Cette ordonnance n’instaure pas une justice pénale des mineurs plus laxiste, ni même plus répressive, mais plus efficace. Le projet de code est équilibré, conforme à nos principes ; il permet une plus grande réactivité de la justice, au bénéfice des mineurs, évidemment, mais aussi de la société.

Ce projet place les mesures éducatives au cœur du dispositif, notamment avec la nouvelle procédure de mise à l’épreuve éducative, mais aussi avec la mesure éducative unique. Il s’agit d’apporter la réponse la plus juste possible dans un délai raisonnable. Aujourd’hui, le délai moyen de jugement est de l’ordre de dix-huit mois, ce qui n’est satisfaisant pour personne – ni pour le mineur, ni pour la société, ni pour l’éventuelle victime. La nouvelle procédure en trois temps permettra de donner plus rapidement au mineur une décision sur sa culpabilité, pour se consacrer ensuite à une période d’évaluation et de suivi, dans un but éducatif. Dans le même temps, la victime pourra obtenir une décision sur les intérêts civils dans un délai enfin acceptable – c’est une avancée importante.

Ce projet marque également un progrès en instaurant une présomption simple de non-discernement pour les enfants de moins de 13 ans. À ce jour, des poursuites pénales peuvent être engagées à l’encontre d’un enfant, quel que soit son âge ; les magistrats apprécient librement si l’enfant est discernant ou non, mais la question se pose rarement dans la pratique. Cette disposition suscite donc un débat qui n’existait pas nécessairement pour les magistrats. Elle permet à la France de se conformer à ses engagements internationaux, tout en laissant aux juges des enfants une marge de manœuvre pour s’adapter à la spécificité de chaque mineur. En dessous de 13 ans, le mineur déclaré non discernant ne sera toutefois pas laissé de côté : il pourra faire l’objet d’une prise en charge spécifique à travers des mesures d’assistance éducative – ces dossiers représentent 3 % des procédures.

Les conditions de recours à la détention provisoire ont été adaptées. Aujourd’hui, 84 % des mineurs détenus le sont dans le cadre d’une détention provisoire. Ce chiffre est édifiant. L’incarcération d’un mineur doit être l’ultime recours ; elle est très difficilement comprise par le mineur, qui la vit comme une véritable peine alors que le juge n’a pas encore statué sur sa culpabilité. L’ordonnance limite ainsi le recours à la détention provisoire aux cas graves et aux mineurs réitérants ; les conditions de révocation du contrôle judiciaire sont également mieux encadrées.

Ce projet de code de la justice pénale des mineurs est une étape très importante dans l’amélioration de la justice des enfants. Il pose un premier jalon pour arriver un jour à un véritable code de la justice des mineurs, que nous sommes nombreux à souhaiter.

Monsieur le Garde des sceaux, j’aimerais vous interroger sur deux points. Je sais que vos services travaillent depuis plusieurs mois aux modalités de mise en œuvre de cette réforme, notamment à la transition avec l’ancien régime procédural. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions à ce sujet ? En outre, s’agissant de la prise en charge et du suivi des victimes, quelle place entendez-vous donner à la justice restaurative ?

M. Antoine Savignat. En novembre 2018, en plein débat sur le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, la Garde des sceaux déposait un amendement visant à autoriser le Gouvernement à réformer par ordonnance la justice des mineurs ; cette habilitation, adoptée, se retrouve dans la loi du 23 mars 2019. L’objectif annoncé était de répondre à la délinquance des mineurs de manière plus adaptée et plus rapide, en codifiant les dispositions qui leur sont applicables et en renforçant leur prise en charge par des mesures adaptées et efficaces avant le prononcé de la peine.

Le problème ne vient pas de la volonté de réformer l’ordonnance de 1945 – nous convenons tous qu’il faut le faire. La codification est aussi une bonne chose, pour une meilleure lisibilité, une meilleure intelligibilité du droit et une meilleure compréhension tant du travail des professionnels que des décisions auxquelles les victimes et les auteurs sont confrontés. Toutefois, la démarche entreprise ne porte que sur le volet pénal de la justice des mineurs, omettant, faute de temps – c’était l’explication donnée –, le volet socio-éducatif pourtant primordial.

Nous devons apporter une réponse aux maux de notre société et éradiquer autant que faire se peut la délinquance des mineurs, qui n’augmente pas forcément en volume, mais considérablement en violence, en importance des troubles à l’ordre public et en dommages provoqués. La priorité de notre société ne devrait-elle pas être d’accompagner les mineurs, de les protéger des dérives de la délinquance, plutôt que de mettre en œuvre un mélange maladroit d’actions éducatives et répressives pour se donner bonne conscience tout en feignant de réprimer la délinquance et de mettre un terme aux dérives quotidiennes de mineurs livrés à eux-mêmes ? Accompagner, éduquer, protéger en amont pour éviter d’avoir à sanctionner en aval avec des peines dissuasives : tel devrait être notre objectif.

L’ordonnance de 1945 adoptait une conception mixte du droit pénal des mineurs, entre le modèle tutélaire, auquel il empruntait les mesures éducatives, et le modèle pénal, auquel il empruntait les peines, utilisées en dernier ressort, de manière subsidiaire. De cette dualité, nous avons fait une mauvaise synthèse, prisonniers que nous sommes du souhait légitime de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant et de respecter ses droits fondamentaux et les principes énoncés par la Convention internationale des droits de l’enfant, d’un côté, et déterminés à endiguer les dérives délinquantes de notre société, de l’autre. Deux systèmes coexistent donc : ils poursuivent les mêmes objectifs, mais leurs interactions sont si complexes que leur efficacité s’en trouve affectée.

La quête d’efficacité et de rationalité dans l’éradication de la délinquance des mineurs aurait dû conduire à une réflexion globale et à la rédaction d’un code des mineurs, protecteur dans son volet assistance éducative et répressif dans son ultime volet pénal. La société a évolué depuis soixante-quinze ans : les enjeux ne sont plus les mêmes et les professionnels sont souvent désarmés pour apporter des réponses aux questions auxquelles ils se trouvent confrontés.

Le mineur de 13 ans et moins, s’il est livré à lui-même de longue date – une situation que l’on rencontre hélas de plus en plus souvent –, n’a pas le même niveau d’émancipation que le mineur suivi, accompagné et encadré. Le juge apprécie les faits qui lui sont soumis, mais également la personnalité de leur auteur, son niveau de compréhension desdits faits et sa capacité à appréhender la sanction. Le texte, dans sa rédaction actuelle, n’est pas acceptable en ce qu’il empêche le juge, dans certains cas, d’exercer sa mission première, c’est-à-dire de juger. De la même manière, le juge ne pourra pas, dans certains cas, en fonction de la personnalité de l’auteur des faits, de son implication dans la commission desdits faits, de leur gravité et de son passé judiciaire, lever l’excuse de minorité s’il a plus de 16 ans et le renvoyer devant la juridiction de droit commun. Si la peine doit conserver un aspect éducatif salvateur, elle doit aussi permettre de faire cesser le trouble à l’ordre public et réparer le préjudice de la victime.

Ce texte ne semble pas permettre d’atteindre les louables objectifs poursuivis, à savoir la protection, l’éducation et l’accompagnement du mineur, tout en mettant un terme à un fléau de notre société.

La période transitoire est un autre sujet d’inquiétude, mais vous avez commencé à nous rassurer, monsieur le Garde des sceaux. Certes, la procédure mise en place devrait permettre d’améliorer le délai de traitement des dossiers, mais il n’en demeure pas moins qu’à moyens constants, la transition risque d’être synonyme d’engorgement pour les juridictions. Nous ne pourrons vraisemblablement pas évaluer l’efficacité de cette réforme avant longtemps. Cette phase transitoire est évidemment nécessaire, mais il serait souhaitable que l’urgence à traiter ce sujet, mise en avant par le Gouvernement lors de sa demande d’habilitation à légiférer par ordonnances, conduise à l’allocation de moyens supplémentaires permettant une résorption rapide des stocks de dossiers.

Vous l’avez compris : nous attendons des signaux forts de nature à nous rassurer quant à la réelle efficacité des mesures que comporte ce texte, tant en matière éducative qu’en matière de préservation de l’ordre public et de la quiétude de nos concitoyens.

M. Erwan Balanant. « Devant l’enfant, la décision judiciaire n’est valable que si elle exprime un acte de solidarité et d’amitié. » Ces mots de Jean Chazal, dans L’enfance délinquante, illustrent parfaitement l’esprit de l’ordonnance du 11 septembre 2019, qui nous est aujourd’hui soumise pour ratification.

Cette ordonnance s’inscrit dans le prolongement de plusieurs études telles que le rapport Varinard de 2018 et le rapport de la mission d’information conduite début 2019 par nos collègues Jean Terlier et Cécile Untermaier. Leurs conclusions sont formelles : les principes cardinaux de l’ordonnance du 2 février 1945 ont été remis en question, tant dans leur lettre, au fil des trente-neuf modifications apportées au texte, avec une tendance au durcissement de notre politique pénale à l’égard des mineurs, que dans la pratique judiciaire, certains de ces principes s’avérant largement inadaptés à l’évolution de la délinquance juvénile.

Le groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés se félicite du travail remarquable qui a mené à la rédaction de l’ordonnance du 11 septembre 2019, laquelle représente indéniablement une modernisation substantielle du droit pénal des mineurs.

