Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 Audition de Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, discussion générale, suivi de l’examen des articles et des amendements, sur le projet de loi organique relatif aux expérimentations mises en œuvre par les collectivités territoriales sur le fondement du quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution (n° 3523) (M. Stéphane Mazars, rapporteur)              2


Mardi
2 mars 2021

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 64

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
M. Yaël Braun-Pivet, présidente
 


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La réunion débute à 18 heures 05.

Présidence de M. Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission auditionne Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, procède à une discussion générale, puis examine le projet de loi organique relatif aux expérimentations mises en œuvre par les collectivités territoriales sur le fondement du quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution (n° 3523) (M. Stéphane Mazars, rapporteur).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi pour procéder à l’examen, en première lecture, du projet de loi organique relatif à la simplification des expérimentations mises en œuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution, déposé par le Gouvernement le 29 juillet 2020 et adopté par le Sénat le 3 novembre. Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, nous fait le plaisir de sa présence pour une audition qui sera suivie par l’examen du texte.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Je suis très heureuse d’être avec vous aujourd’hui pour examiner ce texte qui vise à assouplir les expérimentations.

Le projet de loi organique répond concrètement aux deux principaux besoins exprimés par les élus, ainsi que par nos concitoyens, s’agissant de l’action publique : il faut faire preuve de proximité et d’efficacité. Désormais, nous sommes tous ou presque tous d’accord, me semble-t-il, sur la nécessité de faire en sorte que la décentralisation permette d’adapter les politiques publiques à la diversité des territoires.

La solution, c’est la différenciation. Le projet de loi organique renforcera l’un des outils visant à la mettre en œuvre concrètement : il permettra d’adapter les règles applicables, dans certains domaines, aux particularités des territoires, qu’elles tiennent à leur géographie, à leur démographie ou à leur situation économique et sociale.

Le présent texte sera complété par d’autres outils dans le cadre du projet de loi dit « 4D ». Nous proposerons, par exemple, des transferts de compétences aux seules collectivités volontaires, un renforcement du pouvoir réglementaire local et des mesures de déconcentration spécifiques.

Chacun a compris que le temps des transferts en bloc est révolu : ce n’est plus pertinent. Les territoires ont besoin de cousu main pour être plus agiles. Toutefois, la cohésion des territoires, dont j’ai la charge, impose de marcher sur une ligne de crête, si je puis dire, entre la pente naturelle vers une liberté accrue et l’impératif de cohésion nationale, d’unité de la République et d’équité entre les territoires. Ce débat est essentiel. Les amendements qui ont été déposés, notamment par le groupe La France insoumise, soulèvent d’ailleurs cette question.

Le projet de loi organique vise à faciliter les expérimentations menées par les collectivités territoriales, afin d’ouvrir la voie à une différenciation durable. Les blocages sont encore trop nombreux : seulement quatre expérimentations ont eu lieu sur le fondement du quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution depuis que cette disposition a vu le jour, en 2003.

Le présent texte, issu en grande partie des conclusions d’une étude confiée au Conseil d’État, assouplira les conditions des expérimentations territoriales. Il s’agit de les rendre plus simples d’accès, plus rapides à mettre en œuvre et plus attractives pour les collectivités.

Le premier objectif est de simplifier la procédure d’entrée dans l’expérimentation.

Tout d’abord, les collectivités répondant aux conditions prévues par la loi qui permet l’expérimentation pourront désormais décider d’elles-mêmes d’y participer. À l’heure actuelle, elles ne peuvent qu’en faire la demande : la décision finale relève du Gouvernement, qui fixe par décret la liste des collectivités admises à participer. L’entrée dans l’expérimentation sera considérablement facilitée : les collectivités y entreront, au fur et à mesure, par une simple délibération de leur assemblée délibérante. Cette procédure réduira le délai moyen d’entrée dans l’expérimentation, qui devrait passer d’un an à deux mois.

Par ailleurs, les actes pris dans le cadre des expérimentations seront uniquement publiés au Journal officiel à titre d’information. Actuellement, cette publication conditionne leur entrée en vigueur.

Enfin, le contrôle de légalité sera allégé. Tous les actes pris dans le cadre des expérimentations sont jusqu’à présent soumis à un contrôle de légalité renforcé et dérogatoire, comprenant un déféré suspensif. Le projet de loi organique restreint ce régime spécial à la décision d’entrer dans l’expérimentation – il s’agit d’éviter que des collectivités ne répondant pas aux conditions prévues commencent à la mettre en œuvre.

Le deuxième objectif est d’assurer une évaluation plus pertinente des expérimentations.

Le rapport sur l’évaluation finale de chaque expérimentation transmis au Parlement sera naturellement maintenu. Il constitue un préalable indispensable aux décisions concernant le devenir des mesures prises à titre expérimental.

Le Sénat a demandé un rapport d’évaluation à mi-parcours de chaque expérimentation. J’y suis favorable, et je sais que plusieurs députés sont également sensibles à la question de l’évaluation. Un tel document me semble utile pour les collectivités participant à une expérimentation et pour celles qui hésiteraient à les rejoindre.

Par ailleurs, le Sénat a rétabli le rapport annuel qui recense les propositions et les demandes d’expérimentation. Nous avions initialement estimé qu’un tel rapport deviendrait superflu dès lors que chaque expérimentation ferait l’objet d’une évaluation. Toutefois, il est vrai que plus on communiquera sur les expérimentations, plus on pourra espérer que les collectivités se saisiront de ce nouvel outil.

Troisième objectif – et c’est un point décisif –, nous sortirons de l’alternative, binaire, entre la généralisation et l’abandon de l’expérimentation.

Le législateur aura désormais le choix entre quatre options à l’issue de la période d’expérimentation : la prolongation de cette dernière, qui peut être demandée, au-delà de cinq ans, pour une durée ne pouvant excéder trois ans ; une pérennisation et une généralisation à l’ensemble du territoire national, issue qui, sans être obligatoire, n’est évidemment pas interdite ; une pérennisation pour les collectivités participantes, pour certaines d’entre elles seulement ou pour d’autres collectivités où la mesure expérimentée serait pertinente ; enfin, l’abandon de l’expérimentation.

Compte tenu du bilan réalisé, la loi pourra aussi – il est important de le souligner – modifier les dispositions régissant l’exercice de la compétence ayant fait l’objet de l’expérimentation. Il s’agit de laisser au législateur une marge d’adaptation pour effectuer les ajustements nécessaires.

Je précise aussi que la pérennisation de mesures prises à titre expérimental dans certaines parties du territoire national devra naturellement s’inscrire dans le respect du principe constitutionnel d’égalité.

Enfin, je tiens à dire que simplifier ne suffit pas. Il faut aussi accompagner. Pour assurer l’effectivité des futures expérimentations, nous renforcerons notre organisation institutionnelle en vue de mieux accompagner les collectivités territoriales. Nous suivrons la recommandation du Conseil d’État portant sur la création de guichets permanents : ils seront placés auprès des préfets afin de favoriser les initiatives et de recueillir les propositions des collectivités. C’est une disposition de nature réglementaire, qui ne figure donc pas dans le projet de loi organique mais que je m’engage à prendre.

Ce texte, dont je rappelle qu’il a été très peu modifié et très largement adopté par les sénateurs, est équilibré et répond à une véritable attente des élus locaux. Si j’en crois les amendements que vous avez déposés, vous êtes nombreux à partager cette analyse.

M. Stéphane Mazars, rapporteur. Les expérimentations menées par les collectivités territoriales sur le fondement du quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution ont été permises par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République.

Dix-huit ans après l’acte II de la décentralisation, le constat est sans appel : les possibilités ouvertes en la matière sont restées largement inexploitées. Quatre expérimentations seulement ont eu lieu dans ce cadre ; deux ont été généralisées avant leur évaluation finale, une a été abandonnée et une autre a été prolongée. Ces expérimentations portaient sur le revenu de solidarité active (RSA), sur la tarification sociale de l’eau ainsi que sur la taxe d’apprentissage et l’accès à ce dispositif. Ce sont des sujets essentiels et concrets, et il aurait dû y avoir d’autres expérimentations.

Le constat relatif aux causes d’une telle désaffection est largement partagé. La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation et le Conseil d’État ont produit en 2018 et 2019 un important travail qui a mis en évidence des problèmes spécifiques.

La procédure prévue par la loi organique du 1er août 2003 est trop lourde, ce qui allonge excessivement les délais. À l’évidence, la portée des possibilités ouvertes par la révision constitutionnelle a été restreinte par la loi organique. Il faut franchir pas moins de sept étapes pour mettre en œuvre une expérimentation, et tous les observateurs s’accordent à dire que les délais sont bien trop longs.

S’agissant des quatre expérimentations qui ont été réalisées, un délai moyen d’un an a été constaté entre la loi ou le décret autorisant le lancement de l’expérimentation et la publication du décret arrêtant la liste des collectivités territoriales autorisées à y prendre part.

Par ailleurs, le caractère binaire de l’issue de l’expérimentation – abandon ou généralisation – s’est avéré peu incitatif pour les collectivités.

L’évolution de la loi organique du 1er août 2003, souhaitée par le Gouvernement, doit être envisagée à cadre constitutionnel constant. Je ne puis que regretter que la perspective d’une adoption prochaine de la révision constitutionnelle qui aurait permis d’offrir plus de responsabilités et de libertés à nos territoires se soit éloignée, mais je constate que cette contrainte n’a pas empêché le Gouvernement de présenter un projet de loi organique opérationnel et utile, qui permettra de simplifier et de faciliter les expérimentations, au plus près du terrain.

À cette fin, les articles 1er, 2, 4 et 7 du projet de loi organique faciliteront l’entrée des collectivités territoriales dans l’expérimentation et allégeront le contrôle exercé en la matière. L’article 2 mettra ainsi un terme au régime d’autorisation préalable pour l’entrée des collectivités territoriales dans une expérimentation.

L’article 3 prévoit que les actes dérogatoires entrent en vigueur dans les conditions du droit commun.

