Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 Audition de Mme Claire Hédon, Défenseure des droits, sur son rapport annuel d’activité 2

 Information relative à la Commission.................18


Mercredi
24 mars 2021

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 74

session ordinaire de 2020-2021

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente
 


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La réunion débute à 9 heures 35.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission auditionne Mme Claire Hédon, Défenseure des droits, sur son rapport annuel d’activité.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je souhaite la bienvenue à la Défenseure des droits, accompagnée de M. Daniel Agacinski, délégué général à la médiation, ainsi que de Mme George Pau-Langevin, adjointe chargée de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité. Je suis convaincue que notre ancienne collègue assurera sa nouvelle fonction avec autant de brio qu’elle a exercé celle de député.

Mme Claire Hédon a été nommée en juillet 2020, alors que le mandat de M. Jacques Toubon s’achevait. Sa nouvelle équipe est entrée en fonction à l’automne et le présent rapport d’activité dresse d’ailleurs un bref bilan du mandat de son prédécesseur.

Mme Claire Hédon, Défenseure des droits. Je me réjouis d’exposer à la commission ce rapport d’activité, rendu public il y a quelques jours. Je voudrais d’abord rendre hommage à la détermination et à l’engagement de M. Jacques Toubon. Il a tenu des positions courageuses, fidèles aux missions qui lui étaient confiées, faisant ainsi progresser considérablement la notoriété du Défenseur des droits. J’ai pris la tête d’une institution solide, où je me suis entourée d’adjoints tout aussi solides. Mme Pauline Caby, chargée de la déontologie de la sécurité, et M. Éric Delemar, en charge de la défense et de la promotion des droits de l’enfant, ne sont malheureusement pas présents aujourd’hui, pour respecter les règles sanitaires de distanciation.

Cette présentation de notre bilan 2020 se structure autour de quatre axes : les réponses aux difficultés nouvelles créées par la crise sanitaire ; le traitement au quotidien des problèmes d’accès aux droits ; la promotion des droits et la défense des libertés ; le renforcement de la coopération internationale.

La crise sanitaire a en effet affecté l’ensemble des droits et libertés. Le bouleversement de l’organisation des services publics qu’elle a entraînée s’est traduit par un recul des droits, qui a pu aboutir à de véritables ruptures pour les populations qui étaient déjà éloignées de leurs droits. Le Défenseur des droits a donc été très attentif aux catégories vulnérables, dès le début de la pandémie. Il est ainsi intervenu, au travers des services instructeurs du siège comme des délégués territoriaux, pour les aider.

Des atteintes importantes aux droits et libertés ont été signalées durant le premier confinement, concernant plus particulièrement les personnes précaires et vulnérables, par exemple empêchées de retirer leurs aides sociales en liquide dans les bureaux de poste, qui étaient alors fermés. Alerté par le Défenseur des droits, le directeur de la Poste s’était engagé à accroître le nombre de bureaux de poste ouverts.

La situation des personnes en détention était également préoccupante, concernant leurs conditions de détention (accès aux masques et au gel hydroalcoolique, aux soins, à la douche), mais aussi les conditions d’aménagement et d’exécution des peines (suspension des parloirs, problème de téléphone, interruption du paiement du travail, violences entre détenus). La prolongation de plein droit de la détention provisoire sans intervention du juge judiciaire a fait, en mai, l’objet d’arrêts de la Cour de cassation qui ont rétabli son contrôle. Afin de pallier l’absence de délégués en milieu pénitentiaire, un numéro de téléphone a été créé. Il a reçu près de 5 000 appels.

Par ailleurs, les personnes en rétention administrative se trouvaient dans des conditions de protection insuffisantes, et sans perspective d’éloignement dans un délai raisonnable. Malgré la demande du Défenseur des droits de fermeture complète des centres de rétention administrative (CRA), ces derniers sont restés partiellement ouverts.

Quant aux demandeurs d’asile, ils se sont heurtés à la fermeture du dispositif d’enregistrement et à l’arrêt de la plateforme téléphonique de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Les observations adressées par le Défenseur des droits au Conseil d’État, saisi d’une requête, ont été accueillies favorablement.

Enfin, les ressources des bénéficiaires de la protection sociale ont parfois substantiellement diminué. Le Défenseur des droits a donc demandé que cette situation soit prise en considération en cas de recouvrement d’indu.

S’agissant des enfants, plus de 120 saisines ont été reçues, concernant leurs droits d’être protégés de toute forme de violence, d’être entendus (quand l’ordonnance du 25 mars 2020 autorisait des décisions sans contradictoire), d’entretenir des relations avec leurs parents (droits de visite et d’hébergement suspendus), d’aller à l’école, de recevoir des soins et une protection (mineurs non accompagnés non pris en charge), et de voir leur intérêt supérieur pris en compte (refus d’admettre des enfants dans un supermarché avec leurs parents).

Concernant la déontologie de la sécurité, les saisines ont essentiellement porté sur les contrôles d’attestation de déplacement ou d’identité, notamment dans les quartiers populaires. Par ailleurs, le Défenseur des droits s’est saisi des difficultés des personnes sans domicile fixe ou encore des personnes handicapées.

Enfin, nombre de saisines ont porté sur des situations de discriminations liées à la crise sanitaire. Des personnes âgées, des populations très précaires ou faisant l’objet de mesures de protection judiciaire ont été confrontées à des discriminations indirectes en matière d’accès aux biens et services, notamment en raison du refus de paiements en espèces. Les délégués ont toutefois rapidement fait part de ces difficultés, permettant au Défenseur d’alerter les pouvoirs publics. De plus, les nombreuses restrictions imposées aux résidents des EHPAD étaient susceptibles de porter une atteinte disproportionnée à leurs droits. Le Défenseur a donc rappelé que les mesures doivent être fondées sur un principe de prévention individuelle plutôt que de précaution générale.

Le Défenseur des droits s’appuie sur un siège et un réseau de délégués. La présence de ces derniers dans chaque département est souvent déterminante. Dans un contexte de recul des services publics, dont la crise sanitaire a mis en évidence de graves conséquences, ils incarnent une réelle voie d’accès aux droits. Concrètement, les 536 délégués traitent près de 80 % des réclamations. Ils sont à l’origine de la plupart des médiations, qui aboutissent favorablement dans 80 % des cas. Ils contribuent à rétablir le dialogue entre usagers et administrations. Ce réseau est une force précieuse de l’institution. Pour l’affermir, douze chefs de pôles régionaux ont été nommés fin 2020. Ils apportent un appui juridique aux délégués, coordonnent le traitement des dossiers, ou encore les actions de promotion de l’égalité ou visant à faire progresser la notoriété de l’institution.

