Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 Audition de M. Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, sur le projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et reportant la date de caducité des régimes institués pour faire face à la crise sanitaire (n° 3733)              2

 


Mercredi
13 janvier 2021

Séance de 18 heures 30

Compte rendu n° 42

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente
 

 


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La réunion débute à 18 heures 30.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission auditionne M. Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, sur le projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et reportant la date de caducité des régimes institués pour faire face à la crise sanitaire (n° 3733).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Le conseil des ministres a adopté ce matin un projet de loi qui, eu égard à la persistance de la circulation active du virus covid-19 dans notre pays, tend à autoriser une prorogation de l’état d’urgence sanitaire. Comme tous les textes d’urgence, nous l’examinerons dans des délais contraints. Faute de cet examen, l’état d’urgence prendrait fin le 16 février. La commission se réunira donc demain à partir de 15 heures et M. Jean-Pierre Pont sera notre rapporteur. J’ai fixé le délai de dépôt des amendements à 14 heures. Le texte sera examiné dans l’hémicycle mercredi prochain.

Je remercie le ministre des Solidarités de la Santé de sa présence pour présenter ce projet de loi. Compte tenu des délais qui nous sont impartis, j’ai considéré que la discussion générale aurait lieu demain. Je vous invite donc à poser vos questions, pour une durée de deux minutes – vous pourrez exposer les positions de vos groupes demain.

M. Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé. Nous voici réunis pour l’examen de ce septième projet de loi relatif à l’état d’urgence sanitaire. La succession des textes qui le proroge est inédite, tout comme la situation que nous vivons depuis bientôt un an.

Les mesures de police sanitaire prises depuis plusieurs mois ont permis de limiter la propagation du virus et d’éviter la saturation des services de réanimation, mais il circule toujours activement en France – comme, d’ailleurs, en Europe et dans une large partie du monde – à un niveau élevé qui, progressivement, tend à nouveau à augmenter. Nous sommes très vigilants quant aux évolutions en cours et chacun doit rester mobilisé.

Depuis le début de 2020, l’épidémie a causé la mort de plus de 68 000 personnes dans notre pays. La pression sur le système de santé demeure forte, avec environ 8 000 nouvelles hospitalisations et un peu plus de 1 100 admissions en réanimation chaque semaine, pour un nombre total de 24 737 personnes hospitalisées au 12 janvier, dont 2 688 dans des services de réanimation.

Si la situation nationale demeure sous contrôle à ce stade, de premières études montrent que chez nos voisins, notamment au Royaume-Uni, le nouveau variant du SARS-CoV-2, le VOC-202012/01 – plutôt que le « variant anglais » – pourrait être sensiblement plus contagieux que les formes du virus circulant jusqu’ici, ce qui fait peser un risque accru de reprise épidémique en dépit des mesures prises pour limiter les importations de cas. Selon les études scientifiques, il y aurait environ 1 % de cas positifs au VOC-202012/01.

L’état d’urgence sanitaire est déclaré depuis le 17 octobre 2020 sur l’ensemble du territoire national et, à la demande du Gouvernement, vous l’avez prorogé jusqu’au 16 février 2021. Sur le fondement de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, le Gouvernement a pu ainsi prendre les mesures nécessaires et proportionnées à cette catastrophe sanitaire, notamment en limitant les déplacements des personnes hors de leur domicile, les rassemblements sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public ainsi que l’accès à certains établissements.

Lorsque l’on observe la situation sanitaire actuelle, et si l’on se penche sur les prévisions pour le premier semestre, cette prorogation est indispensable et nécessite une nouvelle intervention du législateur. Tel est le sens de l’article 2, prévoyant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er juin 2021.

L’article 1er reporte au 31 décembre 2021 la caducité du régime d’état d’urgence sanitaire, initialement fixée au 1er avril 2021 par l’article 7 de la loi du 23 mars 2020. Lors de l’examen du premier texte relatif à l’état d’urgence sanitaire, le Sénat avait en effet considéré qu’il était plus prudent de conférer un caractère temporaire à cette disposition compte tenu des conditions particulièrement rapides d’élaboration de ce cadre juridique. Cette clause de caducité proposée par le Sénat avait été entérinée par le Parlement dans le cadre de la loi du 23 mars 2020. Au 31 décembre, les dispositions du code de la santé publique régissant l’état d’urgence sanitaire disparaîtront de l’ordonnancement juridique.

Cette clause de caducité, connue de tous, a justifié la présentation, en décembre dernier, du projet de loi visant à pérenniser dans le code de la santé publique les outils pouvant être actionnés en cas de crise sanitaire. Ce texte a finalement été retiré de l’ordre du jour et sera examiné au Parlement lorsque la crise sera derrière nous.

Néanmoins, nous avons besoin de maintenir dans le code des dispositions utilisables pour lutter contre la crise, et c’est le sens de l’article 1er. Il n’est pas possible, d’ici à la fin de l’année, de se priver d’un cadre juridique dédié à la gestion des phases les plus critiques de la crise sanitaire.

L’article 3 prévoit une prorogation jusqu’au 30 septembre du régime dit de sortie de l’état d’urgence sanitaire, qui a prouvé son utilité l’été dernier, et qui permettra de maintenir des mesures de prévention adaptées si la situation sanitaire s’améliore sensiblement, tout en présentant encore des risques importants.

L’article 4 prolonge jusqu’au 31 décembre 2021 la mise en œuvre des systèmes d’information institués pour lutter contre la propagation de l’épidémie.

L’article 5, enfin, étend les dispositions qui le nécessitent aux outre-mer.

Je vous présente donc un texte technique et de responsabilité. Je comprends la lassitude et le souhait de sortir de la crise, mais ne nous pouvons nous priver d’aucun outil susceptible de nous aider à combattre le virus. Au final, ce texte est le cousin germain, voire, le sosie du texte précédent qui avait été adopté par les deux assemblées parlementaires.

M. Jean-Pierre Pont, rapporteur. Je vous remercie, monsieur le ministre, de répondre aux questions de notre commission alors qu’elle s’apprête à débattre d’un sixième texte relatif à la menace épidémique du covid-19, le premier de 2021.