L’article 5, que le Sénat a profondément remanié, enrichira le processus d’évaluation grâce à la remise d’un rapport intermédiaire au cours de l’expérimentation.

L’article 6 consacre deux options supplémentaires à l’issue de l’expérimentation : d’une part, le maintien des mesures prises à titre expérimental dans les collectivités territoriales participantes, ou seulement dans certaines d’entre elles, et la possibilité d’une extension à d’autres collectivités ; d’autre part, la modification des dispositions régissant l’exercice de la compétence ayant fait l’objet de l’expérimentation. Je ne doute pas que cet article permettra d’adopter une approche plus fine et plus intelligente de la mise en œuvre des politiques publiques, afin de répondre aux problématiques de chaque territoire.

Le principe d’égalité, auquel nous sommes tous très attachés, contraindra la pérennisation différenciée des expérimentations, ce qui est une bonne chose. Le Sénat a fait en sorte que cette contrainte positive soit inscrite noir sur blanc dans le texte. Cependant, le principe d’égalité ne doit pas recevoir une interprétation monolithique. Comme tout principe, il peut faire l’objet d’adaptations dès lors que celles-ci sont justifiées, en l’espèce par une situation objectivement différente ou par un motif d’intérêt général. Madame la ministre, pouvez-vous répondre aux craintes portant sur la préservation du principe d’égalité ?

Cette interrogation mise à part, le présent projet de loi organique s’inscrit dans une démarche collective et consensuelle qu’il convient de saluer. Il se fonde sur des travaux préparatoires de grande qualité ; il est soutenu par l’ensemble des associations d’élus locaux que nous avons auditionnées ; le Sénat, saisi du texte en premier lieu, a enrichi ses dispositions de manière constructive. Nous pouvons espérer une adoption définitive rapide et une entrée en vigueur dans les délais les plus brefs.

Toutefois, ce projet de loi organique ne saurait se suffire à lui-même. L’ambition ne se décrète pas, elle se suscite. Pour développer une démarche expérimentale dans nos territoires, il faudra indiscutablement tenir compte de deux aspects.

Tout d’abord, il faut se pencher sur la question de l’offre. Rien ne sert de simplifier la procédure d’adhésion si le nombre des expérimentations proposées est trop faible – en l’occurrence, quatre en dix-huit ans, c’est trop peu. S’il existe aussi d’autres expérimentations, par exemple sur le fondement de l’article 37-1 de la Constitution, il est nécessaire de donner un nouvel élan à celles relevant de l’article 72. Il ne s’agit pas d’un slogan ou d’une mode. J’ai la conviction que l’expérimentation peut apporter des réponses pertinentes à la recherche d’efficience pour les politiques publiques et au besoin de proximité exprimé par bon nombre de nos concitoyens.

La question de la demande se pose aussi, à l’échelon territorial. Il est nécessaire d’encourager les expérimentations, ce qui suppose d’assurer un véritable accompagnement des collectivités par les services de l’État afin qu’elles puissent s’emparer concrètement de la réforme. Il ne suffit pas de simplifier : il faudra aussi encourager et accompagner les collectivités dans la durée.

Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer les intentions du Gouvernement sur ces deux points, afin que la réforme utile et bienvenue qui nous est proposée se traduise, cette fois, par des actes concrets ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Avant d’entendre les orateurs des groupes, je donne la parole à la rapporteure de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

Mme Monica Michel, rapporteure pour avis. La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation a décidé de se saisir pour avis du projet de loi organique relatif à la simplification des expérimentations mises en œuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution. Je me ferai l’écho des représentants des collectivités territoriales que nous avons pu consulter et des débats que nous avons eus le 11 février dernier au sein de la délégation.

Nous pouvons nous féliciter des simplifications introduites par ce texte, qui offre un cadre plus attractif pour lancer des expérimentations. Néanmoins, tout l’enjeu de la réforme est de savoir si le pouvoir central et les collectivités territoriales se saisiront de ce nouvel outil pour mieux adapter le droit aux réalités locales. Le développement des expérimentations ne sera prometteur que s’il s’accompagne d’une responsabilisation pour les élus locaux, auxquels on donne la capacité de coconstruire les politiques publiques.

Je ne reviendrai pas sur l’analyse des modifications apportées par le texte. En revanche, je rappellerai les principaux points sur lesquels il faut être vigilant si on veut donner à cette réforme une véritable portée concrète.

Mme Françoise Gatel, rapporteure du texte au Sénat, a estimé que le projet de loi organique prévoyait des ajustements essentiellement techniques et qu’il ne pourrait pas consacrer un véritable droit à la différenciation. Mon appréciation de la portée de cette réforme est différente. Sans méconnaître le fait qu’une révision constitutionnelle aurait permis de conforter le droit à la différenciation, j’estime que le présent texte peut constituer un véritable progrès si les collectivités territoriales sont vraiment incitées, grâce à des marges de manœuvre importantes, à mettre en œuvre des expérimentations. L’objectif est de les inciter à participer plus fréquemment à des expérimentations conduisant à déroger aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences.

J’aimerais attirer l’attention sur le fait qu’il est difficile de mener à bien une véritable expérimentation. Le recours à cette méthode n’a de sens que lorsque le décideur public est confronté à une incertitude empêchant de prendre immédiatement la meilleure décision pour tous. Une expérimentation rigoureuse doit respecter certains critères, notamment en ce qui concerne la justification de la dérogation au principe d’égalité. Pour qu’elle éclaire véritablement les choix de politique publique, l’expérimentation doit aussi être menée selon une certaine méthode. Il faut notamment une définition précise des hypothèses retenues et des objectifs poursuivis, un délai suffisant pour dégager des résultats probants et la détermination, dès le lancement de l’expérimentation, des critères de succès et des modalités d’évaluation.

Nous savons que toute expérimentation allonge le temps de la décision publique. Il faut donc prendre du recul afin de déterminer si l’enjeu de la réforme justifie l’utilisation de cette procédure complexe. Lors de son audition, Mme Géraldine Chavrier, professeure de droit public, a appelé notre attention sur le risque de recourir à la méthode de l’expérimentation pour de mauvaises raisons. Bien souvent, cela sert à déroger à des normes nationales bien trop précises, que les collectivités territoriales ne parviennent pas à adapter au contexte local. Il serait préférable d’adopter des normes nationales plus souples, ce qui dispenserait de recourir à l’expérimentation. Celle-ci devrait être réservée à des réformes complexes, pour lesquelles cette méthode d’évaluation des résultats sur un échantillon test se justifie.

J’en viens aux conditions qui permettront de faire en sorte que ce nouveau cadre pour l’innovation soit réellement utilisé.

Tout d’abord, il faut donner des marges de manœuvre aux collectivités territoriales pour mener à bien les expérimentations. Même si la loi organique encadre strictement la procédure, une lecture de la réforme allant dans le sens de l’autonomie des collectivités, auxquelles on laisserait le choix des modalités de l’expérimentation, demeure possible. Lors de l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau, une large palette de mesures a ainsi été proposée. La loi du 15 avril 2013 qui a lancé l’expérimentation s’inscrivait dans une logique de subsidiarité. Les collectivités pouvaient opter pour des mesures plutôt préventives, visant à éviter les impayés de factures d’eau, ou pour des mesures de modulation des tarifs en fonction de critères sociaux. Elles pouvaient également choisir un tarif progressif et privilégier une aide au paiement des factures. Les lois qui lanceront les expérimentations futures devront éviter de fixer des critères trop stricts en ce qui concerne la définition des collectivités susceptibles de participer, et il faudra laisser à ces dernières la liberté de choisir les moyens qu’elles entendent mobiliser.

Par ailleurs, le Gouvernement devrait inciter les collectivités à proposer et à formuler des expérimentations, et les aider à le faire. Mme Géraldine Chavrier a appelé notre attention sur les difficultés que rencontrent les collectivités dans ce domaine. Par exemple, les élus locaux expriment très souvent le souhait d’avoir plus de responsabilités en matière de formation professionnelle, mais ils ne s’engagent pas dans une démarche qui consisterait à identifier clairement la norme législative ou réglementaire les empêchant de procéder à des innovations en la matière. Mme Chavrier a suggéré de s’inspirer du dispositif « France expérimentation », créé en mai 2018, qui permet aux acteurs économiques de demander une dérogation temporaire à une norme réglementaire ou de signaler une disposition législative qui rend impossible une innovation et dont ils souhaitent l’aménagement. Le Conseil national d’évaluation des normes pourrait organiser une procédure « France expérimentation des collectivités locales » afin de recueillir des suggestions d’expérimentation et d’aider à détecter, pour chaque catégorie de collectivités, les normes réglementaires ou législatives qui constituent des facteurs de blocage.

Les représentants de l’Assemblée des départements de France que nous avons auditionnés ont estimé que l’adoption du présent projet de loi organique pourrait avoir une portée importante en ce qui concerne la mise en œuvre concrète du principe de subsidiarité. Les expérimentations permettront aux collectivités de démontrer en quoi une adaptation de la norme nationale est justifiée, compte tenu des caractéristiques locales.

Par ailleurs, les débats au Sénat ont rappelé la nécessité d’accompagner les petites collectivités, qui disposent de faibles moyens sur le plan humain et en matière d’ingénierie technique. Dans le cadre de nos auditions, plusieurs pistes ont été évoquées pour permettre à toutes les collectivités de participer à des expérimentations.

En conclusion, la présente réforme des expérimentations menées par les collectivités territoriales peut constituer une nouvelle étape de l’adaptation des politiques publiques aux spécificités locales. Il faudra, néanmoins, que l’assouplissement de la procédure aille de pair avec un changement de culture administrative.

L’encadrement de la phase expérimentale et le mécanisme d’évaluation permettront de justifier les règles dérogatoires par des critères objectifs. Ainsi, les collectivités pourront mieux s’approprier la pratique de la différenciation, dans un cadre plus protecteur.

Il faudra cependant mener de front plusieurs chantiers, tels que le renforcement du pouvoir réglementaire local et de nouveaux transferts de compétences de l’État, afin de parvenir à donner plus d’autonomie aux collectivités territoriales et d’avancer sur la voie de la différenciation durable.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous pouvons désormais entendre les orateurs des groupes.