En 2020, le Défenseur des droits a enregistré 97 000 saisines, dont deux tiers concernant les relations avec les services publics. Il répond aux situations individuelles afin de rétablir les droits des demandeurs, mais cherche aussi à résoudre des problèmes structurels, en vue d’éviter que les atteintes constatées se répètent. En effet, l’ampleur des délais de réponse des administrations est souvent en cause : près de deux ans pour une demande de changement de nom, plus de deux ans pour une demande de naturalisation.

De très nombreuses saisines ont fait état de dysfonctionnements relatifs à la délivrance indue de forfaits de post-stationnement, ou de retard des recours administratifs préalables obligatoires entraînant des conséquences financières lourdes. Les recommandations adressées par le Défenseur des droits aux collectivités territoriales dans son rapport de janvier 2020 visaient à rétablir les usagers dans leurs droits, en améliorant l’information concernant les modalités de stationnement et les tarifs, ainsi que la formation des agents traitant les recours gracieux, et en exonérant les usagers du paiement préalable à la saisine de la commission du contentieux du stationnement payant pour les victimes de vol ou d’usurpation de plaque.

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur le sujet, le Conseil constitutionnel a d’ailleurs jugé inconstitutionnel le paiement préalable à cette saisine.

S’agissant des discriminations, le Défenseur des droits entend apporter des réponses individuelles autant que structurelles. En effet, elles revêtent parfois un caractère systémique. Elles sont le produit d’inégalités collectives et de préjugés traversant toute la société.

Dans son rapport de juin dernier, le Défenseur des droits avait ainsi formulé trois principales recommandations : approfondir la connaissance des discriminations par le développement de statistiques publiques, en créant un observatoire des discriminations et en multipliant les campagnes de tests ; développer une politique publique ambitieuse, en auditant régulièrement les organisations et en renforçant les obligations ainsi que les sanctions ; améliorer le traitement judiciaire des discriminations, grâce à des actions de groupe plus effectives et des sanctions mieux proportionnées et réellement dissuasives.

Un renforcement des moyens humains et financiers de l’institution a en outre permis de déployer le 12 février 2021 la plateforme antidiscriminations.fr. Une équipe de juristes accompagne gratuitement toute victime ou témoin de discrimination, qui la contacte par téléphone ou sur le chat.

Au-delà du traitement des réclamations, le Défenseur des droits exerce aussi un rôle de vigie des droits et libertés. Il formule ainsi des alertes relatives aux projets de loi – par exemple concernant la réforme de la justice pénale des mineurs ou la transposition de la directive concernant les lanceurs d’alerte pour laquelle le Défenseur des droits a appelé à une transposition plus audacieuse – ou sur des sujets d’actualité comme le nouveau schéma du maintien de l’ordre.

Dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, il ne saurait être dérogé à l’État de droit. J’ai en conséquence insisté à diverses occasions sur la nécessité d’encadrer strictement l’état d’urgence par une loi claire, respectant les principes d’égalité, de nécessité et de proportionnalité ; de limiter sa durée, en prévoyant des moyens de droit commun pour un retour à la normalité ; de renforcer le rôle du Parlement ; d’organiser un débat public de fond ; de renforcer la transparence et l’accessibilité de l’information.

J’ai surtout mis en garde contre un risque « d’habituation » progressive à la restriction des libertés. Vivre avec le virus est une nécessité. Les choix effectués dans ce cadre doivent toutefois être discutés de manière libre et éclairée.

Au plan international, le Défenseur des droits a poursuivi toute l’année 2020 sa coopération avec ses homologues internationaux. En matière de déontologie de la sécurité, la déclaration de Paris a été adoptée en juin 2020 par le réseau européen independant police complaints authorities network (IPCAN). De plus, la recommandation du Conseil de l’Europe sur le code d’éthique de la police a fêté ses 20 ans en octobre dernier, un anniversaire qui a suscité des échanges très riches entre les nations.

En matière de défense et de promotion des droits de l’enfant, le Défenseur des droits s’est associé aux réflexions du réseau européen des défenseurs des enfants (ENOC) concernant les études d’impact sur les droits des enfants. Un cadre de référence commun a été adopté. Le rapport annuel sur les droits de l’enfant de novembre insistait quant à lui sur la prise en compte de la parole de l’enfant, qui est centrale à ces études d’impact.

S’agissant de lutte contre les discriminations, le Défenseur des droits a activement contribué aux travaux du réseau européen des organismes de lutte contre les discriminations (Equinet), avec notamment un rapport sur l’inclusion des Roms et des gens du voyage, ou des publications concernant les effets discriminatoires des recours au numérique et à l’intelligence artificielle en période pandémique pour l’accès aux droits et à l’emploi des plus vulnérables.

Enfin, le Défenseur des droits s’implique dans le réseau des autorités européennes en charge des lanceurs d’alerte (NEIWA). Deux séminaires organisés dans la perspective de la transposition de la directive européenne sur le sujet ont abouti à des recommandations communes pour améliorer la lisibilité des dispositifs nationaux, ainsi que pour renforcer les droits des lanceurs d’alerte.

Ce rapport 2020 confirme combien le Défenseur des droits constitue un mode de recours crucial pour ceux qui en sont éloignés. Le droit est le socle de la démocratie, mais il n’est rien sans les moyens mis en œuvre pour le faire respecter. La mission du Défenseur est une condition essentielle de la confiance en la démocratie.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Nous avons abordé la question des conditions d’accueil au sein des centres de rétention administrative dans le cadre de mon avis budgétaire relatif à la mission « immigration, asile, intégration ». Les mesures prises dans les CRA pour pallier les carences récurrentes dans la prise en charge sanitaire posent question. Le Défenseur des droits en avait d’ailleurs demandé la fermeture complète, en l’absence de perspective d’éloignement.

Une prise de conscience est intervenue, accompagnant une nouvelle approche de la santé des personnes en rétention. Il convient néanmoins de pousser cette réflexion au-delà de la crise sanitaire. Il n’existe encore aucune étude épidémiologique. Les seules données disponibles concernent les demandes de protection contre l’éloignement pour raisons médicales. 973 requêtes de cette nature avaient été enregistrées par l’OFII en 2019, principalement au titre de troubles mentaux et de maladies infectieuses ou parasitaires.

Madame la Défenseure des droits, avez-vous visité ces centres de rétention administrative et examiné la situation ? Des évolutions vous paraissent-elles possibles ?

