Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 Examen de la proposition de loi organique visant à modifier le régime indemnitaire des membres du Conseil constitutionnel (n° 3720) (Mme Cécile Untermaier, rapporteure)              2

 Examen de la proposition de loi constitutionnelle visant à établir un meilleur équilibre entre pouvoirs constitutionnels (n° 3486 rect.) (Mme Marietta Karamanli, rapporteure)              13

 Examen de la proposition de loi renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles (n° 3721) (Mme Isabelle Santiago, rapporteure)              34

 Informations relatives à la Commission................45

 


Mercredi
10 février 2021

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 55

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente
 


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La réunion débute à 9 heures 35.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente

La Commission examine la proposition de loi organique visant à modifier le régime indemnitaire des membres du Conseil constitutionnel (n° 3720) (Mme Cécile Untermaier, rapporteure).  

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour examiner trois textes que le groupe Socialistes et apparentés a choisi d’inscrire dans son temps parlementaire. Nous commençons par l’examen de la proposition de loi organique visant à modifier le régime indemnitaire des membres du Conseil constitutionnel.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. La proposition de loi organique que nous examinons ce matin peut paraître technique, pour ne pas dire aride. Elle fait écho à plusieurs initiatives, d’origine parlementaire ou gouvernementale, qui ont occupé nos débats au cours de l’année 2020. Je pense par exemple à la proposition de loi déposée par notre collègue du groupe UDI Thierry Benoit mais aussi à l’article 4 du projet de loi organique de réforme des retraites adopté par notre assemblée il y a presque un an. Il s’agit donc d’un sujet qui mérite d’être traité avec la plus grande rigueur, car il charrie inévitablement son lot de fantasmes et d’idées reçues. À cet égard, je regrette l’esprit polémique qui a pu caractériser certains articles de presse sur ce sujet – je précise que je n’y suis pour rien. L’opacité qui a longtemps été entretenue sur cette question explique pour partie cela.

La proposition de loi organique que le groupe Socialistes et apparentés a inscrite à l’ordre du jour vise, d’une part, à clarifier et à sécuriser juridiquement le régime de rémunération des membres du Conseil constitutionnel, et, d’autre part, à encadrer le cumul de leur rémunération avec les éventuelles pensions de retraite qu’ils perçoivent, grâce à la mise en place d’un dispositif d’écrêtement. Ces deux objectifs nécessitent de modifier l’article 6 de l’ordonnance organique du 7 novembre 1958, qui constitue le fondement de la rémunération des membres du Conseil constitutionnel.

S’il est nécessaire de clarifier et de sécuriser le régime de rémunération, c’est en raison d’une difficulté juridique majeure qui a été soulevée par l’Observatoire de l’éthique publique, présidé par notre ancien collègue René Dosière, à la suite d’une enquête menée par la maîtresse de conférences en droit public Elina Lemaire depuis plus de deux ans. Cette enquête a révélé que la rémunération actuelle des membres du Conseil constitutionnel, qui s’élève à environ 15 000 euros bruts mensuels, ne respecte pas les règles de rémunération fixées par l’article 6 de l’ordonnance organique du 7 novembre 1958.

En effet, l’article 6 prévoit que « le président et les membres du Conseil constitutionnel reçoivent respectivement une indemnité égale aux traitements afférents aux deux catégories supérieures des emplois de l’État classés hors échelle ». La référence aux deux catégories supérieures des emplois de l’État classés hors échelle correspond aux traitements perçus par le vice-président et les présidents de section du Conseil d’État. Concrètement, ces montants s’élèvent respectivement à 7 000 et à 6 500 euros bruts mensuels.

En l’état actuel du droit, l’article 6 de l’ordonnance ne renvoie pas au pouvoir réglementaire le soin de définir, par décret, une indemnité complémentaire. Cela signifie que la rémunération totale du président et des autres membres du Conseil constitutionnel devrait s’élever à 7 000 et 6 500 euros. Les bulletins de paie des membres communiqués par le Conseil constitutionnel à notre collègue Christophe Naegelen dans le cadre de son rapport spécial « Pouvoirs publics » du PLF 2021 montrent que leur rémunération, comme je l’ai déjà indiqué, s’élève à 15 000 euros.

Cette différence de près de 8 500 euros résulte d’une lettre du 16 mars 2001 de la secrétaire d’État au budget, qui n’a jamais été publiée. Afin de compenser l’assujettissement de la rémunération des membres du Conseil constitutionnel à l’impôt sur le revenu, intervenu en 2001, une indemnité de « compensation » a ainsi été versée aux membres, en dehors de toute base légale ou réglementaire, méconnaissant l’article 6 de l’ordonnance du 7 novembre 1958.

Juridiquement, cette situation constitue une irrégularité manifeste. Rien n’autorise en effet le Gouvernement à verser, sans en être habilité par la Constitution ou le législateur organique, une indemnité « secrète » qui conduit à porter une rémunération à un niveau supérieur à celui prévu par les textes. Seul le législateur organique, c’est-à-dire le Parlement, est habilité à définir les conditions de la rémunération des membres du Conseil constitutionnel, conformément à l’article 63 de la Constitution, aux termes duquel « une loi organique détermine les conditions d’organisation et de fonctionnement du Conseil constitutionnel ».

Politiquement, comment peut-on encore justifier de telles pratiques, marquées du sceau de l’opacité et du refus de la transparence ?

Je précise d’emblée un point essentiel : l’objet de cette proposition de loi organique n’est absolument pas de diminuer le montant de la rémunération réellement perçue par les membres actuels. J’estime que la rémunération de 15 000 euros bruts mensuels permet de garantir pleinement leur indépendance et de les rétribuer à hauteur de leur niveau d’expertise et de leur charge d’activité, particulièrement élevée depuis l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) en 2010. J’ajoute que cette rémunération est conforme à celle que l’on observe dans d’autres États, voire parfois inférieure à celle pratiquée dans plusieurs États de l’Union européenne.

Cependant, je considère que la situation actuelle n’est pas tolérable. Il convient de fixer directement dans la loi organique un régime de rémunération exhaustif et précis, pour mettre fin à l’illégalité de l’indemnité « complémentaire » de 8 500 euros, versée en application d’une lettre gouvernementale sans aucune base juridique, à la seule discrétion du Gouvernement.

Ensuite, et c’est le second volet de la proposition de loi organique, j’estime qu’il est nécessaire d’appliquer aux membres du Conseil constitutionnel le régime d’encadrement du cumul de leur rémunération et de leur pension de retraite que le Gouvernement a souhaité introduire à l’article 4 du projet de loi organique de relatif au système universel de retraite.

Cet encadrement, déjà applicable aux présidents des autorités administratives et publiques indépendantes, vise à déduire du montant de l’indemnité de fonction des membres du Conseil le montant des pensions de retraite qu’ils perçoivent. Il convient d’inscrire cet encadrement légitime, nécessaire et raisonnable à l’article 6 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, comme le prévoit la proposition de loi organique, dans le strict prolongement du projet déposé par le Gouvernement l’année dernière.

À la lumière des auditions que j’ai conduites, j’ai souhaité transmettre à chacune et chacun de vous, dès hier matin, les quatre amendements que j’ai déposés afin de corriger le dispositif de la proposition de loi, dont la rédaction initiale était perfectible.

L’un de ces amendements distingue explicitement le montant de la rémunération correspondant au traitement du montant de la part indemnitaire. Il précise aussi les modalités de calcul de cette part indemnitaire, grâce à l’application d’un coefficient multiplicateur. On obtient ainsi une rémunération stable, fixée de façon claire et exhaustive dans l’ordonnance organique. Le montant défini correspond à la rémunération mensuelle brute globale actuellement perçue par les membres. C’est sur la seule part indemnitaire de 8 500 euros que s’appliquera la réduction à due concurrence du montant des pensions de retraite perçues par les membres.

Je crois que l’ensemble de ces modifications permettra d’atteindre un point d’équilibre satisfaisant tout autant l’exigence légitime de transparence que le besoin impérieux de garantir, dans la loi organique, des conditions de rémunération qui préservent l’indépendance des membres du Conseil constitutionnel. Je forme le vœu que ces amendements recueilleront un consensus parlementaire permettant l’adoption en ces termes de la proposition de loi organique.

M. Pacôme Rupin. Les membres du groupe La République en marche portent un regard bienveillant sur la proposition de loi organique du groupe Socialistes et apparentés, qui vise à revenir sur une anormalité. C’est bien en effet à la loi organique de fixer le régime indemnitaire des membres du Conseil constitutionnel. Ce texte rejoint les efforts engagés par la majorité depuis le début de la législature pour renforcer la transparence et revenir sur un certain nombre d’avantages, qui peuvent être perçus comme des privilèges par nos concitoyens. Nous saluons le travail de la rapporteure. Ses amendements nous paraissent tout à fait pertinents, car ils assureront une rémunération juste au regard du niveau d’expertise et de responsabilité des membres du Conseil constitutionnel.

M. Philippe Gosselin. Le texte a trait à une institution qui a l’âge de la Ve République et qui est née de façon un peu balbutiante. L’un des objectifs poursuivis, à l’origine, était d’offrir un statut aux anciens présidents de la République, dans des conditions qui ne sont pas celles d’aujourd’hui. La question des membres de droit est d’ailleurs aussi en débat. Comme pour d’autres institutions – telles que le Parlement –, dans les années 1958-1960, les règles de financement et de fixation des indemnités n’étaient pas toujours très claires. Dans un certain nombre d’instances, les revenus n’étaient pas soumis à l’impôt – cela a été longtemps le cas des membres de ce qui est devenu le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Il en allait de même des membres du Parlement, dont le statut n’était pas le même qu’aujourd’hui : ils ne percevaient pas, alors, d’indemnité pour prendre en charge les frais de mandat et de mission, ce qui a donné le sentiment d’une forme de « bricolage ».

Il s’agissait aussi, par la fixation d’un niveau de rémunération élevé et en raison de la règle du non-renouvellement, d’assurer l’indépendance des membres du Conseil constitutionnel, à une époque où ce dernier était davantage le « chien de garde » de l’exécutif que le gardien de nos libertés publiques. Il y a eu une évolution notable, non seulement depuis 1971 et 1974, mais aussi depuis une dizaine d’années, avec l’apparition de la QPC, qui a considérablement changé la façon de travailler du Conseil constitutionnel et son apport à la jurisprudence constitutionnelle, pour l’ensemble de nos concitoyens.

C’est à la lumière de ces éléments que l’on doit envisager la rémunération des membres du Conseil constitutionnel. Il ne faut pas laisser penser que le Parlement souhaiterait dompter le Conseil constitutionnel en attribuant à ses membres une rémunération qui pourrait être considérée comme vexatoire. Cependant, il est un principe que nous devons nous appliquer et que le Conseil constitutionnel, plus que d’autres, ne peut voir que d’un bon œil : le respect de la légalité et de la hiérarchie des normes.

Plutôt que d’entretenir le flou, le moment est venu de s’appuyer sur l’article 63 de la Constitution. La loi organique doit fixer la rémunération des juges constitutionnels à un niveau assez élevé pour garantir leur indépendance. Il ne s’agit pas d’établir des privilèges mais de reconnaître le rôle de cette institution. La comparaison avec la situation des membres du Gouvernement ou de présidents d’autorités administratives indépendantes ou publiques paraît justifiée. Cela amène à s’interroger sur d’autres principes de rémunération. Dans des cabinets, des entreprises publiques, il existe des rémunérations largement plus élevées – quoique très souvent inférieures à celles du privé. Il n’y a pas de réponse unique à la question du traitement de magistrats, des membres du Conseil constitutionnel ou d’autres instances.

Cette proposition va dans le bon sens. Il faut donner une base légale à la rémunération des juges constitutionnels. Vos amendements, madame la rapporteure, permettront de sécuriser l’existant, ce qui est essentiel : il ne faut pas donner le sentiment de vouloir rabaisser qui que ce soit, surtout pas une institution. Ils encadrent aussi le cumul de la rémunération et des pensions de retraite. Les membres du groupe Les Républicains portent un regard intéressé et confiant sur vos propositions.

M. Erwan Balanant. Au nom du groupe MoDem et Démocrates apparentés, je salue le travail remarquable de la rapporteure, ainsi que celui de René Dosière et d’Elina Lemaire, qui ont levé un loup. Il était pour le moins incongru qu’une partie de la rémunération des membres du Conseil constitutionnel soit hors-la-loi, puisqu’elle n’était pas définie par les textes. Il me semble tout à fait normal de préciser les choses dans une volonté de transparence, d’équité, d’éthique – principes mis en avant lors des auditions auxquelles j’ai participé avec la rapporteure. Nous devons nous assigner un objectif de transparence tout en respectant le principe d’indépendance du Conseil constitutionnel. Je crois qu’il ne traverserait l’esprit de personne de vouloir, dans une démarche quasiment populiste, diminuer substantiellement la rémunération des membres du Conseil. Pour garantir l’indépendance de l’institution, et compte tenu des responsabilités qu’ils assument, ses membres doivent percevoir une rémunération suffisante.

Je salue le travail d’enquête de l’Observatoire de l’éthique publique, qui a demandé la communication des documents auprès de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Il est désormais nécessaire de régler cette question avec justice, équité et transparence.

Il est possible que, du fait des nouvelles règles, on assiste à un renouvellement des profils des membres du Conseil constitutionnel, et ce, pour deux raisons. D’une part, les missions de l’institution ont évolué depuis l’introduction de la QPC. D’autre part, l’interdiction du cumul de la rémunération et d’une pension de retraite, que je trouve tout à fait logique, est de nature à favoriser la venue de personnes plus jeunes, encore pleinement engagées dans leur carrière professionnelle.

Mme Marietta Karamanli. Le Conseil constitutionnel, par son rôle éminent dans nos institutions, a entraîné une novation du régime de la Ve République. Créé pour contrôler la répartition des domaines de la loi et du règlement – les fameux articles 34 et 37 de notre Constitution –, il s’est affranchi de ses créateurs pour devenir en 1971 un gardien des droits individuels et des libertés publiques. La loi est le texte voté par le Parlement et promulgué par le Président de la République, sous le contrôle du Conseil constitutionnel. C’est dire l’importance de la proposition de loi organique de Cécile Untermaier, qui vise à corriger une anomalie et, ce faisant, à parfaire le statut des membres du Conseil constitutionnel.

L’indemnité des membres du Conseil constitutionnel, qui représente plus de la moitié de leur rémunération, est versée sans aucune base légale, ce à quoi il faut remédier. Le texte soumis à notre examen donne compétence au Parlement pour la fixer, ce qui présente deux mérites. D’une part, cette disposition est conforme au principe de légalité des mesures de rémunération et d’indemnisation et renforce la sécurité juridique qui s’attache à cette règle statutaire. D’autre part, elle améliore la transparence sur la rémunération et l’indemnisation au plus haut niveau de l’État. Le texte vise à conforter le statut des membres de l’institution et, ce faisant, le statut du Conseil lui-même.

Accessoirement, la proposition de loi organique harmonisera la situation des membres du Conseil avec celle des agents de nombreuses fonctions publiques, pour lesquels le cumul intégral de la rémunération et des droits à la retraite n’est plus possible. Cette interdiction de cumul intégral sera applicable jusqu’à la date effective de cessation des activités publiques.

Le groupe des députés Socialistes et apparentés apporte son entier soutien à ce texte, qui clarifie et sécurise les règles, tout en prévenant toute polémique à l’égard d’une institution dont les décisions s’imposent à chacun.

Par un amendement à la réforme constitutionnelle, nous avions proposé que le renouvellement des membres du Conseil constitutionnel accorde une place plus importante à des juristes, des universitaires – quel que soit leur âge –, afin d’apporter un regard différent sur nos institutions. Peut-être aurons-nous l’occasion d’y travailler lors de l’examen d’un prochain texte.

M. Dimitri Houbron. Je veux à mon tour saluer le travail de la rapporteure. Je partage les arguments contextuels et juridiques qui ont été avancés et voterai en faveur de ce texte.

Nous ne pouvons pas laisser dire que le régime indemnitaire des membres du Conseil constitutionnel souffrirait simplement d’opacité ou d’un fondement juridique obscur. Une partie substantielle de ce régime est, disons-le, illégal. Je m’étonne d’ailleurs que plusieurs sources, rapportées dans la presse, défendent le régime indemnitaire, au prétexte que les rémunérations globales sont publiées dans des documents budgétaires annexés au projet de loi de finances et que le fondement légal de ce régime est vérifié par la Cour des comptes. Ce que nous visons ici en priorité, c’est le fondement juridique d’une partie de cette rémunération. Comme l’a démontré l’Observatoire de l’éthique publique, aucun membre du Gouvernement n’est compétent pour définir l’indemnité des membres du Conseil constitutionnel. Cette compétence est exclusivement entre les mains du législateur organique. Nous sommes heureux d’être enfin réunis pour effacer cette illégalité.