Dans le cadre de nos travaux, il importe de prendre en compte le contexte sanitaire. Je m’interroge sur l’apparition de diverses formes mutantes du virus, qui fragilisent nos dispositifs de réponse à la crise sanitaire. Quelles pourraient en être les conséquences et quelles premières mesures avez-vous prises pour endiguer leur propagation ?

Je m’interroge également sur les conséquences potentielles de l’apparition de ces nouveaux virus sur notre stratégie vaccinale. Quels pourraient être les délais d’adaptation des vaccins existants ?

Enfin, le groupe La République en marche soutient pleinement la prorogation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er juin, de même que celle de son dispositif légal jusqu’au 31 décembre. Le Parlement saura se mobiliser rapidement, comme il le fait aujourd’hui et comme ce fut le cas ces derniers mois, afin de soutenir l’action du Gouvernement, d’ajuster ce calendrier en fonction des événements et d’organiser, le moment venu, les modalités de sortie de l’état d’urgence sanitaire.

Hier, un collègue vous a rappelé la fable de La Fontaine, « Le Lièvre et la tortue », dont vous connaissez la morale, à laquelle vous êtes fidèle comme en témoigne votre action : « Rien ne sert de courir ; il faut partir à point ».

M. Philippe Gosselin. Je ne ferai pas un plaidoyer, comme vient de le faire le rapporteur, et je ne me satisferai pas nécessairement de la présentation assez lapidaire du texte qui vient d’être faite. Je pourrais certes vous interroger sur les mutations du virus ou sur la stratégie vaccinale, sur lesquels il y aurait beaucoup à dire, mais nous discutons d’un texte relatif à l’état d’urgence sanitaire qui, contrairement à ce que vous dites, monsieur le ministre, n’est pas seulement technique : la prorogation pour une période aussi longue d’un droit d’exception, exorbitant du droit commun, ce n’est pas rien !

Une fois de plus, on fait l’impasse sur le contrôle du Parlement. Nous nous retrouvons ici contraints et forcés puisque le texte de pérennisation a été retiré dans la déroute de l’avant-veille de Noël après le cafouillage de la majorité.

J’appelle l’attention de la représentation nationale sur le fait que, au mois de septembre, nous en serons à dix-huit mois d’état d’urgence sanitaire ou de sortie d’état d’urgence sanitaire qui relève aussi, selon le Conseil constitutionnel, d’un droit exorbitant du droit commun ! L’état d’urgence sanitaire est certes nécessaire afin de protéger nos institutions et nos concitoyens, mais la mise à l’écart du Parlement est terrible.

Comment comptez-vous gérer l’après 31 décembre 2021 ? Autrement dit, quand pensez-vous présenter le texte qui a été retiré ? Pourquoi ne prévoyez-vous pas une clause de revoyure, comme cela vous est demandé de toute part, y compris dans le rapport que Sacha Houlié et moi-même avons commis au mois de décembre ? Que le Gouvernement puisse travailler, c’est une chose – et nous sommes à vos côtés pour protéger nos concitoyens –, mais pourquoi vouloir à tout prix écarter le Parlement sur une période aussi longue ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Projet de loi technique, certes, mais tout autant « calendaire » puisqu’il n’y est pratiquement question que de dates !

Que ferez-vous si nous ne votons pas la prorogation de l’état d’urgence sanitaire ? Au-delà des polémiques, nos concitoyens ont besoin de comprendre quelles mesures concrètes ne pourraient être prises dans le cadre du droit commun et pourquoi une nouvelle prorogation de l’état d’urgence est nécessaire.

Pour nos concitoyens, que changera le passage de l’état d’urgence sanitaire au régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire ?

Le rapport présenté le 14 décembre 2020, auquel M. Gosselin vient de faire allusion, propose l’instauration d’une plateforme en ligne unique et accessible regroupant l’intégralité des informations liées à l’épidémie : mesures sanitaires, mesures restrictives de libertés, mesures économiques et sociales, avis du Conseil scientifique et autres. Une initiative gouvernementale est-elle en cours pour transcrire cette proposition pleine de bon sens qui, peut-être, favoriserait leur acceptation ?

M. Pascal Brindeau. Du point de vue du fonctionnement des institutions et, singulièrement, du Parlement, monsieur le ministre, trouvez-vous normal et acceptable que nous devions discuter d’un projet de loi adopté ce matin en conseil des ministres et dont nous avons pris connaissance il y a moins de deux heures ?

M. Philippe Gosselin. En effet : il a été mis en ligne à 16h05 sur le site de l’Assemblée nationale !

M. Pascal Brindeau. De surcroît, nous sommes contraints d’en discuter demain en commission. La visioconférence n’étant pas possible lors d’un débat législatif, aucun représentant de mon groupe, UDI et indépendants, ne pourra participer à la discussion générale ni à celle d’éventuels amendements sur un texte qui n’est pas seulement technique puisqu’il permet de proroger l’état d’urgence sanitaire, donc de lever la clause de caducité délibérée lors de la loi de mars 2020. Les conséquences sont importantes car le pouvoir exécutif pourra décider sans être obligé de consulter le Parlement sur ce qui, pourtant, le concerne.

En outre, trouvez-vous normal que, compte tenu du nombre incroyable d’ordonnances qui ont été prises en vertu de ces textes, nous ne soyons saisis qu’à la fin du mois de février pour les ratifier, alors même que certaines d’entre elles auront été modifiées ou prolongées sans que le Parlement ait pu en débattre ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je précise que les membres de la commission sont au courant de cette audition et de l’examen du texte depuis une semaine. Il ne faudrait pas laisser penser qu’ils ont été avertis à 16 heures pour une audition à 18h30.

M. Philippe Gosselin. Madame la présidente, ce n’est pas ce que j’ai dit ! J’ai dit que le texte avait été mis en ligne à 16h05, ce qui expliquait aussi l’absence d’un certain nombre de collègues.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Concernant l’absence de certains collègues, nous sommes mercredi et les séances publiques ont repris ! Les membres de la commission des Lois sont au courant de l’audition depuis une semaine.