Mme Laetitia Avia. Le rapport d’activité évoque largement la crise sanitaire, qui a révélé certaines carences des services publics. Ont-ils commencé à s’adapter pour pallier ces difficultés, un an après le début de la pandémie ?

S’agissant de la détention provisoire durant le premier confinement, la commission des Lois était aussi intervenue afin de rééquilibrer les dispositions qui étaient mises en œuvre.

Enfin, sans aucun esprit de polémique, je profite de cette audition pour évoquer plusieurs déclarations de la Défenseure des droits qui ont fait débat dernièrement, concernant le burkini ou les contrôles d’identité « au faciès ». Pourriez-vous préciser aujourd’hui votre position sur ces sujets ?

M. Éric Diard. Cette audition est l’occasion de dresser un bilan de cette première année de Mme Hédon en tant que Défenseure des droits. Lors de son audition du 15 juillet 2020, elle avait affirmé qu’elle se concentrerait sur le développement de l’accès aux droits, aux ressources essentielles et aux services publics. Cependant, le 12 février dernier, elle a proposé – sans aucune concertation – d’expérimenter des zones sans contrôle d’identité. Une retranscription en atteste. Le 16 février, elle a toutefois précisé qu’elle n’avait pas demandé la fin des contrôles d’identité, mais une amélioration de leur traçabilité.

Selon moi, établir des zones sans contrôle constituerait une inégalité de traitement en fonction du lieu de résidence. En outre, cela aboutirait à créer des zones de non-droit, où les délinquants se regrouperaient, en sachant qu’ils n’y seront pas inquiétés. Madame Hédon, ne regrettez-vous pas cette proposition « à l’emporte-pièce », qui a monopolisé l’attention aux dépens de votre rapport annuel ?

Mme Cécile Untermaier. Je salue ma regrettée collègue, Mme Pau-Langevin. La Défenseure des droits est chanceuse de bénéficier d’une adjointe de sa qualité.

Concernant le fonctionnement de la justice, accueillir les détenus dans des conditions dignes constitue une liberté fondamentale. Aussi, je recommande de rendre la visioconférence facultative sur ce sujet, comme elle l’est déjà dans les cas les plus sensibles (prorogation de détention et refus de mise en liberté par le juge). La dignité de l’accueil des détenus revêt en effet selon moi la même importance. Le dispositif qui vient d’être mis en place pour assurer cette dignité a le mérite d’exister, même s’il a été créé tardivement. Je regrette néanmoins l’effacement du juge qu’il induit, devant l’administration, qui fait son possible. J’espère en conséquence que l’application du dispositif fera l’objet d’un suivi.

S’agissant de la réforme de la justice pénale des mineurs, la Défenseure considère que la présomption réfragable de non-discernement à 13 ans est regrettable. Je partage ce sentiment. À l’heure où le principe du non-consentement à un acte sexuel à 15 ans est discuté, une telle disposition ne me semble pas être la réponse adaptée.

Par ailleurs, vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, comme le prévoit l’article 1er de la Charte de l’environnement, devrait être considéré comme un droit fondamental. Les plus démunis sont ceux qui souffrent le plus dans ce domaine. J’invite donc la Défenseure des droits à s’y intéresser. Je cherche pour ma part, en collaboration avec la majorité, à faire émerger cette liberté fondamentale dans le cadre du texte sur le climat. Madame Hédon, pensez-vous pouvoir agir sur ce sujet auprès des citoyens ?

M. Dimitri Houbron. Lors du premier confinement, le Défenseur des droits avait interpellé la Chancellerie sur les risques de propagation du Covid-19 entre les détenus, recommandant la communication à distance avec les avocats, ainsi que des aménagements de peine. La garde des Sceaux avait alors prévu l’octroi de réductions de peine extraordinaires, de suspensions de peine pour raisons médicales, ou d’aménagements supplémentaires. 8 000 détenus sont ainsi sortis de détention, selon le rapport, sans passer par les mécanismes prévus aux articles 721-1 à 721-3 du code pénal.

Ces réductions de peine extraordinaires ne favorisent pas particulièrement la bonne conduite des détenus. Le nouveau garde des Sceaux propose d’ailleurs, dans l’avant-projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, de mettre un terme aux réductions automatiques, arguant que ce dispositif n’encourage pas l’effort et risque de conduire à remettre en liberté des individus encore potentiellement dangereux pour la société. Quelle est votre position, madame Hédon, concernant cette disposition de l’avant-projet de loi ? Plus largement, comment envisagez-vous de concilier promotion du bon comportement des détenus et préservation de la sécurité de la société ?

Par ailleurs, le rapport d’activité évoque la mise en place, le 20 mars 2020, d’un numéro dédié aux détenus. Il a reçu près de 2 500 appels durant le premier confinement, et 5 000 de plus depuis. Je salue cet effort, qui visait à améliorer la visibilité et l’accessibilité du Défenseur des droits dans les lieux de détention. Je suggère ainsi de créer un numéro similaire destiné aux mineurs victimes de violences sexuelles, et d’en faire la promotion en milieu scolaire.

Enfin, prendrez-vous part en tant que Défenseure des droits à la commission indépendante sur les violences sexuelles faites aux enfants ?

Mme Claire Hédon, Défenseure des droits. Aujourd’hui, 90 % des réclamations sont traitées par les délégués territoriaux, dont 90 % de réclamations relatives à l’accès aux services publics. Aussi, je serai très attentive aux conséquences du déploiement des maisons France Service, où des délégués du Défenseur seront présents. Pour les personnes les plus en difficulté, rencontrer un interlocuteur est toujours plus simple, ce qui rend primordial le réseau constitué par nos délégués.

Les difficultés d’accès aux services publics m’inquiètent car elles minent la confiance en la démocratie. Or, elles ne touchent pas que les populations précaires mais peuvent affecter l’ensemble des Français, et elles concernent des domaines très variés. Obtenir le déclenchement d’une pension de retraite demande parfois de longs mois de procédure. Je souhaite donc travailler à la mise en œuvre de solutions avec les services concernés, car je suis bien consciente des difficultés rencontrées par leurs personnels, qui travaillent à flux tendu depuis le premier confinement.

Les droits des enfants sont l’une des cinq missions du Défenseur des droits, mais je leur accorde une importance particulière. Des campagnes d’information sont nécessaires. La modification de la loi concernant le non-consentement irréfragable et les questions de prescription constitue une avancée. Il est cependant urgent d’écouter et d’entendre ces enfants. Ne pas s’habituer à les écouter régulièrement les empêchera de s’exprimer s’ils se trouvent dans une situation grave.

