Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 Examen du rapport sur la mise en œuvre des articles 1er à 4 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (Mme Yaël Braun-Pivet, MM. Éric Ciotti et Raphaël Gauvain, co-rapporteurs)              2

 Communication de la mission flash sur les cours criminelles (MM. Stéphane Mazars et Antoine Savignat, co-rapporteurs) 14

         Informations relatives à la Commission..................15

 


Mercredi
16 décembre 2020

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 40

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente
 

 


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La réunion débute à 9 heures 30.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission examine le rapport sur la mise en œuvre des articles 1er à 4 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (Mme Yaël Braun-Pivet, MM. Éric Ciotti et Raphaël Gauvain, co-rapporteurs)

Mme la présidente Yaël BraunPivet, rapporteure. Nous sommes réunis pour examiner un bilan de la mise en œuvre des articles 1er à 4 de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT.

L’article 5 de la loi SILT a en effet prévu, pour ces dispositions, un contrôle parlementaire « renforcé », que la commission des Lois a confié à Raphaël Gauvain, qui était le rapporteur du texte, à Éric Ciotti, qui en est le rapporteur d’application, et à moi-même en ma qualité de présidente. Nous avons donc mené ce contrôle à trois et je tiens à remercier mes deux collègues car nous avons travaillé de façon très constructive et harmonieuse.

Nous avons effectué de multiples auditions à l’Assemblée nationale et des déplacements dans des préfectures ou des maisons d’arrêt. Nous avons également auditionné avec vous, à plusieurs reprises, le ministre de l’Intérieur. Nous vous avons rendu compte de nos travaux régulièrement. Je crois que, de ce point de vue, nous avons rempli notre mission.

Je commencerai en vous présentant un rapide bilan quantitatif de l’application des mesures de la loi SILT, illustré par des tableaux. Puis Éric Ciotti et Raphaël Gauvain vous présenteront nos propositions.

Les articles 1er à 4 de la loi SILT ont introduit quatre grandes dispositions dans notre droit. La première, objet de l’article 1er, est relative aux périmètres de protection, qui permettent de sécuriser des sites ou des événements présentant un risque terroriste. Ceux-ci ont été utilisés très largement, mais de façon resserrée. Conséquence du confinement et de l’annulation de plusieurs événements festifs qui font d’habitude l’objet de périmètres de protection, cela a moins été le cas la troisième année. Le recours à ces périmètres est habituellement inégalement réparti dans l’année, avec des moments « phares » en juillet et en décembre, en lien avec les célébrations du 14 juillet et les marchés de Noël. Nous recevons tous les actes relatifs à ces périmètres, qui respectent la législation que nous avons instaurée.

Les graphiques dont vous pouvez prendre connaissance, qui figureront dans le rapport, illustrent le fameux continuum de sécurité qui est à l’œuvre dans la mise en œuvre des périmètres de protection, qui mobilisent nos forces de police, nationale ou municipale, et des agents de sécurité privée.

Au regard de la répartition géographique, on constate que, dans certaines zones, les périmètres de protection sont utilisés beaucoup plus souvent : la région parisienne et les zones frontalières avec la Belgique, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. Les usages étant effectivement associés aux événements qu’il convient de protéger, nous avons peu de remarques à faire sur l’utilisation qui a été faite de ces périmètres.

L’article 2 de la loi SILT vise la fermeture des lieux de culte, question dont nous avons débattu régulièrement. Si huit fermetures seulement sont intervenues en vertu de la loi SILT, la procédure que nous avions imaginée a été perçue positivement car elle a permis d’instaurer du contradictoire et des voies de recours, et d’atteindre nos objectifs : permettre le remplacement des équipes dirigeantes de lieux de culte pour ne pas attenter à la liberté de culte et à la liberté religieuse, tout en fermant les lieux de diffusion d’idées terroristes. Nous avons donc constaté une utilisation parcimonieuse de cette disposition et nous ferons des propositions pour étendre les possibilités de fermetures de lieux de culte.

Les mesures individuelles de contrôle et de surveillance (MICAS), prévues à l’article 3, ont été particulièrement bien utilisées. Au total, pendant les trois années d’application de la loi SILT, 349 MICAS ont été prises, concernant 301 personnes. Nous observons une bonne appropriation de cet outil. Nous recevons en continu les actes anonymisés des MICAS et constatons que celles-ci sont à chaque fois correctement motivées et que le ministère de l’Intérieur a, en la matière, une doctrine bien établie. Les MICAS sont très appréciées par les services de renseignement pour faire face à la menace terroriste et leur utilisation monte en puissance.

Nous avons distingué les MICAS en fonction des obligations auxquelles les personnes concernées peuvent être soumises. L’article le plus mobilisé est le L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, qui prévoit les mesures les plus restrictives de liberté : l’interdiction de sortir d’un périmètre et l’astreinte à une obligation de pointage. Pour 75 % des personnes astreintes à une MICAS, le périmètre de déplacement est restreint à la commune. Pour quasiment 95 % des personnes soumises à une obligation de pointage, celui-ci est quotidien, 5 % seulement des intéressés devant pointer moins régulièrement. Cela montre – nous en avions débattu à l’occasion de nos échanges sur les sortants de prison – que cet outil est vraiment le plus utile pour les services et que plus le pointage est resserré et fréquent, plus le contrôle est efficace.

Environ un quart des interdictions d’entrer en relation s’appliquent à une seule personne. Pour les interdictions de paraître, on voit que l’autorité administrative essaye de prendre des mesures strictement proportionnées et adaptées.