M. Philippe Gosselin. Nous n’avons pu prendre connaissance du texte qu’il y a deux heures !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. J’ai apporté cette précision pour que les citoyens qui nous regardent n’aient pas le sentiment que la représentation nationale n’aurait pas été avertie en temps et en heure de la tenue de la réunion.

Mme Danièle Obono. L’audition est, en effet, un peu particulière, puisque le texte nous est présenté comme un simple changement de date, un ajustement technique, alors qu’il emporte une signification politique très forte. L’état d’urgence sanitaire est un état d’exception exorbitant du droit commun, qui donne à l’exécutif des pouvoirs de police et de restriction des droits fondamentaux extrêmement étendus. Il est donc loin d’être purement technique.

Politiquement, cet examen organisé en catastrophe traduit l’échec de la stratégie du Gouvernement. Le ministre a répété à plusieurs reprises que la situation était identique dans de nombreux pays. Mais certains ont réussi à la maîtriser bien mieux que nous. Par ailleurs, si l’on doit proroger un état d’urgence qui donne des pouvoirs à l’exécutif prétendument pour maîtriser une situation sanitaire, il faudrait peut-être faire le bilan de cette prétendue maîtrise sanitaire. Après les tests et les masques, ce sont désormais les vaccins qui sont censés être gérés d’une manière tout à fait précautionneuse. Or, on se retrouve dans une situation de décalage, comme l’a dit pudiquement le Premier ministre, de pénurie en vérité. Domine le sentiment d’une désorganisation chronique de l’État qui ne renforce pas la confiance de la population.

Alors que le texte sur la gestion des crises sanitaires a été retiré de l’ordre du jour de l’Assemblée entre la bûche et la galette, sans explication, le ministre vient de nous expliquer qu’il serait discuté plus tard, après la crise. Pourquoi ce texte, qui était prêt, n’est-il pas discuté ?

Quelle est aussi l’éventualité d’un reconfinement ? Il serait bon que le Gouvernement nous dise si cette option est actuellement discutée, parce que ses conséquences seraient très graves.

M. Paul Molac. Ce texte étant présenté comme l’alter ego de celui que nous n’avons déjà pas voté, je ne vois pas de raison de le voter... Je n’ai pas connu dans ma vie de restrictions aussi importantes que toutes ces mesures attentatoires aux libertés – de déplacement, de réunion, du commerce, de travailler ! Vous nous demandez de vous faire confiance et de vous laisser les clés du camion. Mais, si la crise n’est pas forcément plus mal gérée que dans d’autres pays, il y a tout de même des retards à l’allumage, d’autant qu’on n’est pas capable de s’appuyer sur les bonnes volontés pour régler nos problèmes. C’est typiquement français : dès que les choses sont graves, il n’y a que la haute administration qui peut gérer quoi que ce soit. On ne s’appuie ni sur les Français ni sur les collectivités locales, ce que je regrette. Les taux d’incidence sont très variables selon les régions. En Bretagne, il est actuellement de 67 et, en centre Bretagne, il est même proche de 0. Un reconfinement ou un couvre-feu à 18 heures, c’est incompréhensible !

Dans un tel cadre, à quoi bon laisser le Parlement poser des questions, puisque l’on sait bien que tout est décidé d’avance et que l’on nous demande seulement d’adopter le texte ? Si c’est cela le rôle du Parlement, je ne vois pas pourquoi nous voterions ! Vous prenez vos responsabilités, puisque vous ne voulez pas les partager avec les autres, et vous supporterez aussi seuls toute la vindicte populaire, qui ne manquera pas de se manifester.

M. Olivier Véran, ministre. Voilà bien des propositions bienveillantes, pragmatiques et constructives de la part de certains intervenants pour contrer l’épidémie et protéger les Français sans avoir besoin de recourir à l’état d’urgence sanitaire ! Je vais vous répondre, même si ce n’est pas la première fois que nous avons ce débat – la dernière, j’espère. J’en suis à ma vingtième heure au Parlement en deux jours.

M. Philippe Gosselin. C’est bien la moindre des choses !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Monsieur Gosselin, ce n’est pas un dialogue avec le ministre ! Est-ce là votre nouvelle façon de travailler en 2021 ? Écoutez ses réponses !

M. Olivier Véran, ministre. Mme Firmin Le Bodo m’a demandé ce qui se passerait si l’état d’urgence sanitaire n’était pas prorogé : il n’y aurait plus de couvre‑feu, par exemple, soit plus de moyens nationaux de freiner l’épidémie. L’état d’urgence sanitaire, ce n’est pas un grigri pour le Gouvernement, ni un moyen pour lui de retirer des droits au Parlement, ni une façon de maîtriser qui que ce soit. L’état d’urgence sanitaire, croyez-moi, le jour où l’on pourra s’en passer, ce sera une bonne nouvelle pour les Français, parce que cela voudra dire que leur vie n’est plus en danger. Monsieur Molac, je veux bien que l’on étudie tous les moyens de lutter contre une épidémie qui fait encore 300 morts par jour dans notre pays, qui envoie 1 500 personnes par jour à l’hôpital, qui fait que les soignants n’ont pas pris de vacances, qu’ils ne se sont pas reposés et qu’ils continuent de sauver des vies au quotidien, mais ce ne sera pas en rouvrant les bars et les discothèques aujourd’hui, plutôt en limitant les déplacements et les sources de contamination.

La France est loin d’être le seul pays à agir ainsi. En revanche, elle s’illustre, à ce stade, par son faible niveau de contraintes collectives par rapport aux pays qui nous entourent, à l’exception, peut-être, de l’Espagne, qui a rouvert certains établissements recevant du public mais qui s’interroge sur la nécessité de les refermer compte tenu de la reprise de l’épidémie. La France est l’un des seuls pays d’Europe occidentale à avoir maintenu les écoles ouvertes, et ce depuis le mois de mars. Dans certains pays européens, l’école n’est toujours pas rouverte, ou certainement pas à temps complet. Dans certaines régions italiennes, les enfants n’ont pas pu suivre une seule semaine complète d’école depuis le mois de mars dernier. Je veux bien que l’on soit critiqué pour notre gestion, mais ce que je ne peux laisser dire, c’est que nous aurions choisi une restriction volontaire, farouche et débridée des libertés individuelles et collectives pour une autre raison que pour protéger la vie et la santé des Français. C’est bien ce que font la totalité de nos voisins, y compris ceux qui n’avaient pas pris le chemin du confinement, mais qui ont changé leur fusil d’épaule pour affronter la deuxième vague, ainsi que certains pays asiatiques, qui ont moins de cas et de morts que nous, mais qui ont été obligés d’instaurer des confinements territorialisés assez radicaux.