Chaque année, une centaine de jeunes ambassadeurs des droits (JADE) en service civique expliquent dans les écoles leurs droits aux enfants et abordent la question des discriminations. À chaque intervention des JADE, un enfant leur signale une situation grave. Un système efficace de remontées de ces violations a dû être mis en place. L’école doit, d’une part, enseigner leurs droits aux enfants et, d’autre part, mettre en place de véritables cours d’éducation sexuelle, tels qu’ils sont prévus dans la loi.

Je ne suis pas encore parvenue à visiter des CRA, où je souhaite me rendre avec la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. Un rapport sur les étrangers malades a été publié par le Défenseur des droits, qui a également présenté des observations devant le Conseil d’État abordant ces problèmes sanitaires. Par ailleurs, le Défenseur des droits est régulièrement alerté de la présence d’enfants dans des CRA, alors que leur intérêt supérieur demande de ne pas les mettre en situation de détention, ces situations provoquant des effets délétères à long terme.

Concernant mes récentes déclarations, je comprends que les députés attendent des éclaircissements. Sur le burkini, nous avons adressé une simple note récapitulative rappelant l’état du droit. En 2016, le Conseil d’État a déclaré illégale l’interdiction du burkini par arrêté municipal. J’ai donc demandé à la base de loisirs concernée si le burkini, qu’elle a interdit, y pose un risque pour l’ordre public ou un risque sanitaire. Je suis surprise que le sujet fasse polémique, alors que j’ai uniquement rappelé l’état du droit et qu’aucune décision n’a été rendue en la matière. Je m’étonne d’ailleurs qu’un membre du Conseil d’État puisse formuler une telle remarque.

S’agissant des contrôles d’identité, je suis abasourdie par la déformation de mes propos, même s’ils étaient imprécis. Je souhaite la traçabilité de ces opérations, mais n’ai jamais évoqué la fin des contrôles : ils sont évidemment indispensables en cas de comportement suspect ou de risque à l’ordre public.

Je suis consciente des difficultés des policiers à exercer leur mission. Néanmoins, l’évaluation de leur action en matière de contrôles d’identité est une nécessité. Or, nul ne sait combien de contrôles sont effectués en France et personne ne suit leurs résultats. J’ai donc proposé d’expérimenter la délivrance de récépissés et d’un enregistrement des opérations de contrôle, par des caméras piétons portées par les membres des forces de l’ordre.

Depuis dix ans, douze propositions de loi ont porté sur les contrôles d’identité. La plus récente a été retirée de l’ordre du jour, mais l’intérêt du législateur pour ce sujet témoigne de l’existence de problèmes. En 2016, la Cour de cassation a acté l’existence de contrôles d’identité discriminatoires. Toutefois, faute de traçabilité, il est impossible de s’assurer aujourd’hui que le contrôle d’identité est motivé, comme la loi l’exige pourtant.

La question du droit, des plus précaires notamment, à un environnement sain me paraît liée à celle plus large de la façon dont les plus éloignés du droit peuvent saisir le Défenseur. Le réseau des délégués territoriaux est absolument essentiel. Une réflexion porte ainsi sur son implantation au plus près des populations les plus vulnérables.

Les zones d’habitat précaire sont généralement plus proches des pollutions. Dans le cadre du Grand Paris, qui illustre les initiatives visant à réduire notre impact sur l’environnement, l’extension du métro s’accompagne de rénovations augmentant les loyers, ce qui repousse toujours plus loin les plus précaires, renforçant leur exclusion. Chercher à assainir l’environnement n’est donc pas sans externalités négatives.

Concernant les jugements en visioconférence, je partage les inquiétudes exprimées. Quant aux réductions des peines, elles facilitent la vie dans les lieux de privation des libertés, en incitant les détenus à en respecter les règles.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Alors que la crise sanitaire rend la période difficile, je tiens à saluer la mise en place de la nouvelle équipe et de la nouvelle Défenseure des droits, que j’ai eu l’occasion de rencontrer en tant que rapporteur de la loi créant cette institution, il y a bientôt dix ans. À l’époque, la disparition du Défenseur des enfants qui l’accompagnait avait été critiquée, notamment par M. François Bayrou, alors que l’idée était de former, autour du Défenseur des droits et de ses quatre adjoints, une structure plus efficiente. À sa création, l’institution a pu être qualifiée d’ « OVNI » par la doctrine, mais le Conseil constitutionnel l’a, hélas, limitée au rôle d’autorité administrative indépendante.

Je suis particulièrement attaché aux 536 délégués du réseau territorial. Ils forment le socle de l’institution, en résolvant les dysfonctionnements administratifs divers que subissent les usagers, confrontés à des lenteurs et à une absence de réponse de certains services publics. Plusieurs d’entre eux éprouvent cependant une certaine souffrance. Si une réorganisation de ce réseau est prévue, je reste persuadé que la création d’un adjoint à la médiature ainsi qu’un collège correspondant s’avérerait très utile.

L’institution porte de nombreux sujets : plateforme contre les discriminations, lanceurs d’alerte, expérimentation sur la médiation en préalable obligatoire (MPO)… La question du caractère suspensif des saisines du Défenseur des droits mérite d’ailleurs d’être posée.

À l’issue de la présentation, en juillet dernier, des conclusions du rapport de la mission d’information sur le Défenseur des droits dont j’étais co-rapporteur avec Mme Coralie Dubost, j’aurais souhaité un débat contradictoire entre celle qui incarne désormais cette institution et le Parlement, au sujet des recommandations présentée dans le rapport de la mission. Je regrette par exemple que la loi interdise au Défenseur des droits d’émettre des avis sur les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Alors que son rôle de vigie est essentiel, la question de son efficacité se pose toutefois : le Défenseur des droits a par exemple enjoint en vain l’État à rapatrier sous un mois les enfants français détenus dans les camps syriens. En dépit de son indépendance, quelle est la crédibilité de l’institution, si ses avis et alertes n’ont aucun effet sur l’action publique ? Je crains qu’au terme des dix années écoulées, elle ne reste minime. J’ai donc proposé plusieurs pistes d’amélioration, notamment la soumission du rapport annuel du Défenseur des droits à un contradictoire de Matignon, ainsi que l’organisation d’un débat en séance publique à l’Assemblée nationale et au Sénat lors de la parution de ce rapport.