Le graphique montre les raisons pour lesquelles une MICAS peut faire l’objet d’une abrogation – pour soixante-deux d’entre elles, il s’agit d’une incarcération de la personne. Parmi les nouvelles incarcérations, quinze tiennent au non-respect des obligations des MICAS et quarante-sept à un autre motif. La loi n’a donc pas créé ce que certains avaient appelé une « camisole administrative » qui pousserait les personnes à la faute à cause du nombre élevé d’obligations auxquelles elles seraient soumises. Le nombre d’incarcérations de personnes ayant fait l’objet d’une MICAS est bien davantage dû à d’autres infractions qu’à une violation de leur MICAS.

Le renouvellement des MICAS a également fait débat entre nous. D’une durée initiale de trois mois, 24 % des MICAS n’ont pas été renouvelées et 58 % l’ont été une fois, atteignant ainsi au plus six mois. Un deuxième renouvellement portant la durée totale à neuf mois n’intervient que dans 13 % des cas, et un troisième, allant jusqu’à un an, que dans 5 % des cas. Nous avions posé plusieurs conditions au renouvellement des MICAS et, en tout état de cause, leur durée est limitée à douze mois. Ainsi l’autorité administrative est-elle conduite à limiter les renouvellements parce qu’elle ne dispose pas nécessairement des éléments suffisants, mais aussi parce qu’elle garde du temps de MICAS disponible pour pouvoir, le cas échéant, en prononcer une nouvelle en respectant la décision du Conseil constitutionnel de ne pas excéder une durée d’un an cumulée. Cela explique aussi le faible nombre de deuxième et de troisième renouvellements.

Beaucoup de personnes ayant fait l’objet d’une MICAS ont aussi fait l’objet d’une condamnation pénale. C’est normal puisqu’il s’agit de profils à haut risque et de personnes qui ont le plus souvent un casier judiciaire assez « chargé ». Parmi les 153 personnes condamnées pour des faits de droit commun, 144 l’ont été pour des faits de violence et sont en état de multirécidive. Parmi les personnes placées sous MICAS, 115, soit 38 %, ont des antécédents judiciaires pour des faits de terrorisme et 58, soit 19 %, pour apologie du terrorisme. Nous sommes vraiment face à de « gros profils ». 20 % des personnes ayant fait l’objet d’une MICAS présentent par ailleurs des troubles psychiatriques.

L’analyse des nationalités déconstruit certaines idées reçues : 91 % des personnes sous MICAS sont de nationalité française, 9 % de nationalité étrangère. De fait, les MICAS sont prononcées pour des personnes qui résident sur notre territoire, alors que, bien souvent, celles qui ont des casiers chargés et dont on soupçonne des activités en lien avec le terrorisme font l’objet de procédures d’expulsion à la sortie de prison, avec une rétention en centre de rétention administrative (CRA).

On observe, par ailleurs, une montée en puissance des MICAS pour les sortants de prison, sujet qui nous a fortement mobilisés. Entre novembre 2019 et octobre 2020, 83 sortants de prison ont fait l’objet d’une MICAS. Tous les sortants de prison radicalisés font l’objet d’un passage en revue des services de renseignement pour savoir quel doit être leur niveau de suivi et tous ceux qui sont dans le « haut du spectre » font l’objet d’une MICAS et d’un suivi.

Dernier article soumis à notre contrôle, l’article 4 est relatif aux visites domiciliaires, dispositif assez complexe du fait qu’il constitue une atteinte importante aux libertés – il s’agit d’aller au domicile d’une personne pour réaliser une perquisition administrative. Après une montée en puissance assez lente, l’outil a connu une bonne appropriation à la fois par les autorités administratives et par le juge des libertés et de la détention (JLD) parisien, spécialisé en la matière. Le recours à ces dispositifs s’est accru – très fortement, d’ailleurs, après l’assassinat de Samuel Paty.

Au total, au 30 octobre 2020, les préfets ont formulé 406 requêtes de visites domiciliaires, donnant lieu à 237 autorisations du JLD et 45 refus, plusieurs requêtes étant toujours pendantes ; 194 visites ont été effectuées donnant lieu à 110 saisies. Tous les intervenants nous ont dit que ces visites sont très utiles pour procéder à des levées de doute.

Sans surprise, on retrouve pour la répartition géographique des visites domiciliaires les mêmes zones que pour les périmètres de protection et les MICAS. Nous proposons dans notre rapport que les ministères de la Justice et de l’Intérieur rédigent une circulaire pour harmoniser les motivations et le processus des requêtes préfectorales afin que le JLD de Paris puisse mieux y répondre.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Je tiens, à mon tour, à souligner l’excellente qualité du contrôle que nous avons conduit avec la présidente de la commission des Lois et Raphaël Gauvain. Nous avons multiplié les auditions et obtenu les renseignements et éléments d’information nécessaires à la rédaction de notre rapport.

À l’issue de ce contrôle, j’exprimerai essentiellement les mêmes réserves que lors de l’examen du projet de loi SILT, qui m’avaient conduit à ne pas voter celui-ci, non par refus d’une politique d’accroissement de nos dispositifs de sécurité, mais par conviction que le niveau de sécurité s’en trouverait dégradé par rapport au régime d’état d’urgence instauré par la loi du 3 avril 1955. Je crois que la dégradation du niveau de sécurité s’est malheureusement confirmée. La loi de 1955, telle qu’elle était en vigueur du 13 novembre 2015 au 1er novembre 2017, était censée entrer dans le droit commun par la loi SILT, mais c’est un peu une figure de l’esprit, voire une tournure politique que de dire que nous avons introduit dans le droit commun les dispositions de l’état d’urgence : celles de la loi SILT sont très différentes, leurs implications en matière de sécurité sont beaucoup plus faibles et ne permettent pas de garantir le même niveau de sécurité.