Nous saluons en particulier le raccourcissement du délai de traitement des affaires, qui passera de dix-huit mois, en moyenne, à un an, avec l’intervention d’un jugement sur la culpabilité à l’issue d’un délai de trois mois. Cette première audience permettra aux mineurs de bénéficier d’une mesure éducative sans décalage temporel entre la commission de l’infraction et la réponse apportée ; cela est primordial pour que le mineur prenne conscience de la gravité des faits qui lui sont reprochés et renonce, dans de nombreux cas – nous l’espérons –, à un nouveau passage à l’acte. La tenue accélérée de cette audience bénéficiera également aux victimes, qui pourront être indemnisées plus rapidement.

L’établissement d’une présomption de discernement à l’âge de 13 ans constitue, là encore, une mesure visant à augmenter la protection octroyée aux enfants. Nous vous rejoignons pleinement sur l’opportunité de créer cette présomption et de lui conférer un caractère simple, l’appréciation casuistique in specie devant prévaloir en toute situation. La présomption contraire de non-discernement avant l’âge de 13 ans nous semble également primordiale. Nous vous suggérons de la rendre irréfragable afin qu’aucun enfant en bas âge ne puisse voir sa responsabilité pénale engagée. Une telle mesure permettrait de mettre la France en conformité avec ses engagements internationaux, le Comité international des droits de l’enfant ayant déjà relevé à plusieurs reprises nos manquements à cet égard.

La création d’un code de la justice pénale des mineurs mérite également notre attention. Cette codification améliorera la lisibilité des différentes règles applicables et, en conséquence, favorisera l’accès au droit et son effectivité, ce dont nous nous réjouissons. Toutefois, à l’instar du Défenseur des droits, de la Commission nationale consultative des droits de l’homme et de l’UNICEF, nous pensons qu’il serait nécessaire d’aller plus loin et de créer un véritable code des mineurs regroupant l’ensemble des règles civiles, pénales et administratives applicables aux enfants et aux adolescents – je rejoins en ce sens les propos d’Antoine Savignat. C’est en effet sous le prisme d’une approche transversale que nous pourrons accorder aux mineurs une protection plus efficace, individualisée et prenant en compte les différents aspects de leur vie.

Nous devons également renforcer les synergies entre les différents acteurs de l’enfance. Par exemple, les situations de violence scolaire qui dégénèrent sont davantage liées à un manque de coordination entre les différents acteurs de l’éducation nationale, des services sociaux et de la justice qu’à un déficit de dispositifs de prise en charge. Nous défendrons plusieurs amendements visant à encourager cette coopération, issus de la réflexion sur le harcèlement scolaire que j’ai menée au début de l’année.

Monsieur le Garde des sceaux, le groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés adhère largement à cette réforme de la justice des mineurs et vous remercie pour votre engagement sur ce sujet. Je souhaiterais vous interroger sur les mesures concrètes que vous envisagez d’adopter pour développer de manière systématique ces coopérations entre les différents acteurs de l’enfance, notamment entre les magistrats, les services sociaux, les médecins et l’éducation nationale.

Mme Cécile Untermaier. Je remercie le rapporteur d’avoir rappelé les travaux que nous avons menés ensemble pendant de longs mois, dans la perspective d’un projet ou d’une proposition de loi qui s’est finalement avéré être une ordonnance. Vous n’y êtes pour rien, monsieur le Garde des sceaux, mais nous avons regretté ce choix du Gouvernement, présenté de manière inopinée à l’occasion d’un amendement défendu en séance publique, de traiter cette question de société majeure par voie d’ordonnance. Il faut toutefois reconnaître que la Garde des sceaux a tenu ses promesses d’apaisement en mettant en place un groupe de travail et en permettant le débat que nous avons actuellement avant la ratification du texte. Certes, cela ne remplace pas un réel débat parlementaire, mais il était important, me semble-t-il, de pouvoir au moins agir de cette sorte. J’ajoute que le contexte actuel d’une justice très dégradée, du fait des moyens insuffisants dont elle bénéficie depuis plusieurs années, des grèves et de la covid-19, ne facilite pas les réformes.

Le manque de moyens de la justice pénale des mineurs a été rappelé, s’agissant de la situation de la PJJ, du nombre de magistrats ainsi que de l’aide juridictionnelle défaillante pour les avocats dont la vocation est d’accompagner, tout au long de la procédure, les enfants et adolescents en situation pénale compliquée. La mise en œuvre de solutions alternatives à la prison implique le recrutement et la formation de très nombreux conseillers et éducateurs, ainsi que la mise en place de structures d’accueil. Il faut consacrer à la formation les moyens et le temps nécessaires – vous avez donné, monsieur le Garde des sceaux, quelques indications sur les efforts que le ministère entend réaliser. À cette occasion, je voudrais saluer le travail de ces professionnels, effectué dans des conditions difficiles – nous pensons tous au tribunal de Bobigny –, qui s’apparente à un sacerdoce. C’est grâce à leur engagement que 93 % des mineurs mis en cause se voient apporter une réponse pénale.

Nous sommes nombreux à regretter que le code de la justice civile et pénale des enfants et adolescents n’ait pu voir le jour, car les liens entre l’aide sociale à l’enfance (ASE) et la justice pénale sont très importants. L’ordonnance que nous examinons aujourd’hui ne prend sans doute pas suffisamment en compte ces liens, alors que les juges des enfants sont compétents au civil et au pénal.

Par ailleurs, monsieur le Garde des sceaux, vous avez affirmé le 2 septembre lors d’un déplacement à Dijon que les chiffres étaient clairs et que la délinquance des mineurs n’avait pas augmenté dans notre pays depuis dix ans. C’est effectivement ce que nous avons constaté dans le cadre de la mission d’information : la part des mineurs dans la délinquance générale reste globalement stable, en dessous de 20 % – c’est un chiffre auquel nous renvoyons tous ceux qui voudraient attiser les peurs en matière de délinquance des mineurs. Cependant, il ressort des auditions que nous avons menées que la violence s’est quand même aggravée et que des mineurs de plus en plus jeunes sont mis en cause, souvent utilisés comme petites mains dans les réseaux de criminalité organisée.

La législation française est l’une des plus répressives en Europe : près de la moitié des sanctions prononcées à l’encontre des mineurs sont des peines alors que les mesures éducatives devraient être majoritaires au regard des principes internationaux. Hormis la Grande-Bretagne, la France est le pays qui incarcère le plus les mineurs, ce qui entraîne d’ailleurs un embouteillage des affaires.

La fixation de la responsabilité pénale à 13 ans a été proposée dans notre rapport d’information. Cette mesure fera l’objet d’un amendement du groupe Socialistes et apparentés tendant à en consacrer le caractère irréfragable. Même s’il est compliqué d’admettre que le pouvoir d’appréciation du juge puisse être mis de côté, nous plaidons pour cette disposition, qui a le mérite de la lisibilité.

Derrière le terme de « mineurs » se trouvent des enfants et des adolescents livrés à eux-mêmes, en danger pour certains, qui révèlent les défaillances de leur prise en charge et les fractures de la société. À l’instar de Christiane Taubira, je pense que la justice des mineurs est d’abord une question de parcours, qui implique que l’on se préoccupe des mineurs sous de multiples aspects, en particulier en matière d’éducation et de décrochage scolaire. Aucun enfant ne devrait être exclu d’un établissement. La justice des mineurs ne se réduit pas à un code ; elle doit, pour reprendre les termes de Christiane Taubira, « prononcer des mesures éducatives, y compris dans les sanctions : les sanctions doivent avoir valeur éducative. Nous devons travailler davantage sur le parcours, car l’important est que la société prenne en charge le mineur […]. »

M. Dimitri Houbron. Ce projet de loi ratifiant l’ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs répond aux attentes formulées par la majorité des acteurs concernés au quotidien par ce sujet délicat. Le texte part du postulat que l’ordonnance du 2 février 1945 est usée, qu’elle manque d’un fil conducteur et qu’elle ne permet plus d’apporter de réponse judiciaire cohérente dans un délai raisonnable – un postulat qui ne fait pas toujours consensus, car il est malheureusement acquis que l’efficacité d’une mesure se vérifie souvent à son ancienneté.

Cette réforme comporte plusieurs points forts.

Tout d’abord, contrairement à ce qui est parfois avancé, elle ne se concentre pas uniquement sur l’aspect répressif ; au contraire, elle fait de l’option éducative une priorité. Concrètement, le texte met sur pied une mesure éducative judiciaire unique en lieu et place des multiples dispositifs créés au gré des réformes successives de l’ordonnance ; elle sera décomposée en modules permettant de cadrer les modalités du travail éducatif, à savoir l’insertion avec la scolarisation, le placement – que ce soit en foyer, en famille d’accueil ou en internat scolaire –, la santé ou encore la réparation de l’infraction commise. Les autres bienfaits de cette mesure éducative judiciaire résident dans la possibilité de la faire évoluer dans le temps, en fonction des difficultés rencontrées ou des évolutions positives.

Une autre force de ce texte est qu’il propose un jugement adapté quant à la sanction. Celle-ci doit être éducative en première intention et peut être répressive par exception. Elle est décidée en fonction de la personnalité du mineur, de son évolution et de la réitération des infractions. Concrètement, le jugement peut constater l’insertion du mineur par une déclaration de réussite éducative.

Comme vous le savez, je suis singulièrement attaché à la recherche de mesures permettant de désengorger les tribunaux et d’améliorer la réponse pénale. À cet effet, je note, d’une part, que le juge des enfants peut prononcer des mesures éducatives sans qu’il soit nécessaire de réunir le tribunal pour enfants ; d’autre part, que la sanction intervient en douze mois maximum, à savoir trois mois pour le jugement sur la culpabilité et neuf mois maximum de mise à l’épreuve éducative.