La question que je pose, sans avoir la réponse, c’est : jusqu’à quand sommes-nous susceptibles d’avoir recours à des mesures de gestion pour freiner l’épidémie et protéger les Français ? Nous avons cependant un nouvel élément dont nous ne disposions pas lors de l’examen des précédents textes : le vaccin. S’il freine les contaminations, si la vaccination permet de protéger la population, nous aurons une arme identifiée par les chercheurs et les médecins, qui nous permettra de protéger durablement les populations face au risque viral et de supprimer tout dispositif visant à protéger les gens en limitant les libertés individuelles et collectives et en fermant les établissements recevant du public. Mais quand ? Pas le mois prochain, ni vraisemblablement pas avant le printemps, vu les niveaux de circulation actuels du virus. L’Allemagne a annoncé hier qu’elle pourrait maintenir des mesures de confinement jusqu’au mois d’avril ! Ce n’est pas de ça dont nous parlons ! Il y a un couvre‑feu partiel à 18 heures dans vingt‑trois départements et un couvre-feu national à 20 heures ailleurs. Ce sont des mesures susceptibles d’évoluer, mais qui sont toujours adaptées à la circulation du virus et qui visent à protéger les Français.

La place du Parlement est fondamentale ! C’est le septième texte que je présente devant vous et je suis venu à chaque fois, à chaque heure de débat, à l’Assemblée nationale et au Sénat. J’ai été convoqué en commission d’enquête parlementaire ; j’ai participé à toutes les missions d’information parlementaires de jour et de nuit. Je suis à la disposition du Parlement. Que l’on décide de se revoir dans deux mois ou dans trois, avec ou sans texte, on se voit de toute façon toutes les semaines ! Lors de la dernière séance de questions au Gouvernement, dix questions ont porté sur la gestion sanitaire. Une commission a été créée hier après-midi à laquelle j’ai répondu. Systématiquement, les membres du Gouvernement répondent favorablement aux invitations des parlementaires. Le Parlement est bel et bien associé.

La question qui se pose est donc, je le redis, celle de la durée. Nous avons saisi le Conseil d’État, qui a formulé des réponses, et le Conseil scientifique, qui nous a fait des propositions. Ce sont celles qui figurent dans le texte soumis à votre examen.

M. Guillaume Gouffier-Cha. Merci beaucoup d’être parmi nous ce soir, monsieur le ministre, pour répondre à nos questions et pour échanger sur la situation sanitaire. Elle a demandé des mesures fortes, exigeantes pour tous nos concitoyens, qui sont respectées. Malheureusement, l’épidémie continue, ce qui nous amène à examiner ce texte visant à proroger l’état d’urgence sanitaire. Ce n’est pas une surprise, contrairement à ce que certains peuvent avancer : nous savions, depuis le jour où a été prise la décision de reporter le projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires, que nous aurions à nous réunir, dès le début de l’année, pour proroger l’état d’urgence.

Je voudrais poser plusieurs questions qui sont importantes pour que tout le monde comprenne bien pourquoi nous sommes amenés à le faire.

Quelle est exactement la situation dans notre pays au moment où nous nous parlons, et quelles sont les perspectives, notamment pour ce qui est du variant qui se propage ?

S’agissant de l’article 4 du projet de loi, on peut saluer le fait que vous n’avez pas retenu la rédaction proposée par le Conseil d’État, qui tendait à fixer par décret une date de caducité pour les systèmes d’information – nous le ferons dans la loi. Pouvez-vous rappeler quels sont ces systèmes d’information ? Par ailleurs, quel bilan en faites-vous ?

Nous serons vigilants, bien entendu, en ce qui concerne le respect du Parlement. À cet égard, nous avons des interrogations sur l’article 3.

M. Raphaël Schellenberger. Je me réjouis du retrait du texte qui visait à instaurer un état d’urgence sanitaire pérenne. Je l’ai dit dès le mois de novembre, tant que nous sommes en crise, on ne peut pas créer un état d’urgence pérenne ; on gère la crise. Vous avez décidé d’adopter une tactique plutôt qu’une stratégie : restons-en là. Nous adopterons un état d’urgence pérenne lorsque nous ne serons plus pris par la peur liée à la gestion de la crise actuelle, c’est-à-dire lorsqu’on aura de la distance, du recul – cela me semble bien plus prudent.

Il y a, comme à chaque fois, un problème de temporalité. Le consentement des Français aux mesures privatives de liberté qu’on leur impose est de plus en plus difficile à maintenir. Ce consentement repose sur nous, et non sur trente-cinq citoyens tirés au sort. Nous demandons depuis le début des clauses de revoyure régulières. Or à chaque fois qu’un texte nous est présenté, la revoyure prévue est plus tardive.

Objectivement, ce texte permettra un confinement jusqu’au 31 décembre 2021. Il faut le dire aux Français : le Gouvernement pourra décider un confinement jusqu’à cette date. Qu’allez-vous faire dans les prochaines semaines, monsieur le ministre, avec les pouvoirs qui vous seront confiés par le projet de loi ?

Les chiffres des contaminations montrent que nous sommes sur un plateau. Nous n’observons pas forcément un effet des fêtes aussi important que vous aviez pu l’envisager, ni un effet du couvre-feu à 18 heures. Les mesures privatives de liberté sans effet étant toutes superflues, comment comptez-vous les revoir, et à quel rythme ?

La parole publique des ministères est de plus en plus espacée : le temps qui s’écoule entre les points de situation est de plus en plus important. Il serait bon de nous présenter une stratégie de revoyure plus régulière.