Je commencerai par une analyse quantitative. Les mesures prises dans le cadre de la loi SILT ont été considérablement moins nombreuses que celles prises sous le régime de la loi de 1955 : au 30 octobre 2020, 349 MICAS avaient été prononcées contre 754 assignations à résidence sous le régime de l’état d’urgence, soit près de deux fois moins, et 194 visites domiciliaires ayant donné lieu à 108 saisies ont été effectuées, contre 4 469 perquisitions administratives sous le régime de l’état d’urgence – le rapport est cette fois quasiment de un à dix.

Le nombre de fermetures de lieux de culte – huit ! – est franchement ridicule. Le Gouvernement semble prendre conscience de ces difficultés puisque des possibilités plus larges de fermetures de lieux de radicalisation sont envisagées dans le projet de loi confortant le respect des principes de la République. Cela souligne l’erreur qui a été commise avec la loi SILT – certains d’entre nous n’avaient pourtant pas manqué de le souligner – et la faiblesse de ses préconisations en la matière.

Du point de vue qualitatif, les mesures ouvertes par la loi SILT revêtent une efficacité beaucoup plus faible et je vais essayer de vous en donner la preuve. S’agissant des assignations à résidence, sous le régime de l’état d’urgence, il était possible d’imposer à une personne de résider douze heures par jour à son domicile – à la suite d’un amendement que j’avais fait adopter visant à allonger la durée de neuf heures applicable dans les premiers moments de l’état d’urgence après le 13 novembre 2015. Il était aussi possible d’imposer de pointer trois fois par jour au commissariat ou à la gendarmerie. Avec les MICAS, il est seulement possible de restreindre les déplacements d’une personne au sein d’une commune. Le périmètre d’assignation est donc passé du domicile à la commune et l’on voit la difficulté que cela pose, notamment dans les grandes métropoles telles que Paris, Lyon, Lille, Marseille ou Nice. Qui plus est, il est possible de limiter le pointage à un seul par jour.

Les députés Les Républicains avaient souligné la faiblesse du dispositif. Nous mesurons plus que jamais qu’il conviendrait – proposition qui déborde sans doute le cadre de la loi SILT – de changer de périmètre et d’aller beaucoup plus loin dans la volonté de mettre en place ces contrôles individuels administratifs.

Globalement, l’action du Gouvernement me paraît manquer d’une ligne directrice claire et donne l’impression quasi systématiquement d’être un peu « à la remorque » des événements. Le nombre de visites domiciliaires, malheureusement, confirme cette analyse. Avant les attentats qui ont frappé notre pays à partir de septembre 2020, que ce soit contre les anciens locaux de Charlie Hebdo, contre Samuel Paty, à la basilique Notre‑Dame de Nice, seulement trente visites avaient été diligentées depuis le début de l’année 2020. Il y en a eu beaucoup plus depuis octobre : les préfets ont émis plus de requêtes en sept semaines qu’en trois ans !

Encore une fois, malheureusement, l’action conduite s’est trop souvent résumée à agir après les événements plutôt qu’elle ne les a anticipés. Le régime de l’état d’urgence, dont vous avez compris que je le préfère très largement à celui de la loi SILT, devait permettre d’anticiper les événements, de prévenir le passage à l’acte. Or on s’aperçoit que ses outils sont utilisés de façon plus forte après les attentats ; c’est une aberration et le manque d’anticipation est flagrant. Pour que les outils disponibles aient une efficacité maximale, leur opérationnalité devrait être beaucoup plus forte.

S’agissant des sortants de prison, nos auditions ont été très éclairantes, notamment celle du procureur national antiterroriste, M. Jean‑François Ricard, ou celle du président du tribunal judiciaire de Paris, M. Stéphane Noël. Je garde en mémoire – c’est l’audition qui m’a le plus marqué – les mots du procureur national antiterroriste qui nous a dit être saisi d’une « peur panique » face à la dangerosité des sortants de prison, et a souhaité qu’on bouche ce trou béant dans notre protection. Cela a conduit, madame la présidente, à la proposition de loi que vous avez défendue, que j’ai votée, mais dont nous savons ce qu’il est malheureusement advenu.

Je dis très solennellement qu’il faut traiter en urgence absolue la situation de ceux qui sont appelés à sortir de détention, et prendre des mesures très claires de surveillance afin d’empêcher que ceux qui se sont radicalisés en prison alors qu’ils étaient des détenus de droit commun ne puissent passer à l’acte. La mesure la plus efficace serait une rétention de sureté, qui contribuerait à mieux protéger nos concitoyens contre les criminels terroristes dangereux – vous savez que c’est chez moi une conviction constante, que je défends depuis plusieurs années.

Pour reprendre la formule imagée de l’ancien procureur de Paris, M. François Molins, chargé des questions de terrorisme au plan national avant la création du parquet national antiterroriste (PNAT), « on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif ». Il mettait ainsi en lumière les difficultés des procédures dites de déradicalisation, qui ont montré leurs infinies limites. Il indiquait aussi : « lorsqu’on tombe sur des individus imprégnés par cette idéologie mortifère, les maintenir enfermés n’est peut-être pas la mission la plus noble, elle a au moins l’impérieuse vertu de protéger la société. » Or la protection de notre société n’est pas au rendez-vous ; il faut établir cette protection pour éviter de nouveaux drames. La censure du Conseil constitutionnel – nous n’avons pas à la commenter mais à en tenir compte, ce qui n’a pas été fait jusqu’alors – exige que nous ayons une réaction à la hauteur de la faiblesse du dispositif de sécurité dont elle est à l’origine.