M. Rémy Rebeyrotte. Nous sommes appelés à examiner un texte qui apportera sans nul doute une nouvelle pierre à l’édifice de la décentralisation. L’objet du projet de loi organique est, ni plus ni moins, de permettre de recourir enfin – et réellement – à l’expérimentation territoriale, en ouvrant le cadre de la procédure de 2003. Celle-ci est trop restrictive : elle a considérablement limité le recours à l’expérimentation locale. En la matière, la loi organique de 2003, c’est un peu « je t’aime… moi non plus » ou la « Javanaise » : « J’avoue j’en ai bavé pas vous (…) / Avant d’avoir eu vent de vous » (Sourires).

Le premier des quatre axes du texte consiste à simplifier les conditions de déclenchement de l’expérimentation, en mettant fin au régime de l’autorisation préalable, pour lui substituer une procédure en vertu de laquelle toute collectivité pourra décider d’entrer dans une expérimentation par une délibération motivée, au lieu de demander au Gouvernement l’autorisation de le faire, en prévoyant que le préfet, et non plus le Gouvernement, vérifie, au titre du contrôle habituel de légalité, que la collectivité remplit les conditions législatives ou réglementaires de participation, en assouplissant le contrôle spécial de légalité sur les expérimentations, et en restreignant strictement aux délibérations des collectivités la faculté du préfet d’assortir son recours d’une demande de suspension.

Le deuxième axe vise à organiser davantage selon le droit commun le régime juridique des actes pris dans le cadre d’une expérimentation. La publication au Journal officiel sera réalisée à titre informatif, et les actes seront soumis au contrôle de légalité dans les conditions de droit commun.

Troisièmement, le texte ouvrira d’autres possibilités, comme madame la ministre l’a rappelé, à la suite des expérimentations locales, en sortant de la logique binaire actuelle – abandon ou généralisation. L’expérimentation pourra également aboutir au maintien des mesures prises à titre expérimental, pour les collectivités ayant participé à l’exercice et souhaitant le poursuivre, ainsi qu’à une extension à d’autres collectivités volontaires. La loi pourra également modifier les dispositions régissant l’exercice d’une compétence ayant fait l’objet d’une expérimentation réussie.

Le quatrième axe, ajouté par le Sénat, concerne la remise au Parlement de rapports permettant de suivre les expérimentations conduites et d’évaluer les processus de mise en œuvre.

Ma première conclusion, c’est qu’on ne remet pas en cause le principe d’égalité en droit. Toute collectivité pourra donner suite à une volonté d’expérimentation dès lors que différence de traitement est justifiée par un motif d’intérêt général lié à des différences de situation objectives. Mieux, on encouragera l’équité, aux côtés de l’égalité. Face à une difficulté propre à un territoire, identifiée par ses élus, l’expérimentation doit permettre de tenter d’apporter un remède – c’est extrêmement important.

Par ailleurs, on injectera une dynamique supplémentaire dans notre République décentralisée. Le projet vient du terrain, et gageons que l’expérimentation ne sera pas qu’une affaire de métropoles : cela peut être aussi une affaire rurale dès lors que de l’ingénierie est apportée à des élus locaux qui ont véritablement envie d’expérimenter et d’avancer face à un problème.

Enfin, on anticipera en ce qui concerne un des aspects du projet de loi « 4D », la différenciation positive.

Pour toutes ces raisons, le groupe La République en Marche votera ce texte, aux côtés de ses partenaires, et remercie le Sénat pour ses apports utiles.

Pourriez-vous préciser, madame la ministre, quelles dispositions du projet de loi « 4D » permettront d’approfondir le droit à la différenciation territoriale que nous appelons de nos vœux pour renforcer encore la dynamique locale ? Je suis de ceux qui pensent que si on poussait encore un peu plus loin l’initiative et l’innovation dans nos territoires, on pourrait peut-être gagner un ou deux points de croissance supplémentaire dans notre pays en soutenant véritablement l’expérimentation – je pense à l’économie circulaire ou à la dimension sociale. Ce sont autant d’enjeux à traiter si on veut aider le développement local de nos territoires.

M. Arnaud Viala. Vous aurez, madame la ministre, le soutien du groupe Les Républicains pour ce projet de loi organique : il corrigera les défauts, si je puis m’exprimer ainsi, de la révision constitutionnelle de 2003 qui a introduit le droit à l’expérimentation. Les collectivités voulant en faire usage font face, selon le rapporteur, à sept verrous cumulatifs – je crois que la délégation aux collectivités territoriales en a même identifié neuf, mais cela n’a pas grande importance. Seulement quatre expérimentations ont pu être conduites, et elles l’ont été par de très grandes collectivités qui avaient des moyens, en matière d’ingénierie et d’accompagnement juridique, dont l’immense majorité de nos collectivités ne disposent pas.

Nous souscrivons à la simplification du dispositif et à l’évaluation prévue par le Gouvernement et enrichie par le Sénat, qui a demandé la réalisation d’une évaluation intermédiaire, ce qui nous paraît intéressant. Nous pensons que cette nouvelle mouture du dispositif mérite d’être regardée de près par le Parlement et peut-être d’être encore enrichie. Vous observerez néanmoins que nous n’avons déposé aucun amendement, comme je l’avais dit : nous voterons le texte en l’état.

Nous plaçons beaucoup d’espoir dans ce qui suivra cette première étape. Nous attendons avec impatience le plat principal, si je puis dire, à savoir le projet de loi « 4D » qui devrait nous permettre d’aller plus loin, notamment en matière de différenciation. Comme tous les autres orateurs, je suis très vigilant sur la nécessité que les règles de la République s’appliquent de manière égale et équitable sur l’ensemble du territoire. Néanmoins, pour être un élu local, comme beaucoup ici, je me rends bien compte tous les jours que les difficultés et les enjeux ne sont pas les mêmes partout et que nous devons faire en sorte que notre action au service de nos concitoyens soit la plus proche possible de leurs préoccupations réelles.

Le champ des possibles est immense pour peu qu’on veuille bien ouvrir la boîte. Je suis donc demandeur de précisions sur ce que contiendra le projet de loi « 4D ». Au travers des travaux menés dans le cadre de la délégation aux collectivités territoriales, nous avons concouru à fournir du contenu sur ce que peuvent être les attentes dans nos territoires.

Par ailleurs, nous serons vigilants sur ce que vous avez présenté comme un renforcement, au moyen d’une décision réglementaire, de l’accompagnement des élus. Je reste un peu inquiet de ce que sera le contrôle de légalité des préfets, de leur appréciation des demandes d’expérimentation, non parce que je les soupçonne de vouloir empêcher leur concrétisation mais parce que je crains que beaucoup d’entre eux aient des craintes concernant la sécurité juridique des actes et qu’ils ne soient pas en mesure d’accompagner suffisamment les territoires. Vous avez indiqué vouloir un renforcement à ce niveau ; cela me paraît essentiel si on veut, en particulier, que l’ensemble des collectivités, de toutes les strates, puissent bénéficier des dispositions de ce texte.

Pour conclure, je tiens à dire que l’Aveyron, qui est bien représenté dans cette commission, par deux députés, a déjà identifié un sujet que nous souhaitons soumettre non pas à vous, madame la ministre, mais à madame la préfète – elle vous transmettra notre proposition, j’en suis sûr – en vue des premières expérimentations qui seront menées après l’adoption de ce nouveau dispositif.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Créé par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, le quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution permet aux collectivités territoriales et à leurs groupements de déroger, lorsque la loi ou le règlement l’a prévu, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences.

En plus de quinze ans, cela a déjà été dit, seulement quatre expérimentations ont été menées sur le fondement de cette disposition constitutionnelle. La lourdeur de la procédure au terme de laquelle les collectivités territoriales peuvent être autorisées à participer à des expérimentations et le caractère binaire de l’issue prévue par la loi organique en réduisent l’intérêt. Parmi les quatre expérimentations réalisées, trois ont été généralisées : celles portant sur le RSA, sur la tarification sociale de l’eau et sur l’accès à l’apprentissage jusqu’à l’âge de trente ans.

Le présent texte vise à simplifier le recours aux expérimentations locales. Alors que la procédure actuelle compte de nombreuses étapes, toute collectivité entrant dans le champ d’application d’une expérimentation pourrait désormais décider d’y participer par une délibération motivée, sous le contrôle du préfet.

Le projet de loi organique prévoit aussi de nouvelles possibilités au terme des expérimentations. Actuellement, le résultat est binaire : soit une généralisation soit un abandon total. Le Gouvernement propose de compléter l’article L.O. 1113‑6 du code général des collectivités territoriales en indiquant non seulement que l’expérimentation peut aboutir au maintien des mesures prises à titre expérimental dans les collectivités territoriales ayant participé à l’exercice, ou seulement dans certaines d’entre elles, ou à leur extension à d’autres collectivités, mais aussi que la loi peut modifier les dispositions régissant l’exercice de la compétence ayant fait l’objet d’une expérimentation.

Le texte entend faciliter et donc multiplier les expérimentations menées par les collectivités locales. Il simplifiera les conditions d’entrée et de sortie applicables, dans l’objectif de mettre en œuvre le principe de différenciation territoriale.

Le projet de loi organique fait suite à une étude demandée par le Premier ministre au Conseil d’État, en 2019, et qui a pour titre : « Les expérimentations : comment innover dans la conduite des politiques publiques ».

Aux côtés de l’expérimentation, l’attribution aux collectivités territoriales de compétences différentes ou l’instauration de modalités d’exercice différentes de leurs compétences, partout où cela se justifie par une différence de situation ou par un motif d’intérêt général, l’adaptation des lois et des règlements, la dévolution du pouvoir réglementaire, l’accroissement du recours à l’outil contractuel et les délégations de compétences sont autant de leviers juridiques pour adapter le droit aux besoins locaux que le Gouvernement souhaite utiliser afin de donner corps au principe de différenciation.