En octobre dernier, l’Institut de recherche économique et fiscale a demandé au Conseil d’État de déclarer nulle et non avenue la lettre de mars 2001, et d’exiger la restitution des sommes « indûment versées et perçues » par les membres du Conseil constitutionnel depuis vingt ans. Il faut rendre hommage au travail de l’Observatoire de l’éthique publique et saluer la décision de la Commission d’accès aux documents administratifs, qui a autorisé la communication des fiches de paie des membres du Conseil constitutionnel, ce qui a permis de mettre ces faits en lumière.

Il était envisagé, dans le cadre de la réforme des retraites, de « bricoler » le régime indemnitaire des membres du Conseil constitutionnel en corrigeant l’article 6 de l’ordonnance de 1958. L’objectif était de légaliser l’indemnité complémentaire en en faisant une indemnité de fonction, dont le montant aurait été fixé par arrêté du Premier ministre et du ministre du budget. Cette proposition ne respectait aucunement le principe d’indépendance de l’institution.

Enfin, nous souscrivons pleinement à l’interdiction du cumul intégral d’une ou de plusieurs pensions de retraite avec l’indemnité de fonction des membres du Conseil. Cette disposition est cohérente avec celle adoptée dans la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019, relative à l’écrêtement des rémunérations et des retraites applicables aux membres d’autorités administratives indépendantes.

Le groupe Agir ensemble votera en faveur de cette proposition de loi parce qu’elle redonne compétence au législateur, met fin à une illégalité et marque le retour de la cohérence en matière d’indemnisation.

M. Thierry Benoit. Au nom du groupe UDI et Indépendants, je voudrais saluer la persévérance de Cécile Untermaier, qui m’avait apporté son soutien lorsque j’avais présenté une proposition de loi visant à soumettre au droit commun le régime du cumul de l’indemnité d’activité et de la pension de retraite des membres du Conseil constitutionnel.

Ce texte soulève trois enjeux. Le premier est l’indépendance du Conseil constitutionnel. Le deuxième est la transparence. La rapporteure a évoqué les polémiques qui entourent la rémunération des membres du Conseil et le cumul de leur indemnité et d’une ou de plusieurs pensions de retraite. Le manque de transparence, les soupçons, les doutes nourrissent naturellement la polémique. Le troisième enjeu est la nécessité d’une base juridique claire, qu’il s’agisse de la rémunération des membres du Conseil ou de l’encadrement du cumul de leur indemnité et de leur pension de retraite. Je ne vois pas pourquoi ils ne seraient pas soumis au droit commun applicable aux 66 millions de Français.

René Dosière, qui ne peut pas non plus être taxé d’inconstance, a révélé que, pour avoir accès à tous les éléments dont il a demandé la communication à la Commission d’accès aux documents administratifs, il lui a fallu saisir le tribunal administratif. Cela signifie que les membres du Conseil constitutionnel, installés dans leur institution, n’aiment pas que le Parlement, en particulier les députés, s’intéresse à leur situation. Ce sont des personnalités éminentes, qui effectuent un travail précieux, parce qu’elles sont les gardiennes de notre Constitution, mais il n’y a pas de raison que les parlementaires ne puissent pas se pencher sur leur situation.

Je n’ai pas plus que vous de compte à régler avec le Conseil constitutionnel mais je souhaiterais que tout soit mis en œuvre pour que, au-delà des déclarations d’intention des représentants des groupes, cette proposition de loi soit votée en commission et, surtout, en séance, ce qui implique qu’elle soit inscrite en bonne place lors de la journée d’initiative parlementaire du groupe Socialistes et apparentés. Ce serait un premier acte précieux. Il ne serait pas raisonnable de voter ce texte en commission pour se faire plaisir et donner un signal à l’opinion publique, sans exercer de droit de suite en séance publique. Le groupe UDI soutiendra la proposition.

Lorsque j’ai défendu ma proposition de loi sur l’encadrement du cumul de l’indemnité d’activité et de la pension de retraite des membres du Conseil constitutionnel, nous avions bien avancé en commission, avant que les représentants des groupes de la majorité ne me fassent comprendre, en séance, que ce n’était ni le bon moment, ni le bon véhicule. La majorité des membres des groupes LaREM et MODEM s’étaient opposés à la proposition de loi, qui avait été rejetée.

M. Ugo Bernalicis. Les membres du groupe La France insoumise sont évidemment favorables à cette proposition de loi, qui va dans le bon sens.

Il est assez surprenant que, pour faire la lumière sur cette situation, il ait fallu emprunter des voies de recours. On aurait pu imaginer que les membres du Conseil constitutionnel indiquent, de leur propre chef, les détails de leur rémunération.

Depuis 2008, année de création de la QPC, le Conseil constitutionnel a en partie changé de rôle. Il traite de questions intéressant non seulement le Parlement, mais aussi tout citoyen de ce pays. Aussi, des garanties pour éviter toute partialité, éventuellement partisane, doivent être posées. Il faudra avancer sur la question de la nomination des membres du Conseil, en particulier des membres de droit. Nous sommes partisans du passage à une VIe République, ce qui implique le passage à un VIe Conseil constitutionnel, voire, pourquoi pas, à une véritable cour constitutionnelle, dont le rôle et la composition seraient largement modifiés. Je ne crois pas qu’en soi, la transparence sur les rémunérations emporte avec elle des conséquences aussi étendues qu’on le voudrait et suffirait à susciter chez le citoyen une entière confiance dans cette institution. Des étapes doivent encore être franchies.

Les dispositions proposées en matière de rémunération et de cumul de celle-ci avec les pensions de retraite devraient, en effet, définir un cadre plus clair. Néanmoins, des interrogations demeurent. En matière de retraite, l’objectif est d’aligner tout le monde sur le droit commun et d’envisager un système universel de retraite par points – on y reviendra peut-être un jour. La dernière fois qu’on a discuté du cumul d’une pension de retraite et des revenus d’activité, c’était à l’occasion de l’examen de la proposition de loi sur la sécurité globale, à propos des fonctionnaires de police à la retraite exerçant une activité de sécurité privée. J’aimerais que nous gardions en mémoire les propos tenus ce matin et que nous appliquions les mêmes raisonnements à d’autres domaines. Il faudrait éviter de légiférer, d’un côté, pour aligner et encadrer les rémunérations et, de l’autre côté, pour ouvrir les possibilités d’un cumul de revenus un peu étrange, qui ne se justifie évidemment pas.

Nous sommes favorables à la proposition de loi, même si elle est loin d’épuiser le sujet constitutionnel et démocratique.

M. Stéphane Peu. Les membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine se félicitent de l’avancée que constitue la proposition de loi et espèrent que son examen sera mené à son terme et se conclura par son adoption – la niche socialiste comporte en effet un grand nombre de textes…

Nous soutenons le texte même si, à notre sens, il ne va pas assez loin. En 1958, l’ordonnance qui a créé le Conseil constitutionnel a défini un cadre de rémunération extrêmement clair, reposant sur des équivalences avec les échelons de la fonction publique. Si on appliquait à la lettre l’ordonnance de 1958, le président du Conseil percevrait 7 000 euros, et ses membres 6 500 euros, ce qui nous semble tout à fait normal. Or, aujourd’hui, ils perçoivent un montant double, et la proposition de loi maintient cet état de fait. C’est une rémunération hors de toute proportion.

Par ailleurs, il est incroyable que l’exemplarité ne vienne pas du haut, notamment en ce qui concerne la transparence des actes et des rémunérations. On n’a pas perquisitionné le Conseil constitutionnel, mais il a quand même fallu forcer un peu la porte – en engageant des actions en justice – pour obtenir les documents. C’est anormal, surtout compte tenu des attributions que la Constitution reconnaît au Parlement.

Je suis extrêmement choqué par la lettre de Florence Parly, alors secrétaire d’État au budget, de 2001. C’est un pur scandale. Pour compenser l’assujettissement à l’impôt de la moitié de leur rémunération, il a été décidé, par une lettre d’un membre du Gouvernement, de leur verser une prime, dans l’opacité la plus totale, sans passer devant le Parlement. C’est un acte illégal. Si un maire faisait la moitié de cela dans le cadre d’un marché public ou pour rémunérer les membres du conseil d’administration d’un organisme lié à la municipalité, il irait au tribunal et serait condamné, peut-être à une peine d’inéligibilité. Les ministres échappent à cela.

Plutôt que l’alignement sur la rémunération des membres du Gouvernement, nous aurions souhaité le retour à la lettre et à l’esprit de l’ordonnance de 1958. Néanmoins, nous soutiendrons ce pas en avant.

En matière de prestations sociales, lorsque quelqu’un perçoit un montant injustifié – mettons 30 euros mensuels d’aide personnalisée au logement (APL), pendant un an –, il doit le rembourser. Mais, « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ! » : s’agissant des membres du Conseil constitutionnel, les trop-perçus ne seront pas remboursés. Nous déposerons des amendements à ce sujet. Il existe, dans notre pays, un devoir d’exemplarité et un principe d’égalité.

M. Paul Molac. Les membres du groupe Libertés et Territoires soutiendront cette proposition de loi.

On a fait quelques progrès, s’agissant, par exemple, des députés, mais, en France, on a tendance à cultiver l’opacité sur l’emploi de certains fonds publics – y compris dans les ministères, où, il fut un temps, circulaient des enveloppes de billets. Ces pratiques sont aujourd’hui inacceptables, et il faut y mettre de l’ordre. Thierry Benoit s’était efforcé de renforcer la transparence et la clarté en encadrant le cumul d’une indemnité d’activité et d’une pension de retraite pour les personnes nommées au Conseil constitutionnel et dans les agences de l’État ; j’avais évidemment voté en faveur de sa proposition de loi.

Les inégalités sociales engendrent des tensions et nuisent à la cohésion de notre pays. Elles minent le contrat social. Notre monde est régi de manière croissante par un fonctionnement horizontal : la parole de Jojo le « gilet jaune » a autant de poids que celle d’un ministre. Dans cette société d’égaux – un homme, une voix – chacun a le droit de s’exprimer et d’être pris en considération. Il est essentiel que les choses soient cadrées et transparentes, en particulier s’agissant de rémunérations publiques.

M. Jean-Luc Warsmann. Non sans avoir salué le travail de notre rapporteure, je veux insister sur l’importance qu’a prise le Conseil constitutionnel au fil des années. J’avais eu l’honneur de rapporter les textes sur la QPC, qui ont introduit un progrès considérable. C’est la clé de voûte de l’État de droit, lequel constitue un trésor démocratique. On n’aurait pas imaginé qu’en 2021, l’État de droit ne soit pas respecté dans un pays membre de l’Union européenne, et pourtant…

La rapporteure nous propose un texte infiniment logique. On a connu, dans notre pays, de nombreux cumuls abusifs. On a commencé par limiter ceux des parlementaires, il y a quelques années, en plafonnant le cumul de leurs indemnités d’élus nationaux et locaux – c’est la règle du « un et demi ». Puis on a étendu le principe aux ministres et aux membres d’autorités administratives indépendantes. On poursuit aujourd’hui dans cette logique. La limitation que vous proposez, madame la rapporteure, me paraît légitime et, dans la mesure où vous ne l’appliquez qu’à l’avenir, respectueuse du droit. Aucune violence n’est commise : cette réforme est engagée dans un grand respect de l’institution, car on sait tous ce qu’on doit au Conseil constitutionnel. Je soutiendrai la proposition de loi.

Mme Emmanuelle Ménard. Je m’exprimerai en mon nom et en celui de Mme Marie-France Lorho. Nous saluons à notre tour le travail de la rapporteure. Les citoyens exigent des élus une transparence accrue, comme l’a montré le mouvement des « gilets jaunes », lesquels nous interpellaient régulièrement sur le montant des indemnités que nous percevons. Cette exigence est parfaitement normale – personne ne la conteste –, puisque de l’argent public est en jeu. L’accroissement de 15 % de la dotation matérielle des députés a d’ailleurs suscité un certain émoi. J’ai été surprise d’apprendre cette augmentation par les médias et les interpellations sur les réseaux sociaux – peut-être s’agit-il, encore une fois, d’un traitement réservé aux députés non inscrits ? Je voudrais rappeler la nécessité d’une bonne information, y compris à destination des députés non inscrits, qui sont souvent mis sur le côté.

L’alignement de la rémunération des membres du Conseil constitutionnel sur celle des membres du Gouvernement me semble une bonne mesure. L’interdiction du cumul de l’indemnité de membre du Conseil et d’une pension de retraite pour les nouveaux arrivants me semble également bienvenue. Nous voterons donc en faveur de cette proposition.

Nous regrettons toutefois de ne pouvoir aller plus loin sur les questions liées à la rémunération. Je pense à la proposition de loi de Thierry Benoit, qui visait à interdire le cumul d’une pension de retraite et d’une indemnité d’activité au Conseil constitutionnel et dans les agences de l’État. Il faudrait faire preuve, me semble-t-il, de plus de cohérence. Je regrette que la question de l’indemnisation des membres du Conseil constitutionnel ait dû être soulevée par l’Observatoire de l’éthique publique. Sans son intervention, rien n’aurait bougé. On a parlé d’exemplarité. Les Français l’exigent de la part de leurs élus, ce qui est tout à fait normal, et il est regrettable qu’elle ne vienne pas d’en haut.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Nous sommes les premiers à devoir faire preuve d’exemplarité. Le texte est le fruit de cette volonté. L’article 63 de la Constitution nous donne pleine compétence pour fixer la rémunération des membres du Conseil constitutionnel. Or, nous n’avons rien fait depuis 2001. Nous jouons aujourd’hui notre rôle. Les trois constitutionnalistes que nous avons auditionnés – séparément – ont rappelé l’importance qui s’attache à ce que les parlementaires, élus au suffrage universel, garantissent l’indépendance du Conseil constitutionnel et fixent la rémunération de ses membres, conformément à la Constitution.

J’ai perçu la colère de plusieurs représentants de groupe face au comportement assez inqualifiable du Conseil constitutionnel depuis 2001. Chacun doit s’assigner un devoir d’exemplarité. Il faut souligner la richesse du travail de l’Observatoire de l’éthique publique – qui a mené l’enquête pendant plus de deux ans –, sans lequel je n’aurais pu élaborer cette proposition de loi. La CADA a donné son accord à la communication des documents, mais le Conseil constitutionnel s’y est opposé. Il a fallu une décision du tribunal administratif pour que le Conseil constitutionnel accepte de fournir des fiches de paie anonymisées, ce qui nous a permis de comprendre le détail de la rémunération.

Cela montre combien le passage devant le Parlement est préférable, d’un point de vue démocratique, aux échanges confidentiels avec l’exécutif. Contrairement à ce que pense le Conseil constitutionnel, l’intervention du Parlement est la meilleure des choses pour garantir son indépendance : il ne peut être dans la main de l’exécutif. Ce dernier peut voir ses initiatives censurées par le juge constitutionnel ; il n’a pas à lui faire espérer ou craindre quoi que ce soit.

On est toujours puni par là où on a péché. L’opacité est la mère de toutes les rumeurs. Le Parlement assure la transparence en travaillant de manière parfaitement ouverte à la presse et au public.

Monsieur Peu, j’approuve vos propos concernant l’exemplarité et l’impunité. Cela étant, un recours a été engagé devant le Conseil d’État. Nous sommes dans un État de droit. Nous ne sommes pas des juges, nous faisons œuvre législative. Je remercie la commission des Lois de nous permettre de réaliser ce travail exigeant transpartisan.

La Commission passe à l’examen des articles.

Article 1er (art. 6 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel) : Rémunération des membres du Conseil constitutionnel et encadrement de son cumul avec les pensions de retraite perçues

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL2 de M. Thierry Benoit, CL4 de la rapporteure et CL1 de Mme Emmanuelle Ménard.

M. Thierry Benoit. Nous l’avons déjà évoqué, la rémunération des membres du Conseil constitutionnel n’est actuellement pas adossée à une base juridique solide, mais à un simple courrier datant d’une vingtaine d’années. Il s’agit donc de modifier l’alinéa 2 en prévoyant que leurs indemnités sont fixées en fonction des traitements des emplois classés hors échelle, ce qui permettrait de rester sur les niveaux actuels de rémunération et ne constitue donc pas une sanction vis-à-vis des membres du Conseil constitutionnel.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Mon amendement CL4 propose de distinguer le montant afférent au traitement de celui relatif à l’indemnité. La référence au traitement est d’ores et déjà prévue par l’article 6 de l’ordonnance de 1958, et mon collègue Benoit souhaiterait doubler le montant correspondant au traitement. Nous considérons qu’il est important de bien identifier l’indemnité car il faut faire peser la réfaction de la retraite sur cette dernière.

Nous poursuivons donc le même but, par des voies différentes mais quasiment équivalentes. Monsieur Benoit, je souhaiterais que vous retiriez votre amendement au bénéfice du mien.

Mme Emmanuelle Ménard. L’amendement CL1 est de précision. Il vise l’alinéa 2 qui dispose que le président et les autres membres du Conseil constitutionnel perçoivent une rémunération égale au traitement brut mensuel des ministres, complétée le cas échéant par une indemnité de résidence. Je propose de rajouter que cette indemnité de résidence est définie par décret, par souci de transparence.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Nous ne souhaitons aucune référence à des décrets car le Parlement doit jouer son rôle, selon les termes de l’article 63 de la Constitution. Le renvoi à un décret est sans doute attendu par le juge constitutionnel – il préfèrerait peut-être que l’exécutif, plutôt que le Parlement, fixe l’indemnité !