Malheureusement, cette décision s’inscrit dans une jurisprudence du Conseil constitutionnel qui me paraît extrêmement préoccupante. En décembre 2017, le Conseil constitutionnel a annulé la disposition sanctionnant pénalement la consultation régulière de sites djihadistes, dont nous avions obtenu, avec mon collègue Guillaume Larrivé et le président de la commission des Lois du Sénat Philippe Bas, l’introduction dans la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique. Cette censure montrait déjà à quel point le Conseil constitutionnel s’était enfermé dans une forme de naïveté face aux menaces terroristes. Sa constance dans cette évolution, que l’on pourrait peut-être qualifier de dérive, s’est ensuite traduite par la censure de l’article 8-1 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence autorisant le préfet à ordonner des contrôles d’identité ou des fouilles de véhicules, deux mesures indispensables pour disposer d’outils juridiques efficaces dans notre lutte contre le terrorisme islamiste. Enfin, la décision du 6 juillet 2018 complique redoutablement le combat légitime contre les réseaux de passeurs de migrants. Nous avons vu, encore récemment avec l’attentat de Nice, que les terroristes s’étaient souvent insérés dans ces flux migratoires. Ils l’avaient fait également pour les attentats du Bataclan et des terrasses de café en 2015. Le droit à la fraternité ouvre surtout une porte à la naïveté.

Afin de remédier à ce désarmement juridique, il me paraît indispensable de changer de cadre et de procéder à une réforme constitutionnelle. Les propositions de notre rapport vont dans la bonne direction ; je les soutiens. Elles sont pertinentes et sont le fruit de nos analyses des faiblesses et des failles de la législation, mais elles ne sont en rien à la hauteur de la gravité de la situation. L’état d’urgence nous protégeait à un niveau compatible avec le cadre constitutionnel ; nous avons dégradé ce niveau de protection avec la loi SILT, je le redis en conscience. Si nous voulons vraiment modifier ce degré de protection, nous ne pourrons pas faire l’économie d’une réforme constitutionnelle. Tout le reste relève de rafistolages juridiques qui, au final, atténuent la force des discours.

Après l’assassinat de Samuel Paty, le Président de la République nous a indiqué que la peur allait changer de camp. Je partage, bien sûr, ce souhait, mais, pour que la peur change de camp, il faut changer de cadre. Toutes les dispositions permettant d’adapter notre législation n’ont pas été adoptées. La situation que connaît notre pays depuis cinq ans nous impose d’adopter des mesures exceptionnelles. La loi SILT a été appliquée très faiblement et le petit sursaut qu’on a eu après les attentats de septembre dernier montre combien on avait baissé la garde. Elle ne me paraît pas suffisante pour nous protéger ; elle est bien en retrait par rapport à ce qui existait. Je le redis, et je suis certain que nous y viendrons, quelles que soient les résistances, les réticences, les fausses pudeurs : il faudra changer la Constitution. Et puisque le Président de la République l’a proposé sur d’autres sujets, je pense que le vecteur référendaire pourrait donner au peuple la possibilité de dire qu’il souhaite être mieux protégé.

M. Raphaël Gauvain, rapporteur. Je salue, moi aussi, le travail transpartisan mené depuis trois ans sur ce sujet difficile. Parmi nos propositions, la plus importante est de pérenniser les dispositifs des articles 1er à 4 de la loi SILT. Selon le bilan que nous dressons, l’autorité administrative fait une utilisation proportionnée et adaptée de ces quatre instruments, et nos auditions ont révélé une véritable demande des acteurs de la lutte contre le terrorisme – les services de renseignement, les procureurs – que ces outils utiles soient pérennisés. Quand des attentats sont déjoués, le grand public n’en a pas toujours connaissance. Le Monde a fait état d’un attentat majeur déjoué il y a dix-huit mois grâce à l’utilisation par les services de lutte contre le terrorisme d’un instrument majeur de la loi SILT, la visite domiciliaire. Je crois qu’il s’agissait de personnes d’origine égyptienne, se trouvant dans le 9e arrondissement de Paris, qui projetaient un attentat de masse dans un bus. Nous proposons donc de pérenniser les articles 1er à 4, tout en recommandant des améliorations paramétriques du dispositif.

Faudrait‑il revenir à l’état d’urgence qui offrirait un meilleur niveau de protection ? La question vient d’être posée par Éric Ciotti et c’est un débat que la commission des Lois a eu en 2017 et au cours de ce contrôle. En toute franchise, je pense qu’il est aujourd’hui dépassé.

Je ne polémiquerai pas sur les chiffres, mais on ne peut comparer les 200 ou 300 visites domiciliaires sous le régime de la loi SILT aux 4 000 perquisitions administratives qui ont eu lieu pendant l’état d’urgence, dont 80 % sont intervenues dans les deux mois suivant l’attentat du Bataclan. Le nombre des visites domiciliaires est similaire à celui des perquisitions administratives de la fin de l’état d’urgence, qui était davantage maîtrisé lorsqu’on a basculé vers la loi SILT. D’ailleurs, à aucun moment, au cours de nos auditions, les acteurs de la lutte contre le terrorisme n’ont émis l’idée qu’il fallait revenir à l’état d’urgence ni que ses instruments étaient adaptés à la menace. En tout cas, ils ne l’auraient aucunement été lors des derniers attentats, celui contre Samuel Paty ou celui de Nice.

Notre proposition n° 9 concernant les sortants de prison porte sur une question majeure et d’actualité, dont nous allons sans doute débattre à nouveau dans les prochains mois pour essayer de trouver une solution. Je rejoins Éric Ciotti à ce sujet. Au cours de nos auditions, le procureur antiterroriste et les acteurs de la lutte antiterroriste ont souligné la nécessité d’améliorer le dispositif.

