Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 Examen du projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la protection de l’environnement (n° 3787) (M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur)              2


Mercredi
17 février 2021

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 59

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente
 


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La réunion débute à 9 heures 30.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission examine le projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la protection de l’environnement (n° 3787) (M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous accueillons ce matin M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, pour l’examen en première lecture du projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la protection de l’environnement. M. Pieyre-Alexandre Anglade a été désigné rapporteur par notre commission.

La commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire s’est saisie du texte pour avis et son rapporteur est M. Christophe Arend.

L’audition du garde des Sceaux commune à nos deux commissions, qui s’est tenue lundi après-midi, valait discussion générale, chacun des groupes ayant pu s’exprimer ; nous pouvons donc en venir à l’examen des amendements, qui sont au nombre de soixante-dix-sept.

Avant l’article unique

La Commission examine l’amendement CL39 de M. François-Michel Lambert.

M. François-Michel Lambert. Je vous remercie de m’accueillir au sein de cette commission des Lois, qui bénéficie d’une belle salle : c’est toujours un plaisir, lorsqu’on arrive de la commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire, dont la salle est en sous-sol, de retrouver la lumière. Les lois sont peut-être des lumières, mais le développement durable ne doit pas rester dans l’ombre.

Cet amendement vise justement, en parfaite cohérence avec la modification que vous voulez introduire à l’article 1er de la Constitution, à ajouter, au septième alinéa de la Charte de l’environnement, le mot « climat » après le mot « biologique ». Puisqu’il sera désormais question du dérèglement climatique à l’article 1er de la Constitution, il convient d’y faire référence aussi dans la Charte.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Cher collègue, vous proposez de mentionner le climat au cinquième considérant du préambule de la Charte de l’environnement. Je rappelle que cet alinéa a une portée déclaratoire et qu’il n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit ; il ne peut donc être invoqué à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Cette inscription aurait donc une portée purement symbolique.

Avec l’article unique, nous vous proposons d’aller bien au-delà, puisque nous inscrivons comme principe constitutionnel plein et entier, à l'article 1er de la Constitution, la lutte contre le dérèglement climatique, ce qui entraînera une quasi-obligation de résultat pour les pouvoirs publics.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je vais essayer d’être clair, et même lumineux, sur cette question, monsieur le député. Le Gouvernement est défavorable à votre amendement, parce que le projet de loi constitutionnelle introduit la notion de lutte contre le dérèglement climatique à l’article 1er de la Constitution, ce qui complète le préambule de la Charte de l’environnement. Nous estimons qu’il n’est pas nécessaire d’introduire une référence au climat dans cette charte.

M. Matthieu Orphelin. Notre collègue a raison d’envier cette belle commission, pas seulement pour la lumière, mais aussi parce qu’on y traite de sujets très intéressants. Cet amendement nous fait entrer dans le vif du sujet et nous aurons d’autres débats importants, à propos de la non-régression ou des limites planétaires, par exemple.

Comme vous nous avez promis d’être lumineux, monsieur le garde des Sceaux, j’aimerais que vous éclaircissiez un point que je n’ai pas compris : pouvez-vous nous dire quand le référendum aura lieu ? Il y a quelques jours, notre commission a étudié le rapport Debré, au sujet du report des élections régionales et départementales. Il est apparu qu’aucun scrutin national ne pourrait avoir lieu en septembre, parce qu’il serait ridicule de faire campagne durant l’été, ni entre octobre et décembre, du fait des risques sanitaires, pas plus qu’entre janvier et avril 2022, pour des raisons de comptes de campagne – il ne faudrait pas en outre qu’il y ait un mélange des genres avec la campagne présidentielle. Monsieur le garde des Sceaux, quand ce référendum aura-t-il lieu ? Ne me dites pas que vous ne pouvez pas me répondre : je peux l’entendre d’un rapporteur, pas du ministre. Si nous sommes ici pour discuter du sexe des anges, cela ne m’intéresse pas. C’est parce que je pense que ce référendum n’aura pas lieu que je souhaite que cette réforme soit examinée en Congrès, le 13 juillet.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Monsieur le député, ma parole est aussi libre que la vôtre, elle n’est pas contrainte, et je n’ai pas à recevoir d’injonctions. Je ne crois pas que nous soyons en train de débattre du sexe des anges, mais nous pouvons commencer par discuter de la chronologie, car avant d’organiser un référendum, il faut que l’Assemblée nationale, puis le Sénat, vote le texte. Je vous rappelle que le Président de la République s’est engagé très clairement sur cette question. Mais si vous voulez une date, je suis incapable de vous la donner.

M. Julien Aubert. Notre collègue François-Michel Lambert a trouvé la martingale. Nous estimons que ce projet de loi est inutile dans la mesure où, depuis 2004, il existe une Charte de l’environnement, qui est annexée à la Constitution et qui fait partie du bloc de constitutionnalité. Vous nous avez répondu qu’elle ne parlait pas du climat. La proposition de M. Lambert pourrait nous épargner une longue procédure, qui va coûter de l’argent et qui pose bien des questions – M. Orphelin a eu raison de les poser. En inscrivant le climat dans la Charte, nous aboutirions au même résultat, et nous aurions un consensus.

Monsieur le rapporteur, vous nous avez dit qu’on ne pouvait pas, dans une QPC, invoquer les principes constitutionnels, ce qui me surprend. Je suis sans doute moins bon constitutionnaliste que vous, mais j’aimerais des précisions à ce sujet. Que l’on ne puisse pas invoquer la Charte de l’environnement dans une QPC me semble étonnant.

La question de M. Orphelin est tout à fait légitime. Nous estimons que vous posez mal le problème, mais nous pensons aussi qu’il est toujours bon de consulter les Français, car c’est le peuple qui est souverain. C’est pourquoi, contrairement à M. Orphelin, je ne suis pas favorable à la convocation du Congrès, qui changerait la donne. Ce n’est pas tout à fait la même chose de faire avaliser une réforme constitutionnelle par le peuple ou par ses représentants. Monsieur le ministre, pour nous éviter de perdre du temps, pouvez-vous nous confirmer que c’est bien vers un référendum que nous nous dirigeons ?

M. Jean-Luc Warsmann. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, pouvez-vous, s’il vous plaît, revenir sur cette question de la QPC ? J’ai besoin d’être rassuré sur les conséquences de cette révision constitutionnelle, puisqu’elle concernera tout le stock législatif : l’idée qu’on pourrait revoir des lois des années 1950, 1960 ou 1970 à travers ce prisme-là me paraît inquiétante.

M. Erwan Balanant. J’aimerais rappeler le processus qui a mené à cette révision constitutionnelle. Tout a commencé avec la décision du Président de la République d’organiser la Convention citoyenne pour le climat. Celle-ci a fait un certain nombre de propositions et il est tout à fait normal que nous en débattions – c’est dans l’ordre de nos institutions – mais je ne vois pas d’autre issue, à terme, que le référendum. Dans la mesure où tout est parti de la Convention citoyenne, la légitimité de la réforme ne peut venir, à la fin, que du peuple lui-même. Je m’étonne un peu, monsieur Orphelin, de votre idée de convoquer le Congrès.

Mme Delphine Batho. J’attends les précisions du ministre et du rapporteur au sujet des QPC, parce que ce qui a été dit est totalement faux. Une décision QPC de janvier 2020 est fondée sur les considérants de la Charte de l’environnement : c’est la décision par laquelle le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution la loi interdisant le stockage et la fabrication en France de pesticides interdits par l’Union européenne. Les considérants de la Charte ont donc bien une valeur constitutionnelle.

Par ailleurs, si le principe de non régression n’est pas intégré dans cette réforme constitutionnelle, celle-ci présentera peu d’intérêt au regard des dispositions de la Charte de l’environnement. Je suis plutôt favorable à la convocation d’un Congrès. Le référendum, du fait de sa nature plébiscitaire dans les institutions de la Ve République, se retournerait à coup sûr contre la cause de l’écologie. Cela me semble donc être une très mauvaise idée, et pas seulement pour des questions de calendrier.

Mme Émilie Guerel. Je tiens à rappeler que nous sommes réunis pour débattre du projet de loi constitutionnelle, et non du référendum, qui est une promesse présidentielle, M. Balanant l’a rappelé : nous tenons tous à ce qu’il ait lieu et il aura lieu. Nous avons beaucoup de travail et il serait bon que nous ayons un débat apaisé sur le fond du sujet, c’est-à-dire sur les soixante-dix-sept amendements en discussion, sans dévier de notre route.

M. Matthieu Orphelin. Je vais vous faire gagner du temps en retirant tous mes amendements. Je suis pour cette révision de l’article 1er : j’aimerais qu’il n’y ait aucune ambiguïté à ce sujet. J’ai été parmi les premiers à la proposer, il y a trois ans, quand cette question n’intéressait personne. (Exclamations.)

Dire que ce référendum peut avoir lieu avant mai  est un mensonge : on voit bien que ni les députés, ni le ministre, ne peuvent le confirmer. Je suis désolé, madame Guerel, mais ce référendum, c’est le fond du sujet. Voulons-nous, oui ou non, que cette réforme constitutionnelle aboutisse ? Si la réponse est oui, alors dites-moi quand ce référendum peut avoir lieu. Notre commission a auditionné M. Jean-Louis Debré, il y a quelques semaines, qui nous a expliqué qu’aucun scrutin national ne pourrait être organisé après le mois de septembre. Et un référendum pourrait avoir lieu, comme par magie ? Cela ne tient pas debout. Je ne doute pas que vous vouliez faire aboutir cette révision mais ni le ministre, ni les députés ne peuvent donner une idée de la date. Et il y a une bonne raison à cela : c’est parce que c’est tout simplement impossible. M. Balanant, qui sait combien je l’estime, le sait aussi bien que moi. C’est un simple exercice de communication, qui peut se retourner contre l’écologie, comme Delphine Batho l’a très bien dit.

Je vous laisse débattre du sexe des anges. Faire croire aux 150 citoyens qui ont pris part à la Convention qu’un référendum aura lieu avant le mois de mai, c’est les mener en bateau. Monsieur Balanant, vous m’expliquiez, il y a une semaine encore, que le vote par anticipation n’était pas possible : j’espère que l’amendement déposé hier par le Gouvernement vous a plu… Nous ne sommes pas d’accord et nous sommes précisément ici pour débattre.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Je maintiens ce que j’ai dit : l’alinéa, qui a une portée déclaratoire, n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit ; il ne peut donc être invoqué à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité. Seuls peuvent être invoqués, en QPC, les articles 1er à 4 et l’article 7 de la Charte.

Monsieur Warsmann, pour répondre à votre question, tout dépendra de la manière dont le Conseil constitutionnel interprétera les dispositions de l’article 1er lorsqu’il sera invoqué.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Je crois devoir apporter quelques précisions. D’abord, monsieur le député Aubert, dans le cadre d’une QPC, on doit invoquer des droits et libertés que la Constitution garantit – c’est ce que prévoit l’article 61-1. Or tous les principes constitutionnels ne sont pas des « droits et libertés que la Constitution garantit ». C’est le Conseil constitutionnel qui précise quels sont les principes constitutionnels invocables en QPC.

À la suite d’une QPC du 7 mai 2014, le Conseil constitutionnel a rendu une décision qui nous rappelle que les alinéas introductifs du préambule ne peuvent être invoqués dans une QPC, même s’ils ont valeur constitutionnelle. Des articles de la Charte sont en revanche invocables.

M. François-Michel Lambert. Ce tour de table a conduit au détournement de mon amendement, mais je crois que ce débat était nécessaire. D’après ce que vous dites, monsieur le ministre, il me semble que c’est donc bien dans la Charte de l’environnement qu’il faut mentionner le climat, dans l’optique d’une QPC. Mais peut-être vous ai-je mal compris, étant novice en commission des Lois. Ce que j’ai bien compris, en revanche, après neuf ans de mandat, c’est que la symbolique peut avoir son importance. Elle a très souvent été utilisée dans la loi, par cette majorité comme par les précédentes. Je songe à une loi que nous avons examinée il y a peu, et qui modifiait le code pénal : on nous a expliqué que la loi ne changerait rien, mais qu’elle avait une dimension symbolique.

Monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, le climat n’est pas un symbole, c’est une angoisse pour l’humanité. L’inscrire dans la Charte de l’environnement me semble être à la hauteur de l’enjeu.

M. Jean-Luc Warsmann. Sur les quatre derniers référendums qui ont eu lieu en France, trois ont été organisés en fin d’année : le 6 novembre 1988, sur l’autodétermination de la Nouvelle Calédonie ; le 20 septembre 1992, sur le traité de Maastricht ; et le 24 septembre 2000, sur le quinquennat. Cela montre que des référendums peuvent être organisés douze mois sur douze, y compris en hiver.

La Commission rejette l’amendement.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, je propose d’ouvrir une discussion thématique sur la question de la non-régression, puisque plusieurs amendements lui sont consacrés.

La Commission examine les amendements CL69 de M. Erwan Balanant, CL37 de M. François-Michel Lambert et CL9 de Mme Delphine Batho.

M. Erwan Balanant. Cet amendement, travaillé avec l’avocat Arnaud Gossement, vise à inscrire le principe de non régression dans la Charte de l’environnement en rédigeant la fin de son article 2 de la manière suivante : « ainsi qu’à l’amélioration de l’environnement et de veiller, en application du principe de non régression, à ce que le niveau de protection de l’environnement assuré par le droit, fasse l’objet d’un progrès constant, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment. »

On ne peut pas garantir qu’il n’y aura plus de catastrophes naturelles. Mais ce que l’on peut garantir, c’est la non-régression du droit : nous pouvons décider que notre droit ne régressera jamais sur les ambitions environnementales. Ce débat excède un peu l’objet de notre discussion, mais il est essentiel.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. C’est effectivement une question qui est souvent revenue au cours de nos auditions et qui mérite que l’on s’y arrête.

J’émettrai un avis défavorable sur votre amendement, pour plusieurs raisons.

D’abord, le principe de non-régression est déjà reconnu, depuis 2016, au niveau législatif, à l’article L. 110-1 du code de l’environnement. Il s’impose donc au pouvoir réglementaire. Avant d’envisager de l’élever au rang constitutionnel, il vaut mieux attendre que la jurisprudence du Conseil d’État en la matière s’enrichisse.

Au niveau constitutionnel, ensuite, le Conseil constitutionnel a, plutôt que de consacrer un principe de non-régression, préféré souligner qu’il revient au législateur de prendre en compte, notamment, le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement, mentionné à l’article 2 de la Charte de l'environnement. Je crois qu’il convient de ne pas aller au-delà car le législateur doit pouvoir préserver efficacement d’autres principes constitutionnels, comme celui de la protection de la santé, par exemple.