M. Sacha Houlié. Ce que vient de dire Raphaël Schellenberger ne correspond pas vraiment à ce que nous avons conclu, avec Philippe Gosselin, en ce qui concerne la pérennisation de l’état d’urgence sanitaire dans notre droit.

Je voudrais féliciter le ministre : les résultats actuels, en matière de santé publique, montrent que la France s’en sort beaucoup moins mal, ou beaucoup mieux, que ses voisins. Cela ne change rien au fait que nous aurions préféré avoir connaissance du projet de loi bien plus tôt que quelques heures avant votre audition. Je comprends qu’il y ait des contraintes liées au conseil des ministres, mais il est assez délicat d’examiner un texte dans ces conditions.

J’aimerais savoir, compte tenu des critiques qui vous sont adressées, pourquoi vous ne faites pas état du fait que la gestion du vaccin est coordonnée au niveau européen et que toute rupture dans ce domaine romprait la stratégie vaccinale. Tout le battage fait par les présidents de région conduit à déstabiliser ce qui a été mis en place à ce niveau. J’aimerais vous entendre sur ce point.

Pouvez-vous nous dire, par ailleurs, quel sort vous envisagez de réserver aux propositions que nous avons faites, avec Philippe Gosselin, dans notre rapport ? Nous pourrions envisager de les examiner, sinon d’ici à demain, du moins lors de la séance.

L’article 3 du projet de loi prévoit de proroger les mesures temporaires de notre état d’urgence sanitaire jusqu’au 30 septembre prochain. Cette disposition ne me paraît pas indispensable : nous aurons l’occasion de revenir sur cette question d’ici au mois de juin. Quel avis émettriez-vous si nous proposions de supprimer cet article ?

M. Antoine Savignat. Je voudrais revenir, monsieur le ministre, sur votre réponse à M. Philippe Gosselin.

Comprenez que nous soyons particulièrement en colère s’agissant des délais d’examen de ce texte : nous en discutons alors que nous en avons eu connaissance il y a trois heures. En outre, le projet de loi nous privera d’une partie de nos prérogatives dans les mois à venir, ce que nous ne pouvons pas tolérer.

Entendez, à travers nous, l’inquiétude des Français. Vous l’avez dit vous-même, vous ne comptez plus le nombre de fois où vous êtes venu nous présenter des textes à ce sujet. Or c’est plus grave à chaque fois : la durée d’application des mesures prévues est de plus en plus longue ; à chaque fois, nous sommes confrontés à un constat d’échec des décisions qui ont été prises précédemment.

On nous dit, et on le croit, on l’espère, que le vaccin sera la solution à la crise. Il y a quelques mois, lorsqu’on vous interrogeait sur la politique vaccinale, la réponse était : « Circulez, braves gens, tout est sous contrôle ». On s’aperçoit maintenant qu’on patauge, que personne ne sait exactement, sur le terrain, comment on fera. Nous nous réjouissions hier d’avoir reçu 50 000 doses de vaccin, alors qu’il en faudrait 120 millions pour les Français. Vous proposez un escabeau à un astronaute en lui disant qu’il va pouvoir se rapprocher des étoiles !

On ne peut plus avoir confiance. Je pose la question au ministre de la santé et au médecin que vous êtes : dans des conditions similaires, vous feriez-vous confiance ?

Mme Marietta Karamanli. Nous nous revoyons pour la énième fois afin de travailler sur ce sujet. Vous avez toujours été disponible pour répondre à nos questions. Néanmoins, nous regrettons que le projet de loi ne fasse pas du tout référence au contrôle parlementaire. Nous avons connu des situations graves sous d’autres législatures : le Parlement et le Gouvernement ont toujours su se mobiliser, côte à côte, pour exercer leurs responsabilités.

Nos amendements ont systématiquement été refusés ; nous espérons qu’il y aura, cette fois, une écoute plus importante de la part du Gouvernement. Je le dis très simplement et très sérieusement.

Des collègues ont proposé d’organiser un débat parlementaire à chaque avancée en matière de connaissances scientifiques. Qu’en pensez-vous ? Il faut qu’une expertise publique collégiale, transparente et contradictoire soit au cœur de la décision. On voit, en effet, que l’absence de transparence, de contradictoire et de collégialité suscite des inquiétudes au sein de la population.

S’agissant des mesures de police, ne faudrait-il pas présumer que la condition relative à l’urgence est satisfaite lorsque le juge administratif est saisi, par la voie du référé, à partir du moment où un état d’urgence sanitaire a été décrété ou prorogé ? Ne faudrait-il pas également qu’un bilan des décisions prises par le juge soit établi ?

Je rappelle, enfin, que nous travaillons dans des conditions très contraintes : nous avons jusqu’à demain, quatorze heures, pour déposer des amendements. Par conséquent, nous souhaitons que le dialogue puisse ensuite se poursuivre, d’ici à la séance, afin d’améliorer ce texte qui ne correspond pas à ce que nous attendons en tant que parlementaires et citoyens.

M. Guillaume Larrivé. Je suis favorable à la prorogation du régime de l’état d’urgence sanitaire : sur le plan juridique et pratique, on a besoin de donner à l’autorité administrative des pouvoirs renforcés qui limitent, dans une certaine mesure, la liberté de circulation. C’est extrêmement désagréable, on aimerait tous s’en passer, mais il existe, au-delà du droit, un principe de réalité : on a besoin de ces outils, qui ne sont pas entre les mains d’un gouvernement doté des pleins pouvoirs, comme on le lit parfois dans les gazettes. Dans la République française qui est la nôtre, il y a une institution qui s’appelle le Conseil d’État, il y a des juges administratifs, des procédures de référé, un examen contradictoire par ces juges, un principe de proportionnalité dont l’application est vérifiée, etc. Bref, ces outils me paraissent devoir être confiés à un gouvernement qui doit gouverner.