Cette réforme s’attache aussi à l’information et à la responsabilisation des parents. Ceux-ci seront informés de toute décision prise pour leurs enfants, convoqués à toutes les audiences et entendus par le juge des enfants ou le tribunal pour enfants. En cas de carence parentale, une amende pourra être prononcée ou un stage de responsabilité parentale proposé.

Il est illusoire de penser que la justice, qui découvre souvent ces jeunes à l’âge de 14 ou 15 ans, pourra résoudre ces problèmes sans l’appui des parents, des écoles, des entreprises, des centres de formation voire de l’armée. C’est toute la société qui doit se mobiliser sur ce sujet, sans céder aux passions.

Gardons à l’esprit que toute la procédure pénale applicable aux mineurs est soumise au respect des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République dégagés par le Conseil constitutionnel en 2002, parmi lesquels figure l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de leur âge.

Le groupe Agir ensemble salue tout particulièrement l’article L. 13-4 du nouveau code, qui permet de proposer à la victime et à l’auteur de l’infraction de recourir à la justice restaurative, conformément à l’article 10-1 du code de procédure pénale, à l’occasion de toute procédure concernant un mineur.

Des structures gérées par d’anciens militaires, les établissements publics d’insertion de la défense (EPIDE), accueillaient de grands adolescents et de jeunes majeurs, qui recevaient une formation et apprenaient des règles de vie quotidienne dans un cadre militaire plutôt bienveillant. Cela pouvait répondre à un besoin de cadre et d’autorité chez certains jeunes délinquants tout en sortant ces derniers du circuit des foyers éducatifs pour mineurs dont ils connaissent parfois tous les rouages. La cohabitation avec de jeunes adultes pouvait également être un atout, contrairement à ce que l’on affirme souvent. L’expérience s’est malheureusement arrêtée il y a dix ans, faute de financement pérenne, pour les mineurs, mais elle se poursuit pour les jeunes majeurs. À ce propos, j’ai eu la chance de visiter, au début de mon mandat, l’EPIDE de Cambrai ; près des trois quarts des jeunes qui y sont passés voulaient s’engager pour la République, dans l’armée ou dans les forces de l’ordre. Comptez-vous entamer une réflexion sur ce sujet afin de trouver des nouveaux outils de ce type pour les mineurs, éventuellement encadrés par des militaires ?

Pour conclure, je tiens à rassurer le rapporteur et le Gouvernement : le groupe Agir ensemble votera bien évidemment ce projet de loi.

M. Jean-Michel Clément. Si l’ordonnance de 1945 relative à la justice des mineurs a pu traverser le temps comme elle l’a fait, c’est parce qu’elle reposait sur un principe fondateur, celui de la primauté de l’éducatif dans la réponse pénale à la délinquance des enfants. Une logique de protection présidait à cette ordonnance, dans l’esprit de ses concepteurs. Si elle a fait l’objet, depuis lors, d’ajustements rendus nécessaires par le temps, elle a aussi inspiré plusieurs de nos voisins européens pour poser les bases de leur propre ordonnancement judiciaire en matière de justice des mineurs. Il n’y a rien d’étonnant à cela : l’enfance restera toujours et partout l’enfance. N’est-ce pas plutôt le regard que l’on pose sur elle et l’évolution de la société qui nous amènent aujourd’hui à vouloir réviser cette ordonnance dans une logique bien différente ? La question mérite d’être posée.

Les mineurs sont des enfants et des adolescents en évolution vers un devenir adulte. La loi se doit de les protéger et de prévoir leur éducation afin de les conduire vers le monde des adultes responsables. C’est bien cette jeunesse qui, demain, prendra place aux côtés des adultes qui la jugent aujourd’hui. Soyons prudents !

L’enfance d’aujourd’hui est-elle plus en danger que l’enfance d’hier ? Très certainement, compte tenu des menaces qui pèsent sur elle, au travers de phénomènes que bien des parents ont du mal à appréhender – je pense notamment aux réseaux sociaux et aux trafics de quartier, sans parler de la pauvreté. Victimes et auteurs se retrouvent souvent chez les mêmes individus, pour peu que l’héritage social pèse très tôt sur eux. C’est ainsi qu’ils se retrouvent malgré eux dans un réseau de trafiquants, à devoir être complices d’un acte délictueux dont ils ne prennent pas la mesure. Consommer devient alors une addiction qui conduit à la délinquance, qui l’entretient : cette spirale infernale les mène tout droit à la case prison, une fois l’âge adulte atteint. C’est donc avant que tout se joue.

Faut-il, dès lors, une justice des adultes pour juger des enfants qui se retrouvent malgré eux en conflit avec la loi ? Dans l’ordonnance que nous examinons, les références constantes au code pénal et au code de procédure pénale sont préoccupantes. Un code autonome eût été préférable. Face à des actes délictuels et parfois criminels, il est nécessaire d’opposer la loi, mais dans un cadre qui puisse être entendu et compris par ces enfants et ces adolescents.

La primauté de l’éducatif est essentielle. Je veux poser ici la question du sens que l’on donne à la sanction éducative, qui doit permettre aux jeunes de prendre conscience de la gravité de leurs actes afin qu’ils ne les commettent plus. Le répressif seul ne réglera jamais rien pour les enfants et les adolescents en conflit avec la loi ; ceux-ci ne peuvent prendre conscience de leurs actes que si nous les éduquons, par le biais de sanctions éducatives qui constituent déjà, en soi, une contrainte pour eux. En somme, le répressif alimente des sentiments d’incompréhension et de haine quand l’éducatif, à l’inverse, permet une prise de conscience.

Je ferai quelques observations sur les principes directeurs qui ont présidé à la rédaction de cette ordonnance. Outre la remarque générale faite précédemment relative à l’altération du principe de la primauté de l’éducatif, on peut regretter l’alignement des mesures et des sanctions qui, mises sur le même plan, traduisent une forte porosité de la frontière entre la justice des mineurs et celle des majeurs.

En outre, alors que la notion du discernement devient cardinale et qu’elle conditionne l’irresponsabilité pénale, celle-ci reste floue et peu juridique. Elle est, de surcroît, purement théorique, puisque la notion d’âge du discernement est laissée à l’appréciation du magistrat qui pourra toujours poursuivre un mineur de moins de 13 ans considéré comme discernant. L’ordonnance pose le principe de l’irresponsabilité pénale des moins de 13 ans, qui reste toutefois une présomption simple. Si l’abandon des poursuites de l’enfant de moins de 13 ans est avancé comme un progrès, pour que cette irresponsabilité pénale soit vraiment effective, il faudrait que la présomption soit irréfragable.

Enfin, nous ne pouvons qu’être dubitatifs face à l’affichage qui consiste à affirmer la primauté de l’éducatif et les multiples exceptions procédurales qui s’ensuivent.

Pour autant, nous notons, grâce à ce texte, un meilleur suivi par le juge des enfants des mesures judiciaires, qui permettra une adaptabilité des modules au fil du temps, à condition de les concevoir non pas comme des sanctions mais comme des réparations. L’assistance obligatoire du mineur par un avocat est également une bonne nouvelle et nous espérons que ce projet de loi de ratification permettra d’apporter une réponse judiciaire plus cohérente, dans un délai raisonnable.

Au final, j’ai le sentiment que nous avons tourné une page : celle qui nous voyait regarder l’enfant pour ce qu’il est, et non pour ce qu’il a fait. Qu’est-ce qui a pu manquer dans la construction fragile de l’enfant devenu adolescent ? Que manquera-t-il à l’adolescent brutalement rattrapé par l’âge ? Ces questions devront toujours être posées, avant même le prononcé de la sanction, sauf à alimenter l’échec de toute politique qui se veut réparatrice.

C’est dans cet esprit que j’ai déposé un certain nombre d’amendements, fort de mon expérience en tant qu’avocat et dans la prise en charge de mineurs primo-délinquants ou réitérants. Le travail au quotidien des éducateurs en milieu ouvert et en milieu fermé, de la protection judiciaire de la jeunesse et des magistrats en ont constitué la base.

M. Michel Zumkeller. Je souhaiterais, en préambule, revenir sur la méthode. Lorsque Mme Belloubet nous avait annoncé, lors de l’examen de la loi de programmation et de réforme pour la justice, qu’elle voulait légiférer par ordonnance, notre groupe s’en était ému, par la voix de son président. Nous avions souhaité alors la mise en place d’un groupe de travail et l’organisation de réunions. Cela a été le cas, et nous ne pouvons que nous en satisfaire, car cela a constitué une bonne manière de légiférer et de préparer un texte ; celui-ci respecte globalement les échanges que nous avons eus au cours de ces réunions et nous tenions à le souligner.

Dans l’ensemble, cette réforme nous paraît satisfaisante. Je citerai trois points importants. Le premier concerne l’instauration d’un seuil de non-discernement pour l’engagement de la responsabilité pénale, même si nous préférerions comme nos collègues qu’il s’agisse d’une présomption irréfragable. Si tel n’est pas le cas, comment le juge apportera-t-il la preuve contraire ? Par la voie d’un amendement d’appel, nous souhaiterions appeler l’attention sur un sujet important : ce seuil de présomption et de non-responsabilité pourrait s’avérer dangereux dans le cas où les plus âgés y verraient une occasion d’utiliser les plus jeunes ainsi protégés pour commettre des infractions. Nous aimerions recueillir votre avis sur ce point, monsieur le ministre.