Enfin, il faut avoir conscience qu’inscrire dans le bloc de constitutionnalité le principe de non-régression diminuerait significativement le pouvoir du législateur avec un principe dont la portée est incertaine et aurait pour conséquence de confier aux juges le soin d’en apprécier la réalité.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Le Gouvernement n’est pas favorable à l’intégration de la notion de non-régression au niveau constitutionnel. Si ce principe existe déjà dans la loi, il n’a pas sa place dans la Constitution. Le Gouvernement veut laisser au législateur le pouvoir de préserver efficacement d’autres principes constitutionnels, comme la protection de la santé. Dans un contexte de crise sanitaire comme celui que nous connaissons actuellement, cela peut être particulièrement important.

M. François-Michel Lambert. Je propose, moi aussi, de donner à cette notion de non-régression une valeur constitutionnelle, en prenant la précaution d’ajouter : « compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ». Cela permet d’intégrer le fait que des progrès scientifiques ou technologiques pourraient nous amener à corriger des décisions prises par le passé s’il s’avère que d’autres stratégies seraient préférables, par exemple sur la question du climat. L’intérêt de cet amendement, c’est qu’il adosse le principe de non régression à la prise en compte des évolutions scientifiques et technologiques.

Monsieur le rapporteur, peut-être vous ai-je mal compris, mais vos propos m’ont étonné. On ne peut pas à la fois inscrire à l’article 1er de notre Constitution qu’il est essentiel de lutter contre le dérèglement climatique et accepter que les parlementaires qui nous succéderont puissent revenir en arrière. Vous dites qu’il faut laisser leur liberté aux parlementaires mais je pense, moi, que le principe de non-régression est supérieur à cette liberté : il ne faut pas qu’ils puissent un jour, peut-être dans dix-huit mois, revenir sur les avancées que nous avons introduites et détruire l’avenir de nos enfants.

Mme Delphine Batho. Mon amendement a le même objet que celui d’Erwan Balanant, mais je propose de faire cet ajout ailleurs dans la Charte.

Monsieur le garde des Sceaux, je ne suis pas surprise que vous ayez dit que le Gouvernement n’était pas favorable à l’inscription du principe de non régression dans la Constitution, puisque cela correspond à la pratique du gouvernement actuel, qui a fait adopter la loi autorisant le retour des néonicotinoïdes, la plus grave régression en matière de protection de l’environnement de ces dernières années.

L’inscription du principe de non-régression, ou de progression constante – je préfère d’ailleurs cette formulation – serait le minimum pour que cette réforme constitutionnelle ait un intérêt réel, c’est-à-dire pour qu’elle apporte réellement quelque chose à l’état du droit constitutionnel concernant la biodiversité, le climat et l’environnement. C’est le seul principe qui ne figure pas dans la Charte de l’environnement. On aurait pu considérer qu’il figurait déjà à l’article 2, où il est question de l’« amélioration de l’environnement », mais la décision du Conseil constitutionnel du 10 décembre dernier, qui a considéré comme constitutionnel le retour des néonicotinoïdes, a montré qu’il est absolument indispensable d’inscrire dans la Constitution le principe de non-régression. Ce recul majeur est intervenu après que la Convention citoyenne pour le climat a formulé ses propositions. Il est certain, parce que c’est une question de bon sens, que si la Convention avait rendu ses propositions en décembre ou en janvier, elle aurait demandé l’inscription du principe de non-régression dans la Constitution.

Je n’ai pas bien compris, monsieur le garde des Sceaux, l’opposition que vous faites entre environnement et santé humaine. Si je sais pourquoi de très grandes entreprises polluantes sont contre le principe de non-régression, si je sais pourquoi les fabricants de pesticides sont contre le principe de non-régression, en revanche, je dois dire que l’opposition entre environnement et santé humaine m’échappe totalement, tant les deux choses me semblent liées.

Nos amendements ne visent pas à rendre les lois intangibles. Ce que nous demandons, c’est que le législateur ait désormais l’obligation d’accroître, et en tout cas de maintenir, le niveau de protection de l’environnement. Que les moyens et le cadre juridique puissent varier, c’est ce que nous voulons signifier en ajoutant : « compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ». Il ne s’agit pas de dire que les lois ne pourront plus changer ; il s’agit d’introduire une obligation, non seulement de moyens, mais de résultats, l’obligation, pour la Nation, de marcher en avant.

M. Julien Aubert.  Qu’est-ce qu’une régression ? Ce mot, en lui-même, a quelque chose de subjectif. Une régression, ce n’est jamais bon, mais ce qui constitue une régression pour quelqu’un peut être considéré par un autre comme, disons, une adaptation pragmatique. Nous n’allons pas rouvrir le débat sur les néonicotinoïdes – même s’il faudra un jour qu’on m’explique comment on fabrique du miel de betterave –, alors prenons plutôt l’exemple de la centrale de Fessenheim. Sa fermeture est une régression puisque, en l’état actuel des technologies, le nucléaire est une industrie décarbonée. Mais je ne suis pas certain que les écologistes qui se sont exprimés avant moi qualifieraient la fermeture de Fessenheim de régression. Un concept juridique qui est fondé sur une évaluation politique me semble très mauvais : il aboutira, soit à politiser la justice, soit à ouvrir des débats sans fin, soit, enfin, à transformer des instances judiciaires en juges techniques. Au lieu d’analyser le droit, les juges devront se pencher sur des débats techniques et se faire experts des insecticides ou des technologies nucléaires, ce qui n’est pas, à l’origine, le rôle du Conseil constitutionnel, ni des juges en général.

Surtout, je trouve que ce principe est une insulte à l’intelligence. Les propos de M. Lambert, comme ceux de Mme Batho, fleurent bon la méfiance vis-à-vis de la démocratie. Mme Batho nous a expliqué que, compte tenu du caractère plébiscitaire des référendums, il était préférable de ne pas poser de questions sur l’environnement au peuple, parce qu’il serait capable de voter contre son propre intérêt. M. Lambert, quant à lui, nous a expliqué qu’il fallait se méfier de la liberté des parlementaires et qu’il serait préférable de les enserrer dans des principes, comme si nous n’étions pas capables, intelligemment, de chercher l’intérêt général. Je doute qu’il y ait, parmi les parlementaires, des gens qui souhaitent une régression environnementale ou qui soient des adversaires de l’environnement.

Je suis contre cette dictature de l’expert qui passe par le gouvernement des juges. Elle consiste à dire qu’il faut se méfier des politiques, qui sont élus, et faire confiance aux juges, qui sont nommés, et qui, sur la base de principes nébuleux, vont décider pour nous. Voilà ce j’appelle une régression démocratique !

M. Matthieu Orphelin. Je voterai ces amendements. Je me réjouis, monsieur Balanant, que nous soyons d’accord sur certains points ! L’avocat Arnaud Gossement avait déjà écrit des choses très intéressantes au moment de l’examen de la loi sur les néonicotinoïdes. Il est vrai que notre débat paraît un peu surréaliste, quelques mois après l’adoption de cette loi… Monsieur Aubert, je crois qu’il faut que vous réécoutiez l’intervention de Delphine Batho, car ce n’est pas du tout ce qu’elle a dit – peut-être votre décodeur n’était-il pas bien branché ce matin.

Mme Aina Kuric. Je comptais défendre, un peu plus tard, un amendement de Maina Sage qui propose également de conférer au principe de non-régression une valeur constitutionnelle, mais je préfère intervenir maintenant.

En inscrivant le principe de non-régression dans notre Constitution, nous affirmons que la protection de l’environnement doit connaître une progression constante. C’est nécessaire pour que le Conseil constitutionnel puisse, non seulement se saisir de ce principe, mais préciser son sens et sa portée. Il lui sera ainsi possible de concilier ce principe constitutionnel avec d’autres lois et libertés du bloc de constitutionnalité. Ce principe s’évalue en fonction des informations que nous avons au moment où nous prenons nos décisions. Je souhaite toutefois nuancer les propos qui ont été tenus sur les néonicotinoïdes. Sans vouloir rouvrir ce débat, leur réintroduction ne concerne que la culture de la betterave, pour laquelle nous avions constaté que les techniques utilisées pour compenser leur disparition constituaient une régression plus grave encore.

Mme Danièle Obono. Je voterai moi aussi ces amendements, qui ont le mérite de mettre en lumière le caractère assez superficiel de ce projet de loi, où il n’est pas question de conférer au principe de non-régression, ou de progression constante, une valeur constitutionnelle.

Monsieur Aubert, nous sommes en train de parler de la Constitution, un texte fondamental qui s’impose à nous et auquel nous sommes, par définition, tenus. Ce que nous y écrivons doit donc s’imposer à nous, comme à ceux qui nous succéderont. Ou alors nous n’accordons plus d’importance aux principes constitutionnels et nous entrons dans un autre régime… C’est bien de cela qu’il s’agit, et c’est pourquoi nous tenons à inscrire ce principe dans le texte fondamental.

Pour notre part, nous pensons qu’il faudrait convoquer une Assemblée constituante, mais l’adoption de ces amendements serait au moins un signal, et un symbole. Votre refus de les adopter montre malheureusement que le Président de la République et la majorité ne sont pas sérieux sur ce sujet.

M. Gérard Leseul. Le groupe Socialistes et apparentés avait déjà pris position en faveur de cette disposition en 2018 et je ne peux donc que soutenir ces amendements. Je préfère, moi aussi, à la notion de « non-régression », celle de « progression constante ». La Constitution a vocation à protéger et à encadrer l’ensemble de notre dispositif législatif et il convient donc de préciser ce que nous y inscrivons.

Par ailleurs, la prise en compte de l’état des connaissances, qui est une marque de modestie, est une manière de préserver l’avenir.

Enfin, comme ma collègue Delphine Batho, je ne comprends pas pourquoi, monsieur le garde des Sceaux, vous opposez la progression constante de la protection de l’environnement à la santé. Pouvez-vous nous donner quelques exemples concrets ?

M. François-Michel Lambert. Je n’ai toujours pas compris pourquoi l’introduction d’un principe de non-régression dans la Constitution poserait problème.

Prenons l’exemple des néonicotinoïdes. En 2016, nous avons voté leur interdiction au 1er janvier 2021. Mais à l’été 2020, les meilleures connaissances scientifiques ont permis d’établir qu’il était impossible de ne pas en autoriser l’usage dans un cas très précis. Le Gouvernement a donc présenté un projet de loi à cet effet, que la majorité a adopté. Ni mon amendement ni ceux de nos collègues n’empêcheront de procéder ainsi, au contraire : ils consolident politiquement le choix de ceux qui voudront revenir sur un vote. Inscrire dans la Charte de l’environnement le principe de non-régression en l’adossant aux connaissances scientifiques et techniques du moment permet en effet de consolider une démarche telle que celle consistant à surseoir en 2020, sur la base d’éléments probants, à l’interdiction des néonicotinoïdes décidée en 2016.

Cela faciliterait même son acceptation politique, qui pour l’heure est inexistante, ce qui suscite à l’égard de chacun d’entre nous, que l’on ait voté pour, contre ou que l’on se soit abstenu, une défiance accrue parmi nos concitoyens. L’inscription dans la Charte de l’environnement du principe de non-régression, adossé aux « connaissances scientifiques et techniques du moment », pour reprendre la formulation de mon amendement, renforce l’esprit dans lequel nous nous inscrivons : refuser tout recul, sans entraver la liberté, voire la force, de l’action du parlementaire amené à modifier une loi du passé.

M. Erwan Balanant. Il y a une incompréhension sur ce qu’est le principe de non-régression et sur ce que nous devons porter. Nous avons, à l’égard de l’environnement, un devoir de protection, et, dans certains territoires, d’amélioration, voire de reconquête. Ce travail relève de l’action des pouvoirs publics et des acteurs privés – il faut cesser de penser que l’État peut tout sur ces questions. Le principe de non-régression s’applique, quant à lui, à la loi. Il doit permettre d’obtenir des effets de cliquet, consolidant les seuils atteints dans la loi. C’est là que réside l’incompréhension : si les industriels, une fois les néonicotinoïdes interdits, mettent au point une substance qui est pire, le principe de non-régression n’est pas respecté.

Il faut donc assurer l’amélioration de l’environnement d’un côté, et prévoir la non-régression de nos règles au sein du bloc de constitutionnalité de l’autre. Notre Constitution a évolué en trois temps : l’adoption des libertés en 1789, du bloc social en 1946 et du bloc environnemental en 2005. Notre société repose sur ces trois piliers, sachant que le troisième doit être renforcé. Mais le principe de non-régression n’a pas pour objet d’introduire une obligation de résultat s’agissant de l’interdiction d’un produit donné ou de la fermeture d’une centrale nucléaire. Il s’applique au droit. Notre société doit s’engager à ne pas réduire son niveau d’exigence juridique. Tel est l’objet de mon amendement.

Mme Delphine Batho. L’introduction d’un principe de progression constante dans la Charte de l’environnement ne porte nullement atteinte au fait que toute loi doit respecter les objectifs à valeur constitutionnelle dans leur diversité, et donc procéder à leur conciliation.

Par ailleurs, je suis obligée de répondre à notre collègue Julien Aubert. Moi, j’aime la France, et ne regrette pas de ne pas vivre en Suisse. Je n’en constate pas moins que le référendum, dans les institutions de la Ve République, est un plébiscite – un certain Charles de Gaulle en avait du reste tiré les conséquences. En tant qu’écologiste, non seulement je suis favorable à la modification des institutions de la Ve République, pour y introduire la votation citoyenne et supprimer l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, mais je refuse que l’on joue à la roulette russe d’un plébiscite l’avenir de décisions importantes en matière écologique. Ma position n’a donc rien à voir avec la question du suffrage populaire.

M. Sébastien Huyghe. L’introduction du principe de non-régression dans la Charte de l’environnement pose problème. Elle pourrait nous placer bien souvent dans des situations où nous dépendrions d’appréciations davantage subjectives qu’objectives. Le débat que nous avons ce matin montre que la subjectivité l’emporte dans les différentes interventions.

Par ailleurs, je réponds à M. Balanant qu’il ne suffit pas de s’en remettre aux connaissances scientifiques. Bien souvent, les scientifiques sont divisés et se contredisent entre eux.

M. Erwan Balanant. Je viens de dire le contraire !

M. Sébastien Huyghe. Au cours de la crise sanitaire, il est arrivé que plusieurs autorités médicales reconnues ne soient pas sur la même ligne et tiennent des discours contradictoires. La modification proposée posera davantage de problèmes qu’elle n’apportera de solutions. L’adopter serait une grave erreur.

M. Philippe Gosselin. La constitutionnalisation du principe de non-régression me paraît bien délicate. Certes, ce ne serait pas la première fois qu’un principe constitutionnel serait créé ex nihilo – les grandes étapes de la progression des droits de l’Homme et de la liberté le rappellent. Mais la rédaction des amendements me semble emporter une conséquence fâcheuse : la soumission, sinon au diktat, du moins à l’appréciation des connaissances scientifiques et techniques du moment.