Enfin, en matière de handicap, la doctrine du « tout inclusion », inadaptée aux cas les plus lourds, ne saurait entièrement supplanter l’institutionnalisation. Ces deux approches doivent ainsi se compléter, plutôt que s’opposer.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Le rapport de la commission des Lois concernant le Défenseur des droits formulait 41 propositions. Il serait en effet intéressant d’en débattre avec l’institution, à l’heure où elle fête sa première décade.

M. Ugo Bernalicis. Je tiens tout d’abord, Mme la Défenseure des droits, à vous remercier de ce rapport, qui est l’occasion d’objectiver les sujets qui en relèvent dans le débat parlementaire.

M. Toubon soulignait régulièrement que l’élargissement des missions de l’institution progressait sans augmentation correspondante de ses moyens. Cette problématique perdure-t-elle encore aujourd’hui ?

Par ailleurs, qu’entendez-vous par une « transposition plus audacieuse » lorsque vous évoquez celle de la directive européenne relative aux lanceurs d’alerte ? J’avais pour ma part proposé d’adjoindre à la Défenseure des droits une inspection ad hoc destinée à accompagner les lanceurs d’alerte. En effet, ceux qui se sont adressés à l’institution ont eu le sentiment que seul un signalement accompagné de preuves irréfutables pouvait aboutir à leur protection. Le Conseil des Prud’hommes a d’ailleurs pris une « non-décision » sur ce sujet, pour ne pas trancher la question de fond.

Quant aux contrôles d’identité, la France est l’un des rares pays à ne pas savoir combien elle en réalise. Dans d’autres, les pouvoirs publics calculent un ratio d’efficacité, examinant quelle proportion de ces contrôles aboutit à une action judiciaire. Cette piste pourrait intéresser le législateur, le contrôle d’identité étant l’activité principale des policiers surveillant l’espace public aujourd’hui.

M. Stéphane Peu. Je vous remercie, Mme la Défenseure des droits, de votre alerte concernant les contrôles d’identité. Les positions sur ce sujet ne correspondent pas aux clivages politiques traditionnels, mais dépendent plutôt des vécus des territoires. Comme vous l’avez rappelé, la question a donné lieu à de nombreuses propositions de loi, car ces contrôles sont l’outil principal de la police des quartiers populaires. Ils sont stigmatisants pour ceux qui les subissent, et frustrants pour les policiers, limités à ces actions répétitives souvent inefficaces.

En tant que député de la Seine-Saint-Denis, je m’inquiète du fait que deux tiers des réclamations enregistrées concernent le fonctionnement des services publics. Leur inaccessibilité alimente les sentiments séparatistes. Mon département est par exemple passé de 100 à 25 caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), un nombre qui baissera bientôt encore, à 18, alors que sa population a augmenté. Par ailleurs, la file d’attente, devenue virtuelle, des étrangers en préfecture, fait désormais l’objet de trafics : c’est une honte pour la République.

L’ouverture de la prise de rendez-vous de vaccination contre le Covid-19 à des plateformes privées comme Doctolib risque de s’accompagner des mêmes dérives. La Seine-Saint-Denis compte parmi les départements les plus contaminés, mais ses 85 000 habitants de plus de 75 ans affichent le taux de vaccination le plus faible de France, en raison de la fracture numérique, qui est à la fois générationnelle et sociale. Dans nos centres, près de 50 % des vaccinés proviennent de départements voisins, ce qui nuit à la couverture vaccinale de notre population.

Aussi, quels sont les effets des alertes du Défenseur des droits concernant l’accès aux services publics, notamment en lien avec leur digitalisation ?

S’agissant du nouveau schéma d’organisation du maintien de l’ordre, les recommandations de l’institution y ont-elles été intégrées ?

Le rapport annuel évoque enfin, sans trop de précisions, la question du cadre disciplinaire et des voies de recours concernant l’action des fonctionnaires des polices municipales, qui sont beaucoup moins structurés que pour les forces de l’ordre nationales. Quelles sont vos recommandations sur ce sujet ?

M. Paul Molac. Les départements ruraux sont aussi confrontés aux difficultés d’accès aux services publics précédemment évoquées. La population s’adresse ainsi à ma permanence concernant des problèmes de carte grise, de retraite ou encore de versement de prestations sociales. L’usage de Doctolib est compliqué pour les catégories actuellement ciblées par la politique de vaccination. Or, l’alternative à cette usage, la plateforme téléphonique, se contente souvent de les renvoyer vers ce site internet. Obtenir un rendez-vous vaccinal ou certains documents est ainsi devenu très difficile, par manque d’accessibilité ou du fait du retard des administrations. L’accès aux services publics est encore plus ardu pour les populations peu habituées aux procédures administratives.

Par ailleurs, j’ai été très choqué de constater que certains établissements (EHPAD ou maisons de retraite) interdisent ou contrôlent les heures de sortie des résidents pour lutter contre le virus. Ces mesures, qui conduisent à limiter les libertés, infantilisent des citoyens adultes possédant toutes leurs facultés. Les confinements en chambre en EHPAD ont été très difficiles à vivre par les résidents. Brimer leurs libertés essentielles au prétexte de les protéger me laisse perplexe.

Ainsi, je partage vos craintes concernant l’état d’urgence sanitaire. Déployé à tâtons, il limite considérablement les libertés fondamentales : de se déplacer, de travailler ou de se réunir. Il convient de s’interroger sur ces sujets, notamment dans la perspective des prochaines lois de cette nature. Je n’y suis pas favorable, mais elles restent malheureusement inévitables.

Mme Claire Hédon, Défenseure des droits. L’accès aux services publics est une priorité majeure du Défenseur des droits. Je ne souhaite pas que le déploiement des maisons France Service s’accompagne d’une fermeture accrue des services publics. Je suis consciente que la situation est difficile en Seine-Saint-Denis, où il existe des problématiques de déplacement des usagers. L’accès aux services publics est indispensable à la confiance dans la démocratie. La France possède un bon système de protection sociale, mais tous n’y ont malheureusement pas accès.

Après ma prise de fonction, ma première visite a été en préfecture. Je suis consciente de la longue attente à laquelle sont contraints les demandeurs d’asile ou de titre de séjour comme les demandeurs de cartes crises. Beaucoup s’adressent d’ailleurs à des officines privées pour cette seconde démarche, ce qui pose question.

S’agissant de la vaccination, des associations m’ont interpellée. J’ai alors immédiatement alerté le ministre de la Santé et des solidarités. Les chiffres cités démontrent l’inégalité d’accès à la vaccination, pour des populations qui comptent pourtant parmi les plus exposées. Il convient ainsi de poursuivre les préconisations et l’amélioration de l’accès aux services publics.