Comme le texte concerne les collectivités, il a d’abord été étudié par le Sénat. Deux éléments sont ressortis de cet examen : le renforcement des moyens d’évaluation des expérimentations et la pérennisation de ces dernières dans le respect du principe d’égalité.

Ce projet de loi organique, qui fait largement consensus – les interventions précédentes en témoignent –, va dans le sens de l’action menée par le groupe Démocrate en faveur des collectivités territoriales. Depuis le début de cette législature, nous nous mobilisons pour assurer un renforcement de l’innovation dans les territoires et une meilleure décentralisation des politiques publiques. Si l’on veut contribuer à la restauration du lien de confiance avec nos concitoyens, soutenir la vitalité des territoires et accompagner ces derniers, tout en permettant une déclinaison efficace des politiques publiques au niveau local, il est essentiel de donner davantage de liberté et de marges de manœuvre à nos collectivités. Ce sera ensuite à elles de s’en saisir.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je vais laisser la ministre répondre à ces premières interventions.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je remercie le rapporteur, Stéphane Mazars, pour son intervention et son soutien au projet de loi organique. Il faut rappeler, comme il l’a fait, que ce texte s’inscrit dans un cadre constitutionnel constant, ce dont Monica Michel a également parlé. Nous avions inscrit le droit à la différenciation dans la révision constitutionnelle prévue au début de la législature, mais elle n’a pas pu aboutir – je ne reviendrai pas sur ce point.

Par ailleurs, on doit respecter le principe d’égalité, cela a été dit. Le Sénat a voulu que cela figure à l’article 6 – c’était évident, mais il y aura ainsi une garantie supplémentaire… J’ajoute que toute loi organique est soumise de droit au Conseil constitutionnel, avant sa promulgation, pour que sa conformité à la Constitution soit confirmée. Tout est donc bordé. Je crois qu’il est très important de le rappeler à ceux qui auraient des inquiétudes quant au respect du principe d’égalité.

Celui-ci implique que l’application de règles différentes par une collectivité doit être justifiée par une différence de situation. Je ne vois pas cela comme une limite mais plutôt comme une garantie de l’équité de traitement sur tout le territoire. Vous l’avez d’ailleurs très bien souligné, monsieur le rapporteur, dans un article publié par Acteurs publics : vous avez résumé la situation en disant que la contrainte liée au principe d’égalité est positive pour les expérimentations. Ce principe nous oblige au sens noble du terme. On doit fixer initialement les critères permettant d’établir la liste des collectivités, et le législateur accompagne l’instauration de ces critères : il en est le garant.

Nous partageons l’idée, évoquée à plusieurs reprises, qu’il est nécessaire de mieux accompagner les collectivités pour leur permettre d’accéder à cet outil juridique. Le renforcement de l’ingénierie est une constante de notre action depuis 2017.

En ce qui concerne les expérimentations, concrètement, nous allons créer des guichets permanents, qui seront spécifiques, auprès des préfets. Cela permettra à l’État de recueillir les propositions des collectivités territoriales en matière d’expérimentation. Par ailleurs, c’est à elles de solliciter une ingénierie juridique afin d’être accompagnées dans le montage des dérogations aux normes législatives ou réglementaires.

Au niveau central, les guichets locaux s’appuieront sur la direction générale des collectivités locales (DGCL), qui centralisera les propositions reçues par les préfectures et assurera une coordination avec les différents ministères chargés d’examiner l’opportunité et la faisabilité des propositions.

Le dispositif permettra également d’accompagner les collectivités territoriales dans la mise en œuvre des expérimentations, qui peuvent être complexes sur le plan juridique, notamment dans la mesure où s’il s’agit d’édicter des actes locaux dérogeant au droit national.

Je précise, en réponse à Monica Michel, que les associations d’élus pourront aussi être à l’origine de propositions, de même que le CNEN.

Je remercie Rémy Rebeyrotte pour tout ce qu’il a dit en faveur de ce projet de loi organique, qui renforcera effectivement le dynamisme des territoires. Nous espérons que beaucoup de propositions seront faites.

Le projet de loi « 4D » constituera un premier support pour héberger de nouvelles expérimentations. Nous en prévoyons déjà deux, sur la base de l’article 72 de la Constitution : une délégation complète de compétences en matière de logement, qui permettra aux établissements publics de coopération intercommunale de se voir déléguer en bloc ce qui concerne les aides à la pierre, l’hébergement, le droit au logement opposable, le contingent préfectoral et les réquisitions, ainsi que des mesures relatives au renforcement des dispositifs d’insertion et d’orientation pour les allocataires du RSA. Si l’Aveyron faisait rapidement une proposition d’expérimentation susceptible d’être inscrite dans le projet de loi « 4D », par amendement, nous en serions également heureux, monsieur Viala.

Comme Stéphane Mazars l’a rappelé, l’article 37-1 de la Constitution permet aussi de réaliser des expérimentations, notamment dans le cadre de la décentralisation.

Le projet de loi « 4D » comportera une boîte à outils pour la mise en œuvre de la différenciation. Nous proposons, par exemple, que les collectivités puissent gérer leur propre pouvoir réglementaire pour certaines compétences. Il y aura aussi des mesures de déconcentration et de simplification visant à ce que l’État accompagne mieux les territoires.

Les outils, nombreux, que nous prévoyons permettront de s’adapter à la réalité du terrain. Comme Arnaud Viala l’a dit – et je le remercie pour son soutien –, on est toujours attaché à l’unité de la République et à l’équité entre les territoires, mais force est de constater – j’ai aussi été une élue locale – que la réalité de la vie quotidienne et des territoires fait qu’on a besoin de réponses adaptées.

Quand on a adopté des lois relatives à la montagne, elles étaient adaptées au fait qu’on ne peut pas faire les mêmes choses à la montagne et dans les plaines : on pratiquait déjà la différenciation. Je rappelle aussi que la loi sur la collectivité européenne d’Alsace a été adoptée à cadre constitutionnel constant. Il faut manier l’outil constitutionnel, si je puis dire, avec souplesse et efficacité. Ce texte nous donnera un outil supplémentaire pour le faire.

Je remercie également Élodie Jacquier-Laforge pour son intervention positive.

M. Hervé Saulignac. Contrairement à nos habitudes, une forme d’unanimité semble se dessiner autour de ce texte dont j’ai cru comprendre tout à l’heure qu’il apporterait une nouvelle pierre à l’édifice de la décentralisation. Pour ma part, j’y vois plutôt un caillou, ce qui est plus modeste… Il est vrai, néanmoins, qu’on a parfois besoin de cailloux pour faire tenir certains édifices.

Après quelques ratés, comme la révision constitutionnelle ou le projet de loi « 4D », qui finira bien par être présenté, le Gouvernement semble avoir besoin de témoigner un peu d’amour aux collectivités mais, comme vous le savez, en amour, les preuves comptent plus que les paroles. Dans ce texte, il y a surtout beaucoup de paroles : les preuves sont parfois un peu légères, même si nous ne contestons pas qu’il y ait des avancées, notamment en matière de simplification.

Par ailleurs, votre façon de procéder manque un peu de lisibilité. Pourquoi ces mesures ne font-elles pas partie du projet de loi « 4D » ? Pour quelles raisons est-il indiqué dans l’exposé des motifs que le texte tend à « illustrer le principe de différenciation territoriale » alors que ses dispositions n’ont pas cette portée ? L’expérimentation n’est pas la même chose que la différenciation territoriale.

Nous avons plutôt le sentiment que vous meublez l’agenda gouvernemental en envoyant une petite carte postale aux maires, aux présidents des intercommunalités et à ceux des conseils départementaux et régionaux.

Nous tenons à rappeler quelques points extrêmement importants à nos yeux. Tout d’abord, l’expérimentation est indissociable de l’évaluation et nous reconnaissons l’apport du Sénat en la matière. Ensuite, il faut réfléchir aux instruments permettant d’inciter les collectivités à faire usage de leur droit à l’expérimentation – sans doute pourrait-on penser à l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Enfin, chacun peut constater à l’occasion de la crise sanitaire que le pays tient aussi, en grande partie, grâce à ses collectivités. Seule une grande loi de déconcentration, de décentralisation et de différenciation pourra consacrer leur place.

Bien que ce texte ne nous inspire pas un enthousiasme délirant, mon groupe le votera. « Faute de grives, on mange des merles. »

M. Christophe Euzet. Ce texte apportera bien une nouvelle pierre à l’édifice que vous construisez, madame la ministre, et il répond à une véritable attente de nos compatriotes et des élus locaux en matière d’expérimentation et de différenciation, dans une période où l’on s’interroge beaucoup sur les rapports entre le centre et la périphérie mais aussi sur l’uniformité de notre système normatif.

Le dispositif proposé permettra de multiplier les expérimentations, il en simplifiera les conditions d’entrée et en étoffera les issues possibles. Bref, il créera un cadre, une boîte à outils que le projet de loi « 4D » pourra compléter.

Le système en vigueur depuis 2003, tout le monde le dit, n’a pas fonctionné : quatre expérimentations en dix-sept ans, c’est vraiment très peu ! La renonciation à l’autorisation préalable au bénéfice d’une déclaration me semble très pertinente, de même que l’allégement du contrôle de légalité, mais le texte permettra surtout de dépasser l’alternative entre l’abandon et la généralisation globale des expérimentations, en permettant une différenciation pérenne. Tout dépendra, néanmoins, du contenu de la future loi « 4D ».

Mon groupe se réjouit des modifications adoptées par le Sénat, notamment en ce qui concerne l’évaluation. S’agissant du respect du principe d’égalité, désormais mentionné dans le texte, il faudra avoir l’honnêteté et le courage de reconnaître, à un moment, que la différenciation implique de renoncer à un égalitarisme absolu dès lors qu’il existe des situations différentes, imposant d’avoir recours, d’une manière proportionnée, à des solutions elles aussi différentes.

Nous adopterons sans réserve le projet de loi organique : nous n’avons déposé aucun amendement, même s’il aurait peut-être été possible d’envisager une implication de l’ANCT, qui a déjà été évoquée, et d’apporter des précisions sur les modalités de sortie d’une expérimentation pendant son déroulement. J’imagine que le parallélisme des formes s’appliquera et qu’une nouvelle délibération pourra mettre un terme à la délibération initiale.