Il en résulte deux inconvénients. D’abord, leur point d’équilibre fait l’objet de bien des divergences, d’autant que toutes ne sont pas également fiables. Cette variabilité peut introduire des mouvements de yo-yo, de va-et-vient, qui peuvent être fâcheux pour la sécurité juridique des dispositions adoptées. Ensuite, donner le primat aux aspects scientifiques et techniques me pose problème. Je revendique au contraire le primat du politique. Nous pouvons nous opposer au sujet de démarches volontaristes et défendre des visions différentes de la société, mais ce point devrait nous réunir. C’est au politique, responsable devant les citoyens et devant la République, qu’il revient in fine de faire des choix.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Ce n’est pas à vous que je le rappellerai, dans une grande démocratie, quel que soit le sujet que l’on aborde, il y a toujours les pour et les contre. Prenons comme exemple la réforme de la partie législative du code de justice pénale des mineurs : certains disent que c’est un progrès, d’autres que c’est une régression. Il en va de même pour le projet de loi confortant le respect des principes de la République.

M. Julien Aubert. Nous sommes d’accord sur ce constat !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Pour une fois !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Si je ne reprends pas à mon compte tout votre discours, sur le point très précis du caractère aléatoire de l’appréciation de ce qu’est une régression, je ne peux qu’être d’accord avec vous. Si je demandais à l’instant aux membres de cette commission de se prononcer sur la fermeture des centrales nucléaires, certains diraient que c’est un progrès, d’autres que c’est une régression. De toute évidence, on ne peut pas modifier un texte constitutionnel avec un tel degré d’incertitudes.

Mme Batho a parlé de roulette russe, et M. Aubert de martingale : j’y vois un double signe sémantique. La phrase que le texte propose d’introduire est courte, claire, et comporte des verbes forts, ce qui me semble plus efficace qu’une formulation aux effets aléatoires. En l’espèce, comment définir une régression ? Qui jugera qu’une régression est avérée ? Les scientifiques seront-ils d’accord ? La communauté scientifique sera-t-elle divisée ?

Madame Batho, je vous entends claquer des doigts, mais je n’ai pas achevé mon propos. La Constitution, dont je suis le garant en ma qualité de garde des Sceaux, ne peut pas inclure une disposition aux effets aléatoires. Que vous le vouliez ou non, la notion même de régression relève de notre subjectivité, laquelle n’a pas sa place dans un texte constitutionnel.

La Commission rejette successivement les amendements CL69, CL37 et CL9.

Puis elle examine l’amendement CL41 de M. François-Michel Lambert.

M. François-Michel Lambert. Il prévoit de compléter l’article 6 de la Charte de l’environnement par la phrase suivante : « Elles sont conformes à l’objectif de lutte contre le changement climatique ». Il procède du même esprit que mes amendements précédents. L’exigence demeure inchangée : il s’agit de parvenir à un équilibre entre la Charte de l’environnement et la modification de l’article 1er de la Constitution.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. J’émets un avis défavorable pour les raisons exposées précédemment. En outre, il ne semble pas opportun de nous lancer dans une modification de la Charte de l’environnement, qui est intégrée au bloc de constitutionnalité. Cela pourrait ouvrir la voie à de nombreuses modifications. Le projet de loi qui nous est soumis à vocation à être adopté directement par le peuple français, par voie référendaire. Dans sa version initiale, il est clair et compréhensible par tous. Il ne me semble pas nécessaire de le rendre complexe.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis défavorable.

Mme Delphine Batho. Bien entendu, le garde des Sceaux est libre de ses propos. Les parlementaires, quant à eux, sont en droit d’obtenir des réponses s’ils posent une question précise. J’ai posé une question précise : comment pouvez-vous opposer l’écologie et la santé ? Je n’ai pas eu de réponse.

Par ailleurs, veuillez me pardonner d’avoir bondi, monsieur le garde des Sceaux, mais je suis au regret de dire que les réalités du changement climatique et de l’extinction du vivant ne sont ni aléatoires ni subjectives, et qu’elles font l’objet d’un consensus implacable au sein de la communauté scientifique. La question de savoir s’il y a régression ou non se tranche à cette aune.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Madame Batho, ce procédé n’est pas correct. Vous ne ferez pas de moi un climatosceptique au motif que j’ai dit que la notion de régression est aléatoire. Voyez-vous, les mots ont un sens. Introduisons le débat sur le nucléaire, vous constaterez que les députés ne sont pas tous d’accord ! Il en ira de même au sujet de la notion de régression. Pour ne pas heurter votre sensibilité, j’ai pris d’autres exemples ; j’ai ainsi fait observer que la réforme de la partie législative du code de justice pénale des mineurs était pour certains un immense progrès, et pour d’autres une régression. Sur le terrain économique, je suis assez fier de ce que fait le Gouvernement, j’en suis même très fier, mais d’autres considèrent qu’il ne fait pas ce qu’il faudrait faire. En démocratie, il n’existe pas un seul sujet qui ne fasse pas l’objet de divergences. Tel sera donc le cas de la notion de régression. Or je dis que la Constitution ne peut se permettre l’aléatoire. Vous avez repris frénétiquement la parole pour dire qu’on ne pouvait pas contester certaines choses, que d’ailleurs je n’ai pas contestées – ne faites pas de moi un climatosceptique, je n’en suis pas un.

Quant à votre question, vous avez raison de dire que je n’y ai pas répondu. Imaginons qu’une crise sanitaire inédite et dévastatrice nous frappe demain. Il serait alors nécessaire que le législateur prenne des mesures de protection immédiate des populations, telles que la décontamination du territoire à grande échelle. Ne pensez-vous pas qu’elles auraient des effets sur l’environnement à long terme ? Voulez-vous museler le législateur et le Gouvernement par des positions trop rigides ? C’est un exemple – je pourrais en citer bien d’autres. Bien entendu, il ne s’agit pas d’opposer environnement et protection de la santé ; ces deux notions vont même de pair. Mais, dans certaines situations, le législateur et le Gouvernement doivent pouvoir recouvrer toute leur liberté.

M. Matthieu Orphelin. Soyons attentifs, les uns et les autres, aux mots que nous utilisons. Monsieur le garde des Sceaux, j’ai été un peu choqué de vous entendre dire que Delphine Batho parle « frénétiquement ». D’après le dictionnaire, la frénésie désigne un état d’exaltation violente ou une violence extrême. Rien de tel en l’espèce.

Par ailleurs, nous allons examiner soixante-dix-sept amendements, ce matin. L’un d’entre eux fera-t-il l’objet d’un avis favorable de la Commission ou du Gouvernement ?

M. François-Michel Lambert. J’aimerais revenir sur le fond de l’amendement, après ces quelques passes d’armes et ces jolis claquements de doigts.

Monsieur le rapporteur, je ne comprends pas la position consistant à dire qu’il ne faut absolument pas toucher à la Charte de l’environnement. Vous semblez considérer que les Français prendront la mesure de la modification de l’article 1er de la Constitution, alors même qu’il serait extraordinaire d’en trouver un sur cent qui le maîtrise dans sa forme actuelle, et qu’ils ne comprendraient pas que l’on modifie la Charte de l’environnement. Ou bien j’ai mal compris votre réponse, ou bien il faut conserver l’équilibre trouvé dans la construction de la Constitution. Si l’article 1er évolue et inclut désormais la lutte contre le changement climatique, la Charte de l’environnement doit évoluer à l’unisson. À défaut, le texte sera bancal, ce qui me laisse sceptique sur la façon dont les juges se prononceront.

M. Julien Aubert. Je rappelle que l’écologie n’est pas une religion. On ne peut pas aborder la lutte contre le réchauffement climatique comme s’il s’agissait d’un dogme du Vatican. Même si nous avons une croyance partagée, l’écologie est une politique comme les autres. Les moyens pour parvenir à un résultat doivent faire l’objet d’une discussion, sans que l’expression d’un désaccord avec la pensée officielle vous expose à être traité de païen, comme au Moyen-Âge, et traîné sur un bûcher médiatique. Telle est parfois l’impression que j’éprouve en entendant dire qu’il faut se méfier de la démocratie, et que les Français ne sont pas capables de répondre à une question. Je rappelle que nous avons bâti la démocratie, depuis les Lumières, pour échapper à des gens qui, en chaire, affirmaient qu’il y a une vérité révélée et vous faisaient finir au cachot en cas de désaccord. Ne nous livrons pas à une régression démocratique. Sur ce point, je suis d’accord avec M. le ministre, une fois n’est pas coutume.

En revanche, nos opinions divergent sur l’amendement dont nous débattons. M. François-Michel Lambert règle le problème auquel nous nous sommes heurtés au tout début de ce débat. Vous nous aviez expliqué qu’on pouvait invoquer les articles mais pas les considérants de la Charte de l’environnement dans une question prioritaire de constitutionnalité. Or l’amendement porte sur l’article 6 de la Charte de l’environnement. Nous pouvons donc très bien atteindre l’objectif de lutter contre le changement climatique en l’adoptant. Faute d’argument juridique à lui opposer, M. le rapporteur et M. le ministre se sont contentés d’exprimer un avis défavorable. Circulez, il n’y a rien à voir !

Monsieur le garde des Sceaux, en quoi la solution que vous proposez apporte-t-elle une plus-value ?

M. Rémy Rebeyrotte. Je partage les propos de M. le garde des Sceaux. Il n’est pas climatosceptique, moi non plus. Je soutiens le présent projet de loi qu’il présente. La Charte de l’environnement est un texte important, qui fait partie du bloc de constitutionnalité.

Toutefois, si nous rouvrons la discussion à son sujet, quid du débat que nous devrions avoir sur le maintien du principe de précaution ? Depuis quinze ans, son application, prévue à l’article 5, soulève de vraies questions, dans une société qui doit forcément innover, prendre des risques, chercher et rechercher, notamment pour réussir sa transition écologique. On ne peut pas réussir une telle mutation de notre économie et de notre société sans innover ni prendre des risques.

Je suis de ceux qui demandent un réexamen rapide du principe de précaution, pour innover et faire avancer à nouveau notre pays. Récemment encore, nous avons eu l’exemple d’innovations venues d’ailleurs, ce qui m’exaspère profondément. Je préférerais que la France soit à l’origine d’innovations compatibles non seulement avec la transition écologique, mais aussi avec le progrès.

Mme Danièle Obono. Monsieur le rapporteur, si j’ai bien compris, vous avez répondu à notre collègue François-Michel Lambert qu’il fallait s’en tenir à une formulation simple et que, si nous amendons trop le texte, les gens ne s’y retrouveraient plus. Je rappelle que nous avons ce débat parce que le Président de la République a décidé de l’ouvrir. Vous ne pouvez donc pas faire grief aux parlementaires que nous sommes de vouloir le mener à son terme, et de ne pas se contenter de l’ajout de trois mots. Par ailleurs, les citoyens et les citoyennes ont démontré à plusieurs reprises qu’ils pouvaient s’emparer de textes très complexes, dès lors que l’enjeu était clair et la décision suivie d’effet. Tel a été le cas, par exemple, lors du référendum de 2005.

Monsieur le ministre, il ne s’agit pas de vous qualifier de climatosceptique, mais de rappeler que les enjeux climatiques reposent non sur des éléments aléatoires, mais sur un consensus scientifique construit depuis plusieurs décennies et très largement partagé, même s’il y a toujours des scientifiques pour le remettre en cause. Ce qui est vrai, c’est que le principe de non régression, comme tous les principes, y compris ceux qui figurent dans la Constitution, est subjectif. Ainsi, la façon dont nous considérons la notion de liberté ou les droits sociaux, qui sont inscrits dans la Constitution, est aléatoire, au sens où elle dépend de notre sensibilité politique. Cela n’a pas empêché leur inscription dans la Constitution, qui est une question de rapport de force politique. Par conséquent, votre objection selon laquelle l’adoption de certains amendements mettrait en péril la solidité du socle constitutionnel ne tient pas. En fonction du rapport de force dans lequel nous sommes, nous irons vers une véritable transition écologique ou vers un simple effet de communication à visée électoraliste, comme nous craignons que le Président de la République et la majorité n’en aient l’intention.

M. Christophe Euzet. Ce débat est important et sensible. Il porte sur un sujet crucial. La perception de ce projet de loi peut être différente. Pour ma part, j’y vois une avancée significative dans la préservation de l’environnement et dans la poursuite des objectifs que nous visons. Il serait préjudiciable et risqué de surcharger le texte.

Par ailleurs, je souscris aux propos de Rémy Rebeyrotte. Lorsque l’on est constitutionnaliste, ce qui est mon cas, et qu’on a travaillé avec un tant soit peu d’attention sur le principe de précaution depuis son intégration dans l’ordre normatif, on est conscient de la menace assez significative de paralysie de l’action publique que l’introduction du principe de non-régression dans la Constitution aurait indubitablement pour effet de renforcer, en renouvelant l’incertitude du droit positif.

Plusieurs d’entre nous se sont inquiétés de la confiance que l’on peut avoir dans le peuple. Je considère quant à moi qu’il a fait preuve d’une grande sagesse dans la rédaction qu’il a proposée, selon laquelle la République française « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». Cette formulation me semble raisonnable. Je ne partage pas l’inquiétude de ceux qui s’émeuvent, comme notre collègue Aubert, des difficultés de définition qu’elle peut poser. Le juge est appelé à faire une interprétation circonstanciée des textes, dans un domaine donné. En revanche, je le rejoins sur un point : il y a un risque à poser des dogmes indépassables au respect desquels nous serions irrémédiablement tenus, et les générations futures après nous.

M. Matthieu Orphelin. Faut-il inscrire la référence au changement climatique dans la Charte de l’environnement, où elle ne figure pas, ou à l’article 1er de la Constitution ? Le débat est ouvert puisque les deux ont valeur constitutionnelle. Ce qui m’a fait opter pour la seconde possibilité c’est le risque que certains tentent de profiter d’une introduction dans la Charte de l’environnement pour l’amoindrir. Cela relève de positions politiques que je respecte, mais que je ne partage en rien. Il en est ainsi de celle exprimée par notre collègue Rebeyrotte et saluée par beaucoup d’autres. Voilà les menaces auxquelles nous sommes confrontés !

Nombreux ont été ceux qui ont tenté de faire échouer la Charte de l’environnement mise en œuvre par une majorité de droite. Je déduis des propos de notre collègue Rebeyrotte que beaucoup vont essayer d’affaiblir le principe de précaution, au motif qu’il entrave l’innovation. Je suis radicalement opposé à cette vision, comme à celle qui consiste à dire qu’il menace l’action publique. Il ne faut donc pas rouvrir le débat sur la Charte de l’environnement pour éviter d’affaiblir le principe de précaution, qui n’est en rien incompatible avec l’innovation et l’action publique, mais constitue bel et bien une nouvelle ligne de fracture idéologique avec les députés LaREM. Les propos que j’ai entendus à ce sujet me font froid dans le dos.

M. Sylvain Waserman. J’aimerais faire part de ma perspective personnelle sur notre débat. Il y a, me semble-t-il, quelque chose de fondamental et de vertigineux, au sens positif du terme, dans le texte que nous examinons.

Nous nous apprêtons à affirmer que la France garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique – autant de sujets qui nous tiennent à cœur. Le mérite de l’innovation qu’a été la Convention citoyenne pour le climat réside dans la clarté et la simplicité. Nous débattons de l’inscription, dans notre loi fondamentale, de ce principe. Nous allons droit au but !