En outre, l’indemnité de résidence sera comprise dans la part indemnitaire globale que mon amendement détermine.

L’amendement CL1 est retiré.

L’amendement CL2 est également retiré.

M. Erwan Balanant. Je souhaitais intervenir sur la question du décret, mais Cécile Untermaier l’a très bien expliqué et l’amendement est retiré. Il arrive parfois, même à Mme Ménard, de se tromper ! (Sourires.)

La Commission adopte l’amendement CL4.

Elle adopte ensuite à l’amendement rédactionnel CL5 de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article 1er, modifié.

Article 2 : Entrée en vigueur différée

La Commission passe à l’amendement CL6 de la rapporteure.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. L’amendement vise à rendre applicable le dispositif d’écrêtement de l’indemnité à due concurrence du montant de la pension de retraite aux seuls membres nommés à compter de la publication de la présente loi organique. Les actuels membres du Conseil constitutionnel qui perçoivent une pension de retraite ne seraient donc pas assujettis à cet écrêtement.

C’est le sens de ma proposition de loi. C’est aussi sa limite, mais je m’y étais engagée, afin de satisfaire tous mes collègues.

M. Pacôme Rupin. Je salue la recherche d’équilibre de notre rapporteure. Nous voterons cet amendement.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 2, modifié.

TITRE

La Commission passe à l’amendement CL7 de la rapporteure.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Dans un objectif de clarté, le présent amendement modifie l’intitulé de la proposition de loi organique afin d’expliciter son objet : la détermination du régime de rémunération des membres du Conseil constitutionnel. Ainsi, le Parlement pourra, s’il le souhaite et quand il le souhaite, revenir sur ce dispositif.

La Commission adopte l’amendement CL7.

Puis elle adopte la proposition de loi modifiée, à l’unanimité. (Applaudissements.)

M. Jean-Philippe Gosselin. S’agissant d’une proposition de loi organique, elle sera soumise au Conseil constitutionnel !

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Exactement ! Mais les institutions sont bien faites. Je remercie ceux qui œuvrent depuis longtemps sur ces questions. J’ai une pensée particulière pour l’Observatoire de l’éthique publique et René Dosière, qui nous aident et soutiennent l’indépendance du travail du Parlement.

M. Thierry Benoit. Longue vie au Président Dosière ! (Sourires.)

*

*     *

La Commission examine la proposition de loi constitutionnelle visant à établir un meilleur équilibre entre pouvoirs constitutionnels (n° 3486) (Mme Marietta Karamanli, rapporteure).

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Depuis le début de la législature, la commission des lois a débattu à de nombreuses reprises de l’état de nos institutions. Que ce soit dans le cadre des projets de réforme constitutionnelle portés par le Gouvernement et sa majorité ou d’initiatives parlementaires soutenues par les différents groupes que nous représentons, nous avons été amenés à dresser plusieurs constats similaires, même si nous pouvons différer sur les solutions à apporter.

Le premier est incontestablement que nos démocraties sont, sinon fragilisées, au moins profondément mises à l’épreuve par les crises économique, sociale et environnementale que nous connaissons depuis plusieurs années, et que l’épidémie de covid-19 a encore amplifiées. Partout en Europe, les citoyens expriment le besoin d’une meilleure représentation de leurs opinions et de leurs choix politiques, ainsi que d’une participation effective à la décision publique. Ce constat est encore plus prégnant en France, alors que nos institutions républicaines n’assurent plus l’équilibre pourtant nécessaire entre les pouvoirs.

Deuxième constat, le Parlement peine à demeurer le lieu du débat et de la fabrique de la loi, attributs pourtant au cœur de son rôle constitutionnel. Les conditions de détermination de l’ordre du jour, les délais d’examen des textes, la pratique du fait majoritaire, renforcée par le quinquennat et le calendrier des élections législatives, ne permettent pas la réflexion et la concertation qui seraient utiles en ces temps de recherche d’unité nationale. La gestion actuelle de la crise sanitaire en témoigne : alors qu’il est indispensable que la représentation nationale soit associée à l’élaboration d’une stratégie nationale et européenne pour lutter contre l’épidémie, elle est, depuis mars dernier, tenue à l’écart de la prise de décision par les votes successifs d’habilitations législatives et de mesures exceptionnelles venant renforcer les pouvoirs de l’exécutif.

Ce qui est vrai sous cette mandature l’était sous les précédentes. Comment ne pas s’interroger lorsqu’un arbitrage du Président de la République est nécessaire s’agissant de l’achat de masques par l’État, comme l’a rapporté une ancienne ministre de la Santé ? Nous sommes tous favorables à ce que l’exécutif soit capable de prendre les mesures qui s’imposent. Nous reconnaissons tous que le ministre de la Santé est venu à plusieurs reprises devant nous pour présenter son action. Mais pour quels résultats ? Participons-nous pour autant à la détermination des choix stratégiques de gestion de cette crise ? Disposons-nous d’éléments concrets nous permettant d’apprécier les différentes options possibles ? Non, et cet affaiblissement du Parlement illustre également l’affaiblissement des marges de manœuvre des ministres eux-mêmes, qui n’ont pas de mandat pour rechercher un consensus politique avec la représentation nationale. En effet, les décisions ne sont plus prises par le Conseil des ministres, mais par un Conseil de défense dont vous avez eu raison de dire, madame la présidente, qu’il devait être plus transparent.

Et cela m’amène au troisième constat, celui d’un déséquilibre, encore accru par la crise sanitaire, dans la répartition des pouvoirs entre le Président de la République et le Premier ministre. Au sein de l’exécutif, les décisions ne sont plus prises au niveau du Gouvernement, instance collégiale responsable devant la représentation nationale, mais par le Président de la République. Cette pratique du pouvoir, justifiée par une recherche d’efficacité face aux enjeux de sécurité et de santé publiques, traduit en réalité une perte du sens de l’action collective et la personnalisation encore renforcée de la fonction présidentielle. Plus grave, cette pratique nous mène à une impasse démocratique : alors que le Président de la République exerce de facto toutes les responsabilités, il n’est responsable devant personne durant son mandat.

Or, comme l’a souligné Marie-Anne Cohendet, professeure de droit constitutionnel, lors de son audition, la stabilité du Gouvernement, souvent avancée pour justifier cet état de fait, n’est qu’apparente. La durée des gouvernements est en moyenne de dix-huit mois depuis 1958 : l’instabilité gouvernementale ne résulte plus des partis politiques mais du Président de la République lui-même. Le Premier ministre apparaît ainsi davantage responsable devant ce dernier que devant l’Assemblée nationale. Nos concitoyens en viennent à s’interroger légitimement sur notre rôle, sur nos moyens d’action et sur les apports de la discussion parlementaire.

Cette concentration des pouvoirs par le Président de la République est dommageable à plusieurs titres. En premier lieu, si la Constitution lui reconnaît un rôle éminent, faisant de lui la clef de voûte de nos institutions, c’est pour lui permettre d’assurer, en toutes circonstances, leur bon fonctionnement, et non de se substituer au Gouvernement. En outre, la démocratie s’accommode mal de cette figure unique du pouvoir : le risque est celui de l’effacement des partis et de l’affaiblissement du débat politique, pourtant nécessaires à l’expression des différentes opinions au sein de la société. Lors de son audition, le constitutionnaliste Yoan Vilain nous rappelait cette citation de Pierre Mendès France, dans La République moderne : « Pour un peuple, confier son sort à un seul homme, fût-il le meilleur d’entre tous, est une démission. » Plus encore, dans le contexte actuel, qui nécessiterait au contraire une parole publique forte face aux tentatives de déstabilisation des démocraties sur fond de montée des peurs et de l’intolérance, un tel déséquilibre est dangereux. Il est donc urgent d’opérer un rééquilibrage des pouvoirs au sein de l’exécutif.

C’est l’objet de la proposition de loi constitutionnelle que je présente devant vous. L’article 1er prévoit l’investiture du Premier ministre par l’Assemblée nationale, préalablement à sa nomination par le Président de la République. En effet, en l’état actuel de notre Constitution, la nomination par le Président de la République suffit à donner au Premier ministre la plénitude de ses fonctions.

L’alinéa 1er de l’article 49 de la Constitution prévoit certes l’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur son programme, mais, dès 1966, son interprétation a dégagé l’exécutif de toute obligation en la matière. Une investiture par l’Assemblée nationale permettrait de renforcer la légitimité du Premier ministre, dont la nomination procéderait désormais des représentants du peuple et de la majorité parlementaire, et non de la seule volonté du Président de la République. Elle permettrait également d’assurer la position du Premier ministre comme chef du Gouvernement. Le Parlement en serait aussi renforcé : cette procédure permettrait de réaffirmer la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale et d’affermir les possibilités de contrôle des deux chambres.

L’article 2 tend à confier la présidence du Conseil des ministres au Premier ministre, en limitant l’exercice de cette prérogative par le Président de la République à l’absence ou l’empêchement du Premier ministre. Actuellement, la présidence du Conseil des ministres permet au Président d’arrêter l’ordre du jour : ainsi, il pèse sur les décisions qui relèvent pourtant de la compétence du Gouvernement. Le Conseil des ministres ne tend plus qu’à acter les décisions qu’il a déjà arbitrées, et non à permettre l’expression d’une collégialité. Comme l’a souligné Dominique Rousseau lors de son audition, la France est un cas à part en Europe. Au Portugal, en Autriche, en Irlande et en Finlande, alors que le chef de l’État est élu au suffrage universel, il ne préside pas le conseil des ministres. Dans d’autres États, comme la Pologne ou la Roumanie, cette présidence est limitée à des circonstances particulières.

Cette réforme permettrait de réaffirmer le rôle et la responsabilité du Premier ministre au sein de son Gouvernement, d’une part, et au regard de la définition de l’agenda politique et des réformes à conduire, d’autre part.

L’article 3, enfin, a pour objet de transférer le pouvoir de dissolution de l’Assemblée nationale du Président de la République au Premier ministre, afin de résoudre l’asymétrie manifeste qui existe actuellement entre responsabilité et dissolution, et de revenir à une pratique plus respectueuse du caractère parlementaire de notre Constitution où c’est le suffrage universel qui arbitre le différend entre l’exécutif et l’Assemblée nationale. Actuellement, si la représentation nationale peut censurer le Gouvernement, le Président, politiquement irresponsable, a la faculté de la dissoudre et, le cas échéant, de rétablir le Gouvernement. Cette situation n’est pas satisfaisante, et nous proposons d’y remédier. Ces dispositions, vous l’avez compris, ne reviennent ni sur les prérogatives essentielles du Président de la République, ni sur son élection au suffrage universel direct à laquelle les Français sont attachés. Elles permettent, dans la continuité des principes ayant inspiré la rédaction de la Constitution, de défendre la place du Parlement dans ses relations avec l’exécutif et de rétablir, au sein de ce dernier, une répartition acceptable des pouvoirs entre le Président de la République et le Premier ministre. Nous pourrons alors retrouver, comme l’a souligné le professeur Mathieu Touzeil-Divina lors de son audition, « un régime d’équilibre, d’interdépendance des pouvoirs » dont nous avons tant besoin pour répondre aux crises et défis actuels.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, cette proposition de loi est aussi l’occasion de nous saisir sereinement de la question du rééquilibrage de nos institutions et d’en débattre – à défaut d’adopter ce texte. C’est particulièrement important au regard du malaise que nous connaissons et des crises que nous traversons.

M. Bruno Questel. Le syndicat des producteurs de chrysanthèmes vous remercie de vouloir réhabiliter la fonction présidentielle telle qu’elle existait sous la IIIe et la IVe Républiques ! Quant à nous, nous regrettons ce formidable déséquilibre des institutions que vous entendez mettre en place en oubliant que le Président de la République est élu au suffrage universel direct – vous maintenez ce principe dans votre proposition de loi.

Nous pouvons vous remercier d’ouvrir le débat, mais votre proposition de loi figure au onzième rang des textes que vous présentez dans le cadre de la niche du groupe socialiste. Nous n’aurons donc pas le loisir d’en discuter dans l’hémicycle, haut lieu du débat parlementaire et public, ce qui souligne, s’il en était besoin, que vous n’êtes que dans l’affichage.

Votre texte remet en cause des prérogatives essentielles du Président : il lui enlève le droit de dissolution, le droit de désigner le Premier ministre de manière discrétionnaire et le pouvoir de présider le Conseil des ministres. Vous ne faites pas état des prérogatives que vous conservez au Président de la République, mais de celles que vous lui retirez. Quelles seraient à l’avenir l’action, les fonctions et les responsabilités du Président de la République, toujours élu au suffrage universel ? Ce point essentiel est complètement absent de votre texte 

Vous avez cité Pierre Mendès France. Je me rappelle que François Mitterrand l’a remercié le jour de sa prise de fonctions en 1981, en lui indiquant que tout cela n’aurait pas été possible sans lui. En ce début des années quatre-vingts, Pierre Mendès France s’était parfaitement inscrit dans la logique des institutions en soutenant le Président de la République, lequel avait fait de même. Par le passé, pourtant, il avait commis un livre passionnant pour les étudiants en droit que nous étions – Le coup d’État permanent.

Vous l’aurez compris, vous n’aurez pas le soutien du groupe majoritaire. Pour autant, nous ne manquerons pas de participer au débat – je vous remercie de l’avoir suscité – même si je regrette qu’il n’ait lieu qu’en commission des lois.

M. Arnaud Viala. Madame la rapporteure, nous partageons vos constats. Vous les avez d’ailleurs inscrits dans le contexte de la crise sanitaire. Il est vrai qu’elle est particulièrement révélatrice d’une forme d’affaissement des prérogatives et des pouvoirs du Parlement. Ainsi, notre agenda est embouteillé par divers textes que les parlementaires – y compris probablement ceux de la majorité – n’auraient certainement pas choisi de présenter dans cet ordre.

Nos missions de contrôle de l’exécutif sont également malmenées. Hier encore, la prorogation de l’état d’urgence sanitaire a été soumise à l’Assemblée pour une durée exorbitante de six mois, auxquels s’ajoutent six mois de période transitoire, alors que le fonctionnement de nos institutions commanderait que le Parlement, et donc les Français, soit consulté de manière beaucoup plus fréquente sur des sujets d’une telle importance.

En revanche, les remèdes que vous préconisez pour redonner des prérogatives aux parlementaires, et donc de la tonicité à notre démocratie, ne sont pas les bons. La Ve République est construite sur l’équilibre entre le pouvoir présidentiel, issu du suffrage universel direct et dont le mandat a été réduit à cinq ans afin d’assurer une forme de vitalité à la démocratie, et le pouvoir parlementaire. Certes, le Gouvernement est nommé par le Président de la République, mais il est responsable devant le Parlement. Nous ne pensons donc pas qu’il faille priver le Président de la République de son pouvoir de dissolution, ni l’empêcher de présider le Conseil des ministres, et encore moins faire en sorte que le Premier ministre puisse lui confier cette mission de temps en temps, quand il est retenu !

Il faut explorer d’autres solutions : mieux encadrer la fonction de contrôle du Gouvernement par le Parlement – notamment à l’Assemblée nationale ; renforcer les pouvoirs des parlementaires, par exemple grâce au droit d’initiative pour la fixation de l’ordre du jour. Certes, quelques petites modifications du règlement intérieur concernant les niches parlementaires à l’Assemblée nationale ont permis d’avancer, mais cela reste très timide, et très largement insuffisant.

Il faudrait également songer urgemment à moderniser l’organisation du travail parlementaire. Nous passons près de six mois sur l’élaboration des lois de finances ! Or la crise sanitaire a démontré, tragiquement, que les textes étaient obsolètes au moment même où nous les votions, la situation appelant des mesures exceptionnelles et dérogatoires – les nombreuses lois de finances rectificatives l’ont bien montré… C’est cela qu’il faut toiletter si nous voulons redonner aux Français confiance dans leurs institutions et le sentiment que nous servons à quelque chose et, surtout, que nous représentons utilement l’intérêt général.

L’équilibre actuel de nos institutions est précieux. Il repose sur l’élection d’un homme, et demain peut-être d’une femme, par le peuple français pour une durée de cinq ans. Le président ainsi élu fixe des orientations qu’il charge ensuite d’autres autour de lui, et avec lui, d’exécuter. Vos références aux exemples européens me conduisent à penser que notre Constitution a encore de beaux jours devant elle, même si cela déplaît à certains.

M. Erwan Balanant. J’ai souligné la pugnacité de Mme Untermaier. J’ai envie de saluer l’audace de Mme Karamanli ! Il faut en effet être audacieux pour tenter de réviser notre Constitution dans le cadre d’une niche parlementaire. Mais je vous l’accorde, il est toujours temps de débattre de nos institutions et de notre démocratie, et c’est ce qui fait sa force.