Nous avions essayé de boucher ce trou dans la raquette avec la proposition de loi de notre présidente. J’ai été extrêmement surpris par la décision du Conseil constitutionnel d’août 2020 à l’encontre d’un texte voté par l’ensemble des groupes politiques et adopté en commission mixte paritaire, l’Assemblée nationale et le Sénat, ayant conscience de la difficulté d’instaurer des mesures de sûreté, s’étant montrés soucieux de trouver un équilibre. Nous avions sollicité l’avis du Conseil d’État, dont nous avions intégré les recommandations dans la proposition de loi. Nous étions même allés plus loin dans ce fameux équilibre, en ayant conscience du risque d’une censure – elle est intervenue.

Sans parler du véhicule législatif, nous avons désormais trois solutions. La première consiste à réitérer ce que nous avions mis dans la proposition de loi, c’est‑à‑dire confier le prononcé de la mesure de sûreté à l’autorité judiciaire, sachant que le débat sera compliqué : certes, le Conseil constitutionnel n’exclut pas la possibilité d’instaurer des mesures de sûreté, mais il pose des conditions dont on peut se demander, en analysant sa décision, si elles n’empêchent pas leur instauration. Cette voie a ma préférence parce qu’elle permet, dans un domaine délicat, un débat judiciaire contradictoire avant l’application de la mesure – c’était donc une avancée considérable. On pourrait éventuellement emprunter la voie administrative, mais on serait encore sur une corde raide au regard de la décision du Conseil constitutionnel. On pourrait aussi rechercher un équilibre entre ces deux voies.

Je rejoins Éric Ciotti : les sortants de prison sont des personnes extrêmement dangereuses qui, de toute façon, seront suivies par les services de renseignement à leur sortie. Je voudrais éviter qu’au nom de la défense des droits individuels, on refuse des mesures de sûreté, pour se retrouver dans un système où les services de renseignement procéderaient au suivi, sans aucun contrôle du juge. Le débat se déroulera dans les mois à venir, dans le cadre d’une nouvelle proposition de loi ou d’un nouveau projet de loi, dont le dépôt doit intervenir avant juillet 2021.

Nous pourrons revenir dans la suite de la discussion sur nos quatorze propositions complémentaires.

Mme la présidente Yaël BraunPivet, rapporteure. Nous formulons en effet quatorze propositions d’évolution des dispositifs, sur lesquelles nous sommes tous les trois d’accord, même si on a compris qu’Éric Ciotti défendait d’autres positions s’agissant de la loi elle-même.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Je l’ai dit dans mon propos préliminaire et le confirme.

M. Sacha Houlié. Je vous félicite, Madame la présidente, ainsi que M. Ciotti et M. Gauvain, pour le travail réalisé. Je me réjouis de votre proposition de pérenniser le contrôle parlementaire des articles 1er à 4 de la loi SILT, car ce contrôle résulte d’un amendement parlementaire qui avait permis que d’autres collègues nous rejoignent pour sortir de l’état d’urgence et que la commission mixte paritaire soit conclusive. Je rejoins Raphaël Gauvain : les dispositions dont on a fait l’usage ont permis d’être aussi performant que possible, et l’état d’urgence de la loi de 1955 n’aurait rien apporté pour empêcher les attentats que nous avons malheureusement connus.

Par ailleurs, si des fermetures de lieux de culte sont intervenues sous l’empire de la loi SILT, il ressort du travail que nous avons fait avec mon collègue Bruno Questel sur la loi « engagement et proximité » du 19 décembre 2019 que 350 lieux de débits de boisson ont été fermés sur la base d’autres dispositions, telle la loi relative aux établissements recevant du public. L’État n’est donc pas resté démuni et, en tenant compte de l’adaptabilité des prêcheurs ou des personnes radicalisées, a pu les combattre assez efficacement.

Pouvez-vous préciser si, lorsque vous avez envisagé d’améliorer le dispositif de fermeture des lieux de culte, vous pensiez précisément à l’article 44 du projet de loi confortant le respect des principes de la République ou si vous aviez d’autres idées ?

Je partage l’avis de M. Ciotti qu’il y a une forte radicalisation en prison, qu’il faut la traiter comme telle et être intransigeant. Je ne partage pas, en revanche, loin s’en faut, l’idée qu’il faudrait instaurer des mesures de sûreté et j’avais émis des désaccords durant l’examen de la proposition de loi. Je ne crois pas que le Conseil constitutionnel soit naïf ; je crois qu’il est lucide. S’il fallait réviser la Constitution, quelles mesures faudrait-il toucher : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le Préambule de 1946, les fondements de la police administrative ou l’article 66 ? Je vois mal de quelle façon M. Ciotti envisage de réviser la Constitution. En tout état de cause, je suis défavorable à une telle révision.

Concernant la rétention des personnes amenées à sortir de prison, j’avais compris, lors de l’examen de la proposition de loi, que les dispositions préexistantes étaient insuffisantes. Envisagez‑vous de les faire évoluer ? Cela permettrait‑il de surmonter les craintes et les réserves qui ont conduit le Conseil constitutionnel à censurer ce que nous avions voté ?

Mme Élodie JacquierLaforge. La loi SILT a confié à l’autorité administrative des moyens juridiques afin de prévenir des actes de terrorisme : les périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte, les MICAS, les visites domiciliaires et les saisies. Cependant, dans la mesure où les articles 1er à 4 de la loi SILT octroyaient aux autorités administratives, en particulier au ministre de l’intérieur et aux préfets, des pouvoirs nouveaux et exorbitants du droit commun, l’Assemblée nationale et le Sénat ont estimé opportun, à l’occasion de la navette parlementaire, de les soumettre à un contrôle parlementaire renforcé. C’est ce qui nous réunit ce matin.