À la lecture du texte, mes cours de légistique me sont revenus en mémoire, et l’entreprise m’a semblé vertigineuse. Ce que nous faisons n’est pas anecdotique. Il s’agit d’un saut kantien, et non d’un peaufinage ou d’un habillage. Pour ce faire, nous modifions l’article 1er de la Constitution. Certains orateurs, notamment M. Aubert, considèrent que la modification de la Charte de l’environnement suffirait. Tel n’est pas le cas.

Nous nous apprêtons à franchir une étape majeure. Faisons-le dans la clarté et la simplicité ! N’essayons pas de trouver des voies détournées en convoquant le principe de non-régression ou en proposant l’ajustement de quelques passages de la Charte de l’environnement ! Faisons ce saut, certes vertigineux, mais qui s’impose ! Il est majeur et déterminant. Allons droit au but !

M. François-Michel Lambert. Belle tirade de notre collègue Rebeyrotte, qu’il a achevée en suggérant que le progrès ne peut être contesté ! Quant à vous, monsieur le ministre, vous avez affirmé avec force, à grand renfort d’arguments, que la définition du principe de non régression dépendait du point de vue où l’on se place, et qu’elle n’était pas toujours solide du point de vue juridique et constitutionnel.

Le progrès est-il un élément de force et de puissance indépassable ? Tel qu’il est défini par certains, est-il par essence positif ? Cher collègue Reyberotte, je vous invite à lire ou à relire Ravage, publié par René Barjavel en 1943. Vous y trouverez des notions sur le progrès. Il est indéniable que nous devons être attentifs, en commission des Lois, s’agissant de la modification de la Constitution, à ne pas utiliser de tels arguments.

Je ne comprends pas qu’il soit impossible d’ouvrir le débat sur la Charte de l’environnement et de la mettre en conformité avec nos objectifs. Pour ma part, je n’ai jamais critiqué la modification de l’article 1er. L’amendement CL41 vise uniquement à la renforcer, en prévoyant la même disposition dans la Charte de l’environnement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Je remercie M. Waserman, qui a remis les pendules à l’heure. Nous allons débattre, et c’est bien normal, mais qui ici peut affirmer que le présent projet de loi ne constitue pas une avancée majeure ? L’État s’engage comme il ne l’a jamais fait.

Pour répondre à M. Orphelin – mais il est parti –, j’ai craint, en l’entendant citer le dictionnaire, d’être allé trop loin. Certes, nous ne sommes pas à l’Académie française, mais j’ai moi aussi consulté le dictionnaire en ligne, et constaté que « frénétiquement » a pour synonyme « passionnément », ce qui me convient parfaitement. J’aurais choisi cette définition si l’on m’avait permis de m’expliquer plus avant sur ce choix de vocabulaire. Je m’apprêtais à présenter des excuses, mais il me semble que l’adverbe « passionnément » ne devrait choquer personne. Nous avons raison d’être passionnés sur ces sujets.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine les amendements identiques CL10 de Mme Delphine Batho et CL33 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Delphine Batho. Avec passion, donc, mais en déplorant que les débats de vocabulaire portent sur les interventions des députées et non sur celles de leurs collègues masculins !

Soyons clairs : le projet de loi, en l’état, ne permet pas de progrès significatif du droit constitutionnel en matière de lutte contre le changement climatique ou de préservation de l’environnement. Le vrai progrès consisterait à inscrire dans la Constitution le principe d’amélioration constante. À ce sujet, il faut lever une incompréhension : l’amélioration constante s’entend par rapport à l’état des connaissances scientifiques. Il s’agit donc d’une obligation de résultat et non d’une obligation de moyens, qui rendrait intangible la législation.

L’amendement CL10 vise à modifier l’article 1er de la Constitution, qui caractérise la République française comme « une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », en précisant qu’elle est aussi « écologique ». Cette affirmation politique est importante s’agissant de la définition de la nation française au XXIe siècle.

M. Gérard Leseul. L’amendement CL33 a déjà été proposé par mon groupe dans le cadre de l’examen du projet de réforme constitutionnelle de 2018. Je ne ferai pas référence aux débats pseudo-scientifiques sur la vaccination ni aux débats théologiques que mes collègues évoquaient tout à l’heure. Mais, dans un texte que vous souhaitez court et dans ce monde où tout est subjectif et symbole, il semblerait utile de renforcer la portée symbolique du texte, pour y introduire très clairement cette dimension écologique. Ce serait une avancée majeure et une affirmation politique forte qui donnerait un sens à l’ensemble de la proposition de modification constitutionnelle. Il faut rester dans la clarté et la simplicité, comme le souhaite le Gouvernement dans cet article. Notre proposition est simple et claire et mérite d’être adoptée.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Je comprends l’objectif et la philosophie de vos amendements. L’idée que la France serait non seulement « une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » mais également « écologique » est philosophiquement et politiquement très forte. Au fond, c’est ce que nous faisons dans le texte que nous examinons aujourd’hui, en garantissant la préservation de l’environnement, de la diversité biologique et la lutte contre le changement climatique. Le problème de votre proposition, c’est que vous introduisez un terme qui est symboliquement très fort mais qui n’emporte aucun contenu. Je préfère intégrer dans la Constitution un véritable engagement de la France à garantir ces principes plutôt que d’avoir une déclaration sans réel contenu. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Le Gouvernement ne souhaite pas changer la définition de la République. Puis comment définir ce qu’est la « République écologique » ?

Madame Batho, souvent à l’Assemblée nationale, je tiens des propos assez durs à l’encontre de députés hommes – n’est-ce pas, monsieur Aubert ? – mais toujours courtois. Vous n’êtes pas l’arbitre des élégances et je ne veux pas me laisser enfermer là où vous le souhaiteriez. J’aurais pu dire à n’importe quel autre député homme qui claquait des doigts que c’était frénétique. Aussi, arrêtons avec ce sujet. Nous ne nous connaissons pas, je le regrette. La porte de la Chancellerie est ouverte. Mais pas de préjugés, madame, sûrement pas ! Cela suffit. Je ne suis pas climatosceptique. Je n’ai aucune opposition contre les femmes ni contre les femmes en politique. Le débat que nous avons aujourd’hui mérite autre chose que cela. Je me suis simplement permis de répondre à M. le député Orphelin, qui vient de revenir, que j’avais fait comme lui et que j’avais vu, dans un dictionnaire, que l’un des synonymes proposés pour « frénétiquemement » était « passionnément ». C’était un petit clin d’œil que je vous adressais et en aucun cas une agression.

Avis défavorable.

M. Julien Aubert. Nous ne sommes pas à l’Académie française et, monsieur le ministre, vous venez de le réaliser. Néanmoins, le débat sémantique que nous avons montre bien le travers du texte : à force de débattre des mots, on en oublie l’action. C’est ce qui me gêne dans cet amendement. J’ai l’impression que, à défaut d’avoir une emprise sur le réel et au lieu de se demander comment nous pourrions financer six EPR ou garantir la stabilité du réseau électrique ou encore pourquoi nous avons des myriades d’études promettant 100 % d’énergies renouvelables, alors que ce n’est pas possible techniquement, on se fait plaisir en donnant dans le symbole. On mouline du symbole. Ce n’est pas tant la République écologique que celle du sens qu’on veut donner. Je ne suis pas certain que changer les mots ait un véritable effet sur la réalité. Au contraire, nous devrions plutôt agir sur le réel, à la suite de quoi les mots viendraient. Nous pouvons, nous aussi, jouer au jeu du plus grand symbole ! Pourquoi ne pas modifier la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, pour dire que « tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits et protègent et garantissent l’environnement » ? Est-ce que cela réduirait d’un iota nos émissions de CO2, lesquelles tendent, certaines années, à augmenter malgré nos efforts ? Non. Le Parlement vote des lois pour avoir des résultats. Ce n’est pas une commission de l’Académie française pour discuter de la variation des mots.

M. Arnaud Viala. La question posée par l’amendement ouvre un champ infini. Si la République doit être écologique, elle doit aussi être économique, agricole, et ainsi de suite. Notre réflexion doit porter sur les moyens d’atteindre un objectif de préservation de l’environnement. On ne peut pas caricaturer ceux, parmi lesquels je me trouve, qui ne veulent pas que l’on introduise ce terme à l’article 1er de la Constitution, en disant qu’ils ne veulent pas agir en faveur de l’environnement. C’est déplacer le débat là où il ne doit pas être.

Mme Delphine Batho. Je souhaite faire un rappel au règlement, parce que cela devient franchement inconfortable et gênant ! (Exclamations.)

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Il n’y a pas de rappel au règlement en commission.

Mme Delphine Batho. En tant que femme politique, en tant que députée, je voudrais que l’on parle de ce que je dis, de mes arguments, et qu’il n’y ait pas de commentaires sur des comportements ou des attitudes. Monsieur le garde des Sceaux, cela fait plus de dix ans que je suis députée de la République française. Il est de coutume, dans l’hémicycle, comme en commission, de claquer des doigts simplement pour appeler l’attention de la présidence, lorsque l’on demande la parole. (Exclamations.)

Deuxièmement, monsieur le ministre, c’est la première fois de ma vie de parlementaire que j’ai ce type d’échange sur des éléments de vocabulaire me concernant avec un membre du Gouvernement. Vous avez le droit au respect, j’ai le droit au respect aussi. J’ai donc le droit d’exposer mes arguments sans qu’ils soient qualifiés de frénétiques. Cela revient, en gros, comme à chaque fois pour les femmes politiques, à être traitée d’hystérique.

Sur le fond…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Vous n’avez plus que vingt secondes pour le fond, madame Batho, malheureusement.

Mme Delphine Batho. J’aurai vingt secondes pour le fond, madame la présidente, mais c’était un rappel au règlement.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Il n’y a pas de rappel au règlement en commission, madame Batho.

Mme Delphine Batho. Bien sûr que si !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Et en commission des Lois, on ne claque pas des doigts !

Mme Delphine Batho. Madame la présidente, j’ai été membre de votre commission bien avant que vous n’en soyez présidente ! (Exclamations.)

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mais aujourd’hui vous n’en êtes pas membre, madame Batho. Et c’est effectivement moi qui préside. Les collègues pourront vous expliquer qu’en commission des Lois il n’y a pas de rappel au règlement et que personne ne claque des doigts, parce que je suis attentive et que je donne la parole à tout le monde, ainsi que je le fais depuis neuf heures et demie, avec dix ou quinze intervenants par amendement et des dépassements systématiques de temps, notamment de votre part. Ne vous plaignez pas d’être mal traitée en commission des Lois, car ce n’est pas le cas et que j’y veille particulièrement !

Mme Delphine Batho. Votre intervention était une grande preuve de sororité, madame la présidente !

Sur le fond, l’argument du garde des Sceaux selon lequel on ne pourrait pas compléter l’identité de la République française ne me paraît pas recevable. Cette identité s’est construite dans l’Histoire, avec des étapes. Aujourd’hui, il faut en franchir une nouvelle, ce qui n’enlève rien à la définition mais la complète et la prolonge.

M. Matthieu Orphelin. Merci, monsieur le garde des Sceaux, d’avoir eu la délicatesse et l’élégance de signaler que je m’étais absenté cinq minutes. (Exclamations.) Vous n’avez pas répondu à ma question : combien d’amendements vont recevoir un avis favorable du Gouvernement et du rapporteur ? La réponse, nous le savons, c’est zéro. Je crois, comme vous, qu’il faut changer l’article 1er de la Constitution. Néanmoins, la méthode n’est pas bonne. Étant donné qu’aucun amendement ne sera adopté aujourd’hui, je vous propose que le Gouvernement entame des concertations avec le Sénat pour savoir ce qu’il est prêt à accepter dans cette réforme, afin d’envisager sereinement la suite. Nous n’allons pas entrer dans votre stratégie politique. Quel intérêt de pouvoir dire que l’Assemblée a voté un « super » texte, mais que les « méchants » du Sénat n’en ont pas voulu et qu’ils sont contre l’environnement ? Nous n’avons pas de temps à perdre. Changez de méthode, si vous voulez que cette réforme aille au bout.

M. Erwan Balanant. Je suis assez triste de la teneur de nos débats, qui sont assez inhabituels dans notre Commission, où nous menons habituellement un travail de fond, serein, parfois agité mais jamais sur les personnes et toujours sur le sujet. Il est dommage que nous en soyons là aujourd’hui. C’est aussi un manque de respect vis-à-vis des 150 citoyens qui ont travaillé et à l’égard du débat que nous devons à cette question très importante. Je respecte le texte des citoyens. Je l’amende parce que je suis parlementaire et que j’ai un certain nombre de préoccupations sur plusieurs de ces sujets. Alors que les débats partent dans tous les sens, j’aimerais que nous essayions de retrouver un peu de sérénité et de travailler sur le fond au lieu d’être dans l’invective. Il est regrettable que les effets de la période électorale se fassent sentir dans notre débat.

M. Gérard Leseul. Nous avons en effet besoin de discuter sur le fond. Mais puisque cela, comme certains collègues en ont le sentiment, nous conduit à ne changer aucune virgule et à ne pouvoir ajouter ni soustraire le moindre qualificatif de cette phrase, la tenue de nos débats s’en ressent. Au-delà du symbole, ce sont des mesures concrètes qui ont été refusées, concernant la non‑régression, par exemple. Vous ne voulez pas de mesures concrètes. Nous vous proposons une affirmation politique forte, conforme à l’objet de vos discussions et de votre projet. Je ne comprends pas pourquoi vous vous obstinez à le refuser.

M. François-Michel Lambert. J’ai dit au tout début de notre réunion que je venais dans la « commission des lumières ». J’ose espérer que cet instant n’est qu’un nuage esseulé et un peu perdu qui, comme un navire sur les océans, vogue et ne fait que passer. Que ce serait positif si nous étions capables d’inscrire dans la Constitution « sociale et écologique » ! Contrairement à ce que disent certains, « écologique » n’est pas au même niveau que « agricole » ou « économique ». C’est l’essence même de notre vie. C’est l’essence même de ce que nous sommes, de ce que nous touchons, de ce que nous respirons. Avancer, faire ce progrès que d’autres ont fait serait un message d’une dimension autre que ce qui nous est proposé dans cet article.

Mme Émilie Guerel. Monsieur Orphelin, je vous rappelle que nous ne sommes pas là pour régler des comptes. En grand défenseur de la démocratie que vous êtes, laissez vivre un débat primordial, notamment pour notre jeunesse. Vous verrez bien à son issue quels amendements auront été adoptés. Madame Batho, je tiens à vous rassurer : votre proposition est très forte. Mais nous y sommes défavorables car ce que nous faisons en complétant l’article 1er de la Constitution, c’est garantir un véritable engagement de la France en matière de préservation de l’environnement, ce qui n’a jamais été fait par un gouvernement. Je vous invite donc à voter avec nous pour cette réforme constitutionnelle, qui satisfera, je l’espère, une passionnée d’écologie comme vous.

La commission rejette ces amendements.

Elle examine l’amendement CL6 de Mme Delphine Batho.