Le deuxième concerne la mise en place d’une procédure claire et, nous l’espérons, plus rapide. Il importe cependant de mettre effectivement à profit la période de césure pour engager un travail éducatif avec le mineur. Les moyens de l’assistance éducative devront donc être nettement augmentés pour que la prise en charge puisse se faire dans de bonnes conditions, la continuité éducative étant la clef du succès de cette nouvelle procédure.

Enfin, troisièmement, le regroupement des mesures éducatives en un seul ensemble de modules correspond à une nécessité de clarification. En effet, la multiplicité des mesures et des peines pouvant être prononcées à l’égard des mineurs rend souvent l’éventail des sanctions peu lisible.

Si nous sommes satisfaits sur certains points, d’autres nous posent question. Nous avons du mal à envisager, tout d’abord, que la détention provisoire puisse s’appliquer à des mineurs. Nous considérons qu’elle doit être réduite au strict nécessaire, ce qui semble d’ailleurs correspondre à l’objectif de votre réforme. Notre groupe proposera donc des amendements en ce sens. S’agissant des peines, nous nous interrogeons également sur l’opportunité de la surveillance électronique pour des enfants et des adolescents dont nous discuterons.

Par ailleurs, la réforme doit aller dans le sens de la réduction du recours à l’enfermement, la peine d’emprisonnement devant demeurer l’exception. Nous considérons que ce principe pourrait utilement être inscrit dans la loi et nous aimerions avoir votre avis sur ce point.

En revanche, nous sommes plus en désaccord sur certains sujets. Les procédures rapides, telles que la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) ou l’audience unique sur la culpabilité et la peine, ne nous paraissent pas du tout adaptées à des enfants. Pouvez-vous nous confirmer que le juge sera in fine décisionnaire, s’il constate que l’orientation du parquet n’est pas adaptée ?

Enfin, nous considérons que le projet de loi comporte de bonnes mesures, mais qu’elles ne pourront être efficaces que si les moyens sont améliorés. Chacun sait que la justice française est encore le parent pauvre en Europe. Dans le cadre de la loi de programmation et de réforme pour la justice, nous avions proposé de hisser les moyens dédiés à la justice au niveau de ceux d’un pays comme l’Espagne par exemple – qui n’est d’ailleurs pas le mieux doté parmi nos voisins. Des efforts restent à faire dans ce domaine, s’agissant notamment des moyens mis à la disposition de la protection de l’enfance.

Voilà les points que vous voulions aborder à ce stade. Nous avons déposé quelques amendements et nous espérons qu’ils bénéficieront d’une oreille attentive du Gouvernement.

M. Ugo Bernalicis. « La France n’aime pas ses enfants ». C’est ce que disait Dominique Attias, le 14 septembre dernier, et encore tout à l’heure devant le tribunal de Bobigny, où se tenait un rassemblement visant à s’opposer à cette ordonnance relative à la justice pénale des mineurs. Tous ceux qui se trouvaient devant le tribunal de Bobigny, des professionnels du droit, des membres de différentes organisations syndicales représentant en fait la quasi-totalité des organismes qui s’occupent de l’enfance dite délinquante – je reviendrai sur ces termes ultérieurement – ne s’opposent pas à une réforme de l’ordonnance de 1945. Mais, selon leur analyse, que je partage, celle que vous proposez ne met pas en avant l’éducatif sur le répressif. C’est même le contraire.

Sur la forme, on a commencé par une ordonnance, et quelle ordonnance ! Elle a été annoncée dans l’hémicycle en cours de débat sur le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice, alors que nous n’en avions jamais eu trace auparavant ni en commission à l’Assemblée ni lors de l’examen de ce texte au Sénat. Drôle de méthode ! Certes, on nous a proposé la création d’un groupe de contact. À l’époque, c’était la mode de discuter à l’extérieur de l’Assemblée nationale de ce qui se passe à l’intérieur. Depuis, cela a fait un peu polémique, et je comprends bien pourquoi, du fait de la séparation des pouvoirs. Dont acte.

M. Erwan Balanant. Pourquoi n’avez-vous pas participé au groupe de travail ? Vous y étiez invité !

M. Ugo Bernalicis. Je n’y ai pas participé parce que je considère que c’est ici que se passe la fabrique de la loi et nulle part ailleurs.

D’ailleurs, étant donné les délais, on se demande pourquoi cette réforme ne nous est pas présentée sous la forme d’un projet de loi ? C’eût été mieux. Qu’est-ce qui l’empêchait ? Rien, si ce n’est la volonté de raccourcir le temps du débat et de forcer la main aux parlementaires et aux acteurs du droit en la matière.

De surcroît, les juridictions ne sont pas prêtes. J’ai été étonné, lors des travaux de la commission d’enquête que j’ai présidée sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire, que des chefs de juridiction viennent me dire, de leur propre initiative, qu’ils n’étaient pas prêts pour l’application d’une telle réforme et que cela allait poser des problèmes en matière de gestion des tribunaux, d’effectifs, etc. Je constate qu’eux non plus ne sont pas entendus, alors que, sur le fond, je ne suis pas sûr d’être toujours d’accord avec eux.

En outre, la discussion est déjà engagée sur le volet réglementaire. Quelle anticipation ! Nous n’avons même pas encore commencé les travaux en commission que vous travaillez déjà sur la déclinaison réglementaire, en lien avec les organisations professionnelles. Or la grande majorité d’entre elles sont opposées à ce texte. Elles se sont réunies en collectif, ont signé une tribune il y a plus d’un an, ont participé à un colloque salle Colbert à l’Assemblée nationale et ont redit leur opposition dans une tribune publiée aujourd’hui, que je partage.

Oui, monsieur le Garde des sceaux, il est encore temps de retirer ce texte qui, de toute façon, ne pourra pas s’appliquer. Je ne suis pas sûr du reste que ce soit la priorité alors qu’un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté, soit 3 millions d’enfants, que 52 000 sont victimes de violences physiques ou de sévices à la maison chaque année – sans compter les 130 000 filles et 35 000 garçons qui sont victimes de viol ou de tentative de viol –, que 3 000 enfants sont enfermés dans les centres de rétention administrative à Mayotte, que 300 000 bénéficient à ce jour de mesures de protection de l’enfance. Oui, il y a des priorités sur l’enfance. Oui, il y a fort à faire. Oui, c’est un enjeu et la crise sanitaire l’a révélé, aggravant encore la situation. Dans ces conditions, faire un code de justice pénale des mineurs était-il la priorité ? Non. Faire un code de l’enfance en est une, en revanche.

Il ne faut pas confondre mineurs et enfants : le premier étant une qualification juridique, un peu désincarnée, contrairement à l’enfant. L’enfant délinquant est une vision des choses. Dans d’autres pays, on parle d’enfants en conflit avec la loi, ce qui ne traduit pas le même objectif politique et philosophique. Alors qu’on évoque une réponse rapide et une gestion des flux, il devrait être question de réponse individualisée et de gestion des enfants.

Finalement, le point majeur, celui de la présomption d’irresponsabilité, n’en est pas un puisque la présomption est simple et non pas irréfragable. Le collectif des professionnels du droit propose une présomption irréfragable à 14 ans. C’est la moyenne de ce qui se pratique en Europe ; dans certains pays, le seuil est même fixé à 16 ans. Les délinquants de moins de 16 ans pullulent-ils pour autant ? Je ne le crois pas. Je rejoins le ministre Dupond-Moretti lorsqu’il dit qu’il n’y a pas de laxisme de la justice dans ce pays et c’est particulièrement vrai envers les enfants, puisque le taux de réponse pénale les concernant est de 92 %.

Dominique Attias a raison, la France n’aime pas ses enfants ! Le groupe La France insoumise estime qu’il est encore temps de retirer ce projet de ratification d’ordonnance et de préparer un vrai projet de loi relatif à un code de l’enfance.

Mme Marie-George Buffet. Depuis l’ordonnance fondatrice de 1945, les textes législatifs et réglementaires autour de la justice des enfants se sont multipliés, rendant incontournable leur codification. S’il y avait bien nécessité d’un code, la méthode qui a été utilisée – une ordonnance introduite par un amendement lors du projet de loi de programmation et de réforme pour la justice – est inappropriée compte tenu du caractère essentiel de la question que nous examinons. Cette procédure a empêché l’organisation d’un véritable débat parlementaire, même si un groupe de travail s’est réuni ; reconnaissez toutefois que ce n’est pas la même chose.

Une codification se fait habituellement à droit constant. Or la lecture attentive de l’ordonnance, en dehors des grands principes rappelés au début, nous amène à constater des modifications importantes pouvant toucher à la philosophie même de l’ordonnance de 1945. Nous aurions pu aller vers un véritable code de l’enfance, unissant au projet pénal le volet protection de l’enfance, car il s’agit d’un tout. Ces deux sujets sont liés et l’enfant doit être vu et considéré dans sa globalité.

Le glissement sémantique du mot « enfant » vers le mot « mineur » n’est pas non plus anodin. L’enfant délinquant est aussi un enfant en danger – c’est l’esprit de l’ordonnance de 1945 ; la primauté de l’éducatif sur le répressif est la clef. Or l’ordonnance qui nous est proposée, quand bien même l’énonce-t-elle, affaiblit ce principe.

Les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine font part de leur attachement au temps entre l’audience de culpabilité et l’audience de sanction. Ce temps doit réellement permettre la mise en place des mesures éducatives, à même de produire leurs effets sur l’enfant. Nous savons qu’en raison notamment du manque de moyens, les mesures éducatives sont longues et difficiles à mettre en place. Mais nous ne devons pas renoncer à ce temps long, indispensable pour que l’enfant revienne sur ses actes, leur signification, et puisse évoluer. Une justice rapide dans le domaine de la justice des enfants n’est pas forcément gage d’efficacité. Nous doutons aussi de la généralisation de l’audience à juge unique, la collégialité devant être la règle.