Enfin, nous serons vigilants sur le contenu du projet de loi « 4D » : il faut que les possibilités d’expérimentation se concrétisent et que nos collectivités puissent s’inscrire pleinement dans une logique de territoire. Je viens d’une circonscription littorale où, parfois, ce qu’on appelle des « injonctions contradictoires » pose de très grandes difficultés pour la gestion locale. Nous arriverons peut-être à faire en sorte, par les dispositifs que nous adopterons, qu’il n’en soit plus de même à l’avenir et qu’on puisse enfin prendre en compte toutes les spécificités…

M. Pascal Brindeau. Cette modification de la loi organique de 2003 est essentiellement technique : elle vise à rendre plus opératoire le dispositif adopté vingt ans après la première décentralisation, le droit à l’expérimentation n’ayant pas eu le succès escompté puisque seulement quatre expériences ont été menées en la matière.

Nous voterons ce texte, que nous n’avons pas non plus souhaité amender, car il simplifiera le dispositif actuel, le rendra plus incitatif, allégera le contrôle de légalité spécifique et modifiera les procédures de sortie des expérimentations, ce qui devrait favoriser leur essor.

Ce texte n’a de sens, toutefois, que s’il s’articule bien avec la future loi « 4D ». Nous disposons depuis quelques jours d’un avant-projet : nous constatons combien son champ est étendu en matière de décentralisation, de déconcentration et de différenciation, et nous voyons qu’il ouvre des perspectives d’expérimentation qui peuvent être très larges. Sur ce plan, j’aimerais savoir quelle est la stratégie du Gouvernement dans quatre domaines.

Je pense tout d’abord à la gouvernance des Agences régionales de santé (ARS) : il est évident, quand on regarde l’organisation de l’hôpital public et la gestion de la crise sanitaire, qu’il y a un réel problème d’efficacité. Ce champ-là est-il ouvert à l’expérimentation ? Peut-on imaginer des gouvernances différenciées des ARS afin de prendre compte, notamment, des spécificités dans l’organisation de l’hôpital public et des différences concernant les enjeux de santé publique ?

Ensuite, l’avant-projet de loi prévoit d’aller au terme du transfert de la gestion des routes nationales aux départements. Peut-on envisager, dans le cadre de différenciations, d’expérimentations, une cogestion avec, par exemple, les métropoles ou les grandes agglomérations ?

Des questions se posent aussi dans le secteur du logement, où les problématiques ne sont pas les mêmes en milieu urbain et en milieu rural.

Enfin, l’arsenal législatif régissant les plans locaux d’urbanisme intercommunaux contraint beaucoup le droit à construire, d’une manière qui est assez uniforme sur l’ensemble du territoire national alors que certaines régions ou certaines zones rurales ont des besoins particuliers sur le plan de l’attractivité. Si l’étau ne se desserre pas, on ne pourra pas répondre aux objectifs fixés en matière d’aménagement du territoire. L’expérimentation, une fois encore, pourrait-elle être une piste à suivre ?

Mme Bénédicte Taurine. Nous ne sommes pas favorables à ce texte car, contrairement à ce que vous affirmez, il va accroître les inégalités entre les territoires et donc entre les citoyens. L’article 6, en particulier, ouvre la porte à la différenciation et donc, mécaniquement, à la concurrence entre les territoires – d’où notre amendement de suppression.

Par ailleurs, en l’état actuel du droit, les collectivités peuvent faire une demande de participation à une expérimentation après délibération motivée de leur assemblée. Cette demande est ensuite transmise au préfet, qui l’adresse au ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ; le Gouvernement vérifie que les conditions pour y prétendre sont remplies puis il publie par décret la liste des collectivités autorisées à y participer. Le projet de loi supprime la phase de vérification par les services de l’État. Pourtant, elle est importante. Qui y procédera ?

M. Paul Molac. Ce projet de loi comporte différents aspects techniques et vise à alléger certaines procédures afin de mettre un terme à un choix cornélien – généraliser ou arrêter une expérimentation. Cela va plutôt dans le bon sens.

La loi de 2003 visait à enfoncer un coin, mais il ne fallait pas qu’il soit trop gros, afin que les demandes ne se multiplient pas. J’ai le sentiment que l’on se méfie toujours des expérimentations, les collectivités locales étant suspectées d’attenter au principe de l’égalité, ce qui d’ailleurs me fait parfois sourire. Pourquoi la dotation globale de fonctionnement augmente-t-elle en fonction de la taille de la collectivité ? L’inégalité est flagrante et cela ne pose pas de problème ! Il en est de même dans le domaine de la santé, avec les lits de réanimation, très peu nombreux en Bretagne – ce qui tombe bien puisque nous ne sommes jamais malades ! Et je pourrai prendre d’autres exemples, comme l’éducation. On nous parle d’égalité réelle. Mais ce n’est pas parce que l’État s’occupe d’un sujet qu’il y a égalité parfaite ! C’est un mythe français ! Les expérimentations ne créent pas des inégalités puisqu’il y en a déjà un certain nombre.

À mes yeux, les exigences du terrain doivent primer. C’est ainsi que nous ne passerons pas notre temps à nous battre contre des règlements que nous devons adapter, parfois d’ailleurs en jouant sur les lignes. Là encore, je pourrais prendre des exemples, mais je m’en garderai pour ne pas donner des idées à certains.

J’ai quelques inquiétudes car la précédente loi n’a donné lieu qu’à quatre expérimentations. Nous avons évoqué le pouvoir réglementaire : nos amis corses ont dû faire quarante-huit demandes d’adaptations, ils n’ont pas eu de réponse pour quarante-six d’entre elles et ils ont reçu deux réponses négatives. On ne peut pas dire que l’adaptation est dans la culture de notre administration centrale. Pour qu’il en aille autrement, la loi devrait être bien plus permissive. C’est ainsi, seulement, que nous parviendrons peut-être à contrecarrer une administration d’État qui reste figée sur le modèle napoléonien. Le chemin est encore très long pour trouver une forme d’équilibre…

Monsieur le rapporteur a eu raison de s’interroger : quelle sera l’offre ? Quelle sera la demande ? Comment les deux vont-elles dialoguer ? Si les demandes des collectivités ne reçoivent aucune réponse, ces dernières finiront par se lasser – nous le vivons déjà dans nos assemblées locales.

Comment faire avancer ensemble l’administration centrale et les demandes de terrain ? Je formulerais volontiers des propositions iconoclastes. Régionalisons la santé, comme c’est le cas en Allemagne, où cela ne fonctionne pas nécessairement moins bien que chez nous ! Régionalisons l’éducation nationale ! Que ses fonctionnaires deviennent des fonctionnaires territoriaux ! Quel tabou – je prends le risque de manifestations massives des enseignants – alors que c’est déjà le cas dans beaucoup de pays !

Il ne faut pas craindre les aménagements proposés, si cadrés que je doute qu’il soit possible de les faire vivre.

M. Serge Letchimy. M. Saulignac a bien analysé la situation, je ne serai donc pas long. Madame la ministre, avec ce texte, vous offrez aux collectivités des possibilités de dérogations, et non d’adaptations ou d’édiction de la loi. C’est un début, l’encadrement sera moins rigide qu’il ne l’est, mais c’est toujours l’État qui autorisera cette initiative locale, qui plus est à partir d’un certain nombre de critères. Sans doute ce dispositif permettra-t-il de réaliser des actions très concrètes, mais il n’assure pas la transversalité de l’action publique.

En l’état actuel du droit, les alinéas 3 et 4 de l’article 73 de la Constitution permettent aux départements et régions d’outre-mer d’adapter ou d’édicter la loi. L’expérimentation leur est également ouverte mais aucune n’a été tentée, à l’exception d’une tentative de transfert à l’État de la gestion du revenu de solidarité active (RSA).

Je suis un fervent partisan du droit à l’égalité, qui n’est pas l’ennemi du droit à la différence. Des inégalités peuvent naître d’une application locale bête et méchante de la loi, qui ignore les réalités locales !

Sans doute faites-vous un pas décisif, madame la ministre, lorsque vous vous déclarez favorable à l’attribution d’un pouvoir réglementaire permanent aux collectivités dans leurs domaines de compétences. Vous pensez bien que si des adaptations sont nécessaires à Limoges, Paris ou Nantes, elles le sont bien plus encore à 8 000 ou 12 000 kilomètres de la métropole, dans des territoires dont la géographie, l’histoire et la culture sont bien différentes ! La subsidiarité ne saurait exister si elle s’applique aux seules compétences des collectivités, et non aux pouvoirs et aux moyens organisant la politique de développement local.

Comment voyez-vous l’expérimentation et l’application de la future loi « 4D » dans les départements et régions d’outre-mer ?

Mme Blandine Brocard. Ce texte renforcera l’innovation au sein des territoires et clarifiera la décentralisation des politiques publiques. Je suis persuadée qu’il est indispensable pour soutenir et accompagner la vitalité de tous nos territoires, tout en permettant une déclinaison efficace des politiques publiques sur le plan local.

Il prend pleinement en compte les attentes des élus locaux – plus de liberté, plus d’agilité, plus de proximité et d’efficacité – afin de répondre aux besoins spécifiques de chaque territoire. Vous avez ainsi évoqué, madame la ministre, du « cousu main ». Nous avons en effet besoin de souplesse et les élus, qui font preuve d’inventivité au service de leurs concitoyens, ne sont pas à court d’idées ni ne manquent de volonté. Ce texte rendra possible ce qui, jusqu’alors, ne l’était pas.

Néanmoins, ils doivent pouvoir s’en emparer efficacement. Vous avez d’ailleurs dit qu’il ne suffit pas de simplifier, mais qu’il convient également d’accompagner. Si la simplification du recours aux expérimentations est très satisfaisante, l’accompagnement technique et juridique des communes ne doit pas être négligé. Or, vous le savez, dans de très nombreuses collectivités, en particulier dans les petites communes, les services municipaux peuvent avoir besoin d’un soutien conséquent afin d’élaborer leurs démarches et leurs projets.