En ce qui concerne l’exercice de ce de contrôle parlementaire, vous nous alertez sur le caractère très tardif de la transmission de certains documents par les préfectures. Vous évoquez des arrêtés instituant des périmètres de protection pris plus de deux ans auparavant. À votre avis, à quoi cela est-il dû ? Ces cas sont‑ils rares ou y a‑t‑il un vrai problème pour l’effectivité et l’efficacité du contrôle ?

Dans votre proposition n° 5, vous abordez la « consécration au niveau législatif de la réserve du Conseil constitutionnel s’agissant de l’effectivité continue du contrôle exercé par les OPJ sur les agents de sécurité privée ». Nous adhérons pleinement à cette idée. Cependant, pour sa pleine effectivité, il nous paraît indispensable d’aller vers un renforcement des moyens humains, vers une meilleure formation des agents de sécurité privée et vers une revalorisation de la qualité d’OPJ.

Vous expliquez que les périmètres de protection sont très utilisés – 602 fois depuis l’entrée en vigueur de cette disposition. Nous soulignons une certaine disparité entre les territoires, puisque quarante-six départements n’ont appliqué aucun périmètre de protection en trois ans – c’est le cas des Bouches‑du‑Rhône, quand le département voisin du Var l’a fait à trente-six reprises. Dans votre présentation vous n’avez pas insisté sur ce point, mais il s’agit, pour nous, d’un décalage surprenant.

Vous évoquez des doctrines différentes selon les préfets. Cela nous frappe évidemment et c’est pourquoi nous adhérons à votre proposition de « diffusion par le ministère de l’intérieur d’un référentiel détaillé explicitant les situations justifiant la mise en œuvre d’un périmètre de protection. » Nous pensons que la lutte contre le terrorisme doit être la même dans tous les territoires et que les préfets doivent s’emparer des outils à leur disposition, au regard des risques encourus et pour les finalités prévues par la loi, c’est‑à‑dire la prévention du terrorisme, et non pour des motifs d’ordre public. Ainsi, au vu des chiffres que vous nous présentez dans votre rapport, soit certains préfets ont recours trop facilement aux périmètres de protection et peut‑être pas pour les bonnes finalités, soit il n’y a pas assez de recours. Il faut donc réussir à atteindre un équilibre, majeur en droit administratif, entre nécessité et proportionnalité.

Concernant la fermeture administrative des lieux de culte, votre rapport révèle que des gestionnaires de ces lieux contournent les décisions en utilisant des espaces connexes déclarés comme lieux culturels. Aussi proposez-vous d’étendre le champ d’application de la mesure en permettant de prononcer également la fermeture de lieux dépendants du lieu de culte visé. Pouvez-vous nous rassurer quant à la faisabilité d’une telle mesure sans qu’elle porte atteinte aux critères de nécessité et de proportionnalité ?

Enfin, s’agissant des MICAS, des obligations sont susceptibles d’être émises comme se déplacer à l’intérieur d’un périmètre géographique déterminé ou se présenter périodiquement aux services de police ou de gendarmerie. Avez-vous constaté des difficultés d’articulation entre les différentes obligations ? Des associations nous ont fait remonter des situations de personnes confinées dans un périmètre géographique mais devant se présenter régulièrement à une gendarmerie située en dehors de ce périmètre, ou ne pouvant se rendre à un entretien d’embauche situé en dehors du périmètre, alors que cela est évidemment essentiel pour leur réinsertion.

Le groupe du Mouvement démocrate et démocrates apparentés salue la qualité de votre rapport et adhère aux propositions qui sont faites. Pour autant, lors du débat sur la pérennisation de ces dispositions, nous resterons vigilants quant au respect des principes qui fondent notre État de droit.

M. Didier Paris. Je vous félicite à mon tour, madame la présidente, ainsi qu’Éric Ciotti et Raphaël Gauvain, pour le travail effectué. C’est peut-être la troisième fois que nous nous retrouvons dans ce cadre et c’est un rendez-vous précieux qui nous permet d’avoir une vision non seulement d’une situation, mais des perspectives d’évolution, ce qui est fondamental et forme la base de notre travail parlementaire.

Nous examinerons demain dans l’hémicycle la loi dite d’enjambement, qui prolonge les mesures de la loi SILT jusqu’à juillet 2021, les mesures de renseignement étant, quant à elles, prolongées jusqu’à la fin de l’année 2021. Nous ne discuterons pas du fond des évolutions potentielles puisque cela nécessiterait un véritable débat parlementaire. Pourtant, en vous écoutant, on a le sentiment que vous avez validé des évolutions probables des articles 1er à 4 de la loi SILT. Est-ce effectivement le cas ? Avons‑nous déjà un cadre conceptuel pour des discussions à venir au premier semestre 2021 ou demeure‑t‑il des éléments qui n’ont pas fait consensus entre vous trois, pour lesquels il nous reste des discussions de fond à mener dans le cadre du futur texte ? J’ai bien compris que l’on resterait par principe dans le cadre actuel sans revenir à l’état d’urgence, et que ces mesures sont validées par l’ensemble des services de police et de renseignement qui n’en demandent pas d’autres. Mais que resterait-il qui pourrait nous occuper ?