Je vous remercie donc pour ce texte qui permet de nous interroger sur l’équilibre entre les pouvoirs constitutionnels. Comme le disait Julien Gracq, « le rassurant de l’équilibre, c’est que rien ne bouge. Le vrai de l’équilibre, c’est qu’il suffit d’un souffle pour tout faire bouger. » Cela correspond assez bien à ce que peut être une Constitution : solide, équilibrée, et qui peut aussi, par de petits changements, profondément se transformer.

Vous avez raison quand vous évoquez la nécessité d’un rééquilibrage des pouvoirs : l’exécutif dispose de trop de pouvoirs par rapport au Parlement. Tous les parlementaires le disent et ceux qui deviennent ministres ont parfois tendance à l’oublier.

Je le répète, vos propositions sont audacieuses : sur la forme d’abord puisqu’elles s’insèrent dans une niche parlementaire, mais aussi sur le fond car vous touchez à des dispositions sensibles de notre Constitution. Je ne vais pas toutes les passer en revue, mais si nous voulons rééquilibrer le rapport entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, j’ai une solution très simple : c’est l’introduction d’une dose de proportionnelle dans notre mode de scrutin.

Un Parlement est fort quand il est représentatif. Or le scrutin uninominal à deux tours sélectionne, contrairement au scrutin proportionnel, qui vise à représenter. Il serait logique que l’Assemblée nationale assure une juste représentation de notre pays afin de jouer pleinement son rôle de représentation de la Nation. Cela lui permettrait en outre d’être plus forte face au pouvoir exécutif, car elle aurait plus de poids aux yeux de nos concitoyens.

Je vous remercie donc pour cette contribution au débat sur l’équilibre des pouvoirs et j’invite tous mes collègues à s’interroger sur la mise en œuvre et les conséquences de la proportionnelle au sein de nos institutions, notamment en termes de rééquilibrage entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.

Mme Cécile Untermaier. Ma chère collègue, je vous remercie pour cette réflexion courageuse, presque insolite, et pourtant ô combien nécessaire. Elle s’inscrit dans la continuité de celle que nous avions déjà menée ensemble, avec Claude Bartolone, lors des échanges du groupe de travail sur l’avenir des institutions, dont les conclusions avaient été publiées sous le titre « Refaire la démocratie », et dont sont issues certaines de vos propositions.

Vous avez raison, l’équilibre des pouvoirs est essentiel et doit être restauré. Le Parlement doit utiliser tout l’éventail des pouvoirs que la Constitution lui accorde et il ne le fait pas. L’assemblée parlementaire franco-allemande, mise en place au cours de ce quinquennat à l’initiative du président de l’Assemblée nationale et des députés de la majorité, est intéressante. Elle met en lumière la façon dont le Bundestag a trouvé son équilibre par rapport à l’exécutif.

En France, l’exécutif doit, comme le législatif l’a fait, progresser en termes de transparence et d’exigence, grâce à l’émergence de procédures et d’un droit gouvernemental améliorant la préparation des lois. Or, parfois, la rédaction des exposés des motifs de projets de loi pourtant relatifs à notre souveraineté est confiée à des conseils indépendants ! Ces exposés des motifs devraient mieux éclairer les choix du Gouvernement qui demande le suffrage de la représentation nationale.

Il conviendrait également que la responsabilité politique individuelle des ministres soit reconnue. Ils seraient alors plus réactifs, comme c’est le cas en Allemagne : ainsi, lorsque l’assemblée parlementaire franco-allemande débat de questions relatives aux transports, le ministre allemand des Transports se déplace – il n’imagine pas une seconde ne pas répondre à une invitation de parlementaires. En revanche, le ministre des Transports français ne vient pas, ce qui a beaucoup choqué les parlementaires allemands, mais aussi français.

La mise en œuvre de cette responsabilité individuelle serait utile pour interroger certains ministres sur les actions qu’ils ont menées, pour vérifier leur capacité à répondre à nos questions écrites – qui ne sont pas toujours inutiles. Or la responsabilité collective du Gouvernement est un peu l’angle mort de la République ; les motions de censure sont des motions d’affichage.

Voilà quelques réflexions que je souhaitais porter, en soutien à votre proposition.

M. Dimitri Houbron. Cette proposition de loi constitutionnelle nous invite à nous interroger sur l’essence de notre Constitution, sur la puissance des pouvoirs exécutif et législatif, sur leurs relations et donc sur l’équilibre entre les pouvoirs. Je vous en remercie.

Personne ne doute des problématiques qui découlent du parlementarisme rationalisé et nul, surtout dans ces murs, ne remet en cause les propositions destinées à renforcer l’autonomie du Parlement. Cependant, les modifications constitutionnelles pour y parvenir et les temporalités pour y aboutir ne doivent pas être minimisées.

Nous sommes tous attachés aux niches parlementaires. C’est un député qui a fait adopter une loi sur la justice de proximité à l’occasion de la niche de son groupe qui vous le dit. Mais nous connaissons leurs limites : la durée d’examen. Dans cette logique, nous doutons que ce véhicule législatif soit le plus adapté pour examiner et débattre de mesures destinées à transformer les interactions constitutionnelles de nos institutions. Cette proposition de loi part d’un constat légitime et partagé, mais elle ne peut être adoptée en quelques heures.

En outre, sans remettre en cause les objectifs visés et l’esprit de ce texte, nous ne soutenons pas ses dispositions. Vous proposez que le Président de la République ne préside plus le Conseil des ministres et qu’il ne dispose plus de la capacité de dissoudre l’Assemblée nationale, ces deux compétences revenant au Premier ministre. Nous ne pouvons soutenir ces mesures car elles tendent à nous rapprocher des régimes anglais, allemand, italien ou encore espagnol. À terme, le Premier ministre deviendrait, comme dans ces pays, le chef du parti politique au pouvoir, mais aussi celui du groupe parlementaire. Une accumulation de casquettes et de responsabilités malvenues dans la mesure où le Premier ministre n’est pas élu mais nommé, même si vous proposez qu’il soit, a minima, élu indirectement par une investiture parlementaire. À l’inverse, le Président de la République ne peut se voir retirer de telles compétences alors qu’il est élu au suffrage universel direct. Les Français pourraient s’émouvoir qu’une personne nommée puisse dissoudre l’assemblée de leurs représentants.

S’agissant de la présidence du Conseil des ministres, la pratique constitutionnelle nous a démontré que nos institutions se sont acclimatées aux lignes rigides du texte de 1958, notamment en période de cohabitation. Notons, à titre d’exemple, que le Premier ministre tenait à cette époque des conseils de cabinet, qu’il présidait, pour concurrencer le Conseil des ministres.

Ensuite, à propos du premier article relatif à l’investiture du Gouvernement par un vote de confiance de l’Assemblée nationale, notons que cette pratique devient coutumière et que la présente législature et les précédentes nous démontrent que notre institution n’hésite pas à actionner les leviers constitutionnels pour engager la responsabilité du Gouvernement avec la motion de censure.

Cette pratique doit-elle devenir une obligation constitutionnelle ? Elle doit surtout s’accompagner de dispositifs complémentaires de contrôle du Gouvernement.

Enfin, adopter de telles modifications constitutionnelles nous obligerait à nous réinterroger sur certains modes de scrutins. Il ne serait pas concevable, nous le répétons, qu’une personne nommée – et non directement élue – puisse dissoudre l’Assemblée nationale.

Le groupe Agir ensemble votera donc contre votre proposition de loi constitutionnelle.

M. Ugo Bernalicis. Cette proposition de réforme constitutionnelle a le mérite de nous permettre de discuter de l’architecture constitutionnelle. Quelle serait l’architecture idéale ? Certains collègues ont évoqué la proportionnelle, qui sera peut-être prochainement à l’ordre du jour – nous sommes nombreux à le souhaiter.

Madame la rapporteure, vous avez parlé du Conseil de défense ; ce sujet est aussi d’actualité. Cette instance met en lumière les pouvoirs du Président de la République et les non-pouvoirs du Parlement puisque personne n’est au courant de ce qui s’y passe.

Néanmoins, si, par défaut, nous pourrions être favorables à vos propositions, le groupe parlementaire de La France insoumise souhaite basculer dans une VIe République et notre président de groupe, deux, et bientôt trois, fois candidat à l’élection présidentielle, plaide en ce sens.

Ce nouveau régime de séparation des pouvoirs devrait être précédé d’une Assemblée constituante car il est nécessaire de refonder les institutions avec le peuple français. Il faut que cette assemblée puisse se réunir suffisamment longtemps – pour une durée maximale de deux ans – afin de proposer une nouvelle Constitution. Elle ne devra pas comprendre de personnes déjà élues et les membres de cette future assemblée constituante ne pourront ensuite être élus dans les instances qu’ils auront proposées de créer et qui devront être validées par référendum par le peuple français.

Cette respiration démocratique est nécessaire : de quels pouvoirs souhaite-t-on se doter ? De quelle manière veut-on être représenté ? De quelle manière le peuple veut-il se donner des pouvoirs un peu plus directs et immédiats ? Les « gilets jaunes » ont plaidé pour un référendum d’initiative citoyenne ; il doit faire partie des nouveaux outils démocratiques d’intervention populaire directe, permettant de refonder nos institutions.

Madame la rapporteure, si vous maintenez l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, si vous maintenez le calendrier actuel – élections des députés dans la foulée de l’élection du Président de la République –, vous n’échapperez pas aux travers du fait majoritaire, même si le Premier ministre n’est pas désigné par le seul Président de la République.

D’ailleurs, en l’état actuel de nos institutions, rien n’empêche nos collègues de la majorité de lever la main différemment de leur groupe ! Pourquoi ne le font-ils pas ? (Protestations.)

M. Pacôme Rupin. Nous votons comme nous voulons, monsieur Bernalicis !

M. Ugo Bernalicis. Je soulignais simplement que vous avez le pouvoir et que vous n’en faites pas usage. Je sais, ce constat pique ! Mais chacun espère être réélu et a donc besoin de l’onction divine du Président de la République, ou du futur Président de la République. Pourtant, vous n’avez pas l’obligation de voter conformément à tous les desiderata de l’exécutif qui, lui, n’est pas élu mais est la simple prolongation de la volonté du Président de la République.

Le Parlement pourrait se rebeller face au Conseil de défense, dire « c’est terminé ! On n’en veut plus ». Pourtant, nous ne le faisons pas. C’est bien qu’il faut apporter quelques modifications substantielles à l’équilibre des pouvoirs et au calendrier des élections, afin de décorréler l’élection présidentielle et les élections législatives. Nous vous proposerons d’ailleurs des amendements en ce sens.

M. Stéphane Peu. Nous partageons votre constat initial, madame la rapporteure : une crise démocratique qui fait peser des risques sur notre République, sur le pacte social et sur la cohésion nationale. Nous ne minimisons pas son aggravation, année après année. Soyons honnêtes, la crise n’a pas débuté avec ce quinquennat. Notre devoir est à la fois d’alerter, de comprendre ce risque et d’essayer de bâtir des propositions.

Notre régime ressemble aujourd’hui davantage à une monarchie présidentielle qu’à une véritable démocratie parlementaire. Il porte donc en lui-même les risques et les raisons de la crise démocratique. L’élection du Président de la République au suffrage universel direct, sujet certes complexe, devrait malgré tout être mis sur la table.

Avec toute l’amitié que je porte à Mme Karamanli et à son groupe, je dois quand même leur rappeler qu’en 2001, le ministre socialiste Vaillant avait justifié l’inversion du calendrier par la prééminence de l’élection présidentielle. Les députés communistes – dont je n’étais pas à l’époque – avaient souligné les dangers de cette mesure et proposé d’amender le texte. Ils avaient été renvoyés dans leurs cordes. Vingt ans plus tard, on s’aperçoit que ceux qui pointaient les risques inhérents à cette inversion avaient raison et on ne trouve plus grand monde pour justifier cet acte de soumission du Parlement à la Présidence de la République. C’est là que se situe le point dur de la crise démocratique. Or votre proposition de loi ne le traite pas.

Cela ne signifie pas qu’elle ne comprend pas d’avancées. La crise démocratique ne date certes pas de ce quinquennat, mais elle a été profondément aggravée par ce dernier, du fait de l’arrivée à la Présidence de la République d’un homme sans expérience démocratique, qui n’avait jamais été confronté au suffrage – ce n’est pas lui faire injure que de le dire – et de celle, concomitante, d’une majorité parlementaire et d’un Gouvernement très largement sans expérience de la vie démocratique et principalement issus du monde de l’entreprise, dont la doctrine politique fait prévaloir l’entreprise et l’économie sur tout le reste.

Alors que nous sommes en période de crise sanitaire, le recours aux cabinets privés, à un Conseil de défense, la perpétuation des états d’urgence sanitaire démontrent que la Constitution facilite la tâche de ceux qui ont des tentations autoritaires, même si ce n’est pas le cas de la majorité actuelle. C’est un risque si, demain, une majorité moins consciente des enjeux démocratiques arrive au pouvoir.

M. Bruno Questel. On a compris !

M. Stéphane Peu. Ne minimisons pas le sujet ! Je veux bien avoir raison vingt ans après, comme c’est le cas sur la loi organique du 15 mai 2001, mais, entre-temps, le pays subit de nombreux dégâts. À l’heure actuelle, personne ne peut nier que notre pays traverse une crise grave et profonde, caractérisée par une dangereuse coupure entre le peuple et la décision politique.

M. Jean-Félix Acquaviva. Le groupe Libertés et Territoires approuve globalement la réforme constitutionnelle proposée par nos collègues socialistes. Toutefois, nous souhaitons lui donner plus d’ampleur pour évoluer – nous le disons clairement – vers une VIe République. Nous partageons le constat d’une forte dévalorisation du rôle du Parlement dressé par les auteurs de la proposition de loi. En réalité, sa valorisation, dans la Ve République, n’a jamais eu lieu. À l’évidence, il faut procéder à un rééquilibrage entre le pouvoir exécutif et le Parlement, sans reproduire l’instabilité de la IVe République. Cette nécessité est indéniable ; nous en faisons l’expérience chaque jour.

Nul ne sera surpris de m’entendre dire que ce quinquennat est particulièrement symptomatique du caractère éculé du fonctionnement de la Ve République. Madame la rapporteure, vos propositions de rééquilibrage sont intéressantes. Auront-elles pour effet de modifier fondamentalement la répartition des pouvoirs dans notre système institutionnel ? Nous émettons quelques doutes sur ce point. Les ajustements proposés ne modifieront pas le rôle du Parlement, qui demeure limité, ce qui est inhérent à la Ve République – on appelle cela le parlementarisme rationalisé. Malheureusement, le rôle du Parlement a été restreint davantage encore en 2000, en raison de l’inversion du calendrier électoral plaçant les élections législatives juste après l’élection présidentielle. Je ne le pensais pas alors, mais il faut peut-être reconnaître que ce fut une erreur, qui a favorisé l’émergence d’un système quasi présidentiel. Depuis lors, le Parlement tend à devenir une simple chambre d’enregistrement de la volonté du Gouvernement. Il faut dresser ce constat historique et avancer pour essayer de faire évoluer les choses.

Par ailleurs, le président Emmanuel Macron en use à merveille, si l’on peut dire : recours systématique à la procédure accélérée, recours aux ordonnances, débat assez souvent – voire trop souvent – cadenassé. La gestion de la crise sanitaire exclusivement à l’Élysée est l’un des exemples les plus probants de la centralisation du pouvoir. À l’heure actuelle, le Président de la République française est le dirigeant qui concentre le plus de pouvoir parmi ceux des démocraties occidentales. Il dispose de quasiment tous les pouvoirs. Il est grand temps de modifier cette anomalie institutionnelle et d’en revenir à une pratique plus démocratique. Même s’il ne s’agit pas de la panacée dans la crise démocratique que nous vivons – abstention record, défiance vis-à-vis de la classe politique, montée des extrêmes –, il nous semble nécessaire de nous diriger vers une transformation institutionnelle ambitieuse, à la hauteur des attentes des citoyens et de l’évolution de la société. Le présidentialisme et le centralisme unitaire sont à bout de souffle. La France doit réinventer sa République, et avec elle toute l’action publique.

C’est pourquoi, en sus de rééquilibrages en faveur d’un Parlement encore plus « légiférant », pour ainsi dire, il semble indispensable d’opérer un rééquilibrage des pouvoirs et des compétences entre l’État et les collectivités territoriales, afin d’appliquer concrètement le principe de subsidiarité, qui l’est peu, voire pas du tout, en France. Certaines compétences doivent être transférées aux collectivités locales, qui doivent être maîtres de leur destin dans les domaines sur lesquels elles sont les plus aptes à décider. Il appartient aux élus des assemblées délibérantes, non au préfet, de prendre les décisions importantes du quotidien. Le droit à la différenciation et à l’adaptation législative ou réglementaire est un autre moyen de ce nécessaire rééquilibrage entre pouvoir de l’État et pouvoirs territoriaux. L’exercice, en complément de la démocratie représentative, d’un pouvoir plus direct par les citoyens, qui est une revendication montante, comme l’a montré le mouvement des « gilets jaunes », doit aussi être pensé. Le renforcement de la démocratie participative au niveau territorial et l’exercice de la démocratie directe au niveau national, par exemple grâce à la facilitation et l’extension du référendum d’initiative partagée, sont autant de pistes de réflexion à développer sur ce thème. Nous regrettons amèrement l’abandon, en juillet 2018, de la réforme constitutionnelle, pour des raisons qui nous semblent totalement futiles. C’est pourquoi, même si la présente proposition de loi n’est pas à la hauteur du chantier institutionnel gigantesque auquel nous devons nous attaquer, nous ne nous y opposerons pas.