Je souhaitais initialement vous interroger sur la manière dont les préfectures pourraient conseiller et accompagner les élus dans la mise en œuvre des expérimentations. Pouvez-vous détailler le dispositif des guichets permanents auprès des préfets ? Je m’interroge notamment sur la capacité des élus à solliciter un accompagnement juridique, compte tenu du budget limité des communes qui en auraient besoin. En outre, quel soutien pourront leur apporter les chambres régionales et territoriales des comptes ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le projet de loi organique va au bout des possibilités constitutionnelles qu’offre l’article 72 en matière d’expérimentation. Nous n’avons pas pu mener à bien la réforme constitutionnelle, qui prévoyait une révision de l’article 72 pour intégrer le principe de différenciation. Nous avons choisi la possibilité qu’offrait le rapport du Conseil d’État, commandé par le Premier ministre, d’élargir la capacité d’expérimenter. Chacun doit donc considérer que nous sommes là à droit constitutionnel constant.

Sur l’article 6 et le risque que l’expérimentation ou la différenciation ne crée une inégalité dans les territoires, je partage l’avis qu’a exprimé M. Molac. En France, les inégalités étant criantes, l’expérimentation, qui, avec d’autres voies, mène à une différenciation, est une manière d’y répondre efficacement. De la même façon, quand le Gouvernement contractualise avec un territoire, chacun admet que la Creuse puisse recevoir davantage d’argent que les Hauts-de-Seine. Je crois profondément que la contractualisation est une forme moderne de décentralisation et une façon de traiter les inégalités territoriales.

Alors que nous sommes en train de signer des contrats de relance et discutons des prémices des contrats de plan État-région, nous constatons que toutes les régions ne demandent pas un accompagnement de leurs politiques publiques dans les mêmes secteurs. Certaines doivent construire des centres hospitaliers universitaires (CHU) ; d’autres, des universités. Le dialogue entre l’État et les collectivités territoriales est une manière de répondre aux inégalités dans le territoire.

S’agissant de la remarque de M. Saulignac, je n’ai jamais dit que je menais une très grande réforme de décentralisation : j’ai parlé de « petites pierres ». J’en profite pour préciser que ces dispositions étant organiques, nous ne pouvions pas les inscrire dans la loi « 4D ». C’est pourquoi nous présentons un projet de loi organique.

Les élus que j’ai rencontrés sont plus en demande d’expérimentations et de différenciation que d’une décentralisation prenant la forme d’un transfert des compétences de l’État aux collectivités territoriales. Ils plaident pour une plus grande adaptation en fonction des territoires.

S’agissant de l’ingénierie, la DGCL sera la référence pour l’accompagnement juridique. Quant à l’ANCT, elle est plutôt du côté de l’ingénierie des projets. Les collectivités territoriales ont souvent besoin d’ingénierie, mais ne la trouvent pas toujours dans leur territoire. Certaines intercommunalités l’ont développée et, parfois, des agences départementales peuvent accompagner les élus. Les services de l’État – les directions départementales des territoires (DDT) –, sont aussi présents. L’ANCT complète le dispositif, et propose un accompagnement des projets.

Les fameux guichets, qui seront ouverts dans les préfectures, seront chargés de l’accompagnement juridique des expérimentations et permettront aux préfets de faire remonter les informations. L’ANCT fera ensuite aussi son travail d’accompagnement.

M. Euzet a évoqué la possibilité pour une collectivité territoriale de se retirer en cours d’expérimentation. L’expérimentation est prévue pour une durée maximale de cinq ans. Elle peut être reconduite une fois, pour une durée de trois ans. Si, au terme des cinq ans, la collectivité souhaite se retirer de l’expérimentation dont la prolongation est envisagée, ou ne pas bénéficier de sa pérennisation, elle pourra l’exprimer. En revanche, il ne me paraît pas souhaitable qu’une collectivité puisse s’engager dans une expérimentation, puis en sortir avant la fin de la période prévue, qui est relativement brève. Une telle possibilité risquerait de générer un certain désordre dans l’organisation des administrations locales.

Monsieur Brindeau, je ne reviens pas sur les dispositions du projet de loi « 4D » en ce qui concerne le logement et les dispositifs d’insertion pour le RSA. Le projet de loi « 4D » prévoit une réforme pérenne, novatrice, non une expérimentation. Pour les ARS, il prévoit de transformer leur conseil de surveillance en conseil d’administration, afin de renforcer le rôle de cette instance et de conforter le poids des élus en son sein, avec la nomination de trois vice-présidents, dont deux vice-présidents délégués parmi les représentants des collectivités territoriales. Mener en parallèle une expérimentation concernant les ARS, différente selon les régions, me semble donc difficile. Les agences ne relevant pas d’une collectivité territoriale, cela n’entre pas dans le cadre de l’article 72.

L’expérimentation sur les routes nationales sera menée selon le principe du volontariat, qui est aussi une forme de différenciation. On n’obligera pas les départements : ils choisiront ou non l’expérimentation. Une expérimentation traitera également des routes qui pourraient être de la compétence des régions. Cela n’empêchera pas les régions de travailler avec les départements, puisqu’il ne s’agit pas de recréer au niveau des régions des services qui existent déjà dans les départements.

Quand je vois M. Molac, je pense également à un autre point ! Un article du projet de loi « 4D » entend revenir sur les conférences territoriales de l’action publique (CTAP). Le dispositif, qui fonctionne très bien en Bretagne, et moins en région Centre, permet d’évoquer les relations entre différents niveaux de collectivités sur un même territoire. On parle très souvent des relations verticales, entre l’État et les collectivités territoriales, mais il serait bon que les régions parlent davantage aux départements, et vice versa. En l’espèce, l’exemple des routes est très parlant.

Le projet de loi « 4D » comprend également une boîte à outils intéressante en matière d’urbanisme, pour faciliter l’action des collectivités territoriales, notamment s’agissant des biens sans maître. Il institutionnalise également les opérations de revitalisation du territoire (ORT). Un article porte aussi sur la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) et j’espère qu’en l’espèce, on prendra en compte la différenciation. Les documents d’urbanisme, je le rappelle, sont déjà aux mains des collectivités territoriales.

Je confirme à M. Letchimy que le dispositif d’expérimentation est fixé par la loi, mais que l’initiative revient aux collectivités. Le pouvoir réglementaire local existe déjà, mais il faut le renforcer s’agissant des compétences des collectivités et passer du décret à la délibération. Le dispositif du projet de loi organique est applicable dans les départements d’outre-mer (DOM) et les régions d’outre-mer (ROM). Les exécutifs locaux pourront faire des propositions.

L’article 73 de la Constitution prévoit en outre un dispositif spécifique permettant à aux collectivités qu’il régit de fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi, sur habilitation du législateur.

M. Serge Letchimy. Ce dispositif est trop lourd !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Il est différent de celui de l’article 72. Enfin, le projet de loi inclut plusieurs articles sur l’outre-mer, qui prévoient des adaptations. Pour la Martinique, on peut notamment citer l’Agence des cinquante pas géométriques.

La Commission en vient à l’examen des articles.

Article 1er (art. LO. 1113-1 du code général des collectivités territoriales) : Contenu de la loi qui autorise les collectivités territoriales à expérimenter

La Commission examine conjointement les amendements CL13 et CL17 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. Les modifications procédurales et administratives qu’apporte le projet de loi organique sont globalement positives, notamment la simplification de la procédure. Néanmoins, le schéma reste très descendant puisque c’est le législateur qui ouvre l’expérimentation et non une ou plusieurs collectivités territoriales qui formulent une proposition. Or il est question d’expérimentations qui peuvent mener à une différenciation, de projets à l’échelle des assemblées délibérantes, de politiques publiques mûries, débattues – y compris avec une expertise d’ingénierie – par les collectivités elles-mêmes.

L’intérêt pour l’expérimentation et la différenciation préexiste donc au projet de loi. Nous rencontrons là une difficulté de nature, qui suscite la crainte et des freins que mon collègue Paul Molac a exposés. Je ne doute pas de la compétence de la DGCL ou de l’ANCT. En revanche, je m’interroge sur leur immersion dans la réalité des territoires, et sur leur expérience pratique des sujets de développement.

Il importe de remettre l’église au milieu du village. La proposition est réalisable à droit constant – vous avez évoqué les limites constitutionnelles. C’est donc un choix d’opportunité politique et de confiance, plus qu’un problème juridique. Tout en soulignant les avancées procédurales, nous regrettons, comme vous, que la réforme constitutionnelle soit à l’arrêt. Nous le savons, pour la Corse comme pour d’autres collectivités, ce n’est que par une réforme et une clarification de la Constitution que nous parviendrons à développer des partenariats forts avec les territoires.

L’amendement CL13 vise ainsi à réécrire le début du premier alinéa de l’article L.O. 1113-1 du code général des collectivités territoriales, pour faire apparaître les propositions d’une ou plusieurs collectivités territoriales dans le processus d’élaboration de la loi d’habilitation. L’amendement CL17 propose une autre rédaction de ce même principe.

M. Stéphane Mazars, rapporteur. Les amendements font écho à notre discussion et à la question que j’ai posée à madame la ministre, pour savoir si la mise en œuvre de la réforme sera descendante, si un espace sera réservé aux propositions du terrain, que le Gouvernement pourrait reprendre. Nous ne pourrons pas donner un avis favorable à vos amendements mais, politiquement, nous partageons votre préoccupation. Par voie réglementaire, il me semble qu’il sera précisé que les collectivités pourront faire l’objet d’un accompagnement pour faire mûrir des propositions, qui seront transmises au niveau gouvernemental. Madame la ministre a précisé « l’offre de services » de l’État, par le biais la DGCL ou de l’ANCT, pour nourrir la réflexion des collectivités. On peut donc considérer que votre préoccupation est pleinement satisfaite.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Les amendements sont satisfaits puisque le texte prévoit que les collectivités pourront proposer une expérimentation par une simple délibération. Les amendements auraient pour effet de créer une nouvelle catégorie de lois d’habilitation, ce qui ne serait pas constitutionnel. En outre, vous ne pouvez priver le législateur de sa capacité à intervenir. Je donnerai donc un avis défavorable.