Concernant les sortants de prison, dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif au parquet européen et à la justice pénale spécialisée, qui a fait l’objet d’une commission mixte paritaire conclusive le 15 décembre 2020, Naïma Moutchou et moi-même avons longuement auditionné M. Ricard, le patron du PNAT, qui nous a fait part des mêmes difficultés et des mêmes craintes, que nous partageons. Cette inquiétude se reflète dans votre proposition n° 9. Comment assurer une meilleure protection ?

Vous souhaitez reprendre, madame la présidente, votre proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, en adaptant les éléments qui ont été censurés par le Conseil constitutionnel. Cela me paraît fondamental et nous travaillerons volontiers avec vous. Il y a aussi d’autres vecteurs législatifs : le ministre de la Justice a évoqué une « loi justice ».

En dehors des grands éléments de fond ou de principe qui vont nous occuper, il me semble qu’il y a aussi des éléments très concrets, tirés de la pratique judiciaire du contrôle des sortants de prison. Me souvenant précisément de ce que disait le procureur antiterroriste, je pense que trois ou quatre pistes nous permettraient d’avancer, sans grande discussion de fond. Nous pourrions boucher « les trous dans la raquette » de la surveillance judiciaire ; améliorer le suivi post-peine, ce qui suppose que le PNAT soit mieux en mesure d’intervenir lors de l’exécution de la peine, ce qui n’est pas le cas et avait sans doute été oublié lors de sa création ; travailler sur les modalités de liberté conditionnelle et de libération sous contrainte.

Soyons donc vigilants : si nous avons sans doute besoin de réformes conceptuelles concernant les sortants de prison, il y a aussi des réponses très précises, techniques et judiciaires à apporter dans le fonctionnement du PNAT. Il faut avoir les bons outils pour atteindre un objectif qui nous concerne tous : la protection des Français face aux sortants de prison.

Mme la présidente Yaël BraunPivet, rapporteure. Merci beaucoup pour vos interventions et pour la confiance que vous nous témoignez.

Sacha Houlié l’a rappelé, le contrôle parlementaire renforcé avait fait consensus lors de l’adoption de la loi SILT à l’Assemblée nationale et au Sénat. Notre souhait est donc qu’il soit pérennisé parce qu’il nous permet d’accéder à des informations auxquelles nous n’avons malheureusement pas accès dans un contrôle parlementaire classique, notamment la transmission au fur et à mesure des actes intégraux, nous permettant de nous assurer de leur bonne motivation.

Mme Jacquier‑Laforge nous a interrogés sur les difficultés de transmission. Il y en a eu effectivement et, à chaque fois, j’en ai fait part au bureau de la commission des Lois et j’ai écrit au ministre de l’Intérieur pour m’en étonner. C’est néanmoins assez rare : dans la grande majorité des cas, les actes nous sont transmis dans un délai très raisonnable. Ces retards n’étaient pas imputables au ministère de l’Intérieur mais au niveau préfectoral, les préfets n’ayant pas transmis les actes à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques. Le ministre de l’Intérieur a rappelé à ses services la nécessité d’une transmission dans des délais raisonnables ; normalement, le problème est donc réglé. Hormis quelques difficultés résiduelles exceptionnelles, nous soulignons l’extrême diligence du ministère de l’Intérieur pour nous transmettre les actes dans les meilleurs délais.

Ce contrôle a bien fonctionné. Il nous a permis d’agréger les données et de les publier sur le site de la commission des Lois, ce qui a été souvent salué par des ONG appréciant d’y avoir accès. C’est pourquoi, dans nos recommandations, nous demandons au ministre de l’Intérieur de publier également les données agrégées : sur des mesures aussi restrictives, il nous semble essentiel que le contrôle démocratique s’effectue par notre intermédiaire mais aussi par la transparence vis‑à‑vis des citoyens. Quoi de mieux pour l’assurer qu’une publication directe des données agrégées par le ministère ? Nous avons été extrêmement vigilants pour assurer la bonne exécution de ce contrôle.

Concernant les lieux de culte, notre souhait est effectivement d’étendre la possibilité de fermeture aux lieux connexes telle qu’elle est prévue à l’article 44 du projet de loi confortant le respect des principes de la République, de manière à éviter une percussion des dispositions. Nous souscrivons également à la réduction de délai proposée dans ce texte.

Pour les cas nécessitant de se déplacer hors du périmètre de protection, le ministère peut être saisi d’une demande d’aménagement justifiée par une recherche d’emploi, par l’exercice d’une activité professionnelle ou par des raisons personnelles telles que la garde alternée d’un enfant. Lorsque la demande est justifiée et que c’est possible, la MICAS est aménagée. Les refus concernent des demandes dilatoires faites pour contourner la MICAS mais non fondées sur des raisons personnelles ou de recherche d’emploi. Il ne s’agit pas d’empêcher la réinsertion. Au contraire, s’il y a des possibilités d’emploi ou de consolidation d’une vie personnelle permettant une réinsertion, il ne faut pas les freiner par des dispositifs administratifs trop contraignants. Pour en tenir compte, le ministère procède régulièrement à des aménagements des obligations induites par les MICAS.

Le problème des sortants de prison nous préoccupe tous. J’étais récemment avec le garde des Sceaux au tribunal judiciaire de Paris, à la rencontre du procureur national antiterroriste et de l’ensemble des acteurs. La menace existe et il faut y faire face. La question est de trouver le bon dispositif pour le faire rapidement et efficacement. Raphaël Gauvain et moi-même pensons qu’il faut agir à cadre constitutionnel constant ; nous ne sommes pas sur la ligne exposée par Éric Ciotti d’une réforme de la Constitution. Ainsi, nous retravaillons sur un dispositif contradictoire, avec des magistrats de l’ordre judiciaire, la présence d’un avocat, une audience et la possibilité d’un recours juridictionnel. Ce dispositif judiciaire nous semble plus respectueux des droits et libertés de chacun et satisfaire davantage dans la durée les exigences de notre État de droit.