Mme Emmanuelle Ménard. Je remercie Mme Karamanli de sa proposition de loi. Madame la rapporteure, même si je suis loin de soutenir toutes vos propositions, je partage votre constat de la dévalorisation et de l’affaiblissement du Parlement face au pouvoir exécutif, et notamment présidentiel, ainsi que votre constat d’un Parlement trop souvent réduit à une simple chambre d’enregistrement, en raison d’une majorité mue par une fidélité automatique – pour reprendre vos mots – à la volonté du Président de la République. Vous proposez, pour y remédier, un nécessaire rééquilibrage des pouvoirs, ce que j’approuve pleinement.

En revanche, je suis en absolu désaccord avec certaines dispositions de votre texte. L’investiture du Premier ministre par l’Assemblée nationale, en particulier, me semble inacceptable, non en elle-même, mais en raison de son corollaire : si tel était le cas, le Premier ministre pourrait dissoudre l’Assemblée nationale. Pour moi, il est impensable que le Premier ministre, qui est nommé, puisse dissoudre l’Assemblée nationale, composée, quant à elle, de députés élus au suffrage universel direct. C’est quasiment un non-sens. En outre, cette disposition, à elle seule, réduirait un peu plus encore le pouvoir de l’Assemblée nationale, ce qui est contraire à l’objectif que vous visez.

Pour ma part, je pense que d’autres propositions permettraient de renforcer plus efficacement le pouvoir du Parlement. Au risque de décevoir M. Balanant, je n’y inclus pas la proportionnelle, qui fait la part belle aux partis politiques et tend à gommer, voire à faire taire, toute opinion divergente en leur sein. Je préfère faire en sorte que les élections législatives soient dissociées de l’élection présidentielle. En effet, il n’échappe à personne que des élections législatives qui se tiennent peu de temps après l’élection présidentielle transforment le Parlement en chambre d’enregistrement des décisions de l’exécutif. Cette transformation résulte de l’instauration du quinquennat. Telles sont les pistes que j’aurais préféré creuser. Malheureusement, le temps nous manque pour renforcer les pouvoirs du Parlement. Il n’est pas souhaitable pour autant de confier des pouvoirs exorbitants au Premier ministre, qui est nommé.

M. Pacôme Rupin. La présente proposition de loi constitutionnelle prévoit un changement très profond de nos institutions. D’une certaine manière, elle fait du Premier ministre la personnalité politique qui détient le plus de pouvoir. Il s’agit donc d’une remise en cause du régime présidentiel. Pour ma part, j’ai toujours été surpris par la variation dans le temps de l’appréciation de nos institutions par les socialistes. Je le dis d’autant plus facilement que j’ai fait partie de cette famille politique, et m’en étonnais déjà alors. Si le président n’est pas socialiste, les socialistes sont très réservés sur le régime présidentiel. S’il l’est, ils épousent sans difficulté le régime présidentiel. Il faut faire preuve d’un peu de cohérence. Au demeurant, j’observe que M. Olivier Faure, qui est député, n’est pas signataire de la proposition de loi. Cela signifie-t-il que le parti socialiste ne soutiendra pas les idées, intéressantes et dont nous pouvons débattre, qui la sous-tendent ? Cela signifie-t-il que le parti socialiste ne soutiendra pas ces modifications institutionnelles lors des prochaines élections nationales ?

Par ailleurs, j’indique à notre cher collègue Ugo Bernalicis que je ne l’ai jamais entendu contredire son chef de parti. En ce qui me concerne, je suis prêt à lui expliquer mes votes, qui sont motivés par l’adhésion sur le fond, et non par d’autres considérations.

M. Paul Molac. Je me demande si la présente proposition de loi n’est pas un peu hors sujet. Elle engendrerait en fait un pouvoir exécutif à deux têtes, le Président de la République et le Premier ministre. Dans les autres pays démocratiques, où le Premier ministre est le plus souvent issu du Parlement, comme chez les Britanniques, il n’en a qu’une. Affaiblir l’exécutif en confortant cette structure à deux têtes ne me semble pas être une bonne chose. Le problème n’est pas que l’exécutif soit fort, mais que le Parlement soit faible. Je ne pense pas que nous le résoudrons en abaissant le pouvoir exécutif.

J’aurai l’occasion de formuler plusieurs propositions visant à rehausser véritablement le pouvoir du Parlement. Notre collègue Questel vous reprochait d’avoir déposé onze propositions de loi dans le cadre de la niche parlementaire de votre groupe. Le problème n’est pas que le groupe Socialistes et apparentés s’efforce de faire adopter un maximum de propositions de loi, au contraire. Il paraît même que les députés disposent du pouvoir législatif, en théorie du moins ! En pratique, il est rare que nous fassions la loi. Nous en débattons et nous la votons, mais nous ne la faisons pas, car elle provient du Gouvernement.

Le problème est peut-être que les groupes minoritaires et d’opposition ne disposent que d’une journée de niche parlementaire par an, et de quatre pour les plus importants. Le problème est que l’initiative des lois n’est pas d’origine parlementaire. Sur ce point, un rééquilibrage est nécessaire. Avant la révision constitutionnelle de 2008, les niches parlementaires n’existaient même pas ! Dès lors que notre ordre du jour est quasi intégralement à la main du Gouvernement, nous sommes obligés d’examiner principalement des projets de loi, ce qui nous bloque et nous empêche d’adopter des propositions de loi inspirées de la base, émanant directement des gens, et auxquelles nous tenons. Tel est, à mes yeux, le problème. Nous devons prendre le pouvoir.

M. Bruno Questel. La pédagogie reposant sur la répétition, j’indique à M. Molac que je n’ai pas reproché à Mme Karamanli et à ses collègues du groupe Socialistes et apparentés d’avoir déposé onze textes, mais d’avoir placé celui-ci en onzième position, ce qui laisse dubitatif sur l’intérêt véritable qu’ils lui portent.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Je remercie chacune et chacun d’avoir contribué à ces réflexions, conformément au rôle qui est le nôtre.

J’aimerais apporter quelques éléments de réponse aux questions soulevées, sans toutefois entrer dans le détail. Monsieur Molac, il ne faut pas s’en tenir à l’exemple britannique, il faut aussi aller voir ailleurs. De nombreux pays européens vivent sous un régime conciliant bien les rôles de chef de l’État et de chef du Gouvernement. Certes, ils sont plus parlementaires que présidentiels – j’ai évoqué ce sujet en coulisses avec notre collègue Pacôme Rupin. Là n’est pas le sujet. L’équilibre entre Président de la République et Premier ministre existe. La désignation de celui-ci par le Parlement permettrait – sans menacer le suffrage universel – de contribuer à l’équilibre des pouvoirs.

Par ailleurs, il est sain que le Parlement fasse les lois. Qu’apprenons-nous aux participants du Parlement des enfants ? Que notre rôle est de contrôler l’action du Gouvernement et de légiférer. Or nous étudions surtout des projets de loi, et peu de propositions de loi. Que celles-ci soient débattues en premier ou en dernier dans l’ordre du jour importe peu : 7 % d’entre elles seulement sont adoptées.

M. Pacôme Rupin. Votre texte n’y change rien !

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Ce chiffre démontre bien que l’initiative parlementaire est limitée, et que nous ne pouvons pas adopter autant de textes que nous le souhaitons. C’est la réalité, il faut la regarder en face.

La plupart des propositions formulées par les uns et les autres ne pourront pas être intégrées dans la présente proposition de loi, dont chacun aura compris qu’elle a été élaborée en procédant à l’audition de plusieurs observateurs éminents, tels que des professeurs de droit constitutionnel, experts de nos institutions et de notre régime, et des spécialistes en droit comparé des régimes parlementaires européens. Je tiens à les remercier de leur contribution. Je remercie également ceux qui m’ont accompagnée au cours de ce travail, qui n’est pas simple, s’agissant notamment de la rédaction des amendements.

J’aimerais partager avec vous la teneur de leurs observations. En premier lieu, ils considèrent que la présente proposition de loi lève l’équivoque constitutionnelle et tend à limiter l’élection présidentielle à sa dimension d’onction populaire, tout en conservant la logique et l’objectif des élections législatives.

En deuxième lieu, ils estiment qu’elle tend à un retour non à la IIIe République ou à la IVe, mais aux sources de la Ve République, telle qu’elle a été adoptée en 1958, en vue d’adapter le régime parlementaire en donnant au Président de la République un rôle de garant de nos institutions et d’arbitre des grandes orientations. Fût-il élu au suffrage universel direct depuis la réforme constitutionnelle de 1962, il n’est pas l’homme ou la femme qui décide de tout. Le général de Gaulle, fondateur du régime, a rappelé à plusieurs reprises que le Gouvernement était chargé de ce qu’il appelait les contingences – politique économique, conflits sociaux, fonctionnement des services publics –, le Président de la République assumant la responsabilité de la place de la France sur la scène internationale, de sa défense et, plus largement, des choix fondamentaux engageant son avenir. Les choses sont claires depuis le début.

En troisième lieu, ils ont formulé des observations sur le couple responsabilité/légitimité, qui a été évoqué plusieurs fois ce matin. Nous le savons tous : si nous ne modifions pas la logique de fonctionnement de la Ve République, la crise de confiance entre citoyens et institutions ira en s’aggravant. Certes, bien des modifications sont nécessaires, et auraient pu être envisagées, mais tel n’est pas l’objet de la présente proposition de loi. Je partage certaines propositions formulées dans vos amendements, mais elles sont souvent d’un registre distinct de celui dans lequel s’inscrit le texte. Nous ne pouvons pas aborder tous les sujets. Il s’agit d’esquisser un consensus profitant à tous les groupes et les partis politiques, sans chercher à chambouler l’architecture du régime ni à limiter les pouvoirs propres du chef de l’État ou le champ d’application du suffrage universel. Il s’agit de réaffirmer l’enjeu et de donner envie à nos concitoyens de s’y intéresser, dans un cadre constitutionnel stable.

J’ai pris note du plaidoyer de notre collègue Erwan Balanant en faveur de la proportionnelle, dont il a beaucoup été question au cours des derniers jours. Toutefois, il s’agit d’un texte de fond, portant sur le rééquilibrage des pouvoirs. La proportionnelle est un outil qui ne peut y contribuer. Le débat que nous avons ce matin est nécessaire. Nous devons nous en saisir en tant que parlementaires, sans attendre qu’il soit ouvert d’en haut et que le Président de la République formule des propositions. Si nous avions eu ce débat dans le cadre de la révision constitutionnelle, j’aurais défendu plusieurs amendements en ce sens.

S’agissant de la famille socialiste, ses membres ont toujours eu des analyses diverses de nos institutions. Chaque parlementaire est libre de signer ou non une proposition de loi. Pour ma part, j’ai toujours défendu des positions cohérentes depuis que je suis parlementaire, tant sous la présidence de Nicolas Sarkozy que sous celles de François Hollande et d’Emmanuel Macron. Je n’ai jamais varié. Je suis une universitaire. Je suis profondément attachée au parlementarisme. Je respecte la fonction présidentielle, mais j’estime que l’on est plus intelligent à plusieurs que seul, et que cette fonction est complexe et difficile à exercer pour son titulaire.

Quelle que soit l’issue de nos débats, le fonctionnement de nos institutions doit redevenir un enjeu de débats, et le Parlement un lieu de compromis. Souvent, dans notre pays, les évolutions sont progressives. Les groupes qui composent le Parlement formulent des propositions, qui sont débattues et parfois abandonnées, avant de revenir sur le devant de la scène médiatique à l’occasion d’événements divers et variés, de sorte que les débats initiaux servent de point de départ. Il faut s’en féliciter, et ne pas renoncer, afin de faire évoluer, à terme, la Ve République, dont la crise est inquiétante pour l’avenir.

La Commission passe à l’examen des articles.

titre Ier
Du président

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL20 de la rapporteure.

Avant l’article 1er 

La Commission examine l’amendement CL18 de M. Paul Molac.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Il vise à inscrire le principe de subsidiarité à l’article 1er de la Constitution, en précisant que l’organisation de la République est décentralisée « selon le principe de subsidiarité ». Il est très éloigné des sujets abordés par la présente proposition de loi constitutionnelle, qui vise à améliorer l’équilibre des pouvoirs au sein de l’exécutif et non à le remettre en cause. Je suggère le retrait de l’amendement et émets à défaut un avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL5 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement porte sur un sujet dont nous aurons l’occasion de débattre à l’avenir – je fais du teasing, comme nos collègues du Modem sur la proportionnelle – : le parrainage citoyen pour la candidature à l’élection présidentielle. À l’heure actuelle, être candidat suppose de recueillir 500 signatures d’élus, ce qui pose des difficultés à des gens qui ont pourtant une légitimité populaire dans le pays. L’existence de ce filtre soulève de nombreuses questions. Nous proposons d’ouvrir une seconde voie d’accès à la candidature à l’élection présidentielle : le parrainage de 150 000 citoyens. Au demeurant, cette proposition est issue de la commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique, dite commission Jospin, qui a rendu son rapport en 2012.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Monsieur Bernalicis, votre amendement vise à créer un parrainage citoyen pour l’élection présidentielle, dont le seuil est fixé à 150 000 citoyens vivant dans au moins cinquante départements. Cette proposition, formulée en 2012 par la commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique, présidée par Lionel Jospin, est intéressante. Toutefois, le Président de la République l’a écartée l’année suivante. La concertation menée à ce sujet a mis en lumière des difficultés de mise en œuvre. Comme je l’ai rappelé ici même le mois dernier, lors de l’examen du projet de loi organique relatif à l’élection du Président de la République, je suis prête à en débattre.

Toutefois, il ne me semble pas opportun d’avoir ce débat dans le cadre de l’examen de la présente proposition de loi constitutionnelle, pour deux raisons. D’abord, celle-ci vise à améliorer l’équilibre institutionnel au sein de l’exécutif en renforçant la légitimité et l’autorité du Premier ministre. Votre amendement, au contraire, a pour effet de renforcer le caractère central de l’élection présidentielle. Ensuite, les dispositions proposées sont de rang organique et non de rang constitutionnel. Je suggère donc le retrait de l’amendement et émets à défaut un avis défavorable.

L’amendement est retiré.

Article 1er (art. 8 de la Constitution) : Procédure d’investiture du Premier ministre

La Commission examine l’amendement CL12 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho. Je doute de l’efficacité de la disposition proposée. Les institutions de la Ve République sont ainsi faites que le Président de la République élu s’appuie sur une majorité à l’Assemblée nationale pour gouverner, car les élections législatives et présidentielle sont pratiquement simultanées. Dès lors qu’il incomberait à l’Assemblée d’investir, à la majorité absolue, le Premier ministre choisi par le Président de la République, il n’existerait aucune chance que cette investiture échoue. Inopérante et inutile, la disposition proposée risque de nuire à celles qui sont nécessaires. Afin de ne pas alourdir inutilement nos procédures constitutionnelles, je propose de supprimer l’article, dont la seule incidence sur notre vie démocratique serait de la ralentir et de l’alourdir inutilement.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. L’article 8 de la Constitution dispose : « Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. » La nomination du Premier ministre par le Président de la République suffit à lui assurer la plénitude de ses fonctions. Il procède directement du Président de la République, dont la liberté n’est limitée que par la nécessité de disposer d’une majorité relative à l’Assemblée nationale.

En raison de ces modalités de nomination, le Premier ministre est subordonné au Président de la République. Cette subordination s’est aggravée sous la Ve République, ce qui pose un problème de responsabilité et ne favorise pas la stabilité gouvernementale, contrairement à ce que l’on pourrait penser. L’investiture du Premier ministre par l’Assemblée nationale n’a rien d’une disposition cosmétique, au contraire. Elle renforcerait fortement son autorité, pour trois raisons : pour être investi, le Premier ministre devrait faire l’objet d’un large consensus parmi les députés, et non d’une simple acceptation tacite de leur part ; il serait investi personnellement, ce qui permettrait d’assurer sa position de chef du Gouvernement ; les liens entre le Premier ministre et le Parlement seraient raffermis, ce qui renforcerait les possibilités de contrôle de celui-ci. Avis défavorable.

M. Bruno Questel. Le groupe La République en marche votera l’amendement de Mme Lorho, car il a pour effet de remettre à l’endroit l’équilibre des institutions, telles qu’elles ont été élaborées en 1958 et modifiées en 1962.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Monsieur Questel, je regrette que le groupe majoritaire vote l’amendement visant à supprimer l’article 1er. Vous auriez pu prendre position lors du vote sur l’article.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 1er est supprimé, et les amendements CL21 et CL22 de la rapporteure sont sans objet.