M. Serge Letchimy. Je soutiens les amendements de M. Acquaviva, qui soulèvent l’enjeu de l’édiction de la norme, et de son adaptation. Or vous ne donnez que la possibilité de déroger à une loi existante, et non de l’adapter. Un intervenant a rappelé précédemment le lien de cause à effet entre l’objet sur lequel vous intervenez et la capacité de modifier le règlement ou la loi par rapport à cet objet. Nous avons cette possibilité en outre-mer. C’est exactement ce que demande M. Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. Je remercie mon collègue Serge Letchimy pour son soutien et cette précision, ainsi que le rapporteur et madame la ministre, qui ont tenté de me convaincre que les amendements étaient satisfaits.

Les amendements n’ont pas pour objet d’éviter que le législateur ne se prononce, puisque la loi d’habilitation « autorise ». Il s’agit simplement de remettre l’église au milieu du village, en s’assurant de la prise en compte de la proposition d’une ou plusieurs collectivités, émise en amont.

Par ailleurs, j’ai bien compris l’offre de services de l’État. Nous touchons là au cœur du sujet. Les assemblées délibérantes sont des assemblées d’élus qui travaillent, avec des commissions, assistées de bureaux d’études. Même s’il peut prendre en compte les différences d’appréciation de l’ANCT ou de la DGCL, le débat d’opportunité sur le choix d’une expérimentation doit être démocratique, en amont, même si c’est la loi qui l’autorise, ce qui est normal. Vous proposez un accompagnement des services, c’est bien, mais il y a avant tout un débat démocratique et cet accompagnement ne peut aller à l’encontre des décisions majoritaires des assemblées délibérantes, sauf à creuser un fossé.

Tel qu’il est rédigé, l’article est la manifestation d’une crainte, bien française. C’est pourquoi les amendements visent à renverser le dispositif. Dans tous les cas, c’est bien la loi qui autorise, mais après une demande.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle examine l’amendement CL16 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. Il s’agit d’un amendement politique, et symbolique, visant à créer une nouvelle catégorie de lois, les lois d’habilitation, aux côtés des lois ordinaires, des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale, des lois autorisant la ratification d’engagements internationaux, des lois organiques et des lois constitutionnelles. Cela clarifierait l’ordre juridique et les processus législatifs.

Nous sommes tous d’accord sur le diagnostic, le sujet est important pour restaurer l’égalité réelle. Il faut rendre cette volonté lisible pour stimuler les expérimentations.

M. Stéphane Mazars, rapporteur. Vous souhaiteriez pouvoir qualifier « d’habilitation » les lois qui autorisent les expérimentations. Mais les lois d’habilitation sont une catégorie juridique bien précise, prévue par l’article 38 de la Constitution. Deux objets différents ne peuvent avoir la même dénomination. Mon avis sera donc défavorable.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Cette précision ne semble pas nécessaire dès lors que le quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution prévoit que les expérimentations locales sont mises en œuvre lorsque « la loi ou le règlement l’a prévu ». En outre, en l’état actuel du droit, l’article L.O. 1113-1 du code général des collectivités territoriales précise que les expérimentations sont autorisées par la loi. Les collectivités territoriales ne peuvent donc participer aux expérimentations locales que sur habilitation de la loi ou du règlement. Enfin, la création d’une nouvelle catégorie de textes législatifs appartient au seul constituant.

La Commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement CL15 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. Nous en avons convenu, les expérimentations issues de la loi de 2003 sont un échec patent. Nous souhaitons lever les craintes, les soupçons et les verrous en supprimant la référence à la notion de dispositions législatives « régissant l’exercice de leurs compétences » déjà visée dans la Constitution, sachant que le Conseil constitutionnel, dans le cadre de saisines éventuelles sur des lois d’habilitation, appréciera si les dérogations contenues dans ces lois portent atteinte à la Constitution, notamment à l’alinéa 4 de l’article 72. Une telle modification éviterait de trop brider la réflexion et le champ des expérimentations que voudraient mener les collectivités.

M. Stéphane Mazars, rapporteur. Vous souhaitez supprimer la référence à l’article 72 de la Constitution, qui dispose que les collectivités ne peuvent mener des expérimentations que dans leur champ de compétences. Mais les collectivités ne peuvent déroger au cadre constitutionnel.

Vous estimez que c’est un frein aux expérimentations. Nos débats ont souligné que ce qui constitue un frein, c’est à la fois la procédure en amont et l’issue de l’expérimentation en aval – les seules options étant la généralisation ou la fin de cette dernière. Le présent projet de loi vise à lever tous ces freins afin de permettre le développement des expérimentations et la mise en œuvre de politiques de différenciation sur nos territoires. Mon avis sera donc défavorable.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je suis défavorable à l’amendement pour les mêmes raisons. La moindre ambiguïté serait censurée par le Conseil constitutionnel.

M. Serge Letchimy. M. Acquaviva a raison. Vous ne vivez pas la même chose que nous. Vous tenez un raisonnement par actions. Une région ne se gère pas par multiplication d’actions, mais aussi par projets et vision. Or, quand vous vous engagez dans un projet, certaines actions sont de la compétence directe de la collectivité et d’autres relèvent de l’État. Il faut donc pouvoir négocier avec ce dernier. Ainsi, si je veux faire de la coopération et vendre des matières premières à Sainte-Lucie, au Brésil, à Trinidad, zones proches de ma région, plutôt que de faire la même chose à 8 000 kilomètres, à un coût supérieur, je ne dispose pas de la compétence fiscale. Mon projet, qui pourrait développer l’activité et créer beaucoup d’emplois et de valeur ajoutée, est donc bloqué.

Il faut décoincer la République, madame la ministre ! Je sollicite un nouveau rendez-vous pour vous y aider : je peux venir vous voir, et ensuite, bien sûr, vous viendrez !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. J’entends ce que vous dites, monsieur Letchimy, mais ce n’est pas l’objet du texte.

M. Jean-Félix Acquaviva. Nous reprendrons ce débat important en séance. Je comprends que l’État puisse avoir un avis d’opportunité sur un projet mais, juridiquement, je vous renvoie au rapport et aux discussions concernant les expérimentations prévues par la loi de 2003 : on ne parlait alors pas uniquement des compétences des collectivités, mais aussi de celles déléguées, éventuellement, par l’État.

C’est sur cette base que le législateur de 2003 avait fait le choix de ne pas retranscrire l’article L.O. 1113-1 du code général des collectivités territoriales et avait précisé que les expérimentations étaient possibles « sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti ». Le débat est donc très important. Si vous estimez que les collectivités ne peuvent mener des expérimentations que dans leur champ de compétences, alors que ce n’est pas l’esprit de la loi de 2003, vous allez renforcer les craintes et verrouiller un peu plus le dispositif…

Prenons l’exemple de la gestion de la crise sanitaire : la santé publique est pourtant bien une compétence de l’État. Qui dit compétence d’État dirait donc expérimentation impossible ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je vous renvoie à l’article 72 de la Constitution : « les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l’a prévu, déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences ». J’entends les souhaits, mais le présent projet de loi est un projet de loi organique, limité.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL6 de M. Bastien Lachaud.

Mme Bénédicte Taurine. Nous proposons de rendre systématique une étude d’impact sur tous les textes qui autorisent les expérimentations. En l’état actuel du droit, l’étude d’impact n’est obligatoire que pour les projets de loi, et pas pour les propositions, alors qu’elles peuvent aussi être à l’origine d’expérimentations.

Une étude d’impact constitue une pré-évaluation du dispositif. Pour inscrire l’expérimentation dans un cadre républicain, il nous semble indispensable de renforcer son évaluation, ainsi que son suivi. Nous souhaitons que l’on s’empare de ces instruments essentiels au bon fonctionnement des lois et des politiques publiques et que l’ANCT, comme les pôles d’équilibre territorial et rural, participent à ces évaluations.

M. Stéphane Mazars, rapporteur. Il s’agit d’une fausse bonne idée. Votre amendement fait porter l’étude d’impact sur l’ensemble de la proposition de loi prévoyant une expérimentation, alors que cette dernière peut n’être qu’une disposition parmi de nombreuses autres. On serait alors loin de la simplification que nous souhaitons…

En outre, une étude d’impact doit évaluer les « conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que les coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées ». Cela revient, à mon sens, à laisser l’étude d’impact prédéfinir le cadre de l’expérimentation, ce qui va à l’encontre d’une évaluation impartiale.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Contrairement aux propositions de loi, les projets de loi font l’objet d’une étude d’impact. Soumettre uniquement certaines d’entre elles à une étude d’impact créerait une différence non justifiée, qui devrait être traitée dans une loi organique dédiée. De nombreux rapports sont prévus et font office, en quelque sorte, d’étude d’impact. Ainsi, des rapports à mi-chemin ont été demandés par le Sénat. C’est pourquoi mon avis sera défavorable.

Pour répondre à une de vos questions précédentes, à laquelle je n’avais pas répondu, avant le début de l’expérimentation, le préfet vérifie bien sûr que la collectivité répond aux critères. Ainsi, si un département valide une expérimentation en matière de transports scolaires, compétence régionale, ce sera refusé.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 1er sans modification.

Après l’article 1er

La Commission examine l’amendement CL12 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. L’amendement vise à clarifier le pouvoir d’initiative des collectivités en matière d’expérimentation en précisant qu’il s’agira d’une délibération motivée de l’assemblée délibérante, transmise au ministre chargé des collectivités territoriales.

Cette précision est juridiquement, mais aussi démocratiquement, indispensable, car une expérimentation, ou une différenciation en fin d’expérimentation, est avant tout un projet de politique publique. Cela suppose des allers-retours et un débat contradictoire au sein d’assemblées délibérantes, afin de sortir de la seule relation informelle avec les services.