Nous alertons également sur le glissement progressif de la majorité pénale à 16 ans à plusieurs endroits du texte, avec des procédures différentes selon que l’enfant est âgé de 16 à 18 ans ou de moins de 16 ans : excuses de minorité, médecin en garde à vue. On tend à ne plus considérer le jeune de 16 ans comme un enfant, or il en est un – c’est d’ailleurs les raisons de ma grande réserve sur le droit de vote à 16 ans qui nous avait été proposé.

Nous alertons encore sur la suppression du délai entre le prononcé d’une mesure éducative et le rendez-vous à la PJJ. Nous devons nous assurer que ce délai existe bien. Enfin, nous rappelons que la détention préventive des mineurs doit rester l’exception et être limitée drastiquement, l’enfermement étant généralement la pire des solutions.

Monsieur le ministre, nous vous invitons à tenir compte de la parole et des propositions des acteurs de la justice des mineurs qui manifestaient aujourd’hui à Bobigny. Nous pouvons encore travailler la copie. Prenons le temps de construire un code de l’enfance qui ferait primer l’éducatif sur le répressif de façon claire. C’est à cette seule condition que nous lutterons efficacement contre la délinquance des mineurs. C’est pourquoi nous proposerons, dans une démarche constructive, une série d’amendements tendant vers ces objectifs.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Je commencerai par dissiper un certain nombre de malentendus. Je rappelle d’abord que c’est le Parlement qui a autorisé le Gouvernement à confectionner cette ordonnance, comme cela se fait en matière de codification. En outre, l’article d’habilitation a très clairement encadré le travail.

J’entends déjà que les uns et les autres vont aiguiser leur vision de la société entre les laxistes d’un côté, les répressifs de l’autre – pour le dire de de façon manichéenne et caricaturale. Ce texte, je le dis très clairement, n’est pas répressif ; d’ailleurs, il ne touche pas aux sanctions à proprement parler. En revanche, il modifie la procédure pénale applicable, dans le sens de la simplification.

Je rappellerai très brièvement, en dix points, la philosophie générale de ce texte. Il s’agit de réaffirmer avec force, dans l’article préliminaire, les principes fondateurs de l’ordonnance de 1945, sur lesquels personne n’envisage de transiger, de réaffirmer qu’un enfant sans discernement ne peut être déclaré responsable pénalement, en respect de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), de rendre davantage lisibles les textes applicables, de concilier l’exigence d’impartialité du juge des enfants et la continuité du suivi des mineurs, de renforcer la cohérence du parcours pénal éducatif du mineur, de rendre lisible et prévisible la procédure pénale pour le mineur, d’améliorer la continuité, la cohérence, la lisibilité de la prise en charge éducative à la mesure éducative judiciaire unique quel que soit le nombre de procédures, de limiter la détention provisoire, bien sûr, de redonner du sens à la peine lorsqu’elle est prononcée et d’améliorer, ce n’est pas rien, la prise en charge des victimes.

Monsieur le rapporteur, vous avez eu raison de souligner le travail de Nicole Belloubet. On ne peut pas oublier non plus le rapport Varinard, ni les travaux des anciens ministres Christiane Taubira et Jean-Jacques Urvoas, ni l’ensemble des professionnels qui ont été auditionnés – en long, en large et en travers –, pour préparer ce texte. Je le rappelle pour ceux qui pensent qu’on n’a peut-être pas suffisamment discuté de cette ordonnance.

La question de la présomption irréfragable, ou non, est majeure. J’aurai l’occasion d’y répondre complètement lorsque nous examinerons les différents amendements déposés sur ce point. Je considère, pour ma part, que le juge doit disposer d’une véritable souplesse. Il ne faudrait pas qu’un mineur puisse échapper à un certain nombre de décisions, au motif que la présomption est irréfragable et devient un écueil pour le juge. Il faut toujours se souvenir que le juge doit agir dans le but de protéger le mineur. Or il ne faudrait pas empêcher le juge de prononcer des mesures peut-être plus sévères si elles doivent l’être. Nous en reparlerons et je suis ouvert à toutes les discussions sur ce point. Mais ce qui compte, et ce qui devrait nous permettre de trancher la question, c’est d’abord l’intérêt de l’enfant. C’est sous cet angle qu’il faut l’examiner et non pas comme une espèce de répression qui viendrait s’abattre sur l’enfant, cet enfant que la France n’aimerait pas. Ce n’est pas cela du tout. Cette expression, purement politique et politicienne, et opportuniste, n’a pas de raison d’être. Ce qui nous unit ici, c’est la volonté d’améliorer la justice des mineurs, la justice de ces gamins qui, demain, seront des adultes, le but étant, bien sûr, de les sortir de la délinquance.

Merci, madame Untermaier, d’avoir rappelé les vrais chiffres. Là encore, nous avons eu droit à une espèce de surexploitation politicienne... Qu’il y ait davantage de violence, je le concède. La société étant plus violente dans son ensemble, nous en retrouvons la trace dans la justice des mineurs. Mais, pour ce qui concerne les chiffres, la délinquance des mineurs reste à peu près stable. On ne peut pas s’en servir comme d’un argument politicien ou électoraliste. C’est la différence entre l’insécurité, qui existe et que nous devons combattre, et le sentiment d’insécurité qui n’est pas forcément utile. Notre société a besoin d’apaisement.

S’agissant des victimes, madame Alexandra Louis, c’est une évidence, elles sont insuffisamment prises en compte dans le cadre de l’ordonnance du 2 février 1945. Les délais sont extrêmement longs : la réponse apportée aux mineurs est tardive et, par voie de conséquence, celle apportée à la victime l’est aussi. Le même temps de latence s’applique. Ce texte affirme le principe selon lequel les décisions à l’égard des mineurs doivent tendre vers la protection des intérêts des victimes et l’indemnisation peut intervenir plus rapidement. Il prévoit la constitution de partie civile dès l’examen de la culpabilité, c’est-à-dire entre un et trois mois – c’est déjà une révolution pour les victimes. Il rend possible également le renvoi devant la chambre des intérêts civils du tribunal correctionnel, dans l’hypothèse de coauteurs ou en cas de préjudice grave et de complexité de son évaluation et de sa liquidation. Ces avancées sont de nature à rassurer nos concitoyens : les victimes d’actes commis par des mineurs seront plus rapidement prises en charge et indemnisées.

S’agissant des dispositions transitoires, les poursuites qui sont engagées devant le juge des enfants jusqu’au 30 mars 2021 iront jusqu’à leur terme, en suivant le régime procédural de l’ordonnance de 1945 ; celles qui seront engagées à compter du 31 mars, quelle que soit la date des faits, s’exerceront selon les règles prévues par le code de justice pénale des mineurs. Une exception toutefois : l’application immédiate des règles prévues par le CJPM relatives aux mesures de sécurité. Concernant l’entrée en vigueur des dispositions de fond, je ne vous ferai pas l’injure de vous rappeler les règles constitutionnelles sur la non-rétroactivité de la loi pénale. Enfin, la mesure éducative judiciaire présente un contenu identique aux mesures et sanctions éducatives qui existaient sous l’empire de l’ordonnance de 1945 ; cela ne pose donc pas de difficulté en matière de transition.

Monsieur Savignat, je vous ai écouté attentivement et durant une très grande partie de votre intervention, vous n’avez en réalité pas posé de question. Vous avez exprimé votre vision de la justice pénale des mineurs en faveur d’une sévérité accrue – je respecte votre positionnement, mais ce n’est pas le mien, ni ma sensibilité. Vous vous êtes arrêté en revanche sur la question du code et de son étendue. Le travail légistique était très important, avec des dispositions disséminées dans plusieurs codes : code civil, code de l’action sociale et des familles, etc. Il n’était donc pas possible de réformer en profondeur la procédure pénale et de codifier toutes les autres dispositions, eu égard aux délais très clairement définis. À l’impossible, nul n’est tenu ! En revanche, là où je vous rejoins, c’est que le code de justice pénale des mineurs peut être une étape vers un futur code de l’enfance, ce qui serait cohérent, je l’entends bien.

Toutes les questions que vous avez évoquées, monsieur Balanant, nous préoccupent beaucoup et nous sommes mobilisés, de façon générale, pour la sauvegarde des enfants. Nous avons saisi qu’il y avait d’importantes difficultés de coordination entre les différents services, à l’origine de plusieurs dizaines de morts chez les petits que nous avons la charge de protéger. Tout cela, parce que les services ne communiquent pas ! C’est pourquoi nous avons mis en place récemment des instances de concertation quadripartites, comprenant les juges des enfants, les conseils départementaux, les parquets et la PJJ. Beaucoup reste à faire sur ces questions, notamment en matière de détection, qui relèvent de compétences interministérielles : l’éducation nationale, qui est souvent le déclencheur, le vecteur par lequel les choses sont dites ; la santé, avec le secret médical qui nous est opposé ; se pose aussi le problème du suivi des mineurs quand les parents changent de région. Nous travaillons sur ces sujets, qui sont un peu à la marge – non pas que nous nous en désintéressions – du texte que nous examinons aujourd’hui. Sachez en tout cas que le Gouvernement a pris la mesure de ce qu’il convient de rectifier, d’aménager, d’améliorer. Je sais à quel point vous êtes investi en la matière et je vous en remercie.