Concernant l’intervention de M. Morel-À-L’Huissier, j’entends accorder la plus grande visibilité possible à mes adjoints, y compris à M. Daniel Agacinski, même s’il porte le titre de délégué général à la médiation. Je suis en outre très attachée au bénévolat, que j’ai longtemps pratiqué. L’institution s’appuie sur deux fondements : les délégués territoriaux et les équipes du siège. Ces dernières traitent les cas les plus complexes

L’institution repose aussi sur trois collèges couvrant les questions relatives aux discriminations, à la déontologie de la sécurité et aux droits de l’enfant. Leurs membres sont nommés, entre autres, par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que par le Conseil économique, social et environnemental (CESE), le Conseil d’État et la Cour de cassation. Ces membres saluent régulièrement la qualité du travail des équipes du Défenseur des droits.

Comme les députés, je regrette que tous nos avis ne soient pas suivis d’effets. Néanmoins, les trois quarts des 122 observations que nous avons formulées en justice l’ont été. Je souhaite d’ailleurs mettre en place un suivi des effets des avis et préconisations de l’institution afin d’analyser pour quelles raisons certains demeurent lettre morte. Je déplore aussi de ne pas pouvoir rendre d’avis concernant les QPC. Nous pouvons cependant soumettre des observations en amont de leur dépôt.

En matière de handicap, si l’inclusion à l’école est essentielle, elle n’est pas toujours possible. Fermer des institutions est inacceptable, quand les places offertes sont déjà insuffisantes, mettant des familles dans des situations très compliquées.

Sur la question des moyens financiers du Défenseur des droits, ils ont été accrus pour lancer la plateforme que j’ai mentionnée précédemment. Je devrai toutefois m’assurer que ces moyens supplémentaires seront garantis dans la durée. Nos équipes sont surchargées. En dépit du télétravail, elles ont maintenu tant la qualité que la quantité de leur travail. Je tiens à saluer ainsi l’investissement de nos personnels. Je m’inquiète néanmoins d’un certain manque de moyens du Défenseur des droits. Selon les décisions qui seront prises concernant les compétences de l’institution en matière de MPO et de lanceurs d’alerte, une mise en adéquation des budgets avec les missions confiées sera indispensable : lorsque le Défenseur des droits est devenu compétent pour assurer l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte, il n’a bénéficié que de l’ouverture d’un poste supplémentaire.

S’agissant de la transposition de la directive sur les lanceurs d’alerte que je mentionnais dans mon propos introductif, et sur laquelle M. Bernalicis m’interroge, elle doit être l’occasion de combler les failles en termes de protection de ces personnes. Une autorité unique de suivi et d’accompagnement, ainsi qu’une liste claire des autorités chargées du traitement des alertes, sont indispensables. L’avis de la Défenseure des droits remis au Parlement sur le sujet pourra d’ailleurs être rediffusé aux membres de la commission, s’ils le souhaitent.

Concernant le schéma d’organisation du maintien de l’ordre, je tiens d’abord à saluer sa rédaction. Il rappelle la liberté essentielle de manifester et intègre plusieurs des recommandations du Défenseur des droits, relatives à la communication avec les manifestants, l’importance de la formation des forces de l’ordre à ces interventions, ou encore l’identification des agents. Il prévoit également le retrait des grenades manuelles de désencerclement. Malheureusement, le recours aux lanceurs de balles de défense (LBD) y est maintenu, alors que je recommandais au contraire d’en interdire l’usage durant les manifestations, en raison des blessures qui en résultent. Les contrôles d’identité délocalisés perdureront également, ainsi que les techniques d’encerclement, qui posent des risques d’atteinte aux libertés.

Les saisines relatives à des difficultés occasionnées par l’action de fonctionnaires de police municipale, jusqu’alors assez rares, augmentent un peu en 2020, principalement en lien avec les contrôles d’attestation dans le cadre de la crise sanitaire. Je manque toutefois encore de recul sur ce sujet.

Enfin, je salue le personnel des EHPAD, dont les conditions de travail sont très difficiles. Néanmoins, les restrictions imposées à leurs résidents doivent être proportionnelles, nécessaires et prévisibles, ce qui n’a pas toujours été le cas durant la pandémie. Les interdictions de sortie qui ont été instaurées ont malheureusement nui à leur santé.

Mme Alexandra Louis. La question de l’accès des enfants à leurs droits est fondamentale. Les violences sur mineur, notamment sexuelles, ont été évoquées plus tôt par mes collègues et par vous-même. Je m’inquiète particulièrement de ce phénomène en ligne, dont la gravité a longtemps été sous-estimée. La prévention, en milieux scolaire comme extrascolaire, est essentielle. Quelle est l’importance des saisines relatives aux violences sexuelles virtuelles, notamment durant le confinement, et quelles sont les pistes d’amélioration envisagées ?

En matière de justice des mineurs, le rapport d’activité critique la procédure de césure telle que la prévoit désormais le nouveau code de la justice pénale des mineurs, car elle mettrait en péril le travail éducatif mené avec le mineur. La commission des Lois avait pourtant consulté de nombreux professionnels sur ce sujet. Ils estimaient en majorité que se prononcer d’abord sur la culpabilité facilite ensuite l’amorçage du travail éducatif.

Sur les discriminations à l’égard des femmes, je m’inquiète en particulier des futures mères, privées d’opportunités d’évolution et de rémunération dans le monde du travail. Je voudrais également vous interroger sur la question du harcèlement de rue : depuis 2018, la contravention d’outrage sexiste sanctionne ces comportements, mais font-ils l’objet de saisines du Défenseur des droits ?

Enfin, je m’interroge sur l’accès au droit en lien avec la problématique des logements insalubres et des marchands de sommeil, nombreux à Marseille. Une action partenariale avec les collectivités territoriales me paraît indispensable, cette question étant essentielle dans un contexte de confinement au domicile. Recevez-vous des saisines et avez-vous des préconisations à formuler sur ce sujet ?

M. Arnaud Viala. Ce rapport prend tout son intérêt dans le présent contexte sanitaire, qui a accru l’éloignement des citoyens de leurs droits, notamment en milieu urbain. Cependant, l’Aveyron ne compte qu’un seul délégué territorial du Défenseur des droits, alors qu’il est parmi les départements les plus vastes de France. Aussi, mes permanences reçoivent chaque semaine des administrés à la recherche d’une aide, car ils ne connaissent pas l’existence de cette institution ou ne savent pas comment la contacter, ou ils déplorent l’absence d’un contact physique, rendu impossible par le contexte sanitaire. Comment l’institution entend-elle optimiser sa présence territoriale, dans un contexte de raréfaction des services publics, notamment au travers du réseau France Service ?