Néanmoins, je pense que vous vous trompez, Monsieur le ministre, lorsque vous pensez vous renforcer en nous demandant de vous accorder ces pouvoirs pour une durée très longue. Vous vous renforceriez, au contraire, si vous acceptiez de réduire les délais des clauses de rendez-vous avec le Parlement. Vous voyez bien qu’il y a des questions à ce sujet dans tous les groupes, y compris au sein de ceux de la majorité. Le Gouvernement serait plus fort, s’agissant de sa capacité à prendre ces mesures et à les faire accepter, si vous consentiez, tous les deux ou trois mois, à ce qu’on vous relégitime en vous accordant les pouvoirs liés à l’état d’urgence sanitaire.

Sur le fond, je suis convaincu que nous prendrions, nous-mêmes, des mesures relatives à l’état d’urgence sanitaire si nous étions aux affaires, car c’est la nécessité qui commande en la matière, mais je pense qu’on a plutôt intérêt à prévoir, d’une manière relativement détendue, si je puis dire, des clauses de rendez-vous pour essayer de créer quelque chose qui ressemble à un consensus. Je sais que c’est très difficile : il est normal qu’il y ait des débats et du pluralisme – c’est très sain, c’est la démocratie –, mais je pense que vous seriez plus forts si vous acceptiez de desserrer un peu les délais. Nous dire que certaines mesures s’appliqueront jusqu’à la fin du mois de décembre, c’est un peu too much, si vous me permettez cette expression familière.

M. Philippe Gosselin. Il y a effectivement un principe de réalité : nous avons besoin d’outils, personne ne le conteste. Vous savez bien, monsieur le ministre, que le groupe Les Républicains a voté en faveur de l’état d’urgence – je l’ai fait au nom de mon groupe, que je représentais à ce moment-là –, car il faut des outils. Comme l’a souligné fort justement Guillaume Larrivé, personne ne nie la nécessité d’agir.

En revanche, nous avons un désaccord sur la forme, sur la rapidité avec laquelle le projet de loi est examiné : nous avons moins de vingt-quatre heures pour proposer des amendements à un texte fondamental qui est privatif de liberté et exorbitant du droit commun. Ce n’est pas un texte technique ou anodin ; il ne s’agit pas de mettre un petit pansement au bout du doigt pour traiter un bobo.

Nous achoppons depuis des mois sur la question de la clause de revoyure, qui serait pourtant simple à régler : il faudrait tout simplement introduire un tel mécanisme pour mettre le Parlement au cœur du dispositif, non pour qu’il se comporte en empêcheur de tourner en rond mais afin qu’il soit un acteur du contrôle démocratique, nécessaire dans un État de droit. Nous l’avons dit, avec Sacha Houlié, d’une façon très transpartisane dans un rapport qui a notamment été mentionné par le Conseil d’État. Je n’aurai pas la prétention de dire que tout est parfait dans cette contribution, mais elle comporte des propositions qui font consensus. Nous pourrions les reprendre.

Je reviens, sans vouloir être insistant ou désobligeant, sur la question que je vous ai posée : quid après le 31 décembre 2021 ? Nous allons proroger, si l’article 1er est adopté, l’application de la loi du 23 mars 2020 qui devait être caduque au 31 mars de cette année. Il faut bien qu’il y ait un cadre, et je n’ai pas d’état d’âme quant à la prorogation de cette loi, mais que se passera-t-il dans la nuit du prochain réveillon ? Il n’y aura plus de texte support au 1er janvier 2022. Puisque gouverner c’est prévoir, quand et de quelle façon envisagez-vous de présenter un nouveau texte pour donner un cadre à l’état d’urgence sanitaire ? S’il n’y avait pas d’autre projet de loi – le précédent a été retiré, un peu en catastrophe, le 22 décembre –, nous demanderez-vous une prorogation dans les mêmes conditions un peu désastreuses sur le plan de l’organisation ?

M. Sébastien Huyghe. Comme le soulignait Guillaume Larrivé, des clauses de revoyure régulières sont nécessaires, mais elles ne doivent pas consister uniquement à voter la prorogation des dispositions. Il faut, au préalable, des débats dans l’hémicycle – comme celui qui a eu lieu avant les fêtes –, lors desquels le ministre fait le point sur la situation. Cela nous permet d’aborder l’ensemble des sujets et de nous prononcer en toute connaissance de cause. Alors seulement l’examen du texte peut intervenir. Il est d’autant plus important de procéder ainsi que les amendements que nous déposons font l’objet d’un contrôle pour déterminer s’ils sont en rapport ou non avec le texte et qu’il peut arriver qu’ils ne franchissent pas ces fourches caudines.

Par ailleurs, vous prorogez l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er juin. Or il n’a échappé à personne qu’à la suite de leur report, les élections départementales et régionales doivent se tenir début juin. Si nous sommes en état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er juin, toute campagne électorale est impossible. Le scrutin ne saurait donc avoir lieu au lendemain de la levée de l’état d’urgence – à supposer, d’ailleurs, que celle-ci intervienne. Dans l’esprit du Gouvernement, le vote du texte qui nous est soumis aboutit-il naturellement à un nouveau report des élections régionales et départementales ?

M. Philippe Latombe. Je serai très bref, car la discussion générale aura lieu dès demain. Monsieur le ministre, serez-vous présent pour nous apporter votre éclairage lors de l’examen des amendements, qui commencera aussitôt après ? Cela permettrait de compenser en partie le fait que les délais d’examen imposés sont très courts.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je me joins aux propos de certains de mes collègues quant à l’importance de rendez-vous fréquents devant le Parlement ; chacun ici sait que je suis très attachée au rôle du Parlement en période de crise sanitaire. La question est de savoir quel est le bon laps de temps. C’est un des points dont nous discuterons demain.

On parle beaucoup, dans les médias, du fameux passeport sanitaire, qui alimente aussi les conversations de nos concitoyens. Un certain nombre de questions se posent s’agissant de ce qu’il est possible de faire en état d’urgence sanitaire, des pouvoirs qui vous sont octroyés en lien avec ce régime d’exception. Le passeport sanitaire supposerait, très concrètement, des restrictions de liberté selon que l’on est vacciné ou pas. Cela fait-il partie des mesures que vous pourriez prendre dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire tel qu’il est défini actuellement ? Envisagez-vous d’instaurer un passeport sanitaire et, si oui, quelles pourraient en être les modalités ?