Mme Delphine Batho. Dans la révision constitutionnelle qui n’est pas allée à son terme, en 2018, un amendement avait été adopté à l’unanimité, visant à supprimer le mot « race » de l’article 1er de la Constitution et à ajouter « sans distinction de sexe ». Même si ce n’est pas l’objet initial du projet de loi, cela me semble pertinent dans la mesure où, d’une part, on est en train de réformer l’article 1er de la Constitution et, d’autre part, l’amendement équivalent à celui que je présente avait été adopté à l’unanimité et qu’il apparaissait à l’ensemble des groupes comme un changement nécessaire. Ce changement n’empêche nullement de combattre le racisme et ne remet nullement en cause toutes les lois qui font du racisme un délit.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Cet amendement avait en effet trouvé un assentiment assez large en 2018. Mais, comme chacun a pu le mesurer, nous ne sommes pas ici pour mener à nouveau la réforme constitutionnelle de 2018. Nous sommes convoqués pour un objectif extrêmement précis : donner suite à la proposition de la Convention citoyenne pour le climat, qui vise à réviser l’article 1er de la Constitution dans des termes bien spécifiques. Ce n’est pas le moment de multiplier les combats, si légitimes soient‑ils. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Le Gouvernement n’est évidemment pas favorable à cet amendement, dès lors que l’objet du projet de loi constitutionnelle est la protection de l’environnement, comme vous l’avez dit, madame la députée.

Je voudrais dire, une fois pour toutes, un petit mot sur les débats qui nous ont animés. Le Président de la République s’est engagé pour la protection de l’environnement comme personne ne l’a fait et on comprend que cela puisse gêner. Mais de là à s’en prendre à la méthode... Je ne suis pas responsable de la méthode, monsieur Orphelin. Je suis devant la commission des lois, où je réponds aux questions que vous me posez. Sans doute n’êtes-vous pas toujours satisfait de mes réponses, mais on ne va pas remettre en cause la méthode. Pardonnez-moi de vous dire que si vous avez la liberté d’amender un texte, j’ai celle de ne pas être d’accord avec un amendement, deux amendements voire tous les amendements. Le débat fera naître un certain nombre de choses, j’en suis convaincu. Je suis un homme de discussion. Mais prétendre que nous avons choisi la méthode et qu’elle serait fort peu démocratique ! Il y a des gens qui nous écoutent et que ce débat passionne. Je leur dis deux choses : le Président de la République s’est clairement engagé, ce qui gêne politiquement un certain nombre de ses opposants ; nous n’avons pas choisi une méthode particulière – je suis souvent venu devant la commission des lois et j’y serai chaque fois qu’un texte sera présenté.

M. Matthieu Orphelin. Monsieur le ministre, je ne m’en prends pas à la méthode. Tant mieux si nous y arrivons. On applaudira tous ceux qu’il faut applaudir, ne vous inquiétez pas. Ce texte passera en séance les 9, 10 et 11 mars. Je vous suggère donc – mais je sais bien que c’est vous qui êtes aux manettes – de faire une concertation avec le Sénat, dès la semaine prochaine, pour savoir ce qu’ils sont prêts à accepter. Je ne m’en prends pas à votre méthode, mais je vous en propose une alternative pour faire en sorte que cette réforme aboutisse. Si jamais le Sénat vous dit la semaine prochaine qu’il est prêt à adopter le texte, dans ce cas-là, on peut accélérer. De grâce, sortons de cette caricature selon laquelle à l’Assemblée il y aurait des gentils et au Sénat des méchants. Ce que je veux, c’est que cette réforme aille au bout – nous nous sommes battus avec Nicolas Hulot et d’autres parlementaires pour cela – et non pas faire de l’affichage avec l’écologie.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Il y a des gens qui nous regardent et que ce sujet passionne – je reprends ce verbe qui n’est en rien délétère ou péjoratif. Vous dites « changez votre méthode », mais ce n’est pas ma méthode. C’est bien comme cela que l’on présente un projet de loi constitutionnelle. Il faut être clair. Notre président a pris des engagements extrêmement forts et je sais que cela peut déplaire, je le redis, pour des raisons politiciennes qui, à mon avis, n’ont aucun intérêt au regard de l’apport du texte. Arrêtons avec l’idée qu’il s’agirait de la méthode du Gouvernement ! Si j’ai bien compris, vous avez le don de lire l’avenir, puisque vous savez déjà ce que nous allons faire de tous les amendements et que vous avez déjà une vision globale des choses.

Il faut d’abord débattre à l’Assemblée nationale, puis au Sénat. C’est la règle et non pas la méthode du Gouvernement. Les gens qui nous écoutent n’ont pas forcément comme vous la connaissance des procédures. C’est pourquoi je veux être clair : je ne veux pas que l’on pense que nous aurions escamoté quoi que ce soit, ou que notre méthode aurait à voir avec un quelconque tripatouillage. Je suis devant la commission des lois dans le cadre d’un débat démocratique. Ce « votre méthode » n’est pas digne de notre intérêt et peut être mal interprété. C’est la méthode ordinaire prévue par les textes pour présenter un projet de réforme constitutionnelle.

M. Julien Aubert. Je voudrais d’abord revenir sur la forme. Vous avez de drôles de manières, monsieur Orphelin, pour accélérer le débat ! Si vraiment vous êtes un allié du fond, votre technique est particulièrement fine, parce que je n’ai pas encore compris votre point d’arrivée. Vous avez fait preuve d’une très grande innovation constitutionnelle, avec l’autocensure préventive. (Sourires.) Jusqu’ici on connaissait le parlementaire qui ne vote pas la loi parce qu’il a peur d’être censuré par le Conseil constitutionnel. Vous introduisez une deuxième disposition : désormais, on ne vote plus la loi de peur de ne pas être suivi par le Sénat. (Sourires.) Monsieur le ministre, je pense que vous auriez dû commencer par déposer le texte au Sénat. On aurait peut-être gagné du temps ! Les débats de début de mandat à La République en marche devaient être vifs… Moi qui ai longtemps cru que Les Républicains étaient une famille composite, vous battez tous les records.

Sur le fond, j’entends bien les débats sur les mots. Mais nous avons eu le même débat tout à l’heure. En 2018, année au cours de laquelle nous avons débattu de la suppression du mot « race » dans la Constitution, 496 actes à caractère raciste et xénophobe ont été constatés en France. En 2019, il y en a eu 1 142. Dans le même temps, en 2018, il y a eu 541 faits à caractère antisémite ; en 2019, 687. La réalité, c’est que pendant que le Parlement discute des mots, les actes sont en augmentation. Aucune modification de mot ne viendra prévenir cette montée. Je ne dis pas qu’elle est inutile, mais que nous ferions mieux de consacrer du temps parlementaire à trouver les moyens d’endiguer cette progression du racisme plutôt que de nous faire plaisir en ayant l’impression de résoudre le problème en modifiant quelques mots.

M. Philippe Gosselin. On ne refait pas le match de 2018. Même si le sujet est d’importance, personne ne peut se satisfaire de la progression des actes de racisme. Mais il faudrait être bien naïf pour croire qu’il suffirait de retirer quelques mots de la Constitution pour que, par magie, les faits eux-mêmes disparaissent. Je ne fais de procès en naïveté à personne. Appliquons peut-être une autre politique pénale ou d’autres mesures. Mais ce n’est pas le changement de Constitution, accompagné d’une pétition de principe, qui résoudra la situation.

Revenons au principe de l’entonnoir. La révision constitutionnelle, certes, ne lie pas le pouvoir constituant – et c’est heureux. Il n’y a pas d’irrecevabilité possible et on ne peut pas parler de cavalier. Mais cet amendement ramène une écurie complète ! Ici, on est un peu à cheval sur les principes. Mieux vaut donc en rester aux questions environnementales, qui présentent de nombreuses nuances et subtilités. Hâtons-nous lentement, mais n’ajoutons pas d’autres sujets pour lesquels il y aura d’autres quinquennats.

M. François-Michel Lambert. Monsieur le ministre, sur le fond, nous avions adopté ces évolutions extrêmement symboliques à l’unanimité en 2018. Pour quelle raison l’unanimité et l’urgence qui prévalaient en 2018 n’auraient-elles plus de valeur en 2021 ? Par ailleurs, nous attendons toujours le point d’orgue de la grande cause du quinquennat autour de l’égalité femme‑homme, et peut-être était-ce d’inscrire ces quelques mots dans la Constitution.

Sur la forme, autant je comprends que M. le ministre soit dans son rôle lorsqu’il défend son projet de loi, autant je ne comprends pas, monsieur le rapporteur, que vous ne permettiez pas aux parlementaires d’ouvrir les champs qu’ils souhaitent face au texte du Gouvernement. Vous ne pouvez pas dire, d’un côté, que nous sommes libres et, de l’autre, que nous n’avons pas les marges, que nous autorise la Constitution, pour intervenir comme nous l’entendons. Le Gouvernement est à sa place ; nous sommes à la nôtre.

Mme Delphine Batho. Je n’ai jamais prétendu que mon amendement allait régler les problèmes de racisme. Faut-il changer la deuxième phrase de l’article 1er de la Constitution pour supprimer le mot « race » et ajouter « sans distinction de sexe » ? La réponse est oui. Nous l’avions voté à l’unanimité. Il se trouve que nous sommes en train d’examiner un projet de loi constitutionnelle qui ajoute une phrase après la troisième phrase du même article 1er. Le garde des Sceaux nous dit que l’objet de la révision constitutionnelle, c’est la Convention citoyenne et rien d’autre. Mais cette révision proposait trois changements de nature constitutionnelle : le défenseur de l’environnement, l’article 1er de la Constitution et le Préambule. Un choix a donc été opéré par le Gouvernement, qui a trié parmi les propositions de changement constitutionnel. De la même façon, le Parlement est libre de se dire que, puisque nous sommes en train de réformer l’article 1er de la Constitution, on procède aussi à ce changement. Même si on ne va pas reprendre toute la réforme de 2018, il nous semble que l’on peut en profiter pour faire ce changement consensuel et important.

M. Christophe Euzet. Soyons sérieux ! Il ne s’agit pas de méthode, monsieur Orphelin, mais de procédure de révision de la Constitution. L’Assemblée nationale vote, le Sénat aussi, et si le texte est voté en termes identiques, le Président de la République décidera s’il veut ou non convoquer le référendum ou soumettre le texte aux représentants du peuple en Congrès à Versailles. Il y a une procédure qui suit son cours et qui ne mérite même pas d’être discutée. Il n’est pas question d’introduire quoi que ce soit relevant d’une méthode individuelle.

Sur le fond, il ne faudrait pas qu’il reste de cette réunion que la commission des lois a refusé de supprimer le mot « race » de la Constitution. Il faut exprimer notre accord avec cet amendement sur le fond. En revanche, sur la forme, ce serait un « cavalier constitutionnel ».

J’aurai aussi un mot un peu critique à l’égard de nos collègues écologistes. Je les attendais sur ce texte et je pensais qu’ils allaient faire des propositions ambitieuses et pointues, alors qu’ils ne font que suivre banalement leur idéologie. Je les attendais sur l’aventure extraterrestre de l’humanité, puisqu’il est question de grands enjeux, sur le problème des nanotechnologies, sur le transhumanisme. Mais leurs dispositions sont très convenues : ajouter du texte au texte et un verbiage qui n’apporte rien.

M. Erwan Balanant. Je partage une partie des propos de M. Euzet – un peu moins ceux relatifs à la conquête spatiale. Mais j’ai du mal à comprendre la logique de Mme Batho. Tout à l’heure, elle nous disait que la question serait trop compliquée pour être tranchée par un référendum, qui a un aspect plébiscitaire. C’est précisément pour cela que l’on se tient, dans ce cadre, à la proposition des citoyens. Mes amendements concernent seulement le droit de l’environnement. Moi aussi j’ai défendu avec fougue cet amendement sur la suppression du mot « race » en 2018, mais ce n’est plus la question. Ajouter de nouveaux sujets risque de troubler le débat et de provoquer une mauvaise surprise lors du référendum. Restons-en au référendum initial.

M. Sylvain Waserman. Notre situation est paradoxale : nous sommes tous d’accord sur le fond avec cet amendement, et pourtant nous serons nombreux à voter contre. Mais nous n’en sommes pas à un paradoxe près : j’entends depuis ce matin des collègues en accord sur le fond et favorables à la méthode déclarer qu’ils vont voter contre car ils pensent que nous n’irons pas au bout de la méthode…

Le garde des Sceaux l’a clairement rappelé : nous sommes dans le cadre de la procédure législative qui s’impose. Ce qui fait la spécificité de la situation, c’est l’innovation démocratique : la Convention citoyenne a fait une proposition et nous sommes amenés, dans notre liberté souveraine et dans le respect des procédures, à faire un choix. Le mien sera de rester fidèle à la proposition des citoyens, mais chacun peut faire un choix différent – le fait majoritaire s’imposera. En tout cas, peut-être qu’au terme de ce processus, nous aboutirons à un changement de la Constitution.

Cela signifie qu’au plus haut niveau, nous aurons établi des circuits courts entre les citoyens et la décision publique. Comme le fait un maire de village lorsqu’il consulte à propos de la réfection de son trottoir, ou un député quand il travaille sur un texte de loi en associant les citoyens de sa circonscription. Nous essayons de rapprocher le citoyen de l’élaboration de la loi, ce qui entraîne une modification profonde du rôle de l’élu. Au plus haut niveau de la hiérarchie des normes, nous permettons à une voix citoyenne qui s’est exprimée de faire le parcours qui s’impose pour aboutir à une modification de la Constitution. C’est une véritable avancée démocratique.

Mme Danièle Obono. Je ne pense pas qu’ajouter ou retirer des mots de la Constitution fasse apparaître ou disparaître les problèmes par magie. Lors des débats constitutionnels, la proposition de supprimer le terme de « race » sans introduire l’interdiction fondamentale des discriminations racistes ou raciales avait créé un trouble, car on aurait ainsi retiré de la Constitution l’interdiction des discriminations.

Il est légitime de saisir l’opportunité offerte par ce débat de réforme constitutionnelle pour présenter d’autres modifications. Mais alors l’ensemble des propositions qui avaient été discutées doivent être réintroduites et il faut inscrire dans la Constitution l’interdiction fondamentale des discriminations, ainsi que des distinctions de sexe et de genres.

Je ne partage pas l’idée que le consensus était total. En effet, la suppression du terme de race, au motif qu’il était daté et problématique, aurait dû s’accompagner de l’interdiction fondamentale des discriminations raciales et racistes. Ne pas l’avoir fait, malgré les discussions en commission qui allaient en ce sens, a posé un problème. Si la discussion est rouverte, elle doit l’être dans son ensemble. Cette réforme constitutionnelle nous en offre l’occasion, nous sommes libres de le faire en tant qu’assemblée parlementaire.

Cet amendement me semble donc légitime sur le fond comme sur la forme, mais j’invite à reprendre le débat que nous n’avions pas mené jusqu’à son terme en 2018.