La décision du Conseil constitutionnel nous contraint beaucoup et la question se pose de savoir si nous arriverons à créer un dispositif judiciaire qui tienne entre les bornes qu’il a fixées et qui serait suffisamment opérationnel et contraignant pour avoir une vraie utilité vis‑à‑vis de ces sortants de prison. Nous travaillons évidemment en lien avec la chancellerie, les personnes en charge de la lutte antiterroriste, le ministère de l’Intérieur et les services de renseignement. Nous espérons faire des propositions rapidement mais la voie est très étroite.

Nous pourrions aussi agir à travers les MICAS ou, comme l’évoquait Didier Paris, renforcer les dispositifs existants. Rien n’est à exclure, chaque voie peut être la bonne et elles pourraient se cumuler. Il faut boucher les trous dans la raquette et avoir des dispositifs les plus complets possible, à charge pour les autorités judiciaires et administratives, dont on sait qu’elles coopèrent très bien dans ce domaine de la lutte antiterroriste, de faire les choix les plus adaptés à chaque situation. Plus notre arsenal juridique sera complet, sur la voie tant judiciaire qu’administrative, plus nous aurons rempli notre mission de législateurs et de protection de nos concitoyens face à ce risque terroriste dont on sait combien il est prégnant sur notre territoire. Notre dispositif doit être solide, conforme à notre État de droit et, si possible, rencontrer l’adhésion politique du plus grand nombre. Nous rendrons compte de nos travaux devant la commission des Lois et nous sommes à la disposition des collègues qui souhaitent s’associer à ce travail parce qu’il est important que nous unissions nos efforts.

M. Raphaël Gauvain, rapporteur. Le contrôle parlementaire habituel permettant déjà de faire des auditions et des déplacements, l’intérêt d’un contrôle parlementaire renforcé réside dans la transmission individuelle des actes. Cette transmission, dans laquelle les noms sont biffés, garantit la qualité de notre contrôle et permet de prendre connaissance des décisions administratives, de l’application des dispositifs et de la motivation des actes.

L’Assemblée nationale avait également voulu appliquer le contrôle parlementaire renforcé dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, mais le Conseil constitutionnel avait censuré cette disposition, en avril 2020, en considérant que la transmission d’actes individuels constituait un empiètement du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif, et était ainsi contraire à la Constitution. Dans le cadre de la loi SILT, le contrôle parlementaire renforcé n’avait pas été soumis à un contrôle constitutionnel. Je pense que la question de la pérennisation de ce contrôle va véritablement se poser dans le cadre de nos débats sur la loi d’enjambement.

Concernant cette loi d’enjambement, Didier Paris demandait si les dispositifs étaient prêts et faisaient consensus. Nous ne pouvons pas répondre à la place du Gouvernement. Il y aura sans doute, dans le projet qui doit être adopté avant juillet 2021 pour pérenniser la loi SILT, des propositions du Gouvernement et du ministre de l’Intérieur. En tout cas, les quatorze recommandations qui sont ici faites avec l’assentiment des trois rapporteurs tendent à pérenniser le dispositif avec des ajustements paramétriques.

Les MICAS seront au cœur des débats à venir et il faudra sans doute instaurer un système jouant sur plusieurs tableaux. La question des sortants de prison explique pourquoi on ne peut pas se satisfaire des dispositifs existants et pourquoi on ne peut même pas les réformer. Il s’agit de personnes « en sortie sèche » : tout aménagement de peine ayant été refusé, elles ont exécuté la totalité de leur peine et ne sont plus éligibles aux dispositifs existants. En modifiant ces dispositifs pour appliquer des mesures judiciaires qui sanctionneraient un comportement, on se confronterait à cet autre principe constitutionnel qu’est la non-rétroactivité de la loi pénale. C’est pourquoi nous avions choisi le dispositif de la sûreté judiciaire avec des contraintes, non pour ce que les personnes ont commis et ce pour quoi elles étaient en prison, mais par rapport à l’appréciation de faits objectifs de dangerosité.

Je rejoins la présidente : contrairement aux dispositifs administratifs qui permettent de contester a posteriori une décision prise par le préfet devant le tribunal administratif, la voie judiciaire, avec l’instauration d’un contrôle, permet un débat contradictoire a priori avec l’autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles aux termes de l’article 66 de la Constitution. Ce dispositif a véritablement notre préférence et nous essaierons, pour les personnes sortant de prison présentant un danger, de trouver une voie de passage pour répondre à la fois aux exigences très contraignantes de la décision du Conseil constitutionnel et aux besoins des services de renseignement et des acteurs de la lutte antiterroriste.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je vais demander à la Commission de se prononcer sur la publication du rapport, que je transmettrai officiellement au président de l’Assemblée nationale.

La Commission autorise la publication du rapport sur la mise en œuvre des articles 1er à 4 de la loi de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

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La Commission entend une communication de la mission flash sur les cours criminelles (MM. Stéphane Mazars et Antoine Savignat, co-rapporteurs).

Cette réunion ne fait pas l’objet d’un compte rendu écrit. Les débats sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse :

Lien vidéo : http://assnat.fr/17O8fb

La réunion se termine à 11 heures 55.

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Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné Mme Justine Bénin rapporteure sur la proposition de loi rénovant la gouvernance du service public d’eau potable et d’assainissement en Guadeloupe (n° 3669).

La Commission a créé une mission d’évaluation de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dont MM. Raphaël Gauvain et Olivier Marleix ont été nommés co-rapporteurs.


Membres présents ou excusés

 

En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.