M. Olivier Véran, ministre. Le Gouvernement a très explicitement indiqué que cette proposition d’un passeport sanitaire ne visait en aucune manière la vaccination contre le covid-19 et qu’il n’avait pas l’intention d’y recourir. Plus généralement, en ce qui concerne les outils susceptibles d’être mobilisés dans le cadre de cette crise, une analyse juridique est toujours nécessaire, mais, comme le savez, un arrêté signé du ministre sur la base de l’article L. 3131-1 du code la santé publique, dans un contexte de crise sanitaire, emporte un certain nombre de conséquences et permet l’application de diverses mesures.

Je rappelle que le projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires visait à inscrire dans le droit des mesures de restriction de liberté liées à une catastrophe sanitaire, qui incluaient d’ailleurs la possibilité pour le ministre de la santé de prendre des arrêtés – à l’image de ce qui s’est passé depuis un an. Le Gouvernement souhaitait que le Parlement se prononce sur ces dispositions. En attendant, le texte dont nous discutons aujourd’hui est le septième que je vous présente.

Je rappelle aussi que j’ai participé à l’intégralité des débats sur la vaccination au Parlement, les 16 et 17 décembre derniers – ce qui est tout à fait normal –, et que le 16 décembre, à l’Assemblée nationale, à la fin, nous n’étions pas très nombreux… Je veux bien que l’on multiplie les débats, encore faut-il qu’ils mobilisent toutes celles et tous ceux qui souhaitent que nous les organisions. Je n’ai pas compté le nombre de députés présents, mais l’hémicycle était très clairsemé.

M. Sébastien Huyghe. Les orateurs étaient là !

M. Olivier Véran, ministre. Certes, mais vous voyez bien ce que je veux dire.

La rédaction de l’article 4 reprend à l’identique les dispositions existantes relatives aux systèmes d’information, à savoir Contact Covid et le système d’information national de dépistage (SI-DEP), qui nous permettent de colliger le nombre de cas et sont à l’origine des chiffres publiés tous les soirs, de manière transparente, par Santé publique France. Grâce à SI-DEP, nous réalisons le traitement des données liées aux tests antigéniques et PCR et, ce faisant, nous assurons un suivi épidémiologique. Il est évident que nous avons besoin de ces outils. Nous devrons d’ailleurs les conserver quelques semaines ou quelques mois après la sortie de la pandémie – car nous en sortirons – et faire en sorte de ne pas écraser immédiatement les données disponibles, le temps d’être vraiment sûrs que le virus ne réapparaît pas.

Je suis en désaccord avec deux des choses que vous avez dites, monsieur Schellenberger.

À vous entendre, avec ce texte, le Gouvernement pourrait décider à sa convenance de confiner les Français jusqu’au 31 décembre. C’est factuellement faux. Je ne suis pas juriste, contrairement à vous, mais je me permets d’insister sur le fait que le confinement généralisé n’est possible que lorsque l’état d’urgence sanitaire a été déclaré et pour une durée qui ne peut excéder son terme. Le Gouvernement seul ne peut déclarer l’état d’urgence que pour une durée d’un mois, après quoi nous devons passer à nouveau devant le Parlement et obtenir un vote favorable. Soyons précis.

La seconde imprécision dans vos propos était d’ordre scientifique. Vous avez dit que le couvre-feu paraissait sans effet. Peut-être disposez-vous d’informations scientifiques qui me font défaut. Pour ma part, celles que j’ai, et que je puis vous livrer si cela vous intéresse, sont les suivantes : dans les quinze départements où nous avons mis en place le couvre-feu à 18 heures depuis le 2 janvier, le taux d’incidence, qui révèle l’évolution de l’épidémie, continue certes à progresser, mais beaucoup plus faiblement que dans les autres – 16 % d’augmentation d’un côté, 43 % de l’autre. Il faut donc être prudent avant de dire que cette mesure n’est pas efficace… Il est vrai que nous ne disposons pas encore du recul suffisant pour affirmer qu’il permet de faire baisser la circulation du virus, mais son effet de freinage paraît d’ores et déjà avéré. C’est pourquoi le Conseil scientifique nous enjoint d’utiliser le couvre-feu. Non seulement la mesure présente une certaine efficacité, mais elle me paraît mieux tolérée par les Français que le confinement et permet d’éviter la fermeture les commerces, notamment.

Monsieur Houlié, la coordination européenne existe. Elle a beaucoup porté sur la stratégie d’achat de vaccins, avec à la clé une grande efficacité, d’ailleurs, car nous en sommes à 600 millions de doses du vaccin Pfizer-BioNTech pour la seule Union européenne. Des règles très claires ont été fixées, qui permettent des livraisons tenant compte du ratio de la population de chaque État au sein de la population européenne : des tours ont été instaurés, chacun pouvant choisir de prendre ou pas les doses qui lui sont attribuées – je vous rassure, la France a systématiquement pris sa part.

Nous avons aussi une coordination plus implicite, mais bien réelle, en matière de stratégie vaccinale, qu’il s’agisse des publics prioritaires, des modalités d’organisation ou encore de l’administration de la seconde dose. Cela ne veut pas dire que nous faisons tous les mêmes choix. Par exemple, l’Allemagne a opté pour cinquante grands centres, quand j’ai préféré ouvrir des centres de proximité, développés avec les collectivités. Quoi qu’il en soit, nous nous appelons ou tenons des réunions au niveau européen plusieurs fois par semaine, ce qui nous permet de nous enrichir collectivement. J’ajoute que nous avons la même attitude vis-à-vis des Britanniques, même s’ils ne font plus partie de l’Union européenne : pas plus tard qu’il y a trois jours, je me suis entretenu en visioconférence avec mon homologue britannique pour qu’il partage avec moi les données dont il disposait s’agissant du fameux VOC-202012/01 – contagiosité, informations relatives aux différents publics, rythme de diffusion du virus, niveau des charges virales dans les eaux usées, etc. Nous nous coordonnons donc de façon systématique.