M. Pacôme Rupin. Le groupe de La République en marche est d’accord sur le fond de cet amendement, puisque nous l’avons voté à l’unanimité en 2018. Je rappelle que les oppositions ont tout fait pour que cette réforme constitutionnelle n’aboutisse pas, alors que l’objectif initial était de la faire adopter par le Congrès.

Aujourd’hui, nous sommes vigilants à maintenir l’intention de ce projet de loi constitutionnelle : demander aux Français, par référendum, s’ils veulent élever la préservation de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique au rang de principes constitutionnels, en les faisant figurer à l’article 1er.

Le choix des parlementaires de la majorité est de nous en tenir à cette question, et de faire en sorte que l’intention du Président de la République soit respectée. Le débat lors de la campagne référendaire doit uniquement porter sur les travaux de la Convention citoyenne sur le climat.

M. Matthieu Orphelin. Le feu nourri contre les écologistes de la part des groupes Les Républicains et La République en marche n’est pas inhabituel. Mais, monsieur le garde des Sceaux, j’ai été près de mal prendre votre remarque me prêtant des attitudes politiciennes. C’est certainement parce que nous ne nous connaissons pas suffisamment. Nous devons d’ailleurs nous rencontrer pour évoquer la prison d’Angers, car nous attendons que vous concrétisiez toutes les promesses que vos prédécesseurs ont faites depuis dix ans.

Vous avez raison, monsieur le garde des Sceaux, beaucoup de gens écoutent nos débats ce matin et souhaitent savoir si cette réforme va aller au bout. Il est bon de leur expliquer comment les choses se passent. Le rapporteur a sous les yeux un tableau, établi à l’issue d’une réunion de balayage réunissant les rapporteurs de la majorité et le Gouvernement, comme il s’en tient avant chaque discussion d’un projet de loi et c’est tout à fait normal. Vous savez donc, l’un et l’autre, quel avis sera donné sur chacun des amendements – d’où ma question précédente.

Par ailleurs, je crois qu’une incompréhension factice, utilisée pour forcer le clivage, est entretenue sur ce que j’entends par : « changer de méthode ». Je vais donner un exemple très simple qui concerne cette commission des lois : le Gouvernement a engagé une concertation sur la date des élections départementales et régionales avec toutes les forces politiques et a retenu le mois de juin après avoir constaté un consensus.

Oui, il est possible d’engager une concertation, de demander à tous les responsables des groupes politiques du Sénat jusqu’où ils peuvent aller, et s’ils sont prêts à reprendre la proposition des 150 citoyens. Ensuite, en fonction de cette réponse, vous pouvez présenter un texte à l’Assemblée nationale et au Sénat. C’est la méthode qui a été retenue pour le projet de loi relatif à la date des élections régionales et départementales, et elle a permis de trouver un compromis.

Vous préférez alimenter le clivage, mais ne me reprochez pas d’être politicien à propos de la modification de l’article 1er de la Constitution : je défends ces positions depuis 2017.

M. Sacha Houlié. M. Orphelin connaît bien la méthode puisque nous l’avons suivie ensemble. Une version dégradée de ce texte a été rédigée en juin 2018 dans le bureau de Nicolas Hulot, où nous étions présents M. Orphelin et moi. Nous avions écrit : « La France agit pour la protection de l’environnement, la préservation de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique. »

La réforme constitutionnelle n’a pas été à son terme, pour les raisons que l’on sait. Le deuxième texte proposé, en 2019, a repris la formule sur laquelle nous nous étions accordés avec le ministre de la transition écologique et solidaire de l’époque.

C’est la Convention citoyenne pour le climat qui a établi la formule dont nous discutons aujourd’hui. Lorsque nous les avions reçus, en présence d’autres députés, ses membres s’étaient inquiétés du sort de cette formule. Elle a été reprise, intégralement. Pourquoi ne pas s’en réjouir, monsieur Orphelin, et pourquoi ne pas participer aux discussions avec les sénateurs pour contribuer à l’adoption de cette formule ? Le blocage n’est pas à l’Assemblée nationale, puisque nous allons voter le texte comme le propose la Convention citoyenne. Nous pouvons difficilement trouver meilleur gage de notre bonne volonté, sinon de notre bonne foi.

Mme Delphine Batho.  Le projet de loi du Gouvernement a modifié le texte proposé par la Convention citoyenne. On peut considérer qu’il ne s’agit que d’une modification rédactionnelle, elle existe néanmoins. De plus, le Gouvernement a trié entre les trois propositions de révision constitutionnelle présentées par la Convention citoyenne.

Nous pouvons donc considérer, en tant que parlementaires, que nous sommes libres d’améliorer encore le travail de la Convention.

La commission rejette l’amendement.

Article unique

La commission examine, en discussion commune, les amendements CL47 de M. Loïc Prud’homme, CL11 de Mme Delphine Batho, CL2 de Mme Jennifer de Temmerman, et CL49 et CL48 de Mme Mathilde Panot.

Mme Danièle Obono. Nous souhaitons poser les fondamentaux indispensables pour nous engager dans la bataille écologique contre le changement climatique. Ceux-ci manquent encore même si, depuis trois ans, nous avons proposé un certain nombre d’amendements en ce sens et une résolution sur la question de la bifurcation écologique et solidaire.

Ce débat constitutionnel, même si nous doutons de la postérité du présent texte et de son impact, offre l’occasion de revenir sur ce qui nous semble fondamental : la planification de la bifurcation écologique. Il est nécessaire d’adopter une grande loi-cadre pour mettre en cohérence les enjeux environnementaux, démocratiques et sociaux des transformations que nous devons engager.

Nous devons faire évoluer en profondeur l’ensemble de nos modes de production, de consommation et d’échanges, pour faire face au changement climatique et nous y adapter, puisqu’il est d’ores et déjà engagé de manière irréversible. Il est absolument nécessaire de planifier ces changements en partant des réalités locales et en nous appuyant sur l’implication citoyenne des associations et des acteurs économiques et sociaux que sont les agriculteurs et agricultrices.

Afin de permettre cette stratégie d’ampleur, nous proposons d’inscrire un nouveau titre dans la Constitution sur la planification écologique.

Mme Delphine Batho. L’amendement CL11 propose une réécriture de l’article unique pour y mentionner la République écologique et le principe d’amélioration constante, dont nous avons déjà discuté.

J’aimerais que le garde des Sceaux et le rapporteur nous donnent leur interprétation de la phrase, notamment son sujet. Je propose la rédaction suivante : « La loi garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique, et assure leur amélioration constante. » En l’état, le sujet de la phrase est : « La France », ou « La République ». Hier, le rapporteur pour la commission du développement durable déclarait que ces termes signifiaient « les pouvoirs publics ». Dans la Charte de l’environnement, les droits et devoirs s’appliquent à « toute personne », donc les personnes publiques nationales ou locales, les personnes privées et les personnes morales. Monsieur le garde des Sceaux, quel sens donnez-vous au pronom « Elle » prévu par la rédaction actuelle, et quelles conséquences juridiques y attachez-vous ?

M. François-Michel Lambert. L’amendement CL2 propose d’ajouter un alinéa qui s’appuie sur les dix-sept objectifs pour le développement, adoptés par l’Organisation des Nations Unies (ONU), et renforce la portée de ce projet de loi constitutionnelle.

J’entends bien que nous ne serions que le relais de décisions prises par 150 citoyens comme les autres. Certes, ils ont travaillé et fait des propositions, mais nous sommes 577 députés, représentant plusieurs dizaines de millions d’électeurs. Nous pourrions renforcer le projet de loi du Gouvernement, qui s’apparente à une simple boîte à lettres, au lieu de construire ce que nous devrions inscrire dans la Constitution.

Mme Danièle Obono.  Nous souhaitons souligner l’importance de la cohérence aux niveaux national et international de notre stratégie de bifurcation écologique. Nous proposons que tout traité de commerce ayant des incidences sociales et environnementales soit ratifié par référendum.

La tâche civilisationnelle devant nous consiste en un changement complet de paradigme à propos du fonctionnement de notre système économique, notamment ses règles d’échange. Les accords de libre-échange font partie de ce que nous devons fondamentalement changer, car ils contribuent à l’émission de gaz à effet de serre. Ainsi, des groupes d’experts évoquent, à propos de l’accord avec le Mercosur, une hausse de 5 % de la déforestation en raison de l’accroissement de la production bovine, sans parler de la déstabilisation de marchés agricoles déjà saturés.

Avec un collègue du groupe La République en marche, j’ai conduit une mission d’information au sujet de l’impact des accords de libre-échange sur les stratégies de développement durable au niveau européen. Nous avons conclu qu’il était contradictoire de conclure ce type d’accords.

En juin 2020, le Président de la République a affirmé aux membres de la Convention citoyenne qu’il avait mis un terme aux négociations sur l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur. Or nous avons appris que des négociations continuent en catimini, à l’encontre de ces engagements. Nous voulons placer le Président de la République en cohérence avec ses déclarations en inscrivant ce principe dans l’article unique du texte.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Les amendements présentés par Mme Obono s’inscrivent dans la volonté d’instaurer une VIe République et proposent notamment d’introduire un nouveau titre dans la Constitution, consacré à la planification écologique. Or je ne partage pas cette vision de l’évolution de notre République et de notre Constitution. Par ailleurs, je ne suis pas d’accord avec la conception évoquée du droit de propriété, ni avec les objectifs qui doivent être poursuivis par la recherche scientifique.

J’ai été attentif aux travaux que Mme Obono a produit avec M. Patrice Anato, qui apportent un éclairage utile, mais je ne pense pas souhaitable d’inscrire dans la Constitution que la ratification de l’ensemble des accords commerciaux sera soumise à référendum. Nous nous trouverions dans l’impossibilité de conclure des accords commerciaux avec qui que ce soit.

Madame Batho, le pronom « Elle » se rapporte à la France, donc l’ensemble des pouvoirs publics nationaux et locaux. Le texte du projet de loi est suffisamment clair.

Enfin, l’amendement CL2 prévoit qu’une génération ne peut assujettir les générations futures à des lois moins protectrices de l’environnement, ce qui revient à instaurer un principe de non-régression, dont nous ne voulons pas.

Avis défavorable à l’ensemble des amendements.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Même avis, les arguments du rapporteur me semblent pertinents et clairs.

M. Julien Aubert. Ce concours Lépine trahit une confusion entre la loi et la Constitution. C’est dommageable. La Constitution définit l’organisation des pouvoirs publics, si nous commençons à y mentionner toutes les politiques que nous voudrions mener, que nous aurions pu mener ou que nous allons mener, elle va rapidement ressembler à un arbre de Noël très alourdi.

L’amendement de Mme Obono a un aspect positif, il inscrit dans la Constitution le droit de propriété, actuellement garanti par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Passée mon agréable surprise, j’ai réalisé que ce droit inaliénable et sacré dans la Déclaration des droits de l’homme devenait un droit relatif. Il serait plus clair d’écrire que la République n’est plus seulement écologique, mais aussi communiste.

L’amendement CL2 mentionne les limites planétaires, un concept de 2009 que les Nations unies ont renoncé à mentionner dans des textes internationaux en raison de son caractère récent. Il mérite un débat. Ainsi, des économistes ont proposé d’instaurer également la notion de plancher, pour permettre à l’homme de subvenir à ses besoins.

Enfin, écrire qu’une génération ne peut pas assujettir les générations futures à des lois moins protectrices est juridiquement faux : la prochaine génération ne vous demandera pas votre avis pour modifier la loi ou la Constitution. Et qu’adviendrait-il si nous appliquions ce principe à la dette financière que nous léguons aux générations futures ? Tout le monde se préoccupe de la dette environnementale, ce n’est pas la seule à mériter notre attention.

M. François-Michel Lambert. En effet, l’amendement CL2 semble réintroduire le principe de non régression. Il est possible de supprimer la dernière phrase et de s’en tenir à un socle, d’autant que celui-ci est propre, non pas seulement à la France ou à l’Union européenne, mais à l’humanité. Il reprend l’Agenda 2030 et les objectifs du Millénaire pour le développement, que nous défendons.

Contrairement à l’avis de Julien Aubert, ils ne sont pas étrangers à l’esprit de la Constitution. Ils ancrent la France dans une dimension planétaire, ces sujets étant traités au sein de l’ONU, par l’Agenda 2030 et les dix-sept objectifs du millénaire pour le développement.

M. Erwan Balanant. Faire de « La France » le sujet de la phrase fait pression sur les pouvoirs publics, qui correspondent à une responsabilité collective. Mais nous pourrions nous interroger aussi sur la notion de responsabilité individuelle. L’amendement CL68, que je devais défendre plus tard, impose à toute personne le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement.

En nous concentrant sur « La France », nous renvoyons toutes les questions climatiques sur l’État et les pouvoirs publics. Or ces devoirs pourraient s’imposer à toutes les personnes, morales et physiques. Imposer aux sociétés de prendre part à la préservation me semble important. C’est pourquoi la rédaction que je propose me semble plus pertinente.

Mme Danièle Obono.  Je veux insister sur l’amendement CL48, et la nécessité de protéger les biens communs. C’est un enjeu crucial face à l’urgence climatique et écologique. Les biens communs correspondent à l’ensemble des ressources limitées que nous considérons comme essentielles à la vie. Elles doivent être protégées, c’est-à-dire gérées collectivement et démocratiquement afin d’en user dans des conditions saines et durables. Ces biens doivent être sortis de la sphère marchande et ces ressources n’ont pas vocation à générer des profits.

Nous sommes mobilisés depuis trois ans sur la question de l’accès à l’eau, qui nous semble particulièrement prégnant. L’accès à l’eau potable est menacé par la pollution grandissante issue des rejets de l’industrie et de l’agriculture productiviste. Son accès doit être garanti et ne devrait en aucun cas faire l’objet d’un commerce. Il ne devrait également pas être possible de faire des bénéfices sur l’accès à l’eau potable. Son coût ne devrait pas dépasser le prix du fonctionnement de l’infrastructure qui la rend disponible. La résolution de l’Assemblée générale de l’ONU du 28 juillet 2010 va dans ce sens, mais le droit français n’est pas suffisamment ambitieux.

Nous proposons donc d’inscrire dans la Constitution que l’eau, l’air, le vivant, l’énergie, l’alimentation et la santé sont des biens communs gérés démocratiquement et ne peuvent être privatisés.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Avis défavorable. Cette proposition est intéressante et mérite un débat, mais la définition du concept n’est pas suffisamment aboutie ni consensuelle. Or la Constitution doit employer des termes partagés par tous. Tel n’est pas le cas.

Sur le plan conceptuel, la question des biens communs est liée à celle de la coopération et de la gouvernance internationale : il s'agit de faire en sorte que chacun prenne ses responsabilités. Or votre proposition semble faire reposer la protection des biens communs uniquement sur la France, ce qui est disproportionné.

Enfin, la constitutionnalisation de ce principe n'est probablement pas nécessaire dans la mesure où notre système législatif favorise déjà une consommation équitable de ces ressources.