Mme Blandine Brocard. La page 63 du rapport d’activité évoque la situation de 17 jeunes qui s’estimaient excessivement contrôlés, et dont la plainte a été rejetée par l’autorité judiciaire, qui a estimé que le motif de ces contrôles était suffisamment corroboré par les éléments d’enquête.

Sur le terrain, je constate que les mêmes individus sont toujours à l’origine des troubles de l’ordre public. Or, le contrôle d’identité est souvent la seule action possible des forces de l’ordre. Sa visée première étant préventive, si 95 % des contrôles n’aboutissent à rien, nous pourrions en conclure que leur effet dissuasif est efficace.

Néanmoins, la Défenseure des droits a proposé d’expérimenter des zones sans contrôle, où des délinquants pourront préparer un délit sans que les forces de l’ordre ne puissent le prévenir. Dans certains quartiers, le risque d’être contrôlé deviendrait « insupportable ». Les habitants de ces quartiers que je côtoie y déplorent plutôt le manque de présence policière, tandis que les forces de l’ordre et de secours y sont souvent « caillassées » et insultées. L’intervention des gendarmes prévient généralement des rixes. Aussi, bien que les contrôles n’aboutissent pas à des actions judiciaires, leur usage préventif est en pratique essentiel. Libérer des quartiers sensibles d’une présence policière préventive n’y ramènera pas la sérénité, et n’améliorera pas l’accueil qu’y reçoivent les forces de l’ordre et de secours.

Mme Danièle Obono. Je salue l’intervention du Défenseur des droits auprès des citoyens, mais aussi dans le débat public, où Mme Hédon objective les sujets et rappelle l’état du droit de manière à rendre les échanges plus cohérents et rationnels.

Le rapport d’activité évoque les biais algorithmiques, une thématique sur laquelle j’ai travaillé dans le cadre des travaux de la commission des Lois concernant la lutte contre la haine sur internet. Les questions de la transparence et des travailleurs ayant recours aux plateformes sont également essentielles en termes de lutte contre les discriminations.

J’observe que l’institution renouvelle la proposition – qui figurait déjà dans le rapport de fin de mandat de son prédécesseur – de créer un observatoire des discriminations. De nombreux travaux sont conduits sur le sujet par des chercheurs d’origines diverses, au sein des universités mais également au sein du collège déjà associé à l’institution. Je crains que la création d’un outil supplémentaire ne génère une certaine dispersion. Je recommande donc plutôt de consolider la recherche universitaire actuelle, et de mieux valoriser ces travaux au sein de l’institution, d’autant qu’elle manque déjà de moyens. Je m’interroge toutefois sur le fonctionnement et les objectifs de cet observatoire que la Défenseure préconise.

M. Sacha Houlié. Le Défenseur des droits a publié un guide pratique des intervenants de l’action sociale. Je suggère de déployer, pour le numéro de signalement des discriminations, le « 3928 », ainsi que pour la plateforme anti-discriminations, une campagne de communication similaire à celle dont a bénéficié le numéro d’aide aux femmes victimes de violences, le « 3919 ». Généraliser son usage permettrait d’ailleurs d’obtenir des données concernant les contrôles d’identité discriminatoires.

Les parlementaires sont saisis de la question de l’état d’urgence sanitaire, d’une part dans les débats au titre de l’article 50-1 de la Constitution, d’autre part parce qu’ils votent les lois correspondantes et, enfin, dans le cadre d’une mission d’information que j’ai conduite avec Philippe Gosselin et qui a fait des propositions visant à accorder davantage de pouvoir aux parlementaires. Madame la Défenseure des droits, avez-vous pu examiner les recommandations formulées par cette mission d’information, et avez-vous d’éventuelles remarques à leur sujet ?

S’agissant enfin de la mise à l’abri des démunis durant la crise sanitaire, la Cour des comptes a salué l’action efficace de l’État. Partagez-vous cette analyse, et avez-vous des préconisations concernant la poursuite de ces actions ?

M. Philippe Gosselin. Je suis désolé de n’avoir pu rejoindre cette audition plus tôt. J’ai effectivement travaillé, avec M. Houlié, à la rédaction d’un rapport sur l’état d’urgence sanitaire. Nous avions examiné avec intérêt les remarques de la Défenseure des droits en la matière. La crise se poursuivant, la question de la prorogation de l’état d’urgence se posera au cours des prochaines semaines. Aussi, avez-vous, Mme la Défenseure des droits, des recommandations pour l’avenir sur ce sujet ?

Mme Claire Hédon, Défenseure des droits. Je souhaiterais d’abord préciser que le Défenseur des droits n’est pas compétent en matière de violence en général, mais uniquement sur celles commises envers les enfants. Il ne l’est pas davantage en matière de violences faites aux femmes, mais l’est en revanche lorsque les femmes sont victimes de discriminations.

De nombreux avis ont été rendus depuis mon arrivée concernant le harcèlement en ligne à l’encontre des enfants. La plupart de ces situations commencent à l’école et se poursuivent sur les réseaux sociaux. Il est compliqué pour les enseignants et, plus largement, pour l’école, de répondre efficacement aux difficultés soulevées par ce sujet. Ils ont parfois le sentiment qu’une problématique en ligne n’est plus de leur ressort, alors même qu’elle commence pourtant à l’école. Je m’inquiète surtout du long délai s’écoulant avant que les enfants soient écoutés, qui laisse à penser que ces enfants craignent de s’exprimer. Il convient donc de travailler à les mettre en confiance, parallèlement à la question du renfort de la surveillance des réseaux sociaux, dont les enfants ne sont d’ailleurs pas les seules victimes.

S’agissant des jeunes faisant l’objet de poursuites pénales, le travail éducatif est indispensable. Le juge doit par ailleurs disposer de tous les éléments éducatifs et sociaux, afin d’éviter une justice trop expéditive. C’est le sens de notre position concernant la réforme de la justice pénale des mineurs

Le Défenseur des droits s’intéresse nécessairement à toutes les questions ayant trait aux discriminations. Un rapport rédigé avec l’Organisation internationale du travail (OIT) concernant les discriminations dans l’emploi, publié en décembre 2020, montre qu’il existe un continuum dans ce domaine. Seules 0,1 % des victimes de discriminations disent ne pas avoir subi auparavant des propos discriminatoires, sexistes ou racistes, ou une forme de harcèlement. De plus, ces discriminations au travail n’ont pas uniquement de conséquences sur la vie professionnelle, mais aussi sur tous les autres aspects de la vie de la victime, dont sa santé et sa famille.