Je vous remercie, madame Untermaier, pour votre investissement et votre travail sur ces questions. Je sais à quel point vous souhaitez que les enfants, les mineurs soient protégés comme ils doivent l’être dans notre grand pays de France. Vous avez raison, la détention provisoire a atteint un niveau historique ces dernières années sans que pour autant la délinquance des mineurs n’évolue. Mais lorsqu’il y a davantage de violence, la société réclame plus de répression. La corrélation entre l’arrêt de la délinquance et l’accentuation de la répression, surtout pour des gamins, est pourtant loin d’être établie. J’ai l’habitude de dire que s’il suffisait de cogner, et de cogner fort pour connaître la rémission des crimes – au sens d’arrêt des crimes –, il y a des siècles que nous le saurions ! Je ne crois pas à l’exemplarité, s’agissant de gamins. Elle ne peut venir qu’à partir du moment où il y a eu une évolution, une éducation, un suivi, un apprentissage. « Chaque homme s’accroche désespérément à sa mauvaise étoile », a dit Cioran. J’ai beaucoup pensé à cette phrase lorsque j’ai rencontré les gamins du centre éducatif fermé (CEF) que je suis allé visiter. C’était terrible ! Les avocats présents dans cette salle le savent comme moi, les gamins qui ont été aimés, qui sont issus de milieux favorisés socialement, sociologiquement, culturellement, ne franchissent jamais le box de la cour d’assise, ou c’est l’exception qui confirme la règle. Il y a tellement de choses à rattraper pour certains mineurs ! C’est en cela que le volet éducatif est absolument essentiel.

Le texte restreint les hypothèses de prononcé de détention provisoire. Or j’ai déjà lu, c’est extraordinaire, – nous vivons vraiment une époque manichéenne et sans nuance –, qu’il s’agissait d’un texte répressif. C’est totalement faux ! Au contraire, il réaffirme les droits de l’enfant en prévoyant un encadrement plus strict des mesures de sûreté susceptibles de conduire à la détention provisoire et la limitation de la durée de celle-ci. Nous serons, je pense, en phase sur la philosophie de ce texte, que l’on ne peut pas exploiter à des fins politiciennes, parce qu’il est des sujets qui doivent transcender les clivages politiciens.

Monsieur Houbron, ce texte, finalement, partage la même philosophie que la proposition de loi améliorant l’efficacité de la justice de proximité sur laquelle nous avons travaillé la semaine dernière : celle de la rapidité de la réponse pénale. Une réponse pénale juste, c’est essentiel. Si un gamin a le sentiment d’avoir été trop sévèrement jugé, cela peut générer chez lui une catastrophe. Une justice juste, rapide et systématique : nous sommes bien dans un continuum.

S’agissant des EPIDE, je n’en suis pas le père, puisque leur idée a été développée par bien d’autres que moi, notamment M. Ciotti. Pour ce qui est de l’armée et des mineurs, ce qui compte dans la justice des mineurs, c’est l’individualisation. C’est pour cela que l’on rediscutera de la présomption irréfragable ou non. Il faut évidemment individualiser. Les professionnels de la justice des mineurs le savent. Autant cela peut démolir un gamin d’aller dans une structure un peu rigide, autant cela peut apporter beaucoup à un autre, fait différemment, et le sauver. J’ai demandé à Mme Parly de nous donner un coup de main. Nous voulons travailler sur ce sujet avec les services pour essayer de trouver quelque chose qui ait de l’allure. Je pense aussi que, quand on regarde un gamin avec respect, il devient respectable et vous respecte. L’armée peut avoir ce rôle‑là. Cela ne veut pas dire, comme le prétendent certains, notamment à la PJJ, que je veux envoyer tous les mômes à l’armée. Pas du tout ! Nous reviendrons sur cette question qui me tient à cœur. Vous êtes le bienvenu si vous souhaitez vous joindre à mes services qui travaillent sur ce sujet.

Monsieur Zumkeller, il n’y a pas de CRPC pour les mineurs, je vous rassure. Une composition pénale adaptée est cependant possible, qui permet la mise en œuvre de mesures de réparation efficaces pour les faits commis dans le cadre d’un parcours éducatif. Le juge doit disposer d’un panel de réponses pénales. La composition pénale est, par ailleurs, validée par le juge des enfants. C’est une garantie supplémentaire.

Monsieur Clément, nous sommes d’accord sur la philosophie du texte. Le CJPM, c’est sortir d’une logique de dossier pour adopter une logique de parcours, ce qui est particulièrement intéressant : regroupement de toutes les affaires ; audiences de sanction individualisées ; mesures éducatives globales, évolutives et modulables ; suivi au long cours par le même juge et le même éducateur – c’est fondamental, parce qu’il se crée un lien particulier. Le CJPM, je le redis, ne traduit aucune dérive répressive mais un juste équilibre entre tout ce qui nous préoccupe. Les dérives sémantiques sont fréquentes par les temps qui courent. Nous avons été privés de notre liberté pour des raisons qui tiennent à la situation sanitaire et j’entends partout des cris d’orfraies. On ne peut pas tout mélanger ! Il est très important de redire quelle est la philosophie de ce texte. J’ai lu que nous étions à nouveau liberticides. Moi, le sort des gamins me préoccupe, comme il vous préoccupe.

Monsieur Bernalicis, vous dites que la France n’aime pas ses enfants.

M. Ugo Bernalicis. Ce n’est pas moi qui l’ai dit !

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. J’ai bien compris. Vous relayez un propos que vous avez entendu ce matin et vous l’étayez par une série de contrevérités que vous auriez pu dissiper, en participant au groupe de travail constitué avec vos collègues, pour accompagner et améliorer le projet de code.

M. Ugo Bernalicis. Je ne suis pas à votre service, monsieur le ministre ! (Exclamations.)

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Certes ! Et ce n’est pas comme ça qu’il faut le prendre. Mais vous ne pouvez pas dire que la France n’aime pas ses enfants et qu’il n’y aurait qu’à La France insoumise qu’on les aime. De tels propos ne sont pas indispensables. Cela tend les rapports entre les gens. Notre époque a besoin d’apaisement, monsieur Bernalicis, mais je pense que vous ne savez pas ce que c’est. Je me permets seulement de vous faire remarquer que vous auriez pu dissiper de telles contrevérités en travaillant avec vos collègues du Parlement. Mais vous faites ce que vous voulez, cela n’engage que vous ! Vous dites ce que vous voulez, et moi je vous dis également ce que j’ai à vous dire.

Nous avons travaillé sur ce dossier ! En 2008, la commission Varinard, qui réunit trente‑deux parlementaires et des spécialistes du droit des mineurs, présente soixante‑dix propositions pour adapter la justice pénale des mineurs. En 2009, un avant‑projet de loi portant code de la justice pénale des mineurs est rédigé, après avoir été soumis à de très nombreuses consultations. Entre 2014 et 2016, Mme Taubira élabore son projet, porté par M. Urvoas. Ils consultent les associations de protection de l’enfance, l’UNICEF, le Défenseur des enfants, les magistrats, la conférence des présidents, des procureurs, la Cour de cassation, les syndicats de magistrats, les pédopsychiatres. Leur projet de réforme est également soumis à la Commission supérieure de codification. En 2018, Mme Belloubet instaure un groupe de travail regroupant des professionnels de la justice pénale des mineurs et des parlementaires, afin de réfléchir aux grandes lignes de la réforme de l’ordonnance de 1945. En 2018 encore, la mission d’information du Sénat sur la réinsertion des mineurs enfermés rend son rapport.

En février 2019, vous‑même, monsieur le rapporteur, et Mme Untermaier, déposez le rapport des travaux de la mission d’information sur la justice des mineurs. Et ce n’est pas fini ! Il faut rappeler tous ces travaux. Je ne veux pas que l’on dise que cette réforme est tombée du ciel et que l’on a négligé les consultations. En mars 2019, un questionnaire est adressé à l’ensemble des professionnels de la justice des mineurs. Les résultats du sondage sont les suivants : 66 % sont favorables à la nécessité de créer un code de justice des mineurs ; 80 % à l’inclusion des dispositions civiles dans le code de justice des mineurs ; 70 % à la fixation d’un âge de responsabilité pénale – la moyenne étant de 11,9 ans ; 47 % à l’évolution des mesures éducatives.

Monsieur Bernalicis, vous avez notamment rencontré les syndicats cet après‑midi, mais ils ont déjà été consultés. La concertation a été très large, les premiers travaux ayant tout de même commencé en 2008.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous en venons aux questions.

Mme Blandine Brocard. Monsieur le ministre, nous sommes tous ici conscients de l’importance d’apporter une réponse finement adaptée, afin que les mineurs d’aujourd’hui qui commettent des actes de délinquance ne deviennent pas les majeurs délinquants de demain.

La réforme de la justice pénale des mineurs simplifie la procédure, afin de la rendre plus lisible et plus rapide. Cette volonté de simplification, de réactivité et de célérité est naturellement à saluer. Cependant, pensez‑vous que les nouveaux délais pourront être tenus au regard notamment de la surcharge de travail des magistrats et de l’engorgement des tribunaux ?

Ce code entrera en vigueur en mars prochain. Les professionnels intervenant en matière de délinquance des mineurs seront‑ils en mesure de le mettre en œuvre dans des délais si restreints, alors qu’il va entraîner une réorganisation conséquente ? Si nous pouvons nous réjouir et saluer la récente et historique hausse du budget de la justice, nous pouvons aussi nous interroger sur sa capacité à combler rapidement des années de difficultés financières et humaines. Étant donné que le suivi de ces mineurs doit, à juste titre, mobiliser de nombreux professionnels, cela sera‑t‑il suffisant pour la mise en œuvre effective du suivi éducatif ?