M. Philippe Gosselin. La liste mentionnée par cet amendement peut sembler longue, elle est en réalité limitative. Pourquoi se limiter à protéger « l’eau, l’air, le vivant, l’énergie, l’alimentation et la santé » ? Il doit être possible d’ajouter d’autres éléments pour renforcer son efficacité.

Par ailleurs, cet amendement traduit une conception messianique de notre pays :  nous serions quasiment les sauveurs du monde avec cette seule modification de la Constitution !

Enfin, je ne comprends pas bien comment nous pourrions privatiser le vivant. Est-ce que chaque individu relève d’une propriété étatique ? Bien que n’étant pas particulièrement progressiste sur certaines questions de société, je signale qu’en interdisant la privatisation du vivant, nous risquons de bloquer quelques recherches médicales. C’est un amendement anti-GPA. Qui trop embrasse, mal étreint !

Mme Danièle Obono. Je rappelle que la France a été à l’avant-garde pour déclarer de grands principes. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 précède de plus d’un siècle la déclaration universelle, à laquelle la France a adhéré en 1948. Il n’y a pas à avoir honte ou à nourrir de complexes.

À propos des biens communs, nous n’avons pas été les premiers à réfléchir à cette question. Un certain nombre de pays d’Amérique latine, comme la Bolivie, ont beaucoup avancé sur cette notion. Nous pourrions nous en inspirer, sans ethnocentrisme ni mépris, car il y a matière à enrichir notre propre réflexion et nos travaux de réforme constitutionnelle.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements identiques CL12 de Mme Emmanuelle Ménard, CL13 de Mme Emmanuelle Anthoine et CL14 de Mme Valérie Bazin-Malgras ; les amendements identiques CL15 de Mme Valérie Bazin-Malgras et CL16 de Mme Emmanuelle Anthoine ; ainsi que les amendements CL17 de M. Martial Saddier, CL23 et CL22 de M. Gérard Leseul, CL68 de M. Erwan Balanant, CL50 de M. Stéphane Peu, CL21 de M. Philippe Gosselin et CL19 de M. Emmanuel Maquet.

M. Philippe Gosselin. Nous ne sommes pas les seuls à pointer certaines difficultés, le Conseil d’État l’a fait lui aussi.

La préservation de l’environnement est une ardente obligation – comme le Plan à une époque. Tout le monde a bien compris les enjeux environnementaux planétaires et les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Je rappelle également l’antériorité de certaines prises de position. Le Président de la République n’a pas l’apanage de la protection de l’environnement : les actions de Georges Pompidou ou Valéry Giscard d’Estaing, la charte de l’environnement souhaitée par Jacques Chirac ou le Grenelle de l’environnement sous Nicolas Sarkozy sont dans tous les esprits.

Si nous partageons la volonté de protéger l’environnement et de lutter contre le réchauffement climatique, les mots ont cependant un sens. Le Conseil d’État, dans son avis, nous alerte sur les difficultés qui pourraient naître d’une telle révision de la Constitution. Veillons à ne pas éteindre toute capacité d’initiative dans notre pays. Certes, la liberté d’entreprendre n’a jamais été absolue et mon propos n’est pas de la défendre à tout prix, mais nous devons prendre garde à ne pas faire du mieux l’ennemi du bien. Nous risquons de bloquer l’innovation avec de bons arguments.

Je m’associe aux remarques juridiquement fondées du Conseil d’État : ne piégeons pas la vie économique et sociale de notre pays. Il faut concilier les objectifs.

M. Gérard Leseul. À l’inverse de notre collègue Gosselin, je pense nécessaire de maintenir le verbe garantir, mais il faut sans doute préciser le sujet. Les députés du groupe Socialistes et apparentés proposent d’écrire : « Ses politiques publiques garantissent le respect » Ce sont bien les politiques menées par l’État qui sont visées.

L’amendement CL23 intègre dans la Constitution la notion de biens communs, et l’impérieuse nécessité de les préserver. La nature et les biens communs méritent plus que jamais d’être protégés des intérêts privés et des spoliations. Malheureusement, c’est bien au nom de la liberté d’entreprendre et du droit de propriété que le Conseil constitutionnel a validé, dans sa décision du 10 décembre 2020, la loi autorisant à nouveau l’utilisation des néonicotinoïdes, qui traduit une régression de la protection de l’environnement en France.

M. Philippe Gosselin. Le débat sur la valeur juridique de la Charte de l’environnement a été tranché : elle a bien une valeur constitutionnelle. Il me paraît important de concilier la révision qui nous est proposée avec les termes employés dans cette charte et d’assurer sa coordination avec l’ensemble des textes constitutionnels, afin d’éviter toute contradiction.

Les verbes engagent forcément. Si nous partageons clairement l’ambition de protection de l’environnement et de la biodiversité, et de la lutte contre le réchauffement climatique, il nous paraît qu’en gravant ces termes dans le marbre de notre charte, et à l’instar de ce qu’a fait remarquer le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi constitutionnelle, nous prenons des risques. Que la protection de l’environnement soit une ardente obligation, c’est une chose, mais cela ne doit pas aboutir à limiter l’initiative, qu’elle soit publique ou privée. Elle ne doit pas avoir pour conséquence de mettre notre pays sous cloche – c’est un risque –, alors même que d’autres pays ne le font pas. Il y a une nécessité d’actions croisées, sauf à nous tirer une balle dans le pied. La France sait se montrer bonne élève, mais c’est parfois au détriment des autres objectifs des politiques publiques. Il faut donc en tout garder l’équilibre, réaffirmer des principes, sans doute, mais en prenant garde que cela ne conduise pas à une forme de paralysie, qui serait l’inverse du but recherché.

M. Arnaud Viala. La terminologie a son importance, particulièrement lorsqu’il s’agit de modifier la Constitution. Le choix des mots sera lourd de conséquences, non seulement dans l’application de la loi mais aussi lors du vote de nouvelles lois. Cela me préoccupe car nous allons prochainement examiner un projet de loi organique visant à simplifier les expérimentations, ainsi que la fameuse loi 4D – décentralisation, différenciation, déconcentration et décomplexification –, dont le but est justement de permettre l’adaptation locale la plus intelligente et la plus pragmatique possible d’un certain nombre de dispositions nationales.

La rédaction de l’article, telle qu’elle nous est proposée, remet en cause la possibilité de faire ces expérimentations. Je ne veux pas dire que celles-ci doivent pouvoir être contraires à la préservation de l’environnement, mais les fonctionnaires chargés d’appliquer les textes en faisant parfois une lecture très littérale, cela risque de provoquer un blocage total. Il faut prendre garde aux conséquences sur le très long terme, d’autant que l’on ne touche pas à la Constitution tous les quatre matins.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Il s’agit là de l’un des points sensibles du texte. Les termes que nous allons inscrire dans la Constitution auront en effet des implications fortes : il faut donc bien les mesurer. J’ai lu attentivement les avis du Conseil d’État sur le sujet, qui fluctuent en fonction des circonstances. J’ai la conviction que si nous n’inscrivons pas, dans les termes les plus forts, les principes de préservation de l’environnement, de lutte contre le dérèglement climatique et de protection de la biodiversité, nous passerons à côté de l’essentiel de la réforme. Les juristes et les constitutionnalistes que nous avons auditionnés ne s’accordent tous pas sur la portée et les conséquences d’une telle rédaction. Il reste que, in fine, ce sera le juge qui interprétera nos intentions, en ne hiérarchisant pas les différents principes constitutionnels mais en les conciliant. L’adoption de ce nouveau principe constitutionnel ne viendra donc pas en écraser d’autres. D’ailleurs, lorsque les citoyens avaient proposé d’inscrire ces notions dans le préambule, le Président de la République avait écarté ce choix, craignant justement que la préservation de l’environnement l’emporte sur les autres normes. En l’inscrivant à l’article 1er, nous en faisons un fondement de l’action de la France, un principe qui doit guider son action au niveau national et au niveau local, mais sans écraser les autres libertés fondamentales, telles que la liberté d’entreprendre ou le droit de propriété. Nous recherchons un équilibre, tout en prenant des engagements extrêmement forts eu égard à l’urgence climatique et à la nécessité de protection de l’environnement et de la biodiversité. Pour cette raison, j’émets un avis défavorable sur tous ces amendements.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Le Gouvernement a repris le verbe « garantit » proposé par la Convention citoyenne et retenu par le Président de la République. C’est un véritable principe d’action à la charge des pouvoirs publics, ainsi qu’une quasi-obligation de résultat. L’avis du Conseil d’État appelle en effet l’attention du Gouvernement sur l’importance des changements juridiques introduits par ce verbe. Mais le Gouvernement assume ce choix car il entend donner une véritable force juridique à l’obligation de protéger l’environnement. S’il crée une obligation juridique, ce mot ne crée pas de hiérarchie entre les principes constitutionnels. Pour vous rassurer complètement, je rappelle qu’il existe d’autres occurrences du mot « garantit » dans la Constitution – il apparaît ainsi à quatre reprises dans le préambule de la Constitution de 1946. Dans ces conditions, et pour les raisons évoquées par M. le rapporteur, que je fais miennes, le Gouvernement est défavorable à l’ensemble de ces amendements.

M. Sylvain Waserman. J’adhère au début du propos de mon collègue LR, tout en arrivant à la conclusion inverse : oui, les mots ont un sens ; oui, le mot « garantit » est fort. Le risque existe, et ce n’est pas confortable. Oui, il y aura peut-être des questions prioritaires de constitutionnalité. Oui, les juges seront peut-être saisis. Mais le choix politique est déterminant. Nous sommes à un moment de notre histoire où nous devons franchir ce pas, malgré le risque. Nous devons avoir, avec les juristes, les mêmes réflexes qu’avec les scientifiques : il faut les entendre, mais la décision ne peut être que politique. Nous ne donnons pas dans la facilité ; il était plus confortable pour M. Hulot, lorsqu’il était au Gouvernement, de proposer que la France « agisse » pour la préservation de l’environnement : tout le monde agit ! En l’occurrence, nous faisons un choix fondamentalement politique, que nous assumons, même s’il comporte une dose de risque.

M. Julien Aubert. C’est un sujet juridique. Dire que « les politiques publiques garantissent le respect des droits », ce n’est pas la même chose que d’affirmer que « la France garantit la préservation de l’environnement ». Lorsqu’on utilise le verbe garantir, cela concerne soit des principes, soit des droits. La particularité de l’amendement socialiste qui a été proposé, à juste titre, est qu’il garantit un droit. Dans la Constitution, et notamment dans le préambule de la Constitution de 1946, on garantit à la femme des droits, on garantit à l’enfant l’accès à l’instruction. Selon son onzième alinéa, « elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs », ce qui pourrait aller dans votre sens, parce qu’il ne garantit pas seulement des droits ou une capacité, mais bel et bien une politique. Néanmoins, le texte insiste sur le fait que c’est bien « le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence » qui est ainsi visé.

Nous devons donc nous montrer très prudents. Vous n’offrez pas une protection juridique accrue : vous créez une obligation de résultat. « Garantir », cela veut dire assumer sa responsabilité à l’égard de quelqu’un. Or vous ne précisez pas vers qui la garantie est tournée. Chaque fois que la Constitution utilise ce terme, elle précise qui en est le bénéficiaire. En ouvrant totalement cette disposition, d’un point de vue juridique, on permet à n’importe quelle partie prenante, n’importe quelle association de demander la mise en jeu de cette garantie. Si l’on garantit la préservation de l’environnement, et non pas le droit à avoir un environnement préservé, je crains que l’on ne quitte le domaine juridique pour entrer dans un domaine matériel. Cela sera source de contentieux et entraînera un dévoiement du mot « garantit » puisque l’on passera du domaine du droit à celui de l’effectivité d’une politique, ce qui n’est pas la même chose. Dire que le Gouvernement garantit aux Français « le droit d’avoir des finances saines », ce n’est pas la même chose que d’affirmer que le Gouvernement « garantit que les finances seront saines ». C’est en cela que nous divergeons. Je crains que cela ne provoque une explosion des contentieux dans le domaine environnemental, déjà très importants. Au lieu d’agir plus vite, cela fera comme pour les éoliennes : cela ralentira l’action. Vous obtiendrez l’inverse de ce que vous visiez.

Mme Delphine Batho. S’il n’y a plus le verbe garantir dans le texte, cela voudra dire qu’il ne reste rien de la proposition de la Convention citoyenne. Je suis donc totalement opposée à tous les amendements qui viennent d’être présentés.

Monsieur le garde des Sceaux, j’aimerais que vous explicitiez la notion de « quasi-obligation de résultat ». Le Conseil d’État souhaitait que le constituant précise les effets juridiques attendus de sa formulation, afin de guider la jurisprudence future du Conseil constitutionnel. La question ne porte pas sur la prise de risques – aucun constituant n’a envie de jouer aux dés les conséquences juridiques d’une disposition. Pour prendre un exemple, la loi autorisant le retour des néonicotinoïdes est clairement contraire à la garantie de la préservation de l’environnement et de la diversité biologique telle qu’elle serait rédigée à l’article 1er de la Constitution. Nous avons besoin d’explications plus développées du rapporteur et du Gouvernement sur les effets juridiques précis attendus de cette rédaction.

M. Philippe Gosselin. Quand le rapporteur nous dit que le Président de la République a voulu viser l’article 1er de la Constitution et non pas le préambule, c’est faire un distinguo subtil que même le Conseil constitutionnel ne fait pas ! Le bloc de constitutionnalité est composé de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, du préambule de la Constitution de 1946, de la Constitution de 1958, des principes fondamentaux, etc. L’appréciation de la constitutionnalité se fait sur l’ensemble et non en distinguant entre l’article 1er ou le préambule.

Certes, il n’y a pas de hiérarchie entre les principes mais le Conseil constitutionnel opère leur conciliation, qui se révèle parfois très délicate. Deux principes, le droit de grève et la continuité du service public, sont souvent cités en exemple – le télescopage des deux est parfois bien compliqué et pose de vraies difficultés – mais il y en a d’autres. Plus nous serons précis, plus l’interprétation sera stricte. Si vous pensez qu’il appartient aux juridictions et notamment au Conseil constitutionnel de se saisir du sujet, alors vous reconnaissez une latitude très grande au Conseil constitutionnel, ouvrant la voie à un gouvernement des juges – je sais que le terme paraîtra outrancier. Je considère que c’est plutôt le peuple souverain, le constituant, qui doit préciser les choses – autrement dit, pour ce qui nous concerne, la commission des lois et la commission du développement durable et, en séance, l’ensemble de la représentation nationale.

La majorité assume de créer une quasi-obligation de résultat. C’est un choix politique respectable, même si nous ne partageons pas nécessairement la même approche – l’objectif final, oui, mais pas les moyens pour y parvenir. Toutefois, vous risquez de fonder, avec cette rédaction, une responsabilité sans faute de l’État, des collectivités et de l’ensemble des acteurs privés, qui sera recherchée dès lors qu’un dommage environnemental survient, puisque l’État est censé « garantir » – si l’on constate un résultat négatif, c’est donc que les moyens n’étaient pas suffisants. La responsabilité sans faute a d’ailleurs tendance à prospérer, ce qui pose de vraies questions car cela peut, à terme, entraîner la paralysie de l’État et mettre l’ensemble du pays sous cloche, à l’encontre de l’objectif recherché.