M. Stéphane Mazars, rapporteur. Mon avis sera défavorable, pour les raisons déjà exposées lors de l’examen de vos amendements CL13 et CL17. Bien sûr, dans le cadre d’un débat démocratique, les collectivités pourront prendre une délibération pour demander à entrer dans un processus d’expérimentation. Elles pourront aussi mobiliser les services de l’État : l’ANCT sur le projet ou la DGCL sur les aspects juridiques. Mais ensuite, c’est le législateur ou le Gouvernement qui décidera d’ouvrir ces expérimentations territoriales, dans le cadre ainsi réformé.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Même avis. J’ajoute que nous souhaitons simplifier les voies d’accès à l’expérimentation – par simple délibération des collectivités territoriales. Votre amendement complexifie les choses.

M. Jean-Félix Acquaviva. Je ne partage pas votre crainte quant à la complexification. Il faut essayer d’avancer. Qu’adviendra-t-il de ce processus dans les faits ? Le cadre sera extrêmement contraint… Il serait préférable que les assemblées délibérantes proposent des projets d’expérimentation en amont du choix définitif du législateur.

M. Serge Letchimy. Je suis très surpris de votre réponse, qui donne le sentiment que vous revenez sur un aspect essentiel de la décentralisation : le contrôle a posteriori. Votre réforme équivaut au rétablissement d’un contrôle a priori, réduisant la capacité d’initiative de la collectivité. Bien sûr, il ne s’agit pas d’empiéter sur les compétences de l’État, mais j’ai l’impression que vous limitez les pouvoirs d’initiative des collectivités.

Aura-t-on la possibilité de prendre une initiative de terrain ? La réponse semble négative puisque vous répondez que le dispositif est encadré, scientifiquement, techniquement, juridiquement et politiquement, depuis Paris, et qu’il faut rentrer dans des cases. Je qualifierai même ces dernières de « nasses » car le dispositif est totalement verrouillé. Il ne faut pas fuir ce débat ! Cela m’intéresse beaucoup car je viens d’un territoire situé à 8 000 kilomètres de la métropole, et qu’il m’inspire des initiatives. Vous me bloquez…

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Vous pensez que la collectivité territoriale peut prendre une délibération qui va s’imposer au législateur. Mais cela n’existe pas ! Nous avons déjà beaucoup simplifié le contrôle de légalité et, en l’espèce, l’avons supprimé. Mais il est normal que l’État vérifie que la proposition de la collectivité entre bien dans le champ de ses compétences.

M. Jean-Félix Acquaviva. Il ne s’agit pas d’imposer quoi que ce soit, mais de laisser l’initiative des demandes d’expérimentation aux collectivités. C’est d’ailleurs déjà reconnu par la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse. Quant aux adaptations réglementaires locales, notre collègue Molac l’a rappelé, sur quarante-huit demandes, la Corse a essuyé quarante-six non-réponses. C’est donc le principe de discourtoisie qui prévaut, plutôt que celui de courtoisie. Et je ne parle même pas des refus, alors que le transfert a été opéré par la loi précitée…

Si l’on veut concrètement avancer en matière d’expérimentation, je suis d’accord avec M. Letchimy, je ne vois pas comment la collectivité pourra délibérer en aval si elle estime que la loi est trop restrictive. Elle n’aura aucun intérêt à agir et risque alors de ne rien faire. Pourquoi ne pas débroussailler les sujets en amont, la loi ayant bien sûr toujours, ensuite, le dernier mot ? Un tel processus aurait le mérite de permettre aux collectivités de mûrir leur projet.

La Commission rejette l’amendement.

Article 2 (art. LO. 1113-2 du code général des collectivités territoriales) : Modalités de candidature des collectivités territoriales aux expérimentations

La Commission examine l’amendement CL9 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Le projet de loi vise à simplifier le processus d’expérimentation pour en permettre l’utilisation plus fréquente et moins complexe. Il s’agit donc d’encourager les collectivités territoriales à expérimenter, en leur offrant une procédure simplifiée.

J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les explications de M. Acquaviva sur ses amendements, étant donné que j’avais déposé un amendement ayant le même objet, et visant à davantage simplifier la procédure, mais qui a été déclaré irrecevable. Il s’agissait pourtant d’enclencher l’expérimentation par une délibération de la collectivité, et non par le vote d’une loi, souvent très long. À terme, il est important de donner davantage de liberté aux collectivités territoriales, en autorisant les expérimentations d’initiative locale.

S’agissant de mon amendement, en l’état actuel de la rédaction du projet de loi, la participation à une expérimentation législative oblige la collectivité territoriale à publier au Journal officiel la délibération motivée de son assemblée délibérante. Je vous propose d’aller plus loin dans la simplification en supprimant cette disposition pour favoriser la liberté des collectivités.

M. Stéphane Mazars, rapporteur. La publication au Journal officiel n’est pas de nature à ralentir ou à limiter la mise en œuvre de l’expérimentation. Elle ne conditionne pas l’entrée en vigueur de la délibération et n’a qu’un rôle d’information.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. J’ajoute que cela permettra en outre d’informer les citoyens de l’implication et de la teneur de la demande de la collectivité. Je confirme que cela n’entrave en rien l’expérimentation. Je suis donc défavorable à l’amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 2 sans modification.

Article 3 (art. LO. 1113-4 du code général des collectivités territoriales) : Simplification des conditions d’entrée en vigueur des actes pris par les collectivités territoriales dans le cadre des expérimentations

La Commission examine l’amendement CL10 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Dans le même esprit, je propose de supprimer l’alinéa 4 qui dispose que les actes à caractère général et impersonnel d’une collectivité territoriale portant dérogation aux dispositions législatives, visés à l’article L.O. 1113-3, feront désormais l’objet d’une publication au Journal officiel.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 3 sans modification.

Article 4 (art. LO. 1113-3 du code général des collectivités territoriales) : Allègement du régime du contrôle de légalité exercé par le préfet dans le cadre des expérimentations

La Commission adopte l’article 4 sans modification.

Article 5 (art. LO. 1113‑5 du code général des collectivités territoriales) : Modalités d’évaluation de l’expérimentation

La Commission adopte l’article 5 sans modification.

Article 6 (art. LO. 1113‑6 du code général des collectivités territoriales) : Diversification des issues de l’expérimentation

La Commission examine l’amendement de suppression CL5 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Bénédicte Taurine. Nous proposons la suppression de l’article 6 qui modifie la procédure de sortie des expérimentations. En l’état actuel du droit, elles s’achèvent soit par un abandon, soit par une généralisation à l’ensemble du territoire. Le projet de loi prévoit qu’elles pourront perdurer dans tout ou partie des collectivités expérimentatrices. Cela porte atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la loi, ainsi qu’à l’indivisibilité de la République.

M. Stéphane Mazars, rapporteur. Chère collègue, mon avis sera bien sûr défavorable car c’est tout l’intérêt du projet de loi : au terme de l’expérimentation, les mesures dérogatoires pourront être maintenues au sein de tout ou partie des collectivités qui les ont expérimentées, mais aussi ouvertes à d’autres collectivités, car nous sommes convaincus que la différenciation est essentielle pour le développement de nos territoires.

Enfin, je vous rappelle que, dans son avis sur le présent projet de loi organique, le Conseil d’État a validé le dispositif proposé par le Gouvernement, l’estimant compatible avec le principe d’égalité. La jurisprudence du Conseil constitutionnel va dans le même sens.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Il s’agit d’un désaccord de fond, je ne vais donc pas m’étendre sur mon avis défavorable. En outre, je rappelle que cette différenciation sera strictement encadrée par le principe constitutionnel d’égalité.

La Commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement CL14 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. Notre amendement prévoit que la loi, qui intervient avant la délibération des collectivités, habilite l’assemblée délibérante de la collectivité territoriale à déterminer les suites à donner à l’expérimentation, parmi différentes possibilités limitativement énumérées.

Cela donnerait à cette dernière, ainsi qu’à ses élus de terrain, démocratiquement désignés par les citoyens, la possibilité de mûrir ses projets d’expérimentations et de différenciation. Cela permettrait de libérer l’énergie des territoires, et leurs réflexions bien sûr.

M. Stéphane Mazars, rapporteur. L’alinéa 4 de l’article 72 de la Constitution est très clair : la loi n’habilite pas, elle « prévoit ». Le dispositif que vous proposez n’est donc pas conforme au cadre constitutionnel. Mon avis sera défavorable.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Même avis. Ce dispositif n’est pas conforme à la Constitution. Et c’est exactement le contraire de ce que souhaite Mme Taurine.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL11 de M. Serge Letchimy.

M. Serge Letchimy. Cet amendement technique – vous allez sans doute me dire qu’il est satisfait ! – vise à garantir explicitement aux collectivités territoriales n’ayant pas participé à l’expérimentation la possibilité de demander à bénéficier de l’extension des mesures prises à titre expérimental.

Je profite de ma prise de parole pour vous faire part de mon sentiment sur le projet de loi « 4D » : il me semble que vous n’avez peut-être pas encore bien saisi la particularité des outre-mer. C’est pourquoi je me permets de solliciter à nouveau un rendez-vous.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. J’ai bien entendu.

M. Serge Letchimy. Si vous l’avez entendu, je vous remercie, et suis heureux d’avoir fini par obtenir ce rendez-vous !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Monsieur Letchimy, la commission n’est pas le lieu de ces échanges et ces demandes de rendez-vous avec les ministres.

M. Stéphane Mazars, rapporteur. Votre amendement est totalement satisfait, mais je vous le confirme très officiellement ! D’autres collectivités que celles initialement dans le périmètre de l’expérimentation peuvent ensuite y adhérer et bénéficier d’une différenciation.

L’amendement est retiré.

Puis la commission adopte l’article 6 sans modification.

Article 7 (art. LO. 1113-7 du code général des collectivités territoriales) : Simplification des expérimentations dans le domaine réglementaire

La Commission adopte l’article 7 sans modification.

Puis elle adopte l’ensemble du projet de loi organique sans modification.

La réunion se termine à 20 heures 15.

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Membres présents ou excusés

 

En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.