Enfin, ce suivi éducatif peut se faire en milieu ouvert ou en centre éducatif fermé. Ces fameux CEF ont‑ils fait preuve d’efficacité ? Permettent‑ils d’inverser le processus de délinquance ? A‑t‑on des outils d’évaluation et des études fiables qui permettraient de nous éclairer, afin de savoir si nous devons continuer à les utiliser comme la réponse à la délinquance des mineurs ou si nous devons envisager d’autres foyers qui permettraient à nos jeunes en marge de se reconstruire ?

Mme Laetitia Avia. Monsieur le ministre, l’examen de cette ordonnance intervient dans un cadre particulier, celui d’un processus hybride qui répond à une exigence forte du Parlement, exprimée dans le cadre de la réforme de la justice. Nicole Belloubet avait pris plusieurs engagements : celui d’un travail collectif, ce qui est chose faite puisque tous les groupes y ont contribué sauf un ; et celui d’un examen approfondi et non d’une simple ratification. Philippe Gosselin avait d’ailleurs qualifié ce processus d’innovation législative que viennent concrétiser les quelque trois cents amendements. Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, de vous inscrire dans le cadre de cet engagement, tant sur la forme que sur le fond. En effet, Nicole Belloubet s’était engagée à trouver un équilibre entre, d’une part, la célérité et la lisibilité de la réponse pénale et, d’autre part, l’efficacité des mesures éducatives. Une réponse pénale efficace est nécessaire et demandée par tous, car il ne peut y avoir d’impunité, y compris pour les mineurs. Vous avez exprimé votre conviction de manière très claire : la sanction sans éducation, c’est le risque de récidive.

Pourtant, dans une tribune publiée aujourd’hui, des personnalités du monde judiciaire et de l’enfance s’inquiètent d’un potentiel recul des mesures éducatives et du temps éducatif, au détriment de la sanction pénale. La réussite de cette réforme nécessite l’adhésion de tous et surtout de tous ceux qui concourent à sa mise en œuvre. Ainsi, monsieur le ministre, pouvez‑vous réaffirmer que la célérité du jugement et l’efficacité de la réponse pénale ne contredisent pas la primauté des mesures éducatives, dans l’intérêt supérieur de l’enfant ?

Mme Naïma Moutchou. Je salue le Gouvernement, qui se saisit d’un sujet difficile mais urgent. Je salue également Jean Terlier et Cécile Untermaier pour leurs travaux très approfondis et très complets. Je voudrais revenir sur les pouvoirs du juge des enfants, qui pourrait ordonner des mesures de détention provisoire sur les mineurs, en attendant qu’ils soient jugés. Il me semble que ce cumul pose question dans la mesure où le juge des enfants peut être amené à statuer comme juge du tribunal pour enfants sur la culpabilité du mineur et sur sa peine. Cela me semble beaucoup pour un seul homme, non pas tant sur le plan matériel qu’intellectuel, puisque cela suppose une sorte de schizophrénie de ce juge à la double casquette. In fine, c’est la question de l’impartialité qui se pose. Je ne juge évidemment pas ab initio ce magistrat, mais il pourrait y avoir une impartialité ressentie, qui pourrait nuire à la conduite du dossier sinon plus, puisqu’il y a parfois des décisions de placement en détention provisoire qui sont motivées comme des jugements de culpabilité. Il nous faut éviter ces écueils, y compris le risque juridique, le Conseil constitutionnel ayant jugé qu’un juge des enfants qui assumait les fonctions d’instruction ne pouvait pas présider ensuite la juridiction du jugement pour ce même mineur. Nous avons besoin d’un garde‑fou.

M. Éric Diard. Monsieur le ministre, le code de justice pénale des mineurs renforce considérablement les pouvoirs du procureur, et ce à chaque étape de la procédure, y compris dans le choix d’un jugement collégial ou à juge unique. Cela reviendrait à peu de choses près à laisser au procureur le choix du juge compétent pour juger un mineur. Or, vous le savez, la collégialité est une meilleure garantie des droits de la défense et de la procédure, sœur jumelle de la liberté, comme vous le disiez sur l’affaire d’Outreau, qui a démontré l’utilité du jugement collégial. Je cite volontairement cette affaire, car vous étiez intervenu en 2006 devant la commission d’enquête de notre assemblée relative aux dysfonctionnements de la justice et vous aviez rappelé des principes qui nous semblent importants dans la discussion de cette ordonnance.

Tout d’abord, vous aviez relevé la proximité du procureur avec le juge du siège, qui doit pourtant être médiateur entre le parquet et la défense. Ce médiateur, dans les faits, est particulièrement proche du procureur : physiquement, car il partage les mêmes locaux mais aussi professionnellement, puisque sans appartenir au même corps, ils appartiennent à la même corporation. Ajoutez à cette proximité la possibilité pour le procureur de choisir si l’affaire sera jugée collégialement ou à juge unique et je vous laisse imaginer les risques que cela fait peser sur la procédure et les droits de la défense. Dans notre système juridique, c’est le procureur qui accuse et le magistrat du siège qui tranche. Laisser le choix de l’arbitre à l’accusateur, c’est vicier la procédure dès son commencement. Aussi ne pensez‑vous pas qu’il faudrait revoir ce point et, éventuellement, contrebalancer cette procédure, en ne permettant au procureur de demander la collégialité que lorsque le principe est le juge unique ? Je conclurai en vous rappelant les mots que vous aviez prononcés le 31 janvier 2006 devant la commission : « On peut renforcer […] les droits […] du parquet tout en renforçant parallèlement les droits de la défense. »

Mme Laurence Vichnievsky. Monsieur le Garde des sceaux, cette ordonnance est restée fidèle aux principes fondateurs de la justice pénale des mineurs : l’atténuation de la responsabilité pénale ; les juridictions spécialisées ; une procédure spécifique ; la primauté de la réponse éducative. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une révolution, même si deux dispositions méritent, à mon sens, d’être soulignées. La première est l’instauration de cette présomption d’irresponsabilité pour les mineurs de 13 ans. Je vous remercie d’avoir rendu simple ce qui est d’ailleurs une confirmation de la jurisprudence. Il faut laisser cette souplesse aux magistrats. La seconde, c’est la réactivité sur laquelle tout le monde s’accorde : il faut réagir vite pour qu’un mineur comprenne mieux. La réponse en deux temps – d’abord la culpabilité, puis la sanction au terme d’une sorte de mise à l’épreuve permettant de mieux l’apprécier – paraît adaptée.

Mais je voudrais revenir sur la primauté de la réponse éducative, qui repose sur le postulat que l’homme est bon naturellement et que, lorsqu’il commet des fautes dans son enfance, cela résulte d’une carence éducative. Cela est vrai très souvent, et je pense aussi qu’il n’y a pas de fatalité. Envisagez‑vous de réfléchir plus tard à l’endroit où placer le curseur entre la réponse éducative et la peine ? Alors que nous parlons beaucoup des policiers en ce moment, je voudrais entendre ce qu’ils ont à vous dire, pour accompagner les mineurs chez le juge des enfants. S’agissant de la double casquette de ce juge, je me souviens de la confusion des mineurs, lorsqu’ils étaient devant le même juge qui parfois intervenait sur le volet de l’assistance éducative et parfois sur celui du répressif. Ils ne comprenaient rien ! Cela mérite une clarification.

M. Thomas Rudigoz. La semaine dernière, j’ai rencontré le président du tribunal judiciaire de Lyon qui m’a fait part de son inquiétude quant au nombre d’affaires non encore jugées en matière de justice des mineurs. Il m’a également fait part de la grande inquiétude – et c’est un euphémisme – de nombre de juges pour enfants et de greffiers face à la difficulté de juger avec deux régimes juridiques. Bien sûr, cela ne relève pas de votre responsabilité et deux causes principales l’expliquent : la grève des avocats puis le confinement. Ils espèrent obtenir un délai avant l’application de la réforme. Mais je vous ai entendu, monsieur le ministre, et la repousser une nouvelle fois ne serait pas raisonnable, puisqu’elle aurait déjà dû s’appliquer. Vous avez annoncé d’importants renforts de juges, de greffiers et de personnels de justice qui permettront d’apporter un soutien à la juridiction des mineurs, qui est la plus touchée par les embouteillages de dossiers. Pourriez‑vous nous préciser quand les juridictions pourront en bénéficier ?

M. Guillaume Vuilletet. Nous avons compris que le texte permettait de préserver les équilibres savamment bâtis et nous vous soutenons dans ce désir. Mais cela est‑il adapté à la réalité singulière des mineurs non accompagnés (MNA) ? Les forces de police et de gendarmerie et la justice semblent très démunies, et beaucoup de maires s’en plaignent. Ces enfants sont dans des états sanitaires et psychologiques absolument effroyables. Leur socialisation passe par les bandes et le trafic, ce qui est monstrueux. L’armée, dans leur cas, ne peut être une solution. Sans doute ce texte n’est‑il pas le lieu de prendre des mesures spécifiques, qui souvent ne sont pas de nature législative, mais en quoi permettra‑t‑il de mieux gérer cette réalité ?

M. Éric Ciotti. Monsieur le ministre, le texte comporte des avancées intéressantes, qui vont sans doute dans le bon sens, notamment pour ce qui est de la codification. Mais je ne suis pas certain qu’il s’exonère des difficultés qui ont marqué la mise en œuvre de l’ordonnance de 1945 et de son caractère un peu naïf au regard de l’évolution de la délinquance des mineurs. Vous avez cité le chiffre de 2 % de récidives qui m’a laissé extrêmement sceptique. Vous ne devez pas prendre en compte les réitérants, car ce chiffre semble en total décalage avec ce que les acteurs de terrain constatent : une délinquance des mineurs plus précoce, plus violente et plus fréquente. Je regrette que vous ne changiez pas l’âge de la majorité pénale et que les principes que rappelait Laurence Vichnievsky et qui traduisent peut‑être pour moi la faiblesse de la situation actuelle soient maintenus. Vous avez évoqué l’apurement des stocks. Cela signifie‑t‑il que vous êtes en train de mettre en œuvre une vaste loi d’amnistie pour les délinquants mineurs par le biais de ce dispositif ? Cela m’inquiète.

M. Jean-François Eliaou. Je vais revenir sur la question posée par mon collègue Guillaume Vuilletet concernant une petite proportion de délinquants, mineurs non accompagnés. Nous menons une mission d’information sur les problématiques de sécurité associées à la présence sur le territoire de mineurs non accompagnés. Les auditions que j’ai organisées avec mon collègue Savignat, corapporteur, ont mis en lumière les difficultés d’application de l’ordonnance de 1945. Les professionnels, la justice et les forces de l’ordre sont désemparés face aux récidives et réitérations de ces mineurs. Le présent projet de loi constitue-t-il un début de réponse ? Si ces problèmes sont quantitativement peu nombreux, ils sont sévères dans certaines métropoles, comme Paris, Montpellier ou Bordeaux.

Mme Danièle Obono. Il s’agit davantage d’une réaction aux propos de M. le ministre que d’une question. La France insoumise n’a pas participé au groupe de contact, dont tant de gens se félicitent, car nous considérons qu’il visait surtout à essayer d’effacer l’affront fait au Parlement. Il s’agissait de faire oublier la méthode brutale et méprisante utilisée par l’ancienne ministre Belloubet. L’objectif de la plupart de ces prétendues « concertations » avec le Parlement est plutôt d’avaliser les décisions prises par le Gouvernement. Les échanges de cette fin d’après-midi l’illustrent…

Mais il ne s’agit pas ici que de La France insoumise puisque l’opposition des professionnels de la protection de l’enfance est très large. Ainsi, une tribune, signée par plus de deux cents personnalités et organisations, est parue aujourd’hui et les oppositions s’expriment depuis plus d’un an, malgré les mesures égrenées par le ministre. Pourquoi ? Car le tournant sécuritaire, en marche depuis plusieurs années, s’impose au détriment de l’éducatif, comme nos débats budgétaires l’avaient déjà souligné, avec la priorité donnée aux centres éducatifs fermés.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Les mineurs non accompagnés (MNA) sont aussi des mineurs. Ils sont donc évidemment concernés par le code de justice pénale des mineurs. Mais ne nous trompons pas de sujet, il s’agit d’une problématique à part entière. M. Savignat, comme M. Eliaou le savent bien Nous allons prochainement nous rendre au Maroc ensemble pour essayer, enfin, d’obtenir le règlement de cette question. Même si l’expression n’est pas des plus élégantes, il ne faut pas que ce sujet vienne « polluer » nos débats.

Monsieur Diard, vous plaidez pour une révolution, que j’appelle aussi de mes vœux : la séparation du siège et du parquet. Mais vous savez bien que ce n’est pas l’objet de nos débats. Vous avez rappelé mes propos, très anciens : alors que j’étais avocat, lors de mon audition devant la commission d’enquête parlementaire après le cataclysme d’Outreau, j’étais déjà favorable à la séparation du siège et du parquet. Je n’ai pas bougé d’un millimètre.

Mais ce n’est pas à l’ordre du jour et il faudrait une réforme constitutionnelle. En outre, et cela ne changera pas, le procureur reste à l’initiative des poursuites et il y a un juge des enfants. Vous évoquez la collégialité. Elle existe parfois, mais le rapport entre le mineur et le juge des enfants peut également être direct. Cela rend d’ailleurs les échanges très intéressants car, je vous le rappelle, on ne juge évidemment pas un gamin comme on juge un adulte.

Madame Avia, bien entendu, la réponse pénale n’est absolument pas antinomique avec la primauté des mesures éducatives. Il faut faire confiance au juge. Nous reviendrons sur la présence de l’avocat dans la procédure – ce n’est pas rien – car il a aussi un rôle de proposition. Certains journaux parlent d’un projet de loi ultra-répressif. C’est faux. Bien au contraire ! M. Ciotti me taxera peut-être de naïveté – vous avez eu raison de ne pas utiliser le qualificatif d’« angélique ».

Comment la justice des mineurs va-t-elle recevoir ce texte et le mettre en œuvre ? Des moyens y sont alloués, dès maintenant. De nombreuses demandes sont parvenues à la Chancellerie, parmi les 914 demandes de renforts, certaines, qualifiées de « sucres rapides » seront satisfaites dès janvier : des magistrats supplémentaires, les quatre-vingts nouveaux intervenants de la PJJ, etc.

En outre, j’ai demandé par circulaire à ce que l’on « épure » les stocks. Il ne s’agit pas d’une loi d’amnistie, mais de s’interroger : que faire si un mineur, dont la procédure a débuté il y a trois ans, s’est réinséré ? Que faire si le mineur a été condamné pour des faits plus récents ? Que faire si les mesures provisoires ont été suffisantes ? Que faire si les victimes ont été indemnisées ?

M. Éric Ciotti. J’évoquais les autres hypothèses, lorsque la situation s’est dégradée.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Je vous rassure, même si je pense que vous n’aviez pas réellement d’inquiétudes, les autres hypothèses seront traitées puisqu’il ne s’agit pas d’une loi d’amnistie. Les services vont aider les juridictions les plus fragiles et les plus demanderesses et expliquer que cette procédure a vocation à s’appliquer.

Le stock est endémique dans la justice. C’est particulièrement vrai pour les mineurs puisque la mise en examen n’était enserrée dans aucun délai. Si nous attendons qu’il n’y ait plus de stock pour voter une réforme de la procédure, nous n’en voterons aucune !

Je le répète, nous avons fait des efforts budgétaires, les services sont à la disposition des juridictions, nous disposons d’outils pour déstocker certaines affaires qu’il n’y aurait plus aucun sens de juger du fait des délais. C’est une question de pragmatisme et de bon sens.

Madame Vichnievsky, je vous remercie de rappeler que la présomption est conforme à la jurisprudence. Le juge de l’assistance éducative a une connaissance approfondie du mineur. Le cadre est donc différent – il y a d’ailleurs un avocat – et la procédure plus formelle. Ce juge est le plus à même d’individualiser la réponse pénale.

J’ai entendu vos propos et les prends d’autant plus en considération que vos constats sont issus de votre expérience professionnelle. Mais les juges des enfants qui m’entourent n’ont pas forcément le même point de vue. Le juge a vocation à tout examiner et il est plus compétent s’il a les deux volets.

Mme Moutchou me pose une question intéressante : avons-nous un problème d’inconstitutionnalité ? Ce qui est contraire au principe d’impartialité, c’est d’accomplir des diligences utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et, ensuite, de juger. Ce serait le cas si le juge d’instruction venait à juger celui qu’il a renvoyé devant le tribunal correctionnel. Pour reprendre l’expression de Robert Badinter, si c’était le cas, il serait alors Maigret et Salomon. En l’espèce, nous ne sommes pas dans cette situation et il n’y a donc absolument aucun risque d’inconstitutionnalité. J’y reviendrai à l’occasion de l’examen des amendements.

Sur les renforts d’effectifs, j’ai répondu. C’est immédiat. Je peux vous transmettre le détail des affectations si vous le souhaitez. Nous sommes même un peu victimes de notre succès : on nous en demande encore plus, mais nous avons finement réparti en fonction des besoins des juridictions dès les premières annonces. Il s’agit de 2 450 personnels supplémentaires, comprenant des emplois pérennes, et d’autres qui ne le sont pas.

Madame Brocard, nous tenons à ce que cette réforme ne soit pas lettre morte. L’IGJ et les services de l’administration sont très mobilisés : nous disposons d’outils visant à faciliter l’apurement des stocks ; l’inspection apporte son soutien méthodologique aux juridictions qui le demandent ; la DPJJ et la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) font le tour des cours d’appel pour diffuser et expliquer les outils mis à disposition.

Vous m’avez également interrogé sur les centres éducatifs fermés (CEF) comme alternative à l’incarcération dans un cadre éducatif renforcé. Je rappelle que, dans ces structures, on compte vingt-six éducateurs pour douze mineurs. Je suis très impressionné par le travail réalisé.

Il ne faut pas confondre la récidive et la réitération : nous comptons 2 % de récidive et 16 % de réitération, d’où l’intérêt de juger en une seule fois, même si les faits sont différents. C’est une des mesures importantes : la recherche de culpabilité fait l’objet de la première phase, puis le jugement et le prononcé de la peine interviennent dans un délai maximal de neuf mois. Si, dans l’intervalle, d’autres faits sont commis, ils constitueront un seul dossier.

Madame Obono, que dire, si ce n’est que cette réforme n’est pas répressive et sécuritaire…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Merci, monsieur le Garde des sceaux.

La réunion se termine à 19 heures 45.

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Information relative à la Commission

La Commission a désigné M. Xavier Breton rapporteur d’application sur la proposition de loi visant à réformer l'adoption (n° 3161).


Membres présents ou excusés

 

En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.