Article 2 (art. 9 de la Constitution) : Présidence du conseil des ministres

La Commission examine l’amendement CL3 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Ne souhaitant pas jouer les idiots utiles, ou plutôt les idiotes utiles de la majorité, je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL23 de la rapporteure.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Il s’agit d’un amendement de coordination rédactionnelle avec l’article 5 de la proposition de loi.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 2.

Article 3 (art. 12 de la Constitution) : Dissolution de l’Assemblée nationale par le Premier ministre

La Commission examine les amendements identiques CL1 de Mme Emmanuelle Ménard et CL14 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Emmanuelle Ménard. J’ai expliqué mon refus d’accorder au Premier ministre le pouvoir exorbitant de dissoudre l’Assemblée nationale. Toutefois, ne souhaitant pas jouer les idiotes utiles de la majorité, je retire mon amendement.

Les amendements sont retirés.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL13 de Mme Marie-France Lorho et CL24 rectifié de la rapporteure.

Mme Marie-France Lorho. Si l’article 1er alourdissait inutilement les procédures constitutionnelles, l’article 2 allège exagérément les procédures de consultation préalable à la dissolution de l’Assemblée nationale. L’article 12 de la Constitution prévoit la consultation des présidents des assemblées et du Premier ministre. Le présent article vise à supprimer la consultation du président du Sénat. La force symbolique de l’article 12 serait fortement amoindrie par le retrait de la consultation de la chambre haute de notre démocratie. Or le Sénat joue un rôle fondamental dans le fonctionnement de notre République. L’article 2 minimise symboliquement son importance. Je propose donc de rétablir la consultation des présidents des deux chambres préalablement à la dissolution de l’Assemblée nationale.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. L’amendement de Mme Lorho sera satisfait si le mien est adopté. Il s’agit de rétablir la consultation du président du Sénat préalablement à la dissolution de l’Assemblée nationale. Une telle décision entraîne des conséquences pour le Parlement dans son ensemble, notamment en matière de représentation politique. Il est donc nécessaire que le président du Sénat soit consulté. Tel est aussi le cas du Président de la République, au titre de sa mission constitutionnelle de garant du fonctionnement régulier des pouvoirs publics. L’amendement permet de rééquilibrer la rédaction de l’article.

S’agissant de l’investiture du Premier ministre par l’Assemblée nationale, elle me semble essentielle. Elle permet de rétablir le lien de responsabilité réciproque entre l’Assemblée nationale, élue par les citoyens, et le Gouvernement, qui est chargé de définir les politiques publiques et de les appliquer. En se prononçant, par un vote, sur la nomination du Premier ministre, les députés lui conféreront une légitimité particulière, ainsi qu’une responsabilité accrue vis-à-vis de la représentation nationale. Cette disposition est complémentaire des précédentes.

La Commission rejette successivement les amendements.

Puis elle rejette l’article 3.

Titre II
Du gouvernement et de ses relations avec le parlement

Article 4 (art. 20 de la Constitution) : Procédure d’investiture du Gouvernement

L’amendement CL15 de Mme Marie-France Lorho est retiré.

La Commission rejette successivement les amendements CL25 et CL26 de la rapporteure.

Puis elle rejette l’article 4.

Article 5 (art.21 de la Constitution) : Exercice de la présidence du conseil des ministres par le Premier ministre

L’amendement CL2 de Mme Emmanuelle Ménard est retiré.

La Commission rejette l’amendement CL27 de la rapporteure.

Puis elle rejette l’article 5.

Après l’article 5 

La Commission examine l’amendement CL7 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Je ne m’étendrai pas sur les dispositions de l’amendement, que nous avons « bricolé » pour donner matière à réflexion sur la décorrélation de l’élection présidentielle et des élections législatives. En tout état de cause, je le répète, nous sommes favorables à une réforme constitutionnelle de plus grande ampleur.

Pour nous, l’essentiel pour donner de la force au Parlement et garantir sa capacité à exercer réellement le pouvoir dans le cadre d’un régime parlementaire est de décorréler le scrutin qui décide de sa composition de l’élection présidentielle au suffrage universel direct. En l’état actuel des choses, ce scrutin a pour effet de confirmer cette dernière, et de démobiliser tous les électeurs ayant le sentiment d’avoir perdu à l’élection présidentielle. Le taux de participation très faible qui en résulte, qui contraste avec le taux de participation élevé du scrutin précédent, produit un déséquilibre fondamental, en matière de légitimité, entre le Président de la République et l’Assemblée nationale.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Plusieurs orateurs ont exprimé le souhait de découpler l’élection présidentielle et les élections législatives. Nous sommes tous conscients que l’inversion du calendrier électoral, décidée dans le cadre de la loi organique du 15 mai 2001 adoptée après l’instauration du quinquennat en 2000, a fortement contribué à renforcer le fait majoritaire. Sous réserve d’une amélioration de sa rédaction, il me semble que l’amendement permet de rééquilibrer les relations entre le pouvoir exécutif et le Parlement, et de rendre une place au Premier ministre, dont la légitimité se fonderait sur la majorité parlementaire, et non uniquement sur celle du Président de la République. Les auditions que j’ai menées ne m’ont pas permis d’approfondir le sujet. Il faudrait en mener d’autres. La rédaction de l’amendement doit gagner en précision, mais j’en partage le principe. Avis favorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL8 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Il s’agit de faire en sorte que l’Assemblée nationale puisse convoquer le Président de la République pour qu’il rende des comptes. Au cours de ce quinquennat, nous avons eu l’occasion de débattre de cette impossibilité à plusieurs reprises, par exemple dans le cadre d’une commission d’enquête consacrée à une affaire concernant directement le Président de la République. Nous avons alors pris la mesure des limites de l’exercice.

Par ailleurs, l’irresponsabilité pénale du Président de la République emporte d’autres conséquences. Ainsi, dans le contexte que nous connaissons, le recours au conseil de défense, dont les travaux sont protégés par le secret-défense et que préside le Président de la République, permet de se mettre à l’abri de poursuites éventuelles. Il est vrai que la Cour de justice de la République a ouvert une enquête sur la gestion des stocks de masques de protection. Quelques personnes ont sans doute jugé cette démarche judiciaire un peu pénible à vivre et ont préféré s’en prémunir. L’irresponsabilité du chef de l’État, dans tous les sens du terme, est à mes yeux un problème politique fondamental.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Je suis profondément défavorable à cet amendement. Il est contraire à l’objectif poursuivi par la présente proposition de loi, qui vise à rééquilibrer les pouvoirs au sein de l’exécutif en attribuant plus de pouvoir au Premier ministre, notamment en lui donnant les moyens de gouverner en étant responsable devant le Parlement, lequel serait alors en mesure de remplir de façon effective sa mission de contrôle de l’action du Gouvernement. L’amendement, au contraire, aurait pour effet de conforter le déséquilibre au sein même de l’exécutif, au profit du Président de la République, et de confirmer que celui-ci gouverne à la place du Gouvernement, ce qui est inacceptable dans un régime parlementaire comme le nôtre.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL9 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Il est simple : il tend à abroger l’article 40 de la Constitution. Les Françaises et les Français n’en sont peut-être pas familiers et ne le connaissent pas par cœur, mais nous si. Cet article soulève vrai débat. J’ai bien compris que la présente proposition de loi visait à rééquilibrer les pouvoirs au sein de l’exécutif – à cet égard, son titre gagnerait à être plus précis, en ciblant explicitement l’exécutif. Précisément, l’article 40 déséquilibre la répartition des pouvoirs en faveur de l’exécutif, au sein d’un régime censé être parlementaire.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Je comprends votre position, cher collègue. Nous avons eu l’occasion d’en débattre à plusieurs reprises. Toutefois, il s’agit d’un sujet assez éloigné de l’objet du texte, comme vous l’avez souligné.

Par ailleurs, il me semble nécessaire de repenser dans son ensemble les conditions d’exercice de l’initiative parlementaire. Si nous pouvons déposer un nombre accru d’amendements sans pouvoir en débattre ni disposer de marges de manœuvre supplémentaires, le fonctionnement du Parlement n’évoluera pas. Il faut améliorer l’initiative parlementaire non en quantité mais en qualité, notamment en obligeant le Gouvernement à respecter les délais d’examen des textes, en contribuant d’emblée à leur conception et en exigeant de véritables études d’impact, rédigées pour nous permettre d’avancer et non pour justifier les décisions prises par le Gouvernement. Nous partageons ces préoccupations. En l’absence d’une réflexion d’ensemble sur l’initiative parlementaire, les dispositions proposées n’amélioreront pas le fonctionnement de notre assemblée. J’émets donc un avis défavorable à l’amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL10 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Il s’agit de modifier l’article 45 de la Constitution, afin d’alléger la tâche parfois difficile des présidents de commission et du président de l’Assemblée nationale. Le débat sur la recevabilité des amendements s’en trouverait clarifié et les décisions seraient sans doute moins mis en cause. En outre le droit d’amendement serait ainsi garanti. Bien entendu, tout cela devrait s’inscrire dans le cadre d’une réforme plus globale, respectant le temps parlementaire et abrogeant la procédure accélérée.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Comme l’a rappelé Mme la présidente de la Commission à plusieurs reprises, les règles régissant la recevabilité des amendements ont une raison d’être. Elles garantissent le bon déroulement de nos travaux et la sincérité de nos débats. Pour nos concitoyens, elles assurent la clarté et l’intelligibilité de la loi. À défaut, nous pourrions par exemple débattre de l’agriculture lors de l’examen d’un texte relatif à l’éducation. Sans règles, les débats deviennent vite confus. Certes, la réforme du règlement adoptée en 2019 a durci les règles applicables au contrôle de recevabilité. À titre personnel, je souhaite que le doute profite toujours à l’initiative parlementaire. Avis défavorable mais le cadre de la commission des Lois nous autorise à aborder tous les sujets.

M. Raphaël Schellenberger. L’amendement de M. Bernalicis est amusant. J’ai tendance à penser que, si nous subissons parfois des applications discutables de l’article 45, c’est en raison des abus récurrents du droit d’amendement commis par certains de nos collègues, notamment ceux du groupe La France insoumise, qui, pour exister, cherchent systématiquement à créer le conflit et à mettre le désordre dans nos débats, tant en séance publique qu’en commission. Il est dommage, pour combattre un excès, de modifier un point d’équilibre de la Constitution.

En la matière, nous sommes confrontés à un blocage d’une autre nature. De façon régulière, les textes de loi du Gouvernement ont un intitulé très large, mais comportent très peu de dispositions. C’est compliqué pour nous, parlementaires, qui sommes confrontés à la réalité du dialogue avec nos concitoyens : en raison du faible nombre de dispositions, nous ne pouvons quasiment pas amender le texte. Le titre ne compte pas, mais c’est lui qui est vendu à nos compatriotes par les ministres et les membres de la majorité sur les plateaux de télévision à longueur de journée. Ce procédé est inacceptable.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Nous ne sommes pas favorables à la modification de l’article 45 telle qu’elle est proposée.

S’agissant de la recevabilité des amendements, nous en avons débattu en séance publique, lors de l’examen du projet de loi portant report du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique. Il arrive que l’auteur d’un amendement considère qu’il présente un lien indirect avec le texte sur lequel il porte et n’en soit pas moins obligé de passer sous les fourches caudines du contrôle de recevabilité. Il arrive également qu’un député soit invité à modifier la rédaction d’un amendement présenté en commission en vue de son examen en séance publique.

En la matière, une certaine incompréhension règne, comme nous l’avons clairement constaté lors de l’examen du texte précité. Madame la présidente, il serait utile de vous entendre à nouveau à ce sujet, afin de clarifier la situation et peut-être dessiner les contours d’une voie de recours, non pour allonger inutilement les débats en commission ou en séance publique, mais pour nous permettre d’être performants dans la rédaction de nos amendements. Comme vous le savez, la faculté d’amender les textes de loi est un droit reconnu, auquel chacun d’entre nous tient beaucoup.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission examine l’amendement CL19 de M. Paul Molac.

M. Paul Molac. Selon nous, le rééquilibrage des pouvoirs constitutionnels passe par une autre répartition des pouvoirs et des compétences entre l’État et les collectivités territoriales. En effet, si la Constitution affirme le principe de la libre administration des collectivités territoriales, dans la réalité, les collectivités territoriales ne peuvent pas modifier une réglementation de plus en plus tatillonne. En outre, elles reçoivent des dotations de l’État mais ne peuvent jouer ni sur les taux ni sur les bases d’imposition, les impôts locaux comme la taxe professionnelle et la taxe d’habitation ayant été supprimés ou nationalisés. Dans bien des cas, les collectivités territoriales ne sont que les exécutants d’une politique qui a été décidée ailleurs.

C’est pourquoi nous proposons d’inscrire dans la Constitution le principe de la différenciation, afin d’habiliter certaines collectivités à exercer des pouvoirs qui sont aujourd’hui aux mains de l’État. On évoque souvent une répartition entre pouvoirs régaliens et pouvoirs attribués aux collectivités territoriales, qui seraient plus à même de répondre aux besoins de la population sur le terrain, mais, dans la réalité, cela ne se passe pas ainsi. Si la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) a redistribué les compétences entre les collectivités, l’État s’est bien gardé de transférer quoi que ce soit. Depuis l’Acte I de la décentralisation, on est resté dans un entre-deux ; on note même sous ce quinquennat la volonté de revenir sur certains transferts. Cela ne nous semble pas une bonne chose.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Cher collègue, vous appelez à travers cet amendement à un nouvel acte de la décentralisation, sujet qui vous tient à cœur. Sur le fond, je partage votre préoccupation. Néanmoins, eu égard à l’objet circonscrit de la présente proposition de loi constitutionnelle, il est impossible d’intégrer de telles dispositions dans le texte : cela nous emmènerait bien trop loin. Il faudra apporter une réponse dans un autre cadre. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL4 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. Cet amendement, qui s’inscrit dans la lignée du précédent, tend à prévoir, dans le cadre de l’article 72 de la Constitution, un statut d’autonomie pour la Corse. Certes, la rapporteure a souligné la portée nécessairement limitée de la proposition de loi, mais l’examen de celle-ci est pour nous l’occasion d’exprimer nos regrets que la révision constitutionnelle n’ait pas eu lieu. Il est absolument nécessaire d’engager une réforme d’ensemble de nos institutions.

Dans l’exposé sommaire de cet amendement, nous rappelons un certain nombre de faits historiques, d’exigences démocratiques et de demandes relayées par la majorité des élus corses, qui expliquent pourquoi il est nécessaire d’envisager une autonomie de plein droit et de plein exercice pour la collectivité de Corse – statut qui existe déjà dans la Constitution, puisqu’elle y a été introduite au bénéfice de la Polynésie et de Saint-Barthélemy à l’occasion de la réforme constitutionnelle engagée sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Avis défavorable : un tel sujet ne peut être abordé dans le cadre de la présente proposition de loi constitutionnelle. Il faudrait une révision bien plus large de la Constitution pour intégrer les différentes questions soulevées aujourd’hui.

M. Bruno Questel. Vous proposez de supprimer – ou presque – les prérogatives du Président de la République, mais vous estimez que nous ne pouvons pas traiter ici de la question soulevée par notre collègue Acquaviva ? Quel aveu, madame la rapporteure ! De fait, la Corse mérite mieux qu’une proposition de loi constitutionnelle dont on sait qu’elle n’aboutira pas en séance.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Vous comparez la Corse au Président de la République, monsieur Questel ? Ce n’est pas raisonnable ! En outre, ne faites pas dire à ce texte ce qu’il ne dit pas : il ne s’agit aucunement de supprimer les prérogatives présidentielles. Vous avez le droit d’être en désaccord avec notre proposition, mais je n’accepte pas que vous la travestissiez.

La Commission rejette l’amendement.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Monsieur Bernalicis étant parti, les deux amendements suivants ne sont pas défendus. Par conséquent, pas de débat aujourd’hui sur le référendum d’initiative citoyenne et le droit de révocation !

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Sur le premier point, j’aurais répondu à notre collègue que le référendum d’initiative parlementaire était préférable. Si l’on veut défendre le rôle des parlementaires, mieux vaut les mettre dans la boucle !

Aucun article n’ayant été adopté, la proposition de loi constitutionnelle est rejetée.

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La Commission examine la proposition de loi renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles (n° 3721) (Mme Isabelle Santiago, rapporteure).

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Je suis ravie d’intervenir pour la première fois devant la commission des Lois, d’autant que c’est pour présenter un texte qui me tient particulièrement à cœur. Avant d’être élue députée, j’ai occupé durant dix ans la vice-présidence du département du Val-de-Marne en charge de la protection de l’enfance et de l’adolescence. J’ai aussi été membre du conseil national de la protection de l’enfance ; à ce titre, je concourais aux avis donnés sur les textes soumis au Parlement.

Eu égard à l’actualité – la Cour de cassation se réunit aujourd’hui sur l’affaire « Julie » –, je voudrais avoir une pensée pour toutes les victimes et leurs familles, ainsi que pour les associations qui attendent cette proposition de loi. Nous allons leur envoyer le message suivant : nous vous entendons. La loi va changer !