Concernant les difficultés d’accès au logement, notamment au logement social, elles sont en effet remontées au Défenseur des droits. Certains demandeurs sont considérés trop pauvres pour pouvoir y prétendre : c’est un comble. La question de la précarité et de l’interdépendance des droits fait partie des priorités que je me suis fixées pour mon mandat, une thématique dont relève le droit au logement. Une construction massive de logements sociaux sera néanmoins indispensable pour résoudre ce problème.

Quant à la mise à l’abri des SDF durant le confinement, il s’agit en effet d’une démarche positive. Leur seul hébergement ne suffit néanmoins pas : ces personnes ont besoin d’un véritable logement. Cette question devra donc être travaillée.

S’agissant du réseau des délégués en milieu rural, 80 de nos bénévoles interviennent déjà dans des maisons France Service ou dans des maisons de service au public. Notre objectif est d’accroître leur présence auprès des populations les plus éloignées. En dépit de la communication massive réalisée par le Défenseur des droits durant le mandat de Jacques Toubon, l’institution reste insuffisamment connue, en particulier des citoyens les plus éloignés du droit. Il sera donc important de poursuivre ces efforts.

Sur les contrôles d’identité, je répète que je n’ai jamais proposé de zone sans contrôle. La présence préventive de la police de proximité est absolument essentielle, mais les contrôles d’identité ne devraient pas être son seul recours. Il est d’ailleurs intéressant d’étudier les pratiques des pays voisins. Je regrette que certains nient encore l’existence d’un problème dans ce domaine, pourtant évident en France.

Derrière l’apparente neutralité des algorithmes, ils sont ou deviennent discriminatoires. Il convient de former et sensibiliser les professionnels des métiers techniques et d’ingénierie informatique, et de soutenir la recherche pour développer des études afin de prévenir les biais. L’obligation légale en matière de transparence et d’explication des algorithmes devra également être renforcée. Des études d’impact anticipant les effets discriminatoires de ces algorithmes seront enfin nécessaires.

Le numéro « 3928 » a reçu 11 000 contacts durant son premier mois de fonctionnement : 3 000 au téléphone et 1 000 sur le chat. Les demandeurs sont plus jeunes qu’auparavant. La question des discriminations à l’origine y est le plus souvent évoquée, alors que le handicap était jusqu’à présent la première source de réclamations relatives aux discriminations.

À date, 20 % des contacts ont abouti à une saisine. Lorsqu’ils concernent des propos racistes et des violences, les demandeurs sont renvoyés vers les interlocuteurs compétents. D’autres personnes apprécient l’écoute qu’elles reçoivent, mais préfèrent ne pas engager des poursuites. Les équipes de juristes consacrent en moyenne 15 minutes par contact.

Le site internet, qui a été adapté aux smartphones, sera encore développé. Il renverra vers un centre de ressources. Il conviendra en outre d’y afficher une carte de France des délégués, mais aussi des associations compétentes, car les populations les plus en difficulté ont besoin d’un contact physique, y compris en milieu rural. Nous pouvons, ensemble, couvrir une grande partie du territoire.

Enfin s’agissant de l’état d’urgence, je terminerai en insistant sur l’importance des espaces de dialogue et sur le rôle capital que le Parlement a à jouer. Je recommande également d’intégrer un juriste au sein du Conseil scientifique.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mme l’adjointe au Défenseur des droits, M. le délégué général, souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Mme George Pau-Langevin, Adjointe chargée de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité. La présentation de Mme Hédon était très complète. Je salue mes anciens collègues. J’ai conscience du privilège qu’a représenté le fait de travailler toutes ces années au Palais Bourbon, même si je suis désormais engagée dans une nouvelle aventure.

M. Daniel Agacinski, Délégué général à la médiation. Un premier rapport, relatif à la dématérialisation des services publics et à son impact sur l’accès aux droits, était paru en 2019. Un rapport de suivi s’intéressera prochainement à la prise en considération de ses recommandations. Le gouvernement entend développer l’accès numérique aux services publics, même s’il ne s’agira jamais de la voie d’accès unique. Il convient ainsi de mesurer les progrès et les difficultés qui demeurent.

M. Philippe Gosselin. La fracture numérique peut sembler être une thématique éculée, alors qu’elle reste une véritable problématique, et pas uniquement dans le monde rural. Maintenir la possibilité d’un contact direct est essentiel, en particulier avec l’institution collégiale qu’est le Défenseur des droits. Les difficultés avec les administrations résultent souvent d’incompréhensions ou de problèmes de communication. Je suis donc particulièrement sensible à vos propos.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. M. Arnaud Viala s’interrogeait sur la présence d’un délégué du Défenseur des droits au sein des maisons France Services. Cette présence renforcerait la visibilité et l’accessibilité de l’institution sur tout le territoire.

M. Ugo Bernalicis. Qu’en est-il de la mise en place d’un observatoire des discriminations ?

Mme Claire Hédon, Défenseure des droits. Sa création me semble indispensable, car quantifier les phénomènes est nécessaire pour pouvoir les résoudre.

Je souhaiterais conclure cet échange en réaffirmant mon attachement au dialogue avec les parlementaires et à la recherche de consensus. Je regrette la manière dont mes propos ont récemment pu être caricaturés. Maintenir des échanges respectueux me paraît essentiel et je m’inquiète de la violence avec laquelle certaines thématiques émergent, offrant un triste exemple à notre jeunesse.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Merci, Mme la Défenseure des droits, pour cette présentation et cette discussion avec les membres de la commission des Lois.

M. Toubon recevait régulièrement le Bureau de notre commission dans ses locaux et j’espère maintenir à l’avenir ce lien constant avec l’institution que vous incarnez.

 

La réunion se termine à 11 heures 20.

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Information relative à la Commission

La Commission a désigné les députés qui participeront au groupe de travail sur les modalités d’organisation de la vie démocratique : MM. Pacôme Rupin et Raphaël Schellenberger, rapporteurs, Mmes Isabelle Florennes et Cécile Untermaier, MM. Christophe Euzet, Pierre Morel-À-L’Huissier, Paul Molac et Sébastien Jumel.


Membres présents ou excusés

 

En raison de la crise sanitaire, les relevés de présence sont suspendus.