Mme Émilie Guerel. Il s’agit d’un des points sensibles du texte. Sachez que le Gouvernement est bien conscient des effets que pourra avoir ce projet de loi constitutionnelle sur les conditions de mise en jeu de sa responsabilité en matière environnementale. Il souhaite avant tout marquer l’engagement des pouvoirs publics dans ce combat qui nous est très cher.

Nous ne sommes pas là pour faire du bavardage symbolique. La réforme que nous défendons a une très forte charge normative. En cas de contentieux, l’État pourrait ne pas être la seule personne publique visée car l’obligation pèse non seulement sur lui, mais également sur l’ensemble des acteurs, tant nationaux que locaux, susceptibles de prendre des décisions publiques. Pour cette raison, nous souhaitons le maintien de ce verbe, les autres nous paraissant plus faibles et moins prescriptifs.

M. Sacha Houlié. Le juge administratif vérifie toujours l’intérêt à agir des personnes qui vont en justice. Ce fut le cas pour « l’affaire du siècle », récemment jugée au tribunal administratif : toutes les associations ont fait l’objet d’un contrôle de leurs statuts et de leur objet pour que leur requête puisse être admise.

Concernant la responsabilité sans faute, quand le juge administratif recherche la responsabilité de la France, il examine si l’État a commis une faute au regard des engagements qu’il a pris, notamment des conventions internationales qu’il a signées. Il recherche ensuite un lien de causalité avec le dommage. Si ce lien est établi, alors des réparations pourront être déterminées.

Par ailleurs, s’agissant des effets juridiques, l’État a signé des engagements internationaux qu’il appliquera demain dans d’autres textes législatifs, notamment le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Les pouvoirs publics seront directement intéressés à la réduction des gaz à effet de serre. Ainsi, les agglomérations de plus de 150 000 habitants pourront créer des zones de faibles émissions pour réguler la circulation automobile ; les régions auront la possibilité d’instaurer des taxes sur le transport routier. Tous seront concernés par l’obligation constitutionnelle qui leur incombera de garantir la préservation de l’environnement et de la biodiversité. L’objet du présent texte est bien défini ; il conserve la responsabilité pour faute et préserve l’intérêt à agir de ceux qui iront en justice, y compris lors de l’examen de la recevabilité d’une QPC par la Cour de cassation ou le Conseil d’État.

M. Sylvain Waserman. M. Aubert l’a dit, nous faisons un choix important en fixant une obligation de résultat – cela n’avait pas été fait jusqu’à présent. Mme Batho a souligné que la suppression du verbe « garantit » rendrait cette disposition moins efficace. La démonstration est faite qu’avec ce choix politique différent, nous ouvrons la voie à une obligation de résultat, et non de moyens, qui ne repose pas sur un dogme et n’autorisera pas les retours en arrière ou les régressions. Nous prônons une pensée politique de l’écologie de résultat, et nous devons l’affirmer haut et fort.

M. François-Michel Lambert. Au-delà de ces quelques amendements, nous débattons de ce que nous sommes et de ce que nous pouvons construire. Pour certains, il ne faut pas toucher à une ligne de ce qui est proposé parce que cela provient des 150 personnes engagées dans la Convention citoyenne pour le climat ; ils s’inquiètent même que l’on n’aboutisse jamais et s’érigent en défenseurs de ces 150 personnes. Est-il permis à 577 députés, travaillant en bonne intelligence avec le Gouvernement, de bouger une virgule du projet qui leur est présenté ? Nous verrons à la fin des débats dans l’hémicycle ce qu’il en est, mais il n’y a pas de construction, à tel point que certains députés défendent, en lieu et place du Gouvernement, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui.

M. Raphaël Schellenberger. Nous sommes en train de discuter d’une modification du texte constitutionnel qui, si elle n’est pas certaine, compte tenu du processus que le Président de la République a choisi pour y parvenir, nous impose un peu de modestie dans nos échanges. La question est à la fois politique et juridique : il faut parfois faire coller le discours politique à la réalité de l’action juridique que nous sommes en train de construire.

Une garantie a pour objet d’assurer un droit constitutionnel à une personne ; or, dans votre rédaction, cette personne n’existe pas. À qui garantissez-vous ce droit ? Votre stratégie revient en fait à déresponsabiliser les individus, qui demandent à l’État de faire ce qu’ils ne sont pas prêts à faire eux-mêmes. Ce n’est pas ainsi que l’on parviendra à agir concrètement pour l’environnement, la préservation de nos ressources et de nos paysages ou encore la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre. La cause environnementale est suffisamment importante pour que chacun se mobilise et fasse preuve de responsabilité. Je suis donc opposé à l’emploi de la notion de garantie, qui conduit à une déresponsabilisation.

M. Philippe Gosselin. Je ne conteste pas le choix politique – il est respectable – de la majorité de vouloir entraîner le pays dans une écologie de résultat. Toutefois, en déposant un amendement d’amélioration et non de suppression, l’opposition a fait preuve de responsabilité. Notre famille politique partage cette préoccupation depuis des générations ; nous n’avons pas envie, pour paraphraser le président Chirac, de regarder ailleurs alors que le monde brûle.

Nous appelons cependant votre attention sur les conséquences qui découleront de cette inscription dans la Constitution. Il ne s’agit pas de faire joli ou de se faire plaisir : la responsabilité sans faute est en train de se développer, et les tribunaux judiciaires et administratifs ont dégagé une jurisprudence un peu plus abondante ces dernières années sur le sujet. Je crains que nous ne renforcions cette tendance. Notre collègue Sacha Houlié a évoqué l’intérêt à agir : j’aurais dû commencer par là puisque cela concerne la légalité externe de l’acte, qui est examinée en premier. Or celle-ci est appréciée assez largement par les tribunaux administratifs : l’intérêt à agir est devenu une pseudo-condition car, en pratique, il est reconnu à presque tout le monde. Ces dernières années, quelques lois ont même quasiment présumé l’intérêt à agir de certaines associations. Mettons donc cela de côté, car l’intérêt à agir n’épouvante plus personne.

Reste un élément solide et sérieux : la responsabilité sans faute. J’entends bien l’argument sur le lien de causalité, mais il est parfois bien ténu. Je maintiens donc qu’il existe un risque de blocage, de paralysie. La France sera peut-être le premier pays au monde à s’être auto-piégé. Or nous devons non pas nous recroqueviller sur nos propres certitudes environnementales ou constitutionnelles, mais continuer au contraire à travailler dans le concert des nations. Nous ne devons pas faire des règles uniquement pour nous car elles risquent d’attenter dangereusement à l’initiative qui doit exister dans un pays s’il veut rester dynamique, y compris pour lutter contre le réchauffement climatique et agir pour la biodiversité.

M. Gérard Leseul. Je ne peux pas partager la vision libérale qui vient d’être décrite – cela ne vous étonnera pas. Nous sommes partis de rien en matière d’environnement : quand René Dumont s’est présenté à l’élection présidentielle en 1974, il n’y avait pas de conscience environnementale. Nous sommes ensuite progressivement passés à une écologie facultative, reposant sur les bonnes actions, puis à une écologie déclarative, avec les bilans de gaz à effet de serre, les reportings extra-financiers ou encore la taxonomie, qui est en cours de discussion au niveau européen. À chaque fois, c’est l’État qui a fixé le cadre. On peut le regretter. L’État s’est d’ailleurs montré intelligent en fixant des obligations progressives dans un cadre qu’il avait préalablement défini. Nous devons désormais passer à une étape supplémentaire, à savoir l’écologie du résultat. Pour cela, il faut absolument maintenir le mot « garantit ».

M. Erwan Balanant. Le débat est extrêmement intéressant et je me félicite que l’on ait retrouvé un peu de sérénité. Nous devons passer à une écologie de résultats – c’est notre philosophie politique –, une écologie humaniste. Mais nous ne pouvons pas tout faire reposer sur l’État, même si celui-ci joue un rôle primordial dans ce domaine. Je vous invite à relire mon amendement : il propose que la France « impose le respect par toute personne du devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration ». Cette formulation vise les pouvoirs publics, et donc l’État, mais aussi les citoyens, les entreprises, les collectivités locales. Ce serait à la fois plus englobant et plus protecteur de la nature, parce que cela donnerait à chacun une part de responsabilité dans la préservation de l’environnement.

M. Éric Ciotti. Le mot « garantit » me paraît extraordinairement dangereux. Nous partageons, sans doute à l’unanimité, la volonté de mieux protéger et préserver notre environnement face aux enjeux climatiques, que personne ne doit contester. Mais je veux souligner le chemin périlleux que nous sommes en train d’emprunter avec ce terme. Il signifie que toute action publique, toute procédure publique, voire quasiment toute activité humaine pourra subir une judiciarisation constante, laquelle nous fera entrer dans une société d’impuissance permanente. Le Conseil constitutionnel aura une interprétation vraisemblablement très extensive de cette notion, ce qui paralysera l’action législative et conduira à des contentieux majeurs dans tous les domaines de l’action publique. La construction d’une route décidée par un conseil départemental ou par une métropole garantira-t-elle le respect de l’environnement ? La construction d’une prison dans une zone pourra-t-elle préserver l’environnement ? On réévalue la hiérarchie des normes juridiques dans la Constitution de façon extrêmement dangereuse. Cette notion sera-t-elle supérieure aux principes de liberté et d’autonomie des collectivités locales ? Je le redoute. Vous cherchez sans doute à nous rassurer, mais les jurisprudences qui pourront découler de cette notion nous feront entrer dans l’ère de la dangerosité juridique et de l’impuissance publique.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. J’espère que si j’avais l’intention de construire une prison pour Nice dans le beau domaine du Mercantour, je serais interdit de le faire ! Je pense d’ailleurs que c’est déjà le cas.

Monsieur le député Gosselin, je sais que vous êtes un fin juriste, j’ai déjà eu à maintes reprises l’occasion de le constater, et ce ne sont pas des propos de circonstance. En réalité, il ne s’agit pas d’une obligation de résultat mais d’une quasi-obligation de résultat, ce qui change un peu la donne. Dans le texte, « elle garantit » désigne la France, sans la moindre ambiguïté : la France garantit non pas l’environnement mais la préservation de l’environnement. On pourra ainsi nous reprocher une loi qui ne respecterait pas cet engagement fort du Président de la République et du Gouvernement, à savoir garantir la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutter contre le dérèglement climatique.

Je prends un exemple simple concernant la responsabilité, parce que ce mot a résonné à plusieurs reprises dans cette enceinte. Le législateur sera tenu d’adopter les garanties suffisantes pour assurer une protection effective de l’environnement. À défaut, le Conseil constitutionnel pourrait juger la loi inconstitutionnelle. Le juge administratif, quant à lui, pourrait juger que l’administration a manqué à son obligation d’agir pour protéger l’environnement. En cas de dommages, il n’y aura rien de systématique car il ne s’agit pas d’une obligation de résultat, mais d’une quasi-obligation de résultat. Un grand pas a été franchi dans la préservation de l’environnement, de la diversité biologique et la lutte contre le dérèglement climatique avec la décision prise par le Président de la République. C’est un choix politique, audacieux, courageux. Je ne dis pas que rien n’a été fait jusque-là, mais le Président de la République a voulu marquer une véritable rupture. Maintenant, la parole est aux actes !

Par ailleurs, je ne vois pas en quoi l’État qui serait exemplaire nous inciterait à en faire moins. Croyez-vous que si, demain, ce texte va au bout, je jetterai mon mégot au sol alors que je ne le fais plus depuis quelques années ? Pensez-vous que les industriels pollueront davantage parce que l’État s’engage fortement ? Je ne comprends pas bien ce raisonnement. Pour ma part, j’ai toujours appris que l’exemple venait d’en haut.

Enfin, et j’espère que c’est la dernière fois qu’on en parle, vous voudriez, monsieur Lambert, que je me dise favorable à un amendement dont je n’ai pas envie : je ne comprends pas bien la mécanique. Je n’aime pas votre amendement, je demande à la représentation nationale de ne pas le voter : c’est comme ça que ça marche ! Si un amendement trouve grâce aux yeux du Gouvernement, il saura le dire, je vous le promets ! Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois que je change d’avis, même ici, en commission.

La commission rejette successivement tous les amendements en discussion commune.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL29 de Mme Cécile Untermaier, CL30 de M. Gérard Leseul et CL46 de M. Loïc Prud’homme.

M. Gérard Leseul. Nous pensons nécessaire d’introduire dans le texte modifiant la Constitution la notion d’amélioration. C’est une manière de dire qu’il faut une progression, sans dire qu’il faut une non-régression. Cette sémantique est peut-être plus acceptable. Je souhaite, monsieur le garde des Sceaux, que vous entendiez cet argument.

Mme Danièle Obono. Il s’agit d’introduire dans l’article unique le principe de non régression ou d’amélioration constante, ainsi que la règle verte. Tant qu’à faire, autant inscrire dans le marbre de la loi constitutionnelle un cap, une incitation, une stratégie positive. Il faut rompre avec la règle d’or de l’austérité pour adopter la règle verte écologique, qui résume l’exigence qui devrait être celle de la communauté nationale et internationale, à savoir mettre un terme à la dette écologique et revoir l’ensemble de notre système économique.

Je rappelle le principe de la règle verte : ne pas prélever sur la nature davantage que ce qu’elle peut reconstituer ni produire plus que ce qu’elle peut supporter. Le consensus scientifique rappelle, année après année, que la catastrophe écologique s’accélère. Le garde des Sceaux parlait de passer de la parole aux actes mais, pour cela, il faut se donner un cadre, une ligne de conduite. Celle de la règle verte est fondamentale et permettrait de guider, de façon positive, l’ensemble des politiques mises en œuvre par la suite.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Avis défavorable à ces trois amendements. Nous avons déjà eu une discussion extensive sur le principe de non-régression. C’était très utile et cela a permis de poser un certain nombre de principes, que le garde des Sceaux a rappelés à de nombreuses reprises dans ses interventions. En ce qui concerne la règle verte, si ce concept peut nous paraître intéressant philosophiquement et mérite discussion, une réforme constitutionnelle vise à la clarté. En l’occurrence, cet objectif, avec votre proposition, ne semble pas être atteint : l’avis est donc défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis défavorable.

Mme Danièle Obono. La règle verte est claire et peut être comprise très aisément : il ne faut pas prélever sur la nature davantage que ce qu’elle peut reconstituer, ni produire plus que ce qu’elle peut supporter. Depuis un certain nombre d’années, nous commémorons de plus en plus tôt le jour du dépassement, qui marque l’exploitation de toutes les ressources de la planète et l’augmentation de la dette écologique. L’inscrire dans la Constitution traduirait la nécessaire prise de conscience individuelle et collective. Sans cela, on se paye de mots et on brasse du vent – pas du tout écologique, pour le coup !

La commission rejette successivement les amendements.

La réunion s’achève à douze heures cinquante-cinq.

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Membres présents ou excusés

 

En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.