Notre Commission examine aujourd’hui la proposition de loi, déposée par le groupe Socialistes et apparentés, renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles. Elle sera débattue dans l’hémicycle le 18 février prochain dans le cadre de la journée d’ordre du jour réservé que la Constitution accorde aux groupes minoritaires.

Je tiens à remercier les collègues de la commission des Lois, de la délégation aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, ainsi que les professionnels auditionnés – experts, membres d’associations, pédopsychiatres, magistrats – pour le travail accompli dans la préparation de ce texte. Je veux aussi mentionner le soutien que m’ont apporté de nombreux parlementaires qui ont affiché leur volonté de légiférer, rapidement et dans un esprit de consensus, sur cette question des plus graves. Je me réjouis enfin des annonces effectuées hier soir par le Gouvernement ; elles apportent une réponse à un combat mené depuis longtemps par M. Adrien Taquet et moi au sein du conseil national de la protection de l’enfance.

Appréhender les besoins fondamentaux de l’enfant, c’est interroger une construction sociale, culturelle, clinique, juridique. Celle-ci s’inscrit dans une histoire, une temporalité et un contexte donnés. Les besoins communs et universels de l’enfant sont fondamentaux dans le sens où leur satisfaction permet la construction du sujet dans la plénitude de ses potentialités et de ses droits, et au service de son développement et de sa socialisation.

Aujourd’hui, la préservation de la santé, de la sécurité et de l’éducation ainsi que le respect des droits constituent les références théoriques et juridiques de la protection de l’enfance. En effet, si l’enfant est sujet de droit, il est aussi objet de protection du fait de sa minorité, de son statut de sujet en devenir et de sa vulnérabilité due à sa dépendance envers les adultes. Lesdits adultes sont chargés de sa protection et son éducation. En conséquence, il importe de garantir à tout mineur un environnement soucieux de son bien-être, favorable à son épanouissement aux fins de son autonomie et de son intégration sociale. C’est ce que dit la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989. C’est ce que nous inscrivons dans les lois qui permettent de protéger les enfants.

La proposition de loi soumise à votre examen a été rédigée dès mon arrivée à l’Assemblée nationale, hors de toute agitation médiatique récente. Toutefois, on ne peut jamais faire fi du contexte. Du témoignage de Camille Kouchner au mot-dièse #MeTooIncest, il est devenu évident aux yeux de tous qu’il fallait agir, et vite. Je ne prétends pas vous présenter une solution miracle. Il ne s’agit que d’un premier pas. Ce texte a toutefois l’intérêt de répondre à plusieurs revendications formulées de longue date par les acteurs de la protection de l’enfance ; plusieurs, notamment des représentants d’associations, ont prêté la main à sa rédaction.

Les deux premiers articles de la proposition de loi créent dans le code pénal un délit et un crime spécifiques d’atteinte sur mineur perpétrée par un majeur, sans pénétration dans le premier cas et avec dans le second. Ils posent un seuil de non-consentement à la sexualité avec un majeur : l’âge de 15 ans. Ce seuil a recueilli un large consensus parmi les auditionnés, quoique le Sénat ait privilégié récemment l’âge de 13 ans – ce qui lui a d’ailleurs valu beaucoup de critiques.

Les articles 3 et 4 créent un délit et un crime spécifiques d’atteinte sexuelle sur mineur perpétrée par un majeur membre de la famille ou ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait. Il s’agit de concrétiser dans le code pénal ce qu’on appelle couramment l’inceste.

La proposition de loi repose donc sur deux seuils d’âge : 15 ans pour un acte sexuel avec un majeur ; 18 ans pour l’inceste. L’objectif est de mieux protéger les enfants par un interdit clair, levant toute ambiguïté sur une question fondamentale : un mineur peut-il consentir à un acte sexuel avec un majeur, qui plus est avec un parent ? À cette question, nous pensons depuis longtemps qu’il faut répondre avec fermeté : non.

Ces dernières années, le Parlement a conduit plusieurs travaux de contrôle, qui ont montré que les violences sexuelles sur mineur demeuraient rarement réprimées par les juridictions pénales. Trop souvent, les victimes n’osent pas dénoncer ce qu’elles ont subi. Un Français sur dix déclare avoir été victime d’inceste, de violences sexuelles dans son enfance. On recense près de 300 000 victimes de viol chaque année. Le nombre de victimes de violences sexuelles, dont 60 % sont des enfants, est effarant. Pourtant, le nombre de condamnations pour viol est extrêmement modeste, de l’ordre d’un petit millier. C’est un choc pour beaucoup de l’apprendre.

Selon une enquête réalisée par l’Institut français d’opinion publique (IFOP) pour l’association Face à l’inceste, il y aurait plus de six millions de victimes potentielles, mais moins de 10 000 plaintes enregistrées par la justice. Le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes évoque même une certaine impunité des agresseurs. Dans notre République, nous ne pouvons plus l’accepter. Ces violences qui viennent détruire la vie d’un enfant, le marquer à vie, touchent tous les milieux sociaux sur tout le territoire.

Il convient de saluer des avancées récentes. Je pense à la loi n° 2016‑297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, à laquelle j’ai eu l’honneur de contribuer et qui a fait apparaître le terme d’inceste dans le code pénal. Je pense aussi à la loi n° 2018‑703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, qui a posé les jalons d’une présomption de vulnérabilité liée à l’âge de la victime. Ce sont des succès indéniables dont les artisans méritent respect et reconnaissance. Pour autant, il existe un consensus sur la nécessité d’aller plus loin.

L’examen de la présente proposition de loi survient deux ans et demi après l’entrée en vigueur de la loi du 3 août 2018. Si celle-ci a amélioré les dispositions pénales tendant à protéger les mineurs, elle n’a pas donné satisfaction à tous les acteurs de la protection de l’enfance. Beaucoup appellent de leurs vœux, depuis de longues années, la création d’une infraction nouvelle, afin qu’il ne soit plus nécessaire de s’interroger, au cours du procès pénal, sur l’éventuel consentement du mineur à un rapport sexuel avec un majeur. En effet, la distinction entre le consentement et le discernement du mineur de quinze ans est obscure. Poser un interdit clair permet d’écarter toute recherche du défaut de consentement et d’éviter d’instiller dans la tête de la victime ce refrain pernicieux selon lequel, en fin de compte, ce serait de sa faute.

La proposition de loi répond à cette attente en créant de nouvelles infractions de délit et crime sexuels sur mineur de quinze ans, lesquels seraient constitués pour tout fait de nature sexuelle commis par un majeur. La peine encourue serait de dix ans d’emprisonnement pour l’atteinte sexuelle sans pénétration et de vingt ans de réclusion criminelle pour l’atteinte sexuelle avec pénétration. À la différence du viol et de l’agression sexuelle, l’infraction serait constituée sans élément de violence, contrainte, menace ou surprise, dont la preuve est difficile à rapporter et qui place les victimes en situation de devoir prouver leur non-consentement.

Pour les actes incestueux, les mêmes dispositions sont reprises. Seule différence : si l’auteur présente un lien familial avec la victime, l’âge du consentement est fixé à 18 ans – la majorité légale. Ce seuil est préconisé par les associations nationales de la protection de l’enfance. Il est conforme à l’avis rendu en 2018 par le conseil national de la protection de l’enfance.

Je voudrais souligner que nous tenons compte des débats parlementaires survenus lors de l’examen de la loi du 3 août 2018. À l’époque, le Gouvernement avait envisagé modifier la définition du viol pour introduire une présomption de non-consentement du mineur de moins de quinze ans. Cette solution n’avait pas été retenue en raison de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui n’admet que de manière très limitée la possibilité d’une présomption en droit pénal. La proposition de loi contourne cet obstacle en créant des infractions autonomes.

Je voudrais insister sur un aspect qui semble relever de la sémantique, mais dont les implications sont d’une grande importance. J’entends les demandes de certains d’entre vous pour introduire, dans la définition des infractions spécifiques commises par un adulte sur un mineur, le terme de « viol ». Ce mot a acquis une symbolique forte dans le combat féministe. Or, il désigne une infraction criminelle précisément définie à l’aide de ce que les juristes appellent des adminicules : la violence, la contrainte, la menace, la surprise. Cela fait plusieurs années que l’on ambitionne de mieux réprimer les violences sexuelles sur des enfants présumant ces adminicules ; à chaque fois, ces constructions juridiques se heurtent au risque d’inconstitutionnalité, au droit de la défense à contester tous les éléments de l’infraction.

C’est pourquoi, à l’instar de législations étrangères et comme le préconisent tant les experts et associations spécialisés que notre collègue Alexandra Louis – dont je salue la présence parmi nous – dans son rapport d’évaluation de la loi Schiappa remis le 4 décembre dernier, nous avons préféré définir les atteintes sexuelles par des adultes sur des mineurs hors de toute référence aux termes de viol et d’agression sexuelle. Nous créons des infractions autonomes. Cela nous semble garantir la sécurité juridique de notre proposition.

Enfin, nous avons eu le souci de construire un texte ferme, comportant un interdit clair, afin de limiter les interprétations et de le rendre efficace, y compris pour la communication auprès du grand public. Le fondement sociétal de cet interdit est la vulnérabilité de l’enfant et son corollaire, la responsabilité de l’adulte. L’élément central de ces infractions est l’âge de l’enfant, quelles que soient les circonstances de l’acte sexuel. Concernant les infractions incestueuses, elles sont liées au statut des auteurs et à la minorité de la victime.

Chers collègues, ma conviction profonde, issue d’un parcours de plus de dix ans dans la protection de l’enfance contre l’innommable – j’ai accueilli par centaines des adolescents, enfants, bébés qui, tous, étaient des victimes –, c’est que nous, parlementaires, pouvons agir et envoyer un message clair. Tel est le vœu que j’ai formé quand je suis arrivée à l’Assemblée nationale. Je suis fière, et même émue, d’être devant vous pour le concrétiser.

Pour les enfants qui sont chaque jour cinquante à être victimes de violences sexuelles, pour ceux que nous représentons alors qu’ils ne votent pas, pour ceux qui siégeront à notre place dans quelques années, nous pouvons et nous devons agir. Les avis du Conseil d’État et les décisions du Conseil constitutionnel sont des lignes directrices pour agir, pas des alibis pour nos renoncements.

Ce texte ne sera pas un brevet à brandir pour nous donner bonne conscience. C’est un pas ferme et décidé vers une législation qui protège les plus faibles, les plus fragiles : les enfants. Il faut que le message adressé soit clair : on ne touche pas à un mineur.

L’honneur de rapporter cette proposition de loi devant la commission des Lois s’ajoute à la fierté de l’avoir, avec d’autres, rédigé. Plus de cent amendements ont été déposés : j’espère que nos débats seront riches et que nous pourrons nous retrouver autour d’un texte consensuel.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Avant d’engager la discussion générale, je donne la parole aux auteurs du rapport d’information de la délégation aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur la présente proposition de loi.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Les violences commises sur les mineurs sont à la fois un phénomène d’ampleur et un tabou.

C’est un phénomène d’ampleur. D’après les données de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales recueillies lors des enquêtes sur le cadre de vie et la sécurité en France, entre 2012 et 2017, 2,4 % de la population déclarait avoir été victime de violences sexuelles avant l’âge de 15 ans. Je précise qu’il ne s’agit que d’une estimation basse car ces données se fondent sur une dénonciation ou un dépôt de plainte. Il semble que les mineurs soient les plus représentés parmi les victimes de violences sexuelles. L’enquête sur les violences et rapports de genre (Virage) conduite par l’Institut national d’études démographiques est, de ce point de vue, édifiante : plus de 52 % des actes de viols déclarés par les femmes et 75 % de ceux déclarés par les hommes surviennent avant quinze ans. Ces violences sont commises majoritairement dans le cadre familial. Les auteurs sont principalement des hommes, cohabitant ou non avec l’enfant au moment des faits, et ayant agi seul la plupart du temps, en particulier les oncles et les beaux-pères. Elles concernent tous les milieux sociaux.

Ces violences sont encore un tabou. Les victimes sont peu nombreuses à entreprendre des démarches pour dénoncer ce qu’elles ont enduré parce qu’elles sont souvent convaincues de l’inefficacité ou de l’inutilité de l’action judiciaire. Les conséquences psychologiques et physiologiques sont pourtant dévastatrices. Nombreux sont les obstacles qui entravent la libération de la parole des victimes. La difficulté à comprendre la gravité des actes subis et l’emprise de l’agresseur placent l’enfant dans un conflit de loyauté. Comme l’a souligné M. Alain Legrand lors de son audition, les liens familiaux tendent à renforcer la confiance de l’enfant envers les personnes a priori protectrices.

Les précédentes réformes, notamment la loi du 3 août 2018, ont posé plusieurs jalons. Elles ont renforcé les peines de prison et les amendes applicables en cas d’atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans. Elles ont lutté contre les crimes incestueux, terme introduit dans le code pénal par la loi précitée du 14 mars 2016, en les faisant tomber sous le coup de la loi, qu’ils soient commis sur un mineur ou sur un majeur.

Il nous semble nécessaire, notamment à la lumière d’affaires récentes, de compléter ces dispositions et d’améliorer un droit parfois difficile à appréhender : la distinction entre consentement et discernement du mineur de quinze ans est délicate. Un interdit clair permettrait d’écarter toute recherche du défaut de consentement. Tel est l’objet de la démarche de notre collègue Isabelle Santiago, membre de la Délégation et dont je salue l’engagement sur le sujet.

M. Erwan Balanant. La Délégation se réjouit du message envoyé par ce texte, qui pose l’interdit clair et absolu de relations sexuelles avec un mineur. Le seuil d’âge retenu, fixé à quinze ans, va au-delà de celui initialement proposé par la Délégation – il était de treize ans. Toutefois, nous considérons désormais, suite à la maturation sociale du sujet, que ce seuil est le bon. Nous saluons aussi le choix de traiter l’inceste comme une infraction distincte et non plus comme une circonstance aggravante.

En revanche – vous y avez fait allusion, madame la rapporteure –, il nous semble nécessaire de nommer plus clairement les crimes et délits que vous définissez. Il faudrait créer deux branches – l’une pour les moins de 15 ans, l’autre pour les plus de 15 ans – et nommer les choses comme elles sont : d’un côté un viol sur mineur, de l’autre côté un viol. Il me semble important de le faire, ne serait-ce que parce qu’un interdit doit être nommé.

Il est dommage que nous n’ayons pas plus de temps pour nous exprimer, madame la présidente. La Délégation mène depuis longtemps des travaux approfondis sur le sujet. Mais j’y reviendrai à l’occasion de l’examen des amendements.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La parole est aux orateurs des groupes.

Mme Alexandra Louis. Chers collègues, nous abordons un sujet grave, sociétal, qui nous concerne toutes et tous. Je m’abstiendrai de citer des chiffres et d’énoncer des généralités. D’abord, ils ont déjà été rappelés. Ensuite et surtout, nous avons tous, dans nos mandats et nos vies professionnelles ou personnelles, eu à connaître de ce douloureux sujet. Il me semble indispensable de garder à l’esprit que, derrière la froideur des chiffres, il existe une multitude de vécus différents. Chaque histoire est singulière, chaque victime est unique, aucune souffrance ne ressemble à une autre.

En 2018, nous avons adopté à l’unanimité un texte qui a, de l’avis général, considérablement amélioré la protection des victimes. J’ai été chargée d’une mission d’évaluation qui m’a amenée à étudier six mois l’application de cette loi du 3 août 2018. J’ai organisé plus d’une centaine d’entretiens avec des policiers, des soignants, des magistrats, des avocats, des associations, des travailleurs sociaux, des enseignants, des universitaires… Je dois dire qu’à mes yeux, leur travail a plus de valeur que n’importe quel texte que nous pourrions voter. Au terme de ma mission, j’ai remis au Gouvernement un rapport comprenant soixante-dix-sept propositions dont la majeure partie concerne la prévention et l’accompagnement des victimes. Pour moi, l’enjeu est là. Toutefois, j’ai aussi souligné la nécessité d’une réforme pénale d’ampleur s’agissant des violences sexuelles commises sur les mineurs et de l’inceste.

Avant de m’exprimer sur le fond de la proposition de loi, je tiens à souligner la complexité du sujet. Cela doit nous amener à travailler avec autant de prudence que de détermination. C’est parce que le sujet est complexe que nos prédécesseurs n’ont pas réussi à aller aussi loin qu’ils le souhaitaient. Toutefois, leur travail n’a pas été vain car il a préparé le terrain ; sans eux, nous n’en serions tout simplement pas là.

Je crois que notre société est désormais prête à un véritable changement. Dans un souci d’objectivité, je vous ferai néanmoins part d’un constat issu de mon rapport d’évaluation : d’aucuns doutent de l’opportunité de reprendre la plume sur un sujet si sensible. Ils considèrent que le droit positif, issu de la loi du 3 août 2018, est suffisant. Si j’entends ces arguments, il importe de souligner que le rôle de la loi pénale ne se limite pas à la répression ; elle a aussi une fonction expressive, qui consiste à fixer des règles claires et comprises par tous. Or, en la matière, la complexité de l’arsenal juridique relatif aux infractions sexuelles sur mineur suscite une incompréhension chez nos concitoyens. Nous ne pouvons l’ignorer.

Surtout, il est temps de changer de paradigme pour accorder aux mineurs de moins de quinze ans une protection pénale spécifique – car oui, la vocation du droit pénal est aussi de protéger. Ce sera un bouleversement législatif, mais je le crois nécessaire pour accompagner le mouvement de libération de la parole. Gisèle Halimi le soulignait : « nos lois […], dans notre culture, provoquent au changement des mentalités, avant de changer elles-mêmes ». Le rôle de la loi est d’engager des changements sociétaux ; le Gouvernement a fait des annonces en ce sens hier.

Sur un sujet aussi grave, nous n’avons pas le droit à l’erreur, Nous suivons une ligne de crête. Nous en éloigner ferait courir aux victimes un grand risque : une censure du Conseil constitutionnel impacterait de nombreuses procédures. Il est indispensable d’éviter la tragédie du harcèlement sexuel, délit invalidé en son temps. C’est avec détermination, mais prudence que nous devons avancer : je suis convaincue qu’il existe une possibilité de modifier la loi dans le respect de notre Constitution.

Je regrette toutefois l’empressement avec lequel la présente proposition de loi a été inscrite à l’ordre du jour par le groupe Socialistes et apparentés, alors que le Sénat a amorcé un travail intéressant sur le sujet à l’initiative de la délégation aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Quoique le groupe La République en marche ne partage pas le choix de nos collègues sénateurs de retenir l’âge de treize ans plutôt que celui de quinze ans, il eût été judicieux d’unir nos forces et de travailler sur le texte sénatorial. En outre, des concertations sont menées en ce moment par le Gouvernement.

Le texte que nous examinons peut néanmoins apporter sa pierre à l’édifice. S’il part de bonnes intentions, il soulève quelques difficultés constitutionnelles et il est incomplet. C’est pourquoi je proposerai, par voie d’amendement, de modifier certaines rédactions – sur ces questions, notre Commission a toujours travaillé dans un esprit constructif. Je propose d’intégrer dans le code pénal une nouvelle section dédiée aux infractions sexuelles sur mineur, qui incluraient un délit et un crime autonomes, avec un seuil d’âge fixé à quinze ans. Il faudrait aussi prévoir des exceptions pour protéger les couples que nos collègues sénateurs appellent « Roméo et Juliette », c’est-à-dire des couples d’adolescents au faible écart d’âge. Enfin, je souhaite créer un délit de « sextorsion » afin de protéger les mineurs exposés aux violences sexuelles en ligne ; ce phénomène est en train d’exploser.

Pour conclure, la volonté du groupe LaREM est de poser, à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi, les bases d’un travail de fond. Il votera donc en faveur de certains amendements dans le but d’engager une discussion appelée à nourrir nos travaux durant les prochains jours et semaines, sans que cela puisse être interprété comme un blanc-seing.

M. Raphaël Schellenberger. Le groupe Les Républicains est favorable à la proposition de loi dans son ensemble. Néanmoins, je tiens à souligner qu’il n’a pas attendu l’inscription de ce texte à l’ordre du jour de notre assemblée pour se saisir de la question. Il n’a pas attendu que l’actualité impose la nécessité de l’action politique ou que le Gouvernement se saisisse d’une niche parlementaire de l’opposition pour évoquer concrètement la nécessité d’une évolution législative. Nous avions déjà émis des propositions lors de l’examen du projet de loi présenté par Mme Marlène Schiappa. Mon collègue Aurélien Pradié a accompli un travail très important sur le sujet. Le Sénat, cela a été rappelé, a adopté il y a quelques jours une proposition de loi visant à lutter contre ce fléau.

Le droit actuel doit évoluer car il peut conduire à des situations choquantes. À Pontoise, en septembre 2017, le parquet avait dans un premier temps décidé de ne pas retenir la qualification de viol alors qu’une fillette de douze ans avait effectué une fellation à un adulte de vingt-huit ans. En novembre 2017, un homme accusé d’avoir violé une fillette de onze ans a été acquitté par la cour d’assises de Seine-et-Marne. Ce texte vient clarifier les choses et rappeler que la loi pénale est d’interprétation stricte. Pour que les victimes puissent être respectées, il faut que nous accomplissions un travail de législateur précis en posant un interdit : il ne peut y avoir de relations sexuelles, quelles qu’elles soient, entre un majeur et un mineur de quinze ans. Cet interdit doit être énoncé le plus clairement possible. Tel est l’objet de ce texte et c’est pourquoi le groupe LR le soutiendra.

Nous présenterons quelques amendements parce qu’il faut impérativement éviter, comme l’a souligné Mme Louis, tout risque constitutionnel. Le travail que vous avez engagé, madame la rapporteure, notre Commission se doit de l’approfondir. Le pire serait de susciter une forme d’espoir déçu par une censure constitutionnelle, surtout si celle-ci survient à un moment inopportun. Imaginez une saisine du Conseil constitutionnel dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité : ce serait un terrible constat d’échec pour le législateur.

Par conséquent, nos amendements visent à intégrer dans le présent texte des avancées déjà adoptées par le Sénat, ainsi qu’à formuler des propositions concernant la question de la prescription, laquelle se trouve souvent au cœur d’affaires qui éclatent longtemps après les faits, quand un de ceux qui savaient change de position. Nous avons aussi déposé des sous-amendements sur des amendements du groupe La République en marche afin que les rapports bucco-génitaux soient assimilés à une pénétration sexuelle.

Ce texte doit aller jusqu’au bout de la navette parlementaire. Il serait inacceptable que nous n’arrivions pas à faire en sorte qu’il soit promulgué.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Mon père me racontait que, enfant de chœur, il ne devait jamais rester seul avec le curé. Ma mère, quant à elle, m’a dit et répété de ne pas accepter de bonbon de la part d’inconnus. Pour l’enfant que j’étais, ces messages paraissaient assez énigmatiques.

Ce que montrent la proposition de loi soumise à notre examen, celle adoptée dernièrement par le Sénat et les lois de 2016 et 2018, c’est qu’il faut aller plus loin en matière de protection des mineurs. Hier soir, le Gouvernement s’est déclaré favorable à ce que tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de quinze ans constitue automatiquement un crime, sans que l’on s’interroge sur le consentement de la victime. Si la loi du 3 août 2018 a permis de renforcer la protection des mineurs, des progrès restent à faire pour dissuader et pénaliser ce type de comportement, assurer l’égalité de traitement des victimes et leur permettre de se reconstruire. Il est indispensable de supprimer la notion de contrainte exercée par l’agresseur. Le nouveau mécanisme juridique dit de prescription glissante que le Gouvernement souhaite instaurer nous semble une bonne mesure, tout comme l’introduction d’une exception au cas où les deux protagonistes auraient moins de cinq ans de différence d’âge, afin de ne pas criminaliser une relation adolescente consentie qui se poursuivrait après la majorité du plus âgé. Il est en outre essentiel de renforcer la répression de l’inceste.

Nous devons dire clairement et avec force aux adultes qu’il est interdit d’avoir des relations sexuelles avec des enfants, en posant un interdit absolu. Il faut répéter aux enfants que leur corps leur appartient, qu’un adulte n’a pas à les toucher, que certaines parties de leur corps sont intimes, qu’ils ont le droit de dire non à un adulte. Il faut poser l’interdit de l’inceste, à la maison comme à l’école. Il faut en finir avec ce tabou.

À l’occasion de vos contacts avec les forces de police, vous avez dû être informés, chers collègues, que durant la période de confinement, les violences à l’encontre des enfants ont fortement augmenté à la fois en gravité et en quantité. Il y a urgence. Toute occasion de débattre de ces questions doit être saisie.

Le groupe Mouvement démocrate et Démocrates apparentés suivra attentivement l’examen de ce texte et il souhaite que l’on avance en cette matière.

Mme Cécile Untermaier. Bien évidemment, le groupe Socialistes et apparentés soutiendra la proposition de loi. Je voulais saluer le travail de la rapporteure qui est très impliquée dans la protection des enfants et qui travaille sur ce dossier avec ferveur, conviction et compétence.

Les violences sexuelles subies par les enfants sont un phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur tout en restant tabou. Nous devons agir avec beaucoup d’émotion, de sensibilité et de respect pour ces enfants qui sont aussi les nôtres. La situation actuelle impose une réponse ferme : on ne touche pas un mineur quand on est un adulte ; si on le fait, la condamnation pénale tombera de manière stricte. Cela suffira-t-il ? Probablement pas, mais le dialogue que nous engageons est en lui-même important. Il est essentiel de travailler en ce sens dans la sphère de la formation et de l’éducation, ainsi qu’au sein des familles.

Le seuil de quinze ans me semble largement admis et je remercie la rapporteure de l’avoir inscrit dans le texte. Le choix de traiter l’inceste comme une infraction distincte est essentiel. Nous nous rangeons aussi à votre analyse concernant la prescription, qui coïncide avec celle que nous avions faite lors du précédent quinquennat. Quant au risque constitutionnel, je nous invite à une certaine forme de prudence : nous ne travaillons pas sous le couvercle du Conseil constitutionnel ; nous devons aussi, me semble-t-il, faire état des évolutions de la société. Nous avons l’obligation, non de nous affranchir de la Constitution, mais de lui donner son sens.

M. Dimitri Houbron. Merci, madame la rapporteure, pour cette proposition de loi qui a le mérite d’engager le débat dans notre Commission alors même que l’actualité nous rattrape. Permettez-moi de vous soumettre quelques données qui souligneront, si cela était nécessaire, l’impérieuse nécessité de légiférer et d’apporter des solutions. Plusieurs études montrent que les mineurs représentent la classe d’âge la plus exposée aux violences sexuelles : 40 % des viols et tentatives de viols déclarés concernent des enfants de moins de 15 ans ; 27 % de ces crimes touchent des enfants de moins de 10 ans ; on estime qu’un enfant est violé toutes les heures en France. Neuf fois sur dix, le prédateur sexuel est un proche, un membre de la famille, une personne de confiance. Ces chiffres effroyables sont en deçà de la réalité ; ils témoignent de l’ampleur du phénomène et nous imposent d’agir pour protéger les mineurs.

De la publication en 1986 du témoignage d’Éva Thomas dans Le viol du silence jusqu’aux travaux de la psychiatre Muriel Salmona, les effets de l’inceste et des violences sexuelles sur les mineurs sont largement documentés. Le secrétaire d’État en charge de l’enfance et des familles, M. Adrien Taquet, estime le coût individuel de ces sévices insoupçonnable. Ils ont aussi un coût collectif : les violences sexuelles dans l’enfance sont le premier facteur de tentatives de suicide, dépressions, troubles du comportement alimentaire, maladie chronique à l’âge adulte. Ces enfants volés deviennent des adultes désaxés.

Comme la sénatrice Annick Billon le soulignait le mois dernier, l’évolution des consciences n’a pas été suivie d’une évolution du droit. Notre loi pénale ne protège pas suffisamment les enfants contre les prédateurs sexuels. Aujourd’hui, pour caractériser une agression sexuelle ou un viol, il faut pouvoir démontrer la contrainte, la menace, la violence ou la surprise : cela revient à faire porter au juge ou au juré une appréciation sur le comportement de la victime, à poser inévitablement la question de son consentement. Or, la notion de consentement, déjà complexe lorsque la victime est adulte, n’a tout simplement pas sa place lorsqu’elle est particulièrement jeune. Dans Le consentement, Mme Vanessa Springora expose bien l’enjeu de cette question : il ne s’agit pas de savoir si l’enfant mineur a cru être amoureux ou s’il a été ou non contraint à avoir des relations sexuelles ; le problème vient entièrement de l’auteur qui, quel que soit le comportement d’un mineur, n’a pas à le considérer comme son égal. Il y va de la responsabilité des adultes. Un enfant ne peut jamais être consentant à un rapport sexuel avec un majeur pour la simple et bonne raison que c’est un enfant. La création rapide d’une infraction autonome avec, pour élément constitutif, l’âge de la victime serait un apport indispensable à notre arsenal juridique.

À titre personnel, il me semble que, pour le seuil de non-consentement, l’âge de treize ans serait plus adapté. D’abord, notre droit reconnaît déjà ce seuil, notamment pour la présomption simple de non-discernement pour les mineurs délinquants. Ensuite, cela permettrait d’éviter de criminaliser des relations entre de très jeunes majeurs et des mineurs de quatorze ou quinze ans. Je précise que cette position m’est propre et qu’elle ne représente pas l’intégralité des membres de mon groupe.

Si le groupe Agir ensemble salue la volonté qui sous-tend ce texte, celui-ci ne nous paraît malheureusement pas satisfaisant en l’état, pour des raisons ayant trait à la fois au fond et à la forme.

Sur la forme, nous en revenons à l’éternel problème du manque de temps accordé à la préparation et à la discussion des propositions de loi présentées dans le cadre des niches parlementaires. Un tel sujet mériterait une vraie place dans l’agenda de l’Assemblée nationale.

Sur le fond, le texte élude certaines questions comme la prescription, la formation des instituteurs et enseignants pour qu’ils puissent mieux détecter les enfants victimes d’abus ou encore le durcissement de la procédure pénale applicable au délit de non-dénonciation de crimes ou de délits commis sur des mineurs. En outre, je note que la proposition de loi conduirait à ne plus aggraver la peine en cas d’atteinte sexuelle sur mineur dans un cadre incestueux : les articles 1er et 4 punissent en effet de dix ans d’emprisonnement toute atteinte sexuelle sur un mineur, qu’elle soit commise par un ascendant ou non. Il me paraît important de maintenir une gradation du quantum de la peine encourue.

Soucieux néanmoins de m’inscrire dans une démarche constructive, j’ai déposé deux amendements visant à allonger le délai de prescription du délit de non-dénonciation de crimes ou de délits commis sur des mineurs. La responsabilité de ceux qui savent et ne parlent pas est immense, car les enfants parlent rarement.

Il faut envoyer sur le sujet ce message fort : nous travaillons sérieusement sur le fond et nous luttons avec la plus grande fermeté contre les « aigles noirs » chantés par Barbara en 1970.

Mme Sophie Auconie. Je m’associe à tout ce qui a été dit sur cette initiative. Ce sujet, essentiel, est transpartisan. Je ne cache pas ma satisfaction de le voir enfin abordé à la hauteur des enjeux car nous avons laissé passer beaucoup trop d’occasions de nous en saisir. Je pense bien entendu à la discussion de la loi du 3 août 2018 : la proposition de créer des infractions autonomes avait déjà été avancée à l’époque, mais elle avait été rejetée sans appel. Aujourd’hui, ce sont nos enfants qui paient les lacunes de cette loi, notamment du fait de la conjoncture sanitaire et de la multiplication des huis clos à l’occasion des confinements.

S’agissant de l’infraction de viol, comme il est toujours difficile de prouver le non-consentement, on a assisté à des affaires horrifiantes. Il faut se saisir de la question de manière collective et décidée. Comme l’ont souligné Mme Alexandra Louis et M. Dimitri Houbron, le Sénat a déjà fait un bout du chemin : la proposition de loi d’Annick Billon, présidente de la délégation aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, est un travail de qualité. Nous estimons qu’il était possible de travailler sur cette base dans le cadre de la navette parlementaire.

Cela étant dit, notre objectif commun est de créer des infractions posant des interdits clairs et permettant de surmonter les difficultés liées à la nécessité de réunir les éléments constitutifs du viol, en particulier l’absence de consentement. La création d’infractions autonomes permettra d’éviter cet écueil. Un acte de pénétration réalisé par un majeur sur un mineur de quinze ans doit être interdit, sans qu’il soit fait référence à une quelconque possibilité de consentement. L’inceste doit également trouver sa place au sein du code pénal en tant qu’interdit fondamental.

Nous aurons plusieurs points importants à discuter dans nos travaux, en particulier la prescription et l’amnésie traumatique mise en évidence par Mme Muriel Salmona. Il convient de prendre en considération les spécificités liées à ce type d’infractions : nous ne pouvons continuer à accepter que certains viols ou agressions sexuelles sur mineurs restent impunis. Il faut trouver un terrain d’entente ; à défaut, les nouveautés juridiques seraient inopérantes.

Vous l’aurez compris : le groupe UDI et Indépendants soutient, depuis longtemps, les objectifs de cette proposition de loi. Il faut en améliorer la rédaction mais nous souhaitons aboutir rapidement à l’adoption d’un texte. Si la loi peut parfois sembler bavarde et le droit chercher à s’emparer du moindre détail de notre vie, en l’occurrence, il n’en est rien : nous avons l’occasion d’introduire dans notre ordre juridique un élément dont nous avons grandement besoin. Il s’agit d’un choix de société, d’un combat qui doit aboutir. Pour cela, je vous remercie, madame la rapporteure.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La suite de la discussion de la proposition de loi aura lieu cet après-midi, à partir de quatorze heures trente.

La réunion se termine à 13 heures.

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Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné M. Sylvain Waserman, rapporteur sur la proposition de résolution tendant à modifier le Règlement de l’Assemblée nationale en ce qui concerne l’organisation des travaux parlementaires (n° 3798).


Membres présents ou excusés

 

En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.