S’agissant de l’article 3, vous m’avez demandé en substance s’il était nécessaire de conserver les mesures dérogatoires de sortie de l’état d’urgence sanitaire jusqu’à la fin de l’été. L’expérience a montré que nous en avions besoin. Ainsi, l’été dernier, nous avons décidé en urgence d’instaurer un couvre-feu dans les Bouches-du-Rhône en raison d’une reprise épidémique importante à Marseille, alors même que le Parlement ne siégeait pas. Les dispositions en question ont permis d’asseoir la sécurité juridique de cette décision. En leur absence, j’aurais dû passer par un arrêté pris sur le fondement de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, mais celui-ci aurait été plus fragile sur le plan juridique et aurait pu être attaqué. Du reste, le recours à un arrêté n’aurait pas davantage supposé de faire appel au Parlement.

J’entends néanmoins qu’il y a des interrogations quant à l’utilité de l’article 3 ou du maintien pour une telle durée des dispositions visées. Je suis tout à fait ouvert sur ce point : si vous considérez que le 30 septembre est une date trop éloignée et que vous voulez une clause de revoyure fin juillet, peu importe. L’essentiel est de retenir le principe selon lequel une sortie sèche de l’état d’urgence sanitaire pendant l’été n’est pas envisageable – je le dis en particulier à l’intention de Mme la présidente de la commission des Lois, qui, je le sais, est sensible à ce sujet, ce en quoi elle a parfaitement raison. J’aimerais qu’il soit possible de s’en passer, mais j’en doute très fortement, même avec la vaccination. Si vous décidiez de raccourcir la durée pendant laquelle s’appliquent les mesures dérogatoires de sortie de l’état d’urgence sanitaire, nous serions amenés à nous revoir avant l’été ; c’est possible – c’est toujours un plaisir…

Monsieur Gosselin, vous me demandez ce qui se passera après le 31 décembre 2021. Eh bien, je ne sais pas ! Je ne suis absolument pas en mesure de vous dire ce qui se passera dans un an. Au début de l’année 2020, nous ne pouvions pas savoir que tant de choses arriveraient. Entre-temps, les trois quarts des humains ont été confinés pendant des semaines, 2 millions de personnes sont mortes à cause d’un virus jusqu’alors inconnu et le monde a changé. Je ne sais donc pas vous répondre.

M. Philippe Gosselin. Je vous demandais une réponse juridique, monsieur le ministre !

M. Olivier Véran, ministre. Si le dispositif légal encadrant l’état d’urgence sanitaire devait être prorogé jusqu’au 31 décembre 2021, et que, par malheur, nous avions encore besoin de mesures de gestion sanitaire au-delà de cette date, un nouveau texte vous serait présenté.

M. Philippe Gosselin. Cela veut-il dire que vous renoncez à présenter un texte pérennisant le cadre juridique de l’état d’urgence ?

M. Olivier Véran, ministre. Nous avions présenté en conseil des ministres un texte qui permettait d’inscrire dans le droit commun des dispositifs évitant de recourir à l’état d’urgence sanitaire, qui est un régime dérogatoire. Le moment n’était pas venu de le faire, notamment en raison du démarrage de la campagne vaccinale. Nous avons pris l’engagement de proposer un nouveau texte à froid, en concertation avec les parlementaires. Je rappelle au passage que ce sont eux qui voulaient un texte proposant des dispositions pérennes, pas le Gouvernement.

M. Philippe Gosselin. Celui dont vous parlez a été présenté le 21 décembre et retiré le 22 !

M. Olivier Véran, ministre. Monsieur le député, quand nous ne bougeons pas, on nous accuse de ne pas savoir le faire, et quand nous bougeons en vingt-quatre heures, on nous reproche de le faire trop vite ! Je ne sais plus quoi vous dire… La prochaine fois, vous nous indiquerez au bout de combien de jours nous devons bouger.

M. Philippe Gosselin. Ce qui est important, c’est d’établir un cadre juridique.

M. Olivier Véran, ministre. Les parlementaires ont demandé au Gouvernement d’inscrire dans le droit commun un dispositif permettant de ne plus recourir à des mesures législatives extraordinaires. Le Gouvernement s’est exécuté, sur la base d’une mission effectuée par des parlementaires, et a présenté un projet de loi en conseil des ministres. Certains parlementaires ayant estimé que le texte n’était pas le bienvenu à ce moment-là, le Gouvernement l’a retiré. Nous n’allons pas nous en excuser !

Monsieur Latombe, je ne serai pas avec vous en Commission demain. D’une part, ce n’est pas forcément l’usage. D’autre part, je serai en déplacement avec le Premier ministre pour aider à la mise en place de centres de vaccination dans l’est du pays et aller à la rencontre de soignants. Je participerai, en revanche, à la discussion en séance ou bien d’autres représentants du ministère seront présents – je ne peux pas vous dire si je participerai à l’ensemble du débat car, chacun le comprend, cela dépendra de la situation sanitaire et de mes obligations à ce moment-là, à l’image de celles que je vais retrouver dans quelques minutes, après vous avoir quittés.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je précise à l’intention de M. Latombe que, pour l’organisation de l’examen des amendements, je n’ai pas sollicité la présence du ministre, considérant que l’audition de cet après-midi nous permettrait de l’interroger.

M. Sébastien Huyghe. Madame la présidente, je n’ai pas eu mes réponses !

Mme Marietta Karamanli. Moi non plus !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Chers collègues, le dialogue avec le ministre se poursuivra en séance publique.

Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir été présent parmi nous malgré les délais contraints. Je note au passage qu’il y a une forme de paradoxe à demander des clauses de revoyure extrêmement fréquentes devant le Parlement tout en critiquant les délais contraints, qui en sont le nécessaire pendant… Il est difficile de trouver le bon équilibre, mais nous le recherchons constamment. Quoi qu’il en soit, chers collègues, nous savons faire face à des conditions d’examen très contraintes.

M. Philippe Gosselin. Certes, mais une clause de revoyure éviterait la bousculade et la précipitation, précisément parce qu’elle est prévue : cela permet d’anticiper. C’est toute la différence entre vitesse et précipitation…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Chers collègues, nous poursuivrons ces débats demain dès 15 heures.

La réunion se termine à 19 heures 35.

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Membres présents ou excusés

 

En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.