Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 Examen du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs (n° 2367) (M. Jean Terlier, rapporteur).              2

 

 

 


Mardi
1er décembre 2020

Séance de 21 heures

Compte rendu n° 33

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente
 

 


—  1  —

La réunion débute à 21 heures 05.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission examine le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs (n° 2367) (M. Jean Terlier, rapporteur).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, avant d’aborder l’examen des amendements, je souhaite vous donner quelques indications sur l’organisation de nos travaux. Considérant qu’il serait absurde de vous proposer de ratifier une ordonnance avant de vous demander si vous souhaitez la modifier, j’ai décidé que nous allions procéder de la façon suivante : nous allons d’abord examiner les amendements portant article additionnel visant à modifier le code de la justice pénale des mineurs annexé à l’ordonnance, puis vous vous prononcerez sur les articles de l’ordonnance et, enfin, sur l’article unique du projet de loi, qui a pour objet de ratifier celle-ci.

Personne ne s’y oppose ? En conséquence, l’examen de l’article unique est réservé jusqu’à la fin de la discussion des amendements portant article additionnel.

Après l’article unique : Code de la justice pénale des mineurs (annexe)

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL76 de M. Ugo Bernalicis et CL25 de M. Stéphane Peu.

M. Ugo Bernalicis. L’amendement CL76 tend à inscrire dans le code de la justice pénale des mineurs les principes fondamentaux de la justice des mineurs tels qu’énoncés dans l’ordonnance de 1945. Il est ainsi proposé que, dans l’article préliminaire de l’ordonnance du 11 septembre 2019, il soit fait référence à l’exposé des motifs de l’ordonnance du 2 février 1945, que soit rappelée la fidélité aux principes énoncés par la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989, signée par la France le 26 janvier 1990 et ratifiée le 11 août 1990, ainsi qu’à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en particulier son article 24, relatif aux droits de l’enfant, et que soient réaffirmés les principes fondamentaux de la justice des mineurs reconnus par les lois de la République : l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs, la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité – c’est-à-dire faire primer l’éducatif sur le répressif – et le prononcé de sanctions par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées.

M. Jean Terlier, rapporteur. Votre amendement me semble en partie satisfait puisque les principes fondamentaux de la justice des mineurs, que vous proposez de réaffirmer dans l’article préliminaire, y figurent déjà. Quant à votre référence à la Convention internationale des droits de l’enfant, je doute qu’elle soit pertinente dans la mesure où cette convention est d’effet directe. Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux, ministre de la justice. L’article préliminaire reprend déjà les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et consacrés par le Conseil constitutionnel. Les grands principes de l’ordonnance de 1945 sont repris dans le code de la justice pénale des mineurs et en irriguent absolument toutes les dispositions. La référence au préambule de l’ordonnance de 1945 est inscrite en ouverture du rapport au Président de la République, qui tient lieu d’exposé des motifs de la présente ordonnance. Enfin, le code de la justice des mineurs s’inscrit dans la hiérarchie des normes ; les références aux textes européens et internationaux ne sont donc pas nécessaires.

Pour ces différentes raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Si je comprends bien, vous êtes défavorable à l’amendement parce que son contenu, sur lequel vous êtes d’accord, figure déjà dans le texte. Mais si tel était le cas, l’amendement n’aurait pas été jugé recevable.

Comme beaucoup, pour ne pas dire la totalité de nos amendements, celui-ci a été rédigé avec le Collectif des enfants, qui regroupe l’ensemble des professionnels et personnels qui accompagnent les enfants, dont la liste figure dans l’exposé sommaire. Si ce collectif juge important de rappeler dans l’article préliminaire les principes fondamentaux de la justice des mineurs, c’est parce que le nouveau code de la justice pénale des mineurs prévoit, sans qu’il s’agisse forcément de mesures nouvelles, des dérogations au principe de spécialisation de la justice des mineurs qui sont problématiques. Si nous fixions des principes clairs dès le départ, nous pourrions ensuite les décliner et tomber d’accord sur ce qu’il convient de faire sur le fond.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle examine les amendements identiques CL74 de M. Ugo Bernalicis et CL241 de M. Jean-Michel Clément.

M. Ugo Bernalicis. Par l’amendement CL74, nous nous opposons à la rédaction de l’article préliminaire du nouveau code de justice pénale des mineurs, qui traduit, selon nous, la logique répressive choisie par le Gouvernement, notamment la Garde des sceaux précédente, au détriment des principes de l’ordonnance de 1945 qui, dans son esprit, accorde la primauté aux mesures éducatives ou de protection.

Il vous est ainsi proposé de réécrire cet article, pour y substituer les notions d’enfants et d’adolescents à celle de mineurs. De fait, les travaux des pédopsychiatres le montrent, la notion d’enfance n’a pas grand-chose à voir avec celle de minorité juridique. Je conviens néanmoins qu’il est nécessaire de fixer un âge ; nous proposerons d’ailleurs d’instaurer une présomption irréfragable d’irresponsabilité pénale pour les enfants âgés de moins de 14 ans.

Il est nécessaire de revenir à l’esprit de notre droit pénal tel qu’il a été conçu par le législateur de 1945, qui estimait : « Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance et parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. C’est là l’objet de la présente ordonnance, qui, tout en respectant l’esprit de notre droit pénal, accentue en faveur de l’enfance délinquante le régime de protection qui inspire par tradition la législation française. »

Au demeurant, ce n’est pas uniquement une question de tradition. Si l’on a affirmé ces principes en 1945 et si on les a appliqués depuis, c’est parce que donner la primauté à l’éducatif sur le répressif, cela fonctionne. Nous nous inscrivons donc dans cette logique, que nous souhaitons pousser plus loin que l’état du droit actuel et, bien entendu, que la codification que vous nous proposez.

M. Jean-Michel Clément. J’ajoute à l’argumentation de M. Bernalicis, à laquelle je souscris, que l’utilisation des mots « enfants » et « adolescents » ne relève pas uniquement de la sémantique. De fait, certains individus auxquels nous avons affaire sont plus proches de l’enfance que de la minorité en tant qu’elle s’oppose à la majorité. Ces notions ont une connotation qui me semble correspondre davantage à l’aspect éducatif dont il sera question tout au long de notre débat. En effet, si l’on parle de la justice des mineurs, on parle d’éducation à propos des enfants et des adolescents.

M. Jean Terlier, rapporteur. Monsieur Bernalicis, l’article préliminaire reprend bien les principes fondamentaux de l’ordonnance de 1945, notamment la primauté de l’éducatif sur le répressif.

Sur l’emploi des mots « enfants » et « adolescents », je suis d’accord avec M. Clément : il ne s’agit pas uniquement de sémantique. Toutefois, je suis défavorable à la suppression du mot « mineur », car il s’agit d’une notion juridique déjà présente dans le code pénal et dans le code de l’action sociale et des familles. On ne peut pas employer, pour une même notion, des mots différents : cela risquerait de provoquer un conflit de normes. Il ne me paraît donc pas pertinent de procéder à la modification proposée.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Je ne suis pas insensible aux propos des auteurs des amendements, mais « mineur » est un terme juridique précis qui désigne toute personne n’ayant pas atteint l’âge de 18 ans. À cet égard, les mots « enfants » et « adolescents » ne connaissent pas de définition précise : il n’existe aucun consensus sur les périodes qu’ils recouvrent. Pour le reste, la référence aux mesures renvoit sans ambiguïté aux mesures éducatives et aux mesures de sûreté. Comme l’a très justement indiqué M. le rapporteur, l’article préliminaire dit tout sur ces questions. Avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier. Nous avons perçu, lors des auditions, une grande sensibilité à cette question. Les amendements sont intéressants, car ils me semblent avoir leur place dans l’article préliminaire, qui est explicatif et donne une respiration au texte. Il serait donc souhaitable que nous réfléchissions, d’ici à la séance, à une rédaction qui s’intègre mieux dans cet article. Vous avez raison, monsieur le ministre, il faut conserver la notion très claire de minorité, mais nous aurions intérêt à rappeler, de manière pédagogique et sans pour autant faire preuve d’angélisme, que ce code concerne d’abord des enfants et des adolescents.

M. Jean-Michel Clément. Monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, je suis d’accord avec vous : il est difficile de se passer de la notion juridique de minorité. Mais on voit parfois arriver dans les centres éducatifs fermés, qui sont censés accueillir des jeunes de 16 à 18 ans – dont on pourrait penser que ce sont véritablement des mineurs –, des mômes de 14 ans et demi ou 15 ans ; ce sont des enfants, avant d’être des mineurs. Je le dis avec mon cœur, car c’est ce que je vis au quotidien avec les enfants auprès de qui je m’engage.

M. Ugo Bernalicis. L’article préliminaire fixe un cadre général de pensée, une orientation politique, y compris au sens philosophique. Si l’on entreprend cette codification, on doit le faire à la lumière de ce que l’on connaît aujourd’hui et que l’on ne connaissait pas en 1945 – oui, l’état de la science a évolué dans ce domaine. On doit donc pouvoir utiliser la terminologie que nous proposons pour prendre en considération une réalité qui dépasse la distinction entre minorité et majorité. D’ailleurs, le volet éducatif et les mesures civiles concernent des personnes âgées de plus de 18 ans, parce que cela semble logique et cohérent.

Je m’inquiète un peu, car nous en sommes à peine à l’article préliminaire. Cela ne vous coûterait pas grand-chose d’y ajouter ces termes, auxquels tiennent, je le rappelle, les organisations que j’ai évoquées tout à l’heure. Si vous envoyez un signal qui indique la direction que vous donnez et que vous assumez, et qui traduit votre accord avec nous, cela peut être positif pour la suite de nos débats.

M. Stéphane Peu. La notion de mineur renvoie à l’état civil ; celle d’enfance est davantage empreinte d’humanité, ce qui n’est pas rien. Ce n’est pas rien non plus d’utiliser les mêmes mots que ceux qui figurent dans les textes internationaux auxquels nous sommes censés nous référer, qu’il s’agisse de la Convention internationale des droits de l’enfant ou de l’article de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne relatif aux « droits de l’enfant ». Du reste, on parle du juge des enfants. L’expression « justice des enfants » ne traduit pas la même humanité, donc le même état d’esprit, que l’expression « justice des mineurs », qui ne renvoie qu’à un état civil ou juridique.

Mme Alexandra Louis. Ce débat est très intéressant ; nous l’avons eu souvent lors des auditions. J’ai écouté attentivement ce qu’ont dit mes collègues à propos de la référence aux conventions internationales et de leur souci d’humaniser ces dispositions, mais les mots « enfant » et « mineur » figurent dans le texte. Quant à la distinction entre enfant et adolescent, elle me semble poser problème sur le plan juridique. Outre que le mot « enfant » renvoie également au droit des successions, on peut se demander si cette distinction sémantique ne conduira pas, un jour, à établir une distinction en droit alors que les principes fondamentaux s’appliquent à tous. Enfin, si vous me permettez ce trait d’humour, on peut aussi parler de minot, comme à Marseille.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. J’ai bien compris qu’il s’agissait d’amendements de cœur, puisque le mot a été prononcé. Mais personne, en la matière n’a le monopole du cœur et nous sommes évidemment tous d’accord sur le fait que ce sont des enfants qui sont ici jugés.

Ces amendements soulèvent un premier problème : il existe des adolescents de 18 ans et demi.

M. Erwan Balanant. Et même de 50 ans !

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. C’est un rêve que vous caressez…

Outre qu’ils nécessiteraient d’élaborer une nouvelle définition juridique, le Conseil constitutionnel, pardon de vous le dire, utilise le mot « mineurs ». Quant à la symbolique dont vous craignez tant la disparition, elle est déjà dans le code : on ne parle pas de juge des mineurs, mais bien de « juge des enfants » et de « tribunal pour enfants ».

Pardon de ne pas recevoir cet appel du cœur, mais je suis défavorable à vos amendements, pour des raisons purement techniques.

La Commission rejette les amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL230 de Mme Alexandra Louis, CL182 de Mme Cécile Untermaier et CL75 de Mme Danièle Obono.

Mme Alexandra Louis. Nous sommes particulièrement attachés à cet amendement CL230 puisqu’il vise à intégrer dans l’article préliminaire l’intérêt supérieur de l’enfant, consacré par l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant. Ce principe, qui est également protégé par l’article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, est d’application directe en droit interne. En outre, dans une décision du 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel se fonde sur les alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946 pour imposer une obligation constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Ce principe, pierre angulaire du droit des mineurs, a toute sa place dans le projet de code, au même titre que les principes de la primauté de l’éducatif, de la spécialisation de la justice des mineurs et de l’atténuation de la responsabilité pénale en fonction de l’âge.

Mme Cécile Untermaier. Par l’amendement CL182, nous proposons que l’article préliminaire soit complété par une phrase ainsi rédigée : « Dans toutes les décisions, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. » Nous reprenons ici les termes de l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant, adoptée le 20 novembre 1989, signée par la France en janvier 1990 et ratifiée en août de la même année.

Du reste, le législateur a jugé utile de mentionner à plusieurs reprises le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le code. Il nous paraît donc important d’inscrire dans son article préliminaire ce principe qui doit guider les décisions, au même titre que les grands principes de l’ordonnance de 1945.

M. Ugo Bernalicis. L’amendement CL75 vise à compléter l’article préliminaire par les deux phrases suivantes : « Un enfant ou un adolescent s’entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans. L’intérêt supérieur de l’enfant est une considération primordiale pour tout acte ou décision concernant les enfants. »

L’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas forcément celui du mineur. Nous proposons donc de résoudre l’équation à droit constant. Le débat pourrait nous emmener très loin : faut-il aller jusqu’à 18, 19 ou 20 ans ? Faut-il prévoir une prise en charge spécifique pour les jeunes majeurs ? Mais tenons-nous en à cette définition : l’enfant est un être humain âgé de moins de 18 ans.

Tout à l’heure, Mme Louis a exprimé sa crainte qu’apparaissent différentes catégories de mineurs. Pardon, mais notre droit comporte déjà des dispositions spécifiques pour les mineurs de plus de 16 ans ou de plus de 13 ans, par exemple. Je suis d’ailleurs favorable à la suppression de ces barrières pour assurer le plus haut niveau de protection à tout enfant de moins de 18 ans.

M. Jean Terlier, rapporteur. Monsieur Bernalicis, la formule : « Un enfant ou un adolescent s’entend de tout être humain âgé de moins de 18 ans » ne me paraît adéquate. En revanche, je suis assez sensible aux amendements de Mmes Louis et Untermaier sur l’intérêt supérieur de l’enfant. Cependant, je suis un peu gêné pour émettre un avis, car j’ai moi-même déposé un amendement visant à rappeler ce principe à l’article L. 11-2. Je souhaiterais donc entendre au préalable M. le ministre sur ce point.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à l’amendement CL75 qui, en réalité, est double puisqu’il vise, d’une part, à définir les notions d’enfant et d’adolescent et, d’autre part, à rappeler le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, dans l’article préliminaire.

Quant aux amendements visant à inscrire le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant dans cet article, je ne suis évidemment pas insensible à la question. Mais je proposerai à leurs auteurs de les retirer afin d’aboutir à une rédaction compatible avec les exigences constitutionnelles, l’intérêt de l’enfant – qui doit toujours être pris en compte, même s’il ne fait pas partie des principes fondamentaux des lois de la République – devant bien entendu être concilié avec l’intérêt de la société et des victimes. Je vous suggère donc le retrait et vous fais une promesse.

M. Jean Terlier, rapporteur. Merci, monsieur le ministre. Nous allons certainement réconcilier M. Bernalicis avec ce texte en reprenant le principe du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Je demande également le retrait des amendements pour y retravailler d’ici à la séance publique.

Mme Laetitia Avia. Je tiens à rappeler l’attachement du groupe LaREM à l’inscription de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le texte. Sans revenir sur les arguments d’Alexandra Louis, qui travaille beaucoup sur cette question en tant que coprésidente du groupe d’études sur les droits de l’enfant, je tiens à souligner que le rappel de ce principe très important ne soulève pas de difficultés techniques, à la différence des amendements précédents.

En ce qui concerne sa constitutionnalité, j’ai défendu une proposition de loi qui comportait des dispositions relatives aux mineurs dans lesquelles le Gouvernement a tenu à insérer la notion d’intérêt supérieur de l’enfant, laquelle est également évoquée, me semble-t-il, dans la proposition de la loi relative à l’adoption. J’espère donc que nous pourrons aboutir à une rédaction satisfaisante, ne serait-ce que pour assurer la cohérence des différents textes que nous soutenons.

M. Antoine Savignat. Mon intervention lors de la discussion générale n’a probablement pas été suffisamment claire. Mon propos était de rappeler que la justice des mineurs devait être d’abord sociale, éducative et accompagnatrice. En inscrivant dans le texte la notion d’intérêt supérieur de l’enfant, nous nous achèterions une bonne conscience alors qu’il y va, dans le code de la justice pénale des mineurs, de l’intérêt de la société. Lorsque nous aurons le temps de rédiger un code de l’assistance éducative et de la protection des mineurs comportant des mesures destinées à éviter le recours à la justice pénale, alors nous pourrons évoquer l’intérêt supérieur de l’enfant. Aujourd’hui, ce n’est ni le lieu ni le sujet.

M. Ugo Bernalicis. La formule : « Un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de 18 ans » n’est pas très originale : il s’agit d’un copier-coller de l’article 1er de la Convention internationale des droits de l’enfant, auquel nous avons ajouté, c’est vrai, le mot « adolescent ». Si nous souhaitons l’inscrire dans l’article préliminaire, c’est parce que, notre droit établissant des distinctions en fonction de l’âge – 16 ans, 18 ans… –, il convient d’éviter tout malentendu en précisant que l’intérêt supérieur de l’enfant concerne tous les enfants, jusqu’à l’âge de 18 ans au moins.

M. Erwan Balanant. J’ai renoncé, pour ma part, à déposer un amendement relatif à l’intérêt supérieur de l’enfant car, la semaine dernière, lors de l’examen de la proposition de loi relative à l’adoption, on nous a expliqué, avec force démonstrations juridiques, qu’une telle précision était inutile. Nos échanges me conduisent à penser que nous devrions corriger la proposition de loi sur ce point. Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant est issu de la Convention internationale des droits de l’enfant, et il est vrai que sa traduction en français a parfois fait débat. Néanmoins, il me paraît important de l’inscrire dans le texte, ainsi que dans tous les textes relatifs à l’enfant.

Mme Alexandra Louis. Je remercie M. le ministre pour sa réponse. Nous sommes très attachés à l’intérêt supérieur de l’enfant et avons bien noté l’engagement de retravailler l’amendement en vue d’aboutir à une rédaction satisfaisante en séance. Je rappelle toutefois que l’article est déjà d’application directe en droit interne et que le Conseil constitutionnel s’est également prononcé sur ce principe.

Cher collègue Bernalicis, si j’entends très bien votre préoccupation, les âges de 13 et de 16 ans sont des éléments objectifs, alors que la notion d’adolescent l’est beaucoup moins. Je retire mon amendement.

Mme Cécile Untermaier. Je remercie M. le ministre pour son écoute.

Par ailleurs, cher collègue Savignat, je ne vois pas pourquoi l’intérêt supérieur de l’enfant tel qu’il figure à la CIDE ne trouverait pas à s’appliquer au travers du code de la justice pénale des mineurs, alors même que l’article 3 de la Convention dispose : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. » Tel est quand même bien le sujet du dispositif que nous étudions. D’ailleurs, plutôt que de le mêler à l’ordonnance de 1945 et à ses principes, il faudrait l’y juxtaposer afin de bien montrer que la temporalité n’est pas la même et qu’il ne s’agit pas du même texte.

Je retire mon amendement en espérant que nous aboutissions à une solution satisfaisante pour les deux groupes.

Les amendements CL230 et CL182 sont retirés.

La Commission rejette l’amendement CL75.

Elle examine l’amendement CL46 de M. Antoine Savignat.

M. Antoine Savignat. L’amendement tend à permettre au juge, en prenant en considération des circonstances de personnalité, de lieu et de gravité des faits, de lever l’excuse de minorité pour les mineurs de plus de 16 ans. Il se situe dans la droite ligne de nos discussions sur la possibilité offerte à des mineurs de plus de 16 ans de participer au processus démocratique et à la vie de notre pays, ce qui implique la compréhension des lois et des codes de la société, et donc la possibilité d’avoir à répondre, évidemment sous le contrôle du juge, de leurs actes, non plus comme des mineurs, mais comme des majeurs.

En fonction des éléments figurant au dossier, le juge pourra décider si, oui ou non, un mineur de plus de 16 ans peut et doit répondre de ses actes devant les juridictions de droit commun. Cette proposition correspond à une situation que rencontrent hélas régulièrement nos juges pour enfants : un chef de bande charismatique et entreprenant, mais mineur, comparaît accompagné de majeurs qui eux répondent des faits qui leur sont reprochés devant le tribunal correctionnel, alors que lui n’en répond que devant les juridictions pour enfants, avec de moindres peines à la clé. Il s’agit certes d’un épiphénomène, mais il faut pouvoir le traiter sans pour autant généraliser la levée de l’excuse de minorité à l’ensemble des mineurs de plus de 16 ans.

M. Jean Terlier, rapporteur. Votre amendement est déjà satisfait par l’article L. 121-7, qui permet au juge d’écarter, en fonction des critères que vous avez évoqués, l’atténuation de la peine pour un mineur de plus de 16 ans. Son insertion au sein de l’article préliminaire me gêne en ce qu’il semble faire de cette dérogation un principe, même si tel n’est pas l’esprit de votre rédaction.

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. La philosophie de ce texte est la protection du mineur, il est donc tout à fait normal que le principe soit l’excuse de minorité. Cela n’empêche pas que le juge a la possibilité de l’écarter aujourd’hui et il l’aura demain. Il serait tout de même curieux et paradoxal que cette loi, qui prétend protéger les mineurs, fixe comme principe qu’un gamin de 16 ans peut être jugé comme un individu de 45 ans !

J’ajoute que votre amendement est contraire à une décision du Conseil constitutionnel du 29 août 2002 et que la suppression de l’excuse de minorité ne serait pas conforme à nos engagements internationaux. Autant de raisons pour lesquelles le Gouvernement y est totalement défavorable.

M. Antoine Savignat. Selon moi, le code de la justice pénale des mineurs a d’abord pour vocation de protéger la société des faits délictueux ou criminels éventuellement commis par les mineurs.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Non, non, non !

M. Antoine Savignat. La protection résulte des mesures et des sanctions prononcées à leur encontre, afin qu’elles aient une fonction éducative plutôt que punitive.

C’est bien une réalité de notre société, à laquelle les magistrats sont confrontés. De la même façon qu’un majeur de 45 ans dont le jugement aurait été altéré au moment de la commission des faits peut se voir déclaré irresponsable pénalement, de la même façon, nous pourrions prévoir qu’un mineur de plus de 16 ans puisse être considéré comme très largement émancipé.

M. Erwan Balanant. Protéger l’enfant est un choix de société, un choix de civilisation même, que nous avons fait il y a très longtemps : l’enfance est un état de la vie d’un homme, il y a un intérêt supérieur à la protéger. Même si un enfant est délinquant, cette délinquance doit être traitée différemment.

Mme Alexandra Louis. L’inversion du principe et de l’exception est assez gênante, et d’abord vis-à-vis de la primauté de l’éducatif sur le répressif. J’ai aussi un problème avec la philosophie qui la sous-tend : parce que l’on aurait commis une infraction, on deviendrait adulte et l’on devrait être traité comme tel. La vertu expressive de la loi pénale est très importante et c’est le message qui serait envoyé.

Juger un mineur est un métier extrêmement difficile. La représentation nationale doit faire confiance à nos magistrats et à nos juges pour enfants. Ce sont des juges spécialisés qui ont l’habitude, qui connaissent bien les mineurs ; ils peuvent, s’ils l’estiment nécessaire, éventuellement écarter l’excuse de minorité.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Je ne partage pas l’avis – qui mérite à tout le moins d’être nuancé – que le code de la justice pénale des mineurs servirait à protéger la société. Ce serait une vraie régression que d’affirmer, dans cette loi censée les protéger, que les mineurs doivent être jugés comme les majeurs. Aux assises, les jurés prêtent serment de ne trahir ni les intérêts de l’accusé, ni ceux de la société qui l’accuse, ni ceux de la victime : c’est à cela que sert un code.

La justice n’est pas de la régulation sociale. De ce point de vue, je suis philosophiquement à des années-lumière de ce que vous venez de dire, monsieur Savignat. En l’occurrence, il s’agit de protéger encore davantage les intérêts de l’accusé parce que c’est un gamin, un enfant ou un adolescent. C’est là le principe, et le réaffirmer, c’est redire à quel point cette loi à venir protégera vraiment les mineurs.

M. Antoine Savignat. Le sens de mon propos n’était absolument pas que l’excuse de minorité soit écartée parce qu’il a commis les faits. Je veux, moi aussi, que l’on fasse confiance aux juges, qu’on les laisse apprécier si, oui ou non, les éléments qui leur sont soumis justifient l’application de l’excuse de minorité.

Mme Alexandra Louis. Ils le font déjà !

M. Antoine Savignat. Monsieur le ministre, je suis bien d’accord avec vous. Le code de la justice pénale des mineurs les protège en ce sens que la sanction qui leur sera appliquée devra être conforme à sa vocation éducative et accompagnatrice. Or cela implique d’avoir passé le stade de la culpabilité : ces mineurs sont bien coupables de faits qui leur sont reprochés par la société.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL166 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. La préoccupation a été exprimée, notamment au sein du groupe de travail, de garantir que le juge des enfants soit compétent tant en matière civile que pénale. L’article préliminaire évoque une juridiction spécialisée sans préciser cette dualité spécifique. Certes, nous sommes dans le cadre d’un texte de justice pénale mais le juge des enfants est un magistrat spécialisé qui a été institué en matière pénale par l’ordonnance de 1945, et ses compétences ont été étendues au domaine civil en 1958.

Il importe que le juge de la protection de l’enfance soit également celui qui sanctionne. L’enfant délinquant est bien souvent un enfant en danger, il est donc de l’intérêt d’une bonne justice que le juge ait une vision globale de la situation. Cette idée a été très souvent développée dans le cadre de la mission d’information sur la justice des mineurs que nous avons menée avec Jean Terlier. Je m’interrogeais sur l’utilité de préciser cette caractéristique particulière.

M. Jean Terlier, rapporteur. Votre amendement est déjà satisfait : le juge des enfants intervient en matière civile afin de protéger les enfants en danger et, en matière pénale, pour apporter une solution aux cas d’enfants délinquants. En outre, l’article préliminaire ne vise qu’à rappeler les grands principes. La notion de juridiction spécialisée qui y figure est ensuite déclinée au livre II du code. La précision ne m’apparaît donc pas utile à ce stade.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. L’avis du Gouvernement est, exactement pour les mêmes raisons, défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Il existe une légère différence entre la spécialisation, par exemple d’un parquetier pour les mineurs, d’un magistrat du siège juge des enfants ou d’un tribunal spécifique, et la concentration dans les mains d’un seul et même juge de l’action civile et pénale. Il pourrait être utile de le rappeler à l’article préliminaire pour ne pas décorréler les deux, et garantir qu’elles ne puissent pas l’être à l’avenir. À cet égard, un code de l’enfance regroupant les mesures civiles et pénales serait beaucoup plus cohérent, et nous sommes nombreux à l’appeler de nos vœux.

Mme Cécile Untermaier. Cet amendement visait également à ce que soit bien rappelé dans le débat parlementaire, à défaut du texte de loi, qu’un code de la justice pénale des mineurs ne peut pas emporter la spécialisation du juge des enfants dans le domaine pénal.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL202 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. Dans son avis sur l’ordonnance que nous sommes en train d’examiner, le Défenseur des droits a précisé que les dispositions de l’article L. 11-2 du code de la justice pénale des mineurs semble tempérer le principe de la primauté de l’action éducative sur l’action répressive, qui anime pourtant l’esprit de l’ordonnance. Pour plus de clarté, il semble opportun d’inscrire explicitement ce principe dès l’article préliminaire.

M. Jean Terlier, rapporteur. Votre amendement est doublement satisfait, d’une part, par l’article préliminaire qui énonce la nécessité de rechercher le relèvement éducatif des mineurs, d’autre part, par l’article L. 11-3 qui dispose : « Les mineurs déclarés coupables d’une infraction pénale peuvent faire l’objet de mesures éducatives et, si les circonstances et leur personnalité l’exigent, de peines ».

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Je m’apprêtais à lire l’article L. 11-3. Avis défavorable, donc.

M. Erwan Balanant. Précisément, cela ne figure qu’à l’article L. 11-3, alors qu’à l’article préliminaire, cela déterminerait l’esprit de tout le reste du code. Souvent, les grands textes – et c’en est un – précisent les choses dans des formules introductives.

M. Jean Terlier, rapporteur. Le principe de la primauté de l’éducatif sur le répressif est bien sous-entendu dans la formulation de l’article préliminaire.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL77 de M. Ugo Bernalicis et CL11 de M. Éric Ciotti.

M. Ugo Bernalicis. L’amendement CL77 tend à repousser jusqu’à 14 ans au lieu de 13 ans l’âge auquel les enfants sont présumés ne pas être responsables des actes qu’ils ont pu commettre, et à rendre cette présomption irréfragable. 

Ce faisant, nous nous alignerions sur les standards européens : en Espagne et en Allemagne, cette présomption est accordée aux enfants de moins de 14 ans, et jusqu’à moins de 18 ans au Luxembourg, avec tout de même possibilité exceptionnelle pour le juge de prononcer des mesures pénales à partir de l’âge de 16 ans. À cet égard, le ministère de la justice présente un tableau très bien fait sur son site.

M. Antoine Savignat. Cette discussion commune est assez surprenante au regard des amendements et de leurs auteurs : alors qu’Ugo Bernalicis propose de faire démarrer la responsabilité pénale à 14 ans, Éric Ciotti suggère de fixer le seuil de la majorité pénale à 16 ans !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Elle n’est pas si surprenante s’agissant d’amendements incompatibles, l’adoption de l’un faisant tomber l’autre.

M. Jean Terlier, rapporteur. Il s’agit de trouver un juste équilibre.

S’agissant de la capacité de discernement, l’Angleterre en a fixé l’âge à 10 ans et les Pays-Bas à 12 ans. Nous reprenons dans le code l’âge de 13 ans, identifié par l’ordonnance de 1945 comme celui en dessous duquel un mineur ne peut être condamné à une peine, placé en garde à vue ou astreint à une mesure de sûreté. C’est une bonne chose.

Quant au caractère irréfragable de la présomption d’irresponsabilité, cela empêcherait le juge d’apprécier, en fonction des éléments de son dossier, s’il l’est vraiment. Le caractère irréfragable nous priverait donc de souplesse.

Je suis, par ailleurs, très défavorable à l’amendement d’Éric Ciotti tendant à fixer la majorité pénale à 16 ans.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Monsieur Bernalicis, nous ne sommes pas du tout d’accord, ni sur la présomption irréfragable, ni sur l’âge de 14 ans. Avis deux fois défavorable.

Le Gouvernement est également défavorable à l’amendement d’Éric Ciotti.

M. Ugo Bernalicis. L’amendement CL77 n’empêcherait pas le juge de tenir compte de la capacité ou non de discernement d’un mineur de 14 ans et un mois, simplement, il ne le pourrait pas en dessous de 14 ans. C’est un postulat qu’ont fait nos voisins et qui porte ses fruits – que je sache, ils n’ont pas connu une explosion de la délinquance des mineurs qui les auraient contraints à revenir en arrière. Cela ne signifie pas, du reste, que jusqu’à 14 ans, on ne peut rien faire ni protéger l’enfant, et c’est justement là qu’intervient la prédominance de l’éducatif sur le répressif.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL13 de M. Éric Ciotti, CL27 de M. Stéphane Peu, CL42 de M. Antoine Savignat, CL165 de Mme Cécile Untermaier, CL26 de Mme Marie-George Buffet, CL197 de M. Erwan Balanant et CL93 de M. Michel Zumkeller.

M. Antoine Savignat. Je vais défendre en même temps les amendements CL13 et CL42, qui tendent à supprimer l’irresponsabilité pénale fixée par le texte avant l’âge de 13 ans.

Les juridictions spécialisées et leurs magistrats sont parfaitement à même d’apprécier la capacité de compréhension, les qualités et les défauts du mineur qui leur est déféré. Nous pouvons leur faire confiance pour apprécier, en connaissance de cause et en conscience, si un mineur de moins de 13 ans peut répondre ou pas des faits qu’il a commis.

Par ailleurs, l’irresponsabilité des mineurs jusqu’à 13 ans pourrait avoir pour inconvénient pratique de dissuader les services de police de mener, compte tenu de sa lourdeur, jusqu’au bout la procédure visant un mineur n’ayant pas atteint cet âge qu’ils auraient interpellé.

M. Stéphane Peu. À travers l’amendement CL27, nous revenons à la discussion que nous avons eue tout à l’heure.

L’article L. 11-1 du code de la justice pénale des mineurs ne pose qu’une présomption simple que l’enfant de moins de 13 ans ne dispose pas du discernement suffisant pour voir sa responsabilité pénale engagée, ce qui implique que cette présomption peut être renversée par le juge. Cela est contraire aux observations adressées en 2009 à la France par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, selon lequel l’âge de la responsabilité pénale ne peut être inférieur à 13 ans. C’est pourquoi nous souhaitons que la présomption soit irréfragable et proposons de supprimer la phrase en question.

En outre, et nous rejoignons en cela Ugo Bernalicis, il nous semble que le seuil retenu devrait être de 14 ans, à l’instar de ce qui se fait chez nos voisins européens – l’Espagne, l’Allemagne, l’Italie –, sans que la délinquance des mineurs explose pour autant.

L’amendement CL26 est de repli : il ne vise pas à modifier l’âge de la responsabilité pénale.

Mme Cécile Untermaier. La commission Varinard avait proposé de fixer un âge de responsabilité pénale à 12 ans, soulignant que cela aurait « l’avantage de rejoindre les préconisations internationales et les seuils habituellement retenus […] dans le monde ». « Avec la fixation à douze ans de l’âge de la responsabilité pénale », poursuivait-elle dans son rapport de 2008, « il ne sera plus nécessaire d’établir que le mineur a agi avec discernement, comme c’est le cas actuellement. Désormais, le mineur de plus de douze ans sera présumé pénalement responsable dans les mêmes conditions qu’un majeur, et son discernement ne sera pas systématiquement évoqué. Au contraire, pour contester sa responsabilité pénale, le mineur devra apporter la preuve de l’absence de discernement au moment des faits. […] Il ne sera plus nécessaire d’établir le discernement du mineur de plus de douze ans qui est présumé. » À l’époque, cela avait fait grand bruit. Nous soutenons, pour notre part, une telle présomption de discernement, mais à compter de l’âge de 13 ans – c’est l’objet de l’amendement CL165.

Par ailleurs, l’article 40 de la CIDE, adoptée en novembre 1989, précise que « les États parties s’efforcent de promouvoir l’adoption de lois, de procédures, la mise en place d’autorités et d’institutions spécialement conçues pour les enfants, et en particulier d’établir un âge minimum au-dessous duquel les enfants seront présumés n’avoir pas la capacité d’enfreindre la loi pénale ». C’est précisément ce que nous sommes en train de faire. Or il me semble que la référence au discernement que l’on veut introduire nierait nos efforts pour nous mettre en conformité avec la Convention internationale des droits de l’enfant et notre volonté partagée d’élaborer un dispositif pénal qui puisse être entendu au-delà de la seule France.

M. Erwan Balanant. L’instauration d’une présomption simple de discernement fixée à 13 ans entraîne une double conséquence. D’une part, les juges pourront estimer que certains mineurs âgés de moins de 13 ans font preuve de discernement, ce qui rendra ceux-ci susceptibles de voir leur responsabilité pénale engagée. D’autre part, à travers le prisme de cette même appréciation casuistique, certains mineurs âgés de plus de 13 ans pourront être considérés comme irresponsables pénalement. Si ce second point est fondamental et doit évidemment être conservé, le premier ne semble pas satisfaire aux exigences de l’intérêt supérieur de l’enfant, principe que nous allons bientôt adopter en séance.

Comme le Défenseur des droits le recommande, et comme Mme Untermaier l’a souligné, il convient que la France se conforme à ses obligations internationales. En février 2016, le Comité des droits de l’enfant de l’Organisation des Nations unies a déploré, dans ses observations finales relatives au cinquième rapport périodique de la France sur l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant, « le manque de progrès » dans la mise en œuvre de ses précédentes recommandations, notamment celle de fixer un âge minimum de la responsabilité pénale.

C’est pourquoi, par l’amendement CL197, je propose d’appliquer une présomption irréfragable de non-discernement jusqu’à 13 ans. Cela nous permettrait de surcroît de nous aligner sur plusieurs autres États européens, une telle convergence de nos droits positifs n’étant pas, en soi, inintéressante.

M. Michel Zumkeller. Nous pensons, nous aussi, et c’est le sens de l’amendement CL93, que 13 ans doit être un âge pivot en dessous duquel, par présomption irréfragable, on ne doit pas pouvoir être poursuivi pénalement. Cela nous mettrait en conformité avec les pratiques adoptées par nos voisins européens. On ne peut pas, d’un côté, dire, comme l’a fait M. le ministre, que nombre de travaux ont été effectués sur le sujet, notamment de la part de commissions, et, de l’autre côté, balayer leurs conclusions d’un revers de la main !

M. Jean Terlier, rapporteur. Sur ce point important, j’ai déjà dit que l’âge de 13 ans nous semblait plus conforme à ce que prévoyait l’ordonnance de 1945.

Reste la question de la présomption simple ou irréfragable. L’introduction de la notion de présomption simple me semble en réalité très positive, car deux mineurs de 13 ans n’auront pas nécessairement la même maturité : l’un pourra faire preuve de discernement et l’autre, non. Si l’on retient la présomption irréfragable, on ne pourra faire aucune différence entre les deux : à 13 ans et 1 mois, on sera censé faire preuve de discernement.

M. Erwan Balanant et M. Ugo Bernalicis. Mais non !

M. Jean Terlier, rapporteur. Mais si ! Une irréfragabilité à géométrie variable, cela n’existe pas !

M. Michel Zumkeller. C’est la même chose pour la limite à 16 ans !

M. Jean Terlier, rapporteur. La présomption simple, c’est plutôt sain. La spécialisation des juridictions permettra au juge des enfants d’apprécier concrètement la maturité de l’enfant et d’évaluer si celui-ci fait preuve ou non de discernement – peu importe l’âge minimal retenu. Il est important qu’une telle discussion ait lieu ; or la présomption irréfragable l’empêcherait.

M. Michel Zumkeller. Et comment font nos voisins ?

M. Jean Terlier, rapporteur. Ce que vous proposez va en réalité à l’encontre de ce que vous souhaitez. Avis défavorable sur l’ensemble des amendements.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. C’est effectivement le point névralgique du débat.

D’abord, il ne faut pas se tromper sur les mots : ce dont il est ici question, ce n’est pas l’irresponsabilité pénale, c’est la capacité de discernement.

Comment fixer un âge en la matière ? C’est extrêmement compliqué. Le seuil retenu varie suivant les pays. Nous proposons 13 ans, mais j’entends qu’on puisse préférer 12 ou 14 ans. Ce que prévoit la Convention internationale des droits de l’enfant, dans son article 40 que Mme Untermaier a déjà cité tout à l’heure, c’est l’obligation « d’établir un âge minimum au-dessous duquel les enfants seront présumés n’avoir pas la capacité d’enfreindre la loi pénale ». Il s’agit donc, non pas d’une présomption irréfragable, mais d’une présomption simple.

On présente, encore une fois, les choses de façon un peu manichéenne en disant : « En dessous de 13 ans, il ne doit rien y avoir ; dans le cas contraire, ce serait un texte répressif. » Nous envisageons pourtant, les uns et les autres, cette loi comme s’inscrivant dans le principe essentiel de la protection de l’enfant, et non de la sanction ou de la répression.

Pour ma part, je pense qu’il peut ne pas être inutile de rappeler sa responsabilité pénale à un gamin de 12 ans dès lors qu’il est doté d’une capacité de discernement. Il ne s’agit pas de le réprimer ou de le sanctionner ; c’est pour lui-même que c’est utile. Si la présomption est irréfragable, alors il n’y a plus de responsabilité pénale et on ne peut prendre que des mesures éducatives. Je suis contre cette idée, car il est parfois nécessaire de mettre un gamin face à sa responsabilité pénale. Il est nécessaire, dans son cheminement, de lui rappeler un certain nombre de règles sous une forme pénale. Si on ne le fait pas, on ne lui fait pas du bien – si vous me passez l’expression.

Sur ces questions, il ne faut pas être dogmatique ou avoir une approche idéologique. Je le répète : il ne s’agit pas ici de répression. Le juge agira à l’aune de la protection de l’enfant – on peut lui faire confiance pour cela. Il faut lui laisser une certaine latitude. Tout cela est une question d’appréciation, d’analyse. Un gamin de 12 ans peut avoir besoin qu’on lui rappelle, dans le cadre pénal, un certain nombre de choses. Certains sont, à cet âge, plus mûrs que d’autres à 15 ans. Personnellement, je ne serais pas choqué qu’une mesure pénale soit adressée à un gamin de 12 ans si l’on estime qu’il est capable de la recevoir et, surtout, si elle est indispensable pour lui. C’est pourquoi je suis défavorable à ces amendements : il serait quand même dommage qu’on ne puisse pas le faire en raison d’une rigidité idéologique – car j’entends bien la petite musique qui court : « La répression, encore la répression, toujours la répression ». Je le répète, le principe fondamental qui sous-tend ce texte, c’est la protection de l’enfance, grâce à l’intervention d’un juge spécialisé dont c’est le cœur de métier. On peut difficilement considérer que les juges des enfants sont ultra-répressifs ; j’en ai souvent rencontré dans mon parcours professionnel, et je crois qu’on peut leur accorder le bénéfice de l’expérience et de l’humanité. Laissons un peu de souplesse aux acteurs de terrain !

Mme Cécile Untermaier. Pas trop non plus…

M. Erwan Balanant. Je suis plutôt d’accord avec votre argumentation, monsieur le Garde des sceaux, et je vous proposerai peut-être de retravailler mon amendement en vue de la séance. Dans mon rapport sur le harcèlement scolaire, je vais, d’une certaine manière, dans votre sens puisque je propose d’instituer un délit pénal de harcèlement scolaire. Le code pénal, c’est ce qui protège la société et définit les interdits ; or définir des interdits est peut-être l’un des principaux fondements de l’éducation – je vous rejoins sur ce point.

Monsieur le rapporteur, la présomption irréfragable concerne uniquement les moins de 13 ans. Au-dessus, on peut très bien appliquer la présomption simple : l’important, c’est l’effet de cliquet.

Je propose donc de modifier mon amendement en ne retenant que la phrase relative aux mesures d’assistance éducative. L’incrimination pénale serait possible, mais les mesures ne pourraient être qu’éducatives pour les moins de 13 ans. Ne serait-ce pas une solution de compromis intéressante ?

Mme Alexandra Louis. C’est déjà le cas !

Mme Laetitia Avia. À chaque fois qu’il est question d’un âge limite ou qu’il faut fixer un seuil, on a le même débat ! On se demande quel est le bon âge ou le bon seuil – précisément parce que cela provoque ce qu’on appelle un effet de seuil. Or l’avantage de la rédaction qui nous est proposée, c’est que, posant le principe d’une présomption simple, elle fait sauter l’effet de seuil.

M. Stéphane Mazars. Exactement !

Mme Laetitia Avia. N’oublions pas qu’il s’agit d’une matière extrêmement sensible, qui requiert d’être au plus près du terrain. Il faut que les juges puissent écouter les enfants et apprécier les circonstances de leurs actes. Oui, il y aura peut-être des cas, extrêmement rares, où il faudra prononcer une sanction pénale, mais faisons confiance aux juges et donnons-leur les outils pour qu’ils puissent étudier correctement chacun des dossiers. Ne dressons pas de barrières dogmatiques reposant sur des principes de salon, alors qu’il faudrait laisser les magistrats faire leur travail de terrain. Ne les empêchons pas de bien travailler !

M. Antoine Savignat. Monsieur le ministre, je suis presque totalement d’accord avec votre raisonnement, à l’exception de votre conception de la vocation de la justice pénale ; il s’agit des mêmes crimes et des mêmes délits, réprimandés par la société. La différence, c’est que la justice des mineurs applique des sanctions d’abord éducatives pour les sauver et les accompagner.

Je me dis que, finalement, vous êtes d’accord tant avec l’amendement d’Éric Ciotti qu’avec le mien : si cette justice a pour seule vocation de protéger les mineurs, pourquoi priver, par présomption, les moins de 13 ans de la protection de ce système ? Ce que nous demandons, c’est qu’il n’y ait pas de présomption d’irresponsabilité pour les moins de 13 ans afin que, dans l’hypothèse où ils auraient commis des faits délictueux, tous puissent être présentés au juge des enfants, qui sera le seul à disposer de la connaissance, des compétences et du métier nécessaires pour apprécier si, oui ou non, ils doivent répondre pénalement des faits qui leur sont reprochés.

M. Stéphane Peu. Je suis désolé, monsieur le ministre, mais vous ne m’avez pas convaincu.

D’abord, il ne faut pas confondre les principes et le dogmatisme : on peut avoir des principes, y être attaché, sans être pour autant dogmatique – surtout s’agissant de la loi.

Ensuite, je suis bien moins expérimenté que beaucoup ici sur le sujet, mais je ne vois pas ce que la responsabilité pénale apporterait à la protection de l’enfance. La responsabilité pénale se justifie principalement par la sanction.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Non !

M. Stéphane Peu. Je considère, pour ma part, que les actions d’un enfant de moins de 13 ans, quelles que soient les bêtises qu’il ait pu faire, ne peuvent être appréhendées que sous l’angle de sa protection. De ce point de vue, sa responsabilité pénale ne peut en aucune manière être engagée. À moins de 13 ans, on reste un enfant, qu’il faut protéger, y compris contre soi-même. Je ne comprends donc pas votre argumentation.

Laëtitia Avia m’a un peu éclairé, lorsqu’elle a dit que la protection simple permettrait de faire « sauter l’effet de seuil » – mais cela ne fait que renforcer mes inquiétudes concernant cet article, puisqu’il s’agit, en définitive, de faire sauter l’effet de seuil de la sanction pénale !

M. Stéphane Mazars. Ce débat me fait penser à celui qui oppose les tenants de l’automaticité de la peine à ceux qui veulent, au contraire, les personnaliser et les adapter au cas d’espèce. Pour ma part, je crois que la justice, c’est du sur-mesure, en fonction de l’appréciation de la personnalité du délinquant, du contexte dans lequel les faits ont été commis et des faits eux-mêmes ; à chaque fois, il faut faire du cousu main. C’est la mission – et Dieu sait si elle est noble ! – des magistrats qui rendent la justice dans notre pays.

Apprécier les actes de délinquance commis par des gamins de 12 ans et demi à 13 ans et demi demande de la finesse et de la subtilité. Encore une fois, il faut faire du cas par cas, du cousu main. Laissons la noblesse de cet acte de justice aux magistrats. Et le Garde des sceaux a raison de dire que, parfois, un magistrat peut repêcher un gamin en le déclarant responsable pénalement, car ce qu’on mettra en place pour assurer son suivi sera le moyen de le sortir d’un cercle vicieux. Voilà ce que les magistrats seront capables de faire si l’on n’est pas pris dans la rigidité d’une présomption irréfragable de l’irresponsabilité pénale.

Mme Alexandra Louis. Les débats sur la présomption sont toujours passionnants – je sais de quoi je parle, puisque j’étais la rapporteure du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. J’ai entendu, de part et d’autre, nombre d’arguments intéressants, défendant des positions parfois contradictoires. Je crois que ce texte permet d’aboutir à une solution d’équilibre.

M. Ugo Bernalicis. Ça aussi, nous l’avons déjà entendu !

Mme Alexandra Louis. Oui, nous voulons nous conformer à nos engagements internationaux, mais nous voulons également pouvoir faire confiance aux magistrats – je sais que cela tient au cœur de notre collègue Savignat tout particulièrement.

On parle beaucoup des symboles, mais la pratique, c’est important. Or, en pratique, la question du discernement de l’enfant ne se pose presque jamais. L’avantage d’une présomption simple, c’est que le juge devra se la poser systématiquement ; c’est intéressant pour la défense aussi, car un avocat pourra plus facilement engager le débat sur ce terrain si l’enfant de 13 ans et quelques mois qu’il défend n’est pas très mûr. Notre collègue Mazars a raison : il faut faire du sur-mesure pour trouver la bonne réponse.

Quant à la peine, monsieur Peu, il faut bien comprendre que même si l’on adopte ce texte tel quel, un mineur de moins de 13 ans ne subira pas de peine, il ne sera pas envoyé en détention, pas même en détention provisoire – fort heureusement. Ce qui va se passer, c’est qu’il aura une assistance éducative ; l’enfant sera pris en charge, quoi qu’il arrive. En revanche, la responsabilité pénale est un marqueur fort ; je me rappelle avoir vu certains mineurs déscolarisés pour lesquels le seul fait de passer devant un juge pénal a permis une réinsertion et la reprise du chemin de l’école.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. C’est certain !

Mme Cécile Untermaier. Il faut quand même reconnaître que ce texte constitue une avancée importante, puisque, jusqu’à présent, il n’y avait même pas de présomption simple. Je salue donc le travail effectué par la Chancellerie, qui a accepté d’aller dans cette direction, suivant les préconisations que Jean Terlier et moi avions faites. Il faudra désormais une motivation spéciale du juge pour qu’il puisse mettre en cause pénalement un jeune en dessous de l’âge minimum retenu.

Cela dit, je pense qu’on peut quand même approfondir la question du seuil. Il me semble que celle-ci se pose aussi pour la distinction entre un mineur et un majeur et qu’en la matière, on ne s’en sort pas trop mal : la question du discernement ne se pose pas. En revanche, j’évacue le problème de l’âge de 13 ans : il me semble que nous avions réussi à aboutir sur ce point.

De nombreuses personnalités ont réfléchi sur le sujet ; je pense notamment au précédent Défenseur des droits, Jacques Toubon, qui avait très clairement dit qu’il fallait appliquer la présomption irréfragable aux enfants de moins de 13 ans, car si l’enfant peut avoir compris et voulu son acte, il peut, en revanche, difficilement comprendre la procédure pénale dans laquelle il se trouve impliqué. Quant à l’article 40 de la CIDE, il ne parle pas de présomption simple ou irréfragable, mais il dit que « les enfants seront présumés n’avoir pas la capacité d’enfreindre la loi pénale ». Pour moi, cela revient à affirmer le caractère irréfragable de la présomption : quand on est présumé innocent, cela signifie que l’on est considéré comme innocent jusqu’à preuve du contraire.

Le problème, ce n’est pas d’avoir ou non confiance dans les juges – nous sommes tous ici convaincus de l’intelligence et des capacités d’appréciation de ces grands professionnels –, c’est qu’il est nécessaire de rompre avec l’ambiguïté du droit. De même qu’à un certain âge, on passe de mineur à majeur, on doit considérer qu’avant 13 ans, une personne n’est pas responsable pénalement ; cela signifie, non qu’elle n’a pas de comptes à rendre, mais qu’on ne peut l’inscrire dans un dispositif pénal.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. J’ai la conviction intime que, si je ne vous ai pas convaincus, c’est parce que je n’ai pas été clair. Pour commencer, on a oublié une chose dans ce débat : il n’y a pas de peine possible pour les moins de treize ans. Le petit racketteur de douze ans qui préoccupe Erwan Balanant ne peut pas se voir infliger de peine. En revanche, si l’on considère qu’il a suffisamment de discernement, il n’en sera pas moins déclaré coupable : la symbolique judiciaire, la pédagogie judiciaire liée à cette déclaration de culpabilité est essentielle. Encore faut-il que l’enfant ait un discernement suffisant ; s’il ne l’a pas, ce ne sera pas possible. Ce n’est pas rien qu’un gamin de douze ans soit présenté à juge, reçoive un avertissement – je ne peux l’appeler autrement – sous la forme d’une déclaration de culpabilité : « Tu as enfreint les règles ». Sans peine : mais cette symbolique-là, on ne peut pas s’en passer. Voudriez-vous que ce petit racketteur de douze ans, s’il a du discernement, y échappe ? Il ne s’agit pas d’une justice répressive : il ne peut pas se voir infliger une peine, tout au plus une mesure d’action éducative en milieu ouvert ou de placement – ce qui n’est pas forcément la meilleure solution. Je préfère qu’il rencontre un juge qui lui dise : « Tu es coupable ». Cela peut résonner dans l’esprit d’un gamin, et sans coercition derrière, puisqu’il n’y a pas de peine. Se passer de cet outil serait une erreur.

M. Michel Zumkeller. Nous ne sommes pas d’accord, c’est évident. Vous nous dites que la procédure pénale permettra peut-être de remettre un gamin de douze ans dans le droit chemin. Mais combien d’enfants de moins de treize ans en sortiront-ils encore plus abîmés ?

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Le juge des enfants abîme les gosses ?

M. Michel Zumkeller. Le fait de se retrouver devant lui, en tout cas. Êtes-vous sûr que cela n’arrive jamais ? Le fait, pour un enfant de moins de treize ans, d’être confronté à une procédure pénale ne peut-il jamais avoir un effet pire que ce que l’on pensait ?

M. Ugo Bernalicis. Si certains proposent que la présomption d’absence de discernement soit irréfragable pour les enfants de moins de treize ans, c’est pour qu’aucune mesure pénale ne soit prise à leur encontre. Eh oui, pour ce racketteur de douze ans, il n’y aura pas de mesure pénale. Pour autant, ne verra-t-il pas le juge des enfants ? Si, évidemment ! Que fait très régulièrement le juge des enfants dans ce cas de figure ? Il met en place des mesures d’assistance éducative. Et vous voudriez que, par exception, de temps en temps, il en aille différemment, au motif qu’il aurait particulièrement du discernement ? Je vous passe les recours que ne manqueront pas de déposer les avocats, des expertises et des contre-expertises, surtout dans les délais très contraints dans lesquels vous voulez contraindre la procédure, mais admettons. Que voulez-vous faire de ce gamin de douze ans ? Nous soutenons qu’en deçà d’un certain âge, il ne peut y avoir que des mesures d’assistance éducative. Et ce n’est pas un truc aussi banal qu’on peut le croire : dans le cadre des mesures éducatives renforcées, un professionnel vient régulièrement à la maison, pour vous voir, discuter, rendre des comptes, etc. Nous ne serions donc pas démunis d’outils.

En revanche, nous vous proposons dans notre rédaction de maintenir le critère du discernement au-dessus de quatorze ans : un gamin, même de plus de quatorze ans, peut ne pas être suffisamment capable de discernement pour reconnaître qu’il a commis un acte susceptible d’une sanction pénale. Auquel cas il faut s’orienter vers une mesure d’assistance éducative, en vertu du principe de la primauté de l’éducatif sur le répressif.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Tout le monde ayant pu largement s’exprimer, nous allons passer au vote.

M. Erwan Balanant. Non, c’est un sujet important !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mais qui reviendra à d’autres moments du débat. Vous avez déjà eu la parole à deux reprises. Si maintenant vous m’assurez qu’il est totalement purgé et que nous allons passer tous les amendements relatifs à l’âge de la minorité, je suis preneuse… (Sourires.) Mais j’en doute !

La Commission rejette successivement les amendements CL13, CL27, CL42, CL165, CL26, CL197 et CL93.

Elle en vient à l’amendement CL94 de M. Michel Zumkeller.

M. Michel Zumkeller. Il s’agit de prévoir des conditions strictes pour déroger à la présomption d’irresponsabilité pénale des mineurs de moins de treize ans. Il convient que cette décision soit spécialement motivée au regard de la situation et de la personnalité du mineur, après des investigations d’ordre psychologique, psychiatrique ou médicale.

M. Jean Terlier, rapporteur. Dès lors que la question du discernement sera débattue, le juge prendra sa décision en fonction d’éléments objectifs mais aussi, évidemment, de la personnalité du mineur. Dès lors, votre amendement est satisfait.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Le mécanisme de présomption simple prévu par le code de justice pénale des mineurs impose aux magistrats de motiver leur décision de retenir la capacité de discernement des mineurs de moins de treize ans pour engager des poursuites à leur encontre ou les déclarer coupables – ce à quoi ils ne sont pas tenus aujourd’hui. Je suis donc défavorable à cet amendement, puisqu’il est d’ores et déjà satisfait.

M. Ugo Bernalicis. N’oublions pas que cet âge à partir duquel peuvent être prononcées des mesures éducatives judiciaires ou des sanctions pénales sera aussi celui du point de départ, pour un enfant, de l’ouverture d’un casier judiciaire, qui le suivra jusqu’à sa majorité et qui le poursuivra toute sa vie : quoi qu’il devienne, il sera défavorablement connu des services de police.

Je persiste à penser qu’en dessous d’un certain âge, on ne doit pas pouvoir être inscrit dans un fichier qui scelle votre destin social. Sinon, que deviennent le côté éducatif, le retour du gamin sur le droit chemin et tout ce qui s’ensuit ? Ce n’est pas un sujet anecdotique : au-delà de la nature de la présomption, qu’elle soit irréfragable ou simple, ou de l’obligation pour le juge de motiver sa décision, comme nous le propose M. Zumkeller dans son amendement de repli, il faut prendre la mesure de tout ce que cela implique pour le gamin concerné.

M. Erwan Balanant. Si je ne suis pas un pénaliste, je me suis penché pendant six mois sur la question du harcèlement scolaire qui peut recouper certaines de nos problématiques. J’ai été particulièrement sensible aux propos du Garde des sceaux : il est important de dire, à un moment donné, à un enfant qu’il est coupable. Cela ne veut pas dire qu’il ira au bagne, mais que des mesures seront prises pour l’accompagner.

Nous avons oublié un élément important : quand il y a des enfants coupables, il y a souvent aussi des enfants victimes. Et dans le cas du harcèlement scolaire, le fait que les enfants auteurs des faits ne soient pas, pour différentes raisons, déclarés coupables donne aux enfants victimes le sentiment de n’avoir jamais été entendus ; et, du fait de cette absence de reconnaissance de culpabilité par la société, le harcèlement scolaire se poursuit. J’ai moi-même découvert à quel point le milieu des jeunes enfants peut être terrible : si l’enfant doit toujours être protégé, il peut se montrer parfois très méchant.

En tout cas, il nous faut réfléchir à cette articulation. Certes, cela sort du cadre de l’ordonnance du 11 septembre 2019 et relève plutôt du code pénal ou du code de procédure pénale : comment déclarer coupable un enfant tout en articulant la réponse avec les nécessités de la discipline scolaire ? Ce n’est pas évident…

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL305 du rapporteur.

M. Jean Terlier, rapporteur. Je retire cet amendement en raison de l’engagement pris par le Garde des sceaux de revoir la notion de l’intérêt supérieur de l’enfant.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient aux amendements, en discussion commune, CL78 de Mme Danièle Obono et CL28 de Mme Marie-George Buffet.

M. Ugo Bernalicis. En cohérence avec les amendements précédents, nous proposons de remplacer le mot : « mineurs » par les mots : « enfants ou des adolescents » à l’article L. 11-2 du code de justice pénale des mineurs, tel qu’il résulte de l’ordonnance du 11 septembre 2019, et de supprimer les termes « et à la protection de l’intérêt des victimes ».

L’article L. 11-2 prévoit que les décisions prises à l’égard des mineurs tendent à leur relèvement éducatif et moral ainsi qu’à la prévention de la récidive et à la protection de l’intérêt des victimes. L’amendement CL78 tend à donner la priorité à la protection des enfants et des adolescents, le relèvement éducatif ne devant venir qu’en second lieu. Il vise également à supprimer la référence faite dans l’article aux victimes alors que cet article s’inscrit dans le cadre des principes généraux du droit pénal applicable aux mineurs.

Je ne vois pas de difficulté à ce que l’on prenne en compte les victimes, mais les intérêts des uns et des autres peuvent être contradictoires : c’est au juge qu’il revient de faire la part des choses entre l’intérêt supérieur de l’enfant, la responsabilité du coupable, la protection de la victime.

M. Stéphane Peu. L’amendement CL28 est défendu.

M. Jean Terlier, rapporteur. Nous avons déjà eu ce débat. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Même avis.

La Commission rejette successivement les amendements.

Puis, suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL12 de M. Éric Ciotti.

Elle étudie, en discussion commune, les amendements CL79 de Mme Danièle Obono. et CL242 de M. Jean-Michel Clément.

M. Ugo Bernalicis. L’amendement CL79 vise à interdire le prononcé d’une sanction pénale à l’encontre des mineurs de moins de quinze ans. Pour ces mineurs, il faut réinvestir la protection judiciaire de la jeunesse dans la mise en œuvre des mesures civiles d’assistance éducative. Cette disposition créera peut-être des seuils, à quatorze et quinze ans, ou bien treize et quinze ans, selon la version retenue.

La mesure d’assistance éducative n’est pas neutre : elle emporte des conséquences pour le mineur. Je me sens obligé de le répéter car on pourrait croire, à écouter ce débat, que les mesures éducatives sont purement cosmétiques et que seules les sanctions pénales ont une vertu pédagogique.

M. Jean-Michel Clément. Je retire mon amendement.

L’amendement CL242 est retiré.

M. Jean Terlier, rapporteur. L’âge de treize ans est actuellement celui à partir duquel un mineur peut être condamné à une peine, ce qui n’empêchera pas un juge de prononcer une mesure éducative judiciaire à l’encontre d’un mineur de quinze ans. Qui plus est, la mesure éducative prime sur la peine. Je vous invite à retirer votre amendement, sinon avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement CL112 de M. Michel Zumkeller.

M. Michel Zumkeller. Il s’agit d’inscrire dans les principes généraux que la peine de prison ne peut être prononcée qu’en dernier recours. Nous sommes bien évidemment persuadés que ce principe sous-tend votre texte, mais il n’est pas inutile de le rappeler.

M. Jean Terlier, rapporteur. Votre amendement est satisfait. L’article préliminaire, en effet, rappelle la nécessité de rechercher le relèvement éducatif. Quant à l’article L. 11-3, il dispose que les mineurs déclarés coupables d’une infraction pénale peuvent faire l’objet de mesures éducatives et, si les circonstances et leur personnalité l’exigent, de peines.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Je partage le raisonnement du rapporteur.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL113 de M. Michel Zumkeller.

M. Michel Zumkeller. Cet amendement d’appel n’a d’autres buts que d’ouvrir le débat sur une difficulté qui peut découler de la présomption d’irresponsabilité pénale des mineurs de moins de treize ans. Si nous soutenons la création de ce seuil, il peut s’avérer dangereux dans les cas où un majeur, voire un mineur plus âgé, y verrait l’occasion d’utiliser un mineur protégé par l’irresponsabilité pour commettre des infractions.

M. Jean Terlier, rapporteur. La situation est couverte par le code pénal. La contrainte est d’ores et déjà un motif d’irresponsabilité pénale, a fortiori pour les mineurs de treize ans. Qui plus est, le fait pour un mineur d’encourager d’autres mineurs à commettre une infraction constitue une mise en péril sanctionnée par les articles 227-15 et suivants du code pénal. Ainsi, le fait de provoquer directement un mineur à commettre un crime ou un délit est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. La contrainte étant déjà prévue dans le code pénal, l’amendement est effectivement satisfait.

L’amendement est retiré.

La Commission étudie l’amendement CL159 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Il s’agit de maintenir dans le champ de compétence des juridictions spécialisées toutes les infractions reprochées aux mineurs, y compris les contraventions des quatre premières classes, dont le caractère n’est pas anodin. Je vous les rappelle, dans l’ordre : diffamation et injure non publiques ; atteintes involontaires à l’intégrité de la personne n’ayant entraîné aucune incapacité totale de travail ; menaces de violences ainsi que bruits ou tapages, injurieux ou nocturnes ; violences volontaires et certaines diffamations. Même pour une infraction de première classe, l’enfant devrait être entendu par un juge des enfants ou une juridiction spécialisée, non par un tribunal de police. Je comprends que ce ne soit pas possible en raison de l’engorgement des tribunaux, mais ne pourrions-nous pas imaginer que les juridictions spécialisées en soient tout le moins informées ?

M. Jean Terlier, rapporteur. Vous avez répondu vous-même à votre demande : les tribunaux pour enfants sont embouteillés. Il n’est donc pas souhaitable de mobiliser une juridiction spécialisée pour juger des infractions des quatre premières classes, qui peuvent être traitées par le tribunal de police. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Les contraventions de cinquième classe relèvent du juge des enfants et seules les contraventions les moins graves passeraient devant le tribunal de police. Par ailleurs, le mineur, devant le tribunal de police, bénéficie de l’assistance obligatoire d’un avocat, de la présence des représentants légaux, d’une publicité restreinte et de la possibilité d’interjeter appel devant la chambre spéciale des mineurs de la cour d’appel. Dans ces conditions, je rends un avis défavorable : on ne peut pas vouloir décharger les juges des enfants et leur confier la gestion, si j’ose dire, des amendes et des petites contraventions.

Mme Cécile Untermaier. J’ai bien compris la nécessité de rationaliser le travail du juge des enfants mais, à tout le moins, pourrions-nous prévoir de l’en informer ?

En attendant de savoir ce que je ferai pour la séance publique, je retire l’amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL4 de Mme Marie-George Buffet.

M. Stéphane Peu. Un des principes directeurs du droit pénal des mineurs est la spécialisation des juridictions. Nous vous proposons par conséquent, dans la mesure du possible, de spécialiser un des juges des libertés et de la détention dans les affaires impliquant des mineurs.

M. Jean Terlier, rapporteur. Vous ouvrez un débat intéressant et nous nous sommes nous-mêmes posé la question. Les juges des libertés et de la détention (JLD) n’étant pas en nombre suffisant, nous avons choisi de ne pas les spécialiser mais, en contrepartie, de réorienter la plupart des décisions relatives à la détention provisoire à des juridictions spécialisées et de prévoir des garanties supplémentaires. Par ailleurs, le JLD intervient toujours sous le contrôle d’un magistrat spécialisé, qu’il soit juge d’instruction ou juge des enfants.

Votre proposition est intéressante, mais elle ne pourrait pas être appliquée dans tous les tribunaux. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Ajoutons que les JLD suivent une formation professionnelle continue, dont une partie est obligatoirement consacrée à la justice des mineurs. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL160 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Cet amendement est assez similaire à celui de M. Peu. Les travaux de la mission d’information sur la justice des mineurs avaient été l’occasion de rappeler qu’il existe un parquet spécifique chargé des questions de justice pénale des mineurs et que 55 % des affaires impliquant des mineurs aboutissent à une procédure alternative aux poursuites décidées par le procureur. La spécialisation du parquet pour mineurs apparaît donc amplement justifiée et pose la question de la formation initiale et continue des magistrats qui y exercent ; or si les juges des enfants bénéficient d’une formation spécifique, ce n’est pas le cas des magistrats en charge de ces questions au sein des parquets. L’absence de formation obligatoire pour le parquet des mineurs a été regrettée par les personnes auditionnées : c’est le plus souvent le dernier affecté qui se voit chargé de ces questions. Les juges des libertés et de la détention et les juges d’instruction appelés à connaître des dossiers impliquant des mineurs devraient également bénéficier d’une formation spécifique, étant entendu que la formation n’est pas une punition ni un soupçon d’ignorance mais au contraire un accompagnement dans une mission compliquée.

M. Jean Terlier, rapporteur. Au cours de la formation générale, l’ensemble des magistrats bénéficie, sur sept mois, de vingt et une heures d’enseignement portant sur l’assistance éducative et de vingt-quatre heures de formation sur le rôle pénal du juge des enfants. Lors de l’année de stage, les élèves magistrats doivent effectuer cinq semaines en juridiction pour mineurs et une semaine en immersion dans un établissement de la protection judiciaire de la jeunesse. Enfin, lors de leur année de spécialisation, les élèves qui choisissent de devenir juges des enfants reçoivent une formation approfondie d’un mois puis effectuent trois mois de stage de plein exercice en juridiction.

Votre amendement est satisfait.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Le Gouvernement partage le raisonnement du rapporteur. Les juridictions mentionnées à l’article L. 12-1 du code de justice des mineurs sont spécialisées et les magistrats reçoivent déjà une formation adaptée puis bénéficient, tout au long de leur carrière, d’une formation continue. Enfin, l’École nationale de la magistrature ou l’École nationale des greffes ont été associées à la rédaction du code de justice pénale des mineurs et ont d’ores et déjà intégré l’enseignement de la nouvelle procédure dans leurs programmes.

M. Ugo Bernalicis. Que tous les professionnels reçoivent un minimum de formation dans ce domaine, très bien, mais nous parlons d’un parquet spécialisé : le raisonnement qui vaut pour les juges des enfants devrait également valoir ici. Votre codification devrait, me semble-t-il, aboutir à renforcer quelque peu le rôle du parquet dans la procédure : dès lors, il ne serait pas aberrant de vouloir qu’il soit particulièrement spécialisé sur la question des enfants au lieu de la refiler au magistrat de permanence quand bien même il aura suivi un cursus sur la justice des mineurs à l’ENM, dix ou quinze ans auparavant… La garantie demandée par l’amendement de Cécile Untermaier me semble tout à fait justifiée.

La Commission rejette l’amendement.

Puis, suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL183 de Mme Cécile Untermaier.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements identiques CL80 de M. Ugo Bernalicis et CL243 de M. Jean-Michel Clément et l’amendement CL41 de M. Stéphane Peu.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Il me semble, monsieur Bernalicis, que nous avons déjà débattu de votre proposition de remplacer « le mineur » par « l’enfant ou l’adolescent »…

M. Ugo Bernalicis. Effectivement, madame la présidente, nous proposons cette substitution dans chacun de nos amendements, par cohérence. Mais la disposition centrale de l’amendement CL80, c’est le libre choix de l’avocat ; nous n’en avons pas encore parlé alors que c’est un élément extrêmement important, notamment dans la justice des mineurs. Si l’enfant ou l’adolescent fait l’objet de plusieurs procédures, il doit pouvoir être accompagné par le même avocat. Il est également souhaitable que l’avocat de l’enfant soit spécialement formé et l’aide juridictionnelle garantie pour tous les enfants en danger ou en conflit avec la loi.

Cette disposition peut sembler anecdotique, mais elle emporte des conséquences assez notables dans la confrontation de l’enfant avec le système judiciaire. L’article L. 12-4 du code de la justice pénale des mineurs dispose : « Le mineur participe au choix de son avocat ou l’effectue dans les conditions prévues par le présent code. Lorsqu’un avocat a été désigné d’office, dans la mesure du possible, le mineur est assisté par le même avocat à chaque étape de la procédure ». La notion de participation n’est pas satisfaisante ; c’est la raison pour laquelle nous le remplaçons par celle de libre choix, de l’enfant ou de l’adolescent. Et nous ajoutons qu’il est assisté par le même avocat dans toutes les procédures le concernant, tant en matière pénale qu’en matière civile.

M. Jean-Michel Clément. Les barreaux spécialisés dans la justice des mineurs font souvent appel à l’association Avoc’Enfants, qui réunit des professionnels très au fait de ces questions. Les enfants trouvent auprès d’eux un tiers de confiance : cela contribue à améliorer le fonctionnement de la justice.

M. Jean Terlier, rapporteur. Vos amendements me paraissent satisfaits par la rédaction de l’article L. 12-4 qui prévoit que, dans la mesure du possible, le même avocat suit l’ensemble de la procédure. Cela n’exclut pas les procédures d’assistance éducative, ni la succession de plusieurs procédures pénales. Préciser que cela doit se faire « dans la mesure du possible », c’est aussi permettre à l’enfant de changer d’avocat s’il le souhaite : la liberté de le choisir implique aussi de pouvoir en changer.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. L’amendement de M. Ugo Bernalicis est un amendement « 2 en 1 », pour reprendre une formule publicitaire : il propose, d’une part, comme il l’a déjà fait tout à l’heure, de remplacer le terme « mineur » par « l’enfant ou l’adolescent » et, d’autre part, que le mineur ait le même avocat, tant en matière pénale qu’en matière civile. Cet amendement est sans objet, puisque ce projet de loi ne concerne que la matière pénale. Cela dit, rien n’empêchera un mineur de choisir le même avocat pour une affaire pénale et une affaire civile.

M. Ugo Bernalicis. Je ne doute pas, monsieur le Garde des sceaux, que si je n’avais pas demandé de remplacer le terme « le mineur » par « l’enfant ou l’adolescent », vous m’auriez reproché mon manque de cohérence… Je vous propose donc de clore immédiatement ce débat.

S’agissant du libre choix de l’avocat, excusez-nous de pointer une incohérence du code, qui ne concerne que la justice pénale. Il y a bien un problème de coordination entre la matière civile et la matière pénale. Je me répète, mais c’est parce que je n’ai pas changé d’avis. Souffrez qu’il n’y ait pas seulement des incompréhensions, mais aussi des désaccords entre nous. En l’occurrence, nous avons un désaccord, et c’est dommage, car nous aurions pu avancer sur cette question du libre choix de l’avocat. Vous dites que c’est déjà le cas : tant mieux, mais écrivons-le clairement. Et inscrivons qu’il est souhaitable, et même nécessaire, qu’un enfant ou un adolescent puisse avoir le même avocat pour toutes les procédures le concernant, tant en matière civile qu’en matière pénale.

La Commission rejette successivement les amendements CL80 et CL243, puis l’amendement CL41.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL306 du rapporteur.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements identiques CL81 de Mme Danièle Obono et CL244 de M. Jean-Michel Clément et l’amendement CL5 de Mme Marie-George Buffet.

M. Ugo Bernalicis. Nous proposons par l’amendement CL81 d’interdire explicitement le recours à la visioconférence et à la visio-audience dans toutes les affaires qui concernent des mineurs. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer à ce sujet au moment de l’examen du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), où vous nous l’avez resservie, comme lors des débats sur les demandes d’asile pour les personnes en situation irrégulière. La justice se rend par des êtres humains, en présence d’êtres humains, et non par visioconférence. Je ne conteste pas l’utilité de cet outil : je l’utilise très souvent, mais pas pour comparaître devant un tribunal.

M. Jean-Michel Clément. Pour l’utiliser beaucoup en ce moment, chacun de nous voit bien les limites de la visioconférence. Ce qui fait la force de la relation entre l’adulte et l’enfant, dans ce genre de situation, c’est vraiment la présence physique. Placer un écran entre eux est une incongruité totale. D’où l’amendement CL244.

M. Stéphane Peu. Nous sommes opposés par principe aux jugements par visioconférence, a fortiori pour les enfants. Il faut tirer les leçons de la catastrophe qu’a été l’école à la maison, notamment pour les adolescents : les évaluations qui paraissent sur le sujet tendent à montrer que l’enseignement par écran interposé n’a aucune vertu pédagogique. Si l’on considère que la justice des enfants est une justice de la protection, de l’éducation et de la pédagogie, il faut reconnaître qu’il n’y a rien de moins pédagogique que la justice rendue par l’intermédiaire d’un écran. Nous souhaitons par l’amendement CL5 que la visioconférence soit bannie, au moins pour la justice des enfants.

M. Jean Terlier, rapporteur. Je partage votre objectif de limiter autant que possible le recours à la visioconférence. Le code de la justice pénale des mineurs l’encadre très strictement, puisque son utilisation n’est possible que pour la prolongation d’une garde à vue. C’est une mesure protectrice pour le mineur car cela peut parfois lui éviter de faire de nombreux kilomètres, ce qui rallonge d’autant le temps de la garde à vue. Notre collègue Stéphane Mazars pourra vous parler des deux heures de route qu’il doit parfois faire pour aller voir ses clients au fin fond de l’Aveyron… Dans le cas d’une prolongation de garde à vue, la rencontre avec le procureur vise seulement à s’assurer que les droits du mineur sont respectés ; elle ne porte absolument pas sur les faits. Vos amendements me semblent donc satisfaits.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. J’ai moi-même déposé un amendement qui interdit l’utilisation de ces moyens de communication audiovisuelle pour le placement en détention provisoire ou son renouvellement. Mais tout interdire est excessif, car cet outil est parfois bien utile, pour des tas de raisons pratiques qui ne sont pas attentatoires aux libertés. Il faut vivre avec la technologie. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Nous parlons tout de même d’enfants ! Même si vous écartez les cas de placement en détention, je n’arrive pas à imaginer un enfant voyant un juge à travers un écran : ce n’est pas possible, monsieur le Garde des sceaux ! Certaines interdictions sont bonnes : c’est une bonne chose que le code de la route interdise de griller les feux rouges.

Je vais sortir un instant du champ de la justice des mineurs, mais on comprend bien pourquoi la question se pose avec encore plus d’acuité dans leur cas. Il faudrait tout de même tirer les leçons de l’avis du Conseil d’État au sujet de l’ordonnance du 18 novembre 2020, autorisant la comparution d’un accusé en visioconférence dans les procès d’assises. Le juge des référés du Conseil d’État estime que le recours à la visioconférence, sans l’accord de l’accusé, pendant le réquisitoire de l’avocat général et les plaidoiries des avocats, porte une atteinte grave et manifestement illégale aux droits de la défense et au droit à un procès équitable. Tirons toutes les conséquences de cette décision récente du Conseil d’État, non seulement pour les majeurs, mais aussi pour les mineurs.

M. Stéphane Peu. Monsieur le ministre, je trouve votre argument un peu bizarre. Vous nous dites, en substance, qu’il est interdit d’interdire. L’interdiction fait pourtant partie de l’éducation, qui est essentielle quand on parle de la justice des mineurs. Du reste, il ne s’agit pas d’interdire mais de poser un principe, à savoir que lorsqu’on rend la justice des enfants, on le fait d’homme à homme, si j’ose dire, sans l’intermédiaire d’un écran, qui est tout le contraire de ce que doit être la pédagogie du juge ou de l’instance. S’il est une justice qui doit se rendre de visu, c’est bien celle-là, ne serait-ce que pour garantir ce qu’on lui prête de vertu pédagogique.

Mme Alexandra Louis. Nous sommes tous d’accord pour dire que la vidéo-audience n’est absolument pas souhaitable, mais le propos n’est pas là : l’amendement du Gouvernement, que je viens de consulter, réserve l’usage de la visioconférence à des cas exceptionnels, dans des conditions très strictement définies. Monsieur Bernalicis, vous avez raison de dire que la visioconférence ne doit pas être utilisée pour des décisions susceptibles d’entraîner une privation de liberté : ce principe doit être consacré. En revanche, dans la pratique, elle peut s’avérer utile pour une prolongation de garde à vue, car cela évite de faire déplacer le mineur et son avocat pour un entretien avec le procureur, souvent très rapide.

Mme Laetitia Avia. Je souscris aux propos du rapporteur, du ministre et de ma collègue Alexandra Louis. J’ajoute que ces amendements, tels qu’ils sont rédigés, interdiraient tout moyen de télécommunication audiovisuelle, y compris, par exemple, les enregistrements. Certains moyens de télécommunication audiovisuelle sont protecteurs et la rédaction que vous proposez ne permet pas d’atteindre l’objectif que vous visez.

M. Stéphane Mazars. Monsieur Peu, il n’est absolument pas question de rendre la justice pour les mineurs en visio-audience. Les cas où la visioconférence est autorisée sont rares et très atypiques : par exemple, lorsqu’une garde à vue doit être prolongée et qu’elle a lieu à plus de deux heures de l’endroit où se trouve le parquetier. Dans ce cas, une visioconférence est envisageable. Cela évite deux heures de route au gardé à vue pour un entretien purement formel.

Faisons le pari de l’intelligence des magistrats, qui sont les garants des libertés individuelles et du droit des enfants et des mineurs. Cette disposition sera appliquée avec parcimonie et bienveillance. Je répète qu’il n’est pas question de rendre la justice à distance.

M. Jean-Michel Clément. Ne soyons pas naïfs : à partir du moment où c’est possible, il est évident que cela finira par arriver. Il faut absolument interdire le recours à la visioconférence : la rencontre d’un juge et d’un mineur est toujours un acte fort, qui a une vraie vertu pédagogique et un rôle essentiel dans la procédure. Mettre un écran entre les deux est un non-sens absolu. Vous nous dites que tout cela sera appliqué avec discernement, mais il ne faut pas nous prendre pour des imbéciles : vous êtes en train d’ouvrir certaines portes qui ne doivent absolument pas l’être. Ce n’est pas acceptable.

M. Stéphane Peu. Je n’ai pas de difficulté à parier sur l’intelligence, mais je suis conscient de la situation des tribunaux pour enfants, sur laquelle je suis souvent alerté. Je peux vous parler de celui de Bobigny, du nombre de dossiers en souffrance, des juges qui sont sous l’eau… L’intelligence n’interdit pas qu’à un moment donné, la pression et l’incapacité de rendre la justice dans des délais raisonnables incitent certains à aller plus vite, par des moyens qui seront désormais autorisés par la loi. Cela n’a rien à voir avec l’intelligence ; cela tient seulement à la contrainte objective d’une situation devenue insoutenable dans nombre de tribunaux pour enfants.

M. Ugo Bernalicis. Nous étions déjà un certain nombre à être défavorables à la visioconférence en matière judiciaire, même dans des circonstances extraordinaires. Nous avons fini par accepter qu’on puisse y recourir avec l’accord de l’intéressé, seulement dans des circonstances particulières, et jamais pour un placement en détention. Mais là, j’entends des choses assez énormes ! On nous dit qu’il ne faut pas s’inquiéter et que tout cela restera exceptionnel, mais on nous donne l’exemple, pas si exceptionnel, et même très courant, de la prolongation de garde à vue ! De deux choses l’une : ou bien vous anticipez la fermeture prochaine de tribunaux en parlant de gardés à vue qui seraient à deux heures de route, parce que ce cas de figure, pour l’instant, n’existe pas ; ou bien il y a toujours un tribunal à moins de deux heures, et c’est donc le parquetier le plus proche qui prendra en charge la prolongation de la garde à vue et qui se déplacera.

C’est d’ailleurs un problème de fond : du fait du traitement en temps réel (TTR), du fait aussi qu’il est sous-doté et qu’il n’y a pas assez de parquetiers, le parquet est incapable d’assurer lui-même ses missions de contrôle des mesures restrictives et privatives de liberté, notamment au stade de la flagrance et de l’enquête préliminaire. Si le procureur se déplaçait, il constaterait que nombre de gardes à vue sont peu justifiées et cela réglerait bien des problèmes. C’est d’ailleurs ce qui nous avait fait dire qu’il faudrait davantage de procureurs dans les commissariats de police, mais c’est une autre histoire. Quoique…

Pour ce qui est des mineurs en tout cas, nous pourrions nous mettre d’accord pour ne pas utiliser de visioconférence dans les affaires qui les concernent, même s’il ne s’agit que de mesures éducatives, et peut-être même à plus forte raison, car une mesure éducative ne peut se concevoir que de vive voix. Sans même parler d’une prolongation de garde à vue…

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. De quoi parle-t-on ? Des gens nous écoutent, qui sont moins aguerris que nous... Or vous êtes en train d’accréditer l’idée selon laquelle on pourrait juger un mineur par visioconférence. C’est ridicule, c’est provocateur, c’est inutile, ce n’est pas vrai ! À Bobigny, on a vingt prolongations de garde à vue par jour. L’utilisation de la visioconférence sert à cela, et uniquement à cela. Il n’a jamais été question de prononcer une mesure éducative, ou une sanction pénale, par visioconférence.

Quant à votre petit coup de pied de l’âne, à la petite pierre dans mon jardin, je rappelle que l’ordonnance que vous avez mentionnée, monsieur Bernalicis, a été prise dans une période d’urgence sanitaire votée par le Parlement et pour une durée limitée dans le temps. Vous vous souvenez d’une décision du Conseil d’État, mais vous en oubliez une autre, la première. Cette ordonnance n’a d’ailleurs été que partiellement suspendue. Et toute la question était de savoir comment nous pouvions continuer à faire tourner la justice dans une période aussi particulière. Ce qui m’a animé, monsieur Bernalicis, c’est la volonté d’aller de l’avant et non l’envie de tuer nos libertés, comme vous semblez le dire.

M. Ugo Bernalicis. Je n’ai jamais dit cela !

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Arrêtez de faire croire que la visioconférence va servir à condamner des gamins, parce que ce n’est pas vrai.

La Commission rejette successivement les amendements CL81 et CL244, puis l’amendement CL5.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL307 du rapporteur.

Elle examine ensuite l’amendement CL82 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. La rédaction du début de l’article L. 13-2 du code de la justice pénale des mineurs a laissé une petite porte ouverte : « À moins que le présent code n’en dispose autrement, la juridiction compétente, la procédure applicable ainsi que les mesures et peines encourues sont déterminées selon l’âge du mineur à la date des faits ». Nous proposons de supprimer l’expression « à moins que le présent code n’en dispose autrement », car elle introduit des exceptions, ce que nous ne comprenons pas.

M. Jean Terlier, rapporteur. Les exceptions au principe qui consiste à prendre en compte l’âge des faits, et non l’âge au moment de la décision, sont limitées et au nombre de deux.

L’article L. 513-3 prévoit la possibilité pour le mineur au moment des faits, devenu majeur au jour de l’ouverture des débats devant le tribunal, de demander une audience publique.

L’article L. 122-1 permet de prononcer des travaux d’intérêt général pour les mineurs de 16 à 18 ans qui avaient entre 13 et 16 ans au moment des faits.

Nous débattrons de ces différentes exceptions un peu plus tard, au fil de l’examen des amendements. Pour l’heure, j’émettrai un avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Monsieur le rapporteur, vous essayez de m’emmener sur le terrain qui consiste à examiner les exceptions les unes après les autres, au fil du texte. Ne vous en faites pas, nous serons là pour les combattre une à une. Mais, ici, c’est le principe même des exceptions que je conteste, car je considère que l’âge des faits doit être déterminant pour le choix de la procédure et des peines encourues.

Nos collègues de droite ont défendu tout à l’heure des amendements tendant à dire qu’à partir de seize ans, les jeunes pouvaient être jugés comme des majeurs. C’est exactement à cela que revient la troisième exception que vous mentionnez et j’ai l’impression que vous vous rejoignez sur ce point. Je sais que c’est, en partie, l’état actuel de la réglementation, mais je pense qu’on devrait pouvoir, avec ce texte, aller dans le sens du progrès.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements identiques CL83 de M. Ugo Bernalicis et CL245 de M. Jean-Michel Clément et l’amendement CL62 de M. Stéphane Peu.

M. Ugo Bernalicis. L’amendement CL83 vise à punir la divulgation de l’identité ou de l’image de l’enfant ou de l’adolescent mis en cause dans une procédure pénale en la sanctionnant d’une amende de 15 000 euros. Il s’agit, une fois encore, de faire valoir le principe de la protection de l’enfant ou de l’adolescent mineur au moment des faits. L’article L. 513-4 du code de la justice pénale des mineurs prévoit bien qu’en aucune circonstance, l’identité ou l’image d’un mineur mis en cause dans une procédure pénale ne peuvent être, directement ou indirectement, rendues publiques, mais la violation de cette obligation n’est assortie d’aucune sanction.

M. Stéphane Peu. Notre amendement CL62 est une sorte d’article 24, mais pour les enfants. (Sourires.) Un jeune, même délinquant, est une personne en danger et en devenir. C’est pourquoi nous proposons de sanctionner la divulgation du nom et des images d’un jeune mis en cause dans une procédure pénale.

M. Jean Terlier, rapporteur. Vos amendements me paraissent satisfaits, car des sanctions existent déjà.

Outre la protection liée à la non-publicité des audiences, l’article L. 513-4 prévoit d’ores et déjà une amende de 15 000 euros pour la publication du compte rendu des débats ou de tout texte ou de toute illustration concernant l’identité et la personnalité des mineurs délinquants. L’article L. 413-14 prévoit un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende en cas de diffusion de l’enregistrement audiovisuel d’une audition. L’article 35 ter de la loi de 1881 sur la liberté de la presse sanctionne de la même amende « la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, de l’image d’une personne identifiée ou identifiable mise en cause à l’occasion d’une procédure pénale ». Enfin, les atteintes à la vie privée sont sanctionnées à l’article 226-1 du code pénal. Avis défavorable.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous allons créer une commission pour réécrire cet article. (Sourires.)

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Rien à ajouter : défavorable.

La Commission rejette successivement les amendements CL83 et CL245, puis l’amendement CL62.

Elle examine ensuite l’amendement CL203 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. Cet amendement vise à renforcer la coopération entre la justice et l’éducation nationale.

Lorsque le chef d’un établissement scolaire effectue un signalement au procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, il n’est généralement pas informé des suites qui y sont données. Or les délits signalés par les personnels scolaires sont bien souvent liés à la scolarité des enfants. Cela a notamment pour conséquence que le chef d’établissement renonce à l’adoption d’une sanction disciplinaire, ayant l’impression que les faits relèvent désormais uniquement des autorités judiciaires.

Les logiques disciplinaires et judiciaires sont complémentaires et doivent être articulées, ce qui suppose une communication accrue entre les différents acteurs. De plus, en l’absence de retour sur les suites données à un signalement effectué en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale, les éventuelles perturbations de la scolarité d’un élève liées à une procédure judiciaire peuvent rester incomprises par le chef d’établissement.

Pour améliorer tant la prise en charge des mineurs délinquants que des mineurs victimes, la simple information au chef d’établissement des suites données à un signalement qu’il aurait effectué sur le fondement de l’article 40 serait efficace. Elle permettrait un meilleur dialogue entre les différents acteurs et une meilleure compréhension des mesures adoptées de part et d’autre.

M. Jean Terlier, rapporteur. L’article L. 13-3 du code de la justice pénale des mineurs interdit de rendre publiques l’identité ou l’image d’un mineur mis en cause dans une procédure pénale, mais il n’empêche pas le partage d’informations, notamment dans le cadre de l’article 40 du code de procédure pénale. Et l’article 40-2 dispose que « le procureur de la République avise […] des poursuites ou des mesures alternatives aux poursuites qui ont été décidées à la suite […] de leur signalement ».

Votre amendement étant satisfait, je vous suggère, monsieur Balanant, de le retirer. À défaut, j’y serai défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Demande de retrait, pour les mêmes raisons.

M. Erwan Balanant. Mon travail sur le harcèlement scolaire a montré que l’information entre le procureur et le chef d’établissement, dans de nombreux cas, pose un réel problème, que mon amendement permettrait de résoudre. Les cas les plus graves de harcèlement scolaire sont souvent le fait d’un emballement et d’incompréhensions entre la discipline scolaire, une famille qui a porté plainte, un ou plusieurs auteurs, et la justice.

Une famille vient porter plainte pour harcèlement à l’encontre de son enfant au commissariat ou à la gendarmerie. Il arrive que la plainte ne soit pas prise, tout simplement parce que l’officier de police judiciaire ne comprend pas ce qu’est le harcèlement : c’est aussi un travail que nous devons mener. Dans d’autre cas, elle est prise, mais le procureur n’en informe pas directement la famille, en tout cas pas officiellement, et c’est le chef d’établissement qui, soudainement, lui annonce que les faits ne sont plus de son ressort, puisque plainte a été déposée. Et quand la famille vient demander au procureur pourquoi rien n’est fait, celui-ci répond que c’est à la discipline scolaire de se mettre en route…

Ces incompréhensions mutuelles tendent les relations et font empirer la situation, jusqu’à arriver à des événements graves. C’est un vrai sujet sur lequel nous devons travailler.

Mme Alexandra Louis. Je me suis vu confier récemment une mission d’évaluation de la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite loi Schiappa. Cette problématique du signalement et du suivi a été évoquée.

Cela étant, je ne suis pas certaine que la réponse soit nécessairement dans la loi. Certains parquets ont pris l’habitude de prévenir des suites données au dossier, sans entrer dans le détail, ce qui permet de concilier les différents enjeux. Il vaudrait mieux inciter les différents parquets à s’inspirer de ces pratiques plutôt que de modifier la loi. Je serais en tout cas ravie d’en reparler avec mon collègue Erwan Balanant.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL204 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. L’amendement est défendu, bien que son objet soit un peu différent du précédent. J’aurai l’occasion de le défendre à nouveau en séance.

M. Jean Terlier, rapporteur. L’avis est toujours défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Pareillement.

M. Erwan Balanant. Ce qu’a dit Alexandra Louis est vrai : il arrive que de bonnes pratiques se mettent en place. Pourrions-nous imaginer une circulaire en ce sens, monsieur le Garde des sceaux ?

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Il y aura en effet une circulaire. Nous pourrons en reparler ensemble.

M. Erwan Balanant. Très bien : je me mettrai donc au réglementaire. Tout fout le camp ! (Sourires.)

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Il y a beaucoup à faire en la matière. Cela va plus vite…

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL201 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. Il s’agit de faire bénéficier la victime mineure des mêmes garanties que celles qui protègent le mineur auteur des faits dans le cadre du dispositif de justice restaurative. Ce dispositif, qui consiste à faire dialoguer victimes et auteurs des faits, peut s’avérer particulièrement traumatisant pour une victime, notamment lorsqu’elle est mineure. Il est primordial de la protéger autant que l’auteur des faits.

M. Jean Terlier, rapporteur. L’amendement me semble satisfait, je vous demanderai de le retirer. Il est intéressant, mais je ne vois pas comment on pourrait engager une victime mineure dans un dispositif de justice restaurative sans l’accord de ses parents. Pour moi, cela tombe sous le sens, mais peut-être la précision est-elle utile.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Si la victime est mineure, l’accord des parents est évidemment requis pour une procédure de justice restaurative. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL95 de M. Michel Zumkeller.

M. Michel Zumkeller. Je propose de supprimer une possible confusion dans l’article L. 111-1 du code de la justice pénale des mineurs, qui parle à la fois de mesures éducatives et de sanction.

M. Jean Terlier, rapporteur. Il n’y a pas de confusion possible : les mesures éducatives sont bien des sanctions. La rédaction de l’article est donc cohérente.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Avis défavorable, pour les mêmes raisons.

M. Ugo Bernalicis. Pour les personnes qui ne sont pas spécialistes de la justice des mineurs et qui nous regardent, ce n’est pas nécessairement évident : les mesures éducatives sont des sanctions pénales alors que les mesures d’assistance éducative relèvent du code civil. C’est la base, mais on aurait pu trouver mieux en termes de distinction.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL84 de Mme Danièle Obono et CL96 de M. Michel Zumkeller.

M. Ugo Bernalicis. L’amendement CL84 vise à réintroduire la mesure éducative de remise à parents, qui a disparu de la nouvelle codification. On insiste dans bien des cas sur la nécessité pour le magistrat de remettre les parents dans le coup, de préserver le lien avec la famille pour renforcer les vertus pédagogiques des sanctions prises en matière éducative au niveau pénal ; dès lors, on ne comprend pas pourquoi la remise à parents a disparu de la circulation. Nous vous proposons de la réintroduire.

M. Michel Zumkeller. L’amendement CL96 est défendu. Nous partageons l’avis de notre collègue.

M. Jean Terlier, rapporteur. Dans le nouveau code, l’avertissement judiciaire remplace l’admonestation et la remise à parents. La remise à parents était une rencontre du mineur avec le juge en présence de ses parents, au cours de laquelle le juge rappelait à ces derniers leur rôle éducatif : il s’agissait d’une remise à parents symbolique. La présence des parents ne sera pas éludée puisque l’avertissement judiciaire sera également prononcé en présence des parents. Avis défavorable car les amendements sont satisfaits.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Défavorable. Il est curieux de voir comment l’expression « remise à parents » pouvait être interprétée. Dire « tu es puni, on te remet à tes parents » n’est pas forcément clair… Pour ma part, je suis ravi qu’elle ne figure plus dans le code de la justice pénale des mineurs.

Mme Alexandra Louis. Le terme est ridicule !

M. Ugo Bernalicis. Entre l’avis du rapporteur et celui du ministre, je ne sais pas lequel je dois suivre. Je serais plutôt tenté de suivre le premier, selon lequel il y aura toujours une remise à parents. Le ministre, lui, trouve que remettre l’enfant aux parents est ridicule – il faut savoir ! Moi, je pense que ce n’est pas ridicule du tout. Il y a une symbolique, une solennité autour du juge.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Je n’ai pas dit cela !

M. Ugo Bernalicis. Monsieur le ministre, si vous n’avez pas dit cela et si je suis sourd, vous répliquerez. Et, de toute façon, la séance est filmée en direct, nous pourrons regarder le replay.

C’était plus clair quand il y avait des mesures distinctes, comme dans le code en vigueur. Du reste, réintroduire la remise à parents, comme nous le proposons, tout en gardant votre avertissement judiciaire ne poserait aucune difficulté : l’avertissement judiciaire ne se définit pas par la remise à parents.

La Commission rejette successivement les amendements CL84 et CL96.

Elle en vient à l’amendement CL200 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. Cet amendement, également issu de notre travail sur le harcèlement scolaire, est particulièrement important. Il a pour objet de créer un lien entre les sanctions pénales et les sanctions disciplinaires adoptées dans le cadre des établissements scolaires. Aujourd’hui, un magistrat peut se référer aux sanctions adoptées par l’établissement pour classer une plainte sans suite, considérant qu’une réponse suffisante a été apportée.

Si dans bien des situations de violences scolaires, les mesures adoptées au sein de l’établissement où l’agresseur évolue sont suffisantes – c’est généralement le cas –, il est cependant primordial que ce dernier soit reconnu coupable des faits qui lui sont reprochés sur le plan pénal : je vous renvoie à la discussion que nous avons eue tout à l’heure. Cela permettrait d’une part aux victimes d’être reconnues comme telles et de se sentir écoutées et prises en considération par la société, et, d’autre part, d’éviter que l’absence de condamnation d’un enfant harceleur ne débouche sur une banalisation des violences au sein de l’établissement en donnant aux élèves l’impression d’être en droit de se livrer à de telles pratiques.

Pour créer une articulation entre sanctions disciplinaires et sanctions pénales, la possibilité donnée au magistrat de se référer à la mesure de responsabilisation adoptée sur le fondement de l’article R. 511-13 du code de l’éducation semble particulièrement intéressante. Elle consiste à impliquer l’élève sanctionné dans des activités à nature sociale, au sein de l’établissement ou dans d’autres types de structures – associations, collectivités territoriales, administrations, groupements de personnes publiques –, pour une durée maximale de vingt heures, en dehors des heures de classe.

Ainsi, dans l’esprit du principe de la primauté de l’éducation sur le répressif, il pourrait être intéressant pour un magistrat de se référer à cette sanction disciplinaire, sans énoncer de sanction supplémentaire, en reconnaissant la culpabilité de l’élève en cause.

Ce qui pose problème, je l’ai dit, c’est l’idée qu’il y ait une plainte sans suite, proprement terrible pour les victimes.

M. Jean Terlier, rapporteur. Votre amendement est intéressant, mais introduit beaucoup plus de complexité que de simplification, en amenant à une sorte de mélange entre des sanctions qui ne relèvent pas du même juge. Si les sanctions pénales et les sanctions disciplinaires peuvent se cumuler, elles n’ont pas le même objet et surtout, elles ne peuvent être prononcées de la même manière. Cela crée une confusion qui n’est pas forcément opportune. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Je sais que M. le député Balanant est passionné par l’école et tout ce qui s’y passe. Mais le juge ne peut pas statuer sur autre chose que le code pénal : le règlement intérieur de l’école, ce n’est pas son histoire, et il n’est pas question que l’on mélange tout. Que nous dirait-on si le juge des enfants venait prononcer l’exclusion d’un élève de l’établissement au motif qu’il n’aura pas été poli avec son instituteur ou son professeur ? Cela n’est pas inscrit dans le code pénal ; le juge est garant de la loi, non des règlements intérieurs des établissements scolaires. Que le chef d’établissement garde ses prérogatives et le juge les siennes : ne mélangeons pas les choses, au risque de créer de la confusion.

Je ne suis d’ailleurs pas certain que cette histoire soit bien constitutionnelle : si le juge pénal devait statuer sur autre chose que sur la loi, je ne suis pas convaincu que cela plaise aux sages du Conseil constitutionnel… Avis défavorable.

M. Erwan Balanant. Je vois mes collègues ricaner (Exclamations) ou rigoler, mais le problème est sérieux. Je comprends votre argument, monsieur le Garde des sceaux, et suis assez conscient de la limite de mon amendement. Il ne s’agit cependant pas des règlements intérieurs des établissements.

Je connais mal le code pénal, mais mieux le code de l’éducation, dont les règles obligent les établissements. Un magistrat peut d’ores et déjà se référer aux sanctions adoptées dans le cadre d’un établissement d’enseignement scolaire : il peut classer l’affaire sans suite dès lors qu’une discipline scolaire a été mise en place. Or le classement sans suite est très problématique. Des enfants se sont suicidés, et dans certains cas, le magistrat a classé le dossier sans suite. Je veux seulement que l’on trouve une solution à cela. Le dispositif de mon amendement n’est peut-être pas complet et efficient, mais il pose un problème réel.

Je ne suis pas sûr que certains de mes collègues comprennent les ravages du harcèlement scolaire. Certains le connaissent bien, mais d’autres peut-être un peu moins. Cela détruit des enfants, et parfois même une classe entière. Nous devons trouver une solution. L’éducation nationale a fait beaucoup d’efforts mais il reste bien certaines avancées à faire, notamment dans l’articulation entre la discipline scolaire, l’école et la justice – c’est une des lacunes que je relève dans le rapport.

Mme Laetitia Avia. Cher collègue, nos réactions n’avaient d’autres buts que de vous faire comprendre que votre disposition va un peu trop loin. Nous sommes parfaitement conscients des ravages du harcèlement scolaire ou du cyber-harcèlement ; mais, concrètement, on ne va pas demander à un juge de prononcer un avertissement, un blâme ou une mesure de responsabilisation dans une école.

M. Erwan Balanant. Je ne demande pas cela, mais seulement de les prendre en compte.

Mme Laetitia Avia. Outre l’avertissement, le blâme et la mesure de responsabilisation, l’article R. 511-13 du code de l’éducation prévoit trois mesures graduelles d’exclusions. On ne va pas demander à un juge d’exclure d’une classe ou d’un établissement. Il y a des interdictions par ailleurs, mais que chacun reste dans son office… C’est ce que disait le ministre : votre amendement va un peu loin.

Mme Alexandra Louis. Nous partageons évidemment la préoccupation de notre collègue Erwan Balanant de lutter contre le harcèlement scolaire. Je ferai simplement une observation pratique : si une sanction a été prise dans un établissement scolaire à l’encontre de tel ou tel gamin, son avocat pourra faire état de cette sanction au juge, et celui-ci est libre de prendre en compte ou non cet élément dans le choix de la mesure éducative. Cela relève plus de la pratique que de l’avancée législative, mais cela répondrait à la volonté de faire en sorte que les choses s’imbriquent un peu. En tout cas, le sujet est intéressant.

M. Erwan Balanant. Je veux dissiper toute incompréhension : je n’ai aucune envie d’être le Père fouettard. Sur les 120 propositions de mon rapport, 110 sont d’ordre éducatif ou ont trait à la prévention et aux bonnes pratiques. Je ne dis pas que le juge prononcerait des sanctions scolaires, Madame Avia, mais que le magistrat, pour ne pas classer sans suite, ce qu’il fait à l’heure actuelle, prendrait en compte des sanctions disciplinaires et scolaires. C’est le contraire que je souhaite.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL246 de M. Jean-Michel Clément et CL85 de Mme Danièle Obono.

M. Jean-Michel Clément. Nous avons rappelé au début de ce débat les principes fondateurs de la justice des mineurs, la primauté de l’éducatif sur le répressif, ainsi que la spécialisation, avec un juge des enfants. Petit à petit, chemin faisant, on s’éloigne des principes de départ. On oublie que le juge des enfants doit être le garant de la spécialisation de la justice des mineurs. L’amendement CL246 vise à substituer aux mots « tribunal de police » les mots « juge pour enfant en audience de cabinet ». Pour les audiences de cabinet également, le juge des enfants doit être la personne référente, qui prononce l’avertissement judiciaire au nom de la spécialisation de la justice des mineurs.

M. Ugo Bernalicis. Nous en avons déjà parlé précédemment à l’occasion d’un amendement de Cécile Untermaier, qui reposait le principe de spécialisation, y compris pour les contraventions inférieures à la cinquième classe, qui restent de la compétence du tribunal de police. Toute première sanction, ne serait-ce qu’une contravention, doit pouvoir faire l’objet d’un suivi spécialisé. C’est le principe de la justice des mineurs : le juge des enfants voit au-delà de l’infraction et engage une discussion sur le contexte, l’environnement et les raisons du passage à l’acte. Le tribunal de police sera un peu plus expéditif sur ces aspects, ce qui est normal dans la mesure où le cas des enfants n’est pas sa prérogative première.

Par l’amendement CL85, nous proposons donc de supprimer toute possibilité de ne pas faire appel à des magistrats spécialisés et à une forme de justice spécialisée.

M. Jean Terlier, rapporteur. M. Bernalicis a raison, nous avons déjà eu ce débat sur le fait qu’il semblait utile voire pertinent de permettre que le tribunal de police puisse être compétent pour juger les auteurs de contraventions de la première à la quatrième classe, notamment pour délester les juges des enfants ou les tribunaux pour enfants, déjà bien engagés dans des procédures qui méritent davantage leur attention. Il semble pertinent et cohérent de laisser la possibilité à ce même tribunal de police de prononcer des avertissements judiciaires plutôt que des amendes. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Supprimer la possibilité pour le tribunal de police de prononcer un avertissement judiciaire a un effet totalement pervers : il n’aura alors d’autres solutions que de prononcer une peine, ce qui sera beaucoup plus défavorable pour le mineur. Dans ces conditions, je ne peux qu’être opposé à ces amendements.

M. Ugo Bernalicis. La rédaction de nos amendements obéit à une certaine coordination, une architecture d’ensemble : si nous supprimons le tribunal de police dans l’amendement CL85, c’est parce que nous lui dénions par ailleurs toute compétence pour donner des contraventions aux mineurs. Nous ne voulons pas qu’il puisse être prononcé des mesures à l’encontre des mineurs ailleurs que dans un cadre spécifique, et cela vaut pour le tribunal de police. L’avertissement judiciaire doit être prononcé non par le tribunal de police mais par le juge des enfants, en cabinet, parce que cela a du sens. Vous pouvez lire notre amendement comme cela vous arrange, monsieur le Garde des sceaux, mais telle est bien notre intention.

La Commission rejette successivement les amendements CL246 et CL85.

Elle examine l’amendement CL237 de Mme Alexandra Louis.

Mme Alexandra Louis. Cet amendement, assez simple, a le mérite d’être efficace et adapté : il s’agit de cumuler les différents modules relatifs aux mesures éducatives avec l’avertissement et les peines. En somme, le juge pourrait faire du sur-mesure et s’adapter à la spécificité de chaque mineur, à sa personnalité, au dossier et à la gravité des faits.

M. Jean Terlier, rapporteur. L’article L. 111-3 est en effet très complexe. Le dispositif envisagé le rend plus lisible. Cet amendement est donc bienvenu. Avis favorable.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux. Favorable, avec enthousiasme. (Sourires.)

La Commission adopte l’amendement.

La réunion se termine à minuit.

————


Membres présents ou excusés